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Rapport | Doc. 12964 | 23 juin 2012

La gouvernance des établissements d'enseignement supérieur dans l'Espace européen de l'enseignement supérieur

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Gvozden Srećko FLEGO, Croatie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12404, Renvoi 3730 du 25 janvier 2011. 2012 - Quatrième partie de session

Résumé

Le droit à l'éducation, garanti par l'article 2 du Premier Protocole à la Convention européenne des droits de l'homme, englobe le droit d’accès à l'enseignement supérieur, qui est également protégé par l'article 10.1 de la Charte sociale européenne révisée. Les autorités publiques ont l’obligation de garantir la qualité de l’enseignement supérieur sans restreindre la liberté académique. L'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur, la liberté académique et la liberté de la recherche scientifique et des arts sont des principes fondamentaux du fonctionnement et de la qualité des systèmes de l'enseignement supérieur tout comme des sociétés démocratiques et pluralistes.

La liberté académique et l'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur exigent que ceux-ci puissent déterminer, dans le cadre des politiques nationales de l'enseignement supérieur et du droit interne ainsi que dans le respect des droits de l'homme, leurs programmes d’étude et leurs diplômes de troisième cycle, les critères d’admission des étudiants, la recherche, l’organisation administrative, le financement et le recrutement du personnel. Les décisions stratégiques de base concernant le développement des établissements de l'enseignement supérieur devraient être prises sur une base quadripartite, entre les représentants du milieu universitaire (dont les étudiants), du marché du travail (employeurs et syndicats), des organisations de la société civile et du gouvernement (pouvoirs exécutif et législatif).

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 29 mai 2012.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire réaffirme l'importance fondamentale de l'enseignement supérieur pour chaque individu et toute la société. Le droit à l'éducation, garanti par l'article 2 du premier Protocole à la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 9 et STE n° 5), englobe le droit d’accès à l'enseignement supérieur, qui est également protégé par l'article 10.1 de la Charte sociale européenne révisée (STE n° 163).
2. Les personnes avec un niveau d’éducation élevé sont un facteur clé pour le bien-être individuel et collectif ainsi que pour la stabilité économique, sociale et démocratique. Il est, par conséquent, d'une importance stratégique pour les Etats membres de chercher à mettre en place progressivement un enseignement supérieur gratuit et accessible à tous sur la base des capacités de chacun, conformément à l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
3. L'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur, la liberté académique et la liberté de la recherche scientifique et des arts sont des principes fondamentaux du fonctionnement des établissements de l'enseignement supérieur tout comme des sociétés démocratiques et pluralistes. Ces principes vont de pair avec la responsabilité publique en matière d’enseignement supérieur et de recherche telle qu’elle est exprimée dans la Recommandation CM/Rec(2007)6 du Comité des Ministres. A cet égard, l'Assemblée se félicite des travaux récents du Comité des Ministres sur la responsabilité des pouvoirs publics concernant la liberté académique et l'autonomie institutionnelle.
4. Du fait de l’importance cruciale des établissements de l'enseignement supérieur et de la dépendance des individus et de la société vis-à-vis de la recherche universitaire et de la formation des experts, les décisions stratégiques de base concernant le développement des établissements de l'enseignement supérieur devraient être prises sur une base quadripartite, entre les représentants du milieu universitaire (dont les étudiants), du marché du travail (employeurs et syndicats), des organisations de la société civile et du gouvernement (pouvoirs exécutif et législatif).
5. La liberté académique et l'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur exigent que ceux-ci puissent déterminer, dans le cadre des politiques nationales de l'enseignement supérieur et du droit interne ainsi que dans le respect des droits de l'homme, leurs programmes d’étude et leurs diplômes de troisième cycle, les critères d’admission des étudiants, la recherche, l’organisation administrative, le financement et le recrutement du personnel.
6. L'Assemblée déplore la violation continue de l'autonomie universitaire et de la liberté académique au Bélarus. Tant que les établissements de l'enseignement supérieur dans ce pays ne respectent pas ces principes universels, ils ne peuvent pas être considérés comme des partenaires valables des établissements d'autres pays au sein de l'Espace européen de l'enseignement supérieur. L'Assemblée se félicite de la récente décision prise par les ministres participant au processus de Bologne de ne pas admettre le Bélarus, ainsi que la décision prise par l'Union européenne de ne pas accorder des visas d'entrée à cinq recteurs des universités du Bélarus.
7. En conformité avec les objectifs de l'article 165 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'Assemblée réaffirme la compétence et la responsabilité des parlements nationaux en ce qui concerne l’élaboration des politiques et de la législation relatives à l’enseignement supérieur. Cela devrait être fait en coopération étroite avec les établissements de l'enseignement supérieur.
8. Les établissements de l'enseignement supérieur devraient participer activement au processus décisionnel relatif à la gouvernance des systèmes nationaux de l’enseignement supérieur, selon le principe de subsidiarité. A cet égard, l'Assemblée se félicite des activités de groupes représentatifs comme l'Union des étudiants d’Europe, l'Association des universités européenne et l'Association européenne des institutions d'enseignement supérieur.
9. L'Assemblée souligne l'importance de la gouvernance participative au sein des établissements de l'enseignement supérieur et les encourage à associer les étudiants, les diplômés, les enseignants et les chercheurs à l'évaluation interne et à la prise de décisions sur le processus d'apprentissage, mais aussi à mettre en place des dispositifs appropriés pour les impliquer dans les décisions stratégiques.
10. L'Assemblée attache une importance particulière aux initiatives d'autorégulation et, en particulier, à l'Observatoire de la Magna Charta Universitatum de Bologne. Rappelant le paragraphe 13 de sa Recommandation 1762 (2006) sur la liberté académique et l'autonomie des universités, l'Assemblée se félicite de l'invitation de l'Observatoire d’intensifier la coopération et de se faire représenter à ses réunions.
11. L'Assemblée recommande aux Etats membres et aux pouvoirs publics de préserver et de protéger l'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur et la liberté académique et, pour ce faire:
11.1. de promouvoir l'égalité d’accès aux établissements de l'enseignement supérieur sur la base des capacités de chacun et, à cette fin, d’apporter un soutien financier – aux établissements et aux étudiants – pour surmonter les obstacles socioéconomiques, notamment en période de difficultés financières et de crise sociale;
11.2. de s'entendre sur des principes de financement transparents, de les rendre accessibles au public et de veiller à ce que les programmes de financement directs ou indirects ne favorisent pas de manière indue certains établissements de l’enseignement supérieur;
11.3. conformément à la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l'enseignement supérieur dans la région européenne (STE n° 165) et au Communiqué de Bucarest adopté par les ministres participant au processus de Bologne, d’établir des normes de qualité pour la reconnaissance des périodes d'étude, des titres et des diplômes, sans restriction externe concernant les cours, les titres et les diplômes proposés par les établissements de l'enseignement supérieur;
11.4. d’empêcher toute ingérence politique et économique dans la gestion interne des établissements de l'enseignement supérieur, qu’ils soient privés ou publics, tout en veillant à la pleine application de la législation nationale pertinente;
11.5. de soutenir la coopération des établissements de l'enseignement supérieur ainsi que la mobilité des étudiants et des enseignants à travers les frontières;
11.6. de respecter dûment le droit à la liberté d'association des étudiants, des enseignants et des chercheurs;
11.7. d’associer les étudiants aux processus décisionnels concernant les questions universitaires;
11.8. de créer des projets pour les étudiants et les enseignants du Bélarus qui ont été exclus ou renvoyés de leurs établissements de l'enseignement supérieur pour des raisons politiques; de tels projets devraient inclure des bourses d’étude et des aides universitaires nationales pour ces élèves et ces enseignants.
12. L'Assemblée invite la Conférence permanente des ministres de l'Education à renforcer ses liens de travail avec l'Union des étudiants d’Europe, l'Association européenne des universités, l'Association européenne des institutions d'enseignement supérieur ainsi que l’Association internationale des universités, et à accroître son influence et son rôle au sein du processus de Bologne.
13. L'Assemblée invite le Conseil mixte pour la jeunesse et le Parlement européen de la jeunesse à discuter des politiques à suivre pour l'enseignement supérieur.

B. Exposé des motifs, par M. Flego, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. A la suite de la présentation par moi-même et plusieurs de mes collègues d’une proposition de recommandation en la matière (Doc. 12404), la commission de la culture, de la science et de l'éducation m'a nommé rapporteur le 27 janvier 2011. Par le biais de mes travaux en qualité de professeur de philosophie à l'université de Zagreb et d’ancien ministre croate des Sciences et des Technologies, j'ai participé au processus de Bologne et vécu les changements que ce processus a apportés aux universités et à leurs paramètres de gouvernance. Je suis également intervenu pendant la conférence du Conseil de l'Europe sur «La liberté académique et l'autonomie des universités: le rôle des pouvoirs publics», tenue à Strasbourg les 8 et 9 novembre 2010, dans le cadre des travaux préparatoires à une nouvelle recommandation du Comité des Ministres sur ce sujet.
2. Sur la base d’un rapport établi par mon ancien collègue, le professeur Josef Jarab (République tchèque), l'Assemblée parlementaire avait adopté sa Recommandation 1762 (2006) sur la liberté académique et l'autonomie des universités, qui soulignait le rôle important des établissements de l'enseignement supérieur et de leur autogouvernance. Une analyse détaillée de la gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur et de leur participation à l'Espace européen de l'enseignement supérieur n'était cependant pas l'objet de la Recommandation 1762 (2006). Le présent rapport vise à compléter et à approfondir ces travaux.
3. Le professeur Pavel Zgaga a élaboré et présenté à la commission, à Paris le 5 mars 2012, un important rapport d’information 
			(2) 
			Voir AS/Cult/Inf (2012)
4.. Il a analysé l'autonomie des universités, depuis les concepts historiques jusqu’aux enjeux du monde moderne. Je lui suis très reconnaissant pour sa contribution aux travaux qui nous occupent.
4. Lors de sa réunion du 5 mars 2012, la commission a également tenu une audition sur les politiques d'éducation avec la participation de l'ambassadeur Arif Mammadov, président du Groupe de rapporteurs du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur l’éducation, la culture, le sport, la jeunesse et l’environnement (GR-C), et des experts suivants:
  • professeur Pavel Zgaga, directeur du Centre d’études sur les politiques éducatives, université de Ljubljana;
  • professeur Germain Dondelinger, coordonnateur de l'enseignement supérieur, ministère de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Luxembourg;
  • Dr Annette Pieper de Avila, consultante principale, Section de l’enseignement supérieur, UNESCO;
  • Mme Anna Glass, Secrétaire générale, Observatoire de la Magna Charta, Bologne;
  • Mme Ligia Deca, coordonnatrice, secrétariat roumain du Groupe de suivi du processus de Bologne, Bucarest;
  • Frank Petrikowski, Unité de l’enseignement supérieur, Direction générale de l’éducation et de la culture, Commission européenne, Bruxelles.
5. Je remercie l’ensemble des participants, mais aussi surtout mes collègues de la commission pour leurs précieuses contributions.

2. Définir la gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur

6. Pendant des siècles, l'autonomie des universités et la liberté académique ont été les principes fondamentaux des systèmes de l'enseignement supérieur en Europe. De nombreuses constitutions nationales consacrent ces principes, et ce depuis des décennies. Même la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantit, à l’article 13, le droit à la liberté des arts et de la recherche et la liberté académique. Les universités se sont engagées à respecter ces libertés en vertu de la Magna Charta Universitatum de 1988.
7. Les tentatives visant à définir la liberté académique et l'autonomie institutionnelle des établissements de l'enseignement supérieur ont été moins fréquentes. Alors que la Magna Charta Universitatum constitue une première et encore vague référence à l'autonomie des universités et à la liberté académique, les instruments qui ont été développés par la suite par l'Association européenne des universités sont plus concrets; ils établissent en effet que l'autonomie des universités concerne quatre aspects: l’organisation, le financement, les programmes d’étude et la dotation en personnel. Ces éléments sont repris dans le nouveau projet du Comité directeur pour les politiques et pratiques éducatives mené sous l’égide du Comité des Ministres, qui propose que l'autonomie des établissements englobe l'autonomie de l'enseignement et de la recherche ainsi que l’autonomie au niveau du financement, de l’organisation et de la dotation en personnel.
8. Dans le document que le professeur Pavel Zgaga a présenté à l'audition de la commission à Paris le 5 mars 2012, il a proposé d’envisager la gouvernance de l’enseignement supérieur comme un concept multidimensionnel, pour lequel il est nécessaire de distinguer schématiquement trois dimensions structurelles: (a) la gouvernance interne ou institutionnelle: gouvernance des établissements de l’enseignement supérieur; (b) la gouvernance externe ou systémique: gouvernance des systèmes (nationaux) de l’enseignement supérieur; et (c) la gouvernance internationale ou mondiale: gouvernance des systèmes de l’enseignement supérieur dans une perspective internationale (mondiale), par exemple le processus de Bologne.
9. Traditionnellement, l’expression d’«autonomie des universités» faisait référence aux universités, et non pas aux institutions techniques ou professionnelles de l’enseignement supérieur. Cette autonomie avait, par exemple, été accordée aux premières universités par des monarques nationaux et protégeait ces universités contre les pouvoirs de dirigeants locaux ou régionaux. Le processus de Bologne et les changements nationaux apportés aux systèmes d'enseignement supérieur ont aboli dans une large mesure la distinction entre les universités et les instituts d’enseignement technique ou professionnel, ce qui a conduit à utiliser l’appellation générique d’«établissements d'enseignement supérieur». Les termes «autonomie» et «indépendance» semblent être plus ou moins équivalents.

3. Influence des paramètres politiques et d’autres paramètres sur l'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur

10. La gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur s'inscrit dans le cadre de besoins ou de paramètres juridiques, politiques et d’autres plutôt factuels. Parmi ces derniers, la concurrence entre les établissements de l'enseignement supérieur est le point le plus important. Cette concurrence porte sur les étudiants, le personnel universitaire et le financement. Celui-ci peut se composer de fonds publics, de fonds privés et de financements provenant des étudiants; il est généralement lié à la qualité du personnel universitaire et à la qualité et la quantité des étudiants admis. Une proportion croissante de la population poursuit des études supérieures en Europe et cette augmentation du nombre d’étudiants est assimilée à tort à une baisse de la qualité de l’enseignement supérieur. J’aurais plutôt tendance à considérer cette augmentation quantitative comme un symptôme positif et un défi, à la fois pour les pouvoirs publics et les établissements d'enseignement supérieur, pour garantir un enseignement de qualité.
11. Les établissements de l'enseignement supérieur doivent par conséquent tenir compte dans leur gouvernance des besoins des étudiants et du personnel universitaire, des organisations spécialisées de la société civile, mais aussi des autorités publiques et du secteur économique. Lorsque le financement public est minoritaire, ce phénomène peut se traduire par la mise en place d'instances administratives et d'outils de gestion dans lesquels les donateurs privés peuvent ou peuvent prétendre influencer la gouvernance institutionnelle et la définition de priorités stratégiques. Les étudiants peuvent notamment exprimer leurs attentes en participant à l’administration et à la gestion des établissements de l’enseignement supérieur ainsi qu’en évaluant leurs enseignants, les installations et l'établissement dans son ensemble.
12. Des efforts limités ont pourtant été déployés pour analyser les effets positifs ou négatifs de ces besoins réels et de leur prise en considération dans les établissements en tant que facteurs déterminants de la gouvernance. Il ne fait cependant aucun doute qu'une capacité accrue de réponse face aux attentes des étudiants et du secteur privé peut fournir un avantage compétitif aux établissements de l'enseignement supérieur.
13. Les impératifs politiques de l’enseignement supérieur sont en général établis par des législateurs nationaux ou régionaux. L’enseignement supérieur peut par conséquent s’adapter à des circonstances historiques, culturelles et géographiques régionales. Cette capacité est conforme au principe de subsidiarité reconnue dans l’article 165 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que dans les constitutions nationales, notamment dans les pays fédéraux comme la Belgique, l’Allemagne et la Suisse.
14. Dans son rapport sur les dangers du créationnisme dans l’éducation (Doc. 11375), ma collègue, Mme Anne Brasseur (Luxembourg), a analysé les tendances politiques qui influencent l’enseignement et la recherche en ce qui concerne la théorie de l’évolution de Charles Darwin. Aux Etats-Unis et dans quelques pays européens, les limites possibles à la recherche et à l’enseignement avaient été examinées en ce sens, favorisant une approche fondée sur la religion ou «créationniste». Le financement public de l’enseignement et de la recherche serait un moyen typique de mettre en place de telles limitations, si la liberté académique et la liberté de recherche n’étaient pas protégées.
15. Dans le même esprit, le financement privé des établissements de l'enseignement supérieur pourrait exercer une pression économique ou commerciale sur la recherche et l’enseignement. Il n'est pas étonnant de voir que des universités privées sont mises en place en Europe, avec pour principal enseignement la gestion des entreprises, le commerce, le droit ou l'ingénierie, alors que les sciences politiques, les sciences sociales ou la philosophie restent des matières principalement enseignées et étudiées dans les établissements publics de l'enseignement supérieur.
16. Au-delà de la primauté des politiques nationales (et régionales), un certain niveau de coopération et de coordination a été atteint entre les ministères européens de l'Education par le biais du processus de Bologne depuis 1999. La création de l'Espace européen de l'enseignement supérieur, ainsi que l’énorme financement de la mobilité des étudiants et des enseignants par les programmes de l'Union européenne, ont eu un impact considérable sur divers aspects tels que les titres, grades et diplômes universitaires. L'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur a par conséquent été limitée par la décision de délivrer des diplômes comparables ou identiques à la suite de périodes d'étude identiques dans toute l'Europe. Leur indépendance signifie toutefois que la responsabilité finale des titres, grades et diplômes universitaires décernés incombe à l'établissement concerné. Mon collègue le professeur Rafael Huseynov (Azerbaïdjan) examine l'impact du processus de Bologne dans son rapport sur la consolidation et l'ouverture internationale de l'Espace européen de l'enseignement supérieur.
17. En outre, les établissements de l'enseignement supérieur ont défini pour eux-mêmes des impératifs politiques. Les universités ont mis en place à Bologne en 1988 la Magna Charta Universitatum et son observatoire 
			(3) 
			Voir <a href='http://www.magna-charta.org/library/userfiles/file/mc_english.pdf'>www.magna-charta.org/library/userfiles/file/mc_english.pdf</a>.. Cette charte énonce que «(L)a liberté de recherche (…) et de formation étant le principe fondamental de la vie des universités, les pouvoirs publics et les universités (…) doivent garantir (…) le respect de cette exigence fondamentale».
18. Enfin, les traités internationaux ont défini des cadres juridiques pour l'enseignement supérieur, par exemple la reconnaissance des critères d'admission, des périodes d'étude et des titres ou diplômes universitaires conformément aux conventions du Conseil de l'Europe depuis 1953 et à la Convention de 1997 sur la reconnaissance des qualifications relatives à l'enseignement supérieur dans la région européenne (STE n° 165, «la Convention de reconnaissance de Lisbonne»). Cette dernière respecte dûment l'autonomie des établissements en stipulant dans son article II.1.2: «Lorsque ce sont des établissements d'enseignement supérieur ou d'autres entités qui ont compétence pour décider individuellement des questions de reconnaissance, chaque Partie, selon sa situation ou structure constitutionnelle, communique le texte de la présente Convention à ces établissements ou entités et prend toutes les mesures possibles pour les encourager à l'examiner et en appliquer les dispositions avec bienveillance.»
19. Afin de rendre le processus de reconnaissance plus simple et plus inclusif, les signataires de la Convention de Lisbonne sur la reconnaissance des qualifications devraient investir davantage d'efforts pour l’élargissement de son domaine de compétence géographique en intégrant davantage d'Etats non européens et en encourageant l'adhésion de nouveaux Etats, si ces Etats reconnaissent la liberté académique et l'autonomie des établissements d’enseignement supérieur.

4. Normes juridiques générales applicables à l'enseignement supérieur

20. Outre les besoins politiques et réels, des normes juridiques s'appliquent et restreignent le degré d'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur. Parmi elles, il convient de mentionner en premier lieu les droits de l'homme. Bien évidemment, les obligations qui résultent des normes relatives aux droits de l'homme concernent en priorité les autorités publiques, les établissements de l'enseignement supérieur en retirant sans aucun doute des avantages. Cependant, il est évident que la gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur et leur autonomie ne doivent pas porter atteinte aux droits de l'homme.
21. L'article 2 du Premier Protocole à la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 9 et STE n° 5) garantit le droit à l'éducation, qui comprend l'enseignement primaire, secondaire et supérieur, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme 
			(4) 
			Voir,
par exemple, l’arrêt dans Leyla Sahin
c. Turquie, requête n° 44774/9810, arrêt du novembre
2005, paragraphes 134, 137 et 141.. Aux termes de l'article 10.1 de la Charte sociale européenne révisée (STE n° 163), les Parties à la Charte s’engagent «à accorder des moyens permettant l'accès à l'enseignement technique supérieur et à l'enseignement universitaire d'après le seul critère de l'aptitude individuelle».
22. L'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels énonce le droit universel à l'éducation, y compris le droit à un enseignement primaire gratuit et obligatoire, à un enseignement secondaire progressivement gratuit, et à un enseignement supérieur accessible à tous en fonction des capacités de chacun et «notamment par l'instauration progressive de la gratuité». L’article 15(3) de ce pacte international reconnaît la liberté de recherche scientifique.
23. Aux termes de l'article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne 
			(5) 
			Voir <a href='http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf'>www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf</a>., «[l]es arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée». L’article 14 de la charte garantit le droit à l'éducation et l'accès à la formation professionnelle et continue.
24. Outre les normes relatives aux droits de l'homme, les conventions du Conseil de l'Europe depuis 1953 et la Convention du Conseil de l’Europe et de l'Unesco (Lisbonne, 1997) sur la reconnaissance des qualifications contribuent à définir les cadres juridiques de l'enseignement supérieur, notamment par le biais de dispositions sur la reconnaissance des critères d'admission, des périodes d'étude et des titres ou diplômes universitaires.
25. Les textes normatifs adoptés par le Conseil de l'Europe sont également pertinents. La Recommandation CM/Rec(2007)6 du Comité des Ministres relative à la responsabilité publique pour l'enseignement supérieur et la recherche 
			(6) 
			Voir <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/Rec(2007)6&Language=lanFrench'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/Rec(2007)6&Language=lanFrench</a>. adopte une position très claire en faveur de l'harmonisation et stipule: «Les autorités publiques doivent assumer une responsabilité exclusive pour le cadre régissant l’enseignement supérieur et la recherche, à savoir: le cadre juridique, la structure des diplômes ou le cadre des qualifications qu’offre le système d’enseignement supérieur, le cadre définissant la garantie de la qualité, le cadre définissant la reconnaissance des qualifications étrangères, le cadre d’information sur la prestation de l’enseignement supérieur. Lors de l’élaboration ou de la révision du cadre juridique, conformément à la constitution et à la pratique législative de chaque pays, les autorités publiques doivent consulter les établissements d’enseignement supérieur et leurs organisations, les instituts et organismes de recherche, les associations d’étudiants et de personnels ainsi que les autres parties prenantes. Les autorités doivent déterminer la structure des diplômes ou le cadre des qualifications relevant du système d’enseignement supérieur conformément aux pratiques internationales, et tout spécialement à celles de l’Espace européen de l’enseignement supérieur.»
26. La nouvelle recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres sur la «responsabilité des autorités publiques pour la liberté académique et l'autonomie des universités» devra également être prise en considération une fois adoptée. Elle examinera et définira en termes généraux le rôle et les obligations des autorités publiques.

5. La gouvernance autonome des établissements de l'enseignement supérieur dans la pratique

27. Dans le contexte de ces besoins ou paramètres juridiques, politiques et d’autres paramètres, une gouvernance indépendante ou autonome des établissements de l'enseignement supérieur pourrait apparaître comme un concept plus théorique que pratique. Cependant, l'importance pratique de ces principes fondamentaux devient évidente quand ils font défaut ou qu’ils ne sont pas respectés.
28. Si l'on se tourne vers le passé récent, l'exemple négatif de l'enseignement supérieur de l'Allemagne de l'Est vient à l'esprit. Le gouvernement communiste de la «République démocratique allemande» avait mis en place un contrôle politique strict de l'enseignement supérieur, qui s’est traduit par le renvoi d’enseignants critiques à l’égard du pouvoir et même par l’interdiction pour certains enfants de citoyens contestataires d'avoir accès à des établissements d'enseignement supérieur. L'enseignement supérieur était perçu comme un privilège réservé aux citoyens fidèles à la politique du gouvernement.
29. Une telle approche restrictive de l'enseignement supérieur est encore observée aujourd'hui au Bélarus. La Recommandation 1762 (2006) de l'Assemblée a appelé, au paragraphe 14, le Comité des Ministres, les ministères spécialisés et les universités des Etats membres «à mettre en place un programme multilatéral permettant des échanges d’étudiants et d’enseignants avec les universités du Bélarus et la "European Humanities University" bélarussienne à Vilnius (Lituanie)». Cette référence spéciale répondait au renvoi de plusieurs étudiants de leurs universités au Bélarus en raison de protestations contre l'élection présidentielle de mars 2006. Par la suite, les Gouvernements de la République tchèque et de la Pologne, par exemple, ainsi que l'Union européenne, ont mis en place des projets nationaux permettant aux étudiants du Bélarus d'étudier à l'étranger.
30. L'élection présidentielle au Bélarus en décembre 2010 a encore produit les mêmes effets. Les étudiants qui ont protesté contre le Président du Bélarus ou qui se sont engagés politiquement dans l'opposition ont été renvoyés de leurs universités. En 2011, l'Union européenne a interdit l’entrée dans l'Union européenne de cinq recteurs des universités du Bélarus, qui avaient licencié des étudiants et avaient abusé de leur position au sein de l'université afin d'obliger les étudiants à voter pour le Président Loukachenko. Cela a aussi conduit à la décision du Groupe de suivi de Bologne à Copenhague les 18 et 19 janvier 2012 de recommander le rejet de la demande du Gouvernement du Bélarus d'adhérer à l'Espace européen de l'enseignement supérieur. Cette décision a été approuvée par les ministres participant à la réunion de Bucarest les 26 et 27 avril 2012. La nomination par le gouvernement de contrôleurs idéologiques dans les universités du Bélarus est un procédé inquiétant qui rappelle le modèle orwellien du contrôle de la pensée, en violation manifeste de la liberté académique.
31. Les étudiants sont souvent contestataires sur le plan politique. Parmi de nombreux exemples, on pourrait citer les étudiants de Munich qui ont protesté sous le nom de la «Rose blanche» contre les restrictions racistes et politiques imposées en Allemagne après 1933, les contestations étudiantes qui ont eu lieu dans de nombreux pays de l'Europe de l'Ouest et de l'Amérique du Nord à la fin des années 1960, le massacre des étudiants qui ont manifesté sur la place Tiananmen à Pékin en 1989, et l’immolation du jeune marchand ambulant Mohamed Bouazizi en Tunisie en décembre 2010, qui a marqué le début du Printemps arabe. Tous ces exemples montrent que la liberté académique et l'enseignement supérieur sont nécessaires au progrès des sociétés démocratiques et au développement de tout être humain. A cet égard, la liberté académique va également de pair avec la liberté d'expression et la liberté de pensée.

6. Trouver un juste équilibre entre l'autonomie institutionnelle et la liberté académique d'une part, et la politique des pouvoirs publics d'autre part

32. L’enseignement supérieur est un droit fondamental et un pilier de la construction de toute société démocratique. Il doit par conséquent occuper une place importante dans la politique des pouvoirs publics, dont les exigences sont parfois différentes de celles que pourraient souhaiter les établissements de l'enseignement supérieur. L'autonomie et la liberté ne sont pas des principes absolus dans ce contexte. Il peut s'avérer nécessaire que l'autonomie des universités et la liberté académique soient mises en balance avec certaines politiques publiques dans certaines circonstances.
33. Les libertés fondamentales et les droits de l'homme sont généralement défendus vis-à-vis des autorités publiques, c'est-à-dire que les établissements de l'enseignement supérieur ont le droit de jouir de leur liberté sans ingérence ni restriction indue des pouvoirs publics. Concrètement, par exemple, cela signifie que les autorités publiques ne doivent pas imposer leurs décisions politiques en ce qui concerne l’admission ou le refus d'un étudiant, ou le recrutement d'un enseignant. L'Europe a fait l’expérience d'une telle ingérence de la part des pouvoirs publics sous les gouvernements communistes ou fascistes.
34. Puisque des restrictions peuvent également être imposées par des instances privées, par exemple par le biais de leur financement privé, il pourrait être nécessaire pour que les établissements d’enseignement supérieur jouissent véritablement d'une telle liberté que les pouvoirs publics interviennent pour éviter tout risque d'ingérence indue de la part de ces instances privées. Il s'agit bien évidemment d'une approche plus complexe, qui pourrait nécessiter par exemple un niveau suffisant de fonds publics pour permettre aux établissements de l'enseignement supérieur d'accomplir leur mission en toute indépendance et sans discrimination.
35. Une autre solution pourrait consister à rendre obligatoires les actions positives en faveur des étudiants défavorisés ou minoritaires. Les étudiants aux faibles ressources financières, venant de régions périphériques ou présentant un handicap physique, par exemple, ont en général besoin d'une aide publique afin d’exercer pleinement leur droit à l’enseignement supérieur. Cette aide des autorités publiques peut être financière (octroi de subventions ou de bourses d’étude), technique (critères obligatoires de construction, mise en place d’infrastructures de transport et de communication) ou administrative (réglementation des politiques positives en matière d’admission ou de critères d’examen).
36. A la suite de la Recommandation 1740 (2006) de l’Assemblée sur la place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire, et conformément à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148) et à la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE n° 157), l’enseignement supérieur devrait être accessible aux étudiants parlant des langues minoritaires.
37. La liberté de recherche est un droit fondamental, reconnu par exemple à l’article 15(3) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi qu’à l’article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Néanmoins, tous les travaux de recherche scientifique ne peuvent pas être autorisés, mais certains – par exemple la recherche biomédicale – peuvent faire l’objet de régulations et de limitations en vertu de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (STE n° 164).
38. Enfin, les droits sociaux et le droit du travail peuvent légitimement limiter l'autonomie des établissements de l’enseignement supérieur en ce qui concerne l’embauche de personnels académique et administratif. Dans ce contexte, il est intéressant de mentionner l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne du 14 février 2012, qui a décidé que la loi votée dans le Land de Hesse sur la réglementation de la rémunération des enseignants des établissements publics de l’enseignement supérieur était contraire au droit fondamental des fonctionnaires à une rémunération suffisante liée à leur position et à la nécessité d’attirer des personnes hautement qualifiées dans la fonction publique. Le recours à des assistants étudiants requiert également une attention particulière, étant donné que – dans certains cas – ces derniers se trouvent dans une situation de double dépendance vis-à-vis de leur établissement d’enseignement supérieur, à la fois en tant qu’étudiants et en tant que salariés.

7. Gouvernance participative des établissements de l’enseignement supérieur

39. La gouvernance des établissements de l’enseignement supérieur en Europe est très variée. Dans de nombreux pays, les étudiants participent à la gouvernance de leur établissement. Par exemple, le «Studenterråd» au Danemark et les conseils généraux d’étudiants en Autriche jouent traditionnellement un rôle consultatif ou codécisionnel en matière de gestion des établissements d'enseignement supérieur. Les syndicats étudiants en Suède participent à l’évaluation de ces établissements.
40. Dans de nombreux pays, des conseils académiques ou administratifs spéciaux ont le droit de nommer des enseignants et de définir les programmes d’études de leurs établissements. La gestion du personnel et des programmes est par conséquent réalisée en toute indépendance ou autonomie. L’Association européenne des universités 
			(7) 
			Estermann Thomas et
Terhi Nokkala, University autonomy in
Europe (EUA, Bruxelles, 2009), reproduit par exemple à: <a href='http://www.rkrs.si/gradiva/dokumenti/EUA_Autonomy_Report_Final.pdf'>http://www.rkrs.si/gradiva/dokumenti/EUA_Autonomy_Report_Final.pdf</a>. a récemment fourni une vue d’ensemble empirique des différentes structures et réglementations de la gouvernance, dont il est difficile d’imaginer une harmonisation européenne.
41. Dans sa contribution à l'audition de la commission à Paris le 5 mars 2012, Mme Karina Ufert, la représentante de l’Union des étudiants d’Europe, a défini la participation des étudiants à la gouvernance de l’enseignement supérieur comme la capacité formelle et effective des étudiants à influencer les décisions qui sont prises dans le contexte d’un établissement de l’enseignement supérieur ou d’une autorité publique. Elle a conclu que les étudiants avaient de plus en plus voix au chapitre sur les questions directement liées au processus d’apprentissage, mais qu’ils étaient largement exclus de la prise des décisions de haut niveau dans les établissements de l’enseignement supérieur.

8. Garantir la qualité de l’enseignement supérieur

42. Pour que le droit à l’enseignement supérieur soit pris au sérieux, les autorités publiques ont l’obligation de garantir la qualité de l’enseignement supérieur sans restreindre la liberté académique. Les travaux du Conseil de l’Europe sur une éducation de qualité sont très importants; les projets élaborés dans ce domaine vont de l’éducation à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme aux nouvelles activités concernant le droit à une éducation de qualité.
43. La Convention de Lisbonne de 1997 sur la reconnaissance des qualifications et les conventions antérieures du Conseil de l’Europe portent essentiellement sur la reconnaissance mutuelle des qualifications nécessaires à l’admission, des périodes d’études et des titres, grades et diplômes universitaires. Cette démarche requiert une analyse de la qualité des établissements de l’enseignement supérieur et des efforts qu’ils déploient dans ce sens.
44. Les ministres participant au processus de Bologne ont adopté à Bergen (Norvège) en mai 2005 des normes et lignes directrices européennes pour l'assurance de la qualité de l’éducation supérieure 
			(8) 
			Voir http://www.bologna-bergen2005.no/EN/BASIC/050520_European_Quality_Assurance_Standards.pdf.. Le texte adopté porte en termes généraux sur l'assurance de la qualité externe et interne. Cependant aucun paramètre ou indicateur concret pour de telles évaluations de la qualité n'a été défini.
45. Le programme de l'OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA) et les projets qui y sont liés influencent fortement la politique des gouvernements en matière d'enseignement supérieur en Europe et au-delà. Les systèmes éducatifs doivent être évalués pour que leurs atouts et leurs lacunes puissent être identifiés. De telles évaluations peuvent être menées depuis l'extérieur, par exemple dans le cadre des travaux du programme PISA, ou à l'intérieur des établissements de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire par l'intermédiaire de parties prenantes au sein des établissements. Les étudiants, les diplômés, les enseignants et les chercheurs sont les mieux placés pour mener à bien une analyse de leur propre établissement, par exemple en ce qui concerne la qualité des services assurés par les établissements et l'impact concret des études poursuivies ou des recherches effectuées.
46. Il serait donc utile que le Conseil de l'Europe lance des initiatives pour assurer la cohérence entre les différents objectifs de l’éducation supérieure et les concepts de qualité, parce qu’une approche généralisée et transparente concernant l’éducation (supérieure) de qualité fait défaut. Dans d'autres secteurs, comme les établissements de soins de santé et les hôpitaux, des évaluations détaillées de la qualité ont été mises en place au sein de l'Union européenne, par exemple, afin de mieux administrer ces établissements, de prodiguer des soins de santé de qualité et d'élaborer des politiques sanitaires au plan national ou régional.
47. Dans l'idéal, les évaluations de la qualité devraient être établies de manière transparente et être accessibles en fin de compte aux étudiants, aux enseignants, aux chercheurs et aux employeurs potentiels ainsi qu'aux ministères de l'Education et aux législateurs nationaux. Toutes ces parties prenantes ont un intérêt vital à connaître la qualité de tel ou tel établissement de l'enseignement supérieur ainsi que la qualité générale des établissements dans une région donnée. Sans ces informations, elles ne pourront pas prendre de décisions éclairées au sujet de l'enseignement supérieur.
48. Puisque les grands projets d'évaluation tels que le PISA nécessitent d'importantes ressources financières et humaines, il serait naïf de penser que les Etats membres pourraient actuellement financer de nouveaux projets, même s'ils étaient convaincus de leur utilité. C'est pourquoi il sera primordial de mettre en place une coopération active entre les universités, les étudiants, les enseignants et les chercheurs. Une évaluation réalisée de manière individuelle pour un établissement de l'enseignement supérieur est gérable pour ces derniers sans beaucoup de ressources et représente un retour d'information majeur pour la maîtrise de sa propre gouvernance. Le rôle du Conseil de l'Europe serait de veiller à ce que ces évaluations individuelles suivent des principes généraux et soient comparables sur la base d'indicateurs communs.

9. Renforcer la participation de l'ensemble des parties prenantes

49. Les traités internationaux tels que la Convention de Lisbonne pour la reconnaissance des qualifications sont rédigés par différents experts juridiques des ministères nationaux avant d'être ratifiés et mis en œuvre par les parlements nationaux. Les normes établies en vertu du processus de Bologne ont été élaborées et adoptées par les ministres nationaux des Etats participants. Quelques organisations non gouvernementales, la Commission européenne, le Conseil de l'Europe et l'UNESCO participent sur une base consultative au processus de Bologne.
50. L'Union des étudiants d'Europe, l'Association des universités européennes et l'Association européenne des institutions d'enseignement supérieur sont les principales parties prenantes de l'enseignement supérieur. Afin de combler d'éventuelles lacunes des politiques de l'enseignement supérieur et d’éviter toute perturbation due aux protestations, il est important que les étudiants, les enseignants et les chercheurs aient le sentiment d’être parties prenantes aux changements qui ont lieu au niveau des politiques de l'enseignement supérieur, qui ont un impact sur les établissements. La liberté académique et l'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur exigent que les étudiants, les enseignants et les chercheurs puissent concrètement adhérer à de tels changements.
51. Il est par conséquent important d'associer ces parties prenantes et éventuellement d'autres organisations – notamment l’Association internationale des universités – aux travaux du processus de Bologne et aux travaux du Conseil de l'Europe. La Conférence permanente des ministres de l'Education est le porte-drapeau de l'action du Conseil de l'Europe depuis 1959.
52. Au sein du Conseil de l'Europe, il conviendrait en outre d'intensifier les travaux de coopération avec le Conseil mixte sur la jeunesse, qui représente les organisations de la jeunesse et les gouvernements. L'enseignement supérieur est un domaine d'intérêt qui se trouve au cœur des préoccupations des jeunes. C'est pourquoi il serait utile d'utiliser les ressources intra-institutionnelles du Conseil de l'Europe pour mener un débat avancé sur cette question.
53. Au paragraphe 13 de la Recommandation 1762 (2006) sur la liberté académique et l'autonomie des universités, l'Assemblée a décidé «de coopérer avec l’Observatoire de la Magna Charta Universitatum dans sa tâche de contrôle du respect des principes de la liberté académique et de l’autonomie des universités en Europe, ajoutant ainsi aux travaux de l’observatoire une dimension parlementaire européenne». Mes anciens collègues, Josef Jarab (République tchèque) et Andrew McIntosh 
			(9) 
			Andrew
McIntosh, Higher Education in a Time of Social and Economic Change:
What Contribution must Universities and Public Authorities Make?
Voir procès-verbal de la Conférence de l’Observatoire de la Magna
Charta (Bologne, 17-18 septembre 2009): <a href='http://hedbib.iau-aiu.net/pdf/Crisis, Cuts, Contemplations - Magna Carta Observatory.pdf'>http://hedbib.iau-aiu.net/pdf/Crisis,%20Cuts,%20Contemplations%20-%20Magna%20Carta%20Observatory.pdf</a>. (Royaume-Uni), ont participé à des réunions de l'Observatoire de la Magna Charta à Bologne. J'ai également été invité à m'exprimer à l'une d’elles, mais j'ai malheureusement dû décliner l'invitation en raison d'un imprévu familial.
54. L'Observatoire de la Magna Charta est une plate-forme importante pour la surveillance des établissements de l'enseignement supérieur en Europe et au-delà. La composition de ses membres reflète la mondialisation des valeurs historiquement européennes dans l'enseignement supérieur. Il n'est pas nécessaire que les gouvernements réglementent les établissements de l'enseignement supérieur quand ceux-ci peuvent assurer leur propre gouvernance. Par conséquent, le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire devraient encourager ce type d'initiatives et renforcer leur coopération institutionnelle.

10. Conclusions

55. La gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur est un facteur déterminant dans le fonctionnement et la qualité des systèmes d'enseignement supérieur. Les traditions européennes ont établi les principes généraux de l'autonomie des établissements de l'enseignement supérieur, y compris la liberté académique et la liberté de recherche. Ces principes ont été inscrits dans plusieurs textes juridiques et politiques par les établissements de l'enseignement supérieur, les ministres européens de l'Education, le Conseil de l'Europe, l'Union européenne et les Nations Unies.
56. Dans la pratique pourtant, la gouvernance autonome des établissements de l'enseignement supérieur en est souvent à un stade embryonnaire et elle est menacée par divers facteurs extérieurs. Il est nécessaire de prendre des mesures concrètes pour renforcer cette gouvernance et veiller dans le même temps à l'application effective du droit universel à l'éducation, y compris l'accès à l'enseignement supérieur sur la base des capacités de chacun.
57. La gouvernance des établissements de l'enseignement supérieur doit reposer dans une plus grande mesure sur des évaluations internes ainsi que sur des structures décisionnelles auxquelles participent l'ensemble des parties prenantes, notamment les étudiants, les enseignants et les chercheurs.

11. Recommandations

58. Les parlements nationaux ont le pouvoir et l’obligation de participer activement aux politiques nationales de l’enseignement supérieur. Au niveau de l’Union européenne également, l'article 165 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne réaffirme la compétence et la responsabilité des parlements nationaux en ce qui concerne l’élaboration des politiques et de la législation relatives à l’enseignement supérieur. Il est donc logique que notre Assemblée devienne plus active dans ce domaine.
59. Dans le même ordre d’idées, la Conférence permanente des ministres de l'Education du Conseil de l'Europe devrait servir de cadre privilégié de débat et de coordination des politiques concernant l’enseignement supérieur au niveau de toute l’Europe. Le Comité des Ministres et son Groupe de rapporteurs sur l’éducation, la culture, le sport, la jeunesse et l’environnement doivent être un partenaire important à cet égard, dans la mesure où la plupart des ministères des Affaires étrangères s’occupent aussi des affaires culturelles à l’étranger.
60. Il convient cependant qu’à toute action soient aussi associés d’autres acteurs. Les étudiants, les enseignants, les chercheurs et les institutions d’enseignement supérieur devraient être consultés et encouragés à collaborer activement à la définition et à la mise en œuvre des grands objectifs et des projets concrets concernant l’enseignement supérieur. Dans ce contexte, l'Assemblée devrait également intensifier ses relations de travail avec des organisations des étudiants représentatives et des établissements d'enseignement supérieur.
61. L’autonomie des institutions d’enseignement supérieur doit être considérée comme un principe directeur. Certes, cette autonomie ne peut être totale, mais les autorités de l'Etat, les instances politiques et religieuses et le secteur économique devraient s’abstenir de s’ingérer dans le fonctionnement interne de ces institutions. Il est en revanche nécessaire d’améliorer la transparence, la consultation et la coopération.
62. De plus, la liberté académique et la liberté de la recherche doivent être respectées en tant que droit fondamental. Le progrès social et scientifique et l’épanouissement de toute personne dépendent de cette liberté, de la même manière qu’ils dépendent de la liberté de pensée et de la liberté d’expression et d’information.