1. Introduction
1. A la suite de la présentation
par moi-même et plusieurs de mes collègues d’une proposition de recommandation
en la matière (
Doc. 12404), la commission de la culture, de la science et de l'éducation
m'a nommé rapporteur le 27 janvier 2011. Par le biais de mes travaux
en qualité de professeur de philosophie à l'université de Zagreb
et d’ancien ministre croate des Sciences et des Technologies, j'ai
participé au processus de Bologne et vécu les changements que ce
processus a apportés aux universités et à leurs paramètres de gouvernance.
Je suis également intervenu pendant la conférence du Conseil de
l'Europe sur «La liberté académique et l'autonomie des universités:
le rôle des pouvoirs publics», tenue à Strasbourg les 8 et 9 novembre
2010, dans le cadre des travaux préparatoires à une nouvelle recommandation
du Comité des Ministres sur ce sujet.
2. Sur la base d’un rapport établi par mon ancien collègue, le
professeur Josef Jarab (République tchèque), l'Assemblée parlementaire
avait adopté sa
Recommandation
1762 (2006) sur la liberté académique et l'autonomie des universités,
qui soulignait le rôle important des établissements de l'enseignement
supérieur et de leur autogouvernance. Une analyse détaillée de la
gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur et de
leur participation à l'Espace européen de l'enseignement supérieur
n'était cependant pas l'objet de la
Recommandation 1762 (2006). Le présent rapport vise à compléter et à approfondir
ces travaux.
3. Le professeur Pavel Zgaga a élaboré et présenté à la commission,
à Paris le 5 mars 2012, un important rapport d’information
. Il a analysé l'autonomie des universités,
depuis les concepts historiques jusqu’aux enjeux du monde moderne.
Je lui suis très reconnaissant pour sa contribution aux travaux
qui nous occupent.
4. Lors de sa réunion du 5 mars 2012, la commission a également
tenu une audition sur les politiques d'éducation avec la participation
de l'ambassadeur Arif Mammadov, président du Groupe de rapporteurs
du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur l’éducation,
la culture, le sport, la jeunesse et l’environnement (GR-C), et
des experts suivants:
- professeur
Pavel Zgaga, directeur du Centre d’études sur les politiques éducatives,
université de Ljubljana;
- professeur Germain Dondelinger, coordonnateur de l'enseignement
supérieur, ministère de la Culture, de l'Enseignement supérieur
et de la Recherche, Luxembourg;
- Dr Annette Pieper de Avila,
consultante principale, Section de l’enseignement supérieur, UNESCO;
- Mme Anna Glass, Secrétaire
générale, Observatoire de la Magna Charta, Bologne;
- Mme Ligia Deca, coordonnatrice,
secrétariat roumain du Groupe de suivi du processus de Bologne, Bucarest;
- Frank Petrikowski, Unité de l’enseignement supérieur,
Direction générale de l’éducation et de la culture, Commission européenne,
Bruxelles.
5. Je remercie l’ensemble des participants, mais aussi surtout
mes collègues de la commission pour leurs précieuses contributions.
2. Définir la gouvernance des établissements
de l'enseignement supérieur
6. Pendant des siècles, l'autonomie
des universités et la liberté académique ont été les principes fondamentaux
des systèmes de l'enseignement supérieur en Europe. De nombreuses
constitutions nationales consacrent ces principes, et ce depuis
des décennies. Même la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
garantit, à l’article 13, le droit à la liberté des arts et de la
recherche et la liberté académique. Les universités se sont engagées
à respecter ces libertés en vertu de la Magna Charta Universitatum
de 1988.
7. Les tentatives visant à définir la liberté académique et l'autonomie
institutionnelle des établissements de l'enseignement supérieur
ont été moins fréquentes. Alors que la Magna Charta Universitatum
constitue une première et encore vague référence à l'autonomie des
universités et à la liberté académique, les instruments qui ont
été développés par la suite par l'Association européenne des universités
sont plus concrets; ils établissent en effet que l'autonomie des
universités concerne quatre aspects: l’organisation, le financement, les
programmes d’étude et la dotation en personnel. Ces éléments sont
repris dans le nouveau projet du Comité directeur pour les politiques
et pratiques éducatives mené sous l’égide du Comité des Ministres,
qui propose que l'autonomie des établissements englobe l'autonomie
de l'enseignement et de la recherche ainsi que l’autonomie au niveau
du financement, de l’organisation et de la dotation en personnel.
8. Dans le document que le professeur Pavel Zgaga a présenté
à l'audition de la commission à Paris le 5 mars 2012, il a proposé
d’envisager la gouvernance de l’enseignement supérieur comme un
concept multidimensionnel, pour lequel il est nécessaire de distinguer
schématiquement trois dimensions structurelles: (a) la gouvernance interne ou institutionnelle:
gouvernance des établissements de l’enseignement supérieur; (b) la gouvernance externe ou systémique:
gouvernance des systèmes (nationaux) de l’enseignement supérieur;
et (c) la gouvernance internationale
ou mondiale: gouvernance des systèmes de l’enseignement supérieur
dans une perspective internationale (mondiale), par exemple le processus
de Bologne.
9. Traditionnellement, l’expression d’«autonomie des universités»
faisait référence aux universités, et non pas aux institutions techniques
ou professionnelles de l’enseignement supérieur. Cette autonomie
avait, par exemple, été accordée aux premières universités par des
monarques nationaux et protégeait ces universités contre les pouvoirs
de dirigeants locaux ou régionaux. Le processus de Bologne et les
changements nationaux apportés aux systèmes d'enseignement supérieur
ont aboli dans une large mesure la distinction entre les universités
et les instituts d’enseignement technique ou professionnel, ce qui
a conduit à utiliser l’appellation générique d’«établissements d'enseignement
supérieur». Les termes «autonomie» et «indépendance» semblent être
plus ou moins équivalents.
3. Influence
des paramètres politiques et d’autres paramètres sur l'autonomie
des établissements de l'enseignement supérieur
10. La gouvernance des établissements
de l'enseignement supérieur s'inscrit dans le cadre de besoins ou de
paramètres juridiques, politiques et d’autres plutôt factuels. Parmi
ces derniers, la concurrence entre les établissements de l'enseignement
supérieur est le point le plus important. Cette concurrence porte
sur les étudiants, le personnel universitaire et le financement.
Celui-ci peut se composer de fonds publics, de fonds privés et de
financements provenant des étudiants; il est généralement lié à
la qualité du personnel universitaire et à la qualité et la quantité
des étudiants admis. Une proportion croissante de la population poursuit
des études supérieures en Europe et cette augmentation du nombre
d’étudiants est assimilée à tort à une baisse de la qualité de l’enseignement
supérieur. J’aurais plutôt tendance à considérer cette augmentation
quantitative comme un symptôme positif et un défi, à la fois pour
les pouvoirs publics et les établissements d'enseignement supérieur,
pour garantir un enseignement de qualité.
11. Les établissements de l'enseignement supérieur doivent par
conséquent tenir compte dans leur gouvernance des besoins des étudiants
et du personnel universitaire, des organisations spécialisées de
la société civile, mais aussi des autorités publiques et du secteur
économique. Lorsque le financement public est minoritaire, ce phénomène
peut se traduire par la mise en place d'instances administratives
et d'outils de gestion dans lesquels les donateurs privés peuvent
ou peuvent prétendre influencer la gouvernance institutionnelle
et la définition de priorités stratégiques. Les étudiants peuvent
notamment exprimer leurs attentes en participant à l’administration
et à la gestion des établissements de l’enseignement supérieur ainsi qu’en
évaluant leurs enseignants, les installations et l'établissement
dans son ensemble.
12. Des efforts limités ont pourtant été déployés pour analyser
les effets positifs ou négatifs de ces besoins réels et de leur
prise en considération dans les établissements en tant que facteurs
déterminants de la gouvernance. Il ne fait cependant aucun doute
qu'une capacité accrue de réponse face aux attentes des étudiants
et du secteur privé peut fournir un avantage compétitif aux établissements
de l'enseignement supérieur.
13. Les impératifs politiques de l’enseignement supérieur sont
en général établis par des législateurs nationaux ou régionaux.
L’enseignement supérieur peut par conséquent s’adapter à des circonstances historiques,
culturelles et géographiques régionales. Cette capacité est conforme
au principe de subsidiarité reconnue dans l’article 165 du Traité
sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que dans les constitutions
nationales, notamment dans les pays fédéraux comme la Belgique,
l’Allemagne et la Suisse.
14. Dans son rapport sur les dangers du créationnisme dans l’éducation
(
Doc. 11375), ma collègue, Mme Anne Brasseur
(Luxembourg), a analysé les tendances politiques qui influencent
l’enseignement et la recherche en ce qui concerne la théorie de
l’évolution de Charles Darwin. Aux Etats-Unis et dans quelques pays
européens, les limites possibles à la recherche et à l’enseignement
avaient été examinées en ce sens, favorisant une approche fondée
sur la religion ou «créationniste». Le financement public de l’enseignement
et de la recherche serait un moyen typique de mettre en place de
telles limitations, si la liberté académique et la liberté de recherche
n’étaient pas protégées.
15. Dans le même esprit, le financement privé des établissements
de l'enseignement supérieur pourrait exercer une pression économique
ou commerciale sur la recherche et l’enseignement. Il n'est pas
étonnant de voir que des universités privées sont mises en place
en Europe, avec pour principal enseignement la gestion des entreprises,
le commerce, le droit ou l'ingénierie, alors que les sciences politiques,
les sciences sociales ou la philosophie restent des matières principalement
enseignées et étudiées dans les établissements publics de l'enseignement
supérieur.
16. Au-delà de la primauté des politiques nationales (et régionales),
un certain niveau de coopération et de coordination a été atteint
entre les ministères européens de l'Education par le biais du processus
de Bologne depuis 1999. La création de l'Espace européen de l'enseignement
supérieur, ainsi que l’énorme financement de la mobilité des étudiants
et des enseignants par les programmes de l'Union européenne, ont
eu un impact considérable sur divers aspects tels que les titres,
grades et diplômes universitaires. L'autonomie des établissements
de l'enseignement supérieur a par conséquent été limitée par la
décision de délivrer des diplômes comparables ou identiques à la
suite de périodes d'étude identiques dans toute l'Europe. Leur indépendance
signifie toutefois que la responsabilité finale des titres, grades
et diplômes universitaires décernés incombe à l'établissement concerné.
Mon collègue le professeur Rafael Huseynov (Azerbaïdjan) examine
l'impact du processus de Bologne dans son rapport sur la consolidation
et l'ouverture internationale de l'Espace européen de l'enseignement
supérieur.
17. En outre, les établissements de l'enseignement supérieur ont
défini pour eux-mêmes des impératifs politiques. Les universités
ont mis en place à Bologne en 1988 la Magna Charta Universitatum
et son observatoire
. Cette charte énonce que «(L)a liberté
de recherche (…) et de formation étant le principe fondamental de
la vie des universités, les pouvoirs publics et les universités
(…) doivent garantir (…) le respect de cette exigence fondamentale».
18. Enfin, les traités internationaux ont défini des cadres juridiques
pour l'enseignement supérieur, par exemple la reconnaissance des
critères d'admission, des périodes d'étude et des titres ou diplômes universitaires
conformément aux conventions du Conseil de l'Europe depuis 1953
et à la Convention de 1997 sur la reconnaissance des qualifications
relatives à l'enseignement supérieur dans la région européenne (STE n°
165, «la Convention de reconnaissance de Lisbonne»). Cette dernière
respecte dûment l'autonomie des établissements en stipulant dans
son article II.1.2: «Lorsque ce sont des établissements d'enseignement supérieur
ou d'autres entités qui ont compétence pour décider individuellement
des questions de reconnaissance, chaque Partie, selon sa situation
ou structure constitutionnelle, communique le texte de la présente
Convention à ces établissements ou entités et prend toutes les mesures
possibles pour les encourager à l'examiner et en appliquer les dispositions
avec bienveillance.»
19. Afin de rendre le processus de reconnaissance plus simple
et plus inclusif, les signataires de la Convention de Lisbonne sur
la reconnaissance des qualifications devraient investir davantage
d'efforts pour l’élargissement de son domaine de compétence géographique
en intégrant davantage d'Etats non européens et en encourageant
l'adhésion de nouveaux Etats, si ces Etats reconnaissent la liberté
académique et l'autonomie des établissements d’enseignement supérieur.
4. Normes
juridiques générales applicables à l'enseignement supérieur
20. Outre les besoins politiques
et réels, des normes juridiques s'appliquent et restreignent le
degré d'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur.
Parmi elles, il convient de mentionner en premier lieu les droits
de l'homme. Bien évidemment, les obligations qui résultent des normes
relatives aux droits de l'homme concernent en priorité les autorités
publiques, les établissements de l'enseignement supérieur en retirant
sans aucun doute des avantages. Cependant, il est évident que la
gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur et leur
autonomie ne doivent pas porter atteinte aux droits de l'homme.
21. L'article 2 du Premier Protocole à la Convention européenne
des droits de l'homme (STE n° 9 et STE n° 5) garantit le droit à
l'éducation, qui comprend l'enseignement primaire, secondaire et
supérieur, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme
. Aux termes
de l'article 10.1 de la Charte sociale européenne révisée (STE n°
163), les Parties à la Charte s’engagent «à accorder des moyens
permettant l'accès à l'enseignement technique supérieur et à l'enseignement
universitaire d'après le seul critère de l'aptitude individuelle».
22. L'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels énonce le droit universel à l'éducation, y
compris le droit à un enseignement primaire gratuit et obligatoire,
à un enseignement secondaire progressivement gratuit, et à un enseignement
supérieur accessible à tous en fonction des capacités de chacun
et «notamment par l'instauration progressive de la gratuité». L’article 15(3)
de ce pacte international reconnaît la liberté de recherche scientifique.
23. Aux termes de l'article 13 de la Charte des droits fondamentaux
de l'Union européenne
, «[l]es arts et la recherche scientifique
sont libres. La liberté académique est respectée». L’article 14
de la charte garantit le droit à l'éducation et l'accès à la formation
professionnelle et continue.
24. Outre les normes relatives aux droits de l'homme, les conventions
du Conseil de l'Europe depuis 1953 et la Convention du Conseil de
l’Europe et de l'Unesco (Lisbonne, 1997) sur la reconnaissance des qualifications
contribuent à définir les cadres juridiques de l'enseignement supérieur,
notamment par le biais de dispositions sur la reconnaissance des
critères d'admission, des périodes d'étude et des titres ou diplômes universitaires.
25. Les textes normatifs adoptés par le Conseil de l'Europe sont
également pertinents. La Recommandation CM/Rec(2007)6 du Comité
des Ministres relative à la responsabilité publique pour l'enseignement
supérieur et la recherche
adopte une position très claire
en faveur de l'harmonisation et stipule: «Les autorités publiques
doivent assumer une responsabilité exclusive pour le cadre régissant l’enseignement
supérieur et la recherche, à savoir: le cadre juridique, la structure
des diplômes ou le cadre des qualifications qu’offre le système
d’enseignement supérieur, le cadre définissant la garantie de la
qualité, le cadre définissant la reconnaissance des qualifications
étrangères, le cadre d’information sur la prestation de l’enseignement
supérieur. Lors de l’élaboration ou de la révision du cadre juridique,
conformément à la constitution et à la pratique législative de chaque
pays, les autorités publiques doivent consulter les établissements
d’enseignement supérieur et leurs organisations, les instituts et
organismes de recherche, les associations d’étudiants et de personnels
ainsi que les autres parties prenantes. Les autorités doivent déterminer
la structure des diplômes ou le cadre des qualifications relevant
du système d’enseignement supérieur conformément aux pratiques internationales,
et tout spécialement à celles de l’Espace européen de l’enseignement
supérieur.»
26. La nouvelle recommandation du Comité des Ministres aux Etats
membres sur la «responsabilité des autorités publiques pour la liberté
académique et l'autonomie des universités» devra également être
prise en considération une fois adoptée. Elle examinera et définira
en termes généraux le rôle et les obligations des autorités publiques.
5. La
gouvernance autonome des établissements de l'enseignement supérieur
dans la pratique
27. Dans le contexte de ces besoins
ou paramètres juridiques, politiques et d’autres paramètres, une gouvernance
indépendante ou autonome des établissements de l'enseignement supérieur
pourrait apparaître comme un concept plus théorique que pratique.
Cependant, l'importance pratique de ces principes fondamentaux devient
évidente quand ils font défaut ou qu’ils ne sont pas respectés.
28. Si l'on se tourne vers le passé récent, l'exemple négatif
de l'enseignement supérieur de l'Allemagne de l'Est vient à l'esprit.
Le gouvernement communiste de la «République démocratique allemande»
avait mis en place un contrôle politique strict de l'enseignement
supérieur, qui s’est traduit par le renvoi d’enseignants critiques
à l’égard du pouvoir et même par l’interdiction pour certains enfants
de citoyens contestataires d'avoir accès à des établissements d'enseignement
supérieur. L'enseignement supérieur était perçu comme un privilège
réservé aux citoyens fidèles à la politique du gouvernement.
29. Une telle approche restrictive de l'enseignement supérieur
est encore observée aujourd'hui au Bélarus. La
Recommandation 1762 (2006) de l'Assemblée a appelé, au paragraphe 14, le Comité
des Ministres, les ministères spécialisés et les universités des
Etats membres «à mettre en place un programme multilatéral permettant
des échanges d’étudiants et d’enseignants avec les universités du
Bélarus et la "European Humanities University" bélarussienne à Vilnius
(Lituanie)». Cette référence spéciale répondait au renvoi de plusieurs
étudiants de leurs universités au Bélarus en raison de protestations
contre l'élection présidentielle de mars 2006. Par la suite, les
Gouvernements de la République tchèque et de la Pologne, par exemple,
ainsi que l'Union européenne, ont mis en place des projets nationaux
permettant aux étudiants du Bélarus d'étudier à l'étranger.
30. L'élection présidentielle au Bélarus en décembre 2010 a encore
produit les mêmes effets. Les étudiants qui ont protesté contre
le Président du Bélarus ou qui se sont engagés politiquement dans
l'opposition ont été renvoyés de leurs universités. En 2011, l'Union
européenne a interdit l’entrée dans l'Union européenne de cinq recteurs
des universités du Bélarus, qui avaient licencié des étudiants et
avaient abusé de leur position au sein de l'université afin d'obliger
les étudiants à voter pour le Président Loukachenko. Cela a aussi
conduit à la décision du Groupe de suivi de Bologne à Copenhague
les 18 et 19 janvier 2012 de recommander le rejet de la demande
du Gouvernement du Bélarus d'adhérer à l'Espace européen de l'enseignement
supérieur. Cette décision a été approuvée par les ministres participant
à la réunion de Bucarest les 26 et 27 avril 2012. La nomination
par le gouvernement de contrôleurs idéologiques dans les universités
du Bélarus est un procédé inquiétant qui rappelle le modèle orwellien
du contrôle de la pensée, en violation manifeste de la liberté académique.
31. Les étudiants sont souvent contestataires sur le plan politique.
Parmi de nombreux exemples, on pourrait citer les étudiants de Munich
qui ont protesté sous le nom de la «Rose blanche» contre les restrictions racistes
et politiques imposées en Allemagne après 1933, les contestations
étudiantes qui ont eu lieu dans de nombreux pays de l'Europe de
l'Ouest et de l'Amérique du Nord à la fin des années 1960, le massacre
des étudiants qui ont manifesté sur la place Tiananmen à Pékin en
1989, et l’immolation du jeune marchand ambulant Mohamed Bouazizi
en Tunisie en décembre 2010, qui a marqué le début du Printemps
arabe. Tous ces exemples montrent que la liberté académique et l'enseignement
supérieur sont nécessaires au progrès des sociétés démocratiques
et au développement de tout être humain. A cet égard, la liberté
académique va également de pair avec la liberté d'expression et
la liberté de pensée.
6. Trouver
un juste équilibre entre l'autonomie institutionnelle et la liberté
académique d'une part, et la politique des pouvoirs publics d'autre
part
32. L’enseignement supérieur est
un droit fondamental et un pilier de la construction de toute société démocratique.
Il doit par conséquent occuper une place importante dans la politique
des pouvoirs publics, dont les exigences sont parfois différentes
de celles que pourraient souhaiter les établissements de l'enseignement supérieur.
L'autonomie et la liberté ne sont pas des principes absolus dans
ce contexte. Il peut s'avérer nécessaire que l'autonomie des universités
et la liberté académique soient mises en balance avec certaines politiques
publiques dans certaines circonstances.
33. Les libertés fondamentales et les droits de l'homme sont généralement
défendus vis-à-vis des autorités publiques, c'est-à-dire que les
établissements de l'enseignement supérieur ont le droit de jouir
de leur liberté sans ingérence ni restriction indue des pouvoirs
publics. Concrètement, par exemple, cela signifie que les autorités
publiques ne doivent pas imposer leurs décisions politiques en ce
qui concerne l’admission ou le refus d'un étudiant, ou le recrutement
d'un enseignant. L'Europe a fait l’expérience d'une telle ingérence
de la part des pouvoirs publics sous les gouvernements communistes
ou fascistes.
34. Puisque des restrictions peuvent également être imposées par
des instances privées, par exemple par le biais de leur financement
privé, il pourrait être nécessaire pour que les établissements d’enseignement supérieur
jouissent véritablement d'une telle liberté que les pouvoirs publics
interviennent pour éviter tout risque d'ingérence indue de la part
de ces instances privées. Il s'agit bien évidemment d'une approche
plus complexe, qui pourrait nécessiter par exemple un niveau suffisant
de fonds publics pour permettre aux établissements de l'enseignement
supérieur d'accomplir leur mission en toute indépendance et sans discrimination.
35. Une autre solution pourrait consister à rendre obligatoires
les actions positives en faveur des étudiants défavorisés ou minoritaires.
Les étudiants aux faibles ressources financières, venant de régions
périphériques ou présentant un handicap physique, par exemple, ont
en général besoin d'une aide publique afin d’exercer pleinement
leur droit à l’enseignement supérieur. Cette aide des autorités
publiques peut être financière (octroi de subventions ou de bourses
d’étude), technique (critères obligatoires de construction, mise
en place d’infrastructures de transport et de communication) ou
administrative (réglementation des politiques positives en matière
d’admission ou de critères d’examen).
36. A la suite de la
Recommandation 1740 (2006) de l’Assemblée sur la place de la langue maternelle
dans l’enseignement scolaire, et conformément à la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148) et à la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales (STE n° 157), l’enseignement
supérieur devrait être accessible aux étudiants parlant des langues
minoritaires.
37. La liberté de recherche est un droit fondamental, reconnu
par exemple à l’article 15(3) du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels ainsi qu’à l’article 13
de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Néanmoins,
tous les travaux de recherche scientifique ne peuvent pas être autorisés,
mais certains – par exemple la recherche biomédicale – peuvent faire
l’objet de régulations et de limitations en vertu de la Convention
pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l'être humain
à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention
sur les droits de l'homme et la biomédecine (STE n° 164).
38. Enfin, les droits sociaux et le droit du travail peuvent légitimement
limiter l'autonomie des établissements de l’enseignement supérieur
en ce qui concerne l’embauche de personnels académique et administratif.
Dans ce contexte, il est intéressant de mentionner l’arrêt de la
Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne du 14 février 2012,
qui a décidé que la loi votée dans le Land de Hesse sur la réglementation
de la rémunération des enseignants des établissements publics de
l’enseignement supérieur était contraire au droit fondamental des
fonctionnaires à une rémunération suffisante liée à leur position
et à la nécessité d’attirer des personnes hautement qualifiées dans
la fonction publique. Le recours à des assistants étudiants requiert
également une attention particulière, étant donné que – dans certains
cas – ces derniers se trouvent dans une situation de double dépendance
vis-à-vis de leur établissement d’enseignement supérieur, à la fois
en tant qu’étudiants et en tant que salariés.
7. Gouvernance
participative des établissements de l’enseignement supérieur
39. La gouvernance des établissements
de l’enseignement supérieur en Europe est très variée. Dans de nombreux
pays, les étudiants participent à la gouvernance de leur établissement.
Par exemple, le «Studenterråd» au Danemark et les conseils généraux
d’étudiants en Autriche jouent traditionnellement un rôle consultatif
ou codécisionnel en matière de gestion des établissements d'enseignement
supérieur. Les syndicats étudiants en Suède participent à l’évaluation
de ces établissements.
40. Dans de nombreux pays, des conseils académiques ou administratifs
spéciaux ont le droit de nommer des enseignants et de définir les
programmes d’études de leurs établissements. La gestion du personnel
et des programmes est par conséquent réalisée en toute indépendance
ou autonomie. L’Association européenne des universités
a récemment fourni une vue d’ensemble
empirique des différentes structures et réglementations de la gouvernance,
dont il est difficile d’imaginer une harmonisation européenne.
41. Dans sa contribution à l'audition de la commission à Paris
le 5 mars 2012, Mme Karina Ufert, la représentante
de l’Union des étudiants d’Europe, a défini la participation des
étudiants à la gouvernance de l’enseignement supérieur comme la
capacité formelle et effective des étudiants à influencer les décisions
qui sont prises dans le contexte d’un établissement de l’enseignement
supérieur ou d’une autorité publique. Elle a conclu que les étudiants
avaient de plus en plus voix au chapitre sur les questions directement
liées au processus d’apprentissage, mais qu’ils étaient largement
exclus de la prise des décisions de haut niveau dans les établissements
de l’enseignement supérieur.
8. Garantir
la qualité de l’enseignement supérieur
42. Pour que le droit à l’enseignement
supérieur soit pris au sérieux, les autorités publiques ont l’obligation de
garantir la qualité de l’enseignement supérieur sans restreindre
la liberté académique. Les travaux du Conseil de l’Europe sur une
éducation de qualité sont très importants; les projets élaborés
dans ce domaine vont de l’éducation à la citoyenneté démocratique
et aux droits de l’homme aux nouvelles activités concernant le droit
à une éducation de qualité.
43. La Convention de Lisbonne de 1997 sur la reconnaissance des
qualifications et les conventions antérieures du Conseil de l’Europe
portent essentiellement sur la reconnaissance mutuelle des qualifications nécessaires
à l’admission, des périodes d’études et des titres, grades et diplômes
universitaires. Cette démarche requiert une analyse de la qualité
des établissements de l’enseignement supérieur et des efforts qu’ils
déploient dans ce sens.
44. Les ministres participant au processus de Bologne ont adopté
à Bergen (Norvège) en mai 2005 des normes et lignes directrices
européennes pour l'assurance de la qualité de l’éducation supérieure
.
Le texte adopté porte en termes généraux sur l'assurance de la qualité
externe et interne. Cependant aucun paramètre ou indicateur concret
pour de telles évaluations de la qualité n'a été défini.
45. Le programme de l'OCDE pour le suivi des acquis des élèves
(PISA) et les projets qui y sont liés influencent fortement la politique
des gouvernements en matière d'enseignement supérieur en Europe
et au-delà. Les systèmes éducatifs doivent être évalués pour que
leurs atouts et leurs lacunes puissent être identifiés. De telles
évaluations peuvent être menées depuis l'extérieur, par exemple
dans le cadre des travaux du programme PISA, ou à l'intérieur des
établissements de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire par l'intermédiaire
de parties prenantes au sein des établissements. Les étudiants,
les diplômés, les enseignants et les chercheurs sont les mieux placés
pour mener à bien une analyse de leur propre établissement, par exemple
en ce qui concerne la qualité des services assurés par les établissements
et l'impact concret des études poursuivies ou des recherches effectuées.
46. Il serait donc utile que le Conseil de l'Europe lance des
initiatives pour assurer la cohérence entre les différents objectifs
de l’éducation supérieure et les concepts de qualité, parce qu’une
approche généralisée et transparente concernant l’éducation (supérieure)
de qualité fait défaut. Dans d'autres secteurs, comme les établissements
de soins de santé et les hôpitaux, des évaluations détaillées de
la qualité ont été mises en place au sein de l'Union européenne,
par exemple, afin de mieux administrer ces établissements, de prodiguer des
soins de santé de qualité et d'élaborer des politiques sanitaires
au plan national ou régional.
47. Dans l'idéal, les évaluations de la qualité devraient être
établies de manière transparente et être accessibles en fin de compte
aux étudiants, aux enseignants, aux chercheurs et aux employeurs
potentiels ainsi qu'aux ministères de l'Education et aux législateurs
nationaux. Toutes ces parties prenantes ont un intérêt vital à connaître
la qualité de tel ou tel établissement de l'enseignement supérieur
ainsi que la qualité générale des établissements dans une région
donnée. Sans ces informations, elles ne pourront pas prendre de décisions
éclairées au sujet de l'enseignement supérieur.
48. Puisque les grands projets d'évaluation tels que le PISA nécessitent
d'importantes ressources financières et humaines, il serait naïf
de penser que les Etats membres pourraient actuellement financer
de nouveaux projets, même s'ils étaient convaincus de leur utilité.
C'est pourquoi il sera primordial de mettre en place une coopération
active entre les universités, les étudiants, les enseignants et
les chercheurs. Une évaluation réalisée de manière individuelle
pour un établissement de l'enseignement supérieur est gérable pour
ces derniers sans beaucoup de ressources et représente un retour
d'information majeur pour la maîtrise de sa propre gouvernance.
Le rôle du Conseil de l'Europe serait de veiller à ce que ces évaluations individuelles
suivent des principes généraux et soient comparables sur la base
d'indicateurs communs.
9. Renforcer
la participation de l'ensemble des parties prenantes
49. Les traités internationaux
tels que la Convention de Lisbonne pour la reconnaissance des qualifications sont
rédigés par différents experts juridiques des ministères nationaux
avant d'être ratifiés et mis en œuvre par les parlements nationaux.
Les normes établies en vertu du processus de Bologne ont été élaborées
et adoptées par les ministres nationaux des Etats participants.
Quelques organisations non gouvernementales, la Commission européenne,
le Conseil de l'Europe et l'UNESCO participent sur une base consultative
au processus de Bologne.
50. L'Union des étudiants d'Europe, l'Association des universités
européennes et l'Association européenne des institutions d'enseignement
supérieur sont les principales parties prenantes de l'enseignement
supérieur. Afin de combler d'éventuelles lacunes des politiques
de l'enseignement supérieur et d’éviter toute perturbation due aux
protestations, il est important que les étudiants, les enseignants
et les chercheurs aient le sentiment d’être parties prenantes aux
changements qui ont lieu au niveau des politiques de l'enseignement
supérieur, qui ont un impact sur les établissements. La liberté
académique et l'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur
exigent que les étudiants, les enseignants et les chercheurs puissent
concrètement adhérer à de tels changements.
51. Il est par conséquent important d'associer ces parties prenantes
et éventuellement d'autres organisations – notamment l’Association
internationale des universités – aux travaux du processus de Bologne et
aux travaux du Conseil de l'Europe. La Conférence permanente des
ministres de l'Education est le porte-drapeau de l'action du Conseil
de l'Europe depuis 1959.
52. Au sein du Conseil de l'Europe, il conviendrait en outre d'intensifier
les travaux de coopération avec le Conseil mixte sur la jeunesse,
qui représente les organisations de la jeunesse et les gouvernements. L'enseignement
supérieur est un domaine d'intérêt qui se trouve au cœur des préoccupations
des jeunes. C'est pourquoi il serait utile d'utiliser les ressources
intra-institutionnelles du Conseil de l'Europe pour mener un débat
avancé sur cette question.
53. Au paragraphe 13 de la
Recommandation
1762 (2006) sur la liberté académique et l'autonomie des universités,
l'Assemblée a décidé «de coopérer avec l’Observatoire de la Magna
Charta Universitatum dans sa tâche de contrôle du respect des principes
de la liberté académique et de l’autonomie des universités en Europe,
ajoutant ainsi aux travaux de l’observatoire une dimension parlementaire
européenne». Mes anciens collègues, Josef Jarab (République tchèque)
et Andrew McIntosh
(Royaume-Uni), ont participé à des réunions
de l'Observatoire de la Magna Charta à Bologne. J'ai également été
invité à m'exprimer à l'une d’elles, mais j'ai malheureusement dû
décliner l'invitation en raison d'un imprévu familial.
54. L'Observatoire de la Magna Charta est une plate-forme importante
pour la surveillance des établissements de l'enseignement supérieur
en Europe et au-delà. La composition de ses membres reflète la mondialisation
des valeurs historiquement européennes dans l'enseignement supérieur.
Il n'est pas nécessaire que les gouvernements réglementent les établissements
de l'enseignement supérieur quand ceux-ci peuvent assurer leur propre
gouvernance. Par conséquent, le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire
devraient encourager ce type d'initiatives et renforcer leur coopération
institutionnelle.
10. Conclusions
55. La gouvernance des établissements
de l'enseignement supérieur est un facteur déterminant dans le fonctionnement
et la qualité des systèmes d'enseignement supérieur. Les traditions
européennes ont établi les principes généraux de l'autonomie des
établissements de l'enseignement supérieur, y compris la liberté académique
et la liberté de recherche. Ces principes ont été inscrits dans
plusieurs textes juridiques et politiques par les établissements
de l'enseignement supérieur, les ministres européens de l'Education,
le Conseil de l'Europe, l'Union européenne et les Nations Unies.
56. Dans la pratique pourtant, la gouvernance autonome des établissements
de l'enseignement supérieur en est souvent à un stade embryonnaire
et elle est menacée par divers facteurs extérieurs. Il est nécessaire de
prendre des mesures concrètes pour renforcer cette gouvernance et
veiller dans le même temps à l'application effective du droit universel
à l'éducation, y compris l'accès à l'enseignement supérieur sur
la base des capacités de chacun.
57. La gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur
doit reposer dans une plus grande mesure sur des évaluations internes
ainsi que sur des structures décisionnelles auxquelles participent l'ensemble
des parties prenantes, notamment les étudiants, les enseignants
et les chercheurs.
11. Recommandations
58. Les parlements nationaux ont
le pouvoir et l’obligation de participer activement aux politiques
nationales de l’enseignement supérieur. Au niveau de l’Union européenne
également, l'article 165 du Traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne réaffirme la compétence et la responsabilité des parlements
nationaux en ce qui concerne l’élaboration des politiques et de
la législation relatives à l’enseignement supérieur. Il est donc
logique que notre Assemblée devienne plus active dans ce domaine.
59. Dans le même ordre d’idées, la Conférence permanente des ministres
de l'Education du Conseil de l'Europe devrait servir de cadre privilégié
de débat et de coordination des politiques concernant l’enseignement supérieur
au niveau de toute l’Europe. Le Comité des Ministres et son Groupe
de rapporteurs sur l’éducation, la culture, le sport, la jeunesse
et l’environnement doivent être un partenaire important à cet égard,
dans la mesure où la plupart des ministères des Affaires étrangères
s’occupent aussi des affaires culturelles à l’étranger.
60. Il convient cependant qu’à toute action soient aussi associés
d’autres acteurs. Les étudiants, les enseignants, les chercheurs
et les institutions d’enseignement supérieur devraient être consultés
et encouragés à collaborer activement à la définition et à la mise
en œuvre des grands objectifs et des projets concrets concernant
l’enseignement supérieur. Dans ce contexte, l'Assemblée devrait
également intensifier ses relations de travail avec des organisations
des étudiants représentatives et des établissements d'enseignement
supérieur.
61. L’autonomie des institutions d’enseignement supérieur doit
être considérée comme un principe directeur. Certes, cette autonomie
ne peut être totale, mais les autorités de l'Etat, les instances
politiques et religieuses et le secteur économique devraient s’abstenir
de s’ingérer dans le fonctionnement interne de ces institutions.
Il est en revanche nécessaire d’améliorer la transparence, la consultation
et la coopération.
62. De plus, la liberté académique et la liberté de la recherche
doivent être respectées en tant que droit fondamental. Le progrès
social et scientifique et l’épanouissement de toute personne dépendent
de cette liberté, de la même manière qu’ils dépendent de la liberté
de pensée et de la liberté d’expression et d’information.