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Résolution 1760 (2010) Version finale

La montée récente en Europe du discours sécuritaire au niveau national: le cas des Roms

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 7 octobre 2010 (34e séance) (voir Doc. 12386, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: Mme Brasseur; Doc. 12390, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Năstase; et Doc. 12392, avis de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: M. Greenway). Texte adopté par l’Assemblée le 7 octobre 2010 (34e séance).

1. L’Assemblée parlementaire est consternée par le fait que – à peine quelques semaines après l’adoption de sa Résolution 1740 (2010) sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, qui appelle les Etats membres à améliorer la situation des Roms et à veiller au respect plein et entier de leurs droits fondamentaux – des hommes politiques, dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, aient eu recours à une rhétorique anti-Roms, associant ceux-ci à la criminalité et au trafic. Il s’est ensuivi un durcissement des politiques et mesures sécuritaires visant directement les Roms, telles que le démantèlement de leurs campements et les vagues de renvois de migrants roms vers leur pays d’origine.
2. L’Assemblée partage les inquiétudes exprimées à cette occasion par son Président, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), les Nations Unies, l’Union européenne et d’autres organisations internationales, ainsi que par les défenseurs des droits de l’homme et les médias. Elle note à cet égard que la Commission européenne est en train d’évaluer le respect du droit communautaire par plusieurs Etats membres de l’Union européenne.
3. Pour sa part, l’Assemblée s’inquiète particulièrement de la place de plus en plus importante qu’occupe la sécurité publique dans le débat politique, notamment à la suite de la crise économique, de la montée du chômage et de la recrudescence de la criminalité, et de l’emploi de plus en plus fréquent des discours sécuritaires conjugués avec une forme d’expression discriminatoire qui tend à faire l’amalgame entre l’insécurité et certaines communautés ethniques, y compris les migrants, faisant de celles-ci des boucs émissaires, comme cela a été récemment le cas avec les Roms.
4. L’Assemblée constate que les pays européens qui offrent de meilleures conditions de vie et disposent d’un système de protection sociale plus généreux attirent les migrants de pays en situation moins favorable, faisant parfois peser des pressions sur les institutions sociales des Etats concernés.
5. L’Assemblée relève que s’il n’y a naturellement pas lieu de jeter l’opprobre sur une communauté, et qu’il convient de l’aider, il ne sert à rien de nier les problèmes, sauf à faire le jeu de l’extrémisme. Il convient donc de traiter les causes profondes de la marginalisation des Roms.
6. L’Assemblée constate que les aides de l’Union européenne ne sont pas utilisées de façon optimale et qu’il importe de mieux les mobiliser en faveur des Roms, ou, si cela s’avère impossible, de les redéployer dans les pays d’accueil.
7. Alors que pendant longtemps les partis traditionnels ne sont pas parvenus à anticiper ou à relever les défis posés à l’ordre public et à la sécurité des personnes, les partis populistes extrémistes ont cherché à tourner à leur avantage les préoccupations d’ordre sécuritaire de la société en assimilant purement et simplement l’immigration à la criminalité et à l’insécurité.
8. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par la double tendance qui se dessine en Europe: d’un côté, l’élection de plus en plus fréquente dans les parlements nationaux de partis d’extrême droite; et, de l’autre, le fait que les partis traditionnels, pour essayer de dissuader leur électorat de se tourner vers les partis extrémistes et de regagner un soutien populaire, empruntent à ceux-ci certains traits de leurs discours radicaux, xénophobes et discriminatoires.
9. Si l’Assemblée reconnaît que, dans bon nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, les autorités, confrontées à une recrudescence de la criminalité, se voient contraintes de durcir les politiques visant à protéger l’ordre public et la sécurité de toutes les personnes qui vivent sur leur territoire, elle souligne qu’il convient d’établir dans le discours politique une distinction claire entre les individus qui ont commis des infractions et des groupes entiers de personnes, tels que les Roms ou toute autre minorité ou groupe de migrants.
10. L’Assemblée condamne fermement l’utilisation d’un langage à caractère raciste et xénophobe, inacceptable dans une démocratie, stigmatisant les Roms ou toute autre minorité ou groupe de migrants. L’Assemblée accorde la plus haute importance à la liberté d’expression, y compris lors de débats politiques relatifs à l’immigration. Mais toute forme de discrimination raciale ou ethnique est inacceptable. Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour), la liberté d’expression peut légitimement être restreinte lorsque les propos tenus sont susceptibles de susciter un sentiment de rejet et d’hostilité envers une communauté visée, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
11. Une responsabilité particulière incombe aux hommes politiques, qui se doivent d’éliminer du discours politique les stéréotypes négatifs et les stigmatisations de toute minorité et tout groupe de migrants. Il leur appartient de promouvoir un message de non-discrimination, de tolérance et de respect vis-à-vis des personnes d’origines différentes.
12. C’est pourquoi l’Assemblée réaffirme les normes et lignes directrices du Conseil de l’Europe applicables au discours politique, contenues, entre autres, dans la jurisprudence de la Cour, la Recommandation no R (97) 20 du Comité des Ministres sur le «discours de haine», les recommandations de politique générale de l’ECRI et sa Déclaration de 2005 sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique, les recommandations du Commissaire aux droits de l’homme, ainsi que les documents connexes de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et ses propres Résolution 1345 (2003) sur le discours raciste, xénophobe et intolérant en politique, et Résolution 1754 (2010) sur la lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs. L’Assemblée appelle:
12.1. les Etats membres du Conseil de l’Europe:
12.1.1. à signer et ratifier ou approuver autrement, si ce n’est déjà fait, et à mettre en œuvre de manière effective dans leurs droits et pratique nationaux les instruments et normes juridiques, lignes directrices et politiques du Conseil de l’Europe liés à l’interdiction et à la prévention du discours de haine et de la discrimination, y compris la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148);
12.1.2. à appliquer la législation nationale sur le discours de haine et la discrimination;
12.1.3. à veiller au respect plein et entier des normes des droits de l’homme et des principes de la démocratie et de l’Etat de droit lors de la conception et de la mise en œuvre de politiques visant à protéger l’ordre public et la sécurité de toutes les personnes qui vivent sur leur territoire, y compris les principes de non-discrimination et de proportionnalité;
12.2. les autorités et institutions publiques aux niveaux national, régional et local, ainsi que les responsables:
12.2.1. à s’abstenir d’effectuer des déclarations, en particulier à travers les médias, pouvant raisonnablement être prises pour un discours de haine ou comme un discours pouvant faire l’effet de légitimer, de propager ou de promouvoir la haine raciale, la xénophobie ou d’autres formes de discrimination ou de haine fondées sur l’intolérance;
12.2.2. à réfuter et condamner publiquement ces expressions en toute occasion;
12.2.3. à interpréter strictement, en matière d’expulsion, le motif tiré du «trouble à l’ordre public», souvent invoqué par les autorités pour justifier une mesure d’expulsion, conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour.
13. L’Assemblée rappelle l’importance de la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste, signée par son Président et le Président du Parlement européen en 2003, et invite instamment les partis politiques, les forces politiques et les personnalités politiques et publiques dans les Etats membres, les groupements internationaux de partis politiques et ses propres membres, à s’engager:
13.1. à adhérer, à mettre en œuvre et à promouvoir activement les principes inscrits dans la charte;
13.2. à contribuer activement à la lutte contre toute tentative de stigmatisation ou d’incitation à l’hostilité envers une personne ou un groupe de personnes sur la base de la race, de l’origine ethnique, de la nationalité, des croyances religieuses ou de l’origine sociale;
13.3. à combattre toute action ou forme d’expression susceptible d’exacerber les craintes et les tensions entre des groupes d’origine raciale, ethnique, nationale, religieuse ou sociale différente;
13.4. à traiter de manière responsable et équitable tous les thèmes sensibles ayant trait à ces groupes;
13.5. à s’abstenir de tout discours à caractère raciste, xénophobe, nationaliste agressif, ethnocentrique ou autrement discriminatoire, ou de poursuivre de tels objectifs politiques, et à réprimer fermement tout sentiment ou comportement raciste dans leurs propres rangs.
14. Convaincue de la responsabilité particulière incombant aux médias, l’Assemblée les appelle:
14.1. à s’abstenir de diffuser des messages susceptibles de provoquer une animosité à l’égard de personnes ou de groupes de personnes appartenant à une communauté ou une minorité ethnique, nationale, culturelle, linguistique ou religieuse, à l’égard de migrants, de réfugiés, de demandeurs d’asile ou de personnes d’origine immigrée;
14.2. à éviter, dans leurs reportages sur les problèmes sociaux ou criminels, de mentionner de manière sélective l’origine ethnique ou nationale, ou l’appartenance à une communauté ou minorité religieuse, culturelle ou linguistique des personnes impliquées;
14.3. à s’abstenir d’attiser les tensions entre les communautés de Roms et de Gens du voyage autochtones et les migrants roms.
15. Réaffirmant sa Résolution 1740 (2010) et sa Recommandation 1924 (2010) sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, adoptées en juin 2010, l’Assemblée:
15.1. salue et soutient l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’organiser une réunion de haut niveau pour convenir de mesures destinées à améliorer la situation des Roms dans toute l’Europe, point de départ des efforts conjugués des institutions européennes et des Etats membres pour s’occuper de la situation des Roms de manière constructive et durable;
15.2. se déclare prête à contribuer au succès de cette réunion de haut niveau en apportant son expérience du traitement des questions liées aux Roms et en favorisant la mise en œuvre de l’ensemble des décisions qui seront adoptées;
15.3. en matière d’expulsion, appelle les Etats membres à respecter pleinement leurs obligations – y compris procédurales – au titre de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence pertinente de la Cour, à ne pas procéder à des expulsions collectives déguisées et, conformément aux recommandations du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à ne pas renvoyer de Roms au Kosovo jusqu’à ce que la preuve soit faite que ces retours peuvent être entrepris en tenant pleinement compte de la sécurité et des futures conditions de vie des intéressés;
15.4. encourage les Etats membres à recourir plus largement au Fonds social européen pour l’intégration des Roms ainsi qu’aux prêts-projets octroyés par la Banque de développement du Conseil de l’Europe, lesquels ont d’ores et déjà contribué au financement de projets visant à favoriser l’intégration des Roms immigrés tant dans les Etats membres que dans d’autres pays ayant une importante population rom;
15.5. invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à informer l’Assemblée, le plus tôt possible, des résultats de la réunion de haut niveau;
15.6. décide de continuer à suivre avec attention la situation des Roms en Europe, y compris à la lumière des résultats de la réunion de haut niveau, et, dans ce contexte, de traiter la question de la circulation et des migrations des Roms en Europe, ainsi que les politiques et les pratiques concernant le retour des Roms dans leur pays d’origine.