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Rapport | Doc. 13011 | 05 septembre 2012

La définition de prisonnier politique

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Christoph STRÄSSER, Allemagne, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11922, Renvoi 3618 du 20 novembre 2009. 2012 - Quatrième partie de session

Résumé

La notion de prisonniers politiques a été élaborée en 2001 au sein du Conseil de l'Europe par les experts indépendants du Secrétaire Général, qui avaient pour mission d'apprécier les cas de prisonniers politiques présumés en Arménie et en Azerbaïdjan, dans le cadre de l'adhésion de ces deux Etats à l’Organisation.

Les critères généraux retenus par les experts indépendants ont été approuvés à l'époque par l'ensemble des parties prenantes, y compris par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe et l'Assemblée parlementaire.

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme réaffirme son adhésion à ces critères, résumés dans le projet de résolution et expliqués en détail dans l’exposé des motifs, en précisant que les personnes privées de liberté pour des crimes terroristes ne seront pas considérées comme des prisonniers politiques si elles ont été poursuivies et condamnées pour de tels crimes en accord avec les législations nationales et la Convention européenne des droits de l’homme.

La commission invite les autorités compétentes de l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe à apprécier une nouvelle fois le cas de tout prisonnier politique supposé en appliquant les critères susmentionnés et à libérer ou rejuger ces prisonniers, selon les cas.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 26 juin 2012.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire rappelle que la notion de prisonniers politiques a été élaborée en 2001 au sein du Conseil de l'Europe par les experts indépendants du Secrétaire Général, qui avaient pour mission d'évaluer les cas de prisonniers politiques présumés en Arménie et en Azerbaïdjan, dans le cadre de l'adhésion de ces deux Etats à l’Organisation.
2. Elle observe avec satisfaction que les critères généraux retenus par les experts indépendants ont été approuvés à l'époque par l'ensemble des parties prenantes, y compris par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe et l'Assemblée parlementaire.
3. L'Assemblée réaffirme son adhésion à ces critères, résumés comme suit:
«Une personne privée de sa liberté individuelle doit être considérée comme un “prisonnier politique”:

a. si la détention a été imposée en violation de l'une des garanties fondamentales énoncées dans la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH) et ses Protocoles, en particulier la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression et d’information et la liberté de réunion et d'association;
b. si la détention a été imposée pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction quelle qu’elle soit;
c. si, pour des raisons politiques, la durée de la détention ou ses conditions sont manifestement disproportionnées par rapport à l'infraction dont la personne a été reconnue coupable ou qu’elle est présumée avoir commise;
d. si, pour des raisons politiques, la personne est détenue dans des conditions créant une discrimination par rapport à d'autres personnes; ou,
e. si la détention est l’aboutissement d’une procédure qui était manifestement entachée d’irrégularités et que cela semble être lié aux motivations politiques des autorités.» (SG/Inf(2001)34, paragraphe 10)

4. Les personnes privées de liberté pour des crimes terroristes ne seront pas considérées comme des prisonniers politiques si elles ont été poursuivies et condamnées pour de tels crimes en accord avec les législations nationales et la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
5. L'Assemblée invite les autorités compétentes de l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe à apprécier une nouvelle fois le cas de tout prisonnier politique présumé en appliquant les critères susmentionnés et à libérer ou rejuger ces prisonniers, selon les cas.

B. Exposé des motifs, par M. Strässer, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le présent rapport repose sur la proposition de résolution «La définition des prisonniers politiques» 
			(2) 
			Doc. 11922, Renvoi 3618 du 20 novembre 2009., pour laquelle j'ai été désigné rapporteur le 16 décembre 2009.
2. Le 24 juin 2010, la commission des questions juridiques et des droits de l'homme a décidé dans un premier temps de fusionner ce mandat de rapporteur avec le sujet connexe du «Suivi de la question des prisonniers politiques en Azerbaïdjan» 
			(3) 
			Doc. 11468, Renvoi 3518 du 26 janvier 2009., pour lequel j'avais déjà été nommé rapporteur le 24 mars 2009. Diverses raisons, dont la modification à un moment donné de l'intitulé des rapports fusionnés 
			(4) 
			Comme
l'expliquent les paragraphes 2 à 5 de l'exposé des motifs de mon
projet de rapport consacré au «Suivi de la question des prisonniers
politiques en Azerbaïdjan» (document AS/Jur (2012) 22)., ont récemment amené la commission à décider de m'inviter à présenter un rapport distinct sur le présent sujet.

2. Le contexte historique de la question des prisonniers politiques au Conseil de l'Europe: l'adhésion de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan

3. La question des prisonniers politiques au Conseil de l'Europe remonte aux négociations engagées lors de l'adhésion de l'Azerbaïdjan à l’Organisation. L'Azerbaïdjan s'était notamment engagé «à libérer ou rejuger ceux des prisonniers qui sont considérés comme des “prisonniers politiques” par des organisations de protection des droits de l'homme» 
			(5) 
			Paragraphe 14.4.b de l’Avis 222 (2000) de l'Assemblée.. En novembre 2000, le Comité des Ministres a adopté les Résolutions Res(2000)13 et Res(2000)14, qui invitaient simultanément l'Arménie et l'Azerbaïdjan à devenir Etats membres du Conseil de l'Europe, statut qui devait être confirmé une fois fixée la date d'adhésion. Afin de permettre à certains Etats de surmonter leurs réticences à l'égard de ces deux adhésions à l’époque, un compromis avait été obtenu au sein du Comité des Ministres, en vertu duquel il avait également été décidé en novembre 2000 que le Comité des Ministres assurerait le suivi régulier de l'évolution démocratique des deux pays. L'Arménie et l'Azerbaïdjan avaient adhéré au Conseil de l'Europe le 25 janvier 2001. Le Comité des Ministres avait ensuite approuvé, le 31 janvier 2001, l'initiative prise par le Secrétaire Général de nommer trois éminents «experts indépendants» 
			(6) 
			MM. Stefan Trechsel,
ancien président de la Commission européenne des droits de l'homme
et juge au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY),
Evert Alkema, ancien membre du Conseil d'Etat néerlandais et de
la Commission européenne des droits de l'homme, et Alexander Arabadjiev,
ancien juge à la Cour constitutionnelle bulgare et actuellement
membre de la Cour de justice de l'Union européenne. chargés d'examiner les listes de cas de prisonniers politiques présumés établies par des organisations non gouvernementales (ONG) arméniennes et azerbaïdjanaises de défense des droits de l'homme 
			(7) 
			Pour de plus amples
précisions, voir le document publié par le Secrétaire Général du
Conseil de l'Europe, SG/Inf(2001)34 et ses addenda. Les quelques
affaires qui concernaient l'Arménie ont été rapidement réglées à
l'époque.. Avant cet examen, les experts indépendants avaient entrepris de déterminer, en agissant quasiment en qualité de juges, quelles personnes pouvaient «être considérées comme des prisonniers politiques sur la base de critères objectifs, à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et des normes du Conseil de l'Europe» 
			(8) 
			Voir la décision du
Comité des Ministres du 31 janvier 2001 (voir le document SG/Inf(2001)34,
addendum I, p. 93).. Ils avaient alors procédé à l’examen des 716 cas figurant sur cette liste en vue de définir, en se fondant sur une série de critères préétablis et admis par l'ensemble des organes pertinents du Conseil de l'Europe et des autorités azerbaïdjanaises, si les détenus en question étaient effectivement des prisonniers «politiques». Vingt-trois cas de la liste initiale, qui en comptait 716, avaient été traités en priorité par les experts comme des «affaires pilotes». En avril 2003, une bonne partie de ces 716 affaires avaient été résolues et leur liste réduite à 212 cas, qui ont fait l'objet d’un deuxième mandat des experts. En juillet 2004, les experts ont remis la version définitive de leur rapport au Secrétaire Général. Outre les 20 avis émis à propos des affaires pilotes, ils ont rendu 104 avis relatifs aux 212 affaires qui leur avaient été transmises. Ils ont ainsi conclu que 62 détenus avaient la qualité de prisonniers politiques, ce qui n'était pas ou plus le cas de 62 autres personnes 
			(9) 
			Voir
le document SG/Inf(2004)21. Là encore, pour de plus amples informations
sur ce sujet, veuillez consulter le document AS/Jur (2012) 22, tout
particulièrement les paragraphes 7-9..
4. Depuis l'adhésion de l'Azerbaïdjan en 2001, l'Assemblée parlementaire a examiné à quatre reprises la question des prisonniers politiques en Azerbaïdjan: en janvier 2002, juin 2003, janvier 2004 et juin 2005 
			(10) 
			Voir: Résolution 1272 (2002) et Doc. 9310; Doc. 9826; Résolution
1359 (2004) et Doc. 10026; Résolution
1457 (2005), Recommandation
1711 (2005) et Doc. 10564. – poussée chaque fois par la situation en Azerbaïdjan et sur la base des critères objectifs établis par les experts indépendants du Secrétaire Général.

3. La notion de «prisonnier politique» selon la définition retenue par les experts indépendants du Conseil de l'Europe et réaffirmée par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme

5. Le juge Stefan Trechsel a présenté les conclusions établies par ses collègues et lui-même sur la définition et les critères de la notion de «prisonnier politique» lors de l'audition de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, le 24 juin 2010 à Strasbourg 
			(11) 
			Pour
une présentation complète de la question, voir Stefan Trechsel,
«La notion de “prisonnier politique” telle que définie en vue d’identifier
des prisonniers politiques en Arménie et en Azerbaïdjan»,Revue universelle des Droits de l’Homme, vol.
14, 2002, p. 169-176 (version anglaise dans le volume 23, Human Rights Law Journal (2002),
p. 293-300).. Les experts indépendants ont fondé leurs travaux sur ceux du professeur Carl Aage Nørgaard, qui était alors président de la Commission européenne des droits de l'homme et avait été invité par le Conseil de sécurité des Nations Unies à définir la qualité de prisonnier «politique» en Namibie en 1989 et 1990. Le proche collaborateur du professeur Nørgaard, Andrew Grotrian, figure également parmi les experts entendus lors de l'audition du 24 juin. Le troisième expert présent lors de cette audition était M. Javier Gómez Bermúdez, juge, président de la chambre criminelle de l’Audiencia Nacional (Espagne). A la suite de ces échanges avec les experts, la commission a approuvé les conclusions de ma note introductive 
			(12) 
			Voir
le document AS/Jur (2010) 28, et tout particulièrement son paragraphe
17. et m'a invité à poursuivre mes travaux sur la base de ces critères objectifs.
6. Au cours de ces échanges, les experts sont convenus que les personnes condamnées pour des crimes violents, comme les actes terroristes, ne pouvaient prétendre à la qualité de «prisonniers politiques», même si elles affirmaient avoir agi pour des raisons «politiques». M. Gómez Bermúdez a précisé que ce principe était applicable aux Etats démocratiques dirigés par des gouvernements légitimes, où il ne saurait être question de «résistance légitime», comme ce fut le cas pour la «Résistance» française pendant la seconde guerre mondiale. Cet argument est étayé par l'article 17 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5, «la Convention»), intitulé «Interdiction de l'abus de droit» 
			(13) 
			Le texte intégral de
l'article 17 de la Convention est libellé comme suit: «Aucune des
dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée
comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un
droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte
visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la
présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits
et libertés que celles prévues à ladite Convention.» Voir également
plus loin le paragraphe 10..
7. Pour résumer, le cadre suivant a été établi par les experts indépendants et avalisé par la commission; il varie en fonction de la nature de l'infraction pour laquelle l'intéressé est emprisonné.

3.1. Infractions à caractère purement politique

8. Il s'agit des infractions qui concernent uniquement l'organisation politique de l'Etat, comme la «diffamation» à l’égard de ses instances ou d'autres infractions du même type.
9. Tous les auteurs d'infractions emprisonnés pour ces motifs n'ont pas la qualité de «prisonniers politiques». Le critère de la légalité de leur détention au regard de la Convention européenne des droits de l'homme, selon l'interprétation retenue par la Cour européenne des droits de l'homme («la Cour»), permet de les distinguer. Le discours «à caractère politique», y compris lorsqu'il se montre extrêmement critique à l'égard de l'Etat et du pouvoir en place, est en principe protégé par l'article 10: son libellé n'en permet pas l'interdiction au nom d'un «besoin social impérieux» dans une «société démocratique» 
			(14) 
			Voir
les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme cités par
Stefan Trechsel, op. cit.,
note 12.. Mais il arrive que le discours à caractère politique aille au-delà des limites fixées par la Convention, par exemple lorsqu'il incite à la violence, au racisme ou à la xénophobie 
			(15) 
			Voir le précédent cité
par Stefan Trechsel, ibid.,
note 12. Plus récemment, la Cour a jugé admissible la condamnation du
responsable politique d'extrême droite Jean-Marie Le Pen pour ses
propos xénophobes (voir la décision sur la recevabilité du 7 mai
2010 dans l’affaire Le Pen c. France (requête
n° 18788/09); mais la Cour a également jugé admissible, au regard
de la Convention, la condamnation des auteurs de propos critiques
particulièrement virulents et diffamatoires adressés à M. Le Pen
(voir arrêt de la Grande Chambre dans l’affaire Lindon, Otchakovsky, July c. France, requêtes
nos 21279/02 et 36448/02, 22 octobre
2010).. Il convient de noter que, chaque fois que la Cour a jugé la répression de ce discours admissible au titre de la Convention, les peines infligées par les juridictions nationales étaient en grande partie symboliques. Comme l'interprétation de la Convention doit être cohérente et dépourvue de contradictions, une personne condamnée au titre de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention ne peut être considérée comme détenue illégalement au regard de l'article 5 ni, par voie de conséquence, avoir la qualité de prisonnier politique. Il est cependant entendu que les peines infligées pour la tenue de propos à caractère politique qui ne bénéficient pas de la protection de l'article 10 peuvent être contraires à la Convention (et soulever la question du caractère «politique» du détenu concerné) lorsque la peine infligée est disproportionnée, discriminatoire ou le fruit d'un procès entaché d'iniquité.

3.2. Autres infractions à caractère politique

10. Il s'agit des infractions commises pour des motifs politiques (et non par intérêt personnel) et qui portent atteinte aussi bien aux intérêts de l'Etat qu'à ceux d'autres particuliers, comme c'est le cas des actes terroristes. Bien entendu, l'Etat territorialement compétent lorsque de tels actes sont commis n'est pas seulement habilité à poursuivre leurs auteurs, il en a également l'obligation positive. En conséquence, les personnes condamnées pour ce type d'infraction ou placées en détention provisoire parce qu'elles sont soupçonnées d'avoir commis de telles infractions n'ont pas la qualité de prisonniers politiques. Ce principe souffre toutefois les mêmes exceptions que dans la catégorie précédente lorsque la peine est disproportionnée, discriminatoire ou infligée à l'issue d'un procès inique.

3.3. Infractions dépourvues de caractère politique

11. Les personnes placées en détention pour avoir commis des infractions dépourvues de caractère politique (c'est-à-dire toute autre infraction dans laquelle ni l'acte ni l'intention délictueuse n'ont une connotation politique) n'ont pas, en principe, la qualité de prisonniers politiques. Là encore, ce principe connaît un certain nombre d'exceptions. Une personne condamnée pour une infraction dépourvue de caractère politique peut avoir la qualité de prisonnier politique lorsque les pouvoirs publics l’incarcèrent pour des motifs politiques. Ceux-ci peuvent devenir évidents lorsque la peine prononcée est totalement disproportionnée par rapport à l'infraction commise ou lorsque la procédure est clairement entachée d'iniquité.

3.4. Charge de la preuve

12. La répartition de la charge de la preuve est particulièrement cruciale dans un domaine qui dépend en grande partie de la motivation «politique» ou autre de l'auteur de l'infraction ou des pouvoirs publics. L'approche retenue par les experts indépendants du Conseil de l'Europe est la suivante: il appartient en premier lieu à ceux qui affirment qu'une personne précise a la qualité de prisonnier politique de fournir un commencement de preuve. Ces éléments sont alors soumis à l'Etat concerné qui, à son tour, aura la possibilité de présenter des éléments de preuve qui réfutent cette allégation. Comme l'a indiqué Stefan Trechsel 
			(16) 
			Ibid.,
p. 299. de façon synthétique:
«sauf capacité de l'Etat défendeur à démontrer que la détention de l'intéressé est pleinement conforme aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, telles que les a interprétées la Cour européenne des droits de l'homme sur le fond de l'affaire, que les règles de proportionnalité et de non-discrimination ont été respectées et que la privation de liberté est le résultat d'une procédure régulière, l'intéressé devra être considéré comme un “prisonnier politique”».
13. Les personnes chargées d'établir le caractère politique d'une détention peuvent également appliquer, par analogie, la jurisprudence rendue par la Cour au sujet des présomptions de fait dans les affaires où l'Etat défendeur refuse de coopérer en mettant à disposition certains documents ou d'autres informations exclusivement détenus par les pouvoirs publics 
			(17) 
			Voir,
par exemple, les arrêts rendus par la Cour européenne des droits
de l’homme dans les affaires Orhan c.
Turquie le 18 juin 2002 (requête no 25656/94),
paragraphe 266, Timurtaş c. Turquie le
13 juin 2000 (requête no 23531/94), paragraphes
66 et 70, et Khashiyev et Akayeva c.
Russie le 24 février 2005 (requêtes nos 57942/00
et 57945/00), paragraphe 137..

3.5. Résumé des critères 
			(18) 
			SG/Inf(2001)34
du 27 octobre 2001, Cas de prisonniers politiques présumés en Arménie
et en Azerbaïdjan, I. Informations fournies par le Secrétaire Général,
II. Rapport des experts indépendants, MM. Stefan Trechsel, Evert
Alkema et Alexander Arabadjiev, paragraphe 10.

14. «Une personne privée de sa liberté individuelle doit être considérée comme un “prisonnier politique”:
a. si la détention a été imposée en violation de l'une des garanties fondamentales énoncées dans la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et ses Protocoles, en particulier la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression et d’information et la liberté de réunion et d'association;
b. si la détention a été imposée pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction quelle qu’elle soit;
c. si, pour des raisons politiques, la durée de la détention ou ses conditions sont manifestement disproportionnées par rapport à l'infraction dont la personne a été reconnue coupable ou qu’elle est présumée avoir commise;
d. si, pour des raisons politiques, la personne est détenue dans des conditions créant une discrimination par rapport à d'autres personnes; ou,
e. si la détention est l’aboutissement d’une procédure qui était manifestement entachée d’irrégularités et que cela semble être lié aux motivations politiques des autorités.».
15. Le fait d’affirmer qu’une personne est un «prisonnier politique» doit se fonder sur des indices sérieux; il appartient dès lors à l'Etat dans lequel la personne est détenue de prouver que la détention est pleinement conforme aux dispositions de la Convention, selon l'interprétation retenue par la Cour européenne des droits de l'homme sur le fond de l'affaire, que les principes de proportionnalité et de non-discrimination ont été respectés et que la privation de liberté est le résultat d'une procédure équitable.
16. L'examen attentif de ces critères montre qu'une personne à laquelle la qualité de prisonnier «politique» est reconnue n'est pas nécessairement «innocente». La dimension politique d'une affaire peut résider, par exemple, dans l'application sélective du droit, dans le fait d'infliger à l'intéressé une lourde peine, disproportionnée par rapport à celle à laquelle seraient condamnées pour une infraction similaire des personnes dépourvues d'antécédents «politiques», ou dans l'absence d'équité de la procédure qui peut néanmoins aboutir à la condamnation d'un coupable. Le fait de reconnaître à un détenu la qualité de prisonnier «politique» n'impose par conséquent pas systématiquement qu'il soit immédiatement libéré: la façon la plus appropriée de remédier à cette situation est sans doute de le juger une nouvelle fois au cours d'un procès équitable. Cela dit, compte tenu du temps que bon nombre de ces prisonniers ont déjà passé en prison, le fait de les libérer d'urgence, même s'ils sont effectivement «coupables» des crimes qui leur sont reprochés, est désormais souvent le seul moyen de dissiper le soupçon que le traitement particulièrement dur réservé à l'intéressé lui est appliqué pour des raisons «politiques».

3.6. Acceptation générale des critères retenus par les experts indépendants

17. Les critères résumés ci-dessus ont été transmis à l'ensemble des parties concernées. Comme le précise le document d'information du Secrétaire Général sur les conclusions des travaux réalisés par les experts indépendants, «[a]ucune objection de fond n’a été soulevée [au sujet de ces critères]» 
			(19) 
			Ibid.,
paragraphe 11.. Lors de leur 765e réunion du 21 septembre 2001 
			(20) 
			Document
CM/Del/Dec(2001)765bis, point
2.4, 21 septembre 2001., les Délégués ont «[pris] note avec satisfaction du rapport des experts indépendants du Secrétaire Général sur les prisonniers politiques présumés en Arménie et Azerbaïdjan, tel qu'il figure dans le document [SG/Inf(2001)34 et les addendum I et addendum II] (…)» et adopté la déclaration suivante sur cette question:
«Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a appris avec satisfaction que le Président de la République d'Azerbaïdjan a, le 17 août 2001, par décret accordé son pardon à 89 prisonniers politiques, dont 66 ont été libérés et 23 ont vu leur peine réduite (…).» (Caractère gras ajouté pour souligner le fait que le terme «prisonniers politiques» a été utilisé par le Comité des Ministres lui-même.)
18. Trois ans plus tard, au terme du deuxième mandat des experts indépendants, le document d'information établi par le Secrétaire Général réaffirme que «[c]es critères ont été acceptés par les autorités azerbaïdjanaises et toutes les instances du Conseil de l'Europe» 
			(21) 
			SG/Inf(2004)21 du 13
juillet 2004, paragraphe 8.. Les résolutions ultérieures de l'Assemblée parlementaire se fondaient également sur ces critères généralement admis, établis par les experts indépendants 
			(22) 
			Voir par exemple la Résolution 1359 (2004), fin du paragraphe 3: «L’Assemblée estime que les critères
objectifs adoptés pour définir les “prisonniers politiques” en Arménie
et en Azerbaïdjan sont valides»; Résolution 1457 (2005) paragraphes 4 et 11..
19. Au cours de mon mandat actuel de rapporteur, certains membres de la commission ont tenté à plusieurs reprises de rouvrir la question de la définition des prisonniers politiques 
			(23) 
			Lors des réunions de
la commission du 24 juin 2010, du 8 mars 2011, du 5 octobre 2011
et du 26 janvier 2012.. Mais je reste convaincu que toute tentative de «réinventer la roue» aurait pour seul effet de nous détourner de l'importante mission qui est la nôtre: aider l'Azerbaïdjan à régler de façon durable la question des prisonniers politiques, comme le soulignait mon projet de rapport intitulé «Suivi de la question des prisonniers politiques en Azerbaïdjan» 
			(24) 
			Document AS/Jur (2012)
22; inutile de préciser que l'Assemblée a toujours agi en partant
du principe qu’elle pouvait examiner les questions et les affaires
déjà soulevées par la Cour européenne des droits de l’homme: voir
le paragraphe 16 et la note 19..

4. Conclusion

20. Je suis profondément convaincu que les critères des experts indépendants, qui ont déjà été appliqués dans des centaines d'affaires avec l'accord de toutes les parties, ont démontré qu'ils étaient juridiquement solides, équitables et fonctionnels. Ils se fondent sur les normes essentielles de la Convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont ils sont le reflet. Ils sont dépourvus de caractère discriminatoire, ne sont pas propres à un pays, bien qu'ils aient été élaborés et appliqués pour la première fois dans le contexte évoqué plus haut de l'adhésion de deux nouveaux Etats membres au Conseil de l'Europe. Plus récemment, ils ont été appliqués par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme dans son avis sur la situation au Bélarus, adopté lors de la partie de session de janvier 2012 
			(25) 
			Voir
le Doc. 12840, «Situation au Bélarus» (rapporteure pour avis: Marieluise
Beck, Allemagne, ADLE); le résumé des critères présenté au paragraphe
14 ci-dessus figure en annexe de l’avis, qui a été approuvé à l’unanimité
par la commission..
21. Toute définition comporte des éléments qui exigent une évaluation ou une appréciation des faits et, par conséquent, un certain nombre d’éléments subjectifs. Les définitions et les critères ne sont que des outils, destinés à être appliqués par des hommes et des femmes. Si nous recherchions une définition qui puisse être insérée dans un ordinateur et produire automatiquement des résultats «objectifs» pour chaque cas individuel, nous nous tromperions lourdement sur la nature des travaux de l'Assemblée.
22. L’Assemblée commettrait une grave erreur si elle renonçait à l’acquis de la définition en vigueur et se lançait dans un interminable débat général et théorique. Un tel choix équivaudrait clairement à un recul, qui ferait par ailleurs naître des soupçons, certes sans fondement, sur les véritables motivations de l'ouverture de ce débat, qui pourrait être sans fin et ne produirait sans doute aucun résultat.
23. Je tiens à rappeler à ce propos, à l'intention notamment de nos collègues espagnols et turcs, qu’il ne fait aucun doute que les terroristes de l'ETA, du PKK ou de n'importe quelle autre organisation terroriste n’entrent pas dans le champ d'application de la définition des prisonniers politiques, même s'ils affirment avoir commis leurs crimes odieux pour des raisons «politiques». Toutefois, les personnes accusées d'avoir commis des actes terroristes et condamnées, pour des motivations politiques cette fois du côté des pouvoirs publics, sur la base d'un procès inique et de preuves douteuses («aveux» extorqués sous la torture ou témoignages obtenus sous la contrainte, par exemple) peuvent parfaitement être présumées «prisonniers politiques» si des indices suffisants conduisent à penser que ces violations ont bel et bien eu lieu.
24. J’invite par conséquent l’Assemblée à réaffirmer la définition en vigueur des prisonniers politiques proposée dans le projet de résolution.