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Résolution 1746 (2010) Version finale
Démocratie en Europe: crises et perspectives
1. L’Assemblée parlementaire note
avec préoccupation que la récente crise économique mondiale a accentué
les symptômes d’une crise de la démocratie qui se manifestent depuis
quelque temps déjà, notamment:
1.1. l’absence
de réglementation et de coopération nécessaires au niveau international
pour faire face aux défis de la mondialisation, ainsi que l’absence
de contrôle politique des intérêts financiers;
1.2. des décisions des gouvernements extrêmement centralisées
et des mécanismes de négociation au niveau mondial avec un contrôle
limité des parlements, une transparence insuffisante et sans possibilité
de participation des citoyens. Cela a aggravé encore le manque de
confiance des citoyens vis-à-vis des institutions démocratiques
et de la qualité de la démocratie dans laquelle ils vivent, et exacerbé
leur sentiment d’impuissance et de frustration;
1.3. une concentration du pouvoir et des richesses et, dans
certains Etats membres du Conseil de l’Europe, également une concentration
excessive des médias, entre les mains de quelques-uns. Un nombre
croissant de responsables politiques sont devenus dépendants de
fortunes énormes ou des faveurs des propriétaires des médias. Tout
comme l’inégalité et la concentration des richesses, la corruption
des institutions démocratiques augmente;
1.4. un désintérêt pour les procédures institutionnalisées
actuelles de démocratie et une crise de la représentation. Les taux
de participation aux élections étaient en chute libre dans la plupart
des pays européens et les taux d’abstention ont atteint jusqu’à
80 % dans certains d’entre eux aux élections européennes de 2009;
1.5. les mouvements populistes et extrémistes, les politiques
identitaires et les discours nationalistes se sont trouvés renforcés
au cours des dernières années du fait de la crise dans de nombreux
Etats membres;
1.6. la collecte presque illimitée de données personnelles
par des organismes publics, notamment la police et les services
de sécurité sociale, ainsi que par des entreprises privées, fait
peser une menace sur la liberté individuelle et le respect de la
vie privée, qui sont des conditions préalables à la libre participation
à la vie démocratique.
2. L’Assemblée considère que la crise actuelle de la représentation
exige qu’en dehors des formes traditionnelles de mandat et de délégation,
qui satisfont toujours moins de citoyens, le lien politique entre
la société et les autorités soit aussi envisagé d’une façon différente.
Ainsi, sans remettre en question la démocratie représentative, l’Assemblée
souligne que la représentation ne peut plus être la seule expression de
la démocratie; cette dernière doit aussi être développée au-delà
de la représentation, notamment par les moyens suivants:
2.1. des formes plus durables d’interaction
entre les citoyens et les autorités doivent être mises en place
au-delà de l’approche représentative conventionnelle afin d’inclure,
de façon rigoureusement conçue, des éléments de démocratie directe
dans le processus de prise de décision;
2.2. la démocratie participative doit être renforcée en tant
que processus dans lequel toutes les personnes, et pas uniquement
les ressortissants nationaux, participent à la conduite des affaires publiques,
aux niveaux local, régional, national et européen;
2.3. la démocratie doit être perçue non pas simplement comme
un régime ou la somme de droits individuels, mais comme une forme
de société qui nécessite des règles pour la justice sociale et la redistribution,
et suppose non seulement de déléguer et de prendre des décisions,
mais aussi de discuter et de vivre ensemble dans la dignité, le
respect et la solidarité. C’est une œuvre inachevée qui est mise
à l’épreuve au quotidien;
2.4. le renouvellement de la politique nécessite également
de développer une nouvelle culture de la responsabilité civique
et politique. Cette dernière doit être envisagée en termes de réactivité
et d’obligation de rendre des comptes, ainsi que de transparence
de la part des gouvernants. Elle doit également s’étendre aux acteurs
de la société civile qui participent au débat politique. En ce qui concerne
l’obligation de rendre compte et la transparence des partis politiques,
l’Assemblée renvoie au Code de bonne conduite en matière de partis
politiques nouvellement adopté.
3. L’Assemblée souligne que le droit de participer à la conduite
des affaires publiques, que ce soit aux niveaux local, régional,
national ou européen, est un droit humain et une liberté politique
fondamentale qui devrait, dès lors, être inscrit comme tel dans
la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention, STE
no 5).
4. Le Conseil de l’Europe a également un autre défi à relever,
celui d’humaniser et de démocratiser le processus de mondialisation.
Sa contribution pourrait consister à développer, aux côtés d’autres
acteurs, les principes directeurs visant à réglementer la mondialisation
dans le plein respect des droits de l’homme, y compris les droits
des femmes et les droits sociaux, des impératifs écologiques et
de la prééminence du droit.
5. Il importe d’accorder un soutien plus fort aux réseaux transnationaux
constitués par les citoyens pour étudier des problèmes spécifiques,
comme les questions environnementales, sociales ou même constitutionnelles,
en particulier compte tenu de l’avènement de la construction de
la démocratie européenne transnationale. Dans ce contexte, l’Assemblée
salue l’Initiative citoyenne européenne (ICE), prévue par le Traité
de Lisbonne de l’Union européenne, qui donne aux citoyens européens
la possibilité de présenter des propositions législatives à la Commission
européenne, constituant ainsi le premier instrument de démocratie directe
et transnationale de l’Union. L’Assemblée s’attend à ce que les
institutions de l’Union européenne mettent en œuvre l’ICE de façon
à permettre à tous les groupes de la société civile engagés démocratiquement,
et non uniquement aux groupes privilégiés, d’en faire usage dans
l’intérêt commun de l’Europe.
6. Afin de contribuer à renforcer la participation de tous et
de toutes à la conduite des affaires publiques, à améliorer la qualité
de la démocratie et à promouvoir l’intérêt commun, l’Assemblée:
6.1. appelle les Etats membres du
Conseil de l’Europe:
6.1.1. à mettre en place des processus
et des structures participatives et délibératives, tels que l’établissement
des budgets participatifs, des référendums d’initiative citoyenne
et des jurys ou conférences de citoyens, ouverts à tous ceux qui
vivent dans un pays, et non pas seulement aux ressortissants nationaux;
6.1.2. à créer, renforcer et promouvoir des institutions de contrôle
indépendantes, telles que des médiateurs et des autorités facilitant
l’accès aux documents publics et à la protection de données, de
façon à renforcer le concept de responsabilité politique et d’obligation
de rendre des comptes;
6.1.3. à améliorer l’éducation à la citoyenneté et la formation
politique en garantissant le respect de la nouvelle Charte sur l’éducation
à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe (Recommandation CM/Rec(2010)7), et en mettant
en œuvre des programmes du Conseil de l’Europe dans le domaine de
l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits
de l’homme;
6.2. décide de poursuivre son travail de réflexion, en consultation
étroite avec la Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise), afin d’élaborer un protocole additionnel
à la Convention garantissant le droit de participer à la conduite
des affaires publiques en tant que droit humain et liberté fondamentale.
Cela viendrait s’ajouter, d’une part, au droit de vote et d’éligibilité
garanti par le Protocole additionnel à la Convention (STE no 9,
ratifié par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à deux
exceptions) et, de l’autre, à des initiatives similaires prises
au niveau local;
6.3. décide d’organiser des débats publics ouverts dans le
cadre du processus de rédaction du nouveau protocole, de sorte que
ce processus offre une occasion de promouvoir le débat public et
la prise de conscience de la nécessité d’accroître la participation
active des citoyens et d’assurer un plus grand engagement de tous
et de toutes dans la conduite des affaires publiques.
7. L’Assemblée, rappelant sa proposition antérieure contenue
dans la Résolution 1886
(2009) sur l’avenir du Conseil de l’Europe à la lumière
de ses soixante années d’expérience, et réaffirmant que, parmi les
trois piliers du Conseil de l’Europe, le pilier de la démocratie
doit être consolidé, davantage conceptualisé et gagner en visibilité,
propose:
7.1. la création d’un forum
de la démocratie à Strasbourg en tant que structure générique destinée
à fournir une référence internationale dans le domaine de la démocratie
et à constituer un laboratoire de nouvelles idées et propositions
– y compris les idées et propositions anciennes qui ont été oubliées
et qui doivent être réinscrites à l’ordre du jour – afin de rétablir
et de renforcer la démocratie. Une telle structure pourrait également
servir de baromètre en ce qui concerne les nouveaux grands défis auxquels
la démocratie en Europe doit faire face aujourd’hui, notamment ceux
que pose la mondialisation;
7.2. qu’une personnalité de grande notoriété, sorte de délégué
à la démocratie, se voie confier la tâche de diriger et d’animer
le forum de la démocratie de Strasbourg, ainsi que de diffuser de
façon permanente le message du Conseil de l’Europe sur les questions
relevant de la démocratie et présentant un intérêt d’actualité majeur.
8. L’Assemblée invite les parlements nationaux des Etats membres
du Conseil de l’Europe à examiner les présents rapport et résolution,
et à apporter leurs commentaires de façon appropriée afin de permettre
leur mise en œuvre dans le cadre des législations et politiques
nationales.
9. L’Assemblée invite les institutions de l’Union européenne
à engager un débat sur la façon d’associer plus étroitement les
parlements des Etats membres de celle-ci à la prise de décision
communautaire.