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Résolution 1893 (2012) Version finale
La transition politique en Tunisie
1. En janvier 2011, la «Révolution
de jasmin» a mis fin au régime autoritaire en Tunisie et a ouvert
la voie aux transformations démocratiques dans ce pays. Cette révolution
a également donné l’impulsion au Printemps arabe – une série de
mouvements de protestation de masse en faveur de la liberté, de
la dignité et de l’égalité dans plusieurs pays d’Afrique du Nord
et du Moyen-Orient.
2. Dans ses Résolutions
1791 (2011) et 1819
(2011) et sa Recommandation
1972 (2011) sur la situation en Tunisie, l’Assemblée
parlementaire a apporté son soutien aux aspirations démocratiques
du peuple tunisien et a marqué sa disponibilité pour faire bénéficier
les institutions et la société civile tunisiennes de son expérience
en matière d’accompagnement de la transition démocratique. Elle
a invité le Comité des Ministres et le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe à œuvrer pour contribuer à la réussite de la transition tunisienne.
3. Un an et demi après la révolution, la Tunisie se trouve bien
engagée sur le chemin des réformes. Les Tunisiens jouissent désormais
des principales libertés démocratiques dont ils ont été privés sous
l’ancien régime. Cependant, la transition vers la démocratie et
la mise en place des conditions permettant au peuple de mener une
vie digne – objectifs qui ont inspiré la révolution tunisienne –
prendront du temps à être réalisées.
4. L’Assemblée a pris particulièrement note des élections à l’Assemblée
nationale constituante (ANC), le 23 octobre 2011, qu’elle a observées
et dont elle a salué le caractère libre ainsi que la bonne organisation.
Ces élections ont conféré la légitimité démocratique au processus
de transition ouvert par la révolution en janvier 2011. L’ANC a
pour mission essentielle d’élaborer et d’adopter, dans un délai
raisonnable, la nouvelle Constitution tunisienne. Elle exerce également
des responsabilités législatives. Elle a procédé à l’élection du Président
de la République et a voté la confiance au nouveau gouvernement
provisoire de coalition.
5. L’Assemblée félicite les Tunisiens d’avoir été les premiers,
parmi les peuples du Printemps arabe, à se doter d’institutions,
certes provisoires, mais dont la légitimité est assise sur un processus
démocratique et généralement accepté.
6. L’Assemblée espère que la future Constitution, qui définira
le système politique et institutionnel pour les années à venir,
reflétera au maximum les attentes du plus grand nombre des Tunisiens
et consacrera les valeurs universelles en matière de respect des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la démocratie
et de l’Etat de droit. Elle encourage les élus de l’ANC et la société
civile à s’inspirer des expériences constitutionnelles européennes
et à profiter de l’expertise et du conseil de la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dont la Tunisie
est membre à part entière.
7. L’Assemblée rend hommage aux efforts du gouvernement intérimaire
de M. Béji Caïd Essebsi et aux travaux de la Haute instance pour
la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique
et de la transition démocratique présidée par M. Yadh Ben Achour,
ainsi que de l'Instance supérieure indépendante pour les élections
(ISIE) présidée par M. Kamel Jendoubi, pour préparer le cadre juridique
et les conditions matérielles pour la tenue des élections. Elle
encourage les nouvelles autorités transitoires à utiliser pleinement le
potentiel intellectuel et les compétences accumulées au sein de
ces instances dans l’intérêt de l’avancement et de la consolidation
des réformes, y compris dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle
Constitution.
8. Les résultats des élections d’octobre 2011, où le parti d’inspiration
islamique modéré «Ennahdha» a obtenu le plus grand nombre de sièges
à l’ANC, pouvaient faire craindre l’islamisation du pays et la limitation des
libertés. L’Assemblée note cependant que les Tunisiens ont appris
à faire usage des libertés politiques gagnées au cours de la révolution
et qu’ils sont prêts à les défendre contre toute tentative de restriction,
et que la coalition au pouvoir en tient compte. La vie politique
est très dynamique dans le pays et les différentes forces politiques
et les mouvements populaires sont en train de se regrouper et de
faire entendre leurs voix.
9. L’Assemblée salue tout particulièrement le rôle actif de la
société civile tunisienne, qu’elle considère comme un atout important
de la transition. Elle encourage la société civile à rester vigilante
et positivement engagée dans le processus de réformes.
10. L’Assemblée note que les nouvelles autorités transitoires
tunisiennes restent confrontées à plusieurs défis:
10.1. la situation socio-économique
reste extrêmement difficile en Tunisie et continue à peser lourdement
sur la stabilité politique. Réussir le redressement économique,
renverser la progression du chômage et redonner aux jeunes l’espoir
d’une vie digne sont des défis majeurs dont dépend le succès de
la transition politique;
10.2. la réforme profonde des secteurs de la justice et du maintien
de l’ordre public est une nécessité pour rétablir la confiance des
Tunisiens envers les magistrats et la police, pour rendre justice
aux victimes de l’ancien régime, pour vaincre l’insécurité et l’impunité,
et pour rétablir ainsi l’autorité de l’Etat;
10.3. des éléments radicaux se revendiquant de la mouvance islamiste
salafiste cherchent à profiter à la fois de la liberté nouvellement
obtenue et d’une certaine instabilité de différentes autorités étatiques pour
imposer à la société tunisienne des choix en matière de religion
et des pratiques fondées sur leur propre interprétation de la doctrine
religieuse, qui peuvent porter atteinte aux libertés fondamentales.
11. L’Assemblée considère cependant que, malgré ces défis, le
processus de transition en Tunisie est sur la bonne voie. Elle réitère
tout son soutien et encourage toutes les forces politiques et civiles
tunisiennes à continuer à contribuer positivement à la transition
démocratique dans le pays en veillant à préserver la stabilité politique.
12. L’Assemblée appelle les élus de l’Assemblée nationale constituante:
12.1. à redoubler d’efforts en vue
d’offrir aux Tunisiens, aussitôt que possible, et en tout cas pas
plus tard que dans les délais convenus entre les principales forces
représentées à l’ANC, une Constitution qui soit à la hauteur des
idéaux de la révolution et réponde aux normes et pratiques constitutionnelles internationales,
entre autres en ce qui concerne:
12.1.1. les garanties de
protection des droits humains et des libertés fondamentales;
12.1.2. l’abolition de la peine de mort;
12.1.3. la prééminence des traités internationaux sur la législation
nationale et le respect des traités internationaux signés par la
Tunisie;
12.1.4. la séparation effective des pouvoirs, y compris l’autonomie
financière et administrative du futur Parlement tunisien;
12.1.5. la transparence, le renouvellement périodique et l’obligation
de rendre compte des pouvoirs;
12.1.6. les garanties du pluralisme politique;
12.1.7. l’indépendance et l’impartialité effectives de la justice;
12.1.8. l’égalité entre les hommes et les femmes, et la consolidation
et le renforcement des acquis en matière de statut de la femme;
12.1.9. l’indépendance de l’instance électorale;
12.2. à mener le processus constitutionnel en consultation avec
la société civile et les forces politiques non représentées au sein
de l’ANC, pour que la future Constitution réponde au maximum aux
attentes des Tunisiens;
12.3. à faire appel aux compétences et à l’expérience en la
matière de la Commission de Venise.
13. L’Assemblée se réjouit des premiers contacts établis avec
l’ANC. Elle encourage l’ANC à les poursuivre sur une base régulière
et à solliciter le statut de partenaire pour la démocratie. De son
côté, l’Assemblée entend promouvoir le dialogue avec l’ANC, rester
à l’écoute de ses besoins concrets dans le domaine du travail législatif
et réglementaire, et lui apporter son assistance à travers un programme
spécifique de coopération.
14. L’Assemblée appelle les autorités tunisiennes à préparer suffisamment
à l’avance le cadre institutionnel et législatif pour les futures
élections, en tenant compte de l’expérience des élections qui ont
eu lieu en octobre 2011, et notamment:
14.1. à instituer une instance électorale indépendante, y compris
en utilisant l’expérience et les compétences de l'ISIE;
14.2. à établir une liste d’électeurs précise et complète;
14.3. à former le personnel des commissions électorales;
14.4. à assurer une interaction de la future instance électorale
avec la société civile et à établir une coopération internationale
avec des organismes similaires.
15. L’Assemblée est prête à observer les futures élections en
Tunisie.
16. L’Assemblée se félicite de l’approbation, par le Comité des
Ministres, des «Priorités 2012-2014 pour la Tunisie dans le cadre
de la coopération avec le voisinage», plan d’action élaboré par
le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui comporte un volet
parlementaire. Elle décide de suivre la mise en œuvre de ce programme
de coopération entre le Conseil de l’Europe et les autorités tunisiennes.
17. L’Assemblée réitère son appel aux principaux partenaires internationaux
de la Tunisie, en particulier à l’Union européenne, à apporter un
soutien réel à la relance économique et touristique, et invite les
Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe à encourager
les investissements dans l’économie tunisienne et à soutenir et
à accompagner le développement économique, social et politique de
la Tunisie.
18. L'Assemblée appelle les autorités des Etats membres et observateurs
du Conseil de l'Europe à accélérer les procédures légales en vue
de la restitution à la Tunisie des avoirs détournés et des biens
acquis de manière illégale, détenus à l'étranger par l'ancien Président
Ben Ali et des membres de son entourage.
19. L’Assemblée encourage les parlements des Etats membres du
Conseil de l’Europe et d’autres instances parlementaires à développer
la coopération avec l’Assemblée nationale constituante tunisienne
en vue de partager avec elle les expériences en matière de travail
législatif et d’organisation.
20. Compte tenu de l'importance cruciale de la transition tunisienne
pour les processus démocratiques dans l'ensemble de la région de
la Méditerranée et du Proche-Orient, et par conséquent pour l'Europe,
l'Assemblée décide de continuer à suivre attentivement les développements
en Tunisie.