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Rapport | Doc. 13117 | 29 janvier 2013

Nanotechnologie: la mise en balance des avantages et des risques pour la santé publique et l’environnement

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Valeriy SUDARENKOV, Fédération de Russie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12372, Renvoi 3718 du 8 octobre 2010. 2013 - Deuxième partie de session

Résumé

La nanotechnologie – la manipulation de la matière à l’échelle atomique et moléculaire – et sa myriade d’applications présentent d’énormes avantages potentiels (en particulier dans le domaine de la «nanomédecine»), mais peuvent également avoir des effets dommageables graves. Comme c’est le cas avec la plupart des nouvelles technologies, de nombreux risques, à la fois pour la santé publique et pour l’environnement, ne sont pas encore bien connus. Toutefois, les applications commerciales de la nanotechnologie sont déjà utilisées couramment. La réglementation a du mal à suivre le rythme des innovations scientifiques.

Le Conseil de l’Europe – en tant que seule organisation paneuropéenne dont le mandat englobe la protection des droits humains – devrait élaborer des normes juridiques relatives à la nanotechnologie, normes qui s’appuieront sur le principe de précaution et protégeront 800 millions d’Européens contre les risques de dommages graves liés à la nanotechnologie, sans toutefois constituer un frein à son utilisation potentiellement avantageuse. L’Assemblée devrait recommander par conséquent au Comité des Ministres d’élaborer des lignes directrices sur la mise en balance des avantages et des risques de la nanotechnologie pour la santé publique et l’environnement qui pourront servir de modèle pour établir des normes réglementaires dans le monde entier, à commencer par une étude de faisabilité confiée au Comité de bioéthique (DH-BIO) du Conseil de l’Europe.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 19 novembre 2012.

(open)
1. La nanotechnologie est la manipulation de la matière à l’échelle atomique et moléculaire. Les nanomatériaux sont constitués de structures dont les dimensions sont, typiquement, comprises entre 1 et 100 nanomètres (nm), un nanomètre représentant un milliardième de mètre (ou 10-9 m). A cette échelle, les matériaux peuvent présenter des propriétés physiques, biologiques et/ou chimiques très différentes de celles des mêmes matériaux à des tailles plus grandes, ce qui ouvre un éventail de nouvelles possibilités sur le plan technologique.
2. La nanotechnologie et sa myriade d’applications présentent d’énormes avantages potentiels (en particulier dans le domaine de la «nanomédecine»), mais peuvent également avoir des effets dommageables graves. Comme c’est le cas avec la plupart des nouvelles technologies, de nombreux risques, à la fois pour la santé publique et pour l’environnement, ne sont pas encore bien connus. Toutefois, les applications commerciales de la nanotechnologie sont déjà utilisées couramment. La réglementation a du mal à suivre le rythme des innovations scientifiques.
3. Cela fait des années que l’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe prônent la nécessité d’une culture de précaution qui intègre le principe de précaution au sein des processus scientifiques et technologiques, dans le respect de la liberté de recherche et d’innovation. En 2005, les chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe se sont engagés, dans la Déclaration finale du 3e Sommet du Conseil de l’Europe, à «garantir la sécurité des citoyens dans le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales» et à relever, dans ce contexte, «les défis inhérents aux progrès de la science et de la technique».
4. L’Assemblée estime que, conformément à ces engagements, le Conseil de l’Europe – en tant que seule organisation paneuropéenne dont le mandat englobe la protection des droits humains – devrait élaborer des normes juridiques relatives à la nanotechnologie, normes qui seront basées sur des connaissances scientifiques et qui s’appuieront sur le principe de précaution et protégeront 800 millions d’Européens contre les risques de dommages graves liés à la nanotechnologie, tout en encourageant l’utilisation potentiellement avantageuse de cette dernière.
5. L’Assemblée recommande par conséquent au Comité des Ministres d’élaborer des lignes directrices sur la mise en balance des avantages et des risques de la nanotechnologie pour la santé publique et l’environnement. Ces lignes directrices devront:
5.1. respecter le principe de précaution en tenant compte de la liberté de recherche et en encourageant l’innovation;
5.2. pouvoir être appliquées de manière systématique pour transcender les frontières, les origines des nanomatériaux (synthétiques, naturels, fortuits, manufacturés, artificiels) ainsi que les utilisations pratiques et le devenir biologique des nanomatériaux soumis à réglementation;
5.3. viser l’harmonisation des cadres réglementaires, notamment en ce qui concerne les méthodes d’évaluation et de gestion des risques, la protection des chercheurs et des travailleurs de l’industrie de la nanotechnologie, la protection et l’éducation des consommateurs et des patients (avec des prescriptions en matière d’étiquetage tenant compte des obligations du consentement éclairé), ainsi que les obligations de notification et d’enregistrement, afin d’établir une norme commune;
5.4. être négociées suivant un processus ouvert et transparent avec la participation de nombreux acteurs (gouvernements nationaux, organisations internationales, l’Assemblée parlementaire, société civile, experts et scientifiques), dans le cadre d’un dialogue dépassant les frontières de la zone géographique couverte par le Conseil de l’Europe;
5.5. pouvoir servir de modèle pour les normes réglementaires du monde entier;
5.6. pourraient dans un premier temps prendre la forme d’une recommandation du Comité des Ministres, mais pourraient également faire place à un instrument juridique contraignant si la majorité des Etats membres le souhaitent, par exemple à un protocole additionnel à la Convention de 1997 du Conseil de l’Europe pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164, «Convention d’Oviedo»);
5.7. aspirer à créer un centre interdisciplinaire international qui servira dans un proche avenir de pôle mondial des connaissances en matière de sécurité de la nanotechnologie;
5.8. permettre de promouvoir le développement d’un système d’évaluation des règles éthiques, des matériels publicitaires et des attentes des consommateurs, concernant les projets de recherche et les produits de consommation dans le domaine de la nanotechnologie ayant des répercussions sur les êtres humains et l’environnement.
6. L’Assemblée recommande que le Comité de bioéthique (DH-BIO) du Conseil de l’Europe soit chargé d’une étude de faisabilité sur l’élaboration d’éventuelles normes dans ce domaine, fondées sur le paragraphe 5 de la présente recommandation, en tant que première étape en vue de l’ouverture de négociations sur ce thème selon une approche impliquant de multiples acteurs.

B. Exposé des motifs, par M. Sudarenkov, rapporteur 
			(2) 
			Cet exposé des motifs
a été préparé sur la base d’un rapport d’expert par Mme Ilise Levy
Feitshans, JD et ScM, scientifique invitée à l’Université de Lausanne
(Suisse); voir le document <a href='http://www.assembly.coe.int/CommitteeDocs/2013/Fsocdocinf03_2013.pdf'></a>AS/Soc/Inf (2013) 03: <a href='http://www.assembly.coe.int//Main.asp?link=http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/ComDocMenuSocfr.htm'>www.assembly.coe.int//Main.asp?link=http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/ComDocMenuSocfr.htm.</a>

(open)

1. Introduction

1. En octobre 2010, M. Marquet (Monaco, ADLE) et d’autres parlementaires, dont je faisais partie, ont présenté une proposition de résolution sur «Les nanotechnologies, un nouveau danger pour l’environnement?» (Doc. 12372) en vue de recommander aux Etats membres du Conseil de l’Europe de prendre des mesures pour harmoniser l’utilisation des nanotechnologies afin de garantir notamment la sécurité sanitaire et d’assurer la protection de l’environnement.
2. Cette proposition de résolution avait été renvoyée à l’ancienne commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales en vue de l’établissement d’un rapport, et à l’ancienne commission des questions sociales, de la santé et de la famille pour avis. J’ai été nommé rapporteur pour la commission saisie pour rapport en février 2011 et M. Paul Flynn (Royaume-Uni, SOC) a été nommé rapporteur pour avis. Les deux commissions ont tout de suite commencé leurs travaux sur la question, ce qui a conduit à un échange de vues avec une experte consultante, Mme Ilise Feitshans, au sein de la commission des questions sociales en septembre 2011 et à l’examen d’un avant-projet de rapport au sein de la commission de l’environnement en octobre 2011.
3. En janvier 2012, les deux commissions ont été fusionnées avec la commission des questions économiques et du développement pour former la nouvelle commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. Fin mai 2012, Mme Feitshans a rendu un rapport d’expert sur lequel j’ai basé le présent rapport, qu’elle a bien voulu compléter avec un chapitre sur la nanotechnologie et la bioéthique à la fin de septembre 2012. J’ai fait le choix de reproduire ce document comme document d’information de la commission et d’en résumer les constatations dans cet exposé des motifs, mais les conclusions et recommandations figurant ci-après sont les miennes.

2. Définition et potentiel de la nanotechnologie

4. La nanotechnologie est la manipulation de la matière à l’échelle atomique et moléculaire. Les nanomatériaux sont constitués de structures dont les dimensions sont, typiquement, comprises entre 1 et 100 nanomètres (nm), un nanomètre représentant un milliardième de mètre (ou 10-9 m). A cette échelle, les matériaux peuvent présenter des propriétés physiques, biologiques et/ou chimiques très différentes de celles des mêmes matériaux à des tailles plus grandes, ce qui ouvre un éventail de nouvelles possibilités sur le plan technologique.
5. La nanotechnologie offre déjà une myriade d’applications et est encore pleine de promesses: en effet, les matériaux ont un comportement si différent à l’échelle nanométrique qu’il est désormais possible de concevoir des structures et des dispositifs qui auraient été impensables il y a quelques décennies encore. Certains nanomatériaux sont déjà produits en masse et intégrés à des produits de consommation, par exemple le dioxyde de titane et l’oxyde de zinc dans les crèmes solaires et les cosmétiques, l’argent dans l’emballage alimentaire, les vêtements, les désinfectants et les appareils électroménagers ou encore les nanotubes de carbone dans les raquettes de tennis. Cela étant, un secteur en plein développement, celui de la nanomédecine – qui exploite la taille des nanomatériaux (capables de franchir la barrière cutanée, voire la barrière hémato-encéphalique, ce que les molécules de plus grande taille ne peuvent faire) et/ou leurs propriétés différentes à l’échelle nanométrique – est très prometteur pour ce qui est du dépistage et du traitement de certaines pathologies comptant parmi les premières causes de mortalité chez l’homme, notamment le cancer et les cardiopathies.
6. Comme pour la plupart des nouvelles technologies émergeantes, la nanotechnologie est également porteuse de risques de dommage graves, à la fois pour la santé humaine et pour les écosystèmes au sein de l’environnement. Bon nombre de ces risques ne sont pas encore bien connus aujourd’hui. Cela dit, des études ont déjà démontré que les particules de nano-argent appliquées sur des textiles partent au lavage. Le nano-argent, dont les propriétés antibactériennes sont jugées bénéfiques lorsqu’il est utilisé dans les draps des hôpitaux, par exemple (ou dans des applications plus futiles comme les chaussettes de sport), peut avoir des effets dévastateurs s’il se retrouve dans les eaux usées, puisqu’il est capable de détruire les bactéries qui jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes naturels, les exploitations agricoles et les processus de traitement des effluents. Fait plus inquiétant encore, certains nanotubes de carbone pourraient provoquer des dommages similaires à ceux de l’amiante dans les tissus pulmonaires, et il apparaît que le dioxyde de titane à l’échelle nanométrique (utilisé, par exemple, dans les protections solaires) peut induire un stress oxydant dans les cellules. Mme Feitshans cite à ce propos le rapport spécial du Conseil consultatif allemand sur l’environnement (SRU), selon lequel «[l]es possibles conséquences d’une telle utilisation n’ont pas été suffisamment étudiées. Le fossé risque de se creuser entre le développement technologique et la connaissance des risques […]» 
			(3) 
			Voir document AS/Soc/Inf
(2013) 03, paragraphe 8..

3. Nanotechnologie et bioéthique

7. Aux yeux de l’experte consultante, Mme Feitshans, «dans le domaine de la nanotechnologie et de la bioéthique, le consentement éclairé constitue, pour l’Europe et pour le reste du monde, le problème majeur à résoudre au XXIe siècle» 
			(4) 
			Ibid.,
paragraphe 37.. La raison de cette affirmation est qu’à son avis, l’état actuel des connaissances suscite davantage de questions que de réponses à ce stade en matière d’évaluation des risques (et donc aussi d’information sur les risques).
8. Le consentement éclairé est une notion cruciale de bioéthique. Un chapitre entier est consacré à cette question du consentement libre et éclairé dans la Convention du Conseil de l’Europe de 1997 pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE n° 164, «Convention d’Oviedo»). C’est l’élément central de la protection du consommateur (dans le domaine de la biomédecine/nanomédecine–protection du patient), ainsi que de la responsabilité des personnes morales.
9. Les deux aspects principaux du consentement éclairé – information du consommateur sur les risques et acceptation des risques, ou consentement en dépit des risques connus déclarés – ne peuvent être traités dans le domaine de la nanotechnologie en l’état actuel des connaissances, en raison du manque d’informations sur des risques inconnus et non quantifiés, en particulier dus à des expositions cumulatives. Les exigences traditionnelles d’étiquetage ne sont donc pas applicables dans ce contexte, sauf si elles sont replacées dans un cadre réglementaire solide (européen, si ce n’est international) qui facilitera l’examen des applications de la nanotechnologie en fonction de leurs utilisations, afin que les risques puissent être gérés en tenant compte de leurs avantages attendus et de leurs dommages potentiels.

4. Mise en balance des avantages et des risques potentiels

10. Dans le domaine de la nanotechnologie, la réglementation a en effet du mal à suivre le rythme des innovations scientifiques. Pour l’heure, la plupart des juridictions utilisent les réglementations existantes (qui contiennent inévitablement des lacunes compte tenu de l’échelle extrêmement petite et de la nature spécifique des nanomatériaux) ou y apportent des ajouts en vue de combler ces lacunes. Au sein de l’Union européenne, par exemple, une multitude de réglementations s’appliquent à la nanotechnologie. De nombreux acteurs, que ce soit des Etats (Etats-Unis, Chine, Afrique du Sud, Inde), des organisations internationales (Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Organisation mondiale de la santé (OMS)), des associations (Organisation internationale de normalisation (ISO)) ou des organisations non gouvernementales (ONG), prennent actuellement des initiatives visant à concevoir de nouvelles réglementations, plus complètes et cohérentes, en matière de nanotechnologie 
			(5) 
			Pour la liste complète: ibid., paragraphe 12..
11. Malheureusement, il apparaît que la communication entre les différentes parties prenantes n’est de loin pas suffisante, sans parler des efforts d’harmonisation, encore moindres. Il en résulte une véritable cacophonie, le cadre législatif en vigueur présentant soit une tendance à freiner l’innovation, soit des insuffisances sur le plan de la maîtrise des risques. J’ai le sentiment que, plutôt que de faire le choix de la prudence, la plupart des Etats privilégient aujourd’hui le développement technologique, dans l’espoir d’en tirer des avantages sur le plan économique. Or, la non-application du principe de précaution qui résulte de cette approche peut s’avérer dangereuse à long terme car elle risque d’entraîner des dommages considérables, à la fois pour la santé publique et pour l’environnement.
12. A l’évidence, il est nécessaire d’établir une norme commune afin de mettre dûment en balance les risques et les avantages potentiels de la nanotechnologie par une harmonisation de la base législative, en gardant à l’esprit le principe de précaution. La réalisation de cet objectif exige non seulement l’établissement d’un dialogue entre les différentes parties prenantes, mais également un débat public éclairé incluant l’information et l’éducation du consommateur et des patients (avec des prescriptions en matière d’étiquetage tenant compte des impératifs du consentement éclairé). Fort du mandat unique qui est le sien en matière de droits humains et de ses mécanismes normatifs basés sur des conventions, ainsi que de son expertise en matière de bioéthique, le Conseil de l’Europe est idéalement placé pour mener à bien une telle harmonisation là où d’autres acteurs dotés d’un mandat plus restreint ont jusqu’à présent échoué.

5. Conclusions et recommandations

13. L’experte consultante, Mme Feitshans, a formulé ses propres conclusions et recommandations, basées sur l’idée selon laquelle la législation peut favoriser le développement de nouvelles industries tout en assurant un suivi de la situation en prévoyant des systèmes de financement et d’incitation afin de maîtriser les nouveaux risques. Je suis d’accord avec elle sur un point en particulier (et la plupart des autres): le Conseil de l’Europe a un rôle important à jouer à ce stade préliminaire de l’élaboration de lois et de réglementations relatives à la nanotechnologie.
14. En effet, le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire reconnaissent la nécessité de prôner une culture de la précaution qui intègre le principe de précaution au sein des processus de recherche scientifique, dans le respect de la liberté de recherche et d’innovation 
			(6) 
			Voir la Recommandation 1787 (2007) de l’Assemblée sur le principe de précaution et la gestion
responsable des risques, et la réponse du Comité des Ministres à
celle-ci (Doc. 11491), en particulier le paragraphe 4 de cette dernière.. A cet égard, le Comité des Ministres a rappelé en 2008 les engagements exprimés par les chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe dans la Déclaration finale du 3e Sommet du Conseil de l’Europe, de «garantir la sécurité des citoyens dans le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales» et de relever, dans ce contexte, «les défis inhérents aux progrès de la science et de la technique» 
			(7) 
			Ibid.,
paragraphe 2..
15. Compte tenu des connaissances actuelles (très limitées) sur les risques potentiels que présentent les nanotechnologies pour la santé humaine et l’environnement, il me semble évident que le principe de précaution doit être appliqué dans ce domaine. Hélas, l’industrie de la nanotechnologie se développe à une telle vitesse qu’il se créé un décalage par rapport à l’élaboration et à l’application des réglementations. L’utilisation massive – aujourd’hui déjà – comme l’a expliqué Mme Feitshans, dans les produits de consommation de tous les jours, de certaines nanoparticules dont la toxicité est établie (par exemple, particules de nano-argent dans une multitude d’objets allant des vêtements à l’emballage alimentaire) ou qui comportent un risque – encore mal connu – d’effets dommageables graves pour la santé publique (par exemple, nanoparticules de dioxyde de titane dans les crèmes solaires) pourrait bien, avec le recul, s’avérer avoir été une application insuffisante du principe de précaution. Il est clair que les chercheurs et travailleurs de l’industrie de la nanotechnologie sont en première ligne ici. Mais les consommateurs finaux sont également concernés. Avons-nous vraiment besoin d’un nouvel amiante 
			(8) 
			On
craint en effet que certains nanotubes de carbone déjà vendus en
masse et très prisés dans l’industrie pour leur résistance, leur
flexibilité et d’autres propriétés, n’aient des effets très similaires
à ceux des fibres d’amiante sur les tissus humains (par exemple
les tissus pulmonaires)., parfait exemple d’application insuffisante (ou de non-application) du principe de précaution?
16. De mon point de vue, le Conseil de l’Europe – en tant que seule organisation paneuropéenne dont le mandat englobe la protection des droits humains – est bien placé pour élaborer des lignes directrices sur la nanotechnologie qui s’appuieront sur le principe de précaution et protégeront 800 millions d’Européens contre les risques de dommages graves liés aux nanotechnologies, sans toutefois constituer un frein à l’utilisation potentiellement avantageuse de ces dernières. Ces lignes directrices pourraient dans un premier temps prendre la forme de recommandations (par exemple d’une recommandation du Comité des Ministres), mais pourraient également faire place à un instrument juridique contraignant si la majorité des Etats membres le souhaitent, par exemple à un protocole additionnel à la Convention d’Oviedo. Le Comité de bioéthique (DH-BIO) du Conseil de l’Europe pourrait être l’organe chargé d’une étude de faisabilité sur l’élaboration d’éventuelles normes dans ce domaine, en tant que première étape en vue de l’ouverture de négociations sur ce thème selon une approche impliquant de multiples acteurs.
17. Ces lignes directrices devront être élaborées en vue d’obtenir un texte clair et formant un tout cohérent, qui transcende les frontières, les origines des nanomatériaux (synthétiques, naturels, fortuits, manufacturés, artificiels) ainsi que les utilisations pratiques et le devenir biologique des nanomatériaux soumis à réglementation. Elles devront également viser l’harmonisation des cadres réglementaires, notamment en ce qui concerne les méthodes d’évaluation et de gestion des risques, la protection des chercheurs et des travailleurs de l’industrie de la nanotechnologie, la protection et l’éducation des consommateurs (avec des prescriptions en matière d’étiquetage si nécessaire), ainsi que les obligations de notification et d’enregistrement, afin d’établir une norme commune.
18. Le processus de négociation de ces lignes directrices devra être aussi ouvert et transparent que possible et impliquer de nombreux acteurs (gouvernements et parlements nationaux, organisations internationales, l’Assemblée parlementaire, société civile, experts et scientifiques) dans le cadre d’un dialogue dépassant les frontières de la zone géographique couverte par le Conseil de l’Europe amenant à la création d’un centre interdisciplinaire international qui servira dans un proche avenir de pôle mondial des connaissances en matière de sécurité de la nanotechnologie; à mon sens, ces lignes directrices régionales pourraient s’imposer en tant que norme réglementaire au niveau mondial, protégeant ainsi les droits fondamentaux de chaque individu à la santé et à un environnement sain.