Imprimer
Autres documents liés

Avis de commission | Doc. 12899 | 17 avril 2012

La situation des personnes déplacées dans le Caucase du Nord et retournées dans la région

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Marieluise BECK, Allemagne, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12398, Renvoi 3725 du 12 novembre 2010. Commission saisie pour rapport: commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées. Voir Doc. 12882. Avis approuvé par la commission le 12 mars 2012. 2012 - Deuxième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission des questions juridiques et des droits de l'homme félicite la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées et son rapporteur, M. Nikolaos Dendias, pour le rapport qu'il a consacré à la situation des personnes déplacées dans le Caucase du Nord et retournées dans la région. Ce rapport présente avec justesse la situation sociale et économique difficile de ces groupes de populations particulièrement vulnérables. Il gagnerait néanmoins à envisager également cette situation sous l'angle juridique et des droits de l'homme. Un certain nombre de problèmes, comme le climat d'impunité dont les auteurs de graves violations des droits de l'homme continuent à bénéficier, notamment en République tchétchène, la situation précaire des défenseurs des droits de l'homme dans la région, y compris ceux qui prennent soin des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, des réfugiés et des personnes retournées chez elles, et les menaces, voire les véritables actes de violence, dont sont victimes les personnes qui ont fui la région et vivent désormais ailleurs en Fédération de Russie ou à l'étranger, doivent également être abordés dans la résolution de l'Assemblée, afin de donner un aperçu complet et équilibré de la situation des populations concernées. Tel est le but poursuivi par les amendements proposés par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme.

B. Propositions d'amendements au projet de résolution

(open)

Amendement A (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 8.1.8, insérer le paragraphe suivant:

«à mettre un terme à l'impunité des auteurs de graves violations des droits de l'homme, y compris de meurtres, de disparitions forcées et d’actes de torture, notamment en renforçant le contrôle fédéral sur les activités des forces de l'ordre et des services de sécurité régionaux, et en exécutant scrupuleusement les nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme;»

Amendement B (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, à la fin du paragraphe 8.2.5, ajouter la phrase suivante:

«à mener une enquête approfondie et diligenter des poursuites contre les auteurs de tous les actes criminels commis à l'encontre de ces défenseurs des droits de l'homme et des personnes retournées chez elles, y compris les anciens hauts représentants des gouvernements précédents;»

Amendement C (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, après le paragraphe 8.2.5, ajouter le paragraphe suivant:

«s'abstenir d'intimider ou de faire pression sur les réfugiés tchétchènes qui vivent dans d'autres régions de la Fédération de Russie ou à l'étranger pour qu'ils retournent en République tchétchène et fassent publiquement allégeance aux autorités actuelles; mener une enquête approfondie sur les circonstances du meurtre d’Umar Israïlov à Vienne et engager également des poursuites à l'encontre des instigateurs et des organisateurs de ce crime.»

C. Exposé des motifs, par Mme Beck, rapporteure pour avis

(open)
1. Le rapport de M. Dendias donne un aperçu équilibré de la situation des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (PDI), des PDI retournées chez elles et des réfugiés dans le Caucase du Nord, et notamment de leur situation sociale et économique difficile. Le présent avis et les trois amendements formulés au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme visent à compléter ce tableau en y ajoutant des considérations d'ordre juridique et relatives aux droits de l'homme.

Amendement A

2. Il est clair que les PDI et les PDI retournées chez elles sont exposées aux problèmes qui se posent en matière de droits de l'homme dans la région. Sans doute sont-elles plus exposées encore aux violations des droits de l'homme, dans la mesure où les personnes retournées chez elles éveillent plus facilement la suspicion que les personnes qui ne se sont jamais senties contraintes de quitter la région au départ.
3. Le dernier rapport de l'Assemblée parlementaire à avoir analysé la situation des droits de l'homme dans la région du Caucase du Nord était celui de notre ancien collègue M. Dick Marty 
			(1) 
			«Recours juridiques
en cas de violations des droits de l’homme dans la région du Caucase
du Nord», Doc. 12276 du 4
juin 2010.. Il est remarquable que son rapport, qui brosse un portrait complet et réaliste du climat d'impunité qui prévaut dans la région, et notamment en République tchétchène, ait obtenu non seulement le soutien de l'immense majorité de l'Assemblée, mais également celui de la délégation russe. Près de deux ans après, nous pouvons légitimement nous demander si le message énergique qui avait été adressé au travers de ce rapport a bien été reçu et s'il a été suivi d'effet.
4. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, a entrepris une visite d'étude dans la région un an après M. Marty, en mai 2011 
			(2) 
			Rapport de Thomas Hammarberg,
Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, à la suite
de sa visite dans la Fédération de Russie du 12 au 21 mai 2011,
Strasbourg, 6 septembre 2011, CommDH(2011)21, disponible (en anglais
et en russe): <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1825257'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1825257</a>.. Il a demandé à ses interlocuteurs des forces de l'ordre quels progrès avaient été réalisés par les instances spéciales d'enquête, et tout particulièrement par celles qui avaient été créées pour enquêter en priorité sur les affaires à propos desquelles la Cour européenne des droits de l'homme avait constaté des violations «procédurales» des articles 2 ou 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) (droit à la vie, interdiction de la torture) 
			(3) 
			La Cour a constaté
dans plus de 180 arrêts les violations des articles 2 ou 3 de la
Convention commises par la Fédération de Russie à propos de faits
qui concernaient principalement la République tchétchène; 60 % environ
de ces affaires portent sur la disparition forcée d'un ou plusieurs
membres de la famille d'un requérant (voir le rapport de M. Hammarberg
(note 3), p. 3).. Lorsque M. Marty s'est enquis auprès des autorités compétentes du nombre d'affaires que l'unité spéciale d'enquête était parvenue à élucider, il s'est vu rappeler que cette instance venait à peine d'être mise en place. Un an plus tard, M. Hammarberg s'est trouvé dans l’obligation de conclure que «l'impunité persistante dont jouissent les auteurs de graves violations des droits de l'homme figure au nombre des problèmes les plus épineux du Caucase du Nord et demeure une source de préoccupation majeure pour le Commissaire» 
			(4) 
			Ibid.
(note 3), p. 8..
5. Plus précisément, les Délégués des Ministres ont, dans une décision du 8 juin 2011 
			(5) 
			Disponible
à: <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/Del/dec(2011)1115'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/Del/dec(2011)1115</a>., «exprim[é] leur profonde préoccupation à l’égard de l’absence de résultat concluant dans les enquêtes, en particulier dans les affaires dans lesquelles des membres des forces de sécurité auraient pu être impliqués». De même, l'Assemblée, dans sa Résolution 1787 (2011) sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, observait que, «[m]alheureusement, les prétendues améliorations structurelles récentes des procédures d’investigation internes n’ont pas encore conduit à des résultats concrets; il semble bien que le Président de la Fédération de Russie ait récemment soumis à l’Assemblée fédérale un projet de législation sur une réforme intégrée du ministère de l’Intérieur» 
			(6) 
			Résolution 1787 (2011),
paragraphe 7.7.2..
6. En ce qui me concerne, j'ai l'intention de demander, une fois de plus, aux autorités compétentes de la Fédération de Russie de me communiquer les résultats (tangibles) des progrès réalisés dans les affaires dans lesquelles la Cour a constaté une absence d'enquête 
			(7) 
			En ma qualité de rapporteure
sur les «Menaces contre la prééminence du droit dans les Etats membres
du Conseil de l'Europe: affirmer l'autorité de l'Assemblée parlementaire»,
je suis chargée, dans le cadre de ce mandat, de procéder au suivi
de la mise en œuvre des précédents rapports consacrés aux menaces
qui pèsent sur l'Etat de droit, dont celui de M. Dick Marty sur
les «Recours juridiques en cas de violations des droits de l’homme
dans la région du Caucase du Nord».. Je ne peux que souscrire à la résolution de l'Assemblée rappelant qu’«[i]l est indispensable d’élucider véritablement au moins une partie importante des affaires de cette nature pour mettre fin au climat d’impunité dans la région» 
			(8) 
			Résolution 1787 (2011),
paragraphe 7.7.2 in fine..

Amendement B

7. La situation des défenseurs des droits de l'homme est particulièrement pertinente pour les réfugiés et les PDI rentrés chez eux, dans la mesure où ces dernières ont énormément besoin de l'aide et de la protection qui leur est ainsi offerte. La situation des défenseurs des droits de l'homme en général, et de ceux qui prennent soin des réfugiés et des PDI en particulier, demeure particulièrement difficile dans tout le Caucase du Nord et notamment en République tchétchène. Notre collègue Mme Mailis Reps a organisé une audition extrêmement intéressante sur la situation des défenseurs des droits de l'homme lors de la réunion de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme du 26 janvier 2012.
8. Les informations récentes fournies par Tatyana Lokshina, responsable adjointe de Human Rights Watch (Moscou), parlent d'elles-mêmes 
			(9) 
			Le texte de l’intervention
de Mme Lokshina est disponible auprès du secrétariat de la commission.. D'après son témoignage, «le harcèlement des défenseurs des droits de l'homme se poursuit et les organisations et les militants de la société civile continuent à exercer leurs activités dans un climat d'hostilité». Plus inquiétant encore, elle a indiqué à la commission que «la plupart des agents du bureau du Comité contre la torture de Grozny ont été contraints de démissionner avant la fin 2011 par suite des pressions exercées par les autorités locales, qui en général contactent et menacent les membres de leur famille. Plusieurs personnes qui avaient recours aux services du Comité contre la torture en Tchétchénie ont également été contactées par des fonctionnaires de police, qui les ont menacées de graves répercussions pour leur famille si elles osaient poursuivre leur coopération avec le comité et leur quête de justice».
9. Cette attitude à l'égard des défenseurs des droits de l'homme et des personnes qui leur demandent de leur venir en aide est totalement inadmissible dans un Etat membre du Conseil de l'Europe, qui plus est lorsqu'elle est dirigée contre une organisation à laquelle a été décernée la même année le Prix des droits de l'homme de l'Assemblée! Les meurtres de Natalia Estemirova, personnalité tchétchène de premier plan dans la défense des droits de l'homme, assassinée en 2009, et de deux militants locaux, Zarema Saidulaeva et Alik Dzhabrailov, enlevés quelques semaines après Mme Estemirova par des personnes identifiées par les témoins comme des fonctionnaires de police et retrouvés morts quelques heures plus tard, n'ont toujours pas été élucidés. Enfin et surtout, le cas de Zarema Gaïsanova, membre du personnel du Conseil danois des réfugiés, enlevée à Grozny le 31 octobre 2009, reste encore à élucider.
10. Le Commissaire Hammarberg indique que «les fonctionnaires de police du ministère de l'Intérieur auxquels les enquêteurs avaient demandé à plusieurs reprises d'effectuer un certain nombre d'actes dans le cadre de l'enquête n'en ont tenu aucun compte. Qui plus est, une unité de police particulière, chargée à plusieurs reprises par les enquêteurs de convoquer des témoins, n'aurait donné aucune suite à cette demande» 
			(10) 
			Rapport
de M. Hammarberg, op. cit. (note 3), p. 8.. Les autorités ont assuré M. Hammarberg que l'enquête était en cours et qu'elle était menée par une unité spéciale du Comité d'investigation de la République tchétchène. Ces affaires emblématiques avaient déjà été soulevées par M. Marty dans le rapport qu'il a rédigé en 2010 pour l'Assemblée et il convient de féliciter M. Hammarberg de les avoir évoquées une nouvelle fois. Nous devons aux militants qui ont consacré une grande partie de leur action aux réfugiés et aux PDI d’avoir toujours la possibilité de saisir chaque occasion d'enquêter et d'exiger des preuves tangibles des progrès de ces enquêtes.

Amendement C

11. Le fait que la situation n'ait toujours pas été réglée sur le plan des droits de l'homme et de la sécurité dans la région est l'une des raisons pour lesquelles les centaines de milliers de Tchétchènes exilés, notamment, qui continuent à vivre dans d'autres régions de Russie et hors de ce pays, hésitent à rentrer chez eux, en dépit des difficultés, et parfois des préjugés racistes brutaux, auxquels ils sont confrontés dans leur nouveau lieu de résidence et bien qu'ils aient le mal du pays.
12. D'après les témoignages que j'ai recueillis auprès d'exilés tchétchènes, les autorités de Grozny envoient des signaux désagréables et déroutants. D'une part, les personnes qui vivent en exil sont vivement invitées à rentrer chez elles et se voient même promettre un logement, voire une voiture, en cas de retour. D'autre part, lorsqu'elles refusent, elles sont menacées par des «envoyés» qui se montrent de plus en plus pressants, par exemple en les interceptant à plusieurs reprises dans la rue, en les empêchant de poursuivre leur chemin et en menaçant les membres de leur famille restés au pays. L'issue fatale du cas d'un autre opposant exilé, Umar Israïlov, qui refusait de rentrer comme il y était invité de manière pressante, est bien connue 
			(11) 
			Voir le New
York Times du 6 octobre 2011, article sur Ramzan A. Kadirov, 
			(11) 
			<a href='http://topics.nytimes.com/top/reference/timestopics/people/k/ramzan_a_kadyrov/index.html'>http://topics.nytimes.com/top/reference/timestopics/people/k/ramzan_a_kadyrov/index.html</a> (en
anglais uniquement); 
			(11) 
			The Guardian du
2 juin 2011, «Chechens jailed over Vienna shooting, Austria convicts
three men over death of exile who tried to bring Kremlin-backed
Chechen leader to court on torture charges»: <a href='http://www.guardian.co.uk/world/2011/jun/02/chechens-jailed-vienna-shooting'>www.guardian.co.uk/world/2011/jun/02/chechens-jailed-vienna-shooting</a> (en
anglais uniquement); 
			(11) 
			FIDH, 6 juin 2011, «Israilov
case – trial in Vienna: the victory of justice», <a href='http://www.fidh.org/Israilov-case-Trial-in-Vienna-The'>www.fidh.org/Israilov-case-Trial-in-Vienna-The</a> (en
anglais uniquement).. Il a été abattu en pleine rue à Vienne. Ses meurtriers, des Tchétchènes, ont été arrêtés par la police autrichienne et condamnés par un tribunal viennois. Mais ce procès n'a pas fait la lumière sur le contexte dans lequel s'inscrit ce meurtre, en dépit de l'intervention courageuse de notre ancien collègue M. Dick Marty en qualité d'expert-témoin 
			(12) 
			Le témoignage de M.
Marty est repris de façon détaillée par le European Centre for Constitutional
and Human Rights (ECCHR) de Berlin, dans le résumé consacré par
l’ECCHR au procès, intitulé «The trial on the murder of Umar Israilov before
the regional court for criminal matters in Vienna», <a href='http://www.ecchr.eu/index.php/kadyrov_case'>www.ecchr.eu/index.php/kadyrov_case</a> (en
anglais uniquement)..
13. Un rapport rendu par Pax Christi 
			(13) 
			Pax Christi Vlaanderen
VZW, «Safety of Chechen asylum seekers in Pologne», rapport d’Annemarie
Gielen, Pax Christi Flanders, assistée de Bart Staes, député Verts/ALE,
An Maes, Comité belge d'aide aux réfugiés, et Imran Ezheev, conseiller
spécial de Bart Staes sur les demandeurs d’asile tchétchènes dans
l’Union européenne, décembre 2011. en décembre 2011 réunit une documentation sur un certain nombre d'affaires spécifiques de menaces et de pressions à l'encontre de Tchétchènes exilés en Pologne, et décrit la facilité quelque peu étonnante avec laquelle les membres des services polonais et des services tchétchènes russes coopèrent sur la base de relations personnelles anciennes. La facilité avec laquelle les «kadyrovtsi» circulent en Pologne et ailleurs suscite chez les Tchétchènes exilés un sentiment de profonde insécurité et un manque de confiance à l'égard des autorités.