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Résolution 1786 (2011) Version finale

La réconciliation et le dialogue politique entre les pays de l’ex-Yougoslavie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 janvier 2011 (5e et 6e séances) (voir Doc. 12461, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Marcenaro). Texte adopté par l’Assemblée le 26 janvier 2011 (6e séance). Voir également la Recommandation 1954 (2011).

1. Les conflits qui ont ravagé le territoire de l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 1995 ont été les plus meurtriers qu’a connus l’Europe depuis la seconde guerre mondiale. Ils ont donné lieu à d’abominables crimes de guerre, y compris le génocide, la purification ethnique et le viol, utilisés comme instruments de guerre, et environ 140 000 personnes ont perdu la vie.
2. L’Assemblée parlementaire note que les conflits ont façonné un nouveau panorama politique et institutionnel, et qu’ils ont dessiné une nouvelle géographie humaine avec de profondes transformations démographiques: on compte plus de 300 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et plus de 120 000 réfugiés, qui ne peuvent ou ne veulent pas revenir sur les lieux où ils vivaient avant le déclenchement de la guerre. L’identification des personnes disparues et la mise au jour de charniers se poursuivent, mais près de 14 000 personnes n’ont toujours pas été retrouvées.
3. L’Assemblée soutient les efforts des pays de l’ex-Yougoslavie pour se réconcilier et pour reconstruire une nouvelle relation entre eux, et se félicite de leur engagement à l’égard de la coopération régionale, qui témoigne d’une plus forte volonté de surmonter les séquelles du passé. Elle note avec satisfaction plusieurs exemples positifs d’actions collectives de personnes et de dirigeants de la région en faveur du changement:
3.1. la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) s’est nettement améliorée au fil des ans et la grande majorité des personnes inculpées ont déjà été remises au TPIY; ce qu’il est convenu d’appeler le «processus Palić» a favorisé le dialogue interétatique et la coopération judiciaire en matière de poursuite des crimes de guerre;
3.2. les relations entre Zagreb et Belgrade se sont renforcées; les chefs d’Etat de tous les pays de l’ex-Yougoslavie ont assisté à une cérémonie commémorative à Srebrenica en juillet 2010 pour commémorer le 15e anniversaire du massacre;
3.3. la mise au jour de charniers et les systèmes d’identification par l’ADN ont permis de faire la lumière sur le sort d’un grand nombre de personnes disparues; en novembre 2010, les Présidents Tadićet Josipovićse sont prononcés pour l’ouverture de toutes les archives sans exception;
3.4. la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro et la Serbie se sont engagés à mettre en œuvre ce qu’il est convenu d’appeler la «Déclaration de Sarajevo» signée en 2005, par laquelle ces pays ont accepté de trouver une solution aux problèmes des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et des réfugiés, avec l’aide de la communauté internationale;
3.5. en mars 2010, plusieurs pays de l’ex-Yougoslavie ont lancé le «processus de Brdo» et sont convenus de s’entraider et de s’investir sans relâche pour régler les différends bilatéraux en cours dans un esprit européen;
3.6. dans la Déclaration d’Istanbul, signée en avril 2010, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie se sont engagées à surmonter leurs différences historiques et à construire un avenir commun fondé sur la tolérance et la compréhension, et sont convenues que la politique régionale devrait reposer sur la garantie de la sécurité et le dialogue politique permanent;
3.7. plusieurs Etats commencent à accepter que des instances extérieures interviennent pour arbitrer les désaccords relatifs aux frontières, la Croatie et la Slovénie constituant un précédent positif;
3.8. des dispositions ont été prises dans l’ensemble de la région pour adopter des mesures contre les discriminations et des conseils des minorités nationales ont également été créés en Bosnie-Herzégovine et en Serbie pour représenter les droits et les intérêts des minorités.
4. L’Assemblée salue tout particulièrement l’initiative prise récemment par une coalition d’organisations non gouvernementales de la région de créer une commission régionale visant à établir la vérité sur les crimes de guerre commis en ex-Yougoslavie (RECOM) chargée de recueillir des informations sur tous les crimes perpétrés pendant les guerres afin d’honorer et de reconnaître l’ensemble des victimes.
5. Malgré les progrès notables réalisés ces dernières années, l’Assemblée considère que la situation varie considérablement selon les pays et que l’efficacité des réformes politiques reste souvent en deçà des attentes.
6. En outre, l’Assemblée constate avec préoccupation que le discours public sur la guerre et ses séquelles varie d’un pays à l’autre et que cela peut être une source potentielle de haine et de conflit. Elle considère que, de la même façon que le conflit ethnique et la guerre civile ne sont pas naturels, mais sont des tragédies provoquées par l’homme, leur prévention et leur règlement ne se produisent pas automatiquement non plus. Les dirigeants doivent être compétents, déterminés et visionnaires dans leurs engagements pour la paix.
7. L’Assemblée estime que des efforts renouvelés de la part de tous les gouvernements de la région sont nécessaires en vue de leur véritable réconciliation et intégration euro-atlantique. Elle invite donc les pays de l’ex-Yougoslavie concernés:
7.1. à faire en sorte que la question des personnes disparues reste une priorité, à ouvrir leurs archives et à fournir les fonds nécessaires aux initiatives de la société civile qui cherchent à établir des registres des victimes des conflits afin de surmonter les blessures du passé;
7.2. à garantir une pleine et entière coopération avec le TPIY pour les poursuites pour crime de guerre, à accorder la priorité à trouver et à arrêter les fugitifs qui courent toujours, et à garantir la protection totale des témoins;
7.3. à intensifier la coopération technique afin d’établir des statistiques claires correspondant au retour des réfugiés et à l’intégration locale, et à continuer d’apporter leur assistance pour favoriser le retour et la réintégration des réfugiés dans leur lieu d’origine ou, le cas échéant, pour l’intégration dans leur lieu d’accueil, en coopération avec la communauté internationale, en privilégiant la promotion de l’accès aux droits de base, notamment le droit au logement, à l’éducation, à la santé, à l’emploi et aux services sociaux;
7.4. à se résoudre à régler tous les différends non résolus sur les frontières et, le cas échéant, à s’engager à faire appel à un mécanisme d’arbitrage contraignant;
7.5. à mettre en place des mesures pour garantir une mise en œuvre efficace des lois antidiscriminatoires et la protection des minorités, et à mener des enquêtes approfondies et rapides sur tous les incidents de violences, d’intimidation et de harcèlement à l’encontre de membres de minorités qui leur sont signalés;
7.6. à soutenir les initiatives transfrontalières, populaires et de la société civile visant à réconcilier les citoyens de différents pays;
7.7. à soutenir la constitution d’une commission régionale pour la vérité et la réconciliation, avec la participation de tous les pays impliqués dans les conflits, en vue de parvenir à une compréhension mutuelle des événements du passé et de rendre hommage à l’ensemble des victimes.
8. En ce qui concerne la situation en Bosnie-Herzégovine, l’Assemblée regrette que, lors des élections législatives du 3 octobre 2010, des restrictions – fondées sur l’origine ethnique et le lieu de résidence – aux droits de suffrage actif et passif aient encore été appliquées, et que l’impasse constitutionnelle continue de faire obstacle à l’évolution du pays vers une démocratie à part entière qui pourrait être responsable de ses propres affaires. Elle réitère donc ses recommandations à la Bosnie-Herzégovine:
8.1. de prendre d’urgence des mesures pour respecter ses engagements en tant que membre du Conseil de l’Europe et engager des réformes d’envergure, y compris des réformes constitutionnelles, et pour assurer une conformité totale avec la décision de décembre 2009 de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine, faisant plein usage des recommandations de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise);
8.2. d’œuvrer pour le renforcement du fonctionnement de ses institutions démocratiques étatiques afin de parvenir à un état totalement viable susceptible de gérer efficacement les défis de l’intégration euro-atlantique et de progresser vers la fermeture du bureau du haut représentant.
9. L’Assemblée souligne que la perspective d’une intégration dans l’Union européenne reste une motivation importante pour le succès du processus de réconciliation dans la région. Prenant note du fait que les pays de l’ex-Yougoslavie sont dans des situations différentes face à ce processus et que les progrès réalisés par rapport à l’adhésion à l’Union européenne varient grandement, elle estime que l’Union européenne peut donner l’impulsion politique nécessaire et exercer son influence en faveur d’un dialogue, notamment par le biais du Service européen pour l’action extérieure, en coopération avec les autres acteurs pertinents présents dans la région. L’Assemblée encourage donc l’Union européenne:
9.1. à promouvoir un processus à l’échelle régionale, dissocié du processus d’adhésion et de préadhésion, afin d’aider les pays dans leurs efforts pour un règlement efficace des questions en suspens et des défis permanents qui se posent pour une normalisation totale de la région;
9.2. à coopérer étroitement avec le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le Conseil de coopération régionale, qui disposent des instruments juridiques et de l’expertise pour résoudre les questions en souffrance.
10. L’Assemblée est convaincue que le dialogue interparlementaire devrait être encouragé au niveau régional et souligne l’importance de renforcer le rôle des parlements nationaux des Etats de l’ex-Yougoslavie dans chaque effort visant à une réconciliation complète dans la région. Pour sa part, l’Assemblée est décidée à offrir une plate-forme pour ce dialogue, le cas échéant en coopération avec le Parlement européen.