Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 13059 | 19 octobre 2012

L’adoption internationale: garantir le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Marlene RUPPRECHT, Allemagne, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12597, Renvoi n° 3778 du 20 juin 2011. 2012 - Commission permanente de novembre

Résumé

L’adoption internationale concerne de nombreux pays dans le monde, qu'il s'agisse de pays d'origine ou d'accueil. Elle concerne au premier chef les enfants, pour lesquels le bilan de l'adoption internationale est mitigé: elle peut, d’une part, représenter pour bien des enfants privés de soins parentaux le meilleur moyen d'être pris en charge; d’autre part, elle porte également atteinte aux droits fondamentaux de l'enfant et à son identité propre. Le transfert d'un enfant vers un pays étranger et une nouvelle famille a généralement une vocation humanitaire, mais il est inévitablement traumatisant et doit être effectué avec un maximum de précautions. Il convient également de rappeler que le but premier de l’adoption est de trouver une famille pour un enfant et non un enfant pour une famille.

Au vu des normes internationales en vigueur et à la lumière de rapports qui continuent de faire état de cas d'adoption internationale dans lesquels la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant n'a pas été toujours respectée, il importe que l'Assemblée parlementaire invite la communauté internationale et les différents Etats à agir résolument pour protéger les enfants concernés. Les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient adopter et mettre en œuvre un ensemble de dispositions rigoureuses, qui garantissent le respect des droits fondamentaux de l'enfant à chaque étape de la procédure d'adoption internationale.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 2 octobre
2012.

(open)
1. L’adoption internationale compte parmi les possibilités de prise en charge offertes aux enfants privés de soins parentaux. Cette possibilité est parfois la meilleure lorsque la sécurité de l’enfant ne peut être assurée autrement (en particulier, pour les enfants qui, dans leur pays d’origine, se trouvent confrontés à l’extrême pauvreté, la négligence, l’exploitation et/ou des situations de conflit).
2. Cependant, l’adoption internationale représente aussi une atteinte aux droits fondamentaux et à l’identité personnelle de l’enfant. Ayant avant tout vocation humanitaire, le transfert d’un enfant du milieu de sa famille biologique et de son pays natal vers un pays étranger et une nouvelle famille est forcément une expérience traumatisante; il doit donc être mené avec un maximum de précautions et d’égards quant à la situation individuelle de l’enfant.
3. Dans cette perspective, l'Assemblée parlementaire met en avant le rôle central de la Convention des Nations Unies de 1989 relative aux droits de l’enfant, laquelle prévoit que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération première dans toutes les décisions le concernant. Les enfants doivent grandir dans un milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension. Le principal objet de l’adoption est de trouver une famille pour un enfant et non un enfant pour une famille.
4. L'Assemblée s’inquiète des rapports qui continuent de faire état de cas d’adoption internationale qui, à l’évidence, n’ont pas respecté en priorité l’intérêt supérieur de l’enfant ou ont gravement bafoué ses droits humains. Ainsi certains enfants deviennent les victimes de pratiques de «blanchiment d’enfant», se traduisant par l’enlèvement et la vente d’enfants, la contrainte ou la manipulation des parents biologiques, la falsification de documents et la corruption. Aussi les pays d’origine et d’accueil concernés par l’adoption internationale doivent-ils, l’un comme l’autre, se montrer à la hauteur de leurs responsabilités pour empêcher et combattre de telles activités criminelles au niveau mondial.
5. L'Assemblée attire l’attention sur les principales références dans ce domaine: la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (1993) et, au niveau du Conseil de l’Europe, la Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) (STCE n° 202). De son côté, l'Assemblée s’est régulièrement penchée sur la situation des enfants dans les procédures d’adoption internationale; par exemple, avec sa Recommandation 1443 (2000) «Pour un respect des droits de l’enfant dans l’adoption internationale» et sa Recommandation 1828 (2008) sur la disparition des nouveau-nés aux fins d’adoption illégale en Europe.
6. Compte tenu de récentes tendances qui continuent de faire de l’adoption internationale une solution de prise en charge possible et intéressante pour beaucoup d’enfants, l'Assemblée appelle une nouvelle fois les Etats membres du Conseil de l’Europe à renforcer leurs politiques visant à appliquer la pratique de l’adoption internationale dans des conditions sécurisées tout en respectant l’intérêt supérieur de l’enfant, et ce par le biais des mesures suivantes:
6.1. en signant et en ratifiant, si ce n’est déjà fait, la Convention de La Haye sur la Protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale et la Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) en tant que textes complémentaires, afin d’assurer une protection efficace de l’enfant dans le cadre des adoptions internationales;
6.2. en signant et en ratifiant, si ce n’est déjà fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197) ainsi que la Convention pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201), afin de protéger les enfants contre les crimes pouvant être liés à l’adoption internationale;
6.3. en développant des politiques nationales cohérentes visant à établir des procédures d’adoption internationale entièrement supervisées par une autorité centrale publique, qui peut – grâce à un niveau suffisant de ressources – fonctionner comme un centre de compétence et garantir un certain contrôle des normes et des pratiques d’adoption;
6.4. en développant des règles et normes strictes pour la mise en place, le fonctionnement et la supervision d’agences spécialisées dans l’adoption d’enfants afin d’éviter que leur multiplication incontrôlée et leur concurrence conduisent à des procédures d’adoption insuffisamment surveillées ou à d’autres pratiques peu sûres;
6.5. en veillant à ce que les origines et l’identité personnelle des enfants soient pleinement établies par des documents tout au long de la procédure d’adoption et au-delà et que les enfants aient la possibilité d’accéder à toutes les informations les concernant à l’âge de 18 ans au plus tard;
6.6. en veillant à ce que les services et agences d’adoption travaillent dans le respect de l’enfant ainsi que préconisé par la Recommandation CM/Rec(2011)12 du Comité des Ministres sur les droits de l’enfant et les services sociaux adaptés aux enfants et aux familles, en particulier en ce qui concerne la participation des enfants aux décisions les concernant;
6.7. en établissant un cadre formel propice à des échanges internationaux réguliers et à une coopération solide en la matière afin de pouvoir lutter efficacement contre les activités criminelles liées à l’adoption internationale et de poursuivre en justice les contrevenants;
6.8. s’agissant des pays d’accueil des enfants adoptés en particulier, en mettant en place des politiques et des procédures d’adoption nationale selon les principes suivants:
6.8.1. élaborer un système national solide en matière d’adoption, qui permettrait de satisfaire l’intérêt des futurs adoptants en toute sécurité et d’éviter qu’ils ne recourent à des organismes non agréés ou à des adoptions indépendantes pouvant les exposer à des activités illégales;
6.8.2. établir des procédures d’autorisation assurant que les futurs adoptants conviennent à l’adoption et les obligeant à suivre une formation spécifique pour se préparer à accueillir un enfant étranger, voire un enfant présentant des besoins spéciaux (en raison d’une maladie ou d’un handicap);
6.8.3. veiller à ce que les enfants étrangers adoptés soient rigoureusement suivis, avant, pendant et après l’acte juridique même d’adoption pendant un nombre suffisant d’années, et à ce que les familles bénéficient d’un soutien tout au long du processus d’adoption et après;
6.8.4. décréter des moratoires si, pour une raison quelconque (catastrophes humanitaires, par exemple), il n’est plus possible d’assurer des procédures d’adoption sécurisées, mais maintenir les voies de communication entre les autorités centrales concernées afin d’éviter les vides juridiques et les incertitudes traumatisantes pour les enfants;
6.9. s’agissant des pays d’origine en particulier, en mettant en place des politiques et des procédures d’adoption nationale selon les principes suivants:
6.9.1. établir des procédures d’autorisation assurant que l’enfant destiné à une adoption internationale en a véritablement besoin et qu’il n’existe pas de meilleure solution de prise en charge dans son pays d’origine;
6.9.2. renforcer les services de planning familial, améliorer les conditions de vie des familles en situation d’extrême pauvreté et renforcer le soutien qui leur est fourni, et ce afin d’éviter que ces familles ne considèrent l’adoption internationale comme une solution de prise en charge de leurs enfants et, ainsi, ne soient exposées au risque d’être impliquées dans des activités de «blanchiment d’enfant»;
6.10. au niveau du Conseil de l’Europe, où les droits de l’enfant sont promus par divers textes et activités, en veillant à ce que la question de l’adoption internationale soit prise en compte dans les travaux liés à la Stratégie sur les droits de l’enfant (2012-2015) et au Plan d’action proposé pour sa mise en œuvre;
6.11. s’il y a lieu, en pratiquant et en favorisant des échanges internationaux pour aider les pays qui en ont besoin à développer, à l’échelon national, d’autres solutions de prise en charge pour les enfants privés de soins parentaux ainsi que des services de protection de l’enfance efficaces, notamment pour les enfants présentant des besoins spéciaux (en raison de maladies ou de handicaps).

B. Exposé des motifs, par Mme Rupprecht, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. L’adoption internationale suppose le transfert d’un enfant de son pays («pays d’origine») vers un autre pays («pays d’accueil») à des fins d’adoption 
			(2) 
			Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l’Europe: «Adoption and Children: A Human
Rights Perspective», CommDH/Issue Paper(2011)2 (en anglais)., pour y être accueilli par une nouvelle famille comme son propre enfant par le biais d’un acte juridique. Comme pour l’adoption nationale, droits parentaux et responsabilités parentales se voient ainsi formellement transférés des parents biologiques aux parents adoptifs. L’idéal serait que l’adoption internationale soit seulement une des possibilités de prise en charge envisagées pour les enfants ne pouvant demeurer au sein de leur famille. Elle peut même s’avérer être la meilleure solution à long terme pour certains enfants dont la sécurité ne peut être autrement assurée ou qui risquent de rester en placement institutionnel dans des conditions d’extrême pauvreté, ou, dans les cas les plus durs, qui peuvent être menacés de mort, de négligence ou d’exploitation dans leur pays natal. Selon le guide de bonnes pratiques (2008) associé à la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale du 29 mai 1993 
			(3) 
			Voir <a href='www.hcch.net/upload/conventions/txt33fr.pdf'>www.hcch.net/upload/conventions/txt33fr.pdf.</a> («la Convention de la Haye»), l’adoption internationale doit être intégrée à une stratégie nationale d’aide et de protection de l’enfance 
			(4) 
			Conférence
de La Haye de droit international privé (HCCH),:La mise en œuvre
et le fonctionnement de la Convention de La Haye de 1993 sur l'adoption
internationale: guide de bonnes pratiques, La Haye, 2008..
2. Bien que, en général, l’adoption internationale soit considérée comme un dispositif bénéfique aux enfants, leurs droits risquent parfois d’être violés ou menacés dans le cadre des procédures appliquées. En effet, elles s’avèrent parfois insuffisantes pour empêcher des pratiques contraires à l’éthique et de véritables crimes, tels que la vente ou l’enlèvement d’enfants, la contrainte ou la manipulation des parents biologiques, la falsification de documents et la corruption – série de crimes que les experts internationaux nomment aussi «blanchiment d'enfant».
3. Même lorsque ses droits sont respectés et qu’il est bien accueilli par une famille aimante, l’enfant est souvent soumis à un traumatisme lié au départ de son pays natal et de son milieu habituel vers un monde qu’il ne connaît pas encore, où il est reçu par des étrangers lui tenant désormais officiellement lieu de parents. En conséquence, il ne faut pas oublier que l’adoption internationale est aussi une grave atteinte aux droits fondamentaux d’un enfant, quel que puisse être le résultat final d’une telle intervention. Dans des conditions ordinaires, la famille biologique est considérée comme le milieu le plus favorable à l’enfant. Aussi les politiques publiques appliquées aux fins du bien-être de l’enfant doivent-elles d’abord et avant tout viser à maintenir celui-ci au sein de son milieu familial d'origine. C’est seulement si les circonstances ne permettent pas cette stabilité que l’on pourra envisager d’autres solutions de prise en charge 
			(5) 
			Résolution 1762 (2010) de l'Assemblée parlementaire «Enfants privés de soins
parentaux: nécessité d’agir d’urgence»,..
4. Dans la Convention des Nations Unies de 1989 relative aux droits de l’enfant, les Etats parties à la convention reconnaissent «que l’enfant, pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension» et que dans «toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale» 
			(6) 
			Convention des Nations
Unies relative aux droits de l’enfant, préambule et article 3 respectivement: 
			(6) 
				http://www2.ohchr.org/french/law/crc.htm.. L’on peut directement en déduire deux impératifs: d’une part, le droit des enfants à un milieu familial aimant et, d’autre part, la nécessité de donner la priorité à l’intérêt supérieur des enfants dans toute décision les concernant. En revanche, aucune norme juridique ne prévoit un «droit» des adultes à un enfant à eux.
5. Avec le présent rapport – préparé sur la base de mon travail en tant qu’actuelle rapporteure générale sur les enfants de l’Assemblée parlementaire, en tant que membre du parlement allemand (Bundestag) et de sa commission permanente sur les enfants et, depuis des années, en tant que militante pour les droits de l’enfant dans de multiples organisations caritatives au niveau national – je souhaiterais montrer comment les droits des enfants peuvent être mis en péril dans le cadre des procédures d’adoption internationale et quelle action s’impose. J’invite instamment l'Assemblée parlementaire à envoyer un nouveau signal fort et un appel aux Etats membres du Conseil de l’Europe pour qu’ils s’engagent résolument à prendre des mesures juridiques et politiques adéquates. Ce faisant, je m’appuie sur de précédents travaux de l'Assemblée, telles que la Recommandation 1443 (2000) «Pour un respect des droits de l’enfant dans l’adoption internationale» et la Recommandation 1828 (2008) «Disparition de nouveau-nés aux fins d’adoption illégale en Europe».
6. Pour illustrer quelques-uns des enjeux pratiques au niveau national, je souhaiterais brièvement présenter la situation de mon propre pays, l'Allemagne. J’ai en particulier pu obtenir des informations actualisées sur les enjeux liés à l’adoption internationale, tels que perçus dans le pays d’accueil qu’est l’Allemagne, lors de la conférence annuelle du Bureau central fédéral pour l’adoption internationale (Bundeszentralstelle für Auslandsadoption – BZAA) tenue à Bonn les 23 et 24 novembre 2011.

2. L’adoption internationale: évolution et controverses

2.1. L’adoption internationale hier et aujourd’hui

7. Bien que l’adoption existe de manière informelle depuis des siècles, l’adoption internationale est une pratique relativement nouvelle. Une tendance à l’adoption internationale est apparue comme réponse humanitaire à la multitude des enfants rendus orphelins par la seconde guerre mondiale. Dans certains pays comme le Royaume-Uni, cette situation a même conduit à des chapitres particulièrement douloureux de l’adoption internationale. Après une longue tradition d'envoi d'enfants britanniques à l'étranger pour adoption, qui a débuté avec une centaine d'enfants envoyés par bateau de Londres à Richmond, en Virginie, en 1618, les derniers cas ont été observés au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsqu’environ 3 300 enfants ont été envoyés en Australie, tandis que la Nouvelle-Zélande, la Rhodésie (le Zimbabwe depuis 1980) et le Canada accueillaient 1 000 enfants au total 
			(7) 
			Child
Migrants Trust, Nottingham, Royaume-Uni, <a href='www.childmigrantstrust.com'>www.childmigrantstrust.com.</a>. Le sort de ces enfants a été décrit par plusieurs documentaires montrant l’expérience douloureuse de nombre de ces «enfants perdus», qui étaient expulsés, soumis à des mauvais traitements ou à des abus ou à qui on refusait de donner toute information sur leurs véritables origines et identité 
			(8) 
			Margaret Humphreys, Empty Cradles, Corgi, 1996.. Même si ces pratiques de «blanchiment d'enfant» à grande échelle se heurteraient probablement aujourd’hui à davantage de difficultés en raison des programmes de protection sociale, des outils de communication et des conditions juridiques modernes, il est important de garder ces anciens cas présents à l'esprit et de rester conscient de la vulnérabilité des enfants dans de telles situations.
8. Les migrations d'enfants à des fins d'adoption ont pu également être observées à la fin de la guerre du Vietnam: confrontés à la famine et au siège de Saigon par les Viêt-Cong, pendant l'opération dite Babylift, en 1975 environ 2 000 enfants ont été envoyés par avion aux Etats-Unis et 1 300 autres au Canada, en Europe et en Australie; un grand nombre de ces enfants n'étaient apparemment pas des orphelins mais avaient été abandonnés à la naissance parce que leurs pères étaient des GI américains 
			(9) 
			Volker
ter Haseborg, «Die Kinder der Operation Babylift» [Les enfants de
l‘Opération Babylift], Der Spiegel,
8 avril 2005, <a href='www.spiegel.de'>www.spiegel.de.</a>. Quelques années auparavant, la volonté de sauver les enfants qui avaient été blessés pendant la guerre avait entre autres abouti, en 1967, à la création de l'association Terre des Hommes Allemagne, qui facilitait l'adoption de certains de ces enfants 
			(10) 
			Site
internet de Terre des Hommes Allemagne, <a href='www.tdh.de.'>www.tdh.de.</a>.
9. Plus récemment, le début des années 1990 a connu une nouvelle vague d’adoptions, lorsque les pays d’Europe centrale et orientale se sont ouverts puis trouvés envahis par des couples et des organismes d’Europe occidentale et des Etats-Unis désireux d’adopter des enfants placés en orphelinat. Depuis le milieu des années 1990, le nombre des adoptions internationales s’est accru tous les ans à travers le monde, atteignant un niveau record en 2004 avec plus de 42 000 adoptions internationales traitées pour cette seule année 
			(11) 
			Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l’Europe, voir la note n° 3..
10. Face à certaines tendances et développements propres aux sociétés modernes, de plus en plus de personnes se tournent vers l’adoption internationale. Dans bon nombre de pays, le moment choisi pour fonder une famille tend à reculer. Mères et pères, quelquefois pour des raisons de développement professionnel et de carrière, sont en moyenne plus âgés que dans les précédentes générations. Compte tenu des taux de procréation et de fécondité plus faibles chez des parents potentiels plus âgés (parfois appelés «involontairement sans enfant» en Allemagne), la solution de l’adoption internationale devient de plus en plus tentante étant donné le souhait, tout à fait compréhensible, de l’individu – et de la société – de se reproduire.
11. Ces dernières années, néanmoins, le nombre des adoptions internationales a baissé 
			(12) 
			Unicef
guidance note on intercountry adoption in the CEE/CIS Region [Note
d'orientation de l'Unicef sur l’adoption internationale dans les
pays ECO/CEI], septembre 2009, disponible en anglais à: <a href='www.unicef.org/ceecis/UNICEF_ICA_CEE_Guidance_WEB.pdf'>www.unicef.org/ceecis/UNICEF_ICA_CEE_Guidance_WEB.pdf.</a>: déjà descendu à 40 000 
			(13) 
			Save the children:
Policy brief international adoption 2010, <a href='www.savethechildren.org'>www.savethechildren.org.</a> en 2006, il est tombé à environ 25 000 en 2011. Parmi les pays ayant connu une forte diminution de l’adoption d’enfants étrangers, citons l’Espagne et la France, où ce taux a baissé respectivement de 48 % et de 14 % entre 2004 et 2010 
			(14) 
			Margie Mason, «International
adoptions plummet globally», The Guardian,
World News, 10 mai 2012, <a href='www.guardian.co.uk'>www.guardian.co.uk.</a>. Ces tendances seraient liées, du moins en partie, à un changement des comportements et à des politiques gouvernementales plus restrictives en matière d’adoption internationale. Selon des experts, si jamais la baisse des adoptions dans le monde devait s’inverser, c’est sans doute l’Afrique qui se trouverait en première ligne, où l’Ethiopie est apparue ces dernières années comme une «source première» d'orphelins «disponibles» pour l'adoption internationale 
			(15) 
			Ibid..

2.2. L’adoption internationale: controverses et questions éthiques

12. L’adoption internationale est source de nombreux débats et, souvent, de controverses. Plus que jamais, les solutions de prise en charge de l’enfant dans son pays d’origine sont recherchées, efforts très appréciés des organisations de protection de l’enfance partout où ils améliorent vraiment la situation des enfants privés de soins parentaux. L’Unicef, par exemple, promeut fermement la «règle de subsidiarité» édictée par la Convention de La Haye (voir plus loin); autrement dit, l’adoption internationale ne doit jamais se faire au détriment de solutions nationales adéquates. Dans l’esprit de la Convention de La Haye, l’agence des Nations Unies déclare même que les pays d’accueil doivent favoriser la mise en place de services de protection de la famille et de l’enfant dans le pays d’origine 
			(16) 
			Unicef
guidance note on intercountry adoption in the CEE/CIS Region, voir
la note de bas de page n° 13..
13. Certains experts craignent que l’adoption internationale n’empêche de consacrer des ressources au développement de solutions de prise en charge de qualité dans le pays d’origine 
			(17) 
			Save the children (2010),
voir la note de bas de page n° 14.. Dans certains cas, ils ont constaté que la disponibilité et l’importance de l’adoption internationale ont pu conduire des parents à abandonner leurs enfants en institution dans l’espoir qu'ils puissent accéder à une vie meilleure dans un pays occidental 
			(18) 
			EveryChild: «Adopting
better care. Improving adoption services around the world», Positive
care choices: Working paper 3, Londres, mai 2012, disponible en
anglais à: <a href='www.everychild.org.uk'>www.everychild.org.uk.</a>. Enfin, des experts estiment aussi que l’adoption internationale est en butte aux critiques de ceux qui agitent le drapeau des droits de l'homme et que, puisqu’elle reconnaît à juste titre les enfants en tant que citoyens d’une communauté mondiale jouissant de droits humains fondamentaux, elle ne doit pas être appliquée de manière trop restrictive 
			(19) 
			Elizabeth Bartholet,
«International Adoption: The Human Rights Position», Global Policy, Volume 1, Issue 1,
London School of Economics and Political Science (LSE), janvier
2010..
14. Si le nombre d’adoptions traitées chaque année est en baisse, tel n’est pas le cas du nombre d’adoptants potentiels en attente d’un enfant 
			(20) 
			Unicef
guidance note on intercountry adoption in the CEE/CIS Region, voir
la note de bas de page n° 13.. De fait, la «demande» d’enfants par voie d’adoption internationale est plus forte que jamais, d’où de longues listes d’attente pour les futurs parents adoptifs. Cette situation est très inquiétante car il est à craindre qu’une forte demande engendre une offre, notamment du fait des grosses sommes d’argent que les futurs adoptants sont prêts à dépenser pour obtenir une adoption; ce qui, malheureusement, risque de stimuler les pratiques frauduleuses. Par cet afflux d’argent occidental dans des pays pauvres, l’adoption devient un «commerce» très rentable.
15. Cette situation présente un risque extrêmement grave pour l’adoption internationale, ainsi que pour les droits des enfants concernés. La faute la plus énorme comprend le «blanchiment d'enfant» – c’est-à-dire le transfert illégal d’enfants en les achetant à leurs familles naturelles ou en les kidnappant, pour ensuite les «blanchir» via des systèmes d’adoption en les faisant passer pour «orphelins» puis pour «adoptables» 
			(21) 
			David
Smolin, «Enlèvement, vente et traite d’enfants dans le contexte
de l’adoption internationale», Document d’information n° 1 à l’intention
de la Commission spéciale de juin 2010 sur le fonctionnement pratique
de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des
enfants et la coopération en matière d’adoption internationale,
publié par la Conférence de La Haye de droit international privé
(HCCH). Définition complète de «blanchiment d'enfant» dans ce rapport:
«(…) une forme spécialisée de l’enlèvement, de la vente et de la
traite d’enfants dans le contexte de l’adoption. Le terme [“blanchiment
d'enfant”] renvoie à l’obtention illicite d’enfants par la force,
la fraude ou des sommes d’argent (incitation financière), à l’établissement
de document falsifiés identifiant l’enfant comme un “orphelin” adoptable légitimement
abandonné et à son placement en vue de l’adoption par les circuits
officiels du système d’adoption internationale.» – ou, même, la «production» d’enfants pour adoption par le biais de «fermes de bébés» 
			(22) 
			Service
social international (ISS): «Les zones grises de l’adoption internationale»,
Document d’information n° 6 à l’intention de la Commission spéciale
de juin 2010 sur le fonctionnement pratique de la Convention de
La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération
en matière d’adoption internationale, publié par la Conférence de
La Haye de droit international privé (HCCH).. Dans ces cas de figure, l’enfant n’est rien de plus qu’une marchandise à vendre au plus offrant.
16. Beaucoup d’efforts ont été déployés ces dernières années pour mettre un terme à ce type de pratiques illégales en interrompant les relations avec certains pays d’origine. Les Etats-Unis, qui, par le passé, ont accueilli la moitié des adoptions internationales annuelles, ont connu une baisse de plus de 60 % avec à peine plus de 9 000 adoptions en 2011. Après des expériences négatives de corruption, de bénéfices excessifs et de «blanchiment d'enfant» dans le cas du Guatemala, par exemple, le nombre des adoptions internationales en provenance de ce pays vers les Etats-Unis a chuté, passant de 4 000 en 2008 à tout juste 32 en 2011; le Guatemala a d’ailleurs été le premier pays (suivi plus tard par d’autres) dont la volonté d’adhérer à la Convention de La Haye a suscité les objections d’un certain nombre de pays d’accueil, en raison des conditions inacceptables en matière d’adoption internationale. Il y a quelques années, des pratiques illégales d’adoption ont été découvertes en Inde par un groupe de parents adoptifs allemands. Dans ce cas et d’autres semblables en Inde, l’on s’est aperçu de l’implication occasionnelle d’institutions religieuses, qui justifiaient leur action par des motivations humanitaires 
			(23) 
			David Smolin, Child
Laundering: How the Intercountry Adoption System Legitimizes and
Incentivizes the Practices of Buying, Trafficking, Kidnapping and
Stealing Children, The Wayne Law Review, Paper 749, Berkeley Electronic
Press, disponible en anglais à: <a href='http://law.bepress.com/expresso/eps/749'>http://law.bepress.com/expresso/eps/749.</a>.
17. Malgré les efforts déployés au niveau international pour lutter contre ces activités illégales, le «blanchiment d'enfant» demeure «un problème systémique dans le système d’adoption internationale contemporain» 
			(24) 
			David Smolin (2010),
voir la note de bas de page n° 22., ce qui nuit à la légitimité et à la viabilité de ce type d’adoption. De même que d’autres problèmes criminels dans ce domaine, le «blanchiment d'enfant» inflige aux familles concernées une souffrance sans précédent. Les enfants kidnappés sont soumis à une séparation inutile de leurs familles naturelles tandis que toutes les parties concernées se trouvent confrontées à des difficultés psychologiques si, des années plus tard, elles apprennent la véritable identité de l’enfant. Afin d’éviter les pratiques de «blanchiment d’enfant», que ce soit à grande échelle comme dans les cas historiques ou sur une base plus individuelle, il est de la plus haute importance que l'origine et l'identité personnelle des enfants privés de protection parentale puissent être établies par des documents de la manière la plus exhaustive possible avant et après une adoption quelle qu’elle soit. Enfin, et même si les cas semblent rares, un autre crime menace les enfants adoptifs: les abus sexuels ou physiques par leurs nouveaux parents, de qui l’enfant dépend entièrement à son arrivée dans le pays d’accueil.
18. Une autre question de plus en plus inquiétante reste non résolue: celle de l’«adoptabilité» des enfants présentant des «besoins spéciaux», car le nombre de gens désireux et en mesure d’adopter ces enfants se situe bien au-dessous du niveau requis. Selon l’Unicef, en 2005, la seule Ukraine enregistrait quelque 24 000 cas dans sa base de données d’enfants légalement disponibles pour adoption à l’étranger; or, dans leur grande majorité, ces enfants étaient atteints d'une maladie ou d’un handicap grave, faisaient partie d’une fratrie ou n’avaient pas été jugés juridiquement adoptables à un plus jeune âge et peu avaient de réelles chances d’être adoptés. Pour ces enfants tout particulièrement, les processus d’adoption doivent garantir que seuls les candidats dotés d’autorisations adéquates ont le droit de soumettre un dossier de demande 
			(25) 
			Unicef Guidance Note
on Intercountry Adoption in the CEE/CIS Region [Note d'orientation
de l'Unicef sur l’adoption internationale dans les pays ECO/CEI],
voir la note de bas de page n° 13..
19. Face aux controverses et aux difficultés liées à l’adoption internationale, j’estime que les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent opter pour une position équilibrée: le système de l’adoption internationale est à renforcer chaque fois que possible afin de répondre aussi bien à la demande d’un nombre croissant de personnes désireuses d’adopter qu’au besoin des enfants pour qui l’adoption internationale pourrait être la meilleure solution de prise en charge à long terme, et ce tout en veillant à ce que les procédures appliquées soient aussi transparentes que possible et à ce que toutes les parties prenantes soient protégées contre les activités illégales et criminelles.

3. Normes et procédures juridiques en matière d’adoption internationale

3.1. La Convention de La Haye relative à l’adoption internationale

20. La Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale fixe le cadre de coopération internationale en matière d’adoption internationale. Elle repose sur l’article 21 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. L’objectif de la Convention de La Haye n’est pas d’encourager, ni de dissuader à s’engager dans une adoption internationale, mais bien plutôt d’établir des garanties pour réglementer le processus. La convention stipule que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer à tout moment sur toute autre considération, ainsi que le prescrit à la toute première ligne l’article 1: «La présente Convention a pour objet: (…) d’établir des garanties pour que les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en droit international (…)» 
			(26) 
			Article 1 de la Convention
de La Haye, voir la note de bas de page n° 4... Elle vise aussi à assurer la transparence et l’éthique des adoptions. La convention n’est contraignante que pour les pays l’ayant ratifiée, soit actuellement 58 pays. D'autres pays ayant adhéré à la convention, le nombre des parties contractantes est actuellement de 89 
			(27) 
			Conférence de La Haye
de droit international privé (HCCH): Convention du 29 mai 1993 sur
la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption
internationale, état présent (au 1er juin
2012), <a href='www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.status&cid=69'>www.hcch.net/index_fr.php?act=conventions.status&cid=69.</a>, 
			(28) 
			Les pays peuvent notamment
devenir Parties contractantes à la Convention par ratification ou
adhésion. Selon l’article 44 de la Convention, la simple adhésion
n’aura d’effet que dans les rapports entre l’Etat adhérent et les
Etats contractants qui n'auront pas élevé d'objection à son encontre
dans les six mois après la réception de la notification.. Parmi eux figurent la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(29) 
			A l’exception de la
Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Serbie et de l’Ukraine..
21. Parallèlement au principe primordial imposant d’agir à tout moment dans l’intérêt supérieur de l’enfant, la Convention de La Haye consacre le principe de subsidiarité. En d’autres termes, les solutions de prise en charge disponibles dans le pays d’origine priment sur l’adoption internationale. Dans la mesure du possible, l’enfant doit être élevé par sa famille ou sa famille élargie; si cette solution n’est pas envisageable, il convient d’examiner d’autres formes de prise en charge dans le pays d’origine (tel que le placement dans une famille d’accueil). Au nombre des conséquences de la ratification croissante de la Convention de La Haye, on peut s’attendre à la probable intégration de ces principes aux politiques nationales d’adoption des pays parties, notamment dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Cette situation entraîne un changement radical des tendances en matière d’adoption internationale. Ainsi, en 2005, 14 000 enfants en provenance de Chine étaient adoptés, chiffre tombé à 6 000 trois ans après que ce pays a ratifié la Convention de La Haye 
			(30) 
			Statistiques
annuelles d'adoption (2005-2009) notifiées par la Chine à la Conférence
de La Haye de droit international privé (HCCH), <a href='www.hcch.net/upload/wop/adop2010pd05_fr.pdf'>www.hcch.net/upload/wop/adop2010pd05_fr.pdf.</a>.
22. En 2010, l’Unicef a exposé sa position en faveur de l’adoption internationale lorsque celle-ci est menée conformément aux normes et principes de la Convention de La Haye 
			(31) 
			Position de l’Unicef
sur l’adoption internationale 2010, <a href='www.unicef.org/french/media/media_41918.html'>www.unicef.org/french/media/media_41918.html.</a>. Selon l’ONG internationale Save the Children, les adoptions internationales ne devraient avoir lieu que si le pays d’origine et le pays d’accueil sont, l’un et l’autre, signataires de la Convention de La Haye 
			(32) 
			Save
the children, Policy brief international adoption 2010, op. cit.. Cette condition permettrait d’assurer que les deux pays, d’origine et d’accueil, adhèrent à la meilleure norme internationale et, donc, privilégient l’intérêt supérieur de l’enfant. S’engager dans un processus d’adoption avec des pays non signataires de la Convention de La Haye ne peut garantir le même respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.

3.2. La Convention européenne en matière d’adoption des enfants et les textes apparentés du Conseil de l’Europe

23. La première Convention européenne en matière d’adoption des enfants (STE n° 58) est entrée en vigueur en 1967. Etant donné les changements sociaux considérables intervenus en quarante ans dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, on a estimé que les normes dans ce domaine nécessitaient une révision. En 2008, la Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) (STCE n° 202) a été ouverte à signature. A ce jour, 15 Etats membres sont signataires de la convention révisée, dont sept l’ont ratifiée. La convention révisée porte essentiellement sur le droit en matière d’adoption nationale. Ses articles 12 et 15 s’appliquent directement à l’adoption internationale et il faut espérer que cette convention apportera un complément efficace à la Convention de La Haye. De surcroît, la convention confirme notamment que le principe primordial consistant à agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant sera applicable à toutes les adoptions, aussi bien nationales qu’internationales.
24. La constance des activités illégales pouvant être liées à l’adoption internationale souligne l’importance de deux autres textes juridiques que les Etats membres doivent rigoureusement mettre en œuvre pour protéger pleinement les enfants contre ce type de crimes: la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197) et la Convention pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201), plus connue sous le nom de «Convention de Lanzarote».

3.3. Le principe de l’intérêt supérieur

25. «L’enfant est l’étoile fixe dans la constellation de l’adoption» 
			(33) 
			Horgan
et Martin, The European Convention on Adoption 2008: Progressing
the Children’s Rights Polemic, septembre 2008, International Family Law.. Reconnaissant le fait que l’enfant adopté est la partie vulnérable d’un processus contrôlé par des adultes, la Convention de La Haye et la Convention européenne en matière d’adoption (révisée) prévoient toutes deux que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute autre considération dans le processus d’adoption. Aussi faut-il garder à l’esprit que l’objet de l’adoption est de trouver une famille pour un enfant et non un enfant pour une famille.
26. Bien que le principe de l’intérêt supérieur soit d’une importance cruciale, il reste largement sujet à malentendu 
			(34) 
			Commissaire aux droits
de l'homme du Conseil de l’Europe, voir la note de bas de page n° 3.. La Convention de La Haye convient que, pour agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant, celui-ci doit grandir dans un environnement familial 
			(35) 
			Préambule à la Convention
de La Haye, <a href='www.hcch.net/upload/conventions/txt33fr.pdf'>www.hcch.net/upload/conventions/txt33fr.pdf.</a>, que la permanence est préférable à des mesures temporaires 
			(36) 
			Rapport
explicatif sur la Convention de La Haye, <a href='www.hcch.net/upload/expl33f.pdf'>www.hcch.net/upload/expl33f.pdf.</a> et que l’adoption internationale peut offrir l’avantage d’une famille permanente lorsqu’il n’est pas possible de trouver une famille adaptée pour l’enfant dans le pays d’origine 
			(37) 
			Préambule
à la Convention, voir la note de bas de page n° 4.. Le malentendu réside dans le fait que cette interprétation du principe de l’intérêt supérieur passe pour une sorte de «carte maîtresse» ou de «super-droit» qui l’emporte sur tous les autres droits. C’est faux.
27. Dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le principe de l’intérêt supérieur est de première importance. La Cour a fondé certaines de ses décisions concernant l’adoption internationale sur ce principe même. Le poids considérable que la Cour attache à ce principe en souligne l’importance dans le cadre des adoptions internationales, ainsi qu’en témoignent les exemples suivants.

3.3.1. Pini et Bertani & Manera et Atripaldi c. Roumanie 
			(38) 
			Requête n° 78028/01,
arrêt du 22 juin 2004.

28. Cette affaire concernait des requêtes émanant de deux couples adoptifs italiens. Selon eux, le refus de la Roumanie d'exécuter les ordres d'adoption relatifs à deux fillettes roumaines violait le droit à une vie familiale, droit prescrit par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5, «la Convention»). La Cour a mis en avant le souhait des enfants de rester où elles étaient, à quoi s’ajoutait le fait qu’elles n’avaient jamais rencontré leurs futurs parents. La Cour a considéré que «leur intérêt était de ne pas se voir imposer, contre leur gré, la création de relations affectives avec des personnes avec lesquelles elles [n’étaient] pas unies par un lien biologique et qu’elles percevaient comme des étrangers». Ainsi aucune violation du droit à une vie familiale n’a été constatée.

3.3.2. Wagner et JMWL c. Luxembourg 
			(39) 
			Requête
n° 76240/01, arrêt du 28 juin 2007.

29. Cette affaire concernait la décision d’un tribunal luxembourgeois de refuser de reconnaître un ordre d’adoption péruvien. La décision s’appuyait sur le fait que l’enfant en question avait été adopté par une femme seule. L’ordre aurait été reconnu si l’adoption avait été demandée par un couple marié. De ce fait, les requérants rencontraient des obstacles dans la vie courante et l’enfant ne bénéficiait pas de la protection juridique qui lui aurait permis de pleinement s’intégrer à sa famille adoptive. Ce refus constituait-il une violation de l’article 8 sur le droit à une vie familiale? Pour en décider, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que le refus ne prenait pas en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, intérêt qui, dans cette affaire, devait primer.
30. Il est encourageant de voir que, dans l’affaire Pini, la Cour a privilégié l’intérêt supérieur de l’enfant par rapport au droit à une vie familiale prescrit à l’article 8, droit qui, en d’autres circonstances, est considéré comme une solide protection selon la Convention. La Cour fait montre d’un réel engagement à assurer la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Par une constante promotion des normes internationales, il faut veiller à ce que les tribunaux nationaux fassent de même. Cela vaut pour l’affaire Wagner, où l’intérêt supérieur de l’enfant a primé sur le statut spécial accordé aux couples mariés par la législation du Luxembourg.

3.4. Procédures en matière d’adoption internationale: la théorie et la pratique

3.4.1. La procédure ordinaire en matière d’adoption internationale selon la Convention de La Haye

31. La convention contient des dispositions procédurales tout à fait détaillées. En 2008, elle a été complétée par le Guide de bonnes pratiques (Guide n°1), qui peut servir de manuel pour «la mise en œuvre et le fonctionnement» de la Convention de La Haye 
			(40) 
			Guide
de bonnes pratiques 2008, voir la note de bas de page n° 5.. La principale structure que fournit la convention, et que les nouveaux signataires doivent mettre en place, est constituée par une autorité centrale chargée de superviser le système et les procédures d'adoption en vigueur dans un pays. Outre la responsabilité de la communication et de la coordination avec les autorités centrales d’autres pays parties à la Convention de La Haye, le réseau d'autorités centrales constitue le principal dispositif que la convention a essayé de mettre en place pour réformer le système d’adoption internationale. L’autorité centrale, directement ou avec le concours d’instances publiques, doit privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant et «empêcher toute pratique contraire aux objectifs de la Convention» 
			(41) 
			Article 8 de la Convention
de La Haye, voir la note de bas de page n° 4.. L’autorité centrale, ainsi que les instances publiques qui lui sont directement liées, constituent donc pour la convention la défense de première ligne contre les pratiques visant à supplanter l’intérêt supérieur de l’enfant.
32. La procédure d’adoption internationale prescrite par la Convention de La Haye (articles 14 à 22 –; Conditions procédurales) comprend plusieurs étapes assurant à la fois la capacité des futurs parents à adopter et la nécessité pour l’enfant adoptif de cette solution de prise en charge. Généralement, ces étapes se déclinent ainsi: dépôt d’une requête officielle par les futurs adoptants, préparation d’un rapport sur leur situation personnelle et leur capacité légale, identification d’un enfant «approprié», vérification que toutes les conditions satisfont à une adoption formelle, au transfert de l’enfant, à la décision sur toute mesure complémentaire requise (périodes d’attachement ou d’essai, par exemple) et, au besoin, à la décision de nouveau placement si la première famille choisie n’est pas adaptée à l’intérêt supérieur de l’enfant.
33. Dans les adoptions internationales où pays d’origine et pays d’accueil sont tous deux parties à la Convention de La Haye, les adoptants peuvent généralement compter sur le fait que la sélection de l’enfant qu’ils vont adopter – c’est-à-dire le processus dit d’«apparentement» – s’est déroulée conformément aux règles et aux procédures définies par la convention. Naturellement, la procédure ordinaire aura été adaptée au contexte national spécifique par les autorités publiques des Etats parties et, dans certains cas, elle pourra s’avérer insuffisamment mise en application ou supervisée; ce qui peut engendrer des problèmes risquant de mettre en péril l’intérêt supérieur de l’enfant (voir plus loin).

3.4.2. L’exemple de l’Allemagne: les enjeux de l’adoption internationale tels que perçus au niveau national

34. L’Allemagne est partie à la Convention de La Haye depuis mars 2002; elle n’a pas encore ratifié la Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée). L’autorité centrale responsable de l’adoption internationale est le Bureau central fédéral pour l’adoption internationale (Bundeszentralstelle für Auslandsadoption – BZAA), qui fait partie de l’Office fédéral de la Justice (Bundesamt für Justiz – BfJ). Il assure un suivi régulier de tous les organismes agréés en matière d’adoption dans le pays. Ceux-ci comprennent 12 bureaux publics d’adoption dirigés par les administrations des Etats régionaux (Länder), qui jouent le rôle d’agents d’adoption internationale et sont chargés d’autoriser et de superviser les autres agences d’adoption, ainsi que 13 agences privées certifiées en matière d’adoption (ONG) dans différentes régions et villes allemandes. En Allemagne, les organismes publics d’adoption sont obligés de traiter les adoptions concernant les Etats parties à la Convention de La Haye et peuvent gérer des adoptions avec des Etats non parties. Les agences privées d’adoption peuvent aussi gérer des adoptions avec des Etats parties ou non parties, selon les autorisations qui leur sont accordées (une autorisation spécifique est requise pour chaque pays).
35. Un échange approfondi entre toutes les agences allemandes qui a eu lieu lors de leur dernière conférence annuelle, à Bonn, les 23 et 24 novembre 2011, à l’invitation de la BZAA m’a donné un excellent aperçu des enjeux actuels de l’adoption internationale tels que perçus par des acteurs nationaux, dont je souhaiterais faire part aux autres membres de l'Assemblée parlementaire. Cependant, il manque des données nationales solides dans ce domaine. Le seul chiffre pouvant être obtenu (mais qui reste en-deçà du nombre réel de procédures d’adoption terminées) est celui du nombre d’adoptions reconnues par les tribunaux allemands des affaires familiales (10 164 entre 2002 et 2011). Les adoptions privées, pour lesquelles aucune reconnaissance formelle n’est demandée, ne figurent jamais dans les statistiques. Toutefois, on sait que les principaux pays d’origine d’enfants devant être adoptés en Allemagne sont la Fédération de Russie, le Kazakhstan, l’Ukraine, la Thaïlande, la Colombie, la Turquie, l’Ethiopie, Haïti et l’Afrique du Sud – représentant chacun plus de 300 cas d’adoption pendant la période concernée 
			(42) 
			Bundesamt
für Justiz / Bundeszentralstelle für Auslandsadoption (BZAA): Familiengerichtliche
Verfahren nach dem Adoptionswirkungsgesetz 2002-2010 [Procédures
des affaires familiales conformément à la législation sur les conséquences
de l’adoption], Bonn, novembre 2011..
36. Malgré l’existence d’institutions et de mécanismes efficaces assurant, généralement avec le concours d’organismes agréés, un suivi transparent des procédures d’adoption internationale, on observe encore tous les ans un grand nombre d’adoptions privées (et, parfois, illégales) – environ 250-280 cas. Conscient de la fréquence de ces activités illégales, la BZAA recommande catégoriquement à tous les adoptants potentiels de ne pas s’engager dans une adoption internationale sans faire appel à une agence agréée en matière d’adoption. Il y a tout lieu de se méfier, en particulier, si des juristes ou autres «experts» offrent une aide rapide et sans formalités bureaucratiques en échange de grosses sommes d’argent 
			(43) 
			Bundesamt für Justiz
/ Bundeszentralstelle für Auslandsadoption (BZAA): Internationale
Adoption – Häufig gestellte Fragen [Adoption internationale – Questions
fréquentes], <a href='www.bundesjustizamt.de'>www.bundesjustizamt.de.</a>.
37. Voici quelques-unes des autres tendances et attitudes observées dans le domaine de l’adoption internationale en Allemagne:
  • il y a beaucoup plus de demandeurs que d’enfants en attente d’adoption internationale;
  • l’âge des parents ou des familles cherchant à adopter est manifestement en hausse;
  • de plus en plus, les parents adoptifs souhaitent adopter l’enfant de leurs rêves, qui doit être aussi jeune que possible (de préférence moins d’un an) et sans aucune pathologie visible ou attendue;
  • les parents adoptifs potentiels semblent penser qu’ils ont le droit tout à fait légitime d’adopter un enfant étranger;
  • face à certaines situations de crise observées à travers le monde, les adoptants potentiels semblent croire que l’adoption d’un enfant étranger est un acte humanitaire;
  • il semble y avoir peu de prise de conscience ou d’empathie quant au traumatisme que vivra l’enfant à l’occasion de l’adoption;
  • l’attitude des tiers, souvent très négative, n’apporte pas de soutien aux adoptants potentiels («Combien avez-vous payé votre enfant?»).
38. Ces tendances et attitudes représentent des défis particuliers à relever par les organismes d’adoption. Etant donné la forte «demande» d’enfants à adopter, les nombreux adoptants potentiels sont prêts à débourser de grosses sommes d’argent pour accueillir un enfant, ce qui fait d’eux des cibles faciles pour les activités illégales et criminelles et contribue généralement à la «commercialisation» mondiale des enfants.
39. Pour diverses raisons, nombreux sont les adultes en Europe qui reportent le moment de fonder une famille à des étapes ultérieures de la vie; cette tendance s’observe aussi en Allemagne où, en 2010, l’indice de fécondité était globalement de 1,39 enfant par femme 
			(44) 
			Statistisches Bundesamt
(Office fédéral des statistiques), Geburten in Deutschland, Wiesbaden,
2012, <a href='www.destatis.de'>www.destatis.de.</a>. Avec l’accroissement du désir d’enfant, beaucoup de couples «involontairement sans enfant» se tournent alors vers la solution de l’adoption internationale. Résultat de cette tendance: les adoptants potentiels ont un âge de plus en plus avancé. En Allemagne, la législation ne prévoit pas d’âge maximal pour l’adoption ni de différence d’âge maximale entre les adoptants et l’enfant adopté. Cependant, une différence d’âge maximale de 40 ans entre les parents adoptifs et les enfants a été vivement recommandée par le groupe de travail fédéral des offices de la jeunesse des Länder (Bundesarbeitsgemeinschaft der Landesjugendämter).
40. Dans un contexte où les enfants sont quasiment traités comme un «bien» précieux donnant lieu, dans certains cas, à des échanges d’argent considérables, les attentes des futurs adoptants sont de plus en plus élevées: ils recherchent un enfant qui soit aussi jeune que possible et en bonne santé. Or, dans la pratique, il est plus facile de trouver des solutions de prise en charge de très jeunes enfants dans le contexte national (familles d’accueil, adoptions nationales) et, parfois, ce sont plutôt les enfants plus âgés qui ont besoin d'une nouvelle famille à l'étranger. Cela vaut pour les enfants présentant divers problèmes de santé – par exemple, les conséquences du syndrome alcoolique fœtal (SAF), de plus en plus observées chez les enfants adoptés venant de pays pauvres – ou des handicaps; pour eux, il est plus difficile de trouver des solutions. Pour beaucoup de futurs adoptants, accueillir un enfant malade est exclu. Dans certains cas constatés par des agences en Allemagne, des parents adoptifs ont même essayé de se dégager de la responsabilité d’un enfant malade parce qu’ils n’arrivaient pas à faire face aux problèmes posés par une situation à laquelle ils n’avaient pas été préparés à l’avance. Pour l’enfant, devoir quitter une famille adoptive représente une expérience traumatisante de plus.
41. D’après l’expérience d’agences allemandes sur le terrain, les procédures d’adoption internationale appliquées au niveau national ne devraient pas se limiter à un simple processus d’appariement entre parents disponibles et enfants disponibles. Parents adoptifs et enfants adoptifs devraient bénéficier d’une aide professionnelle très complète, notamment psychologique, les préparant à cette nouvelle situation de la vie. Les frustrations que provoque l’insatisfaction de fortes attentes nourries au début du processus peuvent constituer une nouvelle expérience traumatisante, tant pour les enfants que pour les parents. C’est pourquoi il est jugé très important de suivre les enfants adoptifs bien au-delà de l’étape officielle de l’adoption, notamment concernant leur intégration à la nouvelle famille et au nouveau milieu culturel.

4. Insuffisances de l’action juridique et politique: des menaces pour l’intérêt supérieur de l’enfant

4.1. Mise en œuvre inefficace de la Convention de La Haye

42. Les experts ont identifié la mise en œuvre inefficace de la Convention de La Haye comme principale cause de l’incidence persistante de pratiques d’adoption abusives; cette inefficacité est aussi parfois due à une ratification prématurée de la Convention – c’est-à-dire avant même la mise à jour de mécanismes internes. Non seulement les pays d’origine, où se perpétuent des actes criminels de «blanchiment d'enfant», se rendent coupables de graves erreurs de mise en œuvre, mais les pays d’accueil, y compris des Etats membres du Conseil de l’Europe, ont manqué à leurs engagements envers des enfants faute de supervision rigoureuse des processus d’adoption 
			(45) 
			David Smolin, «Enlèvement,
vente et traite d’enfants dans le contexte de l’adoption internationale»,
voir la note de bas de page n° 22.. Aussi les pays d’origine et d’accueil doivent-ils, par le biais d’une coopération étroite et permanente, assumer ensemble la responsabilité de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant continue à primer sur toute autre considération d’un bout à l’autre des procédures d’adoption internationale.
43. Les pratiques de l’adoption internationale montrent aussi que la simple existence d’une autorité centrale et d’autres signes officiels de la Convention de La Haye ne suffit pas toujours à empêcher les délits, en particulier le «blanchiment d'enfant» – comme en témoigne l’exemple de l’Inde 
			(46) 
			Par
exemple, le scandale d’un orphelinat en Andhra Pradesh, où de nombreux
enfants étaient kidnappés à leurs familles et proposés à l’adoption
avec de faux papiers. Voir David Smolin, «The Two Faces of Intercountry
Adoption: The Significance of the Indian Adoption Scandals», 35
Seton Hall L. Rev. 403, 451 (2005).. Ce pays continue de souffrir de scandales en matière d’adoption, même après la ratification, en 2003, de la Convention de La Haye. L’autorité centrale indienne (CARA) a déclaré un moratoire sur les adoptions le 1er juillet 2011 afin de soumettre son système à une profonde réforme. Une fois encore, cet exemple montre l’importance de procédures d’adoption totalement transparentes, qui exigent un dossier complet sur l’enfant et sur son origine, ainsi que le droit de l’enfant de consulter ce dossier au plus tard à l’âge de la majorité légale.

4.2. Adoptions internationales hors Convention de La Haye

44. De même que la pratique nationale n’interdit pas les adoptions internationales avec des pays non parties à la Convention de La Haye (voir plus haut l'exemple de l’Allemagne), celle-ci ne proscrit pas les accords d’adoption bilatéraux entre pays parties et pays non parties à la convention, sous réserve que l’accord ne soit pas contraire à la lettre de la convention. Ainsi, la France a passé un accord bilatéral avec le Cambodge en matière d’adoption internationale. Toutefois, ce type d’accord n’offre pas les mêmes garanties que la Convention de La Haye et ne doit pas passer pour des substituts équivalents.
45. Par ailleurs, la Convention de La Haye n’interdit pas les adoptions indépendantes, même si elles sont fortement déconseillées par bon nombre d’autorités centrales nationales. Dans une adoption indépendante, les adoptants potentiels sont reconnus par l’autorité centrale aptes à adopter, mais l’autorité (ou une autre agence agréée) n'intervient pas plus avant. Les adoptants potentiels recherchent eux-mêmes l’orphelinat où réside leur futur enfant adoptif et se rendent de leur propre chef dans le pays d’origine, ce qui leur fait courir de nombreux risques: sans les conseils spécialisés qu’apporte une agence agréée, les adoptants peuvent être victimes d’intermédiaires douteux et ne sont pas assurés de la légitimité des circonstances dans lesquelles ils trouvent un enfant «adoptable».
46. L’Unicef est contre les adoptions indépendantes au motif que, du point de vue des droits de l’enfant, aucun argument valable ne tient en leur faveur 
			(47) 
			Unicef
guidance note on intercountry adoption in the CEE/CIS region, voir
la note de bas de page n° 13.. Quant à la Convention de La Haye, son Guide de bonnes pratiques critique les adoptions indépendantes car elles compromettent les garanties de la convention, en particulier pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. De ce fait, elle préconise l’interdiction de ce type d’adoption dans les pays signataires de la Convention de La Haye 
			(48) 
			Guide de bonnes pratiques
2008, voir la note de bas de page n° 5.. Les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe devraient être invités à établir des procédures visant à éliminer certains des risques inhérents aux adoptions indépendantes. À noter que certains pays d’accueil interdisent à leurs citoyens d’adopter dans un pays étranger sans faire appel aux services d’une agence d’adoption agréée. De même, certains pays d’origine exigent aussi des adoptants potentiels qu’ils passent par une agence d’adoption reconnue 
			(49) 
			Les pays d’origine
imposant cette condition comprennent la Bolivie, la Chine, l’Ethiopie
et l’Inde. Les pays d’accueil comprennent la Suède, la Norvège,
la Finlande, le Danemark et l’Italie. Source: Unicef guidance note
on intercountry adoption in the CEE/CIS region, voir la note de
bas de page n° 13..

4.3. Moratoires

47. Un pays d’origine peut interrompre provisoirement les adoptions durant un certain temps. Un moratoire vient souvent en réponse à des allégations ou à des suspicions quant à la légitimité et à la transparence du système national d’adoption. Pour l’Etat, c’est aussi l’occasion de mener une enquête sur le système et, le cas échéant, de le réformer. De même, un pays d’accueil peut suspendre des procédures d’adoption internationale s’il estime que la sécurité n’est pas pleinement assurée pour des enfants issus de certains pays lointains. Ce fut le cas, par exemple, après le séisme de 2010 à Haïti, à la suite duquel plusieurs Etats membres européens ont suspendu les procédures d’adoption internationale avec ce pays (voir ci-dessous).
48. Si, à long terme, les réformes des processus d’adoption sont largement profitables à l’intégrité des systèmes d’adoption, il n’en va pas toujours de même de l’interruption des adoptions qui, à court terme, peut avoir des conséquences négatives graves pour les enfants concernés par une procédure au moment de la suspension. Tel est le cas, en particulier, des enfants déjà considérés comme «adoptables» par l’autorité centrale ou par un organisme agréé et qui, par conséquent, sont en attente d’une famille ou d’une solution de prise en charge à long terme. Parfois, ce type d’«affaires en suspens» peut rester enlisé pendant longtemps, ce qui n’est certainement pas cohérent avec le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans certains cas, il se peut même qu’un attachement entre l’enfant et les adoptants soit déjà né et que l’adoption ait atteint un stade avancé. Arrêter une adoption à cette étape tardive peut avoir des effets négatifs sans précédent sur un enfant ayant besoin d’une famille aimante et, ainsi, prolonger sa souffrance.
49. Selon le Guide de bonnes pratiques (no 1) de la Convention de La Haye 2008, reconnaissant l’équilibre à trouver pour imposer un moratoire, le mieux est de veiller à maintenir une constante communication entre les autorités centrales. Les prévisions de moratoires seront donc communiquées à d’autres autorités centrales et, ainsi, il sera possible d’accélérer le processus des adoptions arrivées à des étapes avancées avant que ne commence le moratoire 
			(50) 
			Guide de bonnes pratiques
2008, voir la note de bas de page n° 5..

4.4. Catastrophes humanitaires

50. Après une catastrophe humanitaire (conflit ou catastrophe naturelle, par exemple), très souvent, un grand nombre d'enfants se trouvent séparés de leurs parents. Dans ce genre de situation, rechercher la famille de l’enfant est de la plus haute importance et l’adoption internationale ne devrait être envisagée que si les efforts dans ce sens se révèlent infructueux. D’après les récits et témoignages, à Haïti, de nombreuses adoptions ont été menées à la hâte après le séisme de 2010 
			(51) 
			Résumé:
Haïti: «Accélérer» les adoptions internationales suite à une catastrophe
naturelle, Document d’information n° 4 à l’intention de la Commission
spéciale de juin 2010 sur le fonctionnement pratique de la Convention
de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération
en matière d’adoption internationale.. En conséquence, la question des catastrophes humanitaires a également été prise en compte par l'Assemblée parlementaire dans sa Résolution 1850 (2011) «Ce que l’Europe peut faire pour les enfants de régions ravagées par un désastre naturel et en situation de crise: les exemples d’Haïti et de l’Afghanistan».
51. A Haïti, en particulier, une ONG américaine, New Life Children’s Refugee Group, avait tenté de «sauver» des enfants et de les transporter vers la République dominicaine pour un placement institutionnel. Le groupe s’est vu arrêté par les autorités haïtiennes et incarcéré pour plusieurs crimes, notamment enlèvement et traite d’enfants 
			(52) 
			Karen Smith Rotabi,
«Vulnerable children in the aftermath of Haiti’s earthquake of 2010:
A call for sound policy and processes to prevent international child
sales and theft», Journal of Global Social
Work Practice, volume 3, n° 1, mai/juin 2010, <a href='www.globalsocialwork.org'>www.globalsocialwork.org.</a>. Cet exemple montre que, dans bon nombre de situations de crise, des enfants risquent fort de se voir déclarés «adoptables» alors que des membres de leur famille sont encore vivants car, le processus d’adoption étant «accéléré», il n’y a pas eu d’efforts suffisants pour rechercher la famille manquante. Cette position est partagée par l’Unicef, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, la Conférence de La Haye de droit international privé, le Comité international de la Croix Rouge ainsi que par des ONG internationales telles que Save the children et le Service social international (ISS) 
			(53) 
			Position de l’Unicef
sur l’adoption internationale 2010, voir la note de bas de page
n° 32.. Au niveau international, il conviendrait d’adopter une position commune sur l’adoption internationale à la suite de catastrophes humanitaires 
			(54) 
			Service social international:
«Les zones grises de l’adoption internationale», voir la note de
bas de page n° 23..

5. Conclusions

52. Dans certaines circonstances, l’adoption internationale peut être une solution de prise en charge à long terme intéressante pour les enfants privés de soins parentaux. En raison d’incertitudes liées aux procédures de l’adoption internationale, la tendance à adopter des enfants étrangers a connu un certain recul; mais elle reste une solution envisagée par beaucoup dans le monde occidental, où fonder une famille intervient de plus en plus tard dans la vie et où, par la suite, de nombreux couples se trouvent «involontairement sans enfant» et heureux d’accueillir comme le leur un enfant étranger.
53. Il existe des textes importants concernant l’adoption internationale et l’adoption nationale, mais tous les Etats membres du Conseil de l’Europe ne les ont pas ratifiés et ils ne sont pas toujours mis en application avec toute la rigueur voulue par la législation et les politiques nationales. Les pratiques de l’adoption internationale montrent que trop de procédures manquent encore de transparence ou qu’elles sont même illégales et qu’elles ne respectent pas pleinement l’intérêt supérieur de l’enfant.
54. Dans certains cas, il y a violation manifeste des droits humains des enfants, ceux-ci devenant victimes de criminels qui s’adonnent à l’enlèvement ou à la traite dans le but de tirer des avantages financiers de procédures d'adoption illégales, d'exploiter ces enfants ou de les livrer à des personnes qui vont les exploiter. En particulier dans le cadre de catastrophes humanitaires ou de moratoires sur l’adoption internationale, les enfants ne sont pas pleinement protégés ou peuvent se retrouver dans des «vides juridiques» – situations qui ne font que faciliter les pratiques illégales liées à l’adoption internationale.
55. Malgré les multiples efforts déjà réalisés, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent à nouveau être mis en demeure de renforcer davantage leur législation et leurs politiques nationales en la matière, en tenant compte des problèmes spécifiques posés par des questions non résolues (par exemple, les solutions de prise en charge possibles pour les enfants présentant des besoins spéciaux). Ils doivent aussi renforcer la coopération internationale afin de favoriser les échanges de bonnes pratiques en matière d’adoption internationale et de pouvoir, ensemble et efficacement, poursuivre en justice les criminels sévissant dans ce domaine.
56. Au niveau national, les procédures de l’adoption internationale doivent suivre les directives et principes de la Convention de La Haye – qui doit être encore ratifiée par d’autres pays, y compris des Etats membres du Conseil de l’Europe –, les recommandations contenues dans le Guide de bonnes pratiques 2008 (n°1) de la Convention de La Haye et la note d’orientation de l’Unicef sur les adoptions internationales dans la région ECO/CEI, ainsi que les recommandations pertinentes avancées par le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire. Cette rigueur permettra de rendre ces procédures indiscutables quant à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et à la protection de ses droits. Les travaux importants entrepris dans ce domaine par certaines ONG internationales, telles Save the children, ne sont pas non plus à négliger.
57. Si elles sont rigoureuses, les procédures et les politiques doivent se traduire par une situation où la demande des adoptants potentiels sera appariée avec le besoin de nombreux enfants de bénéficier d'une solution de prise en charge à long terme, et ce de manière équilibrée, c’est-à-dire en veillant au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant à toutes les étapes du processus et, aussi, en facilitant la recherche de solutions de prise en charge pour les enfants présentant des besoins spéciaux, soit par un soutien des politiques nationales de protection de l’enfance dans les pays d’origine, soit par l’identification d’adoptants potentiels désireux d’accueillir ce type d’enfant.
58. Au niveau du Conseil de l’Europe, les Etats membres doivent veiller à ce que la question de l’adoption internationale soit prise en compte dans le cadre de la Stratégie sur les droits de l’enfant (2012-2015) et que son processus de mise en œuvre soit considéré comme l’un des graves problèmes menaçant l’intérêt supérieur et le bien-être de l’enfant. Par ailleurs, des activités intergouvernementales adaptées doivent promouvoir l’échange de bonnes pratiques dans ce domaine, ainsi que favoriser la mise en place de solides politiques de prise en charge et de protection de l’enfant dans les pays d’origine tout en permettant aux pays d'élaborer, ensemble, des procédures d'adoption internationale rigoureuses et transparentes.