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Recommandation 1959 (2011) Version finale
Les politiques de prévention en matière de santé dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
1. L’Assemblée parlementaire constate
qu’au cours du dernier siècle l’Europe a enregistré des progrès extraordinaires
en matière de santé et de longévité. Les systèmes de santé européens
sont appréciés dans le monde entier pour leur équité et leur capacité
à proposer à la population des traitements gratuits ou à un coût raisonnable.
En même temps, notre société de consommation à l’échelon mondial
a produit de nouvelles maladies, comme l’obésité, les maladies cardiaques,
le cancer, le diabète et les problèmes de santé mentale, tandis
que de nouvelles inégalités sont apparues dans le domaine de la
santé.
2. Le vieillissement de la population aura des conséquences importantes
sur les individus, les collectivités et les Etats, modifiera les
schémas pathologiques et pèsera sur la viabilité des systèmes de
santé. D’après les prévisions, les maladies chroniques devraient
devenir la cause principale du handicap dans le monde d’ici à 2020.
Des voix s’élèvent pour prévenir que les enfants d’aujourd’hui pourraient
bien être la première génération dont l’espérance de vie serait
inférieure à celle de leurs parents. Des données inquiétantes montrent
par exemple que les cas de diabète chez les enfants ont augmenté
considérablement depuis dix ans. Si elles ne font pas l’objet de
politiques de prévention et de gestion efficaces, ces maladies chroniques
poseront un problème extrêmement épineux à nos systèmes de santé.
3. Les leçons des trente dernières années en matière de promotion
de la santé ont souvent été oubliées, négligées ou écartées lors
de la mise en œuvre des politiques publiques. Les actuels systèmes
de santé européens récompensent et favorisent une approche curative
qui vise principalement à réparer ce qui ne va pas. En conséquence,
les autorités compétentes se trouvent confrontées à une demande
forte et sans cesse croissante d’augmenter la capacité des systèmes
de santé à répondre aux besoins d’une population vieillissante et
d’améliorer la qualité des soins. L’état actuel des connaissances
de ce qui constitue la santé, ce qu’on appelle les facteurs déterminants
de la santé, l’évolution de la société ainsi que les taux de progression
exponentielle des maladies chroniques indiquent que les systèmes
nationaux de santé doivent changer d’orientation et appliquer une
nouvelle approche concernant la santé.
4. L’Assemblée attire l’attention sur le fait qu’il subsiste
des inégalités dans l’accès aux soins et dans l’accès à l’éducation
et à l’information sur la santé, la partie de la population bien
informée jouissant d’un accès facile aux ressources mises à disposition
et les groupes défavorisés ayant davantage de difficultés. Certaines formes
d’inégalité en matière de santé ont des conséquences négatives évidentes
sur le reste de la société, par exemple la diffusion des maladies
infectieuses, les conséquences de l’alcoolisme et de l’abus de drogue ou
les actes de violence et les crimes. Le véritable enjeu consiste
donc à garantir l’accès aux ressources disponibles à toutes les
couches de la population, sans distinction d’origine socio-économique.
5. L’Assemblée considère que les disparités en matière de santé
peuvent être partiellement évitées, dans la mesure où elles résultent
de choix politiques identifiables de la part des gouvernements concernant notamment
l’éducation, la réglementation commerciale et industrielle, l’alimentation,
l’agriculture, la production de produits chimiques, la protection
de l’environnement, la circulation routière, les transports, et
la consommation d’alcool, de tabac ou de drogue. De ce fait, les
inégalités en matière de santé peuvent, en principe, être corrigées
par des interventions des pouvoirs publics.
6. Les gouvernements qui sont soucieux d’améliorer la santé des
populations doivent donc intégrer bien davantage, lors de l’élaboration
de leurs politiques, une approche préventive en matière de santé.
Les gouvernements européens ont ainsi une occasion unique de faire
des choix importants pouvant affecter la vie de millions d’Européens
en renforçant la prévention et la médecine participative.
7. Les connaissances actuelles associées aux facteurs sociaux
de la santé, et au fait que l’amélioration de l’état de santé général
représente un atout supplémentaire pour la croissance économique,
sont si solidement ancrées qu’elles ne sont que rarement remises
en question. L’Assemblée regrette toutefois que, malgré l’appel à
de meilleures politiques de prévention et malgré toutes les recommandations
et certaines avancées réglementaires ou législatives, il y ait encore
un manque de réaction face aux risques sanitaires connus ou émergents,
en particulier ceux qui relèvent des maladies non transmissibles.
Les mesures de promotion de la santé doivent s’inscrire dans une
vision à long terme servie par la mise en œuvre de stratégies et
de mesures concrètes, ce qui figure rarement parmi les priorités
des politiques nationales.
8. L’Assemblée demande instamment aux Etats membres du Conseil
de l’Europe d’analyser et d’évaluer leurs stratégies de prévention
en matière de santé, en accordant une attention redoublée aux déterminants sociaux
et aux inégalités en matière de santé, en mettant l’accent sur les
avantages liés à l’amélioration de la santé, et de renouveler leur
engagement concernant les objectifs sanitaires de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS).
9. En outre, l’Assemblée demande au Comité des Ministres d’inviter
les Etats membres et les Etats observateurs du Conseil de l’Europe:
9.1. à définir des normes minimales
en matière d’accès aux soins de santé, fondées sur les droits fondamentaux
de l’être humain et sur des politiques et des pratiques de santé
publique judicieuses, en tenant compte du fait que toute la population
a droit à la santé, y compris l’ensemble des migrants, quel que
soit leur statut migratoire;
9.2. à faire en sorte que la promotion de la santé et le comblement
des retards en matière de santé constituent un objectif partagé
par tous les secteurs d’action des pouvoirs publics et à incorporer
dans le processus d’élaboration des politiques de tous les secteurs
et agences une réflexion sur les impacts pour la santé, en adoptant
l’approche de la «perspective santé dans toutes les politiques»;
9.3. à renforcer les mécanismes de prévention et de réduction
des risques sanitaires liés à l’environnement en raison de la pollution
de l’air, de l’eau, des aliments et des sols, ainsi que de la pollution
sonore, et à promouvoir les effets positifs pour la santé de l’accès
à un environnement de qualité, comme le souligne la Recommandation
1863 (2009) de l’Assemblée «Environnement et santé: mieux prévenir
les risques sanitaires liés à l’environnement»;
9.4. à améliorer les mécanismes de dépistage et de détection
précoces des maladies et des troubles de la santé – notamment le
VIH/SIDA et la tuberculose – pour permettre un traitement rapide
de ces maladies, à fournir les moyens permettant d’orienter chaque
patient vers des services et des aides complémentaires ainsi qu’à
coopérer activement avec l’OMS et le système mondial de surveillance
afin de stopper la propagation des maladies infectieuses;
9.5. à promouvoir une éducation sexuelle et à la santé englobant
tous les aspects, y compris l’abstinence, afin de prévenir la diffusion
des maladies sexuellement transmissibles;
9.6. à promouvoir un dépistage universel de maladies non infectieuses
et des facteurs de risque à des âges clés de la vie ou dans des
situations spécifiques pour la prévention de problèmes de santé relatifs
à certains risques génétiques ou environnementaux;
9.7. à incorporer expressément les politiques de prévention
dans les stratégies de réduction de la pauvreté et dans les politiques
socio-économiques pertinentes afin de supprimer les inégalités dans l’accès
à l’information et à la protection sanitaires, l’exposition aux
risques et l’accès aux soins, qui entraînent de grandes inégalités
dans l’apparition et l’issue des maladies, tout en prêtant une attention particulière
à la situation des personnes vulnérables en Europe;
9.8. à favoriser un bon départ dans la vie pour les familles
et les jeunes enfants, en renforçant les soins préventifs avant
la grossesse ainsi que les soins aux mères et aux nourrissons dans
des centres de soins pré- et post-natals, pédiatriques et scolaires,
et également par l’amélioration du niveau d’instruction des parents
et des enfants;
9.9. à intensifier les efforts visant à faire de l’éducation
à la santé une priorité de la politique de santé publique, et notamment
à veiller à ce que cette discipline soit intégrée dans les programmes
scolaires, en utilisant les nouvelles technologies dans ce contexte;
9.10. àdévelopper une
recherche indépendante, fondée sur des critères scientifiques à
l’abri de l’influence des groupes de pression économiques, notamment
de l’industrie agroalimentaire, pharmaceutique et du tabac;
9.11. à assurer un processus transparent et responsable de prise
de décisions pour l’ensemble des questions relatives à la réglementation
de l’alimentation; à promouvoir les méthodes de production alimentaire
et d’agriculture durables qui préservent les ressources naturelles;
à développer une culture plus forte de la nutrition-santé, afin
d’améliorer les connaissances de la population sur les aliments
et la nutrition;
9.12. à prêter attention, lors de la planification des campagnes
sur la nutrition et le poids corporel sain, aux risques de stigmatisation
qui pourraient avoir des effets négatifs non voulus pour les personnes
en surpoids ou risquant de développer des troubles de l’image du
corps et de l’alimentation;
9.13. à inciter, par la négociation, le secteur privé et les
médias à s’engager davantage en faveur des questions de santé ainsi
qu’à sensibiliser les industries à haut risque à leurs responsabilités
en encourageant la transparence et en promouvant une culture de
responsabilité sociale d’entreprise, notamment à l’égard des catégories
défavorisées de la population;
9.14. à travailler avec les industries agroalimentaire et publicitaire
pour encourager la prise en compte de données, faits et chiffres
clés sur les maladies non transmissibles et pour interdire la publicité
des produits nocifs pour la santé; à formuler des recommandations
en faveur de la réduction des taux de graisses saturées et de sucre
ajouté, et de la commercialisation croissante de certains produits alimentaires
dans des versions à taux de graisse réduit ou faible et à taux de
sucre réduit, faible ou nul;
9.15. à promouvoir le développement d’installations couvertes
et en plein air pour des loisirs à caractère sportif, en particulier
des gymnases, des piscines, des terrains de jeu et des patinoires;
à renforcer le soutien aux programmes de sport, en particulier ceux
qui sont accessibles à tous les membres de la société, quels que
soient leur âge, leur sexe, leur origine, et à encourager le secteur
privé à mieux assumer sa responsabilité envers la société en permettant
à des personnes moins favorisées d’utiliser ses installations;
9.16. à renforcer l’intégration des soins et de la prévention
en s’assurant le soutien des professionnels de santé; à intégrer
l’éducation à la santé en tant qu’élément fondamental de la formation
médicale initiale et continue, notamment l’éducation à la nutrition,
à la santé et aux droits humains, et à inclure les connaissances
en matière de santé parmi les indicateurs clés d’une prise en charge
hospitalière de qualité;
9.17. à s’intéresser au contexte social général qui influe sur
la consommation problématique d’alcool, de tabac et de drogue (y
compris les médicaments psychotropes dont la consommation régulière présente
également un risque d’addiction), et à inscrire les politiques de
lutte contre la dépendance dans le cadre général de la politique
économique et sociale;
9.18. à soutenir activement les efforts de l’OMS pour la mise
en place d’un cadre international destiné à s’attaquer à l’utilisation
nocive de l’alcool, en suivant l’exemple de la Convention-cadre
de l’OMS pour la lutte antitabac;
9.19. à promouvoir des campagnes d’éducation visant à sensibiliser
le public à la gravité et aux causes sous-jacentes des accidents,
des décès et des blessures liés à la circulation;
9.20. à adopter des mesures appropriées pour permettre aux personnes
âgées de mener une existence indépendante dans leur environnement
habituel aussi longtemps qu’elles le souhaitent et que cela est
possible, et à mettre en place des programmes de santé mentale pour
tout problème psychologique rencontré par les personnes âgées, ainsi
que des services de soins palliatifs adéquats;
9.21. à accorder une attention particulièreà la santé mentale, englobant
la prévention des troubles mentaux et du suicide; à promouvoir le
bien-être et l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale,
ainsi qu’à favoriser l’intégration sociale des groupes fortement
marginalisés tels que les réfugiés, les victimes de catastrophes,
les exclus sociaux, les handicapés mentaux, les personnes âgées
et fragiles, les femmes et les enfants victimes de violence et également
les personnes très pauvres;
9.22. à formuler, à mettre en œuvre et à assurer le suivi périodique
d’une politique nationale cohérente sur l’hygiène et la sécurité
au travail, en consultant les organisations patronales et syndicales;
9.23. à développer une mobilité «douce» et des politiques de
transport soucieuses de la santé et de l’environnement, tels que
les transports publics, le covoiturage et l’auto-partage, afin de
créer des villes favorables aux piétons et aux cyclistes, en coopération
avec les pouvoirs locaux et régionaux;
9.24. à encourager la participation des organisations de la
société civile, telles que les associations de malades et de consommateurs,
les associations de solidarité agréées et les organisations non gouvernementales,
et à les soutenir activement;
9.25. àmettre en place
des systèmes d’évaluation et à promouvoir la collecte de données
et d’informations standardisées ainsi que d’indicateurs pertinents,
en conformité avec les recommandations de l’OMS.
10. En conclusion, l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
10.1. à examiner, à mettre à jour
et à comparer les politiques nationales et internationales de prévention
en matière de santé et les stratégies de promotion de la santé dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe, en coopération avec l’Union
européenne;
10.2. à examiner et à comparer la mise en œuvre de ces politiques,
et à encourager les Etats membres à augmenter la part des ressources
allouées aux politiques de prévention et de promotion de la santé, et
à leur conférer un caractère durable;
10.3. à étudier le rôle des organisations nationales, européennes
et internationales engagées dans des activités de promotion de la
santé et à analyser les possibilités d’une interaction plus stratégique fondée
sur les domaines spécialisés de chaque organisation;
10.4. à établir un dialogue constructif avec la Commission européenne,
afin de renforcer la solidarité en matière de santé et de réduire
les inégalités en matière de santé en Europe, en accordant une attention
particulière aux pays non membres de l’Union européenne, en étroite
collaboration avec l’OMS;
10.5. à charger un comité d’experts de préparer un projet de
recommandation s’inspirant des éléments ci-dessus, dans un délai
de deux ans.