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Résolution 1791 (2011)

La situation en Tunisie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 27 janvier 2011 (8e séance) (voir Doc. 12497, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: Mme Brasseur). Texte adopté par l’Assemblée le 27 janvier 2011 (8e séance).

1. Ces dernières semaines, la Tunisie, l’un des plus proches voisins méditerranéens de l’Europe, a connu des changements considérables. Des troubles locaux provoqués par les mauvaises conditions économiques et sociales ont débouché sur un mouvement de protestation national, qui a finalement contraint le Président Ben Ali à fuir le pays. La situation en Tunisie reste fragile et incertaine, et les manifestations de rue se poursuivent.
2. L’Assemblée parlementaire rend hommage au courage et à la détermination du peuple tunisien qui, malgré la violence de la répression, a clairement montré sa volonté de mettre fin au régime autoritaire et de faire de la Tunisie un pays libre, ouvert et démocratique. Il faut aussi louer l’attitude de l’armée tunisienne, qui a offert sa protection au peuple pendant les troubles, sans intervenir dans la politique.
3. L’Assemblée condamne sans équivoque le recours à la violence contre les manifestants, regrette la perte de dizaines de vies humaines et exprime sa sympathie aux familles des victimes et aux blessés. L’utilisation des armes contre des citoyens pacifiques et les agissements de la police doivent faire l’objet d’une enquête approfondie et les responsables devront en rendre compte. L’Assemblée déplore aussi les actes de violence, les pillages et la destruction de biens commis par certains groupes de protestataires.
4. Même si les causes premières des événements de Tunisie trouvent leur origine dans la politique de M. Ben Ali, l’Europe porte également une part de responsabilité car elle n’est pas arrivée à condamner la nature de ce régime, préférant en utiliser l’apparente stabilité pour faire des affaires.
5. Les forces politiques tunisiennes ne doivent pas décevoir les attentes du peuple et devraient engager sans tarder des réformes politiques. Le pluralisme politique devrait pouvoir s’exprimer. Dans ce contexte, l’Assemblée prend note de la formation d’un gouvernement provisoire, qui comprend plusieurs responsables de l’opposition. Elle observe aussi avec satisfaction que les personnalités politiques et publiques exilées peuvent maintenant regagner le pays.
6. Les premières mesures annoncées par le gouvernement provisoire, comme la libération des prisonniers politiques, la levée des restrictions aux activités des partis politiques et des groupes de défense des droits de l’homme, ainsi que la promesse de garantir la liberté des médias, sont les bienvenues.
7. Cependant, les Tunisiens attendent la démocratisation complète de la société tunisienne et exigent des réformes politiques beaucoup plus vastes, qui rendraient les changements irréversibles. De plus, beaucoup de Tunisiens, aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, sont déçus de constater que des membres de l’ancien parti au pouvoir, le RCD, conservent des positions clés dans le gouvernement provisoire, même s’ils ont maintenant tous quitté ce parti.
8. Les autorités provisoires de Tunisie doivent avancer rapidement sur la voie de la libéralisation politique afin de créer les conditions propices à un processus politique pluraliste incluant toutes les sensibilités de la société tunisienne. Il faut notamment qu’elles fixent rapidement une date pour la tenue d’élections libres et équitables, pleinement conformes aux normes internationales. L’Assemblée encourage toutes les forces politiques à participer de manière constructive à l’établissement du programme de réforme.
9. A maintes reprises, l’Assemblée a appelé à la transformation démocratique des pays voisins, dont la Tunisie, et a exprimé son soutien à cette transformation. Elle a une expérience hors pair de l’accompagnement des pays en transition et des jeunes démocraties sur la voie de la réforme, expérience qu’elle est prête à offrir à la Tunisie. A cet égard, le statut récemment créé de partenaire pour la démocratie offre un cadre concret permettant de partager cette expérience avec les parlements des pays voisins de l’Europe.
10. L’Assemblée espère que la transformation politique de la Tunisie pourra déclencher des changements démocratiques tant en Tunisie que dans d’autres pays de la région. Elle note que les développements en Tunisie ont déjà provoqué un effet domino en Egypte.
11. Elle rappelle sa Résolution 1731 (2010) «Euro-Méditerranée: pour une stratégie du Conseil de l’Europe», dans laquelle elle affirmait que la paix et la stabilité dans la Méditerranée ne peuvent être garanties que sur la base de la démocratie, du respect des droits de l’homme et de la prééminence du droit. A cet égard, l’Assemblée se félicite de l’offre de l’Union européenne d’assister la Tunisie dans le processus de réforme et en particulier d’aider le pays à organiser des élections, et renouvelle son appel pour que les activités de l’Union pour la Méditerranée soient élargies de manière à inclure la promotion de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit. Elle appelle, en outre, l’Union européenne et ses Etats membres, ainsi que les Etats membres du Conseil de l’Europe qui font partie de l’Union pour la Méditerranée, à associer le Conseil de l’Europe aux activités de cette dernière.
12. L’Assemblée, consciente que des éléments extrémistes sont susceptibles de tirer profit de tout vide politique et pour, entre autres, éviter tout risque d’ingérence des militaires dans la politique, appelle les autorités tunisiennes provisoires à répondre à l’aspiration du peuple à des réformes démocratiques et, en priorité:
12.1. à garantir les libertés politiques fondamentales telles que la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté de religion, la liberté d’expression et la liberté des médias, ainsi que la protection des droits individuels;
12.2. à abolir la peine de mort et, dans l’intervalle, à maintenir le moratoire sur les exécutions;
12.3. à mettre en place une commission «vérité et réconciliation» pour établir les faits et déterminer les responsabilités des individus impliqués dans les abus commis par le régime précédent, et pour définir les modalités de réparation applicables aux victimes de ces abus;
12.4. à créer les conditions de la participation des citoyens à la vie politique et publique;
12.5. à s’engager dans une vaste réforme constitutionnelle dans le but de créer des institutions politiques véritablement représentatives et de consolider l’Etat de droit et la justice;
12.6. à prendre des mesures fermes pour endiguer la corruption et le népotisme, pour enquêter sur les abus de pouvoir commis par les anciennes élites dirigeantes et pour mettre en œuvre des réformes économiques et sociales urgentes visant à créer des conditions normales et équitables pour les acteurs économiques.
13. L’Assemblée encourage les autorités tunisiennes à intensifier et à élargir la coopération avec le Conseil de l’Europe, et à tirer parti de son expérience pour la transition du pays vers la démocratie et, en particulier:
13.1. à adhérer aux instruments juridiques du Conseil de l’Europe qui sont ouverts aux Etats non membres, en particulier dans les domaines de la démocratie, des droits de l’homme et de la primauté du droit;
13.2. à exploiter pleinement l’adhésion de la Tunisie à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans le processus de réforme constitutionnelle à venir;
13.3. à adhérer aux accords partiels élargis du Conseil de l’Europe tels que le Centre Nord-Sud et l’Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs (EUR-OPA);
13.4. à établir des contacts entre le Conseil de l’Europe et les autorités tunisiennes chargées des questions de justice, de développement durable, de culture, d’éducation et d’enseignement supérieur, de jeunesse et de sport, d’égalité entre les sexes et de droits des enfants;
13.5. à étudier et à utiliser, dans leurs activités respectives, l’expérience des institutions des droits de l’homme et des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, notamment de la Cour européenne des droits de l’homme et du Commissaire aux droits de l’homme;
13.6. à favoriser les contacts entre les représentants parlementaires et ceux de la société civile tunisiens et européens;
13.7. à examiner les perspectives de dialogue parlementaire offertes par le statut de partenaire pour la démocratie récemment créé par l’Assemblée.
14. L’Assemblée s’engage à suivre attentivement l’évolution politique en Tunisie, à renforcer son dialogue avec le parlement de ce pays et, en particulier, avec les nouvelles institutions qui suivront les élections à venir – que l’Assemblée espère libres et équitables – et à trouver des moyens appropriés pour l’assister dans sa progression vers la démocratie.