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Résolution 1922 (2013) Version finale
La traite des travailleurs migrants à des fins de travail forcé
1. L’Assemblée parlementaire est préoccupée
par l’ampleur de la traite des êtres humains. Selon l’Organisation
internationale du travail (OIT), au moins 20,9 millions de personnes
dans le monde – 3 sur 1 000 – sont réduites à un travail forcé dans
le monde et 44 % d’entre elles (9,1 millions) sont des victimes
de la traite. La traite des êtres humains peut être considérée comme
l’activité criminelle organisée qui se développe le plus vite et
qui est la source de profit la plus importante provenant de la criminalité
transnationale. La quasi-totalité des pays seraient touchés, que
ce soit en tant que pays d’origine, de transit et/ou de destination.
2. Il importe non seulement de mettre l’accent sur la traite
des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, mais aussi
d’appréhender la dimension plus large du problème que constitue
la traite à des fins de travail forcé, qui touche l’«industrie du
sexe», le secteur agricole, le bâtiment, l’industrie textile, l’hôtellerie
et la restauration, l’industrie manufacturière, l’esclavage et la
servitude domestiques (y compris dans des ménages de diplomates),
la mendicité et le vol à la tire forcés, et le trafic d’organes.
3. Interpol estime que les autorités n’ont connaissance que de
5 à 10 % des cas et que la proportion des victimes de la traite
qui sont identifiées est encore plus faible. Les migrants en situation
irrégulière, les personnes déplacées de force et d’autres catégories
comme les Roms sont particulièrement exposés à la traite, y compris
à des fins de travail forcé. Les femmes et les jeunes filles sont
les victimes les plus nombreuses, et 90 % des victimes sont exploitées
dans le secteur privé.
4. Cette activité criminelle qui présente peu de risques pour
une rentabilité élevée attire à tous les niveaux des réseaux criminels
et des individus qui profitent des lacunes des politiques nationales
concernant les migrants et l’emploi. L’Assemblée est préoccupée
de constater que les auteurs de la traite et les utilisateurs finaux
de ce type d’exploitation sont rarement identifiés et traduits en
justice. Peu d’affaires donnent lieu à des poursuites en tant que
cas de traite.
5. Les autorités considèrent en général que les affaires de traite
à des fins de travail forcé ayant des migrants comme victimes relèvent
du trafic illicite et de la violation du droit national de l’immigration
ou de celui du travail. Cette approche erronée, qui place les victimes
en position de criminels, se trompe de cible et fait obstacle à
une lutte efficace contre les trafiquants et la traite.
6. L’Assemblée reconnaît qu’il est essentiel de s’attaquer aux
racines de la traite à des fins de travail forcé, notamment la réduction
de la pauvreté et la création d’emplois dans les pays d’origine
des victimes de la traite. Elle souligne aussi l’importance de l’éducation,
de la formation professionnelle et de l’encouragement de l’autonomie
des victimes potentielles, en particulier des femmes et des jeunes
filles. De plus, il est nécessaire de sensibiliser davantage aux
risques de traite à des fins de travail forcé et de faciliter la
réintégration effective des victimes au sein de la société.
7. L’Assemblée est parfaitement consciente de l’importance de
renforcer la coopération et le partage d’informations, y compris
les bonnes pratiques, entre l’ensemble des acteurs de la lutte contre
la traite. Ces acteurs comprennent les autorités nationales des
pays d’origine, de transit et de destination, les juges, les procureurs,
les inspecteurs du travail, les forces de police, les gardes-frontière,
les autorités fiscales, les services de santé, les représentants
de la société civile y compris les organisations non gouvernementales (ONG),
le tiers secteur et les syndicats.
8. En conséquence, l’Assemblée recommande aux Etats membres et
observateurs du Conseil de l’Europe, et aux partenaires de la démocratie:
8.1. de lutter contre le phénomène
de traite des travailleurs migrants à des fins de travail forcé,
en tenant compte de la vulnérabilité particulière de ces personnes,
par les mesures suivantes:
8.1.1. mettre
en place un cadre juridique solide afin de poursuivre les utilisateurs
finaux et les auteurs de la traite, y compris les ménages privés,
et veiller à qualifier d’infraction pénale toutes les formes de
travail forcé;
8.1.2. désigner un rapporteur national indépendant sur la traite
des êtres humains, chargé de suivre et d'adresser au gouvernement
et au parlement des rapports périodiques sur la situation dans le
pays;
8.1.3. encourager des inspections régulières et coordonnées dans
les secteurs à risque par les organisations responsables de la régulation
de l’emploi, de la santé et de la sécurité, inciter les travailleurs
à s’organiser et associer également les agences pour l’emploi aux
mesures prises pour lutter contre la traite des êtres humains;
8.1.4. renforcer le rôle des inspecteurs du travail et affecter
des ressources humaines et financières suffisantes pour leur permettre
de réguler effectivement l’emploi, notamment le travail domestique
et le fonctionnement des entreprises et des lieux de travail informels,
où les pratiques de travail forcé prédominent;
8.1.5. prendre des mesures pour décourager la demande de services
de personnes victimes de la traite à des fins de travail forcé,
en particulier dans les travaux domestiques et dans les secteurs
de l’agriculture, de la pêche, de la construction, de l’hôtellerie,
des soins et du nettoyage;
8.1.6. combattre la corruption des fonctionnaires impliqués dans
des infractions liées à la traite;
8.1.7. adopter des plans d'action contre la traite des êtres
humains et travailler en étroite coopération avec les parlements
à l'élaboration de ces plans, à leur mise en œuvre et au suivi de cette
mise en œuvre;
8.1.8. veiller à ce que les professionnels compétents, y compris
les juges et les procureurs, les inspecteurs du travail, les fonctionnaires
de police, les gardes-frontières, les agents des services d’immigration,
le personnel qui travaille dans les centres de rétention d’immigrés,
les fonctionnaires territoriaux, le personnel diplomatique et consulaire,
les professionnels de santé et les travailleurs sociaux reçoivent
une formation complète et multidisciplinaire afin de repérer les
victimes de la traite à des fins de travail forcé, de les assister
et de les protéger conformément à la Convention du Conseil de l’Europe
sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197);
8.1.9. ratifier et appliquer, si ce n’est pas encore fait, la Convention
du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
et la Convention de l’Organisation internationale du travail concernant
le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques;
8.1.10. doter le Groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur la
lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) de ressources humaines
et financières suffisantes, et assurer l'indépendance des experts
nommés;
8.2. de revoir leurs politiques en matière d’immigration et
de retour pour les aligner sur les recommandations du GRETA afin
de s’assurer que les personnes victimes de la traite à des fins
de travail forcé sont traitées d’abord comme des victimes qui ont
besoin d’être protégées plutôt que comme des personnes ayant violé
le contrôle des migrations, en prenant les mesures suivantes:
8.2.1. préciser clairement les canaux
de migration régulière et diffuser des informations précises sur
les conditions qui permettent d’entrer et de séjourner régulièrement
dans le pays;
8.2.2. intensifier les efforts pour identifier les victimes potentielles
de la traite, y compris aux frontières et dans les centres de rétention,
en donnant accès aux organes de contrôle et aux organisations spécialisées,
y compris les ONG;
8.2.3. faire en sorte que les victimes potentielles de la traite
ne soient pas punies pour des infractions liées à l’immigration
au cours de la procédure d’identification;
8.2.4. faciliter la délivrance aux migrants victimes de la traite
de permis de séjour temporaires et renouvelables pour des motifs
humanitaires, si possible associés à des permis de travail;
8.2.5. garantir le droit des travailleurs domestiques migrants
à un statut d’immigré, indépendamment de tout employeur;
8.2.6. garantir effectivement aux victimes de la traite une période
de rétablissement et de réflexion d’au moins trente jours pour leur
permettre d’être à nouveau en pleine possession de leurs moyens
et d’échapper à l’influence des trafiquants;
8.2.7. assurer aux victimes l’accès aux tribunaux et leur garantir
un accès effectif à l’aide juridictionnelle et aux services d’interprétation;
8.2.8. offrir une protection effective aux victimes qui participent
aux procédures pénales;
8.2.9. considérer les mesures spéciales pour le retour des victimes
de la traite comme faisant partie intégrante d’une politique de
lutte contre la traite, en garantissant leurs droits, leur sécurité, leur
dignité et leur protection contre la possibilité de redevenir une
nouvelle fois des victimes de la traite en cas de retour ou de réadmission,
et en recourant à des programmes de retours volontaires assistés.