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Résolution 1821 (2011)
L'interception et le sauvetage en mer de demandeurs d’asile, de réfugiés et de migrants en situation irrégulière
1. La surveillance des frontières
méridionales de l’Europe est devenue une priorité régionale. Le
continent européen doit en effet faire face à l’arrivée relativement
importante de flux migratoires par la mer en provenance d’Afrique
et arrivant en Europe principalement via l’Italie, Malte, l’Espagne,
la Grèce et Chypre.
2. Des migrants, des réfugiés, des demandeurs d’asile et d’autres
personnes mettent leur vie en péril pour rejoindre les frontières
méridionales de l’Europe, généralement dans des embarcations de
fortune. Ces voyages, toujours effectués par des moyens irréguliers
et pour la plupart à bord de navires sans pavillon, au risque de
tomber entre les mains de réseaux de trafic de migrants et de traite
des êtres humains, sont l’expression de la détresse des personnes
embarquées, qui n’ont pas de moyen régulier et surtout pas de moyen
moins risqué de gagner l’Europe.
3. Même si le nombre d’arrivées par mer a drastiquement diminué
ces dernières années, avec pour effet de déplacer les routes migratoires
(notamment vers la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce), l’Assemblée
parlementaire, rappelant notamment sa Résolution 1637 (2008) «Les boat
people en Europe: arrivée par mer de flux migratoires mixtes en
Europe du Sud», exprime à nouveau ses vives préoccupations concernant
les mesures prises pour gérer l’arrivée par mer de ces flux migratoires
mixtes. De nombreuses personnes en détresse en mer ont été sauvées
et de nombreuses personnes tentant de rejoindre l’Europe ont été
renvoyées, mais la liste des incidents mortels – aussi tragiques
que prévisibles – est longue et elle augmente actuellement presque
chaque jour.
4. Par ailleurs, les récentes arrivées en Italie et à Malte survenues
à la suite des bouleversements en Afrique du Nord confirment la
nécessité pour l’Europe d’être prête à affronter, à tout moment,
l’arrivée massive de migrants irréguliers, de demandeurs d’asile
et de réfugiés sur ses côtes méridionales.
5. L’Assemblée constate que la gestion de ces arrivées par mer
soulève de nombreux problèmes, parmi lesquels cinq sont particulièrement
inquiétants:
5.1. alors que plusieurs
instruments internationaux pertinents s’appliquent en la matière
et énoncent de manière satisfaisante les droits et les obligations
des Etats et des individus, il semble y avoir des divergences dans
l’interprétation de leur contenu. Certains Etats ne sont pas d’accord
sur la nature et l’étendue de leurs responsabilités dans certains
cas et certains Etats remettent également en question l’application
du principe de non-refoulement en haute mer;
5.2. bien que la priorité absolue en cas d’interception en
mer soit d’assurer le débarquement rapide des personnes secourues
en «lieu sûr», la notion de «lieu sûr» ne semble pas être interprétée
de la même manière par tous les Etats membres. Or, il est clair
que la notion de «lieu sûr» ne saurait se limiter à la seule protection
physique des personnes, mais qu’elle englobe nécessairement le respect
de leurs droits fondamentaux;
5.3. ces désaccords mettent directement en péril la vie des
personnes à secourir, notamment en retardant ou en empêchant les
actions de sauvetage, et sont susceptibles de dissuader les marins
de venir au secours des personnes en détresse en mer. De plus, ils
pourraient avoir pour conséquence la violation du principe de non-refoulement
à l’égard d’un nombre important de personnes, y compris à l’égard
de personnes ayant besoin de protection internationale;
5.4. alors que l’Agence européenne pour la gestion de la coopération
opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union
européenne (Frontex) joue un rôle de plus en plus important en matière
d’interception en mer, les garanties du respect des droits de l’homme
et des obligations relevant du droit international et du droit communautaire
dans le contexte des opérations conjointes qu’elle coordonne sont
insuffisantes;
5.5. enfin, ces arrivées par la mer font peser une charge disproportionnée
sur les Etats situés aux frontières méridionales de l’Union européenne.
L’objectif d’un partage plus équitable des responsabilités et d’une
plus grande solidarité en matière de migration entre les Etats européens
est loin d’être atteint.
6. La situation est compliquée par le fait que les flux migratoires
concernés sont à caractère mixte et qu’ils demandent donc des réponses
spécialisées prenant en compte les besoins de protection et adaptées
au statut des personnes secourues. Pour apporter aux arrivées par
mer une réponse adéquate et conforme aux normes internationales
pertinentes, les Etats doivent tenir compte de cet élément dans
leurs politiques et activités de gestion des migrations.
7. L’Assemblée rappelle aux Etats membres leurs obligations relevant
du droit international, notamment au terme de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5), de la Convention des Nations Unies sur
le droit de la mer de 1982 et de la Convention de Genève de 1951
relative au statut des réfugiés, en particulier le principe de non-refoulement
et le droit de demander l’asile. L’Assemblée rappelle également
les obligations des Etats parties à la Convention internationale
pour la sauvegarde de la vie humaine en mer de 1974 et à la Convention
internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes.
8. Enfin et surtout, l’Assemblée rappelle aux Etats membres qu’ils
ont l’obligation tant morale que légale de secourir les personnes
en détresse en mer sans le moindre délai et réaffirme sans ambiguïté
l’interprétation faite par le Haut-Commissariat des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR), selon laquelle le principe de non-refoulement
s’applique également en haute mer. La haute mer n’est pas une zone
dans laquelle les Etats sont exempts de leurs obligations juridiques,
y compris de leurs obligations issues du droit international des
droits de l’homme et du droit international des réfugiés.
9. L’Assemblée appelle donc les Etats membres, dans la conduite
des activités de surveillance des frontières maritimes, que ce soit
dans le contexte de la prévention du trafic illicite et de la traite
des êtres humains ou dans celui de la gestion des frontières, qu’ils
exercent leur juridiction de droit ou de fait:
9.1. à répondre sans exception et
sans délai à leur obligation de secourir les personnes en détresse en
mer;
9.2. à veiller à ce que leurs politiques et activités relatives
à la gestion de leurs frontières, y compris les mesures d’interception,
reconnaissent la composition mixte des flux de personnes tentant
de franchir les frontières maritimes;
9.3. à garantir à toutes les personnes interceptées un traitement
humain et le respect systématique de leurs droits de l’homme, y
compris du principe de non-refoulement, indépendamment du fait que
les mesures d’interception soient mises en œuvre dans leurs propres
eaux territoriales, dans celles d’un autre Etat sur la base d’un
accord bilatéral ad hoc, ou en haute mer;
9.4. à s’abstenir de recourir à toute pratique pouvant s’apparenter
à un refoulement direct ou indirect, y compris en haute mer, en
respect de l’interprétation de l’application extraterritoriale de
ce principe faite par le HCR et des arrêts pertinents de la Cour
européenne des droits de l’homme;
9.5. à assurer en priorité le débarquement rapide des personnes
secourues en «lieu sûr» et à considérer comme lieu sûr un lieu susceptible
de répondre aux besoins immédiats des personnes débarquées, qui
ne mette nullement en péril leurs droits fondamentaux; la notion
de «sûreté» allant au-delà de la simple protection du danger physique
et prenant également en compte la perspective des droits fondamentaux
du lieu de débarquement proposé;
9.6. à garantir aux personnes interceptées ayant besoin d’une
protection internationale l’accès à une procédure d’asile juste
et efficace;
9.7. à garantir aux personnes interceptées victimes de la traite
des êtres humains, ou risquant de le devenir, l’accès à une protection
et à une assistance, y compris aux procédures d’asile;
9.8. à veiller à ce que le placement en rétention de personnes
interceptées – en excluant systématiquement les mineurs et les groupes
vulnérables –, indépendamment de leur statut, soit autorisé par
les autorités judiciaires et qu’il n’ait lieu qu’en cas de nécessité
et pour des motifs prescrits par la loi, en l’absence de toute autre
alternative appropriée et dans le respect des normes minimales et des
principes définis dans la Résolution
1707 (2010) de l’Assemblée sur la rétention administrative
des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière
en Europe;
9.9. à suspendre les accords bilatéraux qu’ils peuvent avoir
passés avec des Etats tiers si les droits fondamentaux des personnes
interceptées n’y sont pas garantis adéquatement, notamment leur
droit d’accès à une procédure d’asile, et dès lors qu’ils peuvent
s’apparenter à une violation du principe de non-refoulement, et
à conclure de nouveaux accords bilatéraux contenant expressément
de telles garanties en matière de droits de l’homme et des mesures
en vue de leur contrôle régulier et effectif;
9.10. à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait,
les instruments internationaux pertinents susmentionnés et à tenir
compte des directives de l’Organisation maritime internationale
(OMI) sur le traitement des personnes secourues en mer;
9.11. à signer et à ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait,
la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains (STCE no 197) et les Protocoles dits «de Palerme»
à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée (2000);
9.12. à veiller à ce que les opérations de surveillance aux
frontières maritimes et les mesures de contrôle aux frontières n’entravent
pas la protection spécifique accordée au titre du droit international aux
catégories vulnérables telles que les réfugiés, les personnes apatrides,
les enfants non accompagnés et les femmes, les migrants, les victimes
de la traite ou les personnes risquant de le devenir, ainsi que
les victimes de tortures et de traumatismes.
10. L’Assemblée est inquiète de l’absence de clarté en ce qui
concerne les responsabilités respectives des Etats membres de l’Union
européenne et de Frontex, et du manque de garanties adéquates du
respect des droits fondamentaux et des normes internationales dans
le cadre des opérations conjointes coordonnées par cette agence.
Alors que l’Assemblée se félicite des propositions présentées par
la Commission européenne pour modifier le règlement de cette agence
afin de renforcer les garanties du plein respect des droits fondamentaux,
elle les juge insuffisantes et souhaiterait que le Parlement européen
soit chargé du contrôle démocratique des activités de cette agence,
notamment eu égard au respect des droits fondamentaux.
11. L’Assemblée considère également qu’il est essentiel que des
efforts soient entrepris pour remédier aux causes premières qui
poussent des personnes désespérées à s’embarquer en direction de
l’Europe au péril de leur vie. L’Assemblée appelle tous les Etats
membres à renforcer leurs efforts en faveur de la paix, de l’Etat de
droit et de la prospérité dans les pays d’origine des candidats
à l’immigration et des demandeurs d’asile.
12. Enfin, étant donné les sérieux défis posés aux Etats côtiers
par l’arrivée irrégulière par mer de flux mixtes de personnes, l’Assemblée
appelle la communauté internationale, en particulier l’OMI, le HCR,
l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Conseil
de l’Europe et l’Union européenne (y compris Frontex et le Bureau
européen d’appui en matière d’asile):
12.1. à fournir toute l’assistance requise à ces Etats dans
un esprit de solidarité et de partage des responsabilités;
12.2. sous l’égide de l’OMI, à déployer des efforts concertés
afin de garantir une approche cohérente et harmonisée du droit maritime
international, au moyen, notamment, d’un accord sur la définition
et le contenu des principaux termes et normes;
12.3. à mettre en place un groupe interagences chargé d’étudier
et de résoudre les problèmes principaux en matière d’interception
en mer, y compris les cinq problèmes identifiés dans cette résolution,
de fixer des priorités politiques précises, de conseiller les Etats
et autres acteurs concernés, et de contrôler et évaluer la mise
en œuvre des mesures d’interception en mer. Le groupe devrait être composé
de membres de l’OMI, du HCR, de l’OIM, du Conseil de l’Europe, de
Frontex et du Bureau européen d’appui en matière d’asile.