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Recommandation 1950 (2011) Version finale
La protection des sources d'information des journalistes
1. L’Assemblée parlementaire rappelle
que le libre exercice du journalisme est inscrit dans le droit à
la liberté d’expression et d’information, garanti par l’article 10
de la Convention européenne des droits de l’homme («la Convention»,
STE no 5). Ce droit constitue un fondement de la société démocratique
et une condition indispensable à son progrès et à l’épanouissement
de tout être humain. Des médias libres, indépendants et pluralistes
sont une composante essentielle de toute société véritablement démocratique.
La démocratie et la bonne gouvernance exigent responsabilisation
et transparence. A cet égard, les médias jouent un rôle crucial
en matière de contrôle public sur les secteurs public et privé dans
la société.
2. Rappelant la Recommandation no R (2000) 7 du Comité des Ministres
sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information,
l’Assemblée réaffirme que la protection des sources d’information
des journalistes constitue une condition essentielle au libre exercice
du journalisme et au respect du droit du public d’être informé des
questions d’intérêt général, comme l’énonce la Cour européenne des
droits de l’homme dans sa jurisprudence relative à l’article 10
de la Convention.
3. L’Assemblée exprime son inquiétude face au nombre élevé de
cas, en Europe, où les pouvoirs publics ont contraint, ou tenté
de contraindre, les journalistes à divulguer leurs sources, malgré
les règles claires énoncées par la Cour européenne des droits de
l’homme et le Comité des Ministres. Ces violations sont plus répandues
dans les Etats membres dépourvus d’une législation claire. En ce
qui concerne le journalisme d’investigation, la protection des sources
revêt encore plus d’importance, comme l’énonce la Déclaration du Comité
des Ministres du 26 septembre 2007 sur la protection et la promotion
du journalisme d’investigation.
4. Se référant à la nouvelle loi hongroise sur la presse et les
médias (Loi CIV de 2010 sur la liberté de la presse et les règles
fondamentales régissant le contenu des médias), l’Assemblée s’inquiète
du fait que les restrictions à l’exercice de la liberté des médias,
énoncées à l’article 4.3, et les dérogations au droit des journalistes
de ne pas divulguer leurs sources, prévues à l’article 6 de ladite
loi, semblent trop étendues et peuvent, par conséquent, avoir un
effet dissuasif considérable sur la liberté des médias. Cette loi
ne fixe pas les règles de procédure concernant les divulgations,
pas plus qu’elle ne prévoit de garanties pour les journalistes auxquels
il est demandé de révéler leurs sources. L’Assemblée appelle donc
le Gouvernement et le Parlement de la Hongrie à modifier cette loi,
en veillant à ce que sa mise en œuvre ne restreigne pas le droit reconnu
par l’article 10 de la Convention.
5. Les pouvoirs publics ne doivent pas exiger que soient divulguées
des informations identifiant une source, sauf si les critères énoncés
au paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention sont remplis, et
qu’il est fermement établi qu’il n’y a pas de voies alternatives
raisonnables à la divulgation ou qu’elles ont été épuisées, que
l’intérêt légitime de la divulgation l’emporte clairement sur l’intérêt
public à la non-divulgation et qu’un impératif prépondérant quant
à la nécessité de la divulgation est prouvé.
6. La divulgation d’informations identifiant une source devrait
par conséquent être limitée à des situations exceptionnelles dans
lesquelles des intérêts publics ou privés vitaux sont en jeu et
peuvent être déterminés de manière convaincante. Les autorités compétentes
qui demanderaient, à titre exceptionnel, la divulgation d’une source
doivent indiquer pour quelles raisons l’intérêt vital à la divulgation
l’emporte sur l’intérêt à la non-divulgation et dire si les voies
alternatives ont été épuisées, comme les autres preuves. Lorsque
le droit national protège les sources contre toute divulgation,
celle-ci ne doit pas être demandée.
7. Rappelant la Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres
sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec
les procédures pénales, l’Assemblée réaffirme que le public doit
pouvoir recevoir à travers les médias des informations sur les activités
des services de police et des autorités judiciaires, y compris sur
les affaires pénales présentant un intérêt public, si cela ne porte
pas atteinte à la présomption d’innocence du suspect ou de l’accusé
garantie par l’article 6 de la Convention, au droit au respect de
la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention et au secret
de l’instruction et des enquêtes de police.
8. Le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources
couvre également leurs sources au sein de la police ou des autorités
judiciaires. Lorsque des informations ont été transmises illégalement
aux journalistes, la police et la justice doivent mener des enquêtes
internes au lieu de demander aux journalistes de divulguer leurs
sources.
9. Dans la mesure où l’article 10 de la Convention protège le
droit du public d’être informé des questions d’intérêt général,
quiconque a connaissance de faits d’intérêt public ou dispose d’informations
à leur sujet devrait pouvoir les publier sur des médias tiers, notamment
des réseaux internet, ou les transmettre à des journalistes à titre
confidentiel.
10. S’agissant du droit de chaque personne de divulguer à titre
confidentiel aux médias, ou par d’autres moyens, des informations
d’intérêt public sur des actes illicites ou autres méfaits, l’Assemblée
rappelle sa Résolution 1729 (2010) et sa Recommandation 1916 (2010)
sur la protection des «donneurs d’alerte» et réaffirme que les Etats
membres devraient examiner leur législation dans ce domaine afin
de veiller à la conformité des dispositions internes avec les normes
européennes énoncées dans ces textes.
11. Tout comme le paysage médiatique a changé avec la convergence
technologique, le profil professionnel des journalistes a évolué
au cours de la dernière décennie. Les médias modernes s’appuient
de plus en plus sur des services de communication mobiles et fondés
sur internet. Ils utilisent dans une plus large mesure des informations
et des images fournies par des personnes qui ne sont pas journalistes.
Ces personnes diffusent également leurs propres informations et
images ou d’autres provenant de tiers, sur des supports internet
gérés par leurs soins ou par des tiers, accessibles à un large public
souvent indéfini. Dans ces conditions, il s’avère nécessaire de
clarifier l’application du droit des journalistes de ne pas divulguer
leurs sources d’information.
12. L’Assemblée réaffirme que la confidentialité des sources journalistiques
ne doit pas être mise en question du fait des possibilités technologiques
croissantes des pouvoirs publics de contrôler l’utilisation par les
journalistes des télécommunications mobiles et des médias internet.
L’interception de la correspondance, la surveillance de journalistes
ou la recherche et la saisie d’informations ne doivent pas porter
atteinte à la protection des sources des journalistes. Les fournisseurs
d’accès internet et les entreprises de télécommunication ne devraient
pas être tenus de divulguer des informations pouvant permettre d’identifier
les sources des journalistes au mépris de l’article 10 de la Convention.
13. Se référant à la Directive 2006/24/CE de l’Union européenne
du 15 mars 2006 sur la conservation de données générées ou traitées
dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles
au public ou de réseaux publics de communications, l’Assemblée insiste
sur la nécessité de veiller à ce que les dispositions juridiques
adoptées par les Etats membres afin de transposer cette directive
soient compatibles avec le droit des journalistes de ne pas divulguer
leurs sources, en application de l’article 10 de la Convention,
et avec le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8
de la Convention. L’Assemblée souligne également l’importance d’assurer
une cohérence entre le droit interne et les articles 16 et 17 de
la Convention sur la cybercriminalité («Convention de Budapest»,
STE no 185).
14. L’Assemblée salue le fait que les journalistes aient énoncé
dans des codes de conduite professionnels leur obligation de ne
pas révéler leurs sources d’information dans le cas d’informations
reçues à titre confidentiel. En vertu de cette règle déontologique,
les sources peuvent s’appuyer sur le respect de la confidentialité
et sur le fait de pouvoir transmettre aux journalistes des informations
d’intérêt général. L’Assemblée invite les journalistes et leurs
organisations à veiller, au moyen d’une autoréglementation, à ne pas
divulguer leurs sources.
15. Le droit des journalistes de ne pas divulguer leurs sources
d’information est un privilège professionnel, destiné à encourager
des sources à leur transmettre des informations importantes qu’elles
ne fourniraient pas sans un engagement de confidentialité. La même
relation de confiance n’existe pas par rapport aux non-journalistes,
par exemple les personnes qui disposent d’un site internet ou d’un
blog. Par conséquent, les non-journalistes ne peuvent pas bénéficier
du droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources.
16. L’Assemblée salue le travail accompli par le Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur la liberté des médias
et lui demande de porter une attention particulière, lorsqu’il se
rend dans des Etats membres et rencontre des médiateurs des médias,
à la protection de la confidentialité des sources journalistiques.
17. L’Assemblée recommande que le Comité des Ministres:
17.1. appelle les Etats membres qui
ne disposent pas d’une législation stipulant le droit des journalistes de
ne pas divulguer leurs sources d’information à adopter une loi conforme
à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et
à la Recommandation no R (2000) 7 du Comité des Ministres;
17.2. aide les Etats membres à analyser et à améliorer leur
législation sur la protection de la confidentialité des sources
journalistiques, en particulier en soutenant le réexamen de leur
législation nationale sur la surveillance, la lutte contre le terrorisme,
la conservation des données et l’accès aux archives des télécommunications;
17.3. invite son comité directeur compétent à rédiger, en coopération
avec les organisations de journalistes et les organisations défendant
la liberté des médias, des lignes directrices à l’intention des procureurs
et de la police, ainsi que des outils de formation pour les juges,
sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information,
conformément aux Recommandations no R (2000) 7 et Rec(2003)13 du
Comité des Ministres, et à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme;
17.4. invite son comité directeur compétent à rédiger pour les
pouvoirs publics et les fournisseurs de services privés des lignes
directrices sur la protection de la confidentialité des sources
journalistiques en cas d’interception ou de divulgation de données
informatiques et de données relatives au trafic des réseaux informatiques,
conformément aux articles 16 et 17 de la Convention sur la cybercriminalité
et aux articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de
l’homme.