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Résolution 1739 (2010)

La situation au Kosovo* et le rôle du Conseil de l’Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 22 juin 2010 (22e séance) (voir Doc. 12281, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. von Sydow; et Doc. 12302, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Omtzigt). Texte adopté par l’Assemblée le 22 juin 2010 (22e séance). Voir également la Recommandation 1923 (2010).*Toute référence au Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit à son territoire, ses institutions ou sa population, doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjuger du statut du Kosovo.

1. Depuis la déclaration unilatérale d’indépendance du 17 février 2008, les institutions du Kosovo se considèrent comme les autorités souveraines et légitimes du Kosovo et ont pris des mesures pour affirmer la nature étatique du Kosovo. Soixante-neuf membres des Nations Unies ont reconnu l’indépendance du Kosovo. Toutefois, la question de la conformité de la déclaration unilatérale d’indépendance avec le droit international fait actuellement l’objet d’un examen par la Cour internationale de justice, à la suite d’une demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies.
2. La Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), mise en place par la Résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies, continue d’être présente au Kosovo, même si ses effectifs ont été considérablement réduits et que sa latitude dans l’exercice de ses fonctions exécutives a diminué. Elle a été rejointe par la mission Etat de droit de l’Union européenne au Kosovo (EULEX), qui agit également sous l’égide de la Résolution 1244 et a le mandat principal de surveiller, guider et conseiller les institutions du Kosovo dans les domaines du pouvoir judiciaire, des douanes et de la police. EULEX dispose également d’un mandat exécutif pour traiter des crimes de guerre aussi bien que des infractions graves ou relevant de la criminalité organisée.
3. Le Conseil de l’Europe applique une politique de neutralité quant au statut du Kosovo et reconnaît la validité continue de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela étant, 33 de ses Etats membres ont reconnu le Kosovo comme un Etat indépendant et souverain.
4. L’Assemblée parlementaire est convaincue que, en ce qui concerne le Kosovo et dans les circonstances actuelles, son attention devrait essentiellement se porter non pas sur le statut mais sur les normes. Elle est particulièrement d’avis que, indépendamment de son statut, le Kosovo devrait être un lieu sûr pour tous ceux qui y vivent et un lieu où des normes en matière de démocratie, de prééminence du droit et de droits de l’homme équivalant à celles que défend le Conseil de l’Europe sont pleinement respectées.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite du niveau de sécurité accru au Kosovo, comme l’ont reconnu les acteurs internationaux sur le terrain, et de la diminution du nombre d’incidents interethniques. Elle insiste cependant sur la nécessité de surveiller étroitement la situation sécuritaire dans les municipalités du nord du Kosovo, situation qui reste instable. Elle regrette également que, partout au Kosovo, les différentes communautés vivent séparément, avec un niveau d’interaction négligeable, et que le dialogue interethnique et la réconciliation demeurent toujours des objectifs à atteindre.
6. L’Assemblée fait part de sa vive préoccupation concernant le faible respect de la prééminence du droit au Kosovo, qui affecte la vie quotidienne de tous ses habitants, quelle que soit la communauté à laquelle ils appartiennent, et leur confiance dans le système politique. Cette situation empêche également la bonne gouvernance, le développement économique et, à long terme, les perspectives d’intégration européenne.
7. Malgré d’importants efforts législatifs pour réformer l’administration, le pouvoir judiciaire et d’autres secteurs clés, il reste encore beaucoup à faire pour consolider le fonctionnement démocratique des institutions, améliorer la stabilité politique et garantir un niveau de gouvernance qui amènerait le Kosovo à s’aligner sur les normes du Conseil de l’Europe.
8. La participation de toutes les communautés du Kosovo au système politique reste un défi majeur à relever, bien que les Serbes du Kosovo vivant au sud de la rivière Ibar soient de plus en plus disposés à trouver un modus vivendi avec les autorités du Kosovo, comme l’indique leur taux de participation accru aux élections locales de novembre 2009 au Kosovo. En outre, certaines communautés, comme les Serbes du Kosovo ainsi que les Roms, les Ashkalis et les Egyptiens (RAE), sont toujours victimes de discrimination et confrontés à des difficultés pratiques dans l’exercice de leurs droits et de leurs libertés.
9. L’Assemblée note que la Constitution du Kosovo intègre dans le droit interne les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) et la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et que le Gouvernement du Kosovo a adopté un plan d’action stratégique sur les droits de l’homme pour 2009-2011. L’Assemblée rappelle, cependant, que l’incorporation de ces instruments ne saurait être en soi une garantie de protection efficace des droits de l’homme si elle n’est pas accompagnée d’un engagement politique solide visant à en assurer la mise en œuvre. Elle rappelle, enfin, qu’elle a toujours exprimé son espoir, dans les Résolutions 1375 (2004), 1453 (2005), 1417 (2005) et 1595 (2008), de voir l’accès à la Cour européenne des droits de l’homme garanti pour toute la population du Kosovo.
10. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée invite EULEX, la MINUK et les institutions du Kosovo à renforcer leurs actions visant à consolider la prééminence du droit au Kosovo, notamment:
10.1. en prenant position publiquement contre la corruption, y compris dans le système politique;
10.2. en introduisant sans délai une législation complète relative à l’attribution des marchés publics, qui pallie les faiblesses juridiques et pratiques actuelles;
10.3. en prenant sans délai des mesures concrètes, en particulier de nature législative, pour améliorer le fonctionnement du pouvoir judiciaire, notamment en vue de renforcer son efficacité, sa compétence, son éthique et de garantir son indépendance.
11. L’Assemblée encourage l’Union européenne:
11.1. à poursuivre sa politique de diversité sur le statut et d’unité sur l’engagement, tout en garantissant une perspective européenne pour le Kosovo, dans le cadre des Balkans occidentaux;
11.2. à renforcer sa mission EULEX:
11.2.1. en améliorant son image publique au Kosovo, à travers une politique de communication plus élaborée et plus inclusive;
11.2.2. en renforçant sa présence et son rôle dans le nord du Kosovo;
11.2.3. en veillant à ce que son dispositif policier et judiciaire EULEX dispose des fonds, du personnel et des moyens nécessaires pour s’attaquer efficacement à l’impunité dont jouissent traditionnellement les crimes de guerre et les autres crimes interethniques graves;
11.3. à mettre en œuvre de manière effective le récent mécanisme indépendant de contrôle («Human Rights Review Panel») en s’assurant que ce mécanisme dispose des ressources humaines, financières et juridiques appropriées pour mener à bien sa mission de contrôle et, le cas échéant, de réparation des violations des droits de l’homme;
11.4. à prendre en considération tout futur avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) portant sur les mécanismes d’examen de compatibilité des actions de la MINUK et d’EULEX avec les normes en matière de droits de l’homme au Kosovo.
12. L’Assemblée invite les Nations Unies:
12.1. à s’assurer que la nouvelle Directive administrative no 2009/1 de la MINUK du 17 octobre 2009 portant sur la procédure devant le Comité consultatif sur les droits de l’homme (Human Rights Advisory Panel) ne contrevient pas au bon fonctionnement de cet organe, et en particulier aux principes de sécurité juridique et d’équité de la procédure;
12.2. à prendre en considération tout futur avis de la Commission de Venise portant sur les mécanismes d’examen de compatibilité des actes de la MINUK et d’EULEX avec les normes en matière de droits de l’homme au Kosovo.
13. L’Assemblée appelle les autorités de Pristina et de Belgrade:
13.1. à adopter une attitude constructive et pragmatique dans la recherche de solutions aux problèmes concrets qui touchent les Serbes du Kosovo et d’autres communautés minoritaires vivant au Kosovo ou venant du Kosovo, en particulier en ce qui concerne la délivrance de documents, la reconnaissance de la validité de documents (comme les cartes d’identité, passeports, permis de conduire et diplômes scolaires) et la disponibilité de l’approvisionnement en énergie;
13.2. à faire davantage d’efforts afin de faciliter la reconnaissance des droits de propriété et la restitution des propriétés à leurs possesseurs légitimes ou, si ce n’est pas possible, de prévoir une compensation équivalente dans la ligne des dispositions de la Résolution 1708 (2010) de l’Assemblée sur la résolution des problèmes de propriété des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, en harmonie avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
13.3. à engager un dialogue inclusif avec la société civile serbe du Kosovo dans le secteur nord du territoire, y compris en dehors des structures formelles;
13.4. à continuer de coopérer dans le cadre des activités du Groupe de travail sur les personnes portées disparues et au sein de la Commission pour la mise en œuvre de la reconstruction (RIC), et d’établir le dialogue sur d’autres questions d’intérêt commun;
13.5. à assurer la coopération la plus complète possible avec l’Unité d’enquête sur les crimes de guerre d’EULEX et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie;
13.6. à adopter une démarche souple dans le contexte des initiatives de coopération régionale afin de faciliter la participation de leurs représentants, et ce indépendamment de considérations de statut;
13.7. à être proactives dans la promotion du dialogue et de la réconciliation entre les communautés, dans les interventions politiques et publiques.
14. L’Assemblée invite les institutions du Kosovo:
14.1. à assurer une entière coopération avec EULEX dans le cadre des enquêtes concernant des infractions graves ou relevant de la criminalité organisée ainsi que des crimes de guerre;
14.2. à assurer une protection efficace des témoins dans le cadre de ces enquêtes, en adoptant sans délai une loi en la matière;
14.3. à coopérer pleinement avec l’Agence de lutte contre la corruption au Kosovo, en renforçant son indépendance et le professionnalisme de son personnel, en lui affectant des ressources suffisantes et en s’assurant du suivi de ses recommandations;
14.4. à tenir pleinement compte du caractère multiethnique du Kosovo, en particulier:
14.4.1. en mettant en œuvre scrupuleusement la législation relative aux droits des minorités, à la décentralisation et aux langues minoritaires;
14.4.2. en mettant en œuvre un système commun d’enseignement de l’histoire, à la fois équilibré, impartial et pluraliste;
14.4.3. en créant les conditions socio-économiques pour un retour sans danger et la pleine intégration dans la société des personnes appartenant à des communautés minoritaires, notamment les personnes déplacées et rapatriées;
14.4.4. en encourageant la participation des personnes issues de communautés minoritaires au système politique et à la vie publique;
14.4.5. en agissant résolument contre la discrimination pour des raisons ethniques, à la fois dans la sphère publique et privée;
14.4.6. en condamnant publiquement les crimes interethniques et en chargeant la police de tenir des statistiques précises sur ces crimes, ainsi que de diligenter des enquêtes approfondies afin que leurs auteurs soient poursuivis et effectivement punis;
14.5. à garantir le respect effectif des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme incorporés dans le droit national, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et la Convention internationale des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989;
14.6. à envisager d’incorporer dans la législation interne d’autres conventions du Conseil de l’Europe, en vue d’adopter les normes du Conseil de l’Europe, notamment la Charte sociale européenne et la Charte sociale européenne révisée (STE no 163);
14.7. à garantir l’indépendance des médias et à promouvoir le rôle des médias comme catalyseur du dialogue interethnique et de la réconciliation, en particulier:
14.7.1. en rétablissant un budget indépendant pour le radiodiffuseur public RTK;
14.7.2. en garantissant l’indépendance du conseil d’administration de RTK;
14.7.3. en encourageant la production, la diffusion et la radiodiffusion de programmes de radio et de télévision dans les langues minoritaires, notamment à l’échelle du Kosovo;
14.7.4. en soutenant les efforts des professionnels des médias pour produire des programmes de radio et de télévision, ainsi que des articles écrits, dressant un portrait de la situation des différentes communautés dans les différentes régions du Kosovo;
14.8. à prendre des mesures pour défendre la condition des femmes et favoriser l’égalité entre les sexes, notamment:
14.8.1. en agissant résolument contre la traite des êtres humains;
14.8.2. en adoptant des mesures et programmes relatifs à la situation des victimes de la traite et en facilitant leur réinsertion dans la société;
14.8.3. en soutenant ou en organisant des campagnes publiques contre la violence domestique;
14.8.4. en prenant des mesures appropriées pour promouvoir l’indépendance économique des femmes;
14.8.5. en luttant contre les discriminations à l’égard des femmes dans tous les domaines, notamment dans le contexte des législations et pratiques relatives à l’héritage et autres questions de droit civil, comme le divorce, la séparation et la garde des enfants;
14.8.6. en assurant que soient ouvertes des enquêtes et engagées des poursuites pour les crimes de guerre impliquant des violences sexuelles, et en garantissant que les survivants peuvent obtenir réparation;
14.9. à prendre d’urgence des mesures pour reloger de façon permanente la population rom des camps de Cesmin Lug et Osterode Cesmin, fortement contaminés au plomb, et à fournir un traitement médical à ceux dont la santé a été affectée, comme l’a également recommandé le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
15. L’Assemblée invite les autorités serbes:
15.1. à éliminer tous les obstacles pratiques pour les personnes déplacées qui souhaitent revenir, en particulier en ce qui concerne l’accès aux informations et la reconnaissance et la transmission de documents, y compris les informations cadastrales et les titres de propriété;
15.2. à mettre en place des programmes appropriés visant à garantir l’intégration en Serbie des personnes déplacées du Kosovo qui ne souhaitent ou ne peuvent pas revenir.
16. L’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
16.1. à s’abstenir de renvoyer de force au Kosovo des personnes qui pourraient encore nécessiter une protection internationale conformément aux lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés;
16.2. à tenir compte de la mise en œuvre par le Kosovo de la stratégie de réintégration et de sa capacité à accueillir des rapatriés avant de décider d’y renvoyer des personnes, et à fournir une assistance financière et technique aux autorités du Kosovo pour soutenir la mise en œuvre de cette stratégie.
17. Afin de renforcer le rôle du Conseil de l’Europe au Kosovo, l’Assemblée:
17.1. encourage le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à poursuivre ses activités relatives au Kosovo;
17.2. invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à faire savoir au Secrétariat de l’Organisation que des relations de travail directes avec les autorités du Kosovo à tous les niveaux sont possibles lorsqu’elles sont justifiées par la nécessité d’assurer la bonne mise en œuvre des activités du Conseil de l’Europe qui respectent la neutralité quant au statut.
18. Afin de contribuer au renforcement du fonctionnement démocratique des institutions du Kosovo, l’Assemblée:
18.1. encourage les partis politiques du Kosovo:
18.1.1. à adopter des règles relatives à leur fonctionnement démocratique interne;
18.1.2. à promouvoir l’égalité des sexes au sein de leurs structures, parmi leurs dirigeants et sur les listes électorales;
18.1.3. à favoriser la diversité ethnique parmi les membres, les dirigeants et sur les listes électorales;
18.2. décide d’entamer un dialogue avec les représentants des forces politiques élues à l’Assemblée du Kosovo sur des questions d’intérêt commun, en tenant compte des préoccupations et intérêts légitimes de la Serbie, et en assurant la conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies.