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Résolution 1831 (2011) Version finale

La coopération entre le Conseil de l'Europe et les démocraties émergentes dans le monde arabe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 4 octobre 2011 (31e séance) (voir Doc. 12699, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Gardetto). Texte adopté par l’Assemblée le 4 octobre 2011 (31e séance).

1. L’Assemblée parlementaire suit avec beaucoup d’intérêt et de préoccupation l’évolution du «printemps arabe» – les mouvements de protestation populaires qui éclatent dans le monde arabe depuis le début de l’année et qui ont déjà produit les changements les plus spectaculaires que la région ait connus depuis les années 1950. Se référant à sa Résolution 1791 (2011) et à sa Résolution 1819 (2011) sur la situation en Tunisie, l’Assemblée se félicite en particulier de l’évolution encourageante en Tunisie et en Egypte, et soutient pleinement le processus de transition démocratique dans ces pays.
2. L’Assemblée salue la mémoire de Mohammed Bouazizi, dont l’acte de protestation désespéré a entraîné le déclenchement des révoltes arabes, ainsi que la mémoire des victimes de la répression qui ont perdu la vie dans la lutte pour la démocratie. Elle déplore la perte de nombreuses vies humaines et exprime sa compassion aux familles des victimes et aux blessés.
3. L’Assemblée salue le succès des forces démocratiques en Libye. Elle soutient la Résolution 2009 du Conseil de sécurité des Nations Unies visant à épauler les autorités de transition en Libye et se déclare prête à assister ces dernières si elles le souhaitent. Elle appelle le Conseil national de transition à faire tout ce qui est en son pouvoir pour prévenir les violations des droits de l’homme par les forces placées sous son contrôle et pour demander des comptes aux responsables des exactions alléguées.
4. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par la situation en Syrie, où les autorités ont lancé une répression brutale contre la population, qui a fait des milliers de morts. Elle condamne sans équivoque le recours à la violence contre les populations et demande instamment d’y renoncer immédiatement. Elle invite les autorités des Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre des sanctions fermes et effectives à l’encontre des personnes qui ont contribué ou contribuent aux violences à l’encontre des populations. Il ne peut y avoir aucune impunité pour les crimes contre l’humanité, quels qu’en soient leurs auteurs. L’Assemblée invite donc la communauté internationale, y compris, le cas échéant, la Cour pénale internationale, à s’assurer que tous ces crimes sont instruits et sanctionnés.
5. L’Assemblée appelle à la libération de toutes les personnes arrêtées pour leur soutien politique aux changements démocratiques. En outre, elle demande instamment aux autorités de droit et de fait des pays connaissant des troubles de faciliter le départ des étrangers qui souhaitent quitter leur territoire. Elle leur demande de laisser les secours médicaux et les représentants des organisations humanitaires accéder librement aux lieux qui sont le théâtre d’affrontements.
6. L’Assemblée déplore la tragédie des réfugiés qui se noient en Méditerranée et appelle tous les Etats membres à apporter une aide supplémentaire dans cette situation d’urgence humanitaire et à honorer leur engagement au titre des Conventions de Genève.
7. L’Assemblée déplore aussi que les pays du monde arabe n’aient pas réussi à profiter eux-mêmes ni à faire profiter leurs voisins, dans un esprit de solidarité, de leurs importantes ressources pétrolières pour favoriser le progrès social. Elle reconnaît cependant que les fautes du passé sont en partie imputables à l’Europe qui, dans ses relations avec le monde arabe, a donné trop de poids aux facteurs de stabilité à court terme, au détriment des facteurs d’un développement à plus long terme conforme aux valeurs défendues par le Conseil de l’Europe.
8. Aujourd’hui, l’Europe doit contribuer à une transition pacifique vers la démocratie et vers le respect des droits de l’homme dans les pays arabes concernés, dont certains font partie de son voisinage immédiat, dans un esprit d’humilité et de respect mutuel, et empêcher que des régimes militaires ou théocratiques ne se mettent en place ou qu’une absence prolongée d’autorité ne dégénère en chaos. Il importe notamment:
8.1. d’engager un dialogue avec les forces démocratiques dans les pays concernés;
8.2. d’encourager le respect des libertés publiques, y compris la liberté de religion et le droit de changer de religion, et de permettre que toutes les religions puissent être pratiquées ouvertement;
8.3. de mettre en œuvre le paragraphe 15 de la Recommandation 1957 (2011) de l’Assemblée sur la violence à l’encontre des chrétiens au Proche et au Moyen-Orient;
8.4. de réviser et, au besoin, de réformer la législation nationale, y compris le droit de la famille, afin de la rendre conforme au droit international sur l’égalité des genres assurant aux femmes les mêmes droits et chances que les hommes, et pour garantir aux femmes l’exercice de ces droits et leur participation pleine et entière, sur un pied d’égalité, à la vie sociale et politique, notamment aux processus démocratiques de transition, en votant et en se présentant aux élections, et en créant des entreprises;
8.5. de soutenir les pays concernés afin qu’ils puissent développer une démocratie régionale et locale;
8.6. de prendre en compte l’avis des organismes de la société civile qui promeuvent la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit, de développer un dialogue avec eux et de les aider à devenir plus forts.
9. L’Assemblée estime que la stabilité du monde arabe aspirant à la démocratie serait facilitée si une issue était trouvée aux principaux conflits qui perdurent dans la région; elle appelle notamment les Israéliens et les Palestiniens à profiter de l’opportunité créée par les révolutions arabes pour relancer les négociations de paix, sur la base des principes qu’elle a déjà énoncés dans sa Résolution 1700 (2010) sur la situation au Proche-Orient.
10. L’Assemblée saisit cette occasion pour inviter les membres du Conseil de sécurité des Nations Unies – en particulier la France, la Russie, le Royaume-Uni, la Bosnie-Herzégovine, l’Allemagne et le Portugal, tous Etats membres du Conseil de l’Europe – à soutenir la demande officielle palestinienne d’adhésion en tant que membre à part entière de l’Organisation des Nations Unies.
11. Le Conseil de l’Europe peut faire bénéficier les pays arabes voisins de l’Europe de son expérience en matière de transition démocratique, et notamment du statut de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire, récemment créé pour les parlements de ces pays. L’Assemblée se réfère, à cet égard, à sa Résolution 1818 (2011) dans laquelle elle a accordé ce statut au Parlement du Maroc, le 21 juin 2011, et attend d’être pleinement accréditée pour observer les élections législatives prévues au Maroc le 25 novembre 2011, conformément aux termes de cette résolution. Elle note également que le Conseil national palestinien s’est vu accorder le statut de partenaire pour la démocratie le 4 octobre 2011.
12. L’Assemblée s’engage à continuer de suivre attentivement l’évolution politique dans chacun des pays arabes voisins de l’Europe, et à renforcer sa coopération avec les parlements des pays qui se sont engagés dans le processus démocratique. Elle est notamment prête à inviter des parlementaires, représentant des mouvements démocratiques dans les pays du sud de la Méditerranée, à participer au Forum pour l’avenir de la démocratie, dont la prochaine session aura lieu à Chypre en octobre 2011.
13. L’Assemblée appelle les autorités tunisiennes et égyptiennes à instaurer un climat de confiance avant et durant les prochaines élections dans leurs pays, afin que la population aille voter, et à prendre les mesures adéquates pour garantir le caractère libre et équitable de ces élections afin de conférer aux nouvelles institutions la légitimité qu’il convient.
14. Elle encourage les autorités des pays arabes situés dans le voisinage de l’Europe qui sont engagés dans le processus démocratique à intensifier et à élargir leur coopération avec le Conseil de l’Europe, et en particulier:
14.1. à s’inspirer des normes des conventions du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme et à envisager d’adhérer aux instruments juridiques du Conseil de l’Europe ouverts aux Etats non membres et aux accords partiels élargis, notamment le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise);
14.2. à promouvoir le dialogue et la coopération entre leurs parlements et l’Assemblée, notamment à la lumière du statut de partenaire pour la démocratie récemment créé;
14.3. à abolir la peine de mort et, en attendant, à instaurer ou à maintenir un moratoire sur les exécutions.
15. L’Assemblée se félicite de la politique du Conseil de l’Europe à l’égard de son voisinage immédiat en vue de promouvoir le dialogue et la coopération avec les pays et les régions situés à proximité de l’Europe, proposée par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, et invite celui-ci:
15.1. à établir des contacts avec les autorités des pays arabes voisins de l’Europe qui sont engagés dans le processus démocratique, et à envisager des mesures de soutien à la société civile de ces pays;
15.2. à examiner les moyens d’associer des représentants de la jeunesse de ces pays aux activités du Conseil de l’Europe dans le domaine de la jeunesse;
15.3. à examiner les moyens d’associer des représentants de ces pays à l’Université d’été de la démocratie et au Forum international de la démocratie de Strasbourg, dont la création a été proposée par l’Assemblée, notamment en promouvant des initiatives comme les écoles d’études politiques;
15.4. à coordonner son action avec celles des Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne;
15.5. à établir des contacts avec la Ligue des Etats arabes et à explorer les possibilités de partager avec les pays arabes l’expérience du Conseil de l’Europe dans les domaines de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit.
16. L’Assemblée invite la Banque de développement du Conseil de l’Europe à examiner la possibilité d’aider, dans toute la mesure du possible et sur la base de dispositions spécifiques, les démocraties émergentes du monde arabe situées dans le voisinage de l’Europe et la société civile des pays concernés.
17. L’Assemblée appelle les principaux partenaires internationaux des pays du sud de la Méditerranée engagés dans un processus de démocratisation, l’Union européenne et l’Union pour la Méditerranée, les organisations internationales à vocation financière et les Etats membres du Conseil de l’Europe à apporter un soutien à leur redressement. Elle appelle tout particulièrement les pays arabes dotés de ressources financières conséquentes à contribuer à ces efforts.
18. Il est essentiel de suivre l’initiative louable de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement d’encourager et de faciliter les investissements dans les pays du monde arabe en marche vers la démocratie, ainsi que de faciliter leur accès aux marchés européens, en particulier aux marchés agricoles, aux échanges commerciaux, à la création d’entreprises et à la création d’infrastructures et d’emplois. Dans cette perspective, et en tenant compte des accords euro-méditerranéens d’association avec les pays du Maghreb et du Machrek, il est important d’appeler à la création de fonds spécifiquement consacrés aux investissements dans les pays arabes situés à proximité de l’Europe qui évoluent vers la démocratie.
19. Il est également impératif de créer «des solidarités de fait» entre les deux rives de la Méditerranée et de répondre aux besoins de la jeunesse du Sud en matière de communication avec l’extérieur et d’appartenance à la communauté:
19.1. en favorisant la multiplication des échanges entre jeunes du Nord et du Sud, ainsi que la mobilité, par l’octroi de visas et la facilitation de l’acquisition d’expérience par les étudiants qui auront démontré leurs capacités;
19.2. en valorisant les réseaux de la diaspora des pays de la rive sud de la Méditerranée qui ont réussi à l’étranger, en permettant aux jeunes du Sud de prendre appui sur eux;
19.3. en permettant aux jeunes du Sud de bénéficier des institutions et programmes européens et en les aidant à réaliser des projets;
19.4. en établissant des connexions entre les universités et entre les ONG des deux rives de la Méditerranée;
19.5. en développant des réseaux d’entrepreneurs;
19.6. en aidant la société civile et en facilitant l’accès à l’information, notamment à travers un accès ouvert à internet et en donnant aux journalistes et aux bloggers la possibilité d’être entendus.
20. Pour que le redressement et l’expansion économiques des pays concernés, et par voie de conséquence leur évolution démocratique, s’inscrivent dans la durée, il faut lutter avec détermination contre la corruption à tous les niveaux de la société, supprimer la bureaucratie, qui freine les énergies, et mettre fin à la distribution d’avantages fondée sur l’appartenance à un clan ou à un groupe religieux.
21. L’Europe doit prendre conscience du fait que la réduction des écarts de développement entre le nord et le sud de la Méditerranée devrait constituer une priorité, dans l’intérêt des Européens et bien sûr des populations du Sud, l’objectif étant de permettre aux hommes et aux femmes du Sud qui le souhaitent de rester dans leur pays, d’y travailler et d’y jouir des libertés fondamentales et d’une bonne qualité de vie.
22. L’Assemblée souhaite provoquer une réflexion avec toutes les parties concernées sur l’opportunité de convoquer un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties d’Europe et du sud de la Méditerranée, qui viserait à débattre de la coopération entre le Conseil de l’Europe et les démocraties émergentes des pays arabes situés dans le voisinage de l’Europe.