Imprimer
Autres documents liés

Résolution 1784 (2011) Version finale

La protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 26 janvier 2011 (5e et 6e séances) (voir Doc. 12440, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Gardetto). Texte adopté par l'Assemblée le 26 janvier 2011 (6e séance). Voir également la Recommandation 1952 (2011).

1. Près de vingt ans se sont écoulés depuis le début des conflits en ex-Yougoslavie, conflits marqués par des violations flagrantes du droit humanitaire international, et notamment par des crimes contre l’humanité et des génocides. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) afin de poursuivre les personnes ayant commis de graves violations du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991.
2. L’Assemblée parlementaire a connaissance du fait que le mandat du TPIY arrive bientôt à échéance et se félicite que la majorité des affaires portant sur des crimes de guerre est désormais jugée par les tribunaux nationaux des Etats concernés.
3. Rappelant sa Résolution 1564 (2007) sur les poursuites engagées pour les crimes relevant de la compétence du TPIY, l’Assemblée souligne qu’il est urgent de protéger les témoins, puisque les témoignages – et avec eux une partie de la vérité – sont perdus à jamais lorsque les témoins ne sont plus en vie. Les témoins qui se présentent au nom de la vérité et de la justice doivent pouvoir bénéficier d’une protection fiable et durable. Sans la protection et le soutien dont ils ont besoin pour être en situation de témoigner, il ne peut y avoir ni justice ni réconciliation.
4. L’Assemblée constate avec consternation que, dans la région de l’ex-Yougoslavie, plusieurs témoins ont été tués et que beaucoup d’autres ont été victimes d’intimidations, de menaces ou de la révélation de leur identité par des personnes déterminées à entraver le cours de la justice et à occulter la vérité. L’Assemblée regrette qu’en raison de ces menaces un grand nombre de témoins décident finalement de ne pas déposer par crainte pour leur vie ou pour celle de leur famille.
5. Pour beaucoup d’entre eux, témoigner est une expérience éprouvante, qui les oblige à revivre des événements traumatisants. L’Assemblée s’inquiète du fait que nombre de témoins ne déposent pas faute d’avoir reçu une assistance adéquate de la part des autorités. Elle a également conscience que beaucoup de témoins potentiels pensent encore qu’ils seront perçus comme des traîtres s’ils témoignent dans des affaires de crimes de guerre.
6. L’Assemblée souligne, en outre, les difficultés spécifiques rencontrées par les témoins dits «de l’intérieur», en particulier ceux qui ont servi dans les forces armées ou dans la police, et insiste sur la nécessité de garantir que les équipes de protection des témoins soient véritablement impartiales et n’aient pas d’intérêt de quelque nature que ce soit dans les procès.
7. L’Assemblée est d’avis que les témoins ont le droit d’être physiquement protégés de manière à pouvoir déposer en toute sécurité et sans crainte. Elle considère, par ailleurs, qu’ils devraient bénéficier d’une assistance – y compris juridique et psychologique – avant, pendant et après le procès. Tout en reconnaissant le travail accompli à cet égard par certaines organisations non gouvernementales (ONG), l’Assemblée déplore que l’aide aux témoins soit souvent négligée dans les Etats concernés et encourage vivement les autorités compétentes à leur prêter assistance, soit par le biais de programmes gouvernementaux soit en collaboration avec des personnes qualifiées travaillant pour des ONG.
8. Au niveau international, l’Assemblée reconnaît le travail important et pionnier accompli par le TPIY – qui a élaboré des mesures procédurales et créé des précédents pour la protection des témoins dans les affaires de crimes de guerre –, et le rôle essentiel de la division d’aide aux victimes et aux témoins du TPIY. Néanmoins elle observe avec inquiétude que, en vue de garantir les droits de la défense, le Règlement de procédure et de preuve du TPIY prévoit que le procureur est tenu de divulguer aux parties l’identité d’un témoin anonyme trente jours avant le procès.
9. L’Assemblée considère qu’il ne peut être dans l’intérêt de la justice de révéler systématiquement à la défense l’identité de tous les témoins anonymes. Dans le cas où la divulgation de l’identité d’un témoin expose cette personne à un risque disproportionné, l’Assemblée considère que le TPIY peut envisager de faire appel à un «avocat spécial», indépendant de l’accusation et de la défense, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
10. Comme elle le déclarait déjà dans sa Résolution 1564 (2007), l’Assemblée a également la conviction que «[é]tant donné l’engagement à long terme (et moral) du TPIY vis-à-vis de ses propres témoins, un mécanisme résiduel devrait aussi être mis en place afin de continuer à assurer la protection des témoins lorsque le mandat du tribunal sera échu». Elle estime que, une fois ce mandat échu, il serait plus économique et plus efficace de confier le mécanisme résiduel à la Cour pénale internationale.
11. Au niveau national, l’Assemblée reconnaît que les pays concernés ont adopté des lois et des réglementations sur la protection des témoins, et que beaucoup de témoins ont été protégés dans la région à la suite de ces mesures.
12. Toutefois, l’Assemblée note avec inquiétude qu’en pratique le niveau de protection des témoins varie considérablement dans la région comme à l’intérieur des pays concernés et que – sans doute pour des raisons financières – les programmes d’assistance et de protection des témoins semblent moins utilisés que ne le requiert la sécurité des témoins. Trop souvent, le système existant dispose de capacités limitées et souffre d’un manque de confiance de la population, de l’absence d’un cadre juridique approprié, d’un manque de financement suffisant, d’aménagements et d’équipements techniques insuffisants, ainsi que d’un manque de coordination et de coopération entre les acteurs concernés.
13. L’Assemblée note avec satisfaction qu’une coopération accrue entre les Etats concernés a permis aux témoins d’être protégés lorsqu’ils se déplacent d’un pays à l’autre et que le recours aux dispositifs de vidéoconférence a permis à des témoins de déposer sans avoir à se rendre dans le pays où l’affaire est jugée, et de se mettre ainsi en danger.
14. L’Assemblée se félicite de la contribution de la communauté internationale au financement et à la formation sur la protection des témoins dispensée dans les pays concernés. Elle reconnaît en particulier le rôle important joué par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dans la région, notamment le travail de suivi qu’elle a accompli dans les procès relatifs aux crimes de guerre et en ce qui concerne la formation et la sensibilisation à la protection des témoins dans les tribunaux nationaux. Elle encourage l’OSCE à poursuivre cette tâche importante.
15. L’Assemblée reconnaît en outre le travail accompli en Croatie par le Programme des Nations Unies pour le développement, qui a élaboré des programmes d’assistance aux témoins pour les aider et les conseiller dans quatre tribunaux tests. Elle se félicite que les autorités croates aient pris le relais, mais regrette que la majorité des tribunaux de la région n’aient pas institutionnalisé ce genre de programmes. Elle encourage les autorités des pays concernés à étendre ces programmes à tous les tribunaux ayant à connaître de crimes graves.
16. En conséquence, l’Assemblée invite:
16.1. les autorités compétentes des Etats et des territoires concernés:
16.1.1. à mettre pleinement en œuvre les Recommandations du Comité des Ministres, no R (97) 13 sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense, et Rec(2005)9 relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice;
16.1.2. à modifier leur législation interne, s’il y a lieu, de manière à ce que, dans les cas extrêmes, l’identité des témoins puisse être gardée secrète, même pour la défense, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
16.1.3. à accroître les moyens alloués aux programmes de protection des témoins, à doter les tribunaux des aménagements et des équipements techniques nécessaires, et à créer une autorité autonome, distincte de la police et des organes d’instruction, pour superviser les programmes et allouer les financements nécessaires;
16.1.4. à prendre des mesures pour garantir que tous les juges, procureurs, agents de police et autres personnels en contact avec les témoins dans des affaires portant sur des crimes graves bénéficient d’une formation complète à la protection des témoins et aux mesures disponibles pour ce faire;
16.1.5. à encourager l’institution judiciaire et les procureurs à enquêter rapidement et efficacement sur toutes les allégations d’intimidation et de menaces à l’encontre de témoins, et à faire en sorte que les personnes qui mettent en danger les témoins soient sanctionnées;
16.1.6. à faire le nécessaire pour garantir que les témoins soient informés des mesures de protection et de soutien dont ils peuvent bénéficier avant, pendant et après le procès;
16.1.7. à élaborer et à financer des programmes d’assistance aux témoins, en s’appuyant sur le modèle mis en œuvre en Croatie par le Programme des Nations Unies pour le développement, dans tous les tribunaux recevant des témoins dans des affaires de crimes graves;
16.1.8. à veiller à ce que des mesures d’assistance soient disponibles dès le début de la phase d’enquête, y compris des mesures de protection tenant compte du genre de la victime, pour les victimes de crimes de guerre comportant de la violence sexuelle. Il faudrait, par exemple, créer des sections d’assistance aux témoins employant des travailleurs sociaux et des psychologues, notamment dans les bureaux des procureurs spécialisés – lorsqu’ils existent – et dans les services de police chargés d’enquêter sur les crimes au regard du droit international;
16.1.9. à définir des règles et des critères en ce qui concerne le rôle des ONG ou des centres médico-sociaux auprès des témoins, à garantir un financement adapté pour pérenniser les services qu’ils rendent et leur expertise, et à suivre leurs activités afin de s’assurer que le service rendu reste conforme à ces règles et à ces critères;
16.1.10. à poursuivre et à renforcer leur coopération dans les poursuites engagées contre les auteurs de crimes de guerre;
16.2. les autorités de Bosnie-Herzégovine:
16.2.1. à mettre en œuvre sans délai les propositions formulées dans la Stratégie nationale sur les crimes de guerre;
16.2.2. à adopter des mesures législatives qui permettent à l’Agence d’investigation et de protection de l’Etat de mettre en place des programmes de protection des témoins dans tous les tribunaux du pays, et à veiller à ce que l’agence dispose de ressources suffisantes, à la fois financières et humaines, pour assister les témoins pendant la phase d’enquête ainsi que pendant et après le procès. Une législation similaire devrait être adoptée et des ressources adéquates devraient être fournies afin d’assurer une protection des témoins dans les procès pénaux devant les tribunaux dans toutes les entités;
16.2.3. à veiller à l’harmonisation de la jurisprudence, à envisager de créer une cour suprême ou de doter une juridiction existante des pouvoirs d’une cour suprême, pour garantir la sécurité juridique en unifiant l’interprétation de la règle de droit;
16.3. les autorités de Croatie:
16.3.1. lorsque les témoins pourraient courir des risques, à recourir à l’un des quatre tribunaux principaux dotés de compétences spéciales en vue de connaître des crimes de guerre ou de la criminalité organisée;
16.3.2. à étendre les programmes d’assistance aux témoins établis par le Programme des Nations Unies pour le développement à tous les tribunaux ayant à connaître de crimes graves en Croatie;
16.4. les autorités du Monténégro à mener une enquête approfondie sur toutes les intimidations, menaces et attaques dont les témoins font l’objet, et à les protéger avant, pendant et après leur déposition dans les affaires de crimes graves;
16.5. les autorités de Serbie:
16.5.1. à créer et à mettre en œuvre une procédure organisant le fonctionnement de l’unité de protection des témoins, en veillant à ce que celle-ci soit mise en place dans le respect des normes professionnelles, avec du personnel doté des qualifications et de la formation nécessaires, de manière à garantir le fonctionnement impartial de l’unité, libre de toute ingérence politique ou autre, à allouer les ressources nécessaires à son bon fonctionnement et à adapter la législation pour que tous les tribunaux ayant à connaître de crimes graves, autres que la chambre spéciale chargée des crimes de guerre, puissent avoir recours à cette unité et à l’unité de soutien aux victimes et aux témoins;
16.5.2. à envisager le transfert de l’unité de protection des témoins sous l’autorité du ministère de la Justice afin d’éviter tout conflit d’intérêts entre les membres de cette unité et les témoins qu’ils sont censés protéger;
16.6. les autorités du Kosovo 
			(1) 
			Toute référence au
Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire, les
institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité
avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies
et sans préjuger du statut du Kosovo.:
16.6.1. à s’attaquer sérieusement aux problèmes rencontrés par les témoins, vu les situations critiques auxquelles ils sont confrontés et qui se sont soldées par l’assassinat de plusieurs d’entre eux;
16.6.2. à adopter des mesures législatives qui prévoient la protection des témoins qui déposent dans des affaires de crimes de guerre et autres crimes graves pendant les phases d’enquête, de jugement et après le procès, y compris la création et le fonctionnement d’unités de protection et d’assistance aux témoins, et à les mettre pleinement en œuvre;
16.7. l’Union européenne à continuer à faire de la protection effective des témoins un critère essentiel pour la mise en œuvre d’un partenariat avec les pays concernés, et à fournir davantage d’effectifs à l’unité de protection des témoins de l’EULEX;
16.8. tous les Etats membres:
16.8.1. à accepter et à organiser la réinstallation sur leurs territoires de témoins menacés, en particulier ceux originaires du Kosovo;
16.8.2. à envisager de financer les dispositifs destinés à la protection des témoins ainsi que la formation appropriée du personnel chargé de mener à bien cette tâche, et à examiner la possibilité de prendre à leur charge une partie des dépenses courantes générées par les témoins réinstallés dans leur pays;
16.9. la communauté internationale à continuer de se charger du financement, de l’expertise et de la formation en matière de protection et d’assistance aux témoins dans la région;
16.10. le TPIY:
16.10.1. à examiner la possibilité de modifier le Règlement de procédure et de preuve, de manière à ce que, dans les cas extrêmes, l’identité des témoins puisse être gardée secrète, même pour la défense, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
16.10.2. à mettre en place un mécanisme résiduel afin de continuer à assurer la protection des témoins lorsque le mandat du tribunal sera échu, par exemple en confiant cette mission à la Cour pénale internationale.