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Résolution 1746 (2010) Version finale

Démocratie en Europe: crises et perspectives

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 23 juin 2010 (24e séance) (voir Doc. 12279, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Gross). Texte adopté par l’Assemblée le 23 juin 2010 (24e séance). Voir également la Recommandation 1928 (2010).

1. L’Assemblée parlementaire note avec préoccupation que la récente crise économique mondiale a accentué les symptômes d’une crise de la démocratie qui se manifestent depuis quelque temps déjà, notamment:
1.1. l’absence de réglementation et de coopération nécessaires au niveau international pour faire face aux défis de la mondialisation, ainsi que l’absence de contrôle politique des intérêts financiers;
1.2. des décisions des gouvernements extrêmement centralisées et des mécanismes de négociation au niveau mondial avec un contrôle limité des parlements, une transparence insuffisante et sans possibilité de participation des citoyens. Cela a aggravé encore le manque de confiance des citoyens vis-à-vis des institutions démocratiques et de la qualité de la démocratie dans laquelle ils vivent, et exacerbé leur sentiment d’impuissance et de frustration;
1.3. une concentration du pouvoir et des richesses et, dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, également une concentration excessive des médias, entre les mains de quelques-uns. Un nombre croissant de responsables politiques sont devenus dépendants de fortunes énormes ou des faveurs des propriétaires des médias. Tout comme l’inégalité et la concentration des richesses, la corruption des institutions démocratiques augmente;
1.4. un désintérêt pour les procédures institutionnalisées actuelles de démocratie et une crise de la représentation. Les taux de participation aux élections étaient en chute libre dans la plupart des pays européens et les taux d’abstention ont atteint jusqu’à 80 % dans certains d’entre eux aux élections européennes de 2009;
1.5. les mouvements populistes et extrémistes, les politiques identitaires et les discours nationalistes se sont trouvés renforcés au cours des dernières années du fait de la crise dans de nombreux Etats membres;
1.6. la collecte presque illimitée de données personnelles par des organismes publics, notamment la police et les services de sécurité sociale, ainsi que par des entreprises privées, fait peser une menace sur la liberté individuelle et le respect de la vie privée, qui sont des conditions préalables à la libre participation à la vie démocratique.
2. L’Assemblée considère que la crise actuelle de la représentation exige qu’en dehors des formes traditionnelles de mandat et de délégation, qui satisfont toujours moins de citoyens, le lien politique entre la société et les autorités soit aussi envisagé d’une façon différente. Ainsi, sans remettre en question la démocratie représentative, l’Assemblée souligne que la représentation ne peut plus être la seule expression de la démocratie; cette dernière doit aussi être développée au-delà de la représentation, notamment par les moyens suivants:
2.1. des formes plus durables d’interaction entre les citoyens et les autorités doivent être mises en place au-delà de l’approche représentative conventionnelle afin d’inclure, de façon rigoureusement conçue, des éléments de démocratie directe dans le processus de prise de décision;
2.2. la démocratie participative doit être renforcée en tant que processus dans lequel toutes les personnes, et pas uniquement les ressortissants nationaux, participent à la conduite des affaires publiques, aux niveaux local, régional, national et européen;
2.3. la démocratie doit être perçue non pas simplement comme un régime ou la somme de droits individuels, mais comme une forme de société qui nécessite des règles pour la justice sociale et la redistribution, et suppose non seulement de déléguer et de prendre des décisions, mais aussi de discuter et de vivre ensemble dans la dignité, le respect et la solidarité. C’est une œuvre inachevée qui est mise à l’épreuve au quotidien;
2.4. le renouvellement de la politique nécessite également de développer une nouvelle culture de la responsabilité civique et politique. Cette dernière doit être envisagée en termes de réactivité et d’obligation de rendre des comptes, ainsi que de transparence de la part des gouvernants. Elle doit également s’étendre aux acteurs de la société civile qui participent au débat politique. En ce qui concerne l’obligation de rendre compte et la transparence des partis politiques, l’Assemblée renvoie au Code de bonne conduite en matière de partis politiques nouvellement adopté.
3. L’Assemblée souligne que le droit de participer à la conduite des affaires publiques, que ce soit aux niveaux local, régional, national ou européen, est un droit humain et une liberté politique fondamentale qui devrait, dès lors, être inscrit comme tel dans la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention, STE no 5).
4. Le Conseil de l’Europe a également un autre défi à relever, celui d’humaniser et de démocratiser le processus de mondialisation. Sa contribution pourrait consister à développer, aux côtés d’autres acteurs, les principes directeurs visant à réglementer la mondialisation dans le plein respect des droits de l’homme, y compris les droits des femmes et les droits sociaux, des impératifs écologiques et de la prééminence du droit.
5. Il importe d’accorder un soutien plus fort aux réseaux transnationaux constitués par les citoyens pour étudier des problèmes spécifiques, comme les questions environnementales, sociales ou même constitutionnelles, en particulier compte tenu de l’avènement de la construction de la démocratie européenne transnationale. Dans ce contexte, l’Assemblée salue l’Initiative citoyenne européenne (ICE), prévue par le Traité de Lisbonne de l’Union européenne, qui donne aux citoyens européens la possibilité de présenter des propositions législatives à la Commission européenne, constituant ainsi le premier instrument de démocratie directe et transnationale de l’Union. L’Assemblée s’attend à ce que les institutions de l’Union européenne mettent en œuvre l’ICE de façon à permettre à tous les groupes de la société civile engagés démocratiquement, et non uniquement aux groupes privilégiés, d’en faire usage dans l’intérêt commun de l’Europe.
6. Afin de contribuer à renforcer la participation de tous et de toutes à la conduite des affaires publiques, à améliorer la qualité de la démocratie et à promouvoir l’intérêt commun, l’Assemblée:
6.1. appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1.1. à mettre en place des processus et des structures participatives et délibératives, tels que l’établissement des budgets participatifs, des référendums d’initiative citoyenne et des jurys ou conférences de citoyens, ouverts à tous ceux qui vivent dans un pays, et non pas seulement aux ressortissants nationaux;
6.1.2. à créer, renforcer et promouvoir des institutions de contrôle indépendantes, telles que des médiateurs et des autorités facilitant l’accès aux documents publics et à la protection de données, de façon à renforcer le concept de responsabilité politique et d’obligation de rendre des comptes;
6.1.3. à améliorer l’éducation à la citoyenneté et la formation politique en garantissant le respect de la nouvelle Charte sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (Recommandation CM/Rec(2010)7), et en mettant en œuvre des programmes du Conseil de l’Europe dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme;
6.2. décide de poursuivre son travail de réflexion, en consultation étroite avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), afin d’élaborer un protocole additionnel à la Convention garantissant le droit de participer à la conduite des affaires publiques en tant que droit humain et liberté fondamentale. Cela viendrait s’ajouter, d’une part, au droit de vote et d’éligibilité garanti par le Protocole additionnel à la Convention (STE no 9, ratifié par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à deux exceptions) et, de l’autre, à des initiatives similaires prises au niveau local;
6.3. décide d’organiser des débats publics ouverts dans le cadre du processus de rédaction du nouveau protocole, de sorte que ce processus offre une occasion de promouvoir le débat public et la prise de conscience de la nécessité d’accroître la participation active des citoyens et d’assurer un plus grand engagement de tous et de toutes dans la conduite des affaires publiques.
7. L’Assemblée, rappelant sa proposition antérieure contenue dans la Résolution 1886 (2009) sur l’avenir du Conseil de l’Europe à la lumière de ses soixante années d’expérience, et réaffirmant que, parmi les trois piliers du Conseil de l’Europe, le pilier de la démocratie doit être consolidé, davantage conceptualisé et gagner en visibilité, propose:
7.1. la création d’un forum de la démocratie à Strasbourg en tant que structure générique destinée à fournir une référence internationale dans le domaine de la démocratie et à constituer un laboratoire de nouvelles idées et propositions – y compris les idées et propositions anciennes qui ont été oubliées et qui doivent être réinscrites à l’ordre du jour – afin de rétablir et de renforcer la démocratie. Une telle structure pourrait également servir de baromètre en ce qui concerne les nouveaux grands défis auxquels la démocratie en Europe doit faire face aujourd’hui, notamment ceux que pose la mondialisation;
7.2. qu’une personnalité de grande notoriété, sorte de délégué à la démocratie, se voie confier la tâche de diriger et d’animer le forum de la démocratie de Strasbourg, ainsi que de diffuser de façon permanente le message du Conseil de l’Europe sur les questions relevant de la démocratie et présentant un intérêt d’actualité majeur.
8. L’Assemblée invite les parlements nationaux des Etats membres du Conseil de l’Europe à examiner les présents rapport et résolution, et à apporter leurs commentaires de façon appropriée afin de permettre leur mise en œuvre dans le cadre des législations et politiques nationales.
9. L’Assemblée invite les institutions de l’Union européenne à engager un débat sur la façon d’associer plus étroitement les parlements des Etats membres de celle-ci à la prise de décision communautaire.