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Résolution 1873 (2012) Version finale

L'égalité entre les femmes et les hommes: une condition du succès du Printemps arabe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 24 avril 2012 (13e séance) (voir Doc. 12893, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteure: Mme Saïdi). Texte adopté par l’Assemblée le 24 avril 2012 (13e séance). Voir également la Recommandation 1996 (2012).

1. Un processus de transition démocratique est actuellement en cours dans un certain nombre de pays de la rive sud de la Méditerranée, qui ont été secoués par des soulèvements et des manifestations depuis janvier 2011. L’Assemblée parlementaire considère que la réussite de ce processus n’est possible que si l’égalité entre les femmes et les hommes devient la pierre angulaire des fondements législatifs et constitutionnels des nouvelles institutions, et si les femmes sont pleinement associées à leur élaboration et à leur mise en œuvre.
2. Un an après le début du Printemps arabe, la vie des femmes n’a connu aucune amélioration majeure. Les élections organisées en Egypte et en Tunisie ont au contraire mené à une réduction de la représentation politique des femmes, tandis qu’au Maroc le gouvernement ne compte qu’une seule femme. Ces élections ont également vu la victoire de partis d’inspiration religieuse, ce qui conduit à s’interroger sur les perspectives des programmes d’égalité entre les femmes et les hommes. En Libye, les droits des femmes ne figurent pas parmi les priorités du Conseil national de transition.
3. En dépit de ces développements, l’Assemblée estime qu’une fenêtre d’opportunité est encore ouverte pour le renforcement de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les pays de la région. Elle se félicite notamment des mesures positives prises par les autorités du Maroc et de la Tunisie non seulement pour garder une continuité avec les acquis du passé, mais aussi pour aller de l’avant dans la promotion des droits des femmes.
4. Ainsi, au Maroc, la nouvelle Constitution garantit le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, et la primauté des instruments internationaux des droits humains, auxquels le Maroc a adhéré, sur le droit interne. Le Maroc et la Tunisie ont mis en place des garanties spéciales pour favoriser la représentation des femmes dans les assemblées élues respectivement en octobre et en novembre 2011. En outre, les deux pays se sont engagés à retirer toutes les réserves à l’égard de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF).
5. Ces mesures devraient inspirer les autres pays de la région. De plus, pour qu’elles aient une incidence tangible sur le statut des femmes, il importe qu’elles soient suivies par des actions afin d’assurer la conformité de la législation avec les normes internationales relatives aux droits humains, de garantir le respect effectif et cohérent du droit, et de supprimer les obstacles légaux et pratiques qui limitent l’accès des femmes à la justice.
6. L’évolution du droit et des politiques ne pourra avoir d’incidence durable et efficace que si elle s’accompagne d’une évolution des mentalités. Dans les mois à venir, il importe que les responsables politiques, les institutions, les médias et le système éducatif jouent un rôle essentiel dans la levée des obstacles invisibles empêchant les femmes de jouir des droits humains.
7. L’Assemblée se tient prête à contribuer à l’établissement, y compris dans les pays voisins situés au sud de la Méditerranée, d’un espace de stabilité démocratique qui partage les mêmes valeurs et le même engagement en faveur de la démocratie pluraliste, des droits humains et de l’Etat de droit, dans un esprit de dialogue et de respect mutuel, fondé sur la conviction du caractère indivisible et universel des droits humains dont les droits des femmes font partie intégrante. Elle rappelle, à cet égard, que le statut de partenaire pour la démocratie établit un cadre structuré de coopération avec les parlements des Etats non membres des régions voisines qui souhaitent profiter de l’expérience de l’Assemblée.
8. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée invite les autorités de tous les pays de la région:
8.1. à s’engager clairement et sans équivoque à procéder à des réformes pour améliorer le statut des femmes et supprimer toute forme de discrimination à leur égard;
8.2. à mettre en place, dans la législation électorale, des dispositions spécifiques qui visent à promouvoir la représentation des femmes dans les instances publiques élues, à tous les niveaux, par exemple en conditionnant la validité des listes de candidats au respect d’un quota adéquat de sièges ou en imposant l’obligation d’alterner les candidatures des femmes et des hommes;
8.3. à mettre la législation dans le domaine du droit du mariage, de la famille, des successions et du statut personnel en conformité avec les normes internationales relatives aux droits humains, telles qu’énoncées par la CEDEF, et à garantir l’application de cette convention dans son intégralité;
8.4. à promouvoir la pleine participation des femmes et des organisations de femmes à la vie publique;
8.5. à introduire un cadre légal spécifique afin de prévenir et de poursuivre sur le plan pénal toutes les formes de violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, les mutilations génitales féminines, la négligence des filles, les crimes dits «d’honneur» et la violence sexuelle, de punir de façon effective les auteurs, et à assurer sa mise en œuvre;
8.6. à mettre en place des programmes et services afin d’apporter une assistance aux femmes victimes de violence et aux autres victimes de violence domestique;
8.7. à promouvoir les droits des femmes et l’égalité des sexes dans le discours public des autorités, afin de créer un climat favorable à l’autonomisation effective des femmes;
8.8. à impliquer les médias dans la promotion d’une culture d’égalité des sexes et dans la lutte contre les stéréotypes liés au genre;
8.9. à améliorer la formation juridique des membres de la police et de la magistrature dans le domaine des droits humains, à mettre en place des mécanismes pour contrôler et assurer la mise en œuvre homogène de la loi à travers leur territoire, à faciliter l’accès des femmes aux conseils et à la représentation juridiques, et à organiser des campagnes de sensibilisation aux droits des femmes;
8.10. à garantir la participation des femmes au processus de justice transitionnelle et à assurer la poursuite des actes de violence subis par des femmes au cours de manifestations pacifiques ou dans des situations de conflit armé, quel que soit le camp politique des auteurs de ces actes;
8.11. à organiser des formations sur l’égalité des sexes pour les fonctionnaires et des activités de sensibilisation sur l’égalité des sexes pour les éducateurs et les étudiants, à tous les niveaux;
8.12. à fournir un soutien financier aux organisations non gouvernementales travaillant pour la promotion des droits des femmes et à les impliquer dans la rédaction, la mise en œuvre, le contrôle et l’évaluation de tous les projets entrepris au profit des femmes;
8.13. à promouvoir l’accès des femmes à l’éducation et à introduire des mesures spécifiques visant à réduire le taux d’analphabétisme de celles-ci;
8.14. à développer des politiques spécifiques afin d’améliorer la situation des femmes dans les zones rurales.
9. L’Assemblée appelle les pays de la région qui vont entreprendre sous peu un processus de réforme constitutionnelle – l’Egypte, la Libye et la Tunisie – à s’assurer que:
9.1. le projet de Constitution est le produit d’un processus inclusif et fondé sur la consultation approfondie de toutes les parties concernées, comprenant la société civile et les organisations des droits humains et des droits des femmes;
9.2. le principe de l’égalité des sexes est consacré dans la Constitution et reflété dans les lois d’exécution;
9.3. la Constitution permet explicitement de prendre des mesures et de mener des politiques positives afin de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes;
9.4. la Constitution établit la primauté des instruments internationaux des droits humains ratifiés sur le droit interne.
10. L’Assemblée appelle les autorités du Maroc:
10.1. à signer et à ratifier le protocole additionnel à la CEDEF, qui reconnaît la compétence du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes pour recevoir des plaintes de la part d’individus ou de groupes;
10.2. à lancer un débat public autour de l’abolition de la polygamie;
10.3. à établir d’urgence une autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination, comme prévu dans l’article 19 de la Constitution, et à la doter des ressources humaines et financières suffisantes.
11. Rappelant que la Tunisie a été un pays pionnier dans la région en ce qui concerne l’égalité des sexes, et qu’elle a adopté des mesures de grande portée telles que l’abolition de la polygamie, l’Assemblée appelle ses autorités:
11.1. à continuer de placer l’amélioration du statut des femmes au centre des efforts liés à la réforme;
11.2. à profiter, en tant que membre de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), de son expérience dans le domaine de la transition démocratique par le biais de consultations et d’échanges de vues dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle Constitution;
11.3. à retirer la déclaration générale concernant l’interprétation de la CEDEF;
11.4. à réformer le Code du statut personnel afin que les épouses soient considérées comme conjointement chefs de famille;
11.5. à ériger le viol marital en infraction pénale.
12. L’Assemblée appelle le Maroc et la Tunisie:
12.1. à finaliser le processus de retrait de toutes les réserves à la CEDEF dans les plus brefs délais;
12.2. à entamer sans tarder un processus de réforme législative afin de rendre la législation conforme à la CEDEF, en faisant appel à l’expertise de la Commission de Venise dont ils sont tous deux membres, si cela est nécessaire;
12.3. à considérer la lutte contre la violence à l’égard des femmes comme une priorité politique, en particulier:
12.3.1. en s’opposant à l’idée que la violence domestique est une affaire privée et en affirmant que la violence à l’égard des femmes devrait toujours relever de l’intérêt public;
12.3.2. en s’assurant que la police enquête sur tous les cas de violence à l’égard des femmes, même lorsqu’une plainte est retirée;
12.3.3. en organisant des campagnes afin de sensibiliser l’opinion publique à la violence à l’égard des femmes et d’encourager les victimes à signaler tout abus aux autorités;
12.3.4. en collectant régulièrement des informations, données et statistiques sur la violence domestique ainsi que sur d’autres formes de violence à l’égard des femmes, telles que les crimes dits «d’honneur», la négligence des filles et les mariages forcés;
12.3.5. en abrogeant la disposition juridique qui permet au violeur d’une mineure d’éviter des poursuites criminelles s’il épouse la victime, et en s’assurant que le fait que la victime soit mineure représente une circonstance aggravante dans le contexte de procédures judiciaires;
12.3.6. en envisageant d’adhérer à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210);
12.3.7. en mettant en place des activités de coopération avec le Conseil de l’Europe dans ce domaine.
13. L’Assemblée rappelle que le Parlement du Maroc a le statut de partenaire pour la démocratie depuis juin 2011 et réitère son appel à l’Assemblée nationale constituante de Tunisie de considérer les perspectives de dialogue parlementaire offertes par le statut de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée. Elle adresse un appel similaire aux autres pays de la région. De même, elle invite les autorités des pays de la région, s’ils ne l’ont pas encore fait, à considérer la possibilité de rejoindre le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) et la Commission de Venise.
14. L’Assemblée attire également l’attention des autorités compétentes des pays de la rive sud de la Méditerranée sur l’importance du Centre Nord-Sud – dont le Maroc est membre – en tant que plate-forme de coopération rassemblant les gouvernements, les parlementaires, les autorités locales et régionales et la société civile. Elle les invite en particulier à apporter leur soutien – et à encourager une participation active – au processus Nord-Sud de renforcement du rôle des femmes mis en place par le centre dans le cadre du suivi de la conférence «Les femmes agentes de changement au sud de la Méditerranée» (Rome, 24-25 octobre 2011).