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Résolution 1739 (2010)
La situation au Kosovo* et le rôle du Conseil de l’Europe
1. Depuis la déclaration unilatérale
d’indépendance du 17 février 2008, les institutions du Kosovo se considèrent
comme les autorités souveraines et légitimes du Kosovo et ont pris
des mesures pour affirmer la nature étatique du Kosovo. Soixante-neuf
membres des Nations Unies ont reconnu l’indépendance du Kosovo. Toutefois,
la question de la conformité de la déclaration unilatérale d’indépendance
avec le droit international fait actuellement l’objet d’un examen
par la Cour internationale de justice, à la suite d’une demande
d’avis consultatif de l’Assemblée générale de l’Organisation des
Nations Unies.
2. La Mission d’administration intérimaire des Nations Unies
au Kosovo (MINUK), mise en place par la Résolution 1244 (1999) du
Conseil de sécurité des Nations Unies, continue d’être présente
au Kosovo, même si ses effectifs ont été considérablement réduits
et que sa latitude dans l’exercice de ses fonctions exécutives a
diminué. Elle a été rejointe par la mission Etat de droit de l’Union
européenne au Kosovo (EULEX), qui agit également sous l’égide de
la Résolution 1244 et a le mandat principal de surveiller, guider
et conseiller les institutions du Kosovo dans les domaines du pouvoir
judiciaire, des douanes et de la police. EULEX dispose également
d’un mandat exécutif pour traiter des crimes de guerre aussi bien
que des infractions graves ou relevant de la criminalité organisée.
3. Le Conseil de l’Europe applique une politique de neutralité
quant au statut du Kosovo et reconnaît la validité continue de la
Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela étant,
33 de ses Etats membres ont reconnu le Kosovo comme un Etat indépendant
et souverain.
4. L’Assemblée parlementaire est convaincue que, en ce qui concerne
le Kosovo et dans les circonstances actuelles, son attention devrait
essentiellement se porter non pas sur le statut mais sur les normes.
Elle est particulièrement d’avis que, indépendamment de son statut,
le Kosovo devrait être un lieu sûr pour tous ceux qui y vivent et
un lieu où des normes en matière de démocratie, de prééminence du
droit et de droits de l’homme équivalant à celles que défend le
Conseil de l’Europe sont pleinement respectées.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite du niveau de sécurité
accru au Kosovo, comme l’ont reconnu les acteurs internationaux
sur le terrain, et de la diminution du nombre d’incidents interethniques.
Elle insiste cependant sur la nécessité de surveiller étroitement
la situation sécuritaire dans les municipalités du nord du Kosovo,
situation qui reste instable. Elle regrette également que, partout
au Kosovo, les différentes communautés vivent séparément, avec un
niveau d’interaction négligeable, et que le dialogue interethnique
et la réconciliation demeurent toujours des objectifs à atteindre.
6. L’Assemblée fait part de sa vive préoccupation concernant
le faible respect de la prééminence du droit au Kosovo, qui affecte
la vie quotidienne de tous ses habitants, quelle que soit la communauté
à laquelle ils appartiennent, et leur confiance dans le système
politique. Cette situation empêche également la bonne gouvernance,
le développement économique et, à long terme, les perspectives d’intégration
européenne.
7. Malgré d’importants efforts législatifs pour réformer l’administration,
le pouvoir judiciaire et d’autres secteurs clés, il reste encore
beaucoup à faire pour consolider le fonctionnement démocratique
des institutions, améliorer la stabilité politique et garantir un
niveau de gouvernance qui amènerait le Kosovo à s’aligner sur les
normes du Conseil de l’Europe.
8. La participation de toutes les communautés du Kosovo au système
politique reste un défi majeur à relever, bien que les Serbes du
Kosovo vivant au sud de la rivière Ibar soient de plus en plus disposés
à trouver un modus vivendi avec les autorités du Kosovo, comme l’indique
leur taux de participation accru aux élections locales de novembre
2009 au Kosovo. En outre, certaines communautés, comme les Serbes
du Kosovo ainsi que les Roms, les Ashkalis et les Egyptiens (RAE),
sont toujours victimes de discrimination et confrontés à des difficultés
pratiques dans l’exercice de leurs droits et de leurs libertés.
9. L’Assemblée note que la Constitution du Kosovo intègre dans
le droit interne les principaux instruments internationaux relatifs
aux droits de l’homme, notamment la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5), la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (STE no 157)
et la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et que le Gouvernement
du Kosovo a adopté un plan d’action stratégique sur les droits de
l’homme pour 2009-2011. L’Assemblée rappelle, cependant, que l’incorporation
de ces instruments ne saurait être en soi une garantie de protection
efficace des droits de l’homme si elle n’est pas accompagnée d’un
engagement politique solide visant à en assurer la mise en œuvre.
Elle rappelle, enfin, qu’elle a toujours exprimé son espoir, dans
les Résolutions 1375
(2004), 1453 (2005), 1417 (2005) et 1595 (2008), de voir l’accès à la Cour européenne des droits de
l’homme garanti pour toute la population du Kosovo.
10. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée invite EULEX,
la MINUK et les institutions du Kosovo à renforcer leurs actions
visant à consolider la prééminence du droit au Kosovo, notamment:
10.1. en prenant position publiquement
contre la corruption, y compris dans le système politique;
10.2. en introduisant sans délai une législation complète relative
à l’attribution des marchés publics, qui pallie les faiblesses juridiques
et pratiques actuelles;
10.3. en prenant sans délai des mesures concrètes, en particulier
de nature législative, pour améliorer le fonctionnement du pouvoir
judiciaire, notamment en vue de renforcer son efficacité, sa compétence, son
éthique et de garantir son indépendance.
11. L’Assemblée encourage l’Union européenne:
11.1. à poursuivre sa politique de
diversité sur le statut et d’unité sur l’engagement, tout en garantissant une
perspective européenne pour le Kosovo, dans le cadre des Balkans
occidentaux;
11.2. à renforcer sa mission EULEX:
11.2.1. en améliorant son image publique au Kosovo, à travers
une politique de communication plus élaborée et plus inclusive;
11.2.2. en renforçant sa présence et son rôle dans le nord du
Kosovo;
11.2.3. en veillant à ce que son dispositif policier et judiciaire
EULEX dispose des fonds, du personnel et des moyens nécessaires
pour s’attaquer efficacement à l’impunité dont jouissent traditionnellement
les crimes de guerre et les autres crimes interethniques graves;
11.3. à mettre en œuvre de manière effective le récent mécanisme
indépendant de contrôle («Human Rights Review Panel») en s’assurant
que ce mécanisme dispose des ressources humaines, financières et
juridiques appropriées pour mener à bien sa mission de contrôle
et, le cas échéant, de réparation des violations des droits de l’homme;
11.4. à prendre en considération tout futur avis de la Commission
européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
portant sur les mécanismes d’examen de compatibilité des actions
de la MINUK et d’EULEX avec les normes en matière de droits de l’homme
au Kosovo.
12. L’Assemblée invite les Nations Unies:
12.1. à s’assurer que la nouvelle Directive administrative no
2009/1 de la MINUK du 17 octobre 2009 portant sur la procédure devant
le Comité consultatif sur les droits de l’homme (Human Rights Advisory Panel)
ne contrevient pas au bon fonctionnement de cet organe, et en particulier
aux principes de sécurité juridique et d’équité de la procédure;
12.2. à prendre en considération tout futur avis de la Commission
de Venise portant sur les mécanismes d’examen de compatibilité des
actes de la MINUK et d’EULEX avec les normes en matière de droits
de l’homme au Kosovo.
13. L’Assemblée appelle les autorités de Pristina et de Belgrade:
13.1. à adopter une attitude constructive
et pragmatique dans la recherche de solutions aux problèmes concrets
qui touchent les Serbes du Kosovo et d’autres communautés minoritaires
vivant au Kosovo ou venant du Kosovo, en particulier en ce qui concerne
la délivrance de documents, la reconnaissance de la validité de
documents (comme les cartes d’identité, passeports, permis de conduire
et diplômes scolaires) et la disponibilité de l’approvisionnement
en énergie;
13.2. à faire davantage d’efforts afin de faciliter la reconnaissance
des droits de propriété et la restitution des propriétés à leurs
possesseurs légitimes ou, si ce n’est pas possible, de prévoir une compensation
équivalente dans la ligne des dispositions de la Résolution 1708 (2010) de l’Assemblée sur la résolution des problèmes de propriété
des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays, en harmonie avec la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme;
13.3. à engager un dialogue inclusif avec la société civile
serbe du Kosovo dans le secteur nord du territoire, y compris en
dehors des structures formelles;
13.4. à continuer de coopérer dans le cadre des activités du
Groupe de travail sur les personnes portées disparues et au sein
de la Commission pour la mise en œuvre de la reconstruction (RIC),
et d’établir le dialogue sur d’autres questions d’intérêt commun;
13.5. à assurer la coopération la plus complète possible avec
l’Unité d’enquête sur les crimes de guerre d’EULEX et le Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie;
13.6. à adopter une démarche souple dans le contexte des initiatives
de coopération régionale afin de faciliter la participation de leurs
représentants, et ce indépendamment de considérations de statut;
13.7. à être proactives dans la promotion du dialogue et de
la réconciliation entre les communautés, dans les interventions
politiques et publiques.
14. L’Assemblée invite les institutions du Kosovo:
14.1. à assurer une entière coopération
avec EULEX dans le cadre des enquêtes concernant des infractions
graves ou relevant de la criminalité organisée ainsi que des crimes
de guerre;
14.2. à assurer une protection efficace des témoins dans le
cadre de ces enquêtes, en adoptant sans délai une loi en la matière;
14.3. à coopérer pleinement avec l’Agence de lutte contre la
corruption au Kosovo, en renforçant son indépendance et le professionnalisme
de son personnel, en lui affectant des ressources suffisantes et en
s’assurant du suivi de ses recommandations;
14.4. à tenir pleinement compte du caractère multiethnique du
Kosovo, en particulier:
14.4.1. en
mettant en œuvre scrupuleusement la législation relative aux droits
des minorités, à la décentralisation et aux langues minoritaires;
14.4.2. en mettant en œuvre un système commun d’enseignement de
l’histoire, à la fois équilibré, impartial et pluraliste;
14.4.3. en créant les conditions socio-économiques pour un retour
sans danger et la pleine intégration dans la société des personnes
appartenant à des communautés minoritaires, notamment les personnes
déplacées et rapatriées;
14.4.4. en encourageant la participation des personnes issues
de communautés minoritaires au système politique et à la vie publique;
14.4.5. en agissant résolument contre la discrimination pour des
raisons ethniques, à la fois dans la sphère publique et privée;
14.4.6. en condamnant publiquement les crimes interethniques et
en chargeant la police de tenir des statistiques précises sur ces
crimes, ainsi que de diligenter des enquêtes approfondies afin que
leurs auteurs soient poursuivis et effectivement punis;
14.5. à garantir le respect effectif des instruments internationaux
relatifs aux droits de l’homme incorporés dans le droit national,
en particulier la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales et la Convention internationale
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre
1989;
14.6. à envisager d’incorporer dans la législation interne d’autres
conventions du Conseil de l’Europe, en vue d’adopter les normes
du Conseil de l’Europe, notamment la Charte sociale européenne et
la Charte sociale européenne révisée (STE no 163);
14.7. à garantir l’indépendance des médias et à promouvoir le
rôle des médias comme catalyseur du dialogue interethnique et de
la réconciliation, en particulier:
14.7.1. en rétablissant un budget indépendant pour le radiodiffuseur
public RTK;
14.7.2. en garantissant l’indépendance du conseil d’administration
de RTK;
14.7.3. en encourageant la production, la diffusion et la radiodiffusion
de programmes de radio et de télévision dans les langues minoritaires,
notamment à l’échelle du Kosovo;
14.7.4. en soutenant les efforts des professionnels des médias
pour produire des programmes de radio et de télévision, ainsi que
des articles écrits, dressant un portrait de la situation des différentes
communautés dans les différentes régions du Kosovo;
14.8. à prendre des mesures pour défendre la condition des femmes
et favoriser l’égalité entre les sexes, notamment:
14.8.1. en agissant résolument contre
la traite des êtres humains;
14.8.2. en adoptant des mesures et programmes relatifs à la situation
des victimes de la traite et en facilitant leur réinsertion dans
la société;
14.8.3. en soutenant ou en organisant des campagnes publiques
contre la violence domestique;
14.8.4. en prenant des mesures appropriées pour promouvoir l’indépendance
économique des femmes;
14.8.5. en luttant contre les discriminations à l’égard des femmes
dans tous les domaines, notamment dans le contexte des législations
et pratiques relatives à l’héritage et autres questions de droit
civil, comme le divorce, la séparation et la garde des enfants;
14.8.6. en assurant que soient ouvertes des enquêtes et engagées
des poursuites pour les crimes de guerre impliquant des violences
sexuelles, et en garantissant que les survivants peuvent obtenir
réparation;
14.9. à prendre d’urgence des mesures pour reloger de façon
permanente la population rom des camps de Cesmin Lug et Osterode
Cesmin, fortement contaminés au plomb, et à fournir un traitement médical
à ceux dont la santé a été affectée, comme l’a également recommandé
le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
15. L’Assemblée invite les autorités serbes:
15.1. à éliminer tous les obstacles
pratiques pour les personnes déplacées qui souhaitent revenir, en particulier
en ce qui concerne l’accès aux informations et la reconnaissance
et la transmission de documents, y compris les informations cadastrales
et les titres de propriété;
15.2. à mettre en place des programmes appropriés visant à garantir
l’intégration en Serbie des personnes déplacées du Kosovo qui ne
souhaitent ou ne peuvent pas revenir.
16. L’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
16.1. à s’abstenir de renvoyer de
force au Kosovo des personnes qui pourraient encore nécessiter une protection
internationale conformément aux lignes directrices du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés;
16.2. à tenir compte de la mise en œuvre par le Kosovo de la
stratégie de réintégration et de sa capacité à accueillir des rapatriés
avant de décider d’y renvoyer des personnes, et à fournir une assistance
financière et technique aux autorités du Kosovo pour soutenir la
mise en œuvre de cette stratégie.
17. Afin de renforcer le rôle du Conseil de l’Europe au Kosovo,
l’Assemblée:
17.1. encourage le
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à poursuivre
ses activités relatives au Kosovo;
17.2. invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à
faire savoir au Secrétariat de l’Organisation que des relations
de travail directes avec les autorités du Kosovo à tous les niveaux
sont possibles lorsqu’elles sont justifiées par la nécessité d’assurer
la bonne mise en œuvre des activités du Conseil de l’Europe qui
respectent la neutralité quant au statut.
18. Afin de contribuer au renforcement du fonctionnement démocratique
des institutions du Kosovo, l’Assemblée:
18.1. encourage les partis politiques du Kosovo:
18.1.1. à adopter des règles relatives
à leur fonctionnement démocratique interne;
18.1.2. à promouvoir l’égalité des sexes au sein de leurs structures,
parmi leurs dirigeants et sur les listes électorales;
18.1.3. à favoriser la diversité ethnique parmi les membres, les
dirigeants et sur les listes électorales;
18.2. décide d’entamer un dialogue avec les représentants des
forces politiques élues à l’Assemblée du Kosovo sur des questions
d’intérêt commun, en tenant compte des préoccupations et intérêts légitimes
de la Serbie, et en assurant la conformité avec la Résolution 1244
du Conseil de sécurité des Nations Unies.