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Rapport | Doc. 12930 | 10 mai 2012

Les cimetières juifs

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Piet De BRUYN, Belgique, NI

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12115, Renvoi 3641 du 29 janvier 2010. 2012 - Commission permanente de mai

Résumé

Les cimetières juifs sont nombreux en Europe et doivent être protégés et préservés. Ils font partie du patrimoine culturel européen et constituent un élément important dans la religion juive. Ces cimetières sont probablement plus menacés que ceux des autres confessions représentées en Europe, en raison de l’histoire tragique du peuple juif qui a conduit à l’extermination, à l’exode ou au transfert de nombreuses communautés locales. Les gouvernements, les membres des communautés juives et les organisations de protection du patrimoine ont la responsabilité de mettre en place des formes appropriées de coopération pour assurer leur protection.

Les Etats membres du Conseil de l'Europe sont invités à mettre en œuvre un certain nombre de recommandations et à promouvoir la participation de différents acteurs dans des actions communes. L'Union européenne devrait coopérer avec le Conseil de l'Europe en développant des lignes directrices et des incitations financières pour la protection et la préservation des sites du patrimoine juif, en particulier dans le cadre de l’Accord partiel élargi du Conseil de l'Europe sur les itinéraires culturels et par un soutien concret à la mise en œuvre effective de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 24 avril
2012.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle la contribution historique des communautés juives à la création du tissu social, culturel et économique de l’Europe et souligne combien il est important de préserver l’identité religieuse, historique et culturelle des communautés juives.
2. L’Assemblée souligne l’importance de la liberté de religion et d’expression religieuse et défend le droit de reposer en paix, interprété comme un aspect particulier du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5). L’Assemblée estime qu’il y a une responsabilité de protéger la dignité humaine au sens large en préservant les défunts dans leur sépulture et de respecter leur religion en veillant à ce qu’ils soient préservés d’une manière compatible avec leur pratique religieuse.
3. Les cimetières et les fosses communes juifs (ci-après «lieux d’enterrement») font partie du patrimoine culturel européen. La Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE n° 199, «Convention de Faro») établit un lien important entre la protection des droits fondamentaux et celle du patrimoine et affirme l’existence d’une «responsabilité européenne commune» vis-à-vis du patrimoine culturel, qui embrasse non seulement les éléments exceptionnels mais aussi ordinaires du patrimoine et les valeurs qui y sont attachées.
4. L’histoire tragique du peuple juif a conduit à l’extermination, à l’exode ou au transfert de nombreuses communautés locales. Quoiqu’il y ait encore souvent des traces des anciens cimetières dans les villes et villages où la population juive n’est plus présente, leur préservation et leur protection sont constamment menacées.
5. L’Assemblée relève que les dommages subis par les lieux d’enterrement juifs en Europe ne se limitent pas aux profanations de tombes mais sont très souvent le résultat d’une gestion déficiente, d’un manque de ressources, de violations des mesures de protection, de règles d’urbanisme inadaptées ou d’abus de propriété.
6. En outre, le statut juridique des lieux d’enterrement juifs est complexe, compte tenu de la variété des situations juridiques dans lesquelles se trouvent à la fois ces sites et les communautés juives dans différents pays européens. Il se peut aussi que, notamment dans les pays d’Europe centrale et orientale, un statut juridique spécial ait été tout simplement négligé ou oublié à la suite d’importants changements de régime politique.
7. Toutefois, l’Assemblée attire également l’attention sur les exemples positifs d’efforts de protection et de préservation des lieux d’enterrement juifs déployés conjointement par des organisations locales et internationales juives et non juives, en coopération avec les autorités locales dans toute l’Europe. Ces efforts mettent en évidence la volonté de favoriser une prise de conscience et de tirer les enseignements de l’Histoire et une détermination à assumer une responsabilité commune pour la sauvegarde de ce patrimoine.
8. Un Itinéraire européen du patrimoine juif – établi sous les auspices de l’Accord partiel élargi du Conseil de l'Europe sur les itinéraires culturels – crée les opportunités et les conditions favorables pour protéger et préserver le patrimoine juif, dont les lieux d’enterrement, dans le cadre de son objectif général qui est de contribuer à la reconstruction spirituelle et historique des communautés juives détruites et à une connaissance accrue de l’histoire de l’Europe.
9. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux Etats membres du Conseil de l'Europe:
9.1. de signer, de ratifier et de mettre en œuvre la Convention de Faro;
9.2. d’adhérer à l’Accord partiel élargi du Conseil de l'Europe sur les itinéraires culturels et, le cas échéant, de participer à son Itinéraire européen du Patrimoine juif qui constitue un excellent cadre pour une action concertée aux niveaux national et international;
9.3. de réviser, si besoin est, les cadres juridique, financier et professionnel nationaux afin notamment:
9.3.1. que la réglementation applicable, comme celle relative à l’urbanisme, prenne en compte les dispositions particulières en matière de conservation;
9.3.2. que les projets de développement local fassent effectivement l’objet d’un contrôle pour éviter la violation des lieux d’enterrement juifs;
9.3.3. que les décisions concernant d’éventuels aménagements de ces sites tiennent dûment compte des valeurs et traditions culturelles et religieuses juives;
9.4. de mettre en œuvre, en partenariat avec les autorités locales concernées et les organisations juives intéressées, comme le Comité pour la préservation des cimetières juifs en Europe et l’Organisation mondiale Agudath Israël, des initiatives visant à améliorer la gestion, l’entretien, la préservation et la restauration des lieux d’enterrement juifs et, en particulier:
9.4.1. de favoriser les actions conjointes entre les pouvoirs publics et les parties prenantes concernées telles que des experts, des universitaires, des centres d’archivage publics et privés, des entreprises et des organisations non gouvernementales;
9.4.2. de recenser et de recueillir les meilleures pratiques et d’élaborer des lignes directrices nationales;
9.4.3. d’établir des programmes de localisation des lieux d’enterrement juifs, en recourant à des moyens techniques non intrusifs (comme les radars à pénétration de sol) et de faciliter les recherches techniques et le recensement de ces lieux;
9.4.4. de constituer des bibliothèques virtuelles des sites, comportant des cartes, des photographies et des témoignages, et de les actualiser en permanence;
9.4.5. de promouvoir la connaissance de l’histoire locale et du patrimoine culturel local juif dans le cadre des stratégies de développement local;
9.4.6. de sensibiliser les communautés locales au besoin impérieux de préserver les sites menacés de profanation, de dégradation ou de disparition;
9.4.7. de lancer ou d’encourager des projets pilotes faisant participer des établissements scolaires et des associations locales à la construction de murs protecteurs, à l’entretien des cimetières, à la consultation des archives locales, à «l’adoption» de cimetières, etc.;
9.5. de coopérer avec le Conseil de l'Europe:
9.5.1. pour élaborer des instruments pratiques destinés à promouvoir la mise en œuvre de la Convention de Faro, comme des mécanismes participatifs visant à associer les communautés patrimoniales à la protection, à la restauration, à l’entretien et à la transmission du patrimoine culturel et religieux local;
9.5.2. pour échanger les meilleures pratiques et élaborer des lignes directrices communes concernant la protection du patrimoine juif, dont les lieux d’enterrement juifs;
9.5.3. pour promouvoir, avec le concours d’organisations juives locales et internationales, la connaissance de l’histoire juive, en mettant tout particulièrement l’accent sur la contribution positive des Juifs, individuellement ou collectivement, et de leur culture aux sociétés européennes et sur leur rôle dans l’histoire locale et nationale.
10. L’Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe à prendre en compte la présente résolution et à promouvoir la coopération entre les autorités locales et régionales à cet égard.
11. L’Assemblée invite l’Union européenne à coopérer avec le Conseil de l'Europe afin de soutenir la mise en œuvre effective de la Convention de Faro, d’élaborer des principes directeurs et de mettre en place des incitations financières pour protéger et préserver les sites patrimoniaux juifs dans le cadre de l’Accord partiel élargi du Conseil de l'Europe sur les itinéraires culturels.

B. Exposé des motifs, par M. De Bruyn, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le présent rapport fait suite à une proposition de recommandation sur les cimetières juifs présentée par M. Mátyás Eörsi et plusieurs de ses collègues en janvier 2010 (Doc. 12115). La proposition de recommandation reposait sur le constat de plusieurs particularités historiques et religieuses:
  • dans la croyance juive, le cimetière revêt un caractère sacré, supérieur même à celui des synagogues. C’est une «maison de la vie/des vivants» où les âmes, qui gardent un lien indissociable avec les corps des défunts, attendent la résurrection à venir;
  • dans beaucoup de pays européens, l’extermination des Juifs pendant la seconde guerre mondiale a eu pour conséquence la disparition de communautés juives européennes et, par conséquent, l’abandon forcé de nombreux cimetières;
  • l’état de dégradation critique et la persistance de l’antisémitisme en Europe nécessite des mesures spécifiques de protection et de préservation des cimetières juifs et des fosses communes.
2. Par le passé, l'Assemblée a eu l'occasion d'examiner des questions portant sur la préservation et le développement des cultures religieuses traditionnelles, notamment dans sa Résolution 885 (1987) relative à la contribution juive à la culture européenne et dans sa Recommandation 1291 (1996) sur la culture yiddish, qui présentent un intérêt pour ce rapport.
3. Le rapporteur tient à remercier M. Eörsi, qui est à l’origine de la proposition de recommandation, et Mme Blanca Fernandez-Capel Baños, première rapporteure, qui a présenté un schéma de rapport à la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias en janvier 2011. Le présent exposé des motifs s’appuie sur les thèmes définis par Mme Fernandez-Capel Baños. Le rapporteur a été assisté d’un expert consultant, le rabbin Mendel Samama, qui a collaboré avec l'équipe du grand rabbin de France Gilles Bernheim pour recueillir les informations pertinentes sur la situation actuelle des cimetières juifs et des fosses communes en Europe. Les analyses figurant aux chapitres 2 et 3 sont fondées sur ces informations.
4. Lors de sa réunion du 6 mars 2012, la commission a eu un échange de vues avec M. Louis-Léon Christians, professeur titulaire de la chaire de droit des religions à l’Université catholique de Louvain (Belgique), et avec Mme Petya Totcharova, chef de l’unité «Europe» au Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO, dont l’expertise et les exposés ont servi à réaliser l’analyse contenue dans le chapitre 4. Le rapporteur tient également à remercier M. Daniel Thérond, chef du Service de la culture, du patrimoine et de la diversité à la Direction générale de la démocratie (DGII), qui a donné de précieuses indications au sujet des dispositions de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE n° 199, «Convention de Faro») directement liées aux questions soulevées par le présent rapport.
5. Le rapport s’intéresse surtout aux cimetières juifs. Ils peuvent en effet être considérés comme plus vulnérables que les lieux sacrés d’autres religions. Ces dernières risquent cependant aussi d’être touchées par des problèmes de profanation, comme le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg, l’a confirmé en novembre 2010: «Ces derniers mois, des cimetières musulmans, juifs et chrétiens (orthodoxes et catholiques) ont été profanés dans plusieurs pays européens, dont la République tchèque, la France, la Grèce, la Pologne, la Russie et la Turquie. (…) De tels actes de mépris sont perpétrés dans la quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l'Europe. Ces crimes de haine menacent directement les droits de l'homme.»
6. D’autres cas de profanation ou de menaces pesant sur des sites du patrimoine religieux s’observent dans des pays où des déplacements de population, dus notamment à des conflits (dont ceux de l’ex- Yougoslavie), ont séparé des communautés de leurs lieux de culte. En Bosnie-Herzégovine, par exemple, plus de 3 200 sites religieux ont été endommagés ou totalement détruits dans les années 1990. Nombre d’entre eux étaient répertoriés comme faisant partie du patrimoine culturel et historique. Si les opérations de reconstruction et de restauration ne progressent pas, c’est principalement à cause de la crise économique, du manque de ressources financières et de la lenteur du processus de retour des minorités ethniques dans les régions touchées par le conflit. Les représentants religieux des communautés musulmanes, catholiques, orthodoxes et juives s’accordent tous à reconnaître que, dans les zones où les minorités ne se décident pas à retourner, il est très difficile de restaurer et de faire revivre les éléments endommagés du patrimoine religieux. De plus, les investissements sont destinés en priorité à la reconstruction des logements, des établissements scolaires, des hôpitaux, des entreprises et des infrastructures, qui sont tous nécessaires au développement économique du pays.
7. En conséquence, les enseignements tirés des analyses ci-dessous et les conclusions du présent rapport, ainsi que les propositions concernant la protection et la préservation des lieux de sépulture juifs, pourraient aussi s’appliquer, mutatis mutandis, à d’autres communautés religieuses.

2. La situation des cimetières juifs en Europe: vue d’ensemble

8. En Europe, où l’histoire de la présence juive remonte à l’époque romaine, les communautés juives ont subi de nombreuses périodes d’exclusion et de persécution. Durant la seconde guerre mondiale, la majorité de la population juive a été exterminée par les nazis et leurs alliés. Les survivants se sont retrouvés dispersés dans le monde, contraints de laisser les cimetières derrière eux.
9. Des efforts communs de protection et de préservation de ces cimetières, à la fois en Europe de l’Est et à l’étranger, ont été entrepris par des organisations locales et internationales, et par des autorités. Ils mettent en évidence la volonté d’assumer une responsabilité, mais aussi une volonté d’apprendre l’histoire, d’en tirer des enseignements et surtout de participer à la préservation et à la transmission de cet héritage aux générations futures.
10. Depuis la chute du communisme et l’ouverture des frontières de l’Europe de l’Est aux touristes de l’Ouest, l’Europe de l’Est est redevenue la destination de pèlerinage des Juifs du monde entier sur les lieux où vécurent leurs ancêtres et les cimetières y rattachés. Les visiteurs sont des descendants qui désirent prier sur les tombes familiales ou sur celles d’illustres autorités rabbiniques de renommée internationale. L’apport historique des communautés juives à la construction socioculturelle et économique européenne est également à rappeler.
11. Les participants à ces pèlerinages sont aussi des non-Juifs qui souhaitent se connecter à l’histoire et à l’héritage de leur passé. De nombreuses agences se sont spécialisées dans le tourisme permettant parallèlement le développement d’une économie locale. La construction de murs d’enceinte, la maintenance des cimetières, la consultation des archives locales, l’«adoption» d’un cimetière par les écoles, et bien d’autres domaines, sont autant de projets qui valorisent un patrimoine commun.

2.1. Description des lieux d’enterrement juifs

12. Une description exacte des lieux d’enterrement juifs ne peut être entreprise et comprise que par une présentation préliminaire du statut de ces lieux dans la loi et la pratique juives. Selon les règles halachiques, le cimetière, appelé «maison des vivants», ou tout lieu d’enterrement juif, jouit d’un statut de sainteté plus élevé que celui de la synagogue. Une fois une tombe fermée, que ce soit une tombe individuelle ou une fosse commune, qu’elle soit ancienne ou récente, il est strictement interdit de l’ouvrir, même avec l’intention de la refermer immédiatement.
13. La tradition juive prescrit l’achat de la tombe pour en assurer sa perpétuité. S’il n’y a pas d’héritiers, ou si ceux-ci sont dans l’incapacité de payer, la tombe sera achetée avec l’argent de la communauté. Tout transfert d’une tombe est prohibé par le Talmud. Un cadavre ne peut être déplacé de l’endroit où il est enterré. Selon la foi juive, l’âme du défunt reste en relation directe avec le corps et ne l’abandonne pas. La résurrection promise se fera dans le corps dans lequel l’homme séjournait à la fin de ses jours.
14. Même si les pierres tombales ont été enlevées du cimetière, le site garde sa sainteté et reste inviolable. C’est pourquoi un cimetière sur lequel il ne reste que quelques pierres tombales visibles peut être le lieu d’enterrement de centaines de juifs. D’autre part, même une sépulture isolée sans pierre tombale ni autre signe distinctif conserve ce caractère sacré 
			(2) 
			Rabbi
Elyokim Schlesinger, The Sacred Obligation
of Burial, Life after Death in Jewish Belief, European
Agudas Yisroel, Anvers, octobre 2008, <a href='http://www.uclouvain.be/414716.html'>http://www.uclouvain.be/414716.html</a>..
15. Mais les lieux d’enterrement ne peuvent se limiter aux cimetières: les fosses communes, au regard de la loi juive et de notre devoir de mémoire, doivent être considérées au même titre que les cimetières.
16. Des mémoriaux ont été construits sur un certain nombre de ces lieux d’extermination, parfois au-dessus de la fosse même ou à côté, et d’autres fois plus loin, si ces lieux sont devenus difficilement accessibles.
17. Cependant, il faut rappeler que les mémoriaux servent par définition à préserver des événements dans la mémoire commune mais pas forcément à protéger un lieu chargé d’histoire. Ainsi, l’exhumation des corps d’une fosse commune ou des tombes d’un cimetière pour le remplacer par un mémorial ne constitue pas une forme de protection.

2.2. Menaces sur les lieux d’enterrement juifs

18. La situation globale des lieux d’enterrement juifs en Europe est alarmante. Car s’il existe encore des traces des anciens cimetières dans des villes et villages dont la population juive n’est plus présente, leur préservation et leur protection sont sous une menace perpétuelle.
19. Les abus qui frappent les cimetières juifs en Europe ne se limitent pas aux profanations de tombes dues à des groupes antisémites ou inciviques. Ils relèvent plus insidieusement de l’exploitation indue de cimetières anciens, laissés à l’abandon après la Shoah ou à la suite de l’exode forcé des communautés qui les avaient fondés. Il ne s’agit pas seulement de certaines gestions déficientes des pouvoirs publics en matière d’aménagement du territoire, mais aussi, particulièrement en Europe centrale, de diverses formes d’abus de propriété ou de violation des mesures de protection des sépultures.
20. Les cimetières anciens sont souvent purement et simplement détruits et leurs terrains détournés à des fins lucratives. Un urbanisme sauvage ainsi qu’un redéploiement industriel trop rapide et mal encadré conduisent d’autant plus aisément à des abus que les descendants des défunts sont aujourd’hui dispersés, éloignés ou que les communautés locales subsistantes sont faibles et dépourvues de moyens. On constate par ailleurs un manque d’intérêt pour ces lieux d’ensevelissement anciens qu’on ne considère pas, injustement, comme partie du patrimoine culturel.
21. Le statut juridique de ces cimetières peut se révéler complexe, au regard de la variété des situations juridiques tant des lieux de sépultures que des minorités juives. Mais il se peut aussi que ce statut soit tout simplement négligé ou oublié à la suite des changements de régimes politiques. Enfin, les violations de sépulture liées à des abus d’aménagement du territoire peuvent également recouper des phénomènes latents d’antisémitisme.
22. C’est ainsi que la simple proposition d’un promoteur immobilier peut transformer un cimetière en un complexe hôtelier. Certes, si ce type de disparition radicale est bien réel, il ne faut surtout pas sous-estimer la disparition lente et passive de ces lieux, en raison de l’érosion due au temps. En outre, les cimetières non protégés sont souvent victimes d’un mécanisme d’élimination et de profanation, avec, dans un premier temps, la disparition des stèles, puis par l’annexion progressive du terrain appartenant aux cimetières aux terres agricoles rattachées aux champs voisins.
23. En somme, plusieurs éléments entrent en ligne de compte, mais presque tous les lieux d’enterrement sont menacés à différents degrés par un ou plusieurs de ces facteurs:
  • l’érosion due au temps; le développement de la végétation; la pollution;
  • l’accès incontrôlé; l’annexion à un territoire voisin; un raccourci pour la circulation routière ou pédestre;
  • le vandalisme: de nombreux cimetières souffrent de dommages causés avant et après la seconde guerre mondiale et durant le régime nazi; les actes de profanation et d’antisémitisme; les vols de pierres tombales et de sépultures; les vols de dents en or et d’ossements;
  • l’entretien inapproprié ou insuffisant; le manque de moyens et d’outils légaux requérant l’autorisation des ayants droit juifs avant tous travaux sur le site de lieux d’enterrement juifs; la découverte de lieux d’enterrement juifs «non visibles» qui «apparaissent» seulement lorsque l’exhumation a déjà commencé.
24. Certains lieux d’enterrement juifs profanés ont été transformés et destinés à d’autres usages, tels que forestier, agricole, commercial ou industriel. Ils sont devenus zones résidentielles, jardins publics, parcs de loisirs, terrains militaires ou lieux de stockage; certains ont été transformés en lacs…
25. De nombreuses enquêtes ont été réalisées, qui offrent une image de l’état d’identification de certains de ces sites. Par exemple, certains sont identifiés mais non protégés; certains sont partiellement délimités mais ne sont pas entourés d’une enceinte de protection, de même que leurs frontières ne sont pas clairement délimitées; certains ne portent aucune indication in situ qui les identifient comme cimetières juifs; certaines fosses communes ont été datées sous l’ère soviétique et ces sites ne sont donc pas identifiés comme des lieux d’enterrement juifs.

2.3. Conséquences des profanations

26. Les conséquences de ces profanations longues et irrémédiables sont la disparition complète de toute trace de la présence juive dans des villes et villages chargés d’histoire, entraînant de ce fait une rupture dans la transmission de l’Histoire aux jeunes générations locales. D’un point de vue religieux, en dehors des aspects de la mémoire, de l’Histoire ou du patrimoine culturel qui s’évanouissent, c’est une atteinte à des lieux sacrés juifs et à la dignité des morts.
27. Cette situation motive les organisations juives à collaborer afin d’élaborer un cadre législatif européen qui saura sensibiliser les Etats européens et les autorités locales et nationales à la mise en œuvre des mesures de protection et de préservation prenant en compte toutes ces considérations.
28. A cette fin, une étude 
			(3) 
			«Jewish
Cemeteries and Mass Graves in Europe: Protection and Preservation:
European and International Law», Agudath Israël, 2008, <a href='http://www.uclouvain.be/414716.html'>http://www.uclouvain.be/414716.html</a>. approfondie des textes juridiques européens et internationaux relatifs à la protection et à la préservation des cimetières juifs a été réalisée par le professeur Louis-Léon Christians (Université de Louvain-la-Neuve, Belgique).
29. Les organisations juives se sont dotées d’une structure reconnue par les communautés juives d’Europe, composée d’experts en matière de législation juive spécifique aux lieux d’enterrement, et d’acteurs dynamiques, afin d’apporter une expertise dans le domaine de la protection des cimetières et des fosses communes en Europe. Il convient de citer en exemple la Commission pour la préservation des cimetières juifs en Europe (CPJCE) 
			(4) 
			Basé
à Londres, la CPJCE est l’autorité rabbinique européenne qualifiée
en matière de législation juive spécifique aux lieux d’enterrement
pour analyser, proposer et suivre les méthodes de protection des
sites en danger. Dans l’exercice de sa charge, la CPJCE fait également
appel à chaque fois à un panel d’experts scientifiques dont des
historiens (recherche de cartes, cadastres, photographies originales,
témoignages) et des géo-environnementalistes (consolidation des
sites). Des techniques de pointe non invasives et non destructives
comme la géolocalisation sont également mises à profit pour scanner
les sites sans porter atteinte au respect de leur caractère sacré. et l’organisation Agudath Israël 
			(5) 
			Créée
en 1912, l’AIWO ou l'Agudath Israël World Organization (Agudath
Israël) est une confédération des communautés juives orthodoxes
dans le monde, qui dispose d’une large expérience juridique et politique
dans les domaines des droits de l’homme – en particulier dans celui
de la liberté de religion –, et de la protection et préservation
du patrimoine culturel, ainsi que de l’éducation. Depuis 1948, elle
jouit du statut consultatif auprès des Nations Unies. Sous l’ère
communiste, Agudath Israël avait déjà établi, en collaboration avec
le Gouvernement polonais, une liste originale de 1 056 cimetières
juifs menacés. Dans la même période et grâce aux efforts diplomatiques
de l’AIWO, la Roumanie renforçait sa loi sur la protection des sites
sacrés juifs..

2.4. Exemples de gestion de cimetières dans quelques Etats membres du Conseil de l’Europe

2.4.1. France

30. Une circulaire ministérielle du 19 février 2008 stipule que la loi du 14 novembre 1881, dite «sur la liberté des funérailles», a posé le principe de non-discrimination dans les cimetières, et supprimé l’obligation de prévoir une partie du cimetière, ou un lieu d’inhumation spécifique, pour chaque culte. Toutefois, cette circulaire autorise les maires à procéder à l’aménagement de carrés confessionnels dans les cimetières communaux.
31. La loi rappelle le principe des concessions qui peuvent être temporaires (quinze, trente, cinquante ans) ou perpétuelles. Lorsqu’une sépulture est laissée à l’abandon pendant une période de trente années, le maire peut opérer (à la suite d’une procédure établie) une reprise de la concession. Toutefois, dans les cimetières où se trouvent des concessions reprises, le maire doit, par arrêté, créer un ossuaire destiné à recevoir les restes des personnes qui se trouvaient dans les concessions reprises.
32. Ces points de la législation française posent un certain nombre de problèmes:
  • l’aménagement d’un carré confessionnel n’exclut pas qu’une personne non juive puisse se faire inhumer dans cet espace, ce qui, au regard de la loi juive, lui enlève le caractère confessionnel;
  • les espaces confessionnels sont soumis au principe de la concession, qui est limitée dans le temps. Dans le cas d’un non-renouvellement de la concession, les restes peuvent être exhumés;
  • la création des carrés confessionnels est soumise à la seule volonté du maire. Cette situation porte atteinte aux libertés individuelles en matière de pratique religieuse, puisque dans des régions à forte densité les espaces confessionnels se font de plus en plus rares;
  • l’exhumation et la collocation des restes d’un défunt dans un ossuaire sont contraires au respect que la religion juive accorde aux morts;
  • il est impossible pour une communauté, qu’elle soit juive ou pas, d’acheter un terrain pour en faire un cimetière. Cette situation prend en étau les autorités religieuses, car d’un côté elles ne peuvent refuser à une personne d’une autre confession de se faire inhumer dans le carré confessionnel et de l’autre elles ne peuvent faire l’acquisition d’un terrain pour lui donner la destination qu’elles souhaitent;
  • les droits de concession ne peuvent être transmis à aucune communauté (pas même à la communauté juive) lorsque les titulaires de la concession (c'est-à-dire les membres de la famille du défunt) ne sont plus là pour renouveler la concession ou l’entretenir. Cette situation conduit à l’extinction des droits de concession et à de nombreuses exhumations, qui laissent la communauté juive impuissante.
33. Un régime juridique spécifique est d’application en Alsace-Moselle. Les cimetières israélites d’Alsace-Moselle sont régis, comme toutes les activités des consistoires d’Alsace-Moselle, par l’ordonnance royale du 25 mai 1844 organisant le culte israélite. Ces cimetières sont la propriété des consistoires, contrairement au reste de la France où ce sont les communes qui en sont propriétaires. Il a été établi que les concessions dans ces cimetières sont perpétuelles.
34. L’organisation des obsèques est à la charge du consistoire qui, depuis les dispositions législatives sur l’hygiène et la sécurité, délègue une partie des opérations à des sociétés habilitées. C’est le consistoire qui assure seul l’administration de ses cimetières (concessions, entretien, etc.).
35. Les communautés qui avaient des cimetières avant la loi de 1905 sont toujours en possession des cimetières confessionnels; ils sont encore utilisés, dans la mesure où il reste de la place.

2.4.2. Belgique

36. La Belgique ne compte pas beaucoup de cimetières, et les cimetières anciens ne sont pas nombreux. L’Etat met à disposition de la communauté juive des «carrés» dont elle gère le fonctionnement. L’entretien est assuré par les municipalités dans la grande majorité des cas.
37. Le principe de la concession est également en vigueur, avec une durée de cinquante années renouvelables. Il n’y pas encore de cas de concessions arrivées en fin de durée et il est prévu que la communauté juive se chargera du renouvellement.
38. Cependant, certains membres de la communauté juive se font inhumer aux Pays-Bas, pays géographiquement proche et qui assure une concession perpétuelle. La situation générale n’est pas particulièrement difficile pour le moment, mais la question des concessions limitées dans le temps posera à terme des problèmes.

2.4.3. Italie

39. La communauté juive est propriétaire de ses cimetières ou de carrés confessionnels et elle en a la gestion. Des cas de dégradation et un besoin important d’entretien et de sécurisation ont néanmoins été constatés.

2.4.4. Pologne

40. Le rabbinat de Pologne est responsable de ses cimetières avec l’aide de la Fondation pour la préservation du patrimoine juif en Pologne, la FODZ. Le gouvernement apporte également son aide à la communauté.
41. Cette situation n’empêche pas des cas de dégradation ou de disparition quasi totale de cimetières dans les petites villes et les villages: par exemple, le 10 mai 2011 dans la ville de Neswige, le cimetière est devenu un parc et un passage pour les riverains.

2.4.5. Ukraine

42. Un problème a été constaté à Bobganiwka, dans la région de Nikolayev, où le cimetière se trouve à la lisière de l’ancien kolkhoze juif. Pendant la guerre, des juifs ont été fusillés et jetés dans la fosse commune creusée dans le cimetière, mais aujourd’hui il est constaté que cinq sépultures d’origine non juive s’y trouvent. Ce cimetière se trouve d’autant plus menacé qu’un affaissement se produit avec le temps, dû au creusement d’une sablière à côté.

3. Etudes de cas

43. Il est important d'examiner à présent quelques cas précis qui ont été traités au cours de ces dernières années afin d’identifier les bonnes et les mauvaises pratiques.

3.1. Bonnes pratiques de protection des lieux d’enterrement juifs

3.1.1. Stuttgart (Allemagne) – terrain militaire de l’US Air Force, 2005

44. Une fosse commune de victimes de l’Holocauste (36 corps) a été découverte durant des travaux de rénovation d’une route près d’une piste militaire utilisée par l’US Air Force.
45. Malgré les preuves historiques fournies, il a fallu de nombreuses négociations internationales, et notamment l’intervention de l’organisation juive Agudath Israël auprès des autorités concernées au Pentagone, pour que les autorités soient convaincues que les ossements étaient bien ceux de victimes des nazis. Les représentants du CPJCE ont été obligés de faire venir sur place un témoin survivant de l’époque. Un spécialiste est intervenu pour «trier» les ossements qui avaient été rendus pêle-mêle dans des sacs plastique afin de leur redonner la forme de squelettes. Il faut saluer la collaboration des autorités militaires et locales qui ont alors autorisé le CPJCE à réenterrer les corps déposés dans des cercueils à l’endroit où ils avaient été découverts afin de respecter les prescriptions religieuses. Un arrangement a pu être trouvé afin de préserver et de protéger ce lieu.
46. Plusieurs parties ont été impliquées pour résoudre ce problème: le CPJCE a apporté son savoir-faire en matière d’identification des corps et de législation rabbinique. Agudath Israël a mené les démarches au niveau politique auprès du Pentagone et a démontré son aptitude, en matière de diplomatie, à sensibiliser les plus hautes autorités concernant la gravité de la question, du point de vue humain et religieux.

3.1.2. Tolède (Espagne) – terrain appartenant à l’école Azarquiel, 2009

47. A la suite de l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492, le vieux cimetière historique de Tolède fut détruit. Son site est pourtant resté connu. Lors des travaux de construction de l’école Azarquiel, des tombes juives ont été découvertes.
48. Le CPJCE a fourni beaucoup d’efforts afin de mobiliser la Fédération des communautés juives d’Espagne ainsi que différentes organisations de rabbins (la Conférence des rabbins européens, le Conseil des rabbins d’Espagne) et de trouver une solution avec les autorités gouvernementales.
49. Ce dossier était très compliqué du fait de l’avancée des travaux de construction, de la nécessité de modifier les plans initiaux, de prendre le temps de consulter des organisations juives et d'obtenir des avis rabbiniques.
50. La solution, qui a contenté toutes les parties, a été la modification partielle du plan de construction d’origine.
51. Cette expérience est très significative et enrichissante. Le Gouvernement espagnol a fait preuve d’une forte volonté de prendre en compte les paramètres religieux de la question dans la recherche de la solution.

3.1.3. Camp de concentration de Belzec (Pologne) – terrain appartenant au gouvernement, 2001-2004

52. Le camp de concentration de Belzec situé au sud-est de la Pologne a été construit par les nazis à la fin de l’année 1941. Ce fut le premier camp utilisant les chambres à gaz. Entre février et décembre 1942, des centaines de milliers de juifs et de Roms ont été tués et jetés dans des fosses communes. A la fin de la guerre, cherchant à éliminer les preuves de leurs crimes, les nazis ont ouvert les fosses afin de brûler les restes humains, ont dispersé les cendres, puis ont planté des arbres par-dessus ces fosses pour mieux camoufler la zone. Une peinture d’époque existe et atteste de ces faits.
53. Depuis la fin de la guerre, ce lieu a été négligé pour diverses raisons, ce qui a engendré une détérioration sérieuse du site, qui laisse apparaître des ossements lors de fortes précipitations. Alertées, les organisations juives et la Fédération des communautés juives de Pologne ont entrepris des travaux de restauration.
54. L’American Jewish Committee a permis le financement des travaux de consolidation du terrain et du mémorial.
55. Le CPJCE a joué également un rôle déterminant dans la réalisation de ces travaux, en effectuant entre autres une inspection minutieuse des lieux grâce à des techniques de géolocalisation permettant de confirmer le nombre et la localisation des fosses communes. Une modification du plan du mémorial a été établie afin de tenir compte des conclusions du CPJCE.

3.1.4. Vilnius (Lituanie) – terrain appartenant au gouvernement, 2001-2004

56. Le grand cimetière juif historique de Vilnius a été détruit sous les régimes nazi et communiste, et toutes les pierres tombales ont été enlevées, pour être souvent utilisées à des fins de construction domestique. Un centre sportif a été érigé sur une section du cimetière. Ces dernières années, la municipalité de Vilnius a élaboré un plan de développement immobilier du site du cimetière et, malheureusement, un certain nombre de bâtiments ont déjà été construits. La profanation du site a entraîné des protestations internationales massives. L’organisation Agudath Israël et le CPJCE ont œuvré au niveau diplomatique afin de trouver le moyen de sortir de cette crise. Le Gouvernement lituanien a invité les parties intéressées à se rendre à Vilnius, pour enquêter et entamer une négociation.
57. Après de longues tractations, un accord a été conclu pour la protection du cimetière, qui comprend un engagement du gouvernement à n’autoriser aucune autre construction sur le cimetière dans sa totalité, ainsi que la reconnaissance officielle du lieu comme site historique.
58. Cette région de l’Europe a été un centre névralgique du judaïsme du XVIIe au XXe siècle; il était donc réellement important qu’un tel héritage soit respecté et protégé.

3.1.5. Fosses communes en Ukraine

59. Yahad-In Unum est la principale association conduisant des recherches sur les exécutions de masse qui ont causé l’extermination d’un million et demi de juifs et de Roms en Europe de l’Est, entre 1941 et 1944. Alors que les atrocités commises dans les camps de concentration sont bien connues, ce n’est pas le cas du génocide perpétré dans l’ancienne Union Soviétique à l’encontre des juifs et d’autres victimes des nazis et de leurs alliés.
60. Grâce à ses enquêtes, Yahad-In Unum a découvert des centaines de charniers où sont enterrées les victimes assassinées en Europe de l’Est, et a enregistré les dépositions de plus de 1 850 témoins. Cette base de données unique est à ce jour l’objet d’un intérêt particulier pour les organisations juives en Europe.
61. En 2011, un accord de coopération a été signé entre Yahad-In Unum, le CPJCE et l’American Jewish Committee.
62. Cette coopération unique en son genre a pour particularité de réunir des compétences différentes afin d’œuvrer à un même objectif, celui de protéger les cimetières et les sites des exécutions. Yahad-In Unum apporte sa compétence en la matière, grâce aux comptes-rendus des enquêtes et des informations de géolocalisation. Ils fournissent une information précise sur les conditions des assassinats ainsi que sur la localisation précise des fosses communes. Le CPJCE est l'organe rabbinique officiel habilité à instruire les méthodes et les processus de protection de ces lieux. L’American Jewish Committee joue un rôle majeur en tant que coordinateur des travaux, en partenariat avec le Gouvernement allemand qui s’est engagé à financer les travaux de protection de fosses communes à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros.
63. Actuellement, cet accord de coopération est actif pour protéger cinq sites pilotes en Ukraine; il a pour objectif de clarifier des standards de travail pour chacune de ces organisations afin d’apporter ce qui se fait de mieux en matière de législation rabbinique (CPJCE) et d’information historique (Yahad-In Unum), avec un organe de coordination de niveau international (American Jewish Committee).
64. Les divers cas évoqués permettent de conclure que la reconnaissance, par les autorités, du site en tant qu’élément du patrimoine et de son caractère historique est la condition essentielle de tout accord. Il ne s’agit pas seulement d’une porte ouverte à une négociation, mais d’un gage de bonne volonté pour aborder l’étape cruciale suivante: la recherche d’une vraie solution.
65. En outre, il est important de reconnaître la dimension religieuse pour tout ce qui concerne le patrimoine juif et particulièrement les lieux d’enterrement. La législation rabbinique est très pointue et nécessite une expertise et une crédibilité internationales. En conséquence, il est important d’agir en concertation et en coopération très étroite avec l’organe européen compétent en la matière, le CPJCE et Agudath Israël.

3.1.6. Ennezat (Auvergne, France) – cimetière juif médiéval

66. L'Association sauvegarde du patrimoine juif français et européen (SPJFE), dont le siège est à Paris, a pour vocation de contribuer à la conservation des monuments présentant un intérêt historique et culturel pour l'histoire du judaïsme en France et en Europe. Elle se propose de sauvegarder et de réhabiliter le cimetière juif d'Ennezat en Auvergne, connu depuis plusieurs siècles sous le nom de «Champ des juifs».
67. Cette nécropole regroupe 700 tombes édifiées entre le XIIIe et le XVe siècle. Ce site est exceptionnel en Europe par le nombre et le caractère homogène des tombes.
68. En 1992, des fouilles préventives ont été conduites par l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Les terrains sous lesquels se trouvait la nécropole appartenaient à des propriétaires privés. L'Association SPJFE, appuyée par la Fondation Matanel, s'est intéressée au projet fin 2008.
69. Le site a été inscrit en juin 2009 à l'Inventaire des monuments historiques. Une équipe projet a été constituée autour d’un architecte chef de projet. Un comité de pilotage a été mis en place avec le maire, le directeur régional des affaires culturelles d'Auvergne, le conservateur du patrimoine en Auvergne et les représentants de l'Etat et des collectivités locales. L'Association SPJFE a fait l'acquisition des terrains (9 600 m2).
70. Un projet de mise en valeur est en préparation, comprenant un parc de méditation avec un parcours explicatif de l'histoire et de la mémoire du lieu, et un musée avec les moulages de stèles, et les copies de documents et d'études à ce jour récoltés. Il sera soumis, début 2012, à l'Etat et aux collectivités locales pour son financement. L'entretien et la sécurité du site ainsi valorisé seront assurés par la municipalité et feront l'objet d'un bail de longue durée.

3.1.7. Bosnie-Herzégovine – cimetières juifs de Sarajevo, Bihać et Travnik

71. Le cimetière juif de Sarajevo, qui est l’un des plus vastes sites d’inhumation juifs d’Europe, présente un intérêt exceptionnel. Il témoigne en effet de certains aspects de la vie de la communauté séfarade depuis son expulsion de la péninsule Ibérique au XVIe siècle, ainsi que de la communauté ashkénaze, arrivée plus tard. Le cimetière reflète aussi le développement de la ville de Sarajevo au fil des siècles. Les séfarades ont créé un art funéraire original, qui se traduit par des tombeaux en forme de maison, ornés de motifs symboliques polysémiques, ne ressemblant à aucune autre sépulture juive ailleurs dans le monde. D’une superficie totale de 31 160 m2, le cimetière compte plus de 3 850 tombes, ainsi que quatre monuments élevés à la mémoire des victimes du fascisme et plusieurs cénotaphes. Il était situé sur la ligne de front lors de la guerre de 1992-1995 en Bosnie-Herzégovine et a subi d’importants dégâts. Aujourd’hui, le cimetière est principalement menacé par les glissements de terrain, qui emportent des sépultures entières. L’on estime qu’environ 95 % des tombes sont endommagées. L’ensemble du cimetière, laissé à l’abandon, est envahi par la végétation. 
			(6) 
			Voir “Jewish cemetery
– Sarajevo, Bosnia and Herzegovina”, Preliminary technical assessment
of the architectural and archaeological heritage in south-east Europe
by the Commission to Preserve National Monuments, Sarajevo.
72. Il incombe au Gouvernement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine de prendre les dispositions nécessaires pour protéger, conserver, mettre en valeur et réhabiliter ce site exceptionnel du patrimoine national. Avec l’accord du ministère fédéral responsable de l'aménagement du territoire et sous le contrôle des spécialistes de l’autorité chargée de la protection du patrimoine, de premières mesures ont été mises en œuvre dans le but de protéger le site et d’éviter des dégâts supplémentaires: création d’une zone de protection (qui s’étend sur une largeur de 20 mètres à l’extérieur des murs du cimetière), mise en place d’un système de drainage autour de la chapelle principale, destinée à stabiliser sa structure pendant les travaux de restauration, et interdiction formelle de toute construction illégale dans la zone environnante. Des financements sont espérés pour poursuivre les travaux visant à sécuriser et à stabiliser l’ensemble du site; il s’agit de terminer la mise en place du système de drainage pour assécher les sols et de construire des éléments structurels pour stabiliser les terrains en pente. Une fois ces travaux terminés, il faudra encore trouver de quoi financer la remise en état des tombes, monuments, murs, portails et allées. 
			(7) 
			Ibid.
73. Le cimetière juif de Bihać date de 1875. A partir de 1937, la communauté juive a collecté des fonds auprès de ses membres, ce qui lui a permis d’entourer le lieu de sépulture d’un mur de deux mètres de haut, comportant un portail sur son côté nord. Lors de la seconde guerre mondiale, des monuments ont été détruits et le mur d’enceinte a été endommagé. La reconstruction du mur et du portail a commencé récemment, mais le site n’est pas encore sécurisé et les travaux ont été interrompus, faute de crédits. La phase de conception du projet est terminée; il reste à trouver 75 000 euros pour le mettre en œuvre.
74. Les monuments les plus anciens du cimetière juif de Travnik remontent à 1762. La communauté juive de Travnik a toujours entretenu et protégé le cimetière, jusqu’en 1941. Il a alors été complètement laissé à l’abandon, à la suite de la déportation de nombreux juifs. Seuls quelques-uns sont revenus des camps de concentration et, après 1951, il ne restait plus à Travnik aucune famille juive originaire de la ville. Avec l’aide de la Fédération des communautés juives de Yougoslavie, le cimetière a été entouré d’une simple clôture en bois, qui n’a pas tenu bien longtemps. Ce lieu d’inhumation est actuellement en très mauvais état, alors qu’il a une valeur patrimoniale exceptionnelle. La ville de Travnik et la communauté juive de Bosnie-Herzégovine envisagent de demander que le cimetière soit classé «monument national», afin d’éviter que le site continue à se dégrader.

3.2. Exemples de cas problématiques

75. L’Europe ne connaît pas que des bonnes pratiques, malheureusement; les organisations juives en Europe trouvent parfois des portes fermées et des violations volontaires de lieux d’enterrement juifs.

3.2.1. Grodno (Bélarus) – stade de football appartenant au club de football de Neman, 2003

76. En 1968, les terres du cimetière juif (de grandes figures du judaïsme y sont enterrées, dont le rabbin Alexander Ziskind, décédé en 1794) ont été confisquées par le gouvernement communiste et un stade fut construit dessus. En mai 2003, les autorités de Grodno ont autorisé l'élargissement du stade de football de Neman sur le site du cimetière juif. Lors des travaux de mis à niveau des fondations, la découverte des tombes n’a pas ému les autorités; des restes humains ont été exhumés et profanés et des camions ont été remplis d'ossements. Ce projet avait pourtant le soutien du Comité international olympique.
77. Le CPJCE, la communauté juive du Bélarus, la Conférence des rabbins européens, le Président américain de la commission «Preservation of America’s Heritage Abroad», le Parlement européen et plusieurs missions diplomatiques au Bélarus se sont activés.
78. Les réunions avec un nombre important de représentants du Gouvernement bélarusse n'ont eu aucun effet; les assurances données par le gouvernement central sur la protection du cimetière n’ont été que des paroles.
79. Malgré la visite d’une délégation du Parlement européen à Grodno, l'intervention du ministère des Affaires étrangères britannique ainsi que des diplomates de France, d'Allemagne et de Pologne, et les protestations publiques devant les ambassades du Bélarus à Londres et à Bruxelles, aucun résultat n’a été obtenu.

3.2.2. Metz (France), 2003.

80. Autrefois, la communauté juive de Metz était l’une des plus éminentes d'Europe. Le vieux cimetière juif historique se trouvait sur l'avenue de Blida et comptait plusieurs centaines de tombes. Aujourd’hui, l’endroit est un parking.
81. Il semblerait qu’à l’époque de l’occupation allemande une section du cimetière fût exhumée. Pourtant, des recherches utilisant une technique de géoradar et de scanner de sol sans intrusion, effectuée en novembre 2005 et en collaboration avec la préfecture de Metz, ont confirmé l'existence de vestiges du cimetière, malgré l’absence de pierres tombales.
82. L’utilisation de cet endroit comme parking constitue donc une violation du site. A la suite de nombreuses sollicitations diplomatiques et politiques, il avait été convenu par la préfecture que le site serait reconnu en tant que cimetière juif et qu’un autre emplacement pour le parking serait fourni par la commune. La concrétisation de cette décision est toujours en attente.

4. Protection et conservation des cimetières juifs

83. La question de la protection et de la conservation des cimetières juifs est examinée sous deux angles: celui de la défense des droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5, «la Convention») et celui de la préservation du patrimoine culturel commun de l'Europe.

4.1. Aspects relatifs aux droits de l'homme

84. Les droits fondamentaux ci-après énoncés dans la Convention peuvent s'appliquer à la protection et à la conservation des cimetières et des lieux d'enterrement juifs:
  • L'article 8 sur le droit au respect de la vie privée et familiale: «Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance», qui a été interprété par la Cour européenne des droits de l'homme comme s'étendant, dans certains cas, à la relation des membres de la famille avec un parent défunt.
85. La Cour européenne des droits de l'homme a admis l’existence du droit de reposer en paix, interprété comme une forme de droit au respect de la vie privée, mais en considérant que seuls les vivants pouvaient l’invoquer. Il ne semble pas que les défunts jouissent directement du droit au respect de la vie privée, qui leur garantirait le droit de reposer en paix. En revanche, la protection du droit au respect de la vie privée et familiale des requérants vivants pourrait être envisagée dans le cadre de leurs relations avec les défunts.
  • L'article 9 sur la liberté de pensée, de conscience et de religion: «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.»
86. L'article 9 prévoit la protection des convictions propre à tout individu et du droit de manifester de telles convictions individuellement ou collectivement, aussi bien en public qu'en privé. La jurisprudence précise qu'il peut être fait obligation à l'Etat non seulement de ne pas prendre de mesures qui porteraient atteinte à la liberté de pensée, de conscience et de religion, mais aussi, dans certaines circonstances, d’adopter des mesures positives pour protéger ces droits et favoriser leur développement.
87. Dans son article du «Carnet des droits de l'homme» du 30 novembre 2010 
			(8) 
			«Desecrations
of cemeteries are hate crimes that exacerbate intolerance»., le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a déclaré que «La Convention européenne des droits de l'homme protège le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit englobe la protection des édifices et sites religieux contre le vandalisme. Pourtant, certains gouvernements considèrent ces actes comme de simples incivilités dont il n'est pas très important de retrouver et de poursuivre les auteurs. Ces gouvernements se trompent.»
  • L'article 1 du Protocole additionnel de 1952 à la Convention (STE n° 9), sur la protection de la propriété: «Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.»
88. La plupart des cimetières juifs jouissent du statut de propriété privée. Par conséquent, la jurisprudence sur les expropriations est pertinente pour s'élever contre certaines spoliations ou abus. Les parcelles permanentes des cimetières publics devraient jouir d'un statut similaire.
89. Le rapporteur estime qu'il devrait y avoir une responsabilité de protéger la dignité humaine au sens large en préservant les défunts dans leur sépulture et de respecter leur religion en veillant à ce qu'ils soient préservés d'une manière compatible avec leur pratique religieuse. Le droit des individus et des communautés d'accéder à ces cimetières ainsi que le droit de propriété doivent prendre également en considération ces droits fondamentaux, tout en tenant compte des différences entre les cimetières encore en activité, ceux qui ne sont pas utilisés mais qui bénéficient d’une protection et ceux qui ont été abandonnés.

4.2. Aspects relevant de la préservation et de la protection du patrimoine européen

4.2.1. La Convention de Faro

90. La Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, qui est entrée en vigueur en juin 2011, est née de la volonté d'instaurer un cadre de référence pour les politiques du patrimoine et de tirer parti des avantages résultant de l'exploitation du patrimoine en tant que capital culturel et facteur de développement. En outre, le patrimoine culturel européen est considéré comme un moyen essentiel de susciter un engagement démocratique en faveur de la diversité culturelle.
91. La convention reconnaît la nécessité de mettre les individus et les valeurs humaines au centre du concept élargi et transdisciplinaire du patrimoine culturel. En outre, elle valorise la notion de patrimoine européen commun en affirmant le principe du droit pour chacun d'accéder au patrimoine culturel de son choix, tout en respectant les droits et les libertés d'autrui. La convention établit, par conséquent, un lien important entre la protection des droits fondamentaux et celle du patrimoine. Les articles ci-après présentent un intérêt tout particulier pour la protection des cimetières juifs.
92. L’article 2.b donne la définition de «communauté patrimoniale»: «qui se compose de personnes qui attachent de la valeur à des aspects spécifiques du patrimoine culturel qu'elles souhaitent, dans le cadre de l'action publique, maintenir et transmettre aux générations futures».
93. L'article 3.a affirme notamment la nécessité de promouvoir toutes les formes de patrimoine culturel en Europe qui constituent ensemble «une source partagée de mémoire, de compréhension et d'identité».
94. Concourant à établir la tolérance, le respect et la compréhension mutuelle, l'article 4.b énonce «qu'il est de la responsabilité de toute personne, seule ou en commun, de respecter aussi bien le patrimoine culturel des autres que son propre patrimoine», défendant les notions de «patrimoine commun de l'Europe» et de «responsabilité commune».
95. La convention promeut aussi le respect de l'intégrité du patrimoine culturel en demandant aux Etats parties de veiller à ce que les décisions de changements incluent une prise en compte des valeurs culturelles qui lui sont inhérentes (article 9.a) et de s'assurer que les besoins spécifiques de la conservation du patrimoine culturel sont pris en compte dans toutes les réglementations techniques générales (article 9.c).
96. L'approche de la convention concernant la façon de procéder est également innovante puisqu'elle demande aux Etats de prendre en considération «la valeur attachée au patrimoine culturel auquel s'identifient les diverses communautés patrimoniales» (article 12.b) et de «développer les cadres juridiques, financiers et professionnels qui permettent une action combinée de la part des autorités publiques, des experts, des propriétaires, des investisseurs, des entreprises, des organisations non gouvernementales et de la société civile» (article 11.b).
97. Les dispositions de la Convention de Faro donnent, par conséquent, des orientations excellentes et novatrices aux Etats membres mais aussi aux nombreuses «communautés patrimoniales», dont les communautés juives, dans leurs efforts pour préserver leur patrimoine culturel spécifique et, avec lui, leur identité culturelle et leur histoire.

4.2.2. L’Accord partiel élargi sur les itinéraires culturels

98. Un Itinéraire européen du patrimoine juif a été établi en 2005 sous les auspices de l'Accord partiel élargi du Conseil de l'Europe sur les itinéraires culturels.
99. Cet itinéraire vise à sensibiliser les citoyens européens à la richesse culturelle apportée par le peuple juif dans de nombreuses régions d’Europe. Il entend préserver et valoriser une partie du patrimoine européen que les sites juifs représentent (synagogues, cimetières, mikvés, etc.). Il se fonde sur la preuve historique que les communautés juives ont toujours vécu dans l’échange culturel avec des sociétés diverses, comme le montrent les différents styles architecturaux des synagogues ou l’usage de diverses langues comme le yiddish, le ladino, etc.
100. L’Itinéraire, qui s’étend de Dublin à Ankara et d’Helsinki à Malte, en accordant une place très importante aux pays d’Europe centrale et orientale, devrait contribuer à la reconstruction spirituelle et historique des communautés juives détruites et à une connaissance accrue de l’histoire de l’Europe; il permet aux visiteurs non seulement de découvrir l’histoire du peuple juif mais aussi de mieux comprendre leur histoire locale et nationale.

5. Conclusions

101. Les cimetières juifs sont nombreux en Europe et doivent être protégés et préservés. Ils font partie du patrimoine culturel européen et constituent un élément important dans la religion juive. Ces cimetières sont probablement plus menacés que ceux des autres confessions représentées en Europe, en raison de l’histoire tragique du peuple juif qui a conduit à l’extermination, à l’exode ou au transfert de nombreuses communautés locales. Les gouvernements, les membres des communautés juives et les organisations de protection du patrimoine ont la responsabilité de mettre en place des formes appropriées de coopération pour assurer leur protection.
102. La Convention de Faro donne des orientations opportunes et novatrices. Elle propose une définition ouverte du patrimoine qui, sans exclure les éléments exceptionnels, embrasse tout particulièrement le patrimoine ordinaire et les valeurs que lui attribuent les communautés patrimoniales et/ou la société dans son ensemble. Elle se préoccupe du droit au patrimoine culturel considéré comme partie intégrante du droit de participer à la vie culturelle de la communauté et du droit à l’éducation, et formule la notion de «responsabilité européenne commune» vis-à-vis du patrimoine culturel. A ce propos, la Convention de Faro donne des indications concrètes pour l’organisation des responsabilités publiques en matière de préservation et de valorisation du patrimoine culturel et de fonctionnement de la participation démocratique.
103. La ratification de la Convention de Faro par un nombre accru d’Etats membres pourrait favoriser une approche transdisciplinaire dans le traitement des questions relatives au patrimoine culturel et la création des mécanismes participatifs appropriés pour mettre en œuvre ces politiques. Ces dernières devraient aussi inclure la préservation des cimetières et des lieux d’enterrement.
104. L'Itinéraire européen du patrimoine juif pourrait aider à mieux faire connaître la culture et l’histoire juives et créer les opportunités concrètes et les conditions favorables pour protéger et préserver les sites du patrimoine juif, dont les cimetières et les fosses communes.
105. L’Assemblée parlementaire pourrait également recommander l’élaboration de lignes directrices spécifiques pour la protection et la préservation de divers types de cimetières juifs mais aussi ceux d'autres communautés religieuses (à savoir les cimetières chrétiens et musulmans des pays du sud-est de l’Europe – les pays de l’ex-Yougoslavie, Turquie, Grèce, Chypre – et les pays du Caucase), conformément aux pratiques religieuses et aux principes de conservation du patrimoine.
106. Les lignes directrices pourraient traiter de questions précises, communes à différents types d’éléments patrimoniaux, notamment: les cimetières d’importance historique qui font partie du patrimoine culturel «classé»; les cimetières de victimes de la guerre ou de la terreur (y compris les fosses communes); les tombes de chefs religieux et d’autres dignitaires; les tombes anonymes; les édifices religieux comme les synagogues, les pierres tombales et les autres éléments religieux qui font partie d’un site d’inhumation particulier. Une attention particulière devrait aussi être accordée à l’état actuel du patrimoine (sites abandonnés, transformés ou toujours en fonction). De plus, les lignes directrices devraient englober les aspects suivants: la préservation et la rénovation matérielles; la préservation historique, qui passe par la collecte de données historiques dans les musées, dans les archives et sur les sites web; et la préservation religieuse, qui passe par le respect des rites religieux.
107. Compte tenu de l'apport historique des communautés juives à la construction socioculturelle et économique de l’Europe, il faudrait laisser une large place aux initiatives d’éducation et de sensibilisation qui visent à faire connaître l’histoire let le patrimoine culturel locaux, à faire prendre conscience de l’urgence de protéger et de préserver les lieux de sépulture menacés de profanation, de dégradation ou de disparition, et à rendre ces sites plus visibles, au moyen de bibliothèques virtuelles rassemblant cartes, photos et témoignages. En outre, il est nécessaire d’encourager les projets pilotes consistant à faire participer des établissements scolaires et des associations locales à la construction d’un mur d’enceinte, à l’entretien d’un cimetière, à la consultation des archives locales ou à «l’adoption» d’un cimetière, par exemple.
108. Par ailleurs, les Etats membres devraient être invités à traiter un certain nombre de questions juridiques ou techniques, ou relatives à la gestion, qui concernent directement les acteurs locaux de la protection et de la conservation des sites du patrimoine, dont les questions suivantes: mécanismes de partenariat; questions de propriété; urbanisme, exigences spécifiques liées à la conservation; contrôle effectif des projets de développement locaux; programmes visant à localiser des sites d’inhumation par des techniques non invasives (géoradar, par exemple); soutien technique aux investigations et à l’identification; ou réglementation de l’accès aux lieux de sépulture.
109. Dans ce domaine, l’on pourrait envisager des formes de coopération avec l’Union européenne et d’autres institutions. Au Kosovo 
			(9) 
			Toute référence au
Kosovo dans le présent document, qu’il s’agisse de son territoire,
de ses institutions ou de sa population, doit être entendue dans
le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité de
l’Organisation des Nations Unies, sans préjuger du statut du Kosovo., par exemple, le Conseil de l'Europe propose son aide pour améliorer le cadre juridique et les mécanismes concrets permettant de protéger le patrimoine et de le mettre en valeur. Depuis 2004, ces activités sont gérées dans le cadre d’un programme conjoint avec l’Union européenne intitulé «Soutien de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe à la promotion de la diversité culturelle au Kosovo», par le biais de la commission pour la mise en œuvre de la reconstruction. Ce programme vise à développer les initiatives de réhabilitation du patrimoine culturel en coopération avec toutes les institutions pertinentes, en utilisant le patrimoine culturel comme outil de réconciliation et de dialogue entre les communautés.

Annexe – Nombre de cimetières et de fosses communes juifs connus à ce jour dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

(open)

Etats membres du Conseil de l'Europe

Nombre des cimetières juifs

Nombre de fosses communes juives

Albanie

8

 

Andorre

0

 

Arménie

5

 

Autriche

67

 

Azerbaïdjan

   

Belgique

10

 

Bosnie-Herzégovine

36

 

Bulgarie

32

 

Croatie

67

 

Chypre

2

 

République tchèque

1 142

 

Danemark

16

 

Estonie

11

17

Finlande

4

 

France

409

 

Géorgie

4

 

Allemagne

2 319

82

Grèce

31

 

Hongrie

1 300

 

Islande

0

 

Irlande

5

 

Italie

66

 

Lettonie

84

200

Liechtenstein

0

 

Lituanie

245

196

Luxembourg

5

 

«L’ex-République yougoslave de Macédoine»

5

 

Malte

6

 

République de Moldova

41

60

Monaco

1

 

Monténégro

2

 

Pays-Bas

230

 

Norvège

2

 

Pologne

1 272

182

Portugal

13

 

Roumanie

870

?

Fédération de Russie

105

17

Saint-Marin

0

 

Serbie

103

 

République slovaque

415

 

Slovénie

13

 

Espagne

26

 

Suède

6

 

Suisse

28

 

Turquie

50

 

Ukraine

895

905

Royaume-Uni

196

 

Bélarus (Etat non membre)

382

200

Sources d’information statistiques:

Fondation pour la préservation du patrimoine juif en Pologne, rapport annuel, 2005, p. 6.

Lo Tishkach: base de données internet, 8 mars 2011.

Rapports de la Commission des Etats-Unis pour la préservation du patrimoine de l’Amérique à l’étranger.

Projet international des cimetières juifs, base de données, mars 2011: www.iajgsjewishcemeteryproject.org/.