1. Introduction
1. L’adoption internationale suppose le transfert d’un
enfant de son pays («pays d’origine») vers un autre pays («pays
d’accueil») à des fins d’adoption
,
pour y être accueilli par une nouvelle famille comme son propre enfant
par le biais d’un acte juridique. Comme pour l’adoption nationale,
droits parentaux et responsabilités parentales se voient ainsi formellement
transférés des parents biologiques aux parents adoptifs. L’idéal
serait que l’adoption internationale soit seulement une des possibilités
de prise en charge envisagées pour les enfants ne pouvant demeurer
au sein de leur famille. Elle peut même s’avérer être la meilleure
solution à long terme pour certains enfants dont la sécurité ne
peut être autrement assurée ou qui risquent de rester en placement
institutionnel dans des conditions d’extrême pauvreté, ou, dans
les cas les plus durs, qui peuvent être menacés de mort, de négligence
ou d’exploitation dans leur pays natal. Selon le guide de bonnes pratiques
(2008) associé à la Convention de La Haye sur la protection des
enfants et la coopération en matière d’adoption internationale du
29 mai 1993
(«la Convention de la Haye»), l’adoption
internationale doit être intégrée à une stratégie nationale d’aide
et de protection de l’enfance
.
2. Bien que, en général, l’adoption internationale soit considérée
comme un dispositif bénéfique aux enfants, leurs droits risquent
parfois d’être violés ou menacés dans le cadre des procédures appliquées.
En effet, elles s’avèrent parfois insuffisantes pour empêcher des
pratiques contraires à l’éthique et de véritables crimes, tels que
la vente ou l’enlèvement d’enfants, la contrainte ou la manipulation
des parents biologiques, la falsification de documents et la corruption
– série de crimes que les experts internationaux nomment aussi «blanchiment
d'enfant».
3. Même lorsque ses droits sont respectés et qu’il est bien accueilli
par une famille aimante, l’enfant est souvent soumis à un traumatisme
lié au départ de son pays natal et de son milieu habituel vers un
monde qu’il ne connaît pas encore, où il est reçu par des étrangers
lui tenant désormais officiellement lieu de parents. En conséquence,
il ne faut pas oublier que l’adoption internationale est aussi une
grave atteinte aux droits fondamentaux d’un enfant, quel que puisse
être le résultat final d’une telle intervention. Dans des conditions ordinaires,
la famille biologique est considérée comme le milieu le plus favorable
à l’enfant. Aussi les politiques publiques appliquées aux fins du
bien-être de l’enfant doivent-elles d’abord et avant tout viser
à maintenir celui-ci au sein de son milieu familial d'origine. C’est
seulement si les circonstances ne permettent pas cette stabilité que
l’on pourra envisager d’autres solutions de prise en charge
.
4. Dans la Convention des Nations Unies de 1989 relative aux
droits de l’enfant, les Etats parties à la convention reconnaissent
«que l’enfant, pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité,
doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur,
d’amour et de compréhension» et que dans «toutes les décisions qui
concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions
publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur
de l'enfant doit être une considération primordiale»
.
L’on peut directement en déduire deux impératifs: d’une part, le
droit des enfants à un milieu familial aimant et, d’autre part,
la nécessité de donner la priorité à l’intérêt supérieur des enfants
dans toute décision les concernant. En revanche, aucune norme juridique
ne prévoit un «droit» des adultes à un enfant à eux.
5. Avec le présent rapport – préparé sur la base de mon travail
en tant qu’actuelle rapporteure générale sur les enfants de l’Assemblée
parlementaire, en tant que membre du parlement allemand (Bundestag)
et de sa commission permanente sur les enfants et, depuis des années,
en tant que militante pour les droits de l’enfant dans de multiples
organisations caritatives au niveau national – je souhaiterais montrer
comment les droits des enfants peuvent être mis en péril dans le
cadre des procédures d’adoption internationale et quelle action
s’impose. J’invite instamment l'Assemblée parlementaire à envoyer
un nouveau signal fort et un appel aux Etats membres du Conseil
de l’Europe pour qu’ils s’engagent résolument à prendre des mesures juridiques
et politiques adéquates. Ce faisant, je m’appuie sur de précédents
travaux de l'Assemblée, telles que la
Recommandation 1443 (2000) «Pour un respect des droits de l’enfant dans l’adoption
internationale» et la
Recommandation
1828 (2008) «Disparition de nouveau-nés aux fins d’adoption illégale
en Europe».
6. Pour illustrer quelques-uns des enjeux pratiques au niveau
national, je souhaiterais brièvement présenter la situation de mon
propre pays, l'Allemagne. J’ai en particulier pu obtenir des informations actualisées
sur les enjeux liés à l’adoption internationale, tels que perçus
dans le pays d’accueil qu’est l’Allemagne, lors de la conférence
annuelle du Bureau central fédéral pour l’adoption internationale (Bundeszentralstelle für Auslandsadoption –
BZAA) tenue à Bonn les 23 et 24 novembre 2011.
2. L’adoption
internationale: évolution et controverses
2.1. L’adoption internationale
hier et aujourd’hui
7. Bien que l’adoption existe de manière informelle
depuis des siècles, l’adoption internationale est une pratique relativement
nouvelle. Une tendance à l’adoption internationale est apparue comme
réponse humanitaire à la multitude des enfants rendus orphelins
par la seconde guerre mondiale. Dans certains pays comme le Royaume-Uni,
cette situation a même conduit à des chapitres particulièrement
douloureux de l’adoption internationale. Après une longue tradition
d'envoi d'enfants britanniques à l'étranger pour adoption, qui a
débuté avec une centaine d'enfants envoyés par bateau de Londres
à Richmond, en Virginie, en 1618, les derniers cas ont été observés
au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsqu’environ 3 300
enfants ont été envoyés en Australie, tandis que la Nouvelle-Zélande,
la Rhodésie (le Zimbabwe depuis 1980) et le Canada accueillaient
1 000 enfants au total
. Le sort de ces enfants a été décrit
par plusieurs documentaires montrant l’expérience douloureuse de
nombre de ces «enfants perdus», qui étaient expulsés, soumis à des mauvais
traitements ou à des abus ou à qui on refusait de donner toute information
sur leurs véritables origines et identité
.
Même si ces pratiques de «blanchiment d'enfant» à grande échelle
se heurteraient probablement aujourd’hui à davantage de difficultés
en raison des programmes de protection sociale, des outils de communication
et des conditions juridiques modernes, il est important de garder
ces anciens cas présents à l'esprit et de rester conscient de la
vulnérabilité des enfants dans de telles situations.
8. Les migrations d'enfants à des fins d'adoption ont pu également
être observées à la fin de la guerre du Vietnam: confrontés à la
famine et au siège de Saigon par les Viêt-Cong, pendant l'opération
dite
Babylift, en 1975 environ
2 000 enfants ont été envoyés par avion aux Etats-Unis et 1 300
autres au Canada, en Europe et en Australie; un grand nombre de
ces enfants n'étaient apparemment pas des orphelins mais avaient
été abandonnés à la naissance parce que leurs pères étaient des
GI américains
. Quelques années auparavant, la volonté
de sauver les enfants qui avaient été blessés pendant la guerre
avait entre autres abouti, en 1967, à la création de l'association
Terre des Hommes Allemagne, qui facilitait l'adoption de certains
de ces enfants
.
9. Plus récemment, le début des années 1990 a connu une nouvelle
vague d’adoptions, lorsque les pays d’Europe centrale et orientale
se sont ouverts puis trouvés envahis par des couples et des organismes d’Europe
occidentale et des Etats-Unis désireux d’adopter des enfants placés
en orphelinat. Depuis le milieu des années 1990, le nombre des adoptions
internationales s’est accru tous les ans à travers le monde, atteignant
un niveau record en 2004 avec plus de 42 000 adoptions internationales
traitées pour cette seule année
.
10. Face à certaines tendances et développements propres aux sociétés
modernes, de plus en plus de personnes se tournent vers l’adoption
internationale. Dans bon nombre de pays, le moment choisi pour fonder une
famille tend à reculer. Mères et pères, quelquefois pour des raisons
de développement professionnel et de carrière, sont en moyenne plus
âgés que dans les précédentes générations. Compte tenu des taux
de procréation et de fécondité plus faibles chez des parents potentiels
plus âgés (parfois appelés «involontairement sans enfant» en Allemagne),
la solution de l’adoption internationale devient de plus en plus tentante
étant donné le souhait, tout à fait compréhensible, de l’individu
– et de la société – de se reproduire.
11. Ces dernières années, néanmoins, le nombre des adoptions internationales
a baissé
: déjà descendu à 40 000
en 2006, il est tombé à environ 25 000
en 2011. Parmi les pays ayant connu une forte diminution de l’adoption
d’enfants étrangers, citons l’Espagne et la France, où ce taux a
baissé respectivement de 48 % et de 14 % entre 2004 et 2010
. Ces tendances seraient liées, du
moins en partie, à un changement des comportements et à des politiques
gouvernementales plus restrictives en matière d’adoption internationale. Selon
des experts, si jamais la baisse des adoptions dans le monde devait
s’inverser, c’est sans doute l’Afrique qui se trouverait en première
ligne, où l’Ethiopie est apparue ces dernières années comme une
«source première» d'orphelins «disponibles» pour l'adoption internationale
.
2.2. L’adoption internationale:
controverses et questions éthiques
12. L’adoption internationale est source de nombreux
débats et, souvent, de controverses. Plus que jamais, les solutions
de prise en charge de l’enfant dans son pays d’origine sont recherchées,
efforts très appréciés des organisations de protection de l’enfance
partout où ils améliorent vraiment la situation des enfants privés de
soins parentaux. L’Unicef, par exemple, promeut fermement la «règle
de subsidiarité» édictée par la Convention de La Haye (voir plus
loin); autrement dit, l’adoption internationale ne doit jamais se
faire au détriment de solutions nationales adéquates. Dans l’esprit
de la Convention de La Haye, l’agence des Nations Unies déclare
même que les pays d’accueil doivent favoriser la mise en place de
services de protection de la famille et de l’enfant dans le pays
d’origine
.
13. Certains experts craignent que l’adoption internationale n’empêche
de consacrer des ressources au développement de solutions de prise
en charge de qualité dans le pays d’origine
.
Dans certains cas, ils ont constaté que la disponibilité et l’importance
de l’adoption internationale ont pu conduire des parents à abandonner
leurs enfants en institution dans l’espoir qu'ils puissent accéder
à une vie meilleure dans un pays occidental
. Enfin, des experts estiment aussi
que l’adoption internationale est en butte aux critiques de ceux qui
agitent le drapeau des droits de l'homme et que, puisqu’elle reconnaît
à juste titre les enfants en tant que citoyens d’une communauté
mondiale jouissant de droits humains fondamentaux, elle ne doit
pas être appliquée de manière trop restrictive
.
14. Si le nombre d’adoptions traitées chaque année est en baisse,
tel n’est pas le cas du nombre d’adoptants potentiels en attente
d’un enfant
. De fait, la «demande»
d’enfants par voie d’adoption internationale est plus forte que
jamais, d’où de longues listes d’attente pour les futurs parents
adoptifs. Cette situation est très inquiétante car il est à craindre
qu’une forte demande engendre une offre, notamment du fait des grosses
sommes d’argent que les futurs adoptants sont prêts à dépenser pour
obtenir une adoption; ce qui, malheureusement, risque de stimuler
les pratiques frauduleuses. Par cet afflux d’argent occidental dans des
pays pauvres, l’adoption devient un «commerce» très rentable.
15. Cette situation présente un risque extrêmement grave pour
l’adoption internationale, ainsi que pour les droits des enfants
concernés. La faute la plus énorme comprend le «blanchiment d'enfant»
– c’est-à-dire le transfert illégal d’enfants en les achetant à
leurs familles naturelles ou en les kidnappant, pour ensuite les «blanchir»
via des systèmes d’adoption en les faisant passer pour «orphelins»
puis pour «adoptables»
–
ou, même, la «production» d’enfants pour adoption par le biais de
«fermes de bébés»
.
Dans ces cas de figure, l’enfant n’est rien de plus qu’une marchandise
à vendre au plus offrant.
16. Beaucoup d’efforts ont été déployés ces dernières années pour
mettre un terme à ce type de pratiques illégales en interrompant
les relations avec certains pays d’origine. Les Etats-Unis, qui,
par le passé, ont accueilli la moitié des adoptions internationales
annuelles, ont connu une baisse de plus de 60 % avec à peine plus
de 9 000 adoptions en 2011. Après des expériences négatives de corruption,
de bénéfices excessifs et de «blanchiment d'enfant» dans le cas
du Guatemala, par exemple, le nombre des adoptions internationales en
provenance de ce pays vers les Etats-Unis a chuté, passant de 4 000 en
2008 à tout juste 32 en 2011; le Guatemala a d’ailleurs été le premier
pays (suivi plus tard par d’autres) dont la volonté d’adhérer à
la Convention de La Haye a suscité les objections d’un certain nombre
de pays d’accueil, en raison des conditions inacceptables en matière
d’adoption internationale. Il y a quelques années, des pratiques
illégales d’adoption ont été découvertes en Inde par un groupe de
parents adoptifs allemands. Dans ce cas et d’autres semblables en
Inde, l’on s’est aperçu de l’implication occasionnelle d’institutions
religieuses, qui justifiaient leur action par des motivations humanitaires
.
17. Malgré les efforts déployés au niveau international pour lutter
contre ces activités illégales, le «blanchiment d'enfant» demeure
«un problème systémique dans le système d’adoption internationale contemporain»
,
ce qui nuit à la légitimité et à la viabilité de ce type d’adoption.
De même que d’autres problèmes criminels dans ce domaine, le «blanchiment
d'enfant» inflige aux familles concernées une souffrance sans précédent.
Les enfants kidnappés sont soumis à une séparation inutile de leurs
familles naturelles tandis que toutes les parties concernées se
trouvent confrontées à des difficultés psychologiques si, des années
plus tard, elles apprennent la véritable identité de l’enfant. Afin
d’éviter les pratiques de «blanchiment d’enfant», que ce soit à
grande échelle comme dans les cas historiques ou sur une base plus individuelle,
il est de la plus haute importance que l'origine et l'identité personnelle
des enfants privés de protection parentale puissent être établies
par des documents de la manière la plus exhaustive possible avant et
après une adoption quelle qu’elle soit. Enfin, et même si les cas
semblent rares, un autre crime menace les enfants adoptifs: les
abus sexuels ou physiques par leurs nouveaux parents, de qui l’enfant
dépend entièrement à son arrivée dans le pays d’accueil.
18. Une autre question de plus en plus inquiétante reste non résolue:
celle de l’«adoptabilité» des enfants présentant des «besoins spéciaux»,
car le nombre de gens désireux et en mesure d’adopter ces enfants
se situe bien au-dessous du niveau requis. Selon l’Unicef, en 2005,
la seule Ukraine enregistrait quelque 24 000 cas dans sa base de
données d’enfants légalement disponibles pour adoption à l’étranger;
or, dans leur grande majorité, ces enfants étaient atteints d'une
maladie ou d’un handicap grave, faisaient partie d’une fratrie ou
n’avaient pas été jugés juridiquement adoptables à un plus jeune
âge et peu avaient de réelles chances d’être adoptés. Pour ces enfants
tout particulièrement, les processus d’adoption doivent garantir
que seuls les candidats dotés d’autorisations adéquates ont le droit
de soumettre un dossier de demande
.
19. Face aux controverses et aux difficultés liées à l’adoption
internationale, j’estime que les Etats membres du Conseil de l’Europe
doivent opter pour une position équilibrée: le système de l’adoption
internationale est à renforcer chaque fois que possible afin de
répondre aussi bien à la demande d’un nombre croissant de personnes
désireuses d’adopter qu’au besoin des enfants pour qui l’adoption
internationale pourrait être la meilleure solution de prise en charge
à long terme, et ce tout en veillant à ce que les procédures appliquées soient
aussi transparentes que possible et à ce que toutes les parties
prenantes soient protégées contre les activités illégales et criminelles.
3. Normes et procédures
juridiques en matière d’adoption internationale
3.1. La Convention de
La Haye relative à l’adoption internationale
20. La Convention de La Haye sur la protection des enfants
et la coopération en matière d’adoption internationale fixe le cadre
de coopération internationale en matière d’adoption internationale.
Elle repose sur l’article 21 de la Convention des Nations Unies
relative aux droits de l’enfant. L’objectif de la Convention de
La Haye n’est pas d’encourager, ni de dissuader à s’engager dans
une adoption internationale, mais bien plutôt d’établir des garanties
pour réglementer le processus. La convention stipule que l’intérêt
supérieur de l’enfant doit primer à tout moment sur toute autre
considération, ainsi que le prescrit à la toute première ligne l’article 1: «La
présente Convention a pour objet: (…) d’établir des garanties pour
que les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt supérieur
de l’enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont
reconnus en droit international (…)»
.
Elle vise aussi à assurer la transparence et l’éthique des adoptions.
La convention n’est contraignante que pour les pays l’ayant ratifiée,
soit actuellement 58 pays. D'autres pays ayant adhéré à la convention,
le nombre des parties contractantes est actuellement de 89
,
.
Parmi eux figurent la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe
.
21. Parallèlement au principe primordial imposant d’agir à tout
moment dans l’intérêt supérieur de l’enfant, la Convention de La
Haye consacre le principe de subsidiarité. En d’autres termes, les
solutions de prise en charge disponibles dans le pays d’origine
priment sur l’adoption internationale. Dans la mesure du possible, l’enfant
doit être élevé par sa famille ou sa famille élargie; si cette solution
n’est pas envisageable, il convient d’examiner d’autres formes de
prise en charge dans le pays d’origine (tel que le placement dans
une famille d’accueil). Au nombre des conséquences de la ratification
croissante de la Convention de La Haye, on peut s’attendre à la
probable intégration de ces principes aux politiques nationales
d’adoption des pays parties, notamment dans les Etats membres du
Conseil de l’Europe. Cette situation entraîne un changement radical des
tendances en matière d’adoption internationale. Ainsi, en 2005,
14 000 enfants en provenance de Chine étaient adoptés, chiffre tombé
à 6 000 trois ans après que ce pays a ratifié la Convention de La
Haye
.
22. En 2010, l’Unicef a exposé sa position en faveur de l’adoption
internationale lorsque celle-ci est menée conformément aux normes
et principes de la Convention de La Haye
. Selon l’ONG internationale
Save the Children, les adoptions
internationales ne devraient avoir lieu que si le pays d’origine
et le pays d’accueil sont, l’un et l’autre, signataires de la Convention
de La Haye
. Cette
condition permettrait d’assurer que les deux pays, d’origine et
d’accueil, adhèrent à la meilleure norme internationale et, donc,
privilégient l’intérêt supérieur de l’enfant. S’engager dans un
processus d’adoption avec des pays non signataires de la Convention
de La Haye ne peut garantir le même respect de l’intérêt supérieur
de l’enfant.
3.2. La Convention européenne
en matière d’adoption des enfants et les textes apparentés du Conseil
de l’Europe
23. La première Convention européenne en matière d’adoption
des enfants (STE n° 58) est entrée en vigueur en 1967. Etant donné
les changements sociaux considérables intervenus en quarante ans
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, on a estimé que les
normes dans ce domaine nécessitaient une révision. En 2008, la Convention
européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) (STCE n°
202) a été ouverte à signature. A ce jour, 15 Etats membres sont
signataires de la convention révisée, dont sept l’ont ratifiée.
La convention révisée porte essentiellement sur le droit en matière
d’adoption nationale. Ses articles 12 et 15 s’appliquent directement
à l’adoption internationale et il faut espérer que cette convention apportera
un complément efficace à la Convention de La Haye. De surcroît,
la convention confirme notamment que le principe primordial consistant
à agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant sera applicable à toutes
les adoptions, aussi bien nationales qu’internationales.
24. La constance des activités illégales pouvant être liées à
l’adoption internationale souligne l’importance de deux autres textes
juridiques que les Etats membres doivent rigoureusement mettre en
œuvre pour protéger pleinement les enfants contre ce type de crimes:
la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains (STCE n° 197) et la
Convention pour la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels (STCE n° 201), plus
connue sous le nom de «Convention de Lanzarote».
3.3. Le principe de
l’intérêt supérieur
25. «L’enfant est l’étoile fixe dans la constellation
de l’adoption»
.
Reconnaissant le fait que l’enfant adopté est la partie vulnérable
d’un processus contrôlé par des adultes, la Convention de La Haye
et la Convention européenne en matière d’adoption (révisée) prévoient
toutes deux que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur
toute autre considération dans le processus d’adoption. Aussi faut-il
garder à l’esprit que l’objet de l’adoption est de trouver une famille
pour un enfant et non un enfant pour une famille.
26. Bien que le principe de l’intérêt supérieur soit d’une importance
cruciale, il reste largement sujet à malentendu
. La Convention
de La Haye convient que, pour agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant,
celui-ci doit grandir dans un environnement familial
, que la permanence est préférable
à des mesures temporaires
et que l’adoption internationale
peut offrir l’avantage d’une famille permanente lorsqu’il n’est
pas possible de trouver une famille adaptée pour l’enfant dans le
pays d’origine
.
Le malentendu réside dans le fait que cette interprétation du principe
de l’intérêt supérieur passe pour une sorte de «carte maîtresse»
ou de «super-droit» qui l’emporte sur tous les autres droits. C’est
faux.
27. Dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme, le principe de l’intérêt supérieur est de première importance.
La Cour a fondé certaines de ses décisions concernant l’adoption
internationale sur ce principe même. Le poids considérable que la
Cour attache à ce principe en souligne l’importance dans le cadre
des adoptions internationales, ainsi qu’en témoignent les exemples
suivants.
3.3.1. Pini et Bertani
& Manera et Atripaldi c. Roumanie
28. Cette affaire concernait des requêtes émanant de
deux couples adoptifs italiens. Selon eux, le refus de la Roumanie
d'exécuter les ordres d'adoption relatifs à deux fillettes roumaines
violait le droit à une vie familiale, droit prescrit par l’article 8
de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5, «la Convention»).
La Cour a mis en avant le souhait des enfants de rester où elles
étaient, à quoi s’ajoutait le fait qu’elles n’avaient jamais rencontré
leurs futurs parents. La Cour a considéré que «leur intérêt était
de ne pas se voir imposer, contre leur gré, la création de relations
affectives avec des personnes avec lesquelles elles [n’étaient]
pas unies par un lien biologique et qu’elles percevaient comme des
étrangers». Ainsi aucune violation du droit à une vie familiale
n’a été constatée.
3.3.2. Wagner et JMWL
c. Luxembourg
29. Cette affaire concernait la décision d’un tribunal
luxembourgeois de refuser de reconnaître un ordre d’adoption péruvien.
La décision s’appuyait sur le fait que l’enfant en question avait
été adopté par une femme seule. L’ordre aurait été reconnu si l’adoption
avait été demandée par un couple marié. De ce fait, les requérants
rencontraient des obstacles dans la vie courante et l’enfant ne
bénéficiait pas de la protection juridique qui lui aurait permis
de pleinement s’intégrer à sa famille adoptive. Ce refus constituait-il
une violation de l’article 8 sur le droit à une vie familiale? Pour
en décider, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré
que le refus ne prenait pas en compte l’intérêt supérieur de l’enfant,
intérêt qui, dans cette affaire, devait primer.
30. Il est encourageant de voir que, dans l’affaire Pini, la Cour a privilégié l’intérêt
supérieur de l’enfant par rapport au droit à une vie familiale prescrit
à l’article 8, droit qui, en d’autres circonstances, est considéré comme
une solide protection selon la Convention. La Cour fait montre d’un
réel engagement à assurer la protection de l’intérêt supérieur de
l’enfant. Par une constante promotion des normes internationales,
il faut veiller à ce que les tribunaux nationaux fassent de même.
Cela vaut pour l’affaire Wagner, où l’intérêt supérieur de l’enfant
a primé sur le statut spécial accordé aux couples mariés par la
législation du Luxembourg.
3.4. Procédures en matière
d’adoption internationale: la théorie et la pratique
3.4.1. La procédure ordinaire
en matière d’adoption internationale selon la Convention de La Haye
31. La convention contient des dispositions procédurales
tout à fait détaillées. En 2008, elle a été complétée par le Guide
de bonnes pratiques (Guide n°1), qui
peut servir de manuel pour «la mise en œuvre et le fonctionnement»
de la Convention de La Haye
.
La principale structure que fournit la convention, et que les nouveaux
signataires doivent mettre en place, est constituée par une autorité
centrale chargée de superviser le système et les procédures d'adoption
en vigueur dans un pays. Outre la responsabilité de la communication et
de la coordination avec les autorités centrales d’autres pays parties
à la Convention de La Haye, le réseau d'autorités centrales constitue
le principal dispositif que la convention a essayé de mettre en
place pour réformer le système d’adoption internationale. L’autorité
centrale, directement ou avec le concours d’instances publiques,
doit privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant et «empêcher toute
pratique contraire aux objectifs de la Convention»
.
L’autorité centrale, ainsi que les instances publiques qui lui sont
directement liées, constituent donc pour la convention la défense
de première ligne contre les pratiques visant à supplanter l’intérêt
supérieur de l’enfant.
32. La procédure d’adoption internationale prescrite par la Convention
de La Haye (articles 14 à 22 –; Conditions procédurales) comprend
plusieurs étapes assurant à la fois la capacité des futurs parents
à adopter et la nécessité pour l’enfant adoptif de cette solution
de prise en charge. Généralement, ces étapes se déclinent ainsi:
dépôt d’une requête officielle par les futurs adoptants, préparation
d’un rapport sur leur situation personnelle et leur capacité légale,
identification d’un enfant «approprié», vérification que toutes
les conditions satisfont à une adoption formelle, au transfert de
l’enfant, à la décision sur toute mesure complémentaire requise
(périodes d’attachement ou d’essai, par exemple) et, au besoin,
à la décision de nouveau placement si la première famille choisie
n’est pas adaptée à l’intérêt supérieur de l’enfant.
33. Dans les adoptions internationales où pays d’origine et pays
d’accueil sont tous deux parties à la Convention de La Haye, les
adoptants peuvent généralement compter sur le fait que la sélection
de l’enfant qu’ils vont adopter – c’est-à-dire le processus dit
d’«apparentement» – s’est déroulée conformément aux règles et aux
procédures définies par la convention. Naturellement, la procédure
ordinaire aura été adaptée au contexte national spécifique par les
autorités publiques des Etats parties et, dans certains cas, elle
pourra s’avérer insuffisamment mise en application ou supervisée;
ce qui peut engendrer des problèmes risquant de mettre en péril
l’intérêt supérieur de l’enfant (voir plus loin).
3.4.2. L’exemple de l’Allemagne:
les enjeux de l’adoption internationale tels que perçus au niveau national
34. L’Allemagne est partie à la Convention de La Haye
depuis mars 2002; elle n’a pas encore ratifié la Convention européenne
en matière d’adoption des enfants (révisée). L’autorité centrale
responsable de l’adoption internationale est le Bureau central fédéral
pour l’adoption internationale (Bundeszentralstelle
für Auslandsadoption – BZAA), qui fait partie de l’Office
fédéral de la Justice (Bundesamt für
Justiz – BfJ). Il assure un suivi régulier de tous les
organismes agréés en matière d’adoption dans le pays. Ceux-ci comprennent 12 bureaux
publics d’adoption dirigés par les administrations des Etats régionaux (Länder), qui jouent le rôle d’agents
d’adoption internationale et sont chargés d’autoriser et de superviser
les autres agences d’adoption, ainsi que 13 agences privées certifiées
en matière d’adoption (ONG) dans différentes régions et villes allemandes.
En Allemagne, les organismes publics d’adoption sont obligés de
traiter les adoptions concernant les Etats parties à la Convention
de La Haye et peuvent gérer des adoptions avec des Etats non parties.
Les agences privées d’adoption peuvent aussi gérer des adoptions
avec des Etats parties ou non parties, selon les autorisations qui
leur sont accordées (une autorisation spécifique est requise pour
chaque pays).
35. Un échange approfondi entre toutes les agences allemandes
qui a eu lieu lors de leur dernière conférence annuelle, à Bonn,
les 23 et 24 novembre 2011, à l’invitation de la BZAA m’a donné
un excellent aperçu des enjeux actuels de l’adoption internationale
tels que perçus par des acteurs nationaux, dont je souhaiterais
faire part aux autres membres de l'Assemblée parlementaire. Cependant,
il manque des données nationales solides dans ce domaine. Le seul
chiffre pouvant être obtenu (mais qui reste en-deçà du nombre réel
de procédures d’adoption terminées) est celui du nombre d’adoptions
reconnues par les tribunaux allemands des affaires familiales (10 164
entre 2002 et 2011). Les adoptions privées, pour lesquelles aucune reconnaissance
formelle n’est demandée, ne figurent jamais dans les statistiques.
Toutefois, on sait que les principaux pays d’origine d’enfants devant
être adoptés en Allemagne sont la Fédération de Russie, le Kazakhstan,
l’Ukraine, la Thaïlande, la Colombie, la Turquie, l’Ethiopie, Haïti
et l’Afrique du Sud – représentant chacun plus de 300 cas d’adoption
pendant la période concernée
.
36. Malgré l’existence d’institutions et de mécanismes efficaces
assurant, généralement avec le concours d’organismes agréés, un
suivi transparent des procédures d’adoption internationale, on observe
encore tous les ans un grand nombre d’adoptions privées (et, parfois,
illégales) – environ 250-280 cas. Conscient de la fréquence de ces
activités illégales, la BZAA recommande catégoriquement à tous les
adoptants potentiels de ne pas s’engager dans une adoption internationale
sans faire appel à une agence agréée en matière d’adoption. Il y
a tout lieu de se méfier, en particulier, si des juristes ou autres
«experts» offrent une aide rapide et sans formalités bureaucratiques
en échange de grosses sommes d’argent
.
37. Voici quelques-unes des autres tendances et attitudes observées
dans le domaine de l’adoption internationale en Allemagne:
- il y a beaucoup plus de demandeurs
que d’enfants en attente d’adoption internationale;
- l’âge des parents ou des familles cherchant à adopter
est manifestement en hausse;
- de plus en plus, les parents adoptifs souhaitent adopter
l’enfant de leurs rêves, qui doit être aussi jeune que possible
(de préférence moins d’un an) et sans aucune pathologie visible
ou attendue;
- les parents adoptifs potentiels semblent penser qu’ils
ont le droit tout à fait légitime d’adopter un enfant étranger;
- face à certaines situations de crise observées à travers
le monde, les adoptants potentiels semblent croire que l’adoption
d’un enfant étranger est un acte humanitaire;
- il semble y avoir peu de prise de conscience ou d’empathie
quant au traumatisme que vivra l’enfant à l’occasion de l’adoption;
- l’attitude des tiers, souvent très négative, n’apporte
pas de soutien aux adoptants potentiels («Combien avez-vous payé
votre enfant?»).
38. Ces tendances et attitudes représentent des défis particuliers
à relever par les organismes d’adoption. Etant donné la forte «demande»
d’enfants à adopter, les nombreux adoptants potentiels sont prêts
à débourser de grosses sommes d’argent pour accueillir un enfant,
ce qui fait d’eux des cibles faciles pour les activités illégales
et criminelles et contribue généralement à la «commercialisation»
mondiale des enfants.
39. Pour diverses raisons, nombreux sont les adultes en Europe
qui reportent le moment de fonder une famille à des étapes ultérieures
de la vie; cette tendance s’observe aussi en Allemagne où, en 2010,
l’indice de fécondité était globalement de 1,39 enfant par femme
. Avec l’accroissement du désir d’enfant,
beaucoup de couples «involontairement sans enfant» se tournent alors
vers la solution de l’adoption internationale. Résultat de cette
tendance: les adoptants potentiels ont un âge de plus en plus avancé.
En Allemagne, la législation ne prévoit pas d’âge maximal pour l’adoption
ni de différence d’âge maximale entre les adoptants et l’enfant
adopté. Cependant, une différence d’âge maximale de 40 ans entre
les parents adoptifs et les enfants a été vivement recommandée par
le groupe de travail fédéral des offices de la jeunesse des Länder
(Bundesarbeitsgemeinschaft der Landesjugendämter).
40. Dans un contexte où les enfants sont quasiment traités comme
un «bien» précieux donnant lieu, dans certains cas, à des échanges
d’argent considérables, les attentes des futurs adoptants sont de
plus en plus élevées: ils recherchent un enfant qui soit aussi jeune
que possible et en bonne santé. Or, dans la pratique, il est plus
facile de trouver des solutions de prise en charge de très jeunes
enfants dans le contexte national (familles d’accueil, adoptions
nationales) et, parfois, ce sont plutôt les enfants plus âgés qui
ont besoin d'une nouvelle famille à l'étranger. Cela vaut pour les
enfants présentant divers problèmes de santé – par exemple, les
conséquences du syndrome alcoolique fœtal (SAF), de plus en plus
observées chez les enfants adoptés venant de pays pauvres – ou des
handicaps; pour eux, il est plus difficile de trouver des solutions.
Pour beaucoup de futurs adoptants, accueillir un enfant malade est
exclu. Dans certains cas constatés par des agences en Allemagne,
des parents adoptifs ont même essayé de se dégager de la responsabilité
d’un enfant malade parce qu’ils n’arrivaient pas à faire face aux
problèmes posés par une situation à laquelle ils n’avaient pas été
préparés à l’avance. Pour l’enfant, devoir quitter une famille adoptive
représente une expérience traumatisante de plus.
41. D’après l’expérience d’agences allemandes sur le terrain,
les procédures d’adoption internationale appliquées au niveau national
ne devraient pas se limiter à un simple processus d’appariement
entre parents disponibles et enfants disponibles. Parents adoptifs
et enfants adoptifs devraient bénéficier d’une aide professionnelle
très complète, notamment psychologique, les préparant à cette nouvelle
situation de la vie. Les frustrations que provoque l’insatisfaction
de fortes attentes nourries au début du processus peuvent constituer une
nouvelle expérience traumatisante, tant pour les enfants que pour
les parents. C’est pourquoi il est jugé très important de suivre
les enfants adoptifs bien au-delà de l’étape officielle de l’adoption,
notamment concernant leur intégration à la nouvelle famille et au
nouveau milieu culturel.
4. Insuffisances de
l’action juridique et politique: des menaces pour l’intérêt supérieur
de l’enfant
4.1. Mise en œuvre inefficace
de la Convention de La Haye
42. Les experts ont identifié la mise en œuvre inefficace
de la Convention de La Haye comme principale cause de l’incidence
persistante de pratiques d’adoption abusives; cette inefficacité
est aussi parfois due à une ratification prématurée de la Convention
– c’est-à-dire avant même la mise à jour de mécanismes internes. Non
seulement les pays d’origine, où se perpétuent des actes criminels
de «blanchiment d'enfant», se rendent coupables de graves erreurs
de mise en œuvre, mais les pays d’accueil, y compris des Etats membres
du Conseil de l’Europe, ont manqué à leurs engagements envers des
enfants faute de supervision rigoureuse des processus d’adoption
.
Aussi les pays d’origine et d’accueil doivent-ils, par le biais
d’une coopération étroite et permanente, assumer ensemble la responsabilité
de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant continue à primer
sur toute autre considération d’un bout à l’autre des procédures
d’adoption internationale.
43. Les pratiques de l’adoption internationale montrent aussi
que la simple existence d’une autorité centrale et d’autres signes
officiels de la Convention de La Haye ne suffit pas toujours à empêcher
les délits, en particulier le «blanchiment d'enfant» – comme en
témoigne l’exemple de l’Inde
. Ce pays
continue de souffrir de scandales en matière d’adoption, même après
la ratification, en 2003, de la Convention de La Haye. L’autorité
centrale indienne (CARA) a déclaré un moratoire sur les adoptions
le 1er juillet 2011 afin de soumettre
son système à une profonde réforme. Une fois encore, cet exemple
montre l’importance de procédures d’adoption totalement transparentes,
qui exigent un dossier complet sur l’enfant et sur son origine, ainsi
que le droit de l’enfant de consulter ce dossier au plus tard à
l’âge de la majorité légale.
4.2. Adoptions internationales
hors Convention de La Haye
44. De même que la pratique nationale n’interdit pas
les adoptions internationales avec des pays non parties à la Convention
de La Haye (voir plus haut l'exemple de l’Allemagne), celle-ci ne
proscrit pas les accords d’adoption bilatéraux entre pays parties
et pays non parties à la convention, sous réserve que l’accord ne
soit pas contraire à la lettre de la convention. Ainsi, la France
a passé un accord bilatéral avec le Cambodge en matière d’adoption
internationale. Toutefois, ce type d’accord n’offre pas les mêmes
garanties que la Convention de La Haye et ne doit pas passer pour
des substituts équivalents.
45. Par ailleurs, la Convention de La Haye n’interdit pas les
adoptions indépendantes, même si elles sont fortement déconseillées
par bon nombre d’autorités centrales nationales. Dans une adoption
indépendante, les adoptants potentiels sont reconnus par l’autorité
centrale aptes à adopter, mais l’autorité (ou une autre agence agréée)
n'intervient pas plus avant. Les adoptants potentiels recherchent
eux-mêmes l’orphelinat où réside leur futur enfant adoptif et se
rendent de leur propre chef dans le pays d’origine, ce qui leur
fait courir de nombreux risques: sans les conseils spécialisés qu’apporte
une agence agréée, les adoptants peuvent être victimes d’intermédiaires
douteux et ne sont pas assurés de la légitimité des circonstances
dans lesquelles ils trouvent un enfant «adoptable».
46. L’Unicef est contre les adoptions indépendantes au motif que,
du point de vue des droits de l’enfant, aucun argument valable ne
tient en leur faveur
. Quant à la Convention
de La Haye, son Guide de bonnes pratiques critique les adoptions
indépendantes car elles compromettent les garanties de la convention,
en particulier pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant. De
ce fait, elle préconise l’interdiction de ce type d’adoption dans
les pays signataires de la Convention de La Haye
. Les
gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe devraient
être invités à établir des procédures visant à éliminer certains
des risques inhérents aux adoptions indépendantes. À noter que certains
pays d’accueil interdisent à leurs citoyens d’adopter dans un pays
étranger sans faire appel aux services d’une agence d’adoption agréée.
De même, certains pays d’origine exigent aussi des adoptants potentiels
qu’ils passent par une agence d’adoption reconnue
.
4.3. Moratoires
47. Un pays d’origine peut interrompre provisoirement
les adoptions durant un certain temps. Un moratoire vient souvent
en réponse à des allégations ou à des suspicions quant à la légitimité
et à la transparence du système national d’adoption. Pour l’Etat,
c’est aussi l’occasion de mener une enquête sur le système et, le
cas échéant, de le réformer. De même, un pays d’accueil peut suspendre
des procédures d’adoption internationale s’il estime que la sécurité
n’est pas pleinement assurée pour des enfants issus de certains
pays lointains. Ce fut le cas, par exemple, après le séisme de 2010
à Haïti, à la suite duquel plusieurs Etats membres européens ont
suspendu les procédures d’adoption internationale avec ce pays (voir
ci-dessous).
48. Si, à long terme, les réformes des processus d’adoption sont
largement profitables à l’intégrité des systèmes d’adoption, il
n’en va pas toujours de même de l’interruption des adoptions qui,
à court terme, peut avoir des conséquences négatives graves pour
les enfants concernés par une procédure au moment de la suspension.
Tel est le cas, en particulier, des enfants déjà considérés comme
«adoptables» par l’autorité centrale ou par un organisme agréé et
qui, par conséquent, sont en attente d’une famille ou d’une solution
de prise en charge à long terme. Parfois, ce type d’«affaires en
suspens» peut rester enlisé pendant longtemps, ce qui n’est certainement
pas cohérent avec le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans certains cas, il se peut même qu’un attachement entre l’enfant
et les adoptants soit déjà né et que l’adoption ait atteint un stade
avancé. Arrêter une adoption à cette étape tardive peut avoir des
effets négatifs sans précédent sur un enfant ayant besoin d’une
famille aimante et, ainsi, prolonger sa souffrance.
49. Selon le Guide de bonnes pratiques (no 1)
de la Convention de La Haye 2008, reconnaissant l’équilibre à trouver
pour imposer un moratoire, le mieux est de veiller à maintenir une
constante communication entre les autorités centrales. Les prévisions
de moratoires seront donc communiquées à d’autres autorités centrales et,
ainsi, il sera possible d’accélérer le processus des adoptions arrivées
à des étapes avancées avant que ne commence le moratoire
.
4.4. Catastrophes humanitaires
50. Après une catastrophe humanitaire (conflit ou catastrophe
naturelle, par exemple), très souvent, un grand nombre d'enfants
se trouvent séparés de leurs parents. Dans ce genre de situation,
rechercher la famille de l’enfant est de la plus haute importance
et l’adoption internationale ne devrait être envisagée que si les efforts
dans ce sens se révèlent infructueux. D’après les récits et témoignages,
à Haïti, de nombreuses adoptions ont été menées à la hâte après
le séisme de 2010
. En conséquence,
la question des catastrophes humanitaires a également été prise
en compte par l'Assemblée parlementaire dans sa
Résolution 1850 (2011) «Ce que l’Europe peut faire pour les enfants de régions
ravagées par un désastre naturel et en situation de crise: les exemples
d’Haïti et de l’Afghanistan».
51. A Haïti, en particulier, une ONG américaine,
New Life Children’s Refugee Group,
avait tenté de «sauver» des enfants et de les transporter vers la
République dominicaine pour un placement institutionnel. Le groupe
s’est vu arrêté par les autorités haïtiennes et incarcéré pour plusieurs
crimes, notamment enlèvement et traite d’enfants
. Cet exemple montre que, dans bon
nombre de situations de crise, des enfants risquent fort de se voir
déclarés «adoptables» alors que des membres de leur famille sont
encore vivants car, le processus d’adoption étant «accéléré», il
n’y a pas eu d’efforts suffisants pour rechercher la famille manquante.
Cette position est partagée par l’Unicef, le Haut-Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Comité des droits de l’enfant
des Nations Unies, la Conférence de La Haye de droit international privé,
le Comité international de la Croix Rouge ainsi que par des ONG
internationales telles que
Save the children et
le Service social international (ISS)
. Au niveau
international, il conviendrait d’adopter une position commune sur
l’adoption internationale à la suite de catastrophes humanitaires
.
5. Conclusions
52. Dans certaines circonstances, l’adoption internationale
peut être une solution de prise en charge à long terme intéressante
pour les enfants privés de soins parentaux. En raison d’incertitudes
liées aux procédures de l’adoption internationale, la tendance à
adopter des enfants étrangers a connu un certain recul; mais elle reste
une solution envisagée par beaucoup dans le monde occidental, où
fonder une famille intervient de plus en plus tard dans la vie et
où, par la suite, de nombreux couples se trouvent «involontairement
sans enfant» et heureux d’accueillir comme le leur un enfant étranger.
53. Il existe des textes importants concernant l’adoption internationale
et l’adoption nationale, mais tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe ne les ont pas ratifiés et ils ne sont pas toujours
mis en application avec toute la rigueur voulue par la législation
et les politiques nationales. Les pratiques de l’adoption internationale montrent
que trop de procédures manquent encore de transparence ou qu’elles
sont même illégales et qu’elles ne respectent pas pleinement l’intérêt
supérieur de l’enfant.
54. Dans certains cas, il y a violation manifeste des droits humains
des enfants, ceux-ci devenant victimes de criminels qui s’adonnent
à l’enlèvement ou à la traite dans le but de tirer des avantages
financiers de procédures d'adoption illégales, d'exploiter ces enfants
ou de les livrer à des personnes qui vont les exploiter. En particulier
dans le cadre de catastrophes humanitaires ou de moratoires sur
l’adoption internationale, les enfants ne sont pas pleinement protégés
ou peuvent se retrouver dans des «vides juridiques» – situations
qui ne font que faciliter les pratiques illégales liées à l’adoption
internationale.
55. Malgré les multiples efforts déjà réalisés, les Etats membres
du Conseil de l’Europe doivent à nouveau être mis en demeure de
renforcer davantage leur législation et leurs politiques nationales
en la matière, en tenant compte des problèmes spécifiques posés
par des questions non résolues (par exemple, les solutions de prise
en charge possibles pour les enfants présentant des besoins spéciaux).
Ils doivent aussi renforcer la coopération internationale afin de
favoriser les échanges de bonnes pratiques en matière d’adoption internationale
et de pouvoir, ensemble et efficacement, poursuivre en justice les
criminels sévissant dans ce domaine.
56. Au niveau national, les procédures de l’adoption internationale
doivent suivre les directives et principes de la Convention de La
Haye – qui doit être encore ratifiée par d’autres pays, y compris
des Etats membres du Conseil de l’Europe –, les recommandations
contenues dans le Guide de bonnes pratiques 2008 (n°1) de la Convention
de La Haye et la note d’orientation de l’Unicef sur les adoptions
internationales dans la région ECO/CEI, ainsi que les recommandations
pertinentes avancées par le Conseil de l’Europe et son Assemblée parlementaire.
Cette rigueur permettra de rendre ces procédures indiscutables quant
à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et à la
protection de ses droits. Les travaux importants entrepris dans
ce domaine par certaines ONG internationales, telles Save the children, ne sont pas non
plus à négliger.
57. Si elles sont rigoureuses, les procédures et les politiques
doivent se traduire par une situation où la demande des adoptants
potentiels sera appariée avec le besoin de nombreux enfants de bénéficier
d'une solution de prise en charge à long terme, et ce de manière
équilibrée, c’est-à-dire en veillant au respect de l’intérêt supérieur
de l’enfant à toutes les étapes du processus et, aussi, en facilitant
la recherche de solutions de prise en charge pour les enfants présentant
des besoins spéciaux, soit par un soutien des politiques nationales
de protection de l’enfance dans les pays d’origine, soit par l’identification
d’adoptants potentiels désireux d’accueillir ce type d’enfant.
58. Au niveau du Conseil de l’Europe, les Etats membres doivent
veiller à ce que la question de l’adoption internationale soit prise
en compte dans le cadre de la Stratégie sur les droits de l’enfant
(2012-2015) et que son processus de mise en œuvre soit considéré
comme l’un des graves problèmes menaçant l’intérêt supérieur et
le bien-être de l’enfant. Par ailleurs, des activités intergouvernementales
adaptées doivent promouvoir l’échange de bonnes pratiques dans ce
domaine, ainsi que favoriser la mise en place de solides politiques
de prise en charge et de protection de l’enfant dans les pays d’origine
tout en permettant aux pays d'élaborer, ensemble, des procédures
d'adoption internationale rigoureuses et transparentes.