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Recommandation 1975 (2011) Version finale
Vivre ensemble dans l’Europe du XXIe siècle: suites à donner au rapport du Groupe d'éminentes personnalités du Conseil de l'Europe
1. L’Assemblée parlementaire prend
note du rapport du Groupe d’éminentes personnalités intitulé «Vivre ensemble
– Concilier la diversité et la liberté dans l’Europe du XXIe siècle»,
présenté le 11 mai 2011, à l’occasion de la 121e session du Comité
des Ministres à Istanbul. L’Assemblée espère que le rapport insufflera un
regain d’élan et d’engagement politique à diverses activités présentes
et futures du Conseil de l’Europe dans le cadre du processus de
réforme de l’Organisation.
2. L’analyse menée par le Groupe d’éminentes personnalités offre
une base de réflexion sur l’avenir de l’Europe, qui devra impliquer
les responsables politiques, les organisations non gouvernementales
(ONG), les syndicats, les organisations de jeunesse, les universitaires,
ainsi que les représentants des cultes, des médias et des pouvoirs
locaux de différents pays et origines. Dans plusieurs domaines,
les conclusions du groupe confirment les positions déjà prises par
l’Assemblée, tout en suggérant dans certains cas des solutions différentes
pour atteindre des objectifs comparables. Le défi était, et reste
encore, d’assurer la mise en œuvre dans une situation que le groupe
qualifie, à juste titre, de «crise du leadership».
3. De son côté, l’Assemblée est prête et disposée à contribuer
aux changements nécessaires pour apporter aux sociétés européennes
une plus grande cohésion afin que chacun puisse pleinement bénéficier du
«vivre ensemble». Aussi souhaite-t-elle faire part au Comité des
Ministres de ses propres réflexions sur la question et proposer
des moyens concrets de mettre en œuvre les propositions dans la
limite de ses compétences et de ses priorités.
4. L’Europe est multiculturelle et les peuples européens ont
prouvé qu’ils étaient capables de vivre ensemble dans la diversité
et de construire ensemble leur avenir commun. Si le multiculturalisme
connaît des difficultés croissantes au niveau national dans différents
pays européens, l’Assemblée reste fermement convaincue que l’assimilation
n’est pas une alternative. La réponse à ces difficultés est une
approche interculturelle impliquant une interaction active de groupes
culturellement différents au sein de la société, afin de développer
le meilleur modèle du «vivre ensemble». Il convient de promouvoir
le renforcement de valeurs et d’une identité européennes communes
de manière à ne pas éliminer les différentes cultures des groupes spécifiques,
mais en préservant et en intégrant leurs spécificités au sein du
cadre européen commun. Ce processus peut être mis en péril par une
politique de plus en plus populiste, xénophobe et identitaire, assortie de
discours à visée courte et purement électoraliste. En conséquence
de quoi, l’Assemblée en appelle aux Etats membres pour élaborer
des politiques prévenant ce type de pratiques négatives.
5. Le respect de sa propre culture permet de mieux comprendre
la culture d’autrui et de considérer les différences comme normales
et enrichissantes. Hormis l’obéissance à la loi, qui est un élément
important de la culture démocratique, d’autres éléments culturels
sont à prendre en compte.
6. Les personnes qui viennent légalement vivre dans un pays ne
devraient pas avoir à abandonner des éléments de leur identité (croyance,
langue, culture, etc.). Elles devraient toutefois se montrer disposées
à s’intégrer dans la société du pays d’accueil, en apprenant la
langue de ce pays, mais aussi en acquérant une connaissance et une
compréhension de la culture locale; elles doivent respecter la démocratie,
les droits de l’homme, y compris les droits des femmes, et l’Etat
de droit. Ceux qui choisissent de changer de foi ou de culture ne
devraient pas être mis au ban de leur communauté d’origine.
7. Comme l’Assemblée l’a souligné à maintes reprises, l’éducation
est le principal outil – mais non le seul – dans la lutte contre
les informations trompeuses et les clichés à l’encontre de certains
groupes. En outre, l’éducation est indispensable au bien-être individuel
et sociétal et au développement culturel, en l’absence desquels
la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit perdent
tout fondement. La capacité à accueillir et à valoriser la diversité
dépend largement d’une éducation de qualité. Les recommandations
spécifiques du Groupe d’éminentes personnalités sur ce point demandent
à être complétées en mettant l’accent sur la formation des enseignants.
Les activités du Conseil de l’Europe dans des domaines comme l’éducation
à la citoyenneté démocratique ou l’enseignement de l’histoire devraient
être intensifiées.
8. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle la Déclaration et le
Programme de 1999 du Comité des Ministres sur l’éducation à la citoyenneté
démocratique fondée sur les droits et les responsabilités des citoyens et
estime que leur mise en œuvre pourrait largement contribuer à développer
un esprit européen au sein de la société. Ainsi invite-t-elle les
Etats membres à mettre en œuvre à la fois le Programme de 1999 et
la Charte (plus récente) du Conseil de l’Europe sur l’éducation
à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme,
adoptée par le Comité des Ministres en 2010, en prenant des mesures
concrètes adaptées à leurs spécificités locales.
9. L’Assemblée rappelle sa Résolution
1754 (2010) «Lutte contre l’extrémisme: réalisations,
faiblesses et échecs», dans laquelle elle «déplore que le défi consistant
à instaurer plus d’éthique en politique en ce qui concerne le traitement
des questions touchant à la race, à l’origine ethnique et nationale,
et à la religion soit encore à relever». Les représentants élus
ont une responsabilité bien spéciale de changer la situation, tant
à titre individuel qu’en tant que membres des organes au sein desquels
ils sont élus, que ce soit au niveau local, régional, national ou
international. A cet égard, l’Assemblée rappelle que les responsables
politiques sont tenus d’éliminer du discours politique les stéréotypes
négatifs et les stigmatisations de toute minorité et de tout groupe
ethnique ou de migrants, qu’ils se trouvent ou non à l’intérieur
des frontières de leur Etat. Il leur appartient de promouvoir un
message de non-discrimination, de tolérance et de respect vis-à-vis
des personnes d’origines différentes.
10. L’Assemblée regrette que, comme le soulignent plusieurs passages
du rapport du Groupe d’éminentes personnalités, les femmes appartenant
à des groupes minoritaires soient particulièrement menacées de marginalisation.
La lutte contre cette situation doit être une priorité, non seulement
pour garantir l’égalité entre les sexes, mais aussi pour encourager
les femmes à assurer le lien entre leur communauté et la société,
en éduquant leurs enfants dans une culture de diversité et de dialogue
et en les aidant à vivre avec des identités multiples.
11. L’Assemblée souhaite insister sur la nécessité de privilégier
la jeunesse et de mettre en œuvre les droits de la jeunesse comme
investissement dans la cohésion et l’avenir de l’Europe. Les Etats
membres doivent mettre les politiques de jeunesse au cœur des stratégies
visant à construire des sociétés du «vivre ensemble». A cet égard,
les pouvoirs publics devraient adopter des mesures spécifiques pour
encourager la participation des jeunes à la vie économique et démocratique,
et assurer à tous les jeunes l’égalité des chances en vue de contribuer
au développement et au bien-être de la société. En outre, une attention
accrue devrait être portée aux potentialités du sport en tant qu’outil
puissant pour encourager le dialogue interculturel et le «vivre ensemble»
parmi les jeunes.
12. En outre, l’Assemblée souligne le rôle central que les médias
peuvent jouer dans le renforcement de la démocratie, le respect
des droits fondamentaux et le développement de la culture. Elle
estime que le Conseil de l’Europe devrait renforcer ses relations
avec le monde des médias.
13. L’Assemblée considère que le Centre européen pour l’interdépendance
et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) peut et doit jouer
un rôle important et que, à cet effet, il doit recevoir des moyens
adéquats pour pouvoir élaborer un vaste programme «vivre ensemble»
spécifique – assorti des dimensions des politiques éducative, interculturelle
et de jeunesse – afin de soutenir le développement dans les pays
non membres de la région méditerranéenne.
14. De son côté, l’Assemblée, motivée par les propositions et
les recommandations émises par le Groupe d’éminentes personnalités,
décide:
14.1. de lancer ses propres
réflexions sur les moyens d’encourager les responsables politiques
et les représentants élus, à tous les niveaux, à s’exprimer sur
les défis aujourd’hui soulevés par les menaces au projet et à la
solidarité européens;
14.2. de poursuivre la réflexion sur la proposition d’organiser
un forum annuel contre l’extrémisme, sans oublier que l’Assemblée
doit conserver sa capacité de réaction rapide en cas de nouveaux événements
inquiétants;
14.3. d’envisager d’organiser, conjointement avec la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et en collaboration
avec tous les secteurs pertinents de l’Organisation et, éventuellement,
avec le Parlement européen, une conférence chargée de dresser le
bilan des bonnes pratiques et des lacunes dans la mise en œuvre
par les Etats membres de la Charte des partis politiques européens
pour une société non raciste (adoptée en 2003), ainsi que de la
Déclaration sur l’utilisation d’arguments racistes, antisémites
et xénophobes dans le discours politique (adoptée en 2005) et de
la Recommandation (plus ancienne) du Comité des Ministres no R (97)
20 sur le «discours de haine»;
14.4. d’envisager d’organiser une campagne pour promouvoir les
Conventions du Conseil de l’Europe sur la nationalité (STE no 166)
et sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau
local (STE no 144);
14.5. de répondre aux questions soulevées par le vieillissement
de la population en Europe, entre autres, au moyen de politiques
appropriées d’aide à la famille;
14.6. de s’attaquer au déficit démocratique résultant de l’absence
de participation démocratique des immigrés, des Roms et d’autres
groupes exposés à une marginalisation.
15. Rappelant que, dans les Recommandations
1927 (2010), «Islam, islamisme et islamophobie en Europe», 1933 (2010), «Lutte
contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs», et 1962 (2011), «La dimension
religieuse du dialogue interculturel», l’Assemblée a soumis au Comité
des Ministres un certain nombre de propositions concrètes – pour
lutter contre l’extrémisme et pour promouvoir un dialogue interculturel –
préconisant «une nouvelle culture du vivre ensemble», elle invite
le Comité des Ministres à examiner ces propositions à la lumière
des recommandations du Groupe d’éminentes personnalités.
16. De plus, dans la mise en œuvre des recommandations émises
par le Groupe d’éminentes personnalités, l’Assemblée recommande
au Comité des Ministres de considérer en priorité les points suivants:
16.1. promouvoir davantage les Conventions
du Conseil de l’Europe sur la nationalité et sur la participation
des étrangers à la vie publique au niveau local;
16.2. envisager de lancer une vaste campagne sur le «vivre ensemble»,
dans la veine des deux campagnes «Tous différents, tous égaux»;
16.3. explorer la possibilité de renforcer le rôle de la Banque
de développement du Conseil de l’Europe pour des projets visant
à l’intégration dans les Etats membres;
16.4. appeler les Etats membres à créer des passerelles culturelles
en encourageant leurs citoyens à apprendre à connaître et respecter
la culture, la langue, les traditions et l’histoire des populations immigrées;
16.5. envisager l’élaboration de lignes directrices sur les
droits et les responsabilités des immigrés, et sur leurs liens mutuels,
par le biais, au minimum, d’un code de bonnes pratiques sur le «vivre ensemble»,
qui pourrait servir de base, ultérieurement, à une convention-cadre;
16.6. prendre des mesures urgentes pour la mise en œuvre de
la Recommandation 1963 (2011) de l’Assemblée
«Combattre la pauvreté», afin d’améliorer l’accès des personnes
touchées par la pauvreté, et notamment de celles issues de l’immigration
et des minorités, à l’ensemble des droits de l’homme – civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels;
16.7. étudier les mesures nécessaires pour garantir les droits
élémentaires des migrants en situation irrégulière et de leurs enfants,
en reconnaissant que nombre de ces personnes sont exploitées et
ne peuvent – ou ne veulent – pas retourner dans leur pays d’origine;
16.8. renforcer tous ses programmes visant à aider les Etats
membres à concevoir des politiques éducatives cohérentes et la bonne
mise en œuvre du droit à l’éducation, sans discrimination, tout particulièrement
en faveur des personnes issues de milieux défavorisés, de l’immigration
ou de minorités, et ce afin de lutter contre la fracture éducative
et culturelle dans nos sociétés;
16.9. intensifier les travaux du Conseil de l’Europe dans les
domaines de l’éducation à la citoyenneté démocratique fondée sur
les droits et les responsabilités des citoyens – en incluant l’éducation
au multiculturalisme – et de l’enseignement de l’histoire, notamment
en privilégiant la formation des enseignants;
16.10. mettre en place, en partenariat avec les collectivités
locales, les établissements scolaires/universitaires et les médias
des Etats membres, des projets pilotes sur le dialogue interculturel,
dotés, dans la mesure du possible, d’une dimension multilatérale;
16.11. appeler les représentants des religions à contribuer,
le cas échéant, aux débats sur les valeurs communes, le patrimoine
commun, la protection de la liberté de culte, le respect des droits
de l’homme et de la citoyenneté démocratique, et la lutte contre
le terrorisme, la xénophobie et l’intolérance;
16.12. instaurer un processus régulier permettant d’évaluer les
progrès du dialogue interculturel dans les Etats membres, notamment
en organisant régulièrement un forum européen thématique sur le dialogue
interculturel;
16.13. entretenir des contacts réguliers avec les principaux
réseaux de médias européens, en vue de renforcer la mise en œuvre
des recommandations du Conseil de l’Europe concernant des questions liées
à la formation, à l’éthique et à la production de contenus;
16.14. pleinement intégrer la dimension d’égalité entre les sexes
dans la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’éminentes
personnalités;
16.15. proposer aux Etats membres des mesures positives pour
éviter le risque que les femmes issues de groupes minoritaires subissent
une double discrimination – par rapport aux hommes et aux autres femmes
– et promouvoir leur participation active à la vie sociale, économique
et politique;
16.16. promouvoir la signature et la ratification de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210).
17. L’Assemblée recommande que, lors de la mise en œuvre des recommandations
du Groupe d’éminentes personnalités, le Comité des Ministres prenne
des mesures spécifiques pour garantir la protection des personnes
particulièrement vulnérables ou menacées d’exclusion et de marginalisation,
et ainsi leur permettre de vivre dans la dignité. A cet égard, l’Assemblée
insiste sur le fait que chacun a droit au respect des droits sociaux
qui ne peuvent être refusés. Dans la Recommandation no R (2000)
3 du Comité des Ministres sur le droit à la satisfaction des besoins
matériels élémentaires des personnes en situation d’extrême précarité,
le Conseil de l’Europe stipule que ce droit devrait à tout le moins
couvrir la nourriture, l’habillement, l’hébergement et les soins
médicaux de base.
18. Le Groupe d’éminentes personnalités propose de désigner un
représentant spécial de haut niveau chargé de porter le contenu
du rapport à l’attention des responsables politiques et d’en suivre
la mise en œuvre. Dans cette perspective, l’Assemblée rappelle que,
dans sa Recommandation
1928 (2010) «La démocratie en Europe: crises et perspectives»,
elle a proposé qu’une personnalité de grande notoriété, sorte de
délégué à la démocratie, se voie confier la tâche de «diffuser de
façon permanente le message du Conseil de l’Europe sur les questions
relevant de la démocratie présentant un intérêt d’actualité majeur».
L’Assemblée, estimant que les deux propositions ne sont pas incompatibles
et qu’une solution envisageable serait de confier à une seule et
même personnalité aussi bien les actions proposées par le groupe
que celles proposées par l’Assemblée, invite le Comité des Ministres
à examiner cette proposition.
19. Le Groupe d’éminentes personnalités propose d’offrir à des
pays d’Asie centrale et du littoral méditerranéen méridional et
oriental un statut spécial auprès du Conseil de l’Europe. L’Assemblée
rappelle le statut de «Partenaire pour la démocratie» qu’elle a
créé à l’intention des parlements de pays situés dans des régions
voisines, ainsi que sa Résolution
1818 (2011) sur la demande de statut de Partenaire pour
la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire présentée par
le Parlement du Maroc et sa Résolution
1819 (2011) sur la situation en Tunisie. Etant donné
la tournure des événements récents survenus sur les rives méridionale
et orientale de la Méditerranée, l’Assemblée soutient sans réserve
les moyens de rapprocher du Conseil de l’Europe les pays de cette
région.
20. L’Assemblée décide de poursuivre sa réflexion sur ce sujet,
notamment en organisant une conférence, avec la participation du
Secrétaire Général, de représentants du Comité des Ministres et
du Groupe d’éminentes personnalités, du rapporteur et d’autres membres
de sa commission des questions politiques, ainsi que des rapporteurs
des autres commissions saisies pour avis, afin d’approfondir et
d’élargir le débat sur le développement de nos sociétés multiculturelles.
A l’issue de cette conférence, un agenda des actions à mener par
le Conseil de l’Europe devrait être défini par une session ministérielle,
et s’inscrire dans le cadre des préparatifs d’un futur sommet des
chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe.