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Avis de commission | Doc. 12899 | 17 avril 2012
La situation des personnes déplacées dans le Caucase du Nord et retournées dans la région
Commission des questions juridiques et des droits de l'homme
A. Conclusions de la commission
(open)1. La commission des questions juridiques et des droits
de l'homme félicite la commission des migrations, des réfugiés et
des personnes déplacées et son rapporteur, M. Nikolaos Dendias,
pour le rapport qu'il a consacré à la situation des personnes déplacées
dans le Caucase du Nord et retournées dans la région. Ce rapport
présente avec justesse la situation sociale et économique difficile
de ces groupes de populations particulièrement vulnérables. Il gagnerait
néanmoins à envisager également cette situation sous l'angle juridique
et des droits de l'homme. Un certain nombre de problèmes, comme
le climat d'impunité dont les auteurs de graves violations des droits
de l'homme continuent à bénéficier, notamment en République tchétchène,
la situation précaire des défenseurs des droits de l'homme dans
la région, y compris ceux qui prennent soin des personnes déplacées
à l'intérieur de leur propre pays, des réfugiés et des personnes retournées
chez elles, et les menaces, voire les véritables actes de violence,
dont sont victimes les personnes qui ont fui la région et vivent
désormais ailleurs en Fédération de Russie ou à l'étranger, doivent
également être abordés dans la résolution de l'Assemblée, afin de
donner un aperçu complet et équilibré de la situation des populations
concernées. Tel est le but poursuivi par les amendements proposés
par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme.
B. Propositions d'amendements au projet de résolution
(open)Amendement A (au projet de résolution)
Dans le projet de résolution, après le paragraphe 8.1.8, insérer le paragraphe suivant:
«à mettre un terme à l'impunité des auteurs de graves violations des droits de l'homme, y compris de meurtres, de disparitions forcées et d’actes de torture, notamment en renforçant le contrôle fédéral sur les activités des forces de l'ordre et des services de sécurité régionaux, et en exécutant scrupuleusement les nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme;»
Amendement B (au projet de résolution)
Dans le projet de résolution, à la fin du paragraphe 8.2.5, ajouter la phrase suivante:
«à mener une enquête approfondie et diligenter des poursuites contre les auteurs de tous les actes criminels commis à l'encontre de ces défenseurs des droits de l'homme et des personnes retournées chez elles, y compris les anciens hauts représentants des gouvernements précédents;»
Amendement C (au projet de résolution)
Dans le projet de résolution, après le paragraphe 8.2.5, ajouter le paragraphe suivant:
«s'abstenir d'intimider ou de faire pression sur les réfugiés tchétchènes qui vivent dans d'autres régions de la Fédération de Russie ou à l'étranger pour qu'ils retournent en République tchétchène et fassent publiquement allégeance aux autorités actuelles; mener une enquête approfondie sur les circonstances du meurtre d’Umar Israïlov à Vienne et engager également des poursuites à l'encontre des instigateurs et des organisateurs de ce crime.»
C. Exposé des motifs, par Mme Beck, rapporteure pour avis
(open)1. Le rapport de M. Dendias donne un aperçu équilibré
de la situation des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre
pays (PDI), des PDI retournées chez elles et des réfugiés dans le
Caucase du Nord, et notamment de leur situation sociale et économique
difficile. Le présent avis et les trois amendements formulés au
nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme
visent à compléter ce tableau en y ajoutant des considérations d'ordre
juridique et relatives aux droits de l'homme.
Amendement A
2. Il est clair que les PDI et les PDI retournées chez elles
sont exposées aux problèmes qui se posent en matière de droits de
l'homme dans la région. Sans doute sont-elles plus exposées encore
aux violations des droits de l'homme, dans la mesure où les personnes
retournées chez elles éveillent plus facilement la suspicion que
les personnes qui ne se sont jamais senties contraintes de quitter
la région au départ.
3. Le dernier rapport de l'Assemblée parlementaire à avoir analysé
la situation des droits de l'homme dans la région du Caucase du
Nord était celui de notre ancien collègue M. Dick Marty . Il est remarquable que son rapport,
qui brosse un portrait complet et réaliste du climat d'impunité
qui prévaut dans la région, et notamment en République tchétchène,
ait obtenu non seulement le soutien de l'immense majorité de l'Assemblée,
mais également celui de la délégation russe. Près de deux ans après,
nous pouvons légitimement nous demander si le message énergique
qui avait été adressé au travers de ce rapport a bien été reçu et
s'il a été suivi d'effet.
4. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe,
Thomas Hammarberg, a entrepris une visite d'étude dans la région
un an après M. Marty, en mai 2011 .
Il a demandé à ses interlocuteurs des forces de l'ordre quels progrès
avaient été réalisés par les instances spéciales d'enquête, et tout
particulièrement par celles qui avaient été créées pour enquêter
en priorité sur les affaires à propos desquelles la Cour européenne des
droits de l'homme avait constaté des violations «procédurales» des
articles 2 ou 3 de la Convention européenne des droits de l’homme
(STE n° 5) (droit à la vie, interdiction de la torture) . Lorsque M. Marty s'est enquis
auprès des autorités compétentes du nombre d'affaires que l'unité
spéciale d'enquête était parvenue à élucider, il s'est vu rappeler
que cette instance venait à peine d'être mise en place. Un an plus
tard, M. Hammarberg s'est trouvé dans l’obligation de conclure que
«l'impunité persistante dont jouissent les auteurs de graves violations
des droits de l'homme figure au nombre des problèmes les plus épineux
du Caucase du Nord et demeure une source de préoccupation majeure
pour le Commissaire» .
5. Plus précisément, les Délégués des Ministres ont, dans une
décision du 8 juin 2011 ,
«exprim[é] leur profonde préoccupation à l’égard de l’absence de
résultat concluant dans les enquêtes, en particulier dans les affaires
dans lesquelles des membres des forces de sécurité auraient pu être
impliqués». De même, l'Assemblée, dans sa Résolution 1787 (2011) sur la mise
en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme,
observait que, «[m]alheureusement, les prétendues améliorations
structurelles récentes des procédures d’investigation internes n’ont
pas encore conduit à des résultats concrets; il semble bien que le
Président de la Fédération de Russie ait récemment soumis à l’Assemblée
fédérale un projet de législation sur une réforme intégrée du ministère
de l’Intérieur» .
6. En ce qui me concerne, j'ai l'intention de demander, une fois
de plus, aux autorités compétentes de la Fédération de Russie de
me communiquer les résultats (tangibles) des progrès réalisés dans
les affaires dans lesquelles la Cour a constaté une absence d'enquête . Je ne peux
que souscrire à la résolution de l'Assemblée rappelant qu’«[i]l
est indispensable d’élucider véritablement au moins une partie importante
des affaires de cette nature pour mettre fin au climat d’impunité
dans la région» .
Amendement B
7. La situation des défenseurs des droits de l'homme est particulièrement
pertinente pour les réfugiés et les PDI rentrés chez eux, dans la
mesure où ces dernières ont énormément besoin de l'aide et de la
protection qui leur est ainsi offerte. La situation des défenseurs
des droits de l'homme en général, et de ceux qui prennent soin des
réfugiés et des PDI en particulier, demeure particulièrement difficile
dans tout le Caucase du Nord et notamment en République tchétchène.
Notre collègue Mme Mailis Reps a organisé une audition extrêmement intéressante
sur la situation des défenseurs des droits de l'homme lors de la
réunion de la commission des questions juridiques et des droits
de l'homme du 26 janvier 2012.
8. Les informations récentes fournies par Tatyana Lokshina, responsable
adjointe de Human Rights Watch (Moscou), parlent d'elles-mêmes .
D'après son témoignage, «le harcèlement des défenseurs des droits
de l'homme se poursuit et les organisations et les militants de
la société civile continuent à exercer leurs activités dans un climat
d'hostilité». Plus inquiétant encore, elle a indiqué à la commission
que «la plupart des agents du bureau du Comité contre la torture
de Grozny ont été contraints de démissionner avant la fin 2011 par
suite des pressions exercées par les autorités locales, qui en général
contactent et menacent les membres de leur famille. Plusieurs personnes
qui avaient recours aux services du Comité contre la torture en
Tchétchénie ont également été contactées par des fonctionnaires
de police, qui les ont menacées de graves répercussions pour leur
famille si elles osaient poursuivre leur coopération avec le comité
et leur quête de justice».
9. Cette attitude à l'égard des défenseurs des droits de l'homme
et des personnes qui leur demandent de leur venir en aide est totalement
inadmissible dans un Etat membre du Conseil de l'Europe, qui plus
est lorsqu'elle est dirigée contre une organisation à laquelle a
été décernée la même année le Prix des droits de l'homme de l'Assemblée!
Les meurtres de Natalia Estemirova, personnalité tchétchène de premier
plan dans la défense des droits de l'homme, assassinée en 2009,
et de deux militants locaux, Zarema Saidulaeva et Alik Dzhabrailov,
enlevés quelques semaines après Mme Estemirova par des personnes
identifiées par les témoins comme des fonctionnaires de police et
retrouvés morts quelques heures plus tard, n'ont toujours pas été
élucidés. Enfin et surtout, le cas de Zarema Gaïsanova, membre du
personnel du Conseil danois des réfugiés, enlevée à Grozny le 31
octobre 2009, reste encore à élucider.
10. Le Commissaire Hammarberg indique que «les fonctionnaires
de police du ministère de l'Intérieur auxquels les enquêteurs avaient
demandé à plusieurs reprises d'effectuer un certain nombre d'actes
dans le cadre de l'enquête n'en ont tenu aucun compte. Qui plus
est, une unité de police particulière, chargée à plusieurs reprises
par les enquêteurs de convoquer des témoins, n'aurait donné aucune
suite à cette demande» .
Les autorités ont assuré M. Hammarberg que l'enquête était en cours
et qu'elle était menée par une unité spéciale du Comité d'investigation
de la République tchétchène. Ces affaires emblématiques avaient déjà
été soulevées par M. Marty dans le rapport qu'il a rédigé en 2010
pour l'Assemblée et il convient de féliciter M. Hammarberg de les
avoir évoquées une nouvelle fois. Nous devons aux militants qui
ont consacré une grande partie de leur action aux réfugiés et aux
PDI d’avoir toujours la possibilité de saisir chaque occasion d'enquêter
et d'exiger des preuves tangibles des progrès de ces enquêtes.
Amendement C
11. Le fait que la situation n'ait toujours pas été réglée sur
le plan des droits de l'homme et de la sécurité dans la région est
l'une des raisons pour lesquelles les centaines de milliers de Tchétchènes
exilés, notamment, qui continuent à vivre dans d'autres régions
de Russie et hors de ce pays, hésitent à rentrer chez eux, en dépit
des difficultés, et parfois des préjugés racistes brutaux, auxquels
ils sont confrontés dans leur nouveau lieu de résidence et bien
qu'ils aient le mal du pays.
12. D'après les témoignages que j'ai recueillis auprès d'exilés
tchétchènes, les autorités de Grozny envoient des signaux désagréables
et déroutants. D'une part, les personnes qui vivent en exil sont
vivement invitées à rentrer chez elles et se voient même promettre
un logement, voire une voiture, en cas de retour. D'autre part, lorsqu'elles
refusent, elles sont menacées par des «envoyés» qui se montrent
de plus en plus pressants, par exemple en les interceptant à plusieurs
reprises dans la rue, en les empêchant de poursuivre leur chemin
et en menaçant les membres de leur famille restés au pays. L'issue
fatale du cas d'un autre opposant exilé, Umar Israïlov, qui refusait
de rentrer comme il y était invité de manière pressante, est bien
connue . Il a été abattu en pleine
rue à Vienne. Ses meurtriers, des Tchétchènes, ont été arrêtés par
la police autrichienne et condamnés par un tribunal viennois. Mais
ce procès n'a pas fait la lumière sur le contexte dans lequel s'inscrit ce
meurtre, en dépit de l'intervention courageuse de notre ancien collègue
M. Dick Marty en qualité d'expert-témoin .
13. Un rapport rendu par Pax Christi en décembre
2011 réunit une documentation sur un certain nombre d'affaires spécifiques
de menaces et de pressions à l'encontre de Tchétchènes exilés en
Pologne, et décrit la facilité quelque peu étonnante avec laquelle
les membres des services polonais et des services tchétchènes russes
coopèrent sur la base de relations personnelles anciennes. La facilité
avec laquelle les «kadyrovtsi» circulent en Pologne et ailleurs
suscite chez les Tchétchènes exilés un sentiment de profonde insécurité
et un manque de confiance à l'égard des autorités.