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Rapport | Doc. 12889 | 05 avril 2012

La bonne gouvernance et l’éthique du sport

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. François ROCHEBLOINE, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc 12336, Renvoi 3709 du 4 octobre 2010. 2012 - Deuxième partie de session

Résumé

L’irruption non maîtrisée de considérations purement financières met sérieusement en danger l’éthique du sport et amplifie le risque de dérives, voire d’actions criminelles. Aux gangrènes du dopage, de la corruption et de la manipulation des résultats sportifs s’ajoutent d’autres phénomènes qui minent le monde du sport et en ternissent l’image: une trop grande différence de moyens entre compétiteurs rend les compétitions sportives inéquitables; des sportifs de plus en plus jeunes sont traités comme des marchandises; la bonne gouvernance du sport est affectée par les enjeux de pouvoir et par l’opacité des processus décisionnels.

Dès lors, les Etats membres du Conseil de l’Europe sont appelés à soutenir les travaux de l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) et à travailler ensemble avec les instances sportives pour renforcer le fair-play financier, assurer une protection efficace aux jeunes sportifs et améliorer les mécanismes de gouvernance au sein des institutions sportives, en tenant dûment compte des lignes directrices proposées.

Toutes les disciplines sportives sont concernées, mais le football est en première ligne. Ainsi, une responsabilité particulière incombe à la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) et il lui est instamment demandé de prendre les mesures nécessaires à éclaircir pleinement les faits sous-jacents aux divers scandales qui, dans les dernières années, ont terni son image et celle du football international.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 6 mars 2012.

(open)
1. Le sport a un rôle important dans le développement personnel et la cohésion sociale, en tant que puissant vecteur de transmission de valeurs et de modèles comportementaux positifs, en particulier vers le monde des jeunes. Ce rôle est étroitement lié au respect et à la promotion, par tous les acteurs du monde sportif, de principes éthiques élevés.
2. L’Assemblée parlementaire constate que, dans le contexte d'un sport mondialisé, des enjeux économiques considérables et l’irruption non maîtrisée de considérations purement financières mettent sérieusement en danger l’éthique du sport et amplifient le risque de dérives, voire d’actions criminelles, individuelles ou perpétrées par la criminalité organisée. Aux gangrènes du dopage, de la corruption et de la manipulation des résultats sportifs s’ajoutent d’autres phénomènes qui minent le monde du sport et en ternissent l’image.
3. L’Assemblée est préoccupée par le fait que les compétitions sportives deviennent inéquitables à cause d’une trop grande différence de moyens entre les compétiteurs; elle considère particulièrement grave et alarmant que des sportifs de plus en plus jeunes, voire des enfants, soient traités comme des marchandises. Par ailleurs, l’Assemblée ne peut s’abstenir d’observer avec inquiétude que la bonne gouvernance sportive, condition nécessaire de l’éthique sportive, est affectée par les enjeux de pouvoir et par une certaine opacité dans les processus décisionnels. Dans ce contexte, le football est en première ligne, mais les problèmes s’étendent progressivement à toutes les disciplines sportives.
4. Dès lors, l’Assemblée recommande aux Etats membres du Conseil de l’Europe et aux instances du mouvement sportif au niveau national et international d’œuvrer pour renforcer le fair-play financier, assurer une protection efficace aux jeunes sportifs et améliorer les mécanismes de gouvernance au sein des institutions sportives, en tenant dûment compte des «Lignes directrices sur la bonne gouvernance et l’éthique du sport» en annexe à la présente résolution, dont elles sont partie intégrante.
5. L’Assemblée recommande aussi aux Etats membres du Conseil de l’Europe de soutenir les travaux de l’Accord Partiel élargi sur le Sport (APES) du Conseil de l’Europe, et notamment l’élaboration du projet de recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres relative aux problèmes liés aux flux migratoires dans le sport.
6. L’Assemblée appelle spécifiquement la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) à prendre les mesures nécessaires pour éclaircir pleinement les faits sous-jacents aux divers scandales qui, dans les dernières années, ont terni son image et celle du football international. L’Assemblée insiste notamment pour que la FIFA:
6.1. accélère le processus de réforme de sa gouvernance interne et, dans ce contexte, renforce significativement les pouvoirs d’enquête de sa commission d’éthique;
6.2. publie l’intégralité des documents judiciaires ou autres se rapportant à l’affaire ISL/ISMM dont elle disposerait;
6.3. ouvre une enquête interne afin de déterminer si, et dans quelle mesure, lors de sa dernière campagne présidentielle, les candidats, et notamment le candidat élu, ont profité de leur position institutionnelle pour s’octroyer des avantages indus ou en octroyer à des électeurs potentiels.
7. Les présentes lignes directrices s’adressent aux Etats membres du Conseil de l’Europe et à toutes les instances du mouvement sportif, les uns et les autres ayant des responsabilités propres, mais étant appelés à travailler de façon coordonnée et à collaborer efficacement dans la recherche de solutions communes.
8. Leur but est de promouvoir une série d’actions visant:
8.1. à prévenir certaines dérives financières qui affectent l’équilibre financier des clubs sportifs et, en même temps, engendrent des iniquités entre ces derniers, faussant les compétitions;
8.2. à assurer une protection efficace aux jeunes sportifs;
8.3. à améliorer les mécanismes de gouvernance au sein des institutions sportives.
9. Elles ne concernent donc pas directement d’autres questions extrêmement graves qui sapent le sport et mettent en jeu son futur, telles que le dopage, la manipulation des résultats sportifs ou d’autres problèmes dont l’Assemblée s’est occupée dans d’autres rapports.
10. L’intervention des Etats dans les domaines visés doit tenir compte de la nécessité de préserver l’autonomie du mouvement sportif, mais aussi de l’exigence d’assurer que cette autonomie ne devienne pas un écran pour justifier l’inaction face aux dérives qui battent en brèche l’éthique sportive et aux agissements qui relèvent, ou devraient relever, du droit pénal.
11. Les cadres juridiques nationaux devraient comprendre une loi régulant l’activité sportive dans son ensemble et incluant des dispositions spécifiques pour traiter les problèmes qui ne peuvent pas trouver de solution efficace par les biais des réglementations sportives.
12. Les instances du mouvement sportif doivent rechercher une collaboration efficace entre elles et les synergies avec l’action des pouvoirs publics dans la lutte contre les dérives qui menacent l’éthique sportive. Elles doivent demeurer exemplaires dans leur fonctionnement interne et agir, dans le cadre de leur autonomie, sans jamais perdre de vue que le sport doit rester vecteur de valeurs positives qui contribuent au développement personnel, à la cohésion sociale et au rapprochement entre les peuples.
13. Pour favoriser une action coordonnée, les autorités gouvernementales et les instances sportives doivent promouvoir l’établissement de plateformes nationales réunissant de manière régulière les organisations en charge du sport et les syndicats des sportifs professionnels.
14. Finances des clubs et «fair-play financier»
14.1. Il faut renforcer le «fair-play financier» par l’adoption de normes imposant la transparence financière, limitant l’endettement et favorisant l’autofinancement des clubs. De telles contraintes budgétaires, ainsi que les mécanismes de contrôle nécessaires pour en assurer le respect effectif, doivent être établies par les fédérations ou organisations sportives concernées dans le cadre de l’autoréglementation. Les normes sur le fair-play financier adoptées par l’Union des associations européennes de football (UEFA) pourraient servir de modèle.
14.2. La généralisation du fair-play financier implique aussi l’établissement de normes et de mécanismes de contrôle au niveau des fédérations nationales qui sont nécessaires pour assurer le respect des conditions d'une concurrence équitable entre les clubs, contribuer à leur stabilité financière et garantir l'équité sportive. La Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG) française offre un modèle dont d’autres Etats et d’autres disciplines sportives pourraient s’inspirer.
14.3. Les Etats européens pourraient accompagner le mouvement sportif dans ces réformes par une meilleure harmonisation des normes nationales concernant la comptabilité des sociétés sportives, dans le but d’améliorer la transparence financière.
14.4. Par ailleurs, les Etats devraient assurer une application stricte de l’interdiction des aides publiques aux sociétés sportives professionnelles, conformément au droit de l’Union européenne.
15. Protection des jeunes sportifs
15.1. Pour contrer les problèmes les plus graves d’exploitation et de marchandisation des jeunes sportifs, les Etats membres du Conseil de l’Europe, y compris ceux qui n’ont pas encore ratifié ces textes, devraient garantir, aussi par le bais de contrôles efficaces, l’application stricte des dispositions pertinentes de la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations Unies, de la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163) du Conseil de l’Europe et de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197).
15.2. Les lois nationales sur le sport devraient inclure des dispositions visant la protection des jeunes sportifs nationaux et migrants, visant notamment:
15.2.1. à interdire les transferts commerciaux de sportifs de moins de 16 ans, afin d’éviter qu’un mineur devienne le simple objet d’une transaction financière;
15.2.2. à interdire la rémunération des intermédiaires pour des sportifs de moins de 16 ans (interdiction qui s’appliquerait aussi aux transferts non commerciaux);
15.2.3. à rendre contraignantes (pour tous les sports) des mesures s’inspirant des 10 recommandations pour l’accueil d’un jeune mineur étranger de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF) française;
15.2.4. à rendre obligatoire le double projet sportif et scolaire/professionnel sous peine d’annuler la mutation, quelle qu'en soit la forme juridique (transfert, prêt);
15.2.5. à interdire l’octroi aux sportifs de visas «étudiant» ou «touriste» et envisager l’introduction d’un visa spécial qui prenne en compte la spécificité du sport et permette le suivi des migrations de sportifs.
15.3. En l’absence d’une législation nationale sur le sport et en attendant d’adopter une telle législation spécifique, les Etats devraient au moins assurer la protection des sportifs mineurs par des dispositions appropriées dans les lois régissant les droits des enfants au travail.
15.4. Il faudrait engager, en collaboration avec l’Union européenne, l’harmonisation des législations nationales sur les agents sportifs, pour réglementer de manière cohérente, de même que cela a été fait pour d’autres catégories professionnelles, l’activité de ces agents et des intermédiaires non répertoriés comme agents sportifs mais agissant comme tels.
15.5. Les associations sportives nationales devraient promouvoir l’adoption de chartes ayant pour but de prévenir tout mauvais traitement moral ou physique causé à un sportif mineur et établir les mécanismes de contrôle nécessaires pour assurer le respect de ces chartes.
15.6. L’UEFA, pour accroître ses capacités de contrôle, pourrait instaurer un prélèvement obligatoire qui servirait à financer un système de suivi des conditions de transfert et d’accueil des sportifs mineurs, visant a détecter et à sanctionner les abus.
16. Gouvernance, transparence et lutte contre la corruption et les prises d’intérêt au sein des instances sportives
16.1. Les fédérations, associations, ligues professionnelles et autres organisations sportives devraient inscrire dans leurs codes d’éthique sportive les dispositions nécessaires à empêcher que des associations criminelles puissent infiltrer les organes de direction des sociétés ou instances sportives. Il faudrait empêcher le rachat de clubs sportifs par des capitaux dont on ne connaît pas la provenance en établissant l’obligation pour le club de se renseigner sur les propriétaires potentiels.
16.2. Les Principes universels de base de bonne gouvernance du Mouvement olympique et sportif, établis par le Comité international olympique (CIO) en 2008 doivent être respectés au sein de toutes les organisations sportives.
16.3. Au sein des fédérations sportives, il est nécessaire d’établir des mécanismes de contrôle qui rééquilibrent les pouvoirs de leur présidents et les responsabilisent face aux assemblées des membres (checks and balances).
16.4. Dans ce contexte, il faudrait limiter la durée des mandats électifs pour les présidents de fédérations (par exemple, un mandat de quatre ans, renouvelable une seule fois). En outre, il faudrait favoriser une pluralité de candidatures aux élections présidentielles au sein des fédérations sportives et encourager les candidatures féminines à tous les échelons.
16.5. Les normes statutaires des fédérations sportives doivent empêcher toute forme de conflit d’intérêt en interdisant les fonctions de dirigeants de fédérations à toute personne exerçant en même temps des fonctions de dirigeants dans un club.
16.6. Les mécanismes de gouvernance des fédérations sportives devraient viser à associer les sportifs aux grandes décisions ayant trait à la réglementation de leur sport. A cet égard, on pourrait favoriser la représentation des syndicats des joueurs et des sportifs ainsi que la présence d’anciens sportifs, reconnus pour leur probité, au sein des différentes commissions des fédérations.
16.7. Il faudrait améliorer, au sein de toutes les fédérations sportives, les dispositions concernant les commissions chargées d’examiner les candidatures pour l’organisation des événements sportifs internationaux majeurs; des règles astreignantes sur les personnes éligibles, les modalités d’élection dans ces commissions et leur modalités de fonctionnement devraient être édictées pour prévenir et sanctionner tout conflit ou prise d’intérêt par leurs membres, et des contrôles rigoureux devraient être prévus pour éviter toute tentative de corruption ou d’influence irrégulière sur la décision finale des membres votants. La possibilité d’inclure dans ces commissions des observateurs externes sans droit de vote devrait être envisagée.
16.8. Les associations et fédérations sportives à tous les échelons (régional, national, continental et international) devraient rendre public annuellement (via leurs sites internet et leurs rapports d’activité) le détail de leurs recettes et de leurs dépenses, ainsi que les rémunérations de leurs cadres supérieurs et de leurs dirigeants élus.

B. Exposé des motifs, par M. Rochebloine, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Mandat et étapes d’élaboration du rapport

1. Le 7 juillet 2010, avec d’autres collègues, j’ai déposé une proposition de résolution sur «La bonne gouvernance et l’éthique du sport» (Doc. 12336). Le 4 octobre 2010, cette proposition a été renvoyée pour rapport à la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias. Celle-ci m’a désigné comme rapporteur le 7 octobre 2010.
2. Le 29 juin 2011, une proposition de résolution sur «Plus de transparence et de bonne gouvernance à la FIFA» a été présentée par M. Pieter Omtzigt et plusieurs autres collègues (Doc. 12673). L’Assemblée l’a renvoyée le 3 octobre 2011 à la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias afin qu’elle en tienne compte dans la préparation du présent rapport.
3. Le 6 décembre 2011, la commission a tenu une audition à laquelle ont participé:
  • Mme Maud De Boer-Buquicchio, Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l'Europe;
  • M. Bernard Amsalem, président de la Fédération française d’athlétisme (FFA) et chef de mission pour les jeux Olympiques de Londres 2012;
  • M. Jean-Pierre Mougin, secrétaire général, Comité national olympique et sportif français (CNOSF);
  • M. Dominique Rocheteau, ancien président de la commission d’éthique de la Fédération française de football (FFF), membre de la commission d’éthique de la Fédération internationale de football association (FIFA);
  • M. Frédéric Sitterlé, président du Racing Club de Strasbourg;
  • Mme Maryse Ewanjé-Epée, ancienne athlète et journaliste, France;
  • M. Andrew Jennings, journaliste d’investigation, Royaume-Uni, qui avait déjà préparé à ma demande un rapport sur les problèmes de corruption au sein de la FIFA, distribué à cette occasion.
4. A la suite de cette audition, j’ai décidé d’approfondir l’analyse des questions concernant l’éthique, la bonne gouvernance et la transparence dans les institutions sportives et dans la FIFA en particulier. A cet égard, j’ai eu, le 15 décembre 2011, une rencontre avec M. Julien Zylberstein, chargé des affaires européennes de l'Union des associations européennes de football (UEFA), puis, le 17 janvier 2012, une rencontre avec Mme Fani Misailidi, responsable des affaires européennes à la Direction des affaires juridiques de la FIFA. En outre, j’ai organisé un échange de vues avec M. Nicolas Maingot, directeur adjoint de la communication et des affaires publiques de la FIFA, le 26 janvier 2012; Mme Misailidi était également présente. Je souhaite remercier ces experts de leurs précieuses contributions.
5. J’ai également, par l’entremise du Secrétariat de la commission, pris contact avec M. Thomas Hildbrand, procureur du canton de Zoug (Suisse) qui a été chargé de l’affaire ISL (évoquée par M. Andrew Jennings lors de l'audition), pour vérifier la possibilité de l’auditionner ou d’avoir une rencontre avec lui. A cet effet, un courrier a été adressé au procureur général du canton de Zoug, M. Christian Aebi. Une consultation a eu lieu avec le ministère des Affaires étrangères suisse, qui a autorisé la transmission des éléments d’information que j’ai sollicités. Ensuite, le procureur général a demandé à la Haute Cour de Zoug la levée du secret concernant le dossier en question. La Haute Cour a fait droit à cette demande par ordonnance du 14 février 2012.

1.2. Champ de l’enquête et finalité du rapport

6. On associe couramment au sport un certain nombre de valeurs qui favorisent un développement sain de la personne tant dans la relation avec soi-même (engagement, effort, discipline, force de caractère, esprit de sacrifice, recherche d’une amélioration de sa propre performance, mais aussi acceptation de ses propres limites) qu’avec les autres (solidarité et esprit d’équipe, loyauté, respect des règles du jeu, respect des adversaires et reconnaissance de leur valeur) 
			(2) 
			Le
Code d'éthique sportive révisé annexé à la Recommandation No.
R (92) 14 rev du Comité des Ministres, dans son paragraphe 6, rappelle
que l’activité sportive exercée de manière loyale «permet à l'individu
de mieux se connaître, de s'exprimer et de s'accomplir; de s'épanouir,
d'acquérir un savoir-faire et de faire la démonstration de ses capacités».
Il ajoute que le sport «permet une interaction sociale» et qu’il
«offre l'occasion de s'impliquer et de prendre des responsabilités
dans la société»..
7. En outre, la compétition sportive a une dimension sociale d’importance extrême, comme occasion de rencontre entre populations différentes. Le sport dépasse ainsi la dimension individuelle et l’on s’attend à ce qu’il favorise la paix, l’amitié et le respect réciproque entre les membres d’une même société et entre les peuples. Le sport est donc bien plus que du spectacle: c’est un phénomène sociétal à l’échelle mondiale.
8. L’image du sport et des sportifs est un puissant vecteur de transmission des ces valeurs et des modèles comportementaux positifs, en particulier vers le monde des jeunes. Mais les bienfaits du sport et son apport à la construction d’une société meilleure sont étroitement liés à ce que l’on nomme «l’éthique du sport». Il s’agit d’une notion qui renvoie à l’intégrité morale personnelle du sportif, mais aussi à l’intégrité collective des équipes, des associations ou sociétés sportives, voire des supporteurs. Sans le respect de cette éthique, l’image du sport se ternit et le message véhiculé devient malsain, voire dangereux.
9. L’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont réalisé nombre de travaux sur des sujets en rapport avec l’idée d’intégrité et d’éthique dans le sport. Parmi les questions les plus importantes et sensibles, celles concernant le dopage, le racisme et la violence des spectateurs ont été traitées par des rapports précédents de l’Assemblé parlementaire et font l’objet de deux conventions du Conseil de l’Europe. Il n’est pas envisagé d’y revenir dans le cadre du présent rapport.
10. Le point de départ de ce rapport est le constat que l’affirmation des principes éthiques et leur respect effectif sont sérieusement mis en danger par des intérêts économiques (individuels ou collectifs), mais aussi par des enjeux de pouvoir au sein des structures sportives (clubs et fédérations). Ces facteurs remettent en question l’éthique du sport et transforment l’organisation et le déroulement des compétitions sportives en occasions de comportements déloyaux, de tricherie, de fraudes et de gains illégaux, et même d’abus notamment envers les jeunes sportifs.
11. Malheureusement, les épisodes se multiplient à la une des journaux: la corruption généralisée d’arbitres de football dans l'affaire «Calciopoli» en Italie, celle du bannissement à vie de toute activité liée au football de Mohamed Bin Hammam, condamné pour l’achat d’une voix à l’élection à la présidence de la FIFA, ou encore la faillite de plusieurs clubs professionnels en Angleterre, en Espagne, en France ou en Italie. Par ailleurs, les scandales sportifs qui éclatent au grand jour ne sont que la pointe de l’iceberg: les experts savent bien que la partie cachée, mal connue par le public, a des dimensions encore plus importantes et préoccupantes.
12. Au-delà de la répression des infractions relevant du droit pénal, le but du présent rapport est de vérifier si et comment il serait possible d’intervenir au niveau des mécanismes de gestion et de gouvernance des structures sportives pour mieux contrer les risques éthiques engendrés par les enjeux économiques ou de pouvoir.
13. La bonne gouvernance, à tous les échelons, est une condition nécessaire de l’éthique sportive. C’est donc la relation entre «bonne gouvernance» et «éthique» dans le monde du sport qui est au cœur de notre analyse. Le football se trouve souvent en première ligne quand on évoque la notion de bonne gouvernance et d’éthique dans le sport, mais les problèmes dénoncés par ce rapport affectent, avec une intensité variable selon les cas, toutes les disciplines sportives. Les chapitres qui suivent développent l’analyse de trois questions particulièrement complexes et importantes, à savoir: «le fair-play financier», «la protection des jeunes sportifs migrants» et «la bonne gouvernance et la transparence dans les instances sportives».

2. Le fair-play financier

14. Le monde du sport, et notamment son niveau professionnel, est étroitement lié à des activités commerciales hautement lucratives. Le développement continu de la dimension économique du sport, soutenu également par son internationalisation, s’exprime entre autres dans les montants consacrés à l’achat des droits de retransmission télévisée, aux transferts et aux rémunérations des sportifs par les clubs les plus prestigieux, et aux contrats publicitaires négociés par les marques des produits sportifs. Même la crise économique n’a pas réellement mis un frein à la surenchère et l’ampleur des enjeux financiers ne cesse de s’accroître.
15. L’irruption non maîtrisée des réflexes purement financiers amplifie le risque de dérives. Pour cette raison il est indispensable que l’économie du sport européen reste solidement ancrée sur un ensemble de valeurs fondamentales qui permettent d’assurer le maintien d’une certaine éthique. Le fair-play financier est un concept clé évoqué à cet égard.
16. Ce concept lie la notion traditionnelle de fair-play sportif à la dimension financière de la gestion des clubs (associations ou sociétés) sportifs. Il est donc utile de partir de la notion générale de fair-play sportif pour mieux comprendre celle, spécifique, de fair-play financier, avant d’examiner les mécanismes mis en place en France, puis au niveau européen pour le garantir et de discuter des autres problèmes et de la manière de les affronter.

2.1. Du fair-play sportif au fair-play financier dans le sport

17. Le «Code d'éthique sportive» annexé à la Recommandation n° R (92) 14 rev du Comité des Ministres explique que le fair-play ne se limite pas au simple respect des règles et qu’il couvre aussi les notions de respect de l’autre et d’esprit sportif (paragraphe 5). Le fair-play s’oppose donc à toute forme de violence, mais aussi à l’exploitation et à l’inégalité des chances; à la corruption, mais aussi à la commercialisation excessive; au dopage et à la tricherie, mais aussi à l’art de ruser tout en respectant les règles.
18. Le Code d’éthique sportive insiste sur le fait que «les considérations éthiques à l’origine du fair-play ne sont pas un élément facultatif mais quelque chose d’essentiel à toute activité sportive, toute politique et toute gestion dans le domaine du sport et qu’elles s’appliquent à tous les niveaux de compétence et d’engagement de l'activité sportive, et aussi bien aux activités récréatives qu’au sport de compétition» (paragraphe 1).
19. Il souligne aussi que «[l]a société et l’individu ne pourront profiter pleinement des avantages potentiels du sport que si le fair-play cesse d'être une notion marginale pour devenir une préoccupation centrale» (paragraphe 7) de tous les opérateurs: de chaque individu en tant que spectateur ou supporter aux gouvernements (à tous les niveaux), en passant par les professeurs et moniteurs, les sportifs (notamment ceux de haut niveau qui servent de modèle) et les personnes qui les accompagnent (entraîneurs, médecins et d’autres), les arbitres, les opérateurs commerciaux, les médias, les organisations sportives, en particulier les fédérations sportives et les instances dirigeantes.
20. Le sport reste une activité spécifique que l’on ne peut pas assimiler entièrement aux autres activités à caractère économique. Il a ses valeurs propres (qui doivent être mises en avant par ceux qui dirigent le sport, par ceux qui l’encadrent et par ceux qui le pratiquent), une fonction sociale qui nécessite que le milieu sportif reste exemplaire, et une dimension particulière liée à la place du «jeu» et de l’incertitude dans la compétition sportive. Cette dimension est également à la base de l’attachement du public au spectacle sportif.
21. Cela justifie que l’on puisse demander aux clubs sportifs professionnels d’accepter des contraintes supplémentaires par rapport à celles habituellement imposées aux sociétés commerciales. Il ne s’agit pas simplement de respecter les règles propres à toute activité économique dans une société de marché, mais de tempérer certains effets que l’application des principes du libre marché peut engendrer, au nom de la nécessité de préserver les valeurs propres du sport et sa fonction sociale essentielle.
22. C’est d’abord dans le monde du football professionnel que l’exigence d’intervenir pour une meilleure discipline financière s’est fait sentir. Depuis plusieurs années, on constate une tendance inflationniste des dépenses concernant les salaires et les indemnités de transfert des joueurs et une dégradation générale des finances des clubs de football, plusieurs ayant essuyé de manière répétée des pertes financières, parfois énormes.
23. Les recettes des clubs de football – notamment les droits de retransmission télévisuelle, mais aussi les recettes liées au sponsoring et à la vente des produits dérivés – ont augmenté, mais leurs dépenses se sont envolées. Les salaires sont la cause principale du déséquilibre budgétaire. Ils ont connu une croissance exorbitante dans les quinze dernières années et représentent un poids de plus en plus lourd dans les comptes des clubs européens (par exemple, en France, 74% du chiffre d'affaires des clubs en ligue 1 en 2010, contre 61% en 2006).
24. Près de la moitié des clubs européens sont déficitaires et les cinq plus importants championnats européens sont endettés. Par ailleurs, paradoxalement, ce sont les grands clubs, les plus riches, qui s'endettent massivement. Par exemple, la dette de Manchester United s'élève actuellement à plus de 800 millions d'euros; le FC Barcelone a eu un déficit de 77 millions d'euros pour la seule saison 2009-2010.
25. Cette situation est non seulement perçue comme une source d'inquiétudes concernant la pérennité du football européen mais aussi comme une source d'inégalités, les clubs moyens et petits ne pouvant disposer des mêmes ressourses que les grands. Pour faire une comparaison avec d’autres secteurs économiques, on pourrait dire que les grands clubs ont une position dominante et qu’ils l’exploitent à fond.
26. Il faut souligner que des signes inquiétants de surenchère dans les salaires des joueurs professionnels apparaissent désormais dans d’autres sports d’équipe en Europe. Sans vouloir nier le droit pour les sportifs de haut niveau de bénéficier de rémunérations en juste rapport avec les bénéfices économiques qu’ils engendrent en faveur de leurs sociétés, il ne faut pas que dans des sports comme le rugby, le basket-ball, le cyclisme par équipe ou d’autres, on puisse connaître les excès que l’on dénonce actuellement dans le monde du football professionnel masculin.
27. Il faut aussi protéger de ces excès le développement des sports d’équipe féminins, en ayant cependant égard à la différence très (et peut-être trop) importante qui existe actuellement entre les salaires des sportifs et celui des sportives.

2.2. Les normes garantissant le respect du fair-play financier en France et en Europe

28. Dans le contexte européen, la situation du football professionnel français constitue une exception. Une Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) a été établie au sein de la Fédération française de football (FFF) 
			(3) 
			Pour
une présentation plus exhaustive, voir le site <a href='www.lfp.fr/corporate/dncg'>www.lfp.fr/corporate/dncg#missions</a> Il faut noter qu’en France la loi (article L 132-2 du
Code du sport) prévoit l’obligation pour chaque fédération disposant
d’une ligue professionnelle de créer un organisme assurant le contrôle
juridique et financier des associations et sociétés sportives. La
création d’une ligue professionnelle n’est cependant pas une obligation.. La commission de contrôle des clubs professionnels de la DNCG effectue, chaque saison, un contrôle de la situation juridique et financière de tous les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 
			(4) 
			Dans le cadre de la
mission confiée à la DNCG par la loi du 16 juillet 1984 modifiée,
ainsi que par les règlements de la Fédération française de football
et de la Ligue de football professionnel., sur la base des données financières (historiques et prévisionnelles) qu’ils communiquent.
29. Le principal objectif de ce contrôle est d’assurer la pérennité et l’équité des compétitions, en vérifiant notamment que les dépenses de chaque club n’excèdent pas ses capacités financières. Pour que la DNCG puisse mener à bien cette mission, les clubs ont des obligations concernant:
  • la transmission de documents (comptables, financiers, juridiques ou autres);
  • la tenue de la comptabilité (par exemple l’obligation de respecter le plan comptable type adopté par la FFF);
  • la soumission aux procédures de contrôle (sur pièces et sur place).
30. En cas de non-respect par les clubs de ces obligations et/ou en fonction de leur situation financière, la DNCG, pourra prendre des mesures à leur encontre visant à éviter les dérives en termes de gestion. En particulier, la DNCG peut prendre des sanctions concernant les effectifs (par exemple: interdiction partielle ou totale de recruter de nouveaux joueurs; recrutement contrôlé avec limitation du budget prévisionnel ou de la masse salariale prévisionnelle; limitation du nombre de joueurs pouvant être mutés dans l’équipe première), et des décisions concernant la participation du club aux compétitions (rétrogradation dans la division inférieure; interdiction d'accéder à la division supérieure; exclusion des compétitions). Ces décisions peuvent faire l’objet de recours internes puis de recours devant les tribunaux administratifs.
31. Ce mécanisme a amélioré la transparence des budgets des clubs et a permis d’assainir leur gestion financière. La rigueur budgétaire qui leur est imposée favorise l’équilibre du marché des transferts. Mais si l’action de la DNCG renforce l’éthique sportive en France, elle désavantage (dans une certaine mesure) les clubs français par rapport aux autres clubs, qui se retrouvent placés dans des conditions financières différentes suivant les pays où ils évoluent.
32. Pour faire face à cette inégalité, l’établissement d’un système au niveau européen était souhaitable. Ainsi, l’UEFA, sous l’impulsion de son président, Michel Platini, a proposé de discipliner les finances des clubs de football européens et a approuvé, en mai 2010, un «Règlement sur l’octroi de licences aux clubs et le fair-play financier» 
			(5) 
			<a href='http://www.uefa.com/MultimediaFiles/Download/uefaorg/Clublicensing/01/50/09/23/1500923_DOWNLOAD.pdf'>http://www.uefa.com/MultimediaFiles/Download/uefaorg/Clublicensing/01/50/09/23/1500923_DOWNLOAD.pdf</a>, en instituant au niveau européen un système de supervision dont les objectifs s’inspirent de ceux de la DNCG française.
33. En particulier, comme le précise son article 2.2, ce règlement «vise à garantir le fair-play financier dans les compétitions interclubs de l’UEFA, et notamment:
a. à améliorer les performances économiques et financières des clubs et à renforcer leur transparence et leur crédibilité;
b. à accorder l’importance nécessaire à la protection des créanciers, en s’assurant que les clubs s’acquittent de leurs dettes (…);
c. à introduire davantage de discipline et de rationalité dans les finances des clubs;
d. à encourager les clubs à fonctionner sur la base de leurs propres revenus;
e. à promouvoir les investissements responsables dans l’intérêt à long terme du football;
f. à protéger la viabilité à long terme et la pérennité du football interclubs européen.»
34. L’ensemble des dispositions concernant la discipline financière des clubs est entré en vigueur le 1er juin 2011. Parmi les mesures concrètes pour atteindre ses buts, le règlement établit l’obligation pour les clubs de présenter des informations comptables détaillées et d’équilibrer leurs comptes: ils ne devront pas dépenser plus que les revenus qu'ils génèrent. Les clubs à haut risque devront faire état de leurs plans stratégiques.
35. Les comptes financiers des clubs seront soumis à une évaluation pluriannuelle par le «Panel de contrôle financier des clubs», mis en place pour assurer le respect par tous les clubs de ces nouvelles règles. La mise en application se fera de façon progressive et un écart sera toléré dans les limites fixées 
			(6) 
			Pour la première période
de surveillance (saisons 2011-2012 et 2012-2013) un déficit cumulé
de 5 millions d'euros est toléré. Cette somme peut être relevée
à 45 millions si les actionnaires acceptent de combler l'écart.
Pour la deuxième période (de 2014 à 2017), l’écart toléré ne sera
que de 30 millions d'euros. Il faut cependant noter que toutes les dépenses
ne seront pas prises en compte; tel est le cas, par exemple, des
coûts liés à la formation de jeunes joueurs ou à la construction
d'un nouveau stade. . Pour les clubs ne respectant pas les critères d’équilibre budgétaire, les sanctions pourront aller de l'interdiction de recruter à l'exclusion des compétitions européennes.
36. Les premières sanctions pourraient être prononcées en 2013 et l'interdiction de participer aux coupes européennes en 2014-2015. L’UEFA a précisé que le règlement sera appliqué de la même façon pour tous les clubs, y compris les plus grands. Pour comprendre l’impact potentiel de ces mesures, il suffit de mentionner que 11 des 32 clubs engagés en Ligue des champions lors de la saison 2010-2011 ne répondaient pas aux critères du fair-play financier.

2.3. Problèmes restants concernant la mise en œuvre du fair-play financier et éléments de réflexion

37. Cependant, les mesures introduites par l’UEFA ne peuvent pas faire disparaître l'écart entre les clubs européens. Les clubs ne génèrent pas les mêmes ressources: les plus riches continueront donc à attirer les meilleurs joueurs. Par ailleurs, l’UEFA ne sanctionnera pas (du moins à ce stade) la dette existante des clubs, même si les mesures d’assainissement financier devront tenir compte du poids du remboursement de cette dette.
38. Il est encore trop tôt pour juger si, et dans quelle mesure, la nécessité de réduire les dépenses entraînera une diminution des salaires, et si cette baisse frappera réellement l’ensemble des joueurs (y compris les grands champions). Sans doute les clubs chercheront-ils, si possible, à augmenter encore leur recettes. Ils pourraient demander, par exemple, un investissement plus important des sponsors pour réduire ou effacer les déficits.
39. Il faudra faire attention à empêcher que, par ce biais, le fair-play financier soit contourné. Un cas d’école est celui de Manchester City, qui a passé un contrat estimé à 400 millions de livres (soit plus de 450 millions d’euros) avec la compagnie aérienne Etihad. Or, Etihad appartient à la famille princière d'Abou Dhabi, et le propriétaire du Manchester City est le groupe Abu Dhabi United (ADUG) dirigé par Suleiman Al-Fahim. Pour éviter de telles opérations abusives, l'UEFA devrait interdire aux clubs de se sponsoriser eux-mêmes ou de passer par des organismes apparentés pour le faire. Il faudra aussi surveiller les «achats» des sponsors, qui ne devraient pas surpayer les droits qu’ils acquièrent.
40. Par ailleurs, on peut craindre que les clubs ne soient tentés de masquer leur déficit par des artifices comptables ou des opérations illégales (comme le paiement d’une partie des salaires en sous-main), que l’UEFA aurait alors du mal à détecter. Faut-il donc que l’on envisage d’autres mesures?
41. Il a été discuté de l’opportunité d’un plafonnement de la masse salariale des clubs (salary cap) et/ou d’une limitation du nombre de contrats professionnels pouvant être souscrits par les sociétés sportives (ce qui correspond à une limitation des joueurs professionnels pouvant être recrutés dans une équipe). On a vu que de telles restrictions sont appliquées dans des cas concrets en tant que sanctions par la DNCG française. La généralisation de l’une et/ou de l’autre mesure favoriserait sans doute une meilleure maîtrise budgétaire, mais présenterait aussi des inconvénients majeurs.
42. Ainsi, l’imposition d’un salary cap pourrait accroître la tentation de réduire les salaires des joueurs moins connus (notamment des jeunes ou de ceux qui arrivent des pays d’Afrique ou d’Asie), d’effectuer des opérations en sous-main ou de favoriser des arrangements avec les sponsors pour transférer sur eux une partie des coûts (contre des avantages sous-payés). Cette mesure ne semble d’ailleurs pas avoir beaucoup de soutien. La limitation du nombre de contrats professionnels ne serait pas efficace pour favoriser la baisse des gros salaires, pourrait également pénaliser les jeunes joueurs et priver bon nombre d’entre eux de chances réelles de s’affirmer, et pourrait enfin, à terme, affecter les politiques de formation.
43. Dans les deux cas, un problème fondamental est la difficulté d’appliquer à tous et partout les mêmes normes: d’un pays à l’autre et selon les cas, les variables sont nombreuses et un traitement uniforme pourrait engendrer des iniquités. D’autre part, il ne semble pas envisageable d’adopter des standards variables en fonction des circonstances, car il deviendrait alors illusoire de parler de normes communes. En conséquence, il semble peu vraisemblable qu’un accord puisse être atteint au niveau international sur de telles mesures. Cela explique la solution plus simple choisie par l’UEFA: imposer le respect d’un certain équilibre budgétaire.
44. Il convient de noter qu’une partie du problème repose sur les différences entre législations nationales et sur les soutiens indirectement accordés aux clubs par les pouvoirs publics. La fiscalité et les charges sont différentes selon les pays; ces facteurs ont un impact certain sur les dépenses liées aux salaires des joueurs et donc faussent d’une certaine manière la concurrence. Par ailleurs, les campanilismes locaux et nationaux ne doivent pas se traduire en soutien financier déloyal à certaines équipes.
45. A cet égard, la question se pose de savoir à partir de quel moment le financement des infrastructures sportives, leur revente aux sociétés sportives ou leur mise à disposition aux équipes, l’octroi de subventions, de prêts, d’avantages fiscaux ou d’autres avantages financiers, les dons, l’achat par les pouvoirs publics d’espaces publicitaires voire de structures appartenant aux clubs – ou d’autres mesures de soutien aux sociétés sportives –, peuvent fausser sensiblement la concurrence entre clubs en donnant un avantage indu à certains d’entre eux. Par exemple, au début des années 2000, le Real Madrid a pu revendre à la ville son terrain d’entraînement pour plus de 400 millions d’euros.
46. Une application stricte de l’interdiction des aides d’Etat aux sociétés sportives professionnelles – qui sont par définition engagées dans des activités économiques et relèvent donc de la notion d’entreprise aux fins du droit communautaire 
			(7) 
			Voir, par exemple,
les explications sur les aides publiques en faveur du sport sur
le site de la Commission européenne: http://ec.europa.eu/sport/white-paper/swd-the-economic-dimension-of-sport_fr.htm. – est nécessaire. En outre, il conviendrait d’imposer au niveau national la plus grande transparence financière dans toutes les opérations impliquant l’utilisation de fonds publics à l’avantage du sport professionnel; et ce, pour éviter que la survie de sociétés incapables de mettre en place une gestion financière saine soit payée par les contribuables.
47. Enfin, les Etats pourraient accompagner les efforts des fédérations nationales et européennes par une meilleure harmonisation des normes sur la comptabilité des clubs sportifs, dans le but notamment de renforcer la transparence financière et de prévenir les opérations comptables opaques et les artifices destinés à contourner les règles visant à favoriser un certain équilibre entre les recettes et les dépenses.

3. La protection des jeunes sportifs migrants

48. Le phénomène des migrations des sportifs vers l’Europe n’est pas récent: il existait déjà aux débuts du sport moderne à la fin du XIXe siècle, mais n’était pas généralisé. La mondialisation a entraîné sa massification et son internationalisation. Il n’est pas rare aujourd’hui que les clubs de football, de basket, de hockey sur glace ou de handball aient une majorité de joueurs ayant une nationalité différente du pays dans lequel ils évoluent.
49. Le sport fait rêver les jeunes. Nonobstant le peu de chances qu’il y a de devenir des sportifs professionnels, nombre de jeunes vivent dans l’illusion que c’est eux qui vont réussir. L’Europe, dont les ligues prestigieuses attirent des jeunes de partout, est davantage confrontée aux flux migratoires de jeunes footballeurs (notamment en provenance d’Afrique et d’Amérique du Sud) que les autres continents. Ces migrations se réalisent sous forme de transferts 
			(8) 
			Le transfert de joueurs
est l’acte juridique permettant à un joueur licencié de quitter
une société pour rejoindre une autre entreprise sportive. On parle
donc d’une «négociation», d’un «contrat» et du «montant de l’indemnité
de transfert». , de prêts, ou de mises à l’essai. Leur nombre est en augmentation.
50. Les migrations de sportifs mineurs soulèvent des problèmes à la fois juridiques et éthiques 
			(9) 
			Le présent rapport
aborde la question surtout du point de vue du jeune sportif migrant,
mais la massification des flux de transferts des jeunes sportifs
doit faire réfléchir aussi sur la fuite des talents sportifs et
le risque d’une destruction des perspectives de sport de pointe
au niveau national.. Les réponses sont à ce jour insuffisantes, et il est donc nécessaire d’approfondir la réflexion sur la manière de traiter ce phénomène.

3.1. Les problèmes liés à la migration des jeunes sportifs: des abus graves mais peu visibles

51. Depuis les années 1980, les clubs sportifs se sont développés en sociétés sportives professionnelles et disposent aujourd’hui de moyens financiers qui leur permettent d’aller trouver de jeunes talents de plus en plus loin. Ils ont aussi développé des académies (centres de formation) permettant de former les futurs talents de demain, ce qui les pousse à aller chercher des sportifs étrangers de plus en plus jeunes.
52. Certains clubs de football comme l’AJ Auxerre en France, l’Ajax d’Amsterdam aux Pays-Bas, le FC Barcelone en Espagne, l’Arsenal FC en Angleterre ont l’appellation de «club formateur». Ils sont reconnus pour la qualité de leur formation dans les catégories de jeunes et fournissent généralement d’autres clubs en jeunes joueurs. A titre d’exemple, Lionel Messi, le footballeur argentin considéré actuellement comme le meilleur joueur au monde, est arrivé à Barcelone à l’âge de 13 ans.
53. Mais le cas de Messi n’est plus aujourd’hui un cas exceptionnel. D’après des chercheurs 
			(10) 
			Roger
Besson, Raffaele Poli et Loïc Ravenel, «Etude démographique des
footballeurs en Europe», CIES, édition 2010. ayant réalisé des statistiques sur les transferts des joueurs professionnels en 2010, 7,38% des premières migrations internationales se font avant l’âge de 18 ans 
			(11) 
			On
peut aussi noter que la majorité des joueurs mineurs effectuant
un premier transfert international le réalisent à partir de 16 ans., ce qui constitue un pourcentage significatif.
54. Par ailleurs, dans certains cas, il s’agit carrément d’enfants. Manchester United avait fait parler de lui en 2007, en recrutant un enfant australien de neuf ans après avoir visionné un DVD envoyé par un membre de sa famille 
			(12) 
			Le
site internet de la FIFA met même en avant ce «recrutement»: <a href='http://fr.fifa.com/worldfootball/clubfootball/news/newsid=562675.html'>http://fr.fifa.com/worldfootball/clubfootball/news/newsid=562675.html</a>. En 2011, Manchester United a recruté un anglais de cinq ans qui avait été repéré à l’âge de trois ans 
			(13) 
			Récit disponible en
anglais: <a href='www.thesun.co.uk/sol/homepage/news/3936889/New-little-devil-is-a-City-fan.html'>www.thesun.co.uk/sol/homepage/news/3936889/New-little-devil-is-a-City-fan.html</a>. Celui-ci s’entraîne désormais tous les jours à Manchester comme un professionnel. Toujours en 2011, le Real Madrid a engagé un enfant argentin de sept ans, arrivé depuis peu en Espagne 
			(14) 
			Disponible
à l’adresse suivante sur le site Internet d’un grand quotidien sportif
français: <a href='www.lequipe.fr/Football/breves2011/20110808_144609_un-argentin-de-7-ans-au-real.html'>www.lequipe.fr/Football/breves2011/20110808_144609_un-argentin-de-7-ans-au-real.html</a>.
55. On prend rarement en compte le fait que les jeunes sportifs en question sont amenés loin de leurs repères affectifs (famille, amis, maison, etc.), vers une destination qu’ils ne connaissent généralement pas, dans un pays dont ils ne parlent parfois pas la langue, avec une culture et des règles qui leur sont étrangères (plats culinaires, croyances religieuses, modalités et procédures administratives, manière de s’habiller, conditions météorologiques, règles d’hygiène, etc.).
56. Par ailleurs, des situations encore plus difficiles peuvent surgir si le déplacement et le séjour se font non pas après la conclusion d’un contrat mais en vue de sa conclusion et sous réserve de réussir des tests ou une période d’essai. Le non-renouvellement des contrats avec les sportifs en question peut poser des problèmes similaires s’il ne s’accompagne pas d’un nouveau transfert. Certains jeunes peuvent ainsi être tentés de choisir la clandestinité.
57. Dans des cas graves, on peut parler d’une véritable exploitation, y compris avec la complicité de la famille. Il arrive malheureusement que les proches d’un jeune sportif ou d’une jeune sportive cherchent à bénéficier financièrement de son talent, parfois même au détriment de son bon développement psychomoteur. De nombreux parents cherchent à «vendre» leurs enfants à des clubs, des académies ou à des agents sportifs, pour les envoyer et pouvoir les suivre en Europe, où les conditions de vie sont bien meilleures que dans leurs pays d’origine.
58. L’apparition d’escrocs et de faux agents, de profiteurs qui abusent de la confiance des jeunes pour se faire de l’argent en toute illégalité, est un autre phénomène préoccupant, dont les conséquences peuvent être dramatiques. Après une mise à l’essai qui tourne mal, voire après des engagements non maintenus par des intermédiaires peu scrupuleux, nombre de jeunes attirés en Europe par le rêve de jouer dans un grand club sont abandonnés chaque année, sans ressources ni papiers. Une association en région parisienne recueille chaque année des centaines de jeunes africains qui se retrouvent dans cette situation. Il faut résolument lutter contre de telles pratiques et mieux protéger ces jeunes.
59. L’étude sur les agents sportifs dans l’Union européenne, commanditée par la Commission européenne et parue en 2009 
			(15) 
			Document disponible
à: 
			(15) 
			http://ec.europa.eu/sport/library/doc/c10/etude_agents_sportifs_rapport_final_novembre_2009.pdf. expose un «scénario classique de la traite des footballeurs» qui illustre bien la responsabilité de ces agents. On peut y lire notamment que: «il y a très peu de recrutements et de contrats proposés par rapport à l'ampleur du flux, ce qui entraîne une grande masse de laissés pour compte qui hésitent à rentrer dans leurs pays d'origine et tentent de rester en Europe quelles qu’en soient les conditions.».
60. Même en dehors des cas extrêmes mentionnés ci-dessus, d’autres problèmes se posent aux jeunes sportifs migrants. Ils sont particulièrement vulnérables aux discriminations et aux abus, car ils ignorent (ou connaissent mal) leurs droits et notamment la législation nationale du travail du pays qu’ils rejoignent. Ils sont aussi exposés aux difficultés d’intégration dans le pays d’accueil et au risque de déculturation: pour un jeune sportif africain, asiatique ou américain, le changement de langue, de nourriture, de qualité de vie peut avoir pour conséquence une perte de sa culture d’origine à cause du changement brutal d’environnement ainsi qu’une perte totale de repères sur le plan psychologique. Un autre risque est celui d’une éducation sacrifiée ou d’une déscolarisation. A cet égard, si dans certains sports une obligation de scolarisation existe bel et bien, de nombreux sportifs de haut niveau choisissent leur carrière sportive au détriment de la poursuite de leurs études, leur programme d’entraînement hebdomadaire très chargé ne leur permettant pas d’avoir d’autres activités.

3.2. Le cadre normatif international: les principales normes de référence 

61. Une première référence normative pour la protection des sportifs mineurs conduits à migrer est la Convention internationale des droits de l’enfant 
			(16) 
			Au
sens de cette convention, «un enfant s'entend de tout être humain
âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus
tôt en vertu de la législation qui lui est applicable» (article
premier).  (adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa Résolution 44/25 du 20 novembre 1989). Son article 11 dispose que «Les Etats parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger». Le caractère sportif ne saurait être invoqué pour déroger à ce principe et les migrations sportives sont donc pleinement concernées par ces «déplacements illicites». Par ailleurs, selon l’article 19, «[l]es Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation (…)». Cette disposition entre clairement en ligne de compte dans certaines situations particulièrement graves d’exploitation et d’abandon.
62. Des normes similaires à celles de la Convention des Nations Unies se retrouvent à l’échelon européen dans la Charte sociale européenne (révisée) du Conseil de l’Europe (STE no 163). S’agissant du droit des enfants et des adolescents à une protection sociale, juridique et économique, cette convention prévoit que «[e]n vue d’assurer aux enfants et aux adolescents l’exercice effectif du droit de grandir dans un milieu favorable à l’épanouissement de leur personnalité et au développement de leurs aptitudes physiques et mentales, les Parties s’engagent à prendre (…) toutes les mesures nécessaires et appropriées tendant: (…) à protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation;» (article 17.1.b).
63. La Charte sociale consacre son article 19 au «droit des travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et à l'assistance (…)». Cet article inclut plusieurs dispositions spécifiques y compris, par exemple, l’engagement des parties «à adopter, dans les limites de leur juridiction, des mesures appropriées pour faciliter le départ, le voyage et l'accueil de ces travailleurs et de leurs familles, et à leur assurer, dans les limites de leur juridiction, pendant le voyage, les services sanitaires et médicaux nécessaires, ainsi que de bonnes conditions d'hygiène;» (article 19.2).
64. Certains cas de maltraitance morale ou physique des jeunes sportifs pourraient même relever de la définition de la «traite» au sens de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197). Aux fins de cette convention «l’expression "traite des êtres humains" désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation» (article 4.a).
65. Par ailleurs, «le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant [ce terme désignant toute personne âgée de moins de 18 ans] aux fins d’exploitation sont considérés comme une "traite des êtres humains" même s’ils ne font appel à aucun des moyens énoncés à l’alinéa a du présent article» (article 4.c).
66. La question des transferts internationaux des joueurs mineurs fait l’objet de dispositions spécifiques du «Règlement du statut et du transfert des joueurs» de la FIFA 
			(17) 
			Document disponible
à: 
			(17) 
			<a href='http://fr.fifa.com/mm/document/affederation/administration/01/27/64/30/regulationsstatusandtransfer2010_f.pdf'>http://fr.fifa.com/mm/document/affederation/administration/01/27/64/30/regulationsstatusandtransfer2010_f.pdf</a>. Son article 19 stipule que «[e]n principe, le transfert international d’un joueur ne sera autorisé que si le joueur est âgé de 18 ans au moins ». On pourrait donc s’étonner du nombre de transferts de joueurs mineurs.
67. Une partie de l’explication réside dans le fait que le même article prévoit trois exceptions au principe qu’il établit, notamment dans le cas de jeunes joueurs qui suivent leurs parents, de transferts de joueurs d’au moins 16 ans au sein de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen et de transferts au sein des zones transfrontalières 
			(18) 
			Ces trois exceptions
sont les suivantes: «si les parents du joueur s’installent dans
le pays du nouveau club, pour des raisons étrangères au football;
si le transfert a lieu au sein de l’Union européenne (UE) ou au
sein de l’Espace économique européen (EEE), pour les joueurs âgés
de 16 à 18 ans (…); ou si le joueur vit tout au plus à 50 km d’une frontière
nationale et si le club auprès duquel le joueur souhaite être enregistré
dans l’association voisine se trouve à une distance de 50 km maximum
de la frontière. La distance maximale entre le domicile du joueur
et le club doit être de 100 km.» . Il reste néanmoins un certain nombre de cas problématiques.
68. D’une part, il n’est pas certain que tous les transferts autorisés au titre de ces trois exceptions soient réellement justifiés. Il est vrai que l’article 19 précise que «[c]haque transfert international et chaque premier enregistrement de joueur (…) doivent être approuvés par la sous-commission créée à cet effet par la Commission du statut du joueur». Mais cette sous-commission n’étant pas permanente, elle est dans l’incapacité de vérifier tous les détails de chaque dossier, sachant qu’il y a des centaines voire des milliers de cas par an.
69. D’autre part, le système présente une limite majeure: tous les joueurs mineurs qui arrivent en Europe ne sont pas préalablement licenciés dans leur pays d’origine et la procédure de transfert ne rentre pas, dans ce cas, dans le cadre normatif de la FIFA. Cela concerne, par exemple, le football en Afrique, où de nombreux jeunes sont repérés dans des tournois de quartier non officiels ou dans des clubs ou centres de formation qui ne sont pas affiliés à leur fédération.
70. Un autre problème concerne l’utilisation de faux documents d’identité pour faire venir légalement un mineur dans une académie. L’article 19 bis du Règlement de la FIFA traite la question «Enregistrement et déclaration des mineurs au sein des académies». Chaque académie doit déclarer auprès de l’association sur le territoire de laquelle elle exerce son activité tous les joueurs mineurs qui la fréquentent dans un but d’entraînement (paragraphe 2.b). Chaque association doit tenir un registre où sont consignées toutes les déclarations émanant des clubs ou des académies, avec les noms et dates de naissance des mineurs (paragraphe 3). Si les académies les plus reconnues et les mieux dotées financièrement et en termes d’infrastructures sont assez soucieuses et que l’on peut estimer que la vérification des documents est faite sérieusement, les académies «de seconde zone» situées dans des championnats européens moins cotés pourraient être à la fois moins attentives ou moins bien armées pour effectuer toutes les vérifications requises.

3.3. Insuffisance de la protection offerte aux jeunes sportifs migrants: pistes de travail

71. La Charte sociale européenne (révisée) et la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains peuvent être invoquées pour contrer les cas les plus graves de violation des droits des jeunes sportifs migrants, qualifiables d’exploitation. Mais ces textes ne peuvent pas, à eux seuls, répondre entièrement aux problèmes que pose la migration des jeunes sportifs. Dans le cadre national, ces problèmes se conjuguent non seulement avec des lacunes législatives, mais également avec des mauvaises pratiques administratives.
72. On constate, par exemple, certaines négligences comme:
  • l'abus de visas touristiques ou d’étudiants (utilisés, par exemple, pour une mise à l’essai);
  • la manipulation d’identité, notamment de l’âge et de la nationalité;
  • la facilité d’octroi de visas dans certains pays où des agents ont des contacts privilégiés avec des employés au sein d’ambassades, ce qui ouvre la porte à la répétition de cas frauduleux;
  • des naturalisations de complaisance qui permettent à des clubs de recruter des jeunes mineurs prometteurs, de les former chez eux quelques années avant qu’ils n’obtiennent la nationalité du pays d’accueil, afin de ne pas rentrer dans les quotas de joueurs extracommunautaires 
			(19) 
			Par
exemple, cela semble être le cas en Belgique, dont le championnat
de football compte beaucoup de jeunes africains et sud-américains..
73. Nous avons déjà évoqué les situations pénibles dans lesquelles peuvent se trouver les jeunes sportifs migrants du fait d’intermédiaires malhonnêtes. Bien entendu, ce n’est qu’une minorité des agents/intermédiaires sans scrupules qui agit de la sorte. En général, les agents licenciés 
			(20) 
			Il s’agit d’agents
possédant une licence d’une fédération européenne mais également
d’agents européens possédant une licence non européenne. qui se sont spécialisés dans le recrutement de joueurs mineurs suivent une formation de qualité 
			(21) 
			Formation
propre à chaque fédération nationale qui certifie généralement à
la fois des compétences en matière de droit du travail mais aussi
en matière de réglementation sportive. et sont strictement soumis à la réglementation de la FIFA, qu’ils appliquent. A ce sujet, il conviendrait néanmoins d’encourager une harmonisation des législations nationales au niveau européen.
74. L’Union européenne a déjà entamé des discussions à ce propos, mais une éventuelle législation communautaire ne couvrirait que ses 27 Etats membres. Le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle de forum de discussion à une échelle paneuropéenne plus adaptée à l’Europe du sport, afin d’éviter que les pays en dehors de l’Union européenne, où la question de la législation autour de la profession d’agent sportif est tout aussi cruciale, restent des zones de non-droit en la matière.
75. Par exemple, l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) pourrait établir une plate-forme de dialogue réunissant l’UEFA et d’autres parties prenantes, et lancer une réflexion sur des questions comme: la possibilité pour les avocats d’agir officiellement en tant qu’agents sportifs; le rôle ambigu des agents (qui devraient clairement représenter et défendre soit les intérêts du club soit ceux du joueur, alors qu’aujourd’hui ils peuvent être mandatés en même temps par un club et un joueur de ce club, entraînant un conflit d’intérêts évident); ou encore la place de la famille du joueur dans les négociations.
76. En ce qui concerne la réglementation sportive, l’interdiction de principe des transferts internationaux des joueurs mineurs établi par le Règlement du statut et du transfert des joueurs de la FIFA donne la bonne direction. Mais la FIFA est la seule fédération internationale à avoir établi un cadre normatif concernant les jeunes sportifs. Pour les autres sports, la réglementation est totalement absente. Par ailleurs, même dans le cadre de la FIFA, un contournement des règlements s’organise (par le jeu des trois exceptions permettant d’autoriser le transfert d’un joueur mineur). Et d’autre part, ces normes ne s’appliquent pas forcément à tous les sportifs (par exemple aux joueurs ou sportifs non affiliés à une fédération).
77. La problématique des migrations de jeunes footballeurs est aussi liée à la question des indemnités de formation redevables aux anciens clubs formateurs. Dans la pratique, le montant de ces indemnités dépend des confédérations et des associations membres de la FIFA. Les sommes payées à ce titre peuvent donc fortement varier. Les clubs européens ont tout intérêt à recruter un joueur en Afrique ou en Amérique du Sud, là où les indemnités à payer seront moindres. Là encore, le footballeur mineur est traité comme une marchandise sur laquelle on peut spéculer.
78. Très peu est fait au niveau des fédérations nationales pour répondre aux divers problèmes. Un exemple positif, mais qui reste isolé, est celui de la France, où un ensemble de bonnes pratiques à destination des clubs a été élaboré par l’Union des clubs professionnels de football dans un document intitulé «10 recommandations pour l’accueil d’un jeune mineur étranger dans un club français».
79. Ces dix recommandations sont les suivantes:
  • accueillir le jeune en stage d’initiation sur la base de critères préalablement déterminés et s’informer de son passé sportif;
  • s’assurer de la fiabilité de ses intermédiaires/accompagnants;
  • envoyer une lettre d’invitation au consulat de France du pays d’origine et, le cas échéant, au club d’origine;
  • recueillir un accord et une décharge parentale;
  • veiller à demander la photocopie du passeport et du visa;
  • contrôler les billets d’avion aller-retour;
  • prendre en charge une assurance à responsabilité civile et en dommages corporels;
  • organiser une visite médicale par le médecin du club;
  • prendre en charge l’hébergement et les frais du joueur lors de son séjour au club;
  • organiser l’accompagnement du joueur à l’aéroport à l’aller comme au retour.
80. Le respect de ces recommandations devrait permettre d’améliorer la prise en charge des jeunes sportifs migrants et d’éviter les abus. Mais il s’agit de normes non contraignantes.

4. Bonne gouvernance et transparence dans les instances sportives

81. La bonne gouvernance et la transparence sont déterminantes pour la crédibilité et l’efficacité de toute institution. Cela s’applique aussi aux institutions sportives, notamment les grandes fédérations internationales, continentales et nationales. L’autonomie du mouvement sportif ne doit pas aller à l’encontre du respect de ces deux principes fondamentaux. L’autonomie des fédérations sportives doit être respectée, mais sans permettre une opacité dans la gestion financière. L’accès au pouvoir et son maintien doivent respecter non seulement les formes, mais aussi l’essence du principe démocratique. Les fraudes électorales ou dans l’attribution des grands événements sportifs internationaux, les dérives financières et le détournement de fonds destinés au sport dans le dessein de s’enrichir personnellement sont des problèmes sérieux auxquels il convient de donner une réelle réponse.
82. Le monde du football et sa fédération au niveau mondial, la FIFA, ont fait – et continuent de faire – trop souvent la une des journaux à cause des soupçons de fraude ou de corruption pesant sur certains de leurs dirigeants. Vu le rôle majeur de la FIFA, y compris en tant qu’organisme de régulation et bailleur de fonds importants pour le développement du football dans le monde, elle se doit d’être exemplaire. Pour cette raison, cette partie du rapport traitera en particulier de certains scandales impliquant cette institution. Le but n’est pas de la stigmatiser, mais l’image de la FIFA est en train de se dégrader et il est urgent d’intervenir pour prévenir d’autres dérives. Par ailleurs, d’autres sports connaissent des problèmes similaires. La question est donc de savoir comment intervenir pour améliorer la gouvernance et la transparence financière dans le domaine du sport en général.
83. Avant d’aborder le fond de cette question, il convient de rappeler la définition de la bonne gouvernance donnée par la Recommandation Rec(2005)8 du Comité des Ministres relative aux principes de bonne gouvernance dans le sport: elle est «un réseau complexe de mesures gouvernementales et de règlements privés servant à promouvoir l’intégrité dans la gestion des valeurs clés du sport, concrétisées par des activités sportives qui se fondent sur la démocratie, l’éthique, l’efficacité et la responsabilité (…)». La même recommandation précise aussi que «ces mesures s’appliquent aussi bien au secteur de l’administration publique du sport qu’au secteur non gouvernemental du sport».

4.1. Des affaires de corruption au sein de grandes fédérations sportives

4.1.1. L’attribution des jeux Olympiques d’hiver en 2002 à Salt Lake City et d’été à Londres en 2012

84. Lors de la 108e session extraordinaire du Comité international olympique (CIO) et à l’issu d’un vote à bulletin secret, les membres du CIO ont voté l’exclusion de six membres pour «conduite inappropriée en relation avec la candidature de Salt Lake City 
			(22) 
			Voir
à cet égard La Revue Olympique,
volume XXVI, no 26, avril-mai 1999, p.
5-14.». Ces membres avaient soit reçu des aides financières soit directement touché de l’argent contre leur voix pour l’attribution des jeux Olympiques d’hiver de 2002 à la ville de Salt Lake City. «Chaque cas a été étudié séparément et chaque membre risquant l’exclusion s’est vu accorder la possibilité de s’exprimer devant la session 
			(23) 
			Ibid.».
85. La Commission d’éthique du CIO a formulé plusieurs recommandations concernant des personnes, membres du CIO ou non, qui ont été impliquées dans des affaires de corruption au sein du mouvement sportif. En 2011, elle a recommandé de prononcer un blâme à l’encontre de M. Issa Hayatou 
			(24) 
			Décision
de la Commission d’éthique du CIO portant recommandations no D/02/2011
concernant M. Issa Hayatou., membre du CIO, pour avoir détourné 100 000 francs français en liquide provenant de la société ISL/ISMM qui étaient destinés au financement du 40e anniversaire de la Confédération africaine de football (CAF). En 2004, à la suite d’une investigation journalistique de la chaîne BBC, qui concluait que plusieurs membres du CIO étaient corruptibles ou totalement sous le contrôle d’agents de liaison pour les villes candidates, la Commission d’éthique du CIO a proposé l’exclusion d’un membre du CIO, M. Ivan Slavkov 
			(25) 
			Décision
de la Commission d’éthique du CIO portant recommandations no D/5/04
concernant M. Ivan Slavkov., et le retrait de l’accréditation de quatre agents de liaison 
			(26) 
			Décision de la Commission
d’éthique du CIO portant recommandations no D/3/04
concernant l’émission BBC One Panorama..

4.1.2. L’affaire ISL/ISMM – FIFA pour l’attribution des droits télévisuels et commerciaux (Suisse, 2001-2011)

86. Le journaliste d’investigation Andrew Jennings a dénoncé à plusieurs reprises (y compris devant la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias lors de son audition de décembre 2011) l’affaire de corruption de certains dirigeants de la FIFA par la société de marketing sportif International Sport and Leisure (ISL) 
			(27) 
			Il
s’agit d’une filiale d’International Sports Media and Marketing
(ISMM), premier groupe de marketing sportif au début des années
2000.. Avant sa faillite en 2001, qui déclencha quelques années plus tard une enquête judicaire par le procureur du Canton de Zoug en Suisse – clôturée par un non-lieu en 2011 – cette société avait passé des accords avec la FIFA pour obtenir les droits télévisés de la Coupe du monde de football 2010. Dans ces accords étaient prévues des commissions pour certains hauts dirigeants de la FIFA, versées à intervalles réguliers.

4.2. Les enjeux financiers et de pouvoir au sein des fédérations sportives: le cas de la FIFA

87. Le maintien au pouvoir à la tête des fédérations sportives internationales, continentales ou nationales est généralement long. M. Lamine Diack (Sénégal) est à la tête de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) 
			(28) 
			Cette fédération regroupe
les sports athlétiques mais également le marathon et le cross-country. depuis 1999. En 2011, il a été réélu président pour un mandat de quatre ans en étant le seul candidat à se présenter. M. Joseph Blatter (Suisse) est président de la FIFA depuis bientôt 14 années et il a été élu la dernière fois en étant le seul candidat. Son prédécesseur, M. João Havelange a dirigé la FIFA pendant 24 ans. Détenir le pouvoir à la FIFA donne une position mondialement reconnue et une haute visibilité médiatique, un pouvoir sportif mais aussi une influence certaine sur des décisions qui ont un impact économique, et dans certains cas politique.
88. Dans d’autres fédérations, les présidents respectifs sont en fonction depuis de nombreuses années: la Fédération internationale de gymnastique (FIG) est présidée par M. Bruno Grandi (Italie) depuis 1996; la Fédération internationale de ski (FIS) est présidée par M. Gian-Franco Kasper (Suisse) depuis 1998; la Fédération internationale de tennis (ITF), est présidée par M. Francesco Ricci Bitti (Italie) depuis 1999; la Fédération internationale de handball (IHF) est présidée par M. Hassan Moustapha (Egypte) depuis 2000; la Fédération internationale de natation (FINA) a été présidée par M. Mustapha Larfaoui (Algérie) de 1988 à 2009. Et la liste pourrait être rallongée.
89. Le fait que les mêmes personnalités restent longtemps dans des positions de pouvoir au sein des instances sportives n’est en soi, ni forcément un problème ni un symptôme de dérives. La tendance est probablement la conséquence, tout d’abord, de la capacité des leaders des instances sportives, souvent des personnalités charismatiques, à tisser des réseaux de soutien fondés sur l’estime que ces personnalités savent gagner parmi leurs pairs. Néanmoins ce phénomène oblige à se poser la question de savoir si le respect des principes démocratiques liés à l’élection ou à la réélection des dirigeants de certaines institutions sportives est, dans quelques cas du moins, purement formel et si les réseaux de soutien ne deviennent aussi parfois des véritables réseaux d’influence que certains mécanismes de gouvernance permettent de consolider.
90. Ce dernier constat peut s’appliquer en général. Si on s’attarde ici sur le cas de la FIFA, la raison n’est pas que ses mécanismes de gouvernance soient les moins bons; c’est plutôt qu’ils sont mieux connus (aussi – il faut le reconnaître au bénéfice de la FIFA – grâce à la très bonne qualité des informations sur son site web officiel) et que l’importance de cette institution est sans comparaison par rapport à toute autre fédération sportive, excepté le CIO.

4.2.1. Mécanismes de gouvernance sujets à caution

91. Si l’on regarde de près les structures institutionnelles de la FIFA, conformément aux statuts, l’organe suprême est le Congrès qui réunit les représentants des 208 associations membres de la FIFA; néanmoins des pouvoirs étendus appartiennent au comité exécutif et au président.
92. Entre autres responsabilités, le comité exécutif:
  • nomme les présidents, les vice-présidents et les membres des commissions permanentes et des organes juridictionnels;
  • peut décider de créer de nouvelles commissions ad hoc;
  • établit les règlements spécifiques des commissions permanentes et des commissions ad hoc;
  • approuve le règlement d’organisation interne de la FIFA;
  • détermine le site et les dates des compétitions finales de la FIFA ainsi que le nombre d’équipes de chaque confédération admises à y participer.
93. On peut également observer que les présidents et les vice-présidents des commissions permanentes de la FIFA doivent être membres du comité exécutif, à l’exception du président et du vice-président de la commission d’audit, qui ne peuvent l’être en aucun cas. Par ailleurs, les membres du comité exécutif sont distribués dans les diverses commissions et, actuellement du moins, en monopolisent deux qui ont une importance stratégique:
  • les six membres de la commission des finances (un pour chaque confédération continentale) sont tous membres du comité exécutif. Cette commission supervise la gestion financière et conseille le Comité exécutif sur les questions financières et de gestion du patrimoine; elle analyse le budget et les comptes annuels de la FIFA préparés par le secrétaire général et les soumet au comité exécutif pour approbation;
  • parmi les 29 membres qui composent la commission d'organisation de la Coupe du monde de la FIFA, 22 sont membres du comité exécutif (c’est-à-dire tous les membres du Comité exécutif actuel, sauf le président, M. Blatter).
94. Le président de la FIFA préside le Congrès et le comité exécutif et il est à la tête de l’appareil administratif. Même si le secrétaire général de la FIFA, qui dirige l’administration, est nommé formellement par le comité exécutif, il est responsable devant le président, qui a le pouvoir de proposer au comité exécutif tant la nomination que la démission du secrétaire général. Le président a également le pouvoir de nommer les collaborateurs directs du secrétaire général (adjoint et directeurs), d’adopter la structure des salaires des managers et du staff (y compris les bonus et les avantages sociaux) et d’approuver les objectifs des unités administratives. Dans le rapport «Governing FIFA» 
			(29) 
			«Governing
FIFA» – Concept pape rand report (Note conceptuelle et rapport),
19 septembre 2011, Professeur Mark Pieth de l’université de Bâle
(Suisse). Le texte est disponible à: <a href='http://fr.fifa.com/mm/document/affederation/footballgovernance/01/54/99/69/fifagutachten-en.pdf'>http://fr.fifa.com/mm/document/affederation/footballgovernance/01/54/99/69/fifagutachten-en.pdf</a>, cette situation est comparée sans équivoques au système «moniste» de gouvernance d’entreprise, voire à celle d’un président-directeur général. Mais il manque au sein de la FIFA les corrections nécessaires en termes de «checks and balances» adéquats.
95. Eu égard à ce qui précède, on peut s’interroger sur l’effectivité des procédures démocratiques internes d’une organisation où les instances dirigeantes semblent n’avoir aucune difficulté à contrôler les mécanismes institutionnels et peuvent donc plus facilement maintenir et consolider le pouvoir acquis. Il ne faut pas ignorer la probabilité de craintes révérencielles et la possibilité d’influencer, par l’adoption de décisions concernant les fonctions et les responsabilités assignées ou même par l’allocation de ressources financières aux divers projets, le vote des membres du Congrès. Le bannissement à vie de M. Mohamed Bin Hammam, à la suite d’achat de voix en vue de l’élection présidentielle à la FIFA, est malheureusement là pour prouver que le système existant engendre de tels risques 
			(30) 
			Voir
à ce propos les deux articles suivants, issus du site de la FIFA: <a href='http://fr.fifa.com/aboutfifa/organisation/bodies/news/newsid=1479069/index.html'>http://fr.fifa.com/aboutfifa/organisation/bodies/news/newsid=1479069/index.html</a> et du site du journal Le
Monde: <a href='http://www.lemonde.fr/sport/article/2011/07/23/mohamed-bin-hammam-banni-a-vie-du-football-par-la-fifa_1552270_3242.html'>www.lemonde.fr/sport/article/2011/07/23/mohamed-bin-hammam-banni-a-vie-du-football-par-la-fifa_1552270_3242.html</a>.

4.2.2. Une transparence financière limitée et des dépenses qui peuvent soulever des doutes

96. La FIFA respecte les règles comptables et d’audit financier auxquelles elle est soumise selon le droit suisse. Depuis 2003, elle présente ses comptes annuels consolidés conformément aux normes internationales d’information financière (International Financial Reporting Standards – IFRS); ces normes impliquent le respect de certains principes à garantie d’une meilleure transparence financière et d’une plus grande fiabilité des comptes présentés.
97. La compilation des informations financières consolidées est soumise à des auditeurs externes. Pour les exercices 2007-2010, le cabinet KPMG a été chargé de l’audit. Néanmoins, comme le rapport d’attestation l’explique, ce cabinet ne vérifie que la méthode de compilation: la responsabilité des informations financières consolidées incombe au comité exécutif de la FIFA.
98. Les comptes consolidés sont également audités par la commission d’audit interne au Congrès de la FIFA. On peut, néanmoins, se demander dans quelle mesure cet audit interne va au-delà de la simple régularité comptable. Des frais réguliers sur le plan comptable peuvent être contraires à l’éthique et aux intérêts du football: l’argent que la FIFA gagne doit servir exclusivement ces intérêts et pas d’autres.
99. La FIFA a des recettes extrêmement élevées ($US 4,189 milliards pour la période 2007-2010), ce qui permet à l’institution d’avoir des charges considérables, tout en faisant de larges bénéfices. Il résulte du rapport financier de 2010 
			(31) 
			Disponible à: <a href='http://fr.fifa.com/mm/document/affederation/administration/01/39/20/45/web_fifa_fr2010_fra%5B1%5D.pdf'>http://fr.fifa.com/mm/document/affederation/administration/01/39/20/45/web_fifa_fr2010_fra%5B1%5D.pdf</a> que, dans la période 2007-2010, les dépenses de la FIFA se sont élevées à 3,558 milliards de dollars.
100. A divers endroits, le rapport financier consolidé se réfère à des frais «divers» ou «autres» avec quelques exemples mais pas suffisamment de détails. Ainsi, pour 2010, dans les charges des compétitions, les frais divers dépassent les $US 203 millions; on y mélange, entre autres, les frais de marketing avec les frais de déplacement et d’hébergement des délégués pour leur participation aux diverses manifestations. Parmi les charges d’exploitation, des dépenses pour $US 42 772 000 sur un total de $US 103 858 000 (soit plus de 41%) ne sont pas détaillées. Des avantages en nature sont mentionnés dans le rapport financier comme une partie des $US 493 millions de charges non monétaires (qui incluent aussi l’impact économique brut et des amortissements) sans plus de détails. Comment vérifier la valeur, la composition et l’utilisation faite de ces «avantages en nature»? La FIFA a des revenus et des dépenses si élevés que permettre de les comptabiliser sans plus de précisions peut ouvrir la porte aux dérives.
101. En 2010, le montant total des salaires payés par la FIFA était de $US 65 280 000 
			(32) 
			Soit
plus de 48,5 millions d’euros, au taux d’échange moyen sur l’année
de 1,3443 (utilisé par la FIFA). Ce montant ne comprend pas les
charges sociales et autres charges payées par la FIFA qui ont été
en 2010 de $US 12 153 000. répartis entre 387 employés en moyenne sur l’année, soit une moyenne de $US 168 682,17 par employé. En 2010, le revenu mensuel moyen à la FIFA était donc de $US 14 056,85. Les salaires de la FIFA ont augmenté de 31,6% entre 2009 et 2010 (ils sont passés d’un total de $US 49 599 000 en 2009 à $US 65 280 000 en 2010), alors que sur cette même période le nombre moyen d’employés n’a augmenté que de 7,2%. Le rapport financier n’explique pas ces augmentations et ne fournit aucune donnée sur les salaires des principaux dirigeants.
102. Les membres du comité exécutif, de la commission des finances (qui sont tous aussi membres du comité exécutif) et de la direction de la FIFA sont considérés comme des dirigeants principaux. En 2010, des «prestations à court terme» pour $US 36,6 millions ont été payées aux principaux dirigeants 
			(33) 
			Soit
plus de 27,2 millions d’euros. Ce montant ne comprend pas les charges
de prévoyance qui ont été en 2010 de $US 1 900 000. (en 2009: $US 20,9 millions). D’après le rapport, il est impossible de savoir à quoi correspondent ces «prestations». Il faut noter que les frais de mission (déplacements et hébergement) sont déjà comptabilisés dans un autre poste du rapport financier. La transparence financière demanderait plus de précisions quant à ces «prestations à court terme» qui se renouvellent chaque année, uniquement pour les principaux dirigeants. En ajoutant ces prestations aux salaires (et sans compter plus de $US 14 millions de charges sociales ou autres), on obtient un total de presque $US 102 millions (plus de 75 700 000 € au taux de change moyen pour l’année). A titre de comparaison, d'après les comptes audités du Conseil de l’Europe pour 2010, les frais de personnel de la Cour européenne des droits de l’homme (629 membres du Secrétariat et 47 juges) s'élevaient à 55 476 023,17 €.

4.3. Eléments de bonne gouvernance des fédérations sportives européennes et internationales

4.3.1. Les mesures développées par la FIFA

103. La FIFA a été amenée à considérer un certain nombre de réformes dont plusieurs concernent directement sa gouvernance. Sur le plan financier, la FIFA applique depuis 2003 les normes IFRS (comme indiqué précédemment) et un cabinet d’audit indépendant auditionne ses comptes.
104. En 2009, la FIFA a adopté un nouveau code d’éthique 
			(34) 
			Disponible à: <a href='http://fr.fifa.com/mm/document/affederation/administration/50/02/82/efsdcodeofethics_web.pdf'>http://fr.fifa.com/mm/document/affederation/administration/50/02/82/efsdcodeofethics_web.pdf</a> (en français à partir de la p. 15). qui inclut une série de dispositions sur les règles de conduite, y compris, entre autres, des dispositions assez strictes sur le conflit d’intérêts, la conduite à l’égard des gouvernements ou d'organisations privées, l’acceptation et la distribution de cadeaux et autres avantages, l’acceptation ou la promesse de commissions et la corruption. L’article 4 établit que «1. Seules les personnes qui font preuve d’un sens très développé de l’éthique et de l’intégrité et qui s’engagent à respecter les dispositions du présent code sans aucune réserve sont éligibles à la fonction d’officiel (…) 3. Les officiels qui ne respectent pas le présent code ou qui manquent gravement à leurs obligations ou qui n’honorent pas leurs devoirs et leurs responsabilités de manière adéquate, notamment sur les questions financières, ne sont plus éligibles à leur fonction et doivent être révoqués.» On peut regretter que ce code ne soit pas applicable aux faits antérieurs à son adoption, sauf si son application ne pénalise pas la personne intéressée.
105. En octobre 2011, la FIFA a établi une feuille de route vers la bonne gouvernance avec, comme première étape, la constitution de quatre groupes de travail sur la révision des statuts, la révision de la commission d’éthique, transparence et conformité, football 2014. Le comité exécutif de décembre 2011 a établi une nouvelle Commission indépendante de gouvernance (CIG). Le premier rapport et les propositions de cette commission sont attendus pour le mois de mars 2012, avec en vue la soumission des amendements statutaires requis au Congrès de la FIFA de juin 2012. Il a été également décidé que l’attribution des coupes du monde ne se fera plus par le comité exécutif mais par la Congrès (droit de vote pour chaque association nationale membre de la FIFA, soit 208 voix). La commission d’éthique a également été renforcée: elle sera désormais composée d’un organe d’investigation et de recherche et d’un organe judiciaire.

4.3.2. Les mesures développées par le CIO

106. A la suite du scandale de Salt Lake City, le CIO a approuvé en 1999 la création d’une commission d’éthique, et a modifié, au début des années 2000, la procédure d’attribution des villes hôtes des jeux Olympiques pour limiter le risque de corruption des membres ayant le droit de vote. Ceux-ci étaient particulièrement bien reçus et, avant la mise en place de la nouvelle procédure, pouvaient facilement obtenir directement des avantages en nature (voire des pots-de-vin). Par la suite, le CIO a approuvé en 2008, lors du Congrès de Copenhague 
			(35) 
			Voir Recommandation 41 du Congrès de Copenhague. Le document est disponible
à: <a href='http://www.olympic.org/Documents/Reports/FR/fr_report_1292.pdf'>www.olympic.org/Documents/Reports/FR/fr_report_1292.pdf</a>, des «Principes universels de base de bonne gouvernance du mouvement olympique et sportif», qui doivent être considérés comme les standards minimaux à respecter au sein des fédérations sportives.
107. Ce document accorde une importance égale aux principes politiques et financiers de bonne gouvernance et intègre les éléments suivants:
  • l’importance de la professionnalisation du personnel travaillant pour les fédérations;
  • les structures minimales à respecter pour permettre un processus décisionnel démocratique;
  • une transparence financière et un contrôle indépendant des comptes;
  • l’implication des sportifs dans la prise de décisions les concernant;
  • le respect de certaines normes éthiques via un code d’éthique;
  • le respect d’une mission, d’une vision et d’une stratégie fondées sur un ensemble de valeurs;
  • des relations harmonieuses avec les gouvernements et les institutions politiques dans le respect de l’autonomie des fédérations.
108. Ces principes sont fondamentaux et sont à faire respecter dans toute fédération sportive, en relation avec ses moyens et son niveau de développement. Le CIO a enfin consacré une campagne d’éducation, sous forme de forums obligatoires, à destination des comités nationaux olympiques, sur le thème de la bonne gouvernance et de la transparence financière.

5. Conclusions

109. La gestion des problèmes de politique sportive relève tout d’abord du mouvement sportif en vertu du principe fondamental d’autonomie. L’autoréglementation est primordiale. Cependant, si les problèmes persistent, il incombe aux gouvernements d’intervenir. L’autonomie du mouvement sportif ne saurait couvrir ni les atteintes graves à l’éthique sportive, ni l’inaction face à des systèmes de gestion qui ne répondent plus aux préoccupations légitimes de transparence et de bonne gouvernance. L’autonomie doit protéger l’intérêt du sport et non celui d’individus peu scrupuleux.
110. L’autonomie du mouvement sportif exige que les Etats s’abstiennent d’ingérences indues dans l’organisation et le fonctionnement des instances sportives. Mais elle ne saurait devenir une justification pour l’inaction. Le sport est un domaine où l’intérêt public est engagé et les Etats ont un rôle important à jouer pour préserver l’intérêt général. Ce rôle implique l’établissement d’un cadre juridique adéquat, la sanction des abus qui constituent des violations de la loi et la collaboration efficace avec les instances sportives dans la lutte contre toutes les dérives contraires à l’éthique du sport et au respect des valeurs essentielles dont le sport doit être un vecteur.
111. Les paragraphes qui suivent présentent quelques idées concernant le renforcement du fair-play financier, la protection des jeunes sportifs migrants et la promotion de la transparence et de la bonne gouvernance au sein du mouvement sportif. Ces idées ont été reprises dans les lignes directrices en annexe au projet de résolution.

5.1. Fair-play financier

112. Pour éviter – comme cela est arrivé pour le football –, que dans d’autres sports d’équipe les dépenses liées aux salaires des joueurs des sociétés sportives professionnelles s’emballent aussi, il semble nécessaire de renforcer le «fair-play financier» par l’adoption de normes imposant la transparence financière, limitant l’endettement et favorisant l’autofinancement des clubs.
113. De telles contraintes budgétaires, ainsi que les mécanismes de contrôle nécessaires pour en assurer le respect effectif, devraient être établies par les fédérations et les associations concernées, dans le cadre de l’autoréglementation. Les normes sur le fair-play financier adoptées par l’UEFA pourraient servir de modèle aux autres fédérations européennes. De même, la DNCG française est un modèle qui pourrait être suivi dans d’autres Etats et pour d’autres disciplines sportives.
114. Afin d’améliorer la transparence financière, les Etats européens devraient tendre vers une meilleure harmonisation des normes nationales concernant la comptabilité des sociétés sportives. Ils devraient aussi assurer une application stricte de l’interdiction des aides publiques aux sociétés sportives professionnelles.

5.2. Protection des jeunes sportifs migrants

115. Le football est le sport où les problèmes concernant les jeunes sportifs migrants se manifestent avec le plus d’intensité; il peut devenir un lieu d’expérimentation d’une politique sportive en matière de migrations. Il faut néanmoins insister sur le fait que d'autres sports d’équipe – comme le rugby, le basket-ball ou le handball – sont aussi concernés par le phénomène des migrations sportives. Par ailleurs, il a été constaté que des sports individuels comme l’athlétisme, la gymnastique ou le tennis sont propices à des flux migratoires de mineurs.
116. Pour contrer les problèmes graves de marchandisation et d’exploitation des jeunes sportifs, une application sévère de la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations Unies, de la Charte sociale européenne (révisée) et de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains s’impose. Mais ces textes ne permettent pas de tout résoudre.
117. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient soutenir les travaux de l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) qui élabore actuellement un projet de recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres relative aux problèmes liés aux flux migratoires dans le sport. Il serait souhaitable que ce texte puisse répondre aux problèmes évoqués dans ce rapport.
118. Par ailleurs, les Etats membres devraient se doter d’une loi sur le sport, incluant des dispositions visant la protection des jeunes sportifs nationaux et migrants. En collaboration avec l’Union européenne, ils devraient également chercher à harmoniser les législations sur le statut des agents sportifs et des intermédiaires qui, sans en avoir le titre, agissent comme tels.
119. Enfin, pour accroître ses capacités de contrôle, l’UEFA pourrait instaurer un prélèvement obligatoire qui servirait à financer un système de suivi des conditions de transfert et d’accueil des sportifs mineurs, visant a détecter et à sanctionner les abus.

5.3. Gouvernance, transparence et lutte contre la corruption et les prises d’intérêts au sein des instances sportives

120. La bonne gouvernance est régulièrement évoquée dans les débats qui ont trait au monde de la politique et de l’économie; il n’y a rien d’étonnant qu’elle le soit aussi dans le domaine sportif. Le sport occupe une place importante dans nos sociétés et il est normal que les citoyens et les décideurs politiques s’attendent au respect – par les fédérations, les associations et les dirigeants sportifs – de normes éthiques très élevées et de principes communément affirmés de bonne gouvernance.
121. De nombreuses affaires de corruption de dirigeants sportifs ont secoué le sport européen et mondial lors de la dernière décennie, et ce dans des sports majeurs comme le football, mais également dans d’autres sports. Pour prévenir de tels faits, il semble nécessaire:
  • d’améliorer les processus démocratiques qui sont liés aux conditions d’accès et de maintien du pouvoir sportif;
  • de renforcer la transparence financière au sein des fédérations sportives;
  • d’identifier, pour les colmater, les failles systémiques qui favorisent les conflits d’intérêts, le détournement de fonds et la corruption de dirigeants sportifs.
122. Certes, on ne peut demander aux fédérations sportives de fonctionner comme des entreprises privées. Néanmoins, il serait naïf de ne pas vouloir tenir compte du fait que les enjeux financiers grimpent. L’attribution d’une Coupe du monde de football représente à l’heure actuelle un enjeu de plus de $US 4 milliards. Les montants en jeu sont inférieurs pour d’autres compétitions et d’autres sports, mais ils restent significatifs. Cet argent doit bénéficier au sport et à son développement: il est inacceptable qu’il soit détourné à des fins d’enrichissement personnel.
123. Ainsi, il faut non seulement des normes assurant la conformité formelle des comptes, mais aussi des contrôles de gestion sur l’utilisation des fonds, un arsenal normatif permettant de mener des investigations en interne, et des organes (commission de bonne gouvernance, commission d’éthique, ou autres) dotés de réels pouvoirs de sanction.
124. Pour conclure, je formule une question que je n’ai pas souhaité soulever dans ce rapport, mais qui se pose selon moi avec une force croissante: celle de la contribution du mouvement sportif au développement de la société dans son ensemble qui pourrait impliquer une plus grande solidarité. L’argent dégagé par le sport doit-il exclusivement être réinvesti dans le sport ou ne serait-il pas louable que le sport participe davantage aux efforts de promotion d’une société cohésive et d’un développement durable? J’aimerais citer, de manière positive cette fois, la FIFA et certains programmes qu’elle met en place dans cette direction. Peut-être, un exemple à promouvoir.