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Résolution 1879 (2012) Version finale

La situation des personnes déplacées dans le Caucase du Nord et retournées dans la région

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 avril 2012 (17e séance) (voir Doc. 12882, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, rapporteur: M. Dendias; et Doc. 12899, avis de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteure: Mme Beck). Texte adopté par l’Assemblée le 26 avril 2012 (17e séance).

1. L’Assemblée parlementaire souligne l’importance de continuer de traiter les aspects humanitaires des déplacements prolongés dans le Caucase du Nord. Fin 2011, on comptait dans la région au moins 28 450 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI), 350 000 PDI rapatriées et 30 000 réfugiés. Les incessants problèmes de sécurité (menaces terroristes) dans certaines parties de la région continuent de faire obstacle à des solutions durables pour tous.
2. L’Assemblée reconnaît les efforts remarquables déployés par les autorités fédérales, régionales et locales depuis le précédent rapport de l’Assemblée menant à la Résolution 1404 (2004) sur la situation humanitaire de la population tchétchène déplacée. Les autorités de Moscou, d’Ossétie du Nord-Alanie et d’Ingouchie semblent adopter une approche de plus en plus pratique et réaliste de la normalisation des conditions de vie des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à la suite d’un conflit.
3. Cependant, la réponse des pouvoirs publics aux déplacements à l’intérieur d’un pays mérite encore d’être améliorée. Les problèmes omniprésents de non-respect de l’obligation de rendre des comptes et d’absence de contrôle des dépenses, évoqués dans les précédents rapports, persistent. L’accent a principalement été placé sur l’aide au logement, qui ne s’est pas toujours avérée adéquate ou cohérente.
4. L’Assemblée reconnaît que le manque de données faisant autorité sur le nombre et la situation des PDI ou PDI rapatriées constitue un obstacle majeur à la résolution du problème des déplacements internes dans le Caucase du Nord. Des solutions durables ne peuvent être mises en place sans collecte de données précises, fondées sur la définition internationale des PDI, pour déterminer si les besoins spécifiques et les vulnérabilités liés à ces déplacements subsistent. La définition, le dénombrement et le suivi des PDI sont essentiels pour garantir la satisfaction de tous leurs besoins restants liés au déplacement, tant en termes d’assistance que de protection.
5. L’Assemblée reste sérieusement préoccupée par les difficultés auxquelles les personnes déplacées par les conflits dans la région continuent d’être confrontées. Bien que 124 700 personnes aient été indemnisées pour un montant de 26,43 milliards de roubles, beaucoup ont vu leurs demandes d’aide des pouvoirs publics rejetées ou interrompues. Certaines continuent aussi de se battre pour faire enregistrer leur lieu de résidence actuel, une démarche dans la pratique indispensable pour accéder à certains droits. Beaucoup dépendent des allocations des pouvoirs publics, qui constituent leur principale source de revenu. Compte tenu de leurs revenus limités, associés à des mécanismes d’indemnisation le plus souvent inefficaces en cas de perte d’un bien, et à une aide publique au logement inadéquate, la plupart d’entre elles continuent de vivre dans des conditions de logement ne répondant pas à des normes minimales.
6. L’Assemblée s’inquiète de la probable dégradation du niveau de vie de ces personnes si le gouvernement n’intervient pas plus efficacement. Les agences des Nations Unies ont quitté le Caucase du Nord à la fin de l’année 2011 et n’y entreprendront plus de nouveaux projets au bénéfice des PDI. Les autorités russes ne compensant pas intégralement le travail des Nations Unies ou les financements des donateurs qui se sont retirés, les PDI auront un choix plus restreint d’organisations vers lesquelles se tourner pour obtenir de l’aide et il sera plus difficile de suivre la situation humanitaire des PDI, des PDI rapatriées et des réfugiés.
7. L’Assemblée note avec optimisme que la Fédération de Russie est un Etat riche et capable, en mesure de résoudre les problèmes en suspens liés au déplacement à l’intérieur du pays. Résoudre les situations de déplacement prolongé de populations dans le Caucase du Nord demandera une volonté politique durable et l’allocation de ressources, voire le renforcement des capacités de certaines institutions de l’Etat. Un processus fondé sur les droits, des procédures plus transparentes, une meilleure communication avec les PDI et une participation accrue de ces dernières seront par ailleurs indispensables.
8. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée appelle:
8.1. le Gouvernement fédéral russe:
8.1.1. à harmoniser sa législation en matière de déplacement à l’intérieur du pays avec les Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (ci-après «principes directeurs») et la Recommandation Rec(2006)6 du Comité des Ministres relative aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, en utilisant notamment la définition des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays énoncée dans ces principes directeurs et en supprimant l’exigence de franchissement d’une frontière intérieure pour qu’elles soient considérées comme telles;
8.1.2. à mener une étude, en se fondant sur la définition des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays énoncée dans les principes directeurs, afin de déterminer l’effectif, la localisation et les besoins actuels des personnes déplacées depuis la Tchétchénie et l’Ossétie du Nord-Alanie ou dans ces pays à la suite d’un conflit, ainsi que les problèmes en suspens qui exigent une action pour parvenir à des solutions durables;
8.1.3. à réparer et à mettre en œuvre un plan d’action avec des ressources financières adéquates pour régler tous les problèmes restants liés au déplacement affectant les PDI, tels qu’ils ressortiront de l’étude nationale évoquée plus haut, et à veiller à ce que les besoins et les droits des PDI guident l’ensemble des politiques et des décisions;
8.1.4. à veiller à ce que le montant des indemnisations pour les biens détruits soit suffisant pour permettre l’acquisition, la construction ou la reconstruction des logements, en adoptant notamment des dispositions pour mettre un terme aux demandes de dessous-de-table;
8.1.5. à faire de la création d’emplois et de la construction de logements sociaux des priorités de la Stratégie de développement socio-économique du district fédéral du Caucase du Nord jusqu’en 2020,et à veiller à garantir aux personnes déplacées en raison des conflits en Tchétchénie et en Ossétie du Nord-Alanie des facilités d’accès à ces initiatives ainsi qu’aux possibilités de reconversion professionnelle et au microcrédit pour le financement de projets générateurs de revenus;
8.1.6. à abolir l’enregistrement du lieu de résidence dans les politiques et la pratique, conformément aux engagements souscrits par la Fédération de Russie lors de son adhésion au Conseil de l’Europe (Avis 193 (1996) de l’Assemblée relatif à la demande d’adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe et Recommandation 1544 (2001) de l’Assemblée «Le système de la propiska appliqué aux migrants, demandeurs d’asile et réfugiés dans les Etats membres du Conseil de l’Europe: effets et remèdes»);
8.1.7. à renforcer la supervision et la transparence des dépenses budgétaires dans les républiques du Caucase du Nord en procédant à des transferts fédéraux sur la base du respect des critères nécessaires publiés dans les plans de développement et en en rendant compte; à faire des efforts particuliers pour éradiquer la corruption conformément aux recommandations du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO);
8.1.8. à stabiliser la situation sécuritaire dans la région conformément aux normes internationales des droits de l’homme et à veiller à la résolution effective des conflits;
8.1.9. à mettre un terme à l’impunité des auteurs de graves violations des droits de l’homme, y compris de meurtres, de disparitions forcées et d’actes de torture, notamment en renforçant le contrôle fédéral sur les activités des forces de l’ordre et des services de sécurité régionaux, et en exécutant scrupuleusement les nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme;
8.1.10. à prendre des mesures adéquates pour garantir l’indépendance des mécanismes nationaux des droits de l’homme dans le Caucase du Nord et à soutenir leur capacité constante à suivre la situation des PDI sur le plan des droits de l’homme ainsi que la mise en œuvre des obligations et engagements du gouvernement vis-à-vis des PDI;
8.1.11. à faciliter le travail des organisations non gouvernementales (ONG) et d’autres organisations intervenant dans la région sur les problèmes relatifs aux PDI;
8.1.12. à continuer de s’appuyer sur l’aide des institutions internationales compétentes, en particulier les Nations Unies, pour mettre en œuvre les recommandations formulées dans le présent rapport, notamment l’étude sur la situation des PDI et le plan d’action;
8.2. le Gouvernement de la République tchétchène:
8.2.1. à procéder de manière progressive à la fermeture, lorsqu’elle est inévitable, des centres d’accueil hébergeant des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en raison de conflits, et à appliquer rigoureusement une procédure satisfaisant aux normes internationales;
8.2.2. à envisager l’achat de logements sur le marché immobilier ou à faciliter l’accès aux logements municipaux, avec une garantie légale de maintien dans les lieux pour les personnes sans domicile permanent à la suite des conflits et sans possibilité de retour sur leur lieu de résidence antérieur;
8.2.3. à accélérer le processus de versement des indemnisations pour les biens détruits;
8.2.4. à augmenter et à diversifier l’offre d’emplois stables, et à privilégier les entreprises et les travailleurs locaux plutôt que de recourir à des entreprises étrangères pour intervenir sur le plan local;
8.2.5. à veiller à ce que les ONG intervenant sur le territoire de la république dans le domaine humanitaire et des droits de l’homme, y compris celui des droits des PDI, puissent travailler librement et sans intimidation ou entrave; à mener une enquête approfondie et à diligenter des poursuites contre les auteurs de tous les actes criminels commis à l’encontre de ces défenseurs des droits de l’homme et des personnes qui sont retournées chez elles, y compris les anciens hauts représentants des gouvernements précédents;
8.2.6. à s’abstenir d’intimider ou de faire pression sur les réfugiés tchétchènes qui vivent dans d’autres régions de la Fédération de Russie ou à l’étranger pour qu’ils retournent en République tchétchène et fassent publiquement allégeance aux autorités actuelles; à mener une enquête approfondie sur les circonstances du meurtre d’Umar Israïlov à Vienne et à engager également des poursuites à l’encontre des instigateurs et des organisateurs de ce crime;
8.3. le Gouvernement de la République d’Ingouchie:
8.3.1. à veiller à ce que le programme de développement socio-économique pour 2012-2016 traite effectivement les problèmes de logement auxquels sont confrontées les PDI, en proposant notamment un éventail de solutions répondant à leurs souhaits en matière d’installation;
8.3.2. à faciliter l’accès aux logements municipaux, avec une garantie légale de maintien dans les lieux, aux personnes déplacées à l’intérieur des Républiques tchétchène et d’Ossétie du Nord-Alanie qui ne disposent pas d’un logement permanent ou du statut de migrant forcé, dans des zones répondant à leurs souhaits d’installation;
8.3.3. à veiller à ce que les structures temporaires hébergeant les personnes déplacées ne soient pas fermées avant qu’une solution de logement de remplacement et une aide à la réinstallation aient été proposées aux résidents, et à s’assurer que ces derniers soient clairement informés du déroulement des opérations et qu’ils aient la possibilité de participer au processus décisionnel;
8.4. le Gouvernement de la République d’Ossétie du Nord-Alanie:
8.4.1. à poursuivre le processus de réconciliation de manière beaucoup plus dynamique, en particulier dans les zones de retour ou d’installation de personnes déplacées lors du conflit de 1992, en favorisant un climat politique et culturel de respect, de tolérance et de non-discrimination;
8.4.2. à instaurer un mécanisme pour résoudre le problème de l’occupation secondaire des logements des personnes déplacées à l’intérieur du pays lors du conflit de 1992 et qui souhaitent rentrer chez elles;
8.4.3. à accélérer le processus de versement de l’aide au logement aux personnes dont les propriétés ont été détruites durant le conflit;
8.4.4. à faciliter l’accès aux documents officiels aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays lors du conflit de 1992 et aux réfugiés, notamment aux résidents des nouvelles zones d’installation de Novy et Maïskiy;
8.4.5. à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour apporter des solutions à la situation critique des réfugiés ossètes de souche en matière de logement depuis les conflits du début des années 1990 en Géorgie, en recourant à des financements fédéraux ou régionaux ou à des donateurs internationaux.
9. L’Assemblée reconnaît l’ampleur du travail accompli par les agences locales et internationales et les ONG dans la région depuis des années. Ce travail a contribué à la protection des groupes déplacés de force dans le Caucase du Nord et a, dans une certaine mesure, apaisé les souffrances liées au déplacement prolongé de populations. L’Assemblée encourage ces organisations à maintenir leurs bureaux dans la région, à continuer d’améliorer les conditions de vie des personnes déplacées et à aider le gouvernement à assumer sa responsabilité première, qui est de leur assurer protection et assistance.
10. L’Assemblée invite les Etats membres à apporter leur savoir-faire et leur assistance à la Fédération de Russie pour la réalisation d’une étude détaillée sur le nombre actuel de personnes déplacées dans les Républiques tchétchène et d’Ossétie du Nord-Alanie, leur localisation et leurs besoins d’assistance et de protection liés au déplacement, et à coparrainer des projets éventuels d’amélioration de la situation du logement des PDI dans la région par l’intermédiaire de la Banque de développement du Conseil de l’Europe.