1. Introduction
1. Le flux mixte de migrants, de demandeurs d’asile
et de réfugiés se déplace de plus en plus du sud de l’Europe vers
l’Est. Au fur et à mesure que les routes des migrations irrégulières,
du trafic et de la traite sont fermées, de nouvelles routes apparaissent,
mettant à l’épreuve les frontières et la capacité des Etats à gérer ces
problèmes.
2. De nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe sont tout
à fait conscients de ces défis. Ceux qui font partie de l’Union
européenne sont soucieux de maintenir ces flux mixtes à l’extérieur
de leurs frontières territoriales. Les Etats membres se trouvant
au-delà des frontières extérieures de l’Union se retrouvent dans une
position difficile, car ils deviennent de plus en plus des pays
de transit pour ceux qui cherchent à entrer dans l’Union européenne,
ainsi que des pays de destination en tant que tels.
3. Le présent rapport a pour but d’étudier certains des principaux
défis auxquels doivent faire face ces pays, et d’examiner si les
pays situés au-delà des frontières orientales de l’Union européenne
sont capables de les relever et sont prêts à le faire. Dans le cas
contraire, il sera nécessaire d’étudier les mesures devant être
prises pour les aider à relever ces défis tout en respectant les
droits de l’homme et les préoccupations en matière d’asile. Il s’agit
là d’une responsabilité non seulement des pays situés au-delà des
frontières orientales de l’Union européenne, mais aussi des pays
de l’Union européenne, qui sont les principaux facteurs d’attraction
de ces flux migratoires mixtes.
4. Dans mon rapport, j’ai décidé de me concentrer sur quatre
problèmes liés à ces flux migratoires mixtes, dont deux sont essentiellement
des préoccupations relatives aux droits de l’homme.
5. Le premier concerne la difficulté d’identifier, au sein de
ces flux, les réfugiés et autres personnes ayant besoin d’une protection
internationale.
6. Le deuxième est celui de la rétention. L’Assemblée parlementaire
a rappelé à plusieurs reprises que la rétention de migrants en situation
irrégulière et de demandeurs d’asile ne doit être qu’une mesure
de dernier ressort, qui n’est applicable qu’après examen de toutes
les autres alternatives à la rétention
.
Cependant, dans la réalité, la rétention est souvent utilisée comme
une forme de gestion des migrations et comme une mesure systématique.
La question qui se pose est alors de savoir si ces pays ont mis
en place les lois et pratiques appropriées pour veiller à ce que
la rétention soit conforme aux normes juridiques internationales
et s’ils disposent également de locaux de rétention adaptés ou de
mécanismes pour proposer des alternatives à la rétention.
7. Le troisième problème est celui des renvois de l’Union européenne
vers ces pays et du recours aux accords dits de réadmission de l’Union
européenne pour ces renvois. De toute évidence, toute politique
de gestion des migrations nécessite une politique de renvois et
les accords de réadmission font souvent partie intégrante d’une
telle politique. Tous les retours doivent être conformes aux Vingt
Principes directeurs du Conseil de l’Europe sur le retour forcé.
En ayant cela à l’esprit, il convient de s’interroger sur l’équité
de ces accords, en particulier lorsqu’il est fait pression sur des
pays non membres de l’Union européenne pour qu’ils acceptent des
ressortissants de pays tiers, dont seraient sinon responsables les
Etats membres de l’Union européenne. Par ailleurs, des questions
de droits de l’homme se posent dans le cadre de l’application de
ces accords, qui ont déjà été soulevées par l’Assemblée dans sa
Résolution 1741 (2010) sur les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi
des migrants en situation irrégulière.
8. La quatrième et dernière question que je souhaiterais aborder
est celle de l’aide apportée par l’Union européenne et de l’impact
et de l’efficacité de cette aide.
9. En rassemblant des informations pour le présent rapport, j’ai
eu l’occasion de me rendre en Ukraine ainsi qu’en Turquie. Je remercie
les autorités des pays concernés pour leur ouverture d’esprit, ainsi
que tous ceux qui m’ont assisté et m’ont fourni des informations
générales pour mon rapport. Je remercie tout particulièrement le
Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et ses
divers bureaux dans la région, qui m’ont aidé pendant ma mission
en tant que rapporteur, notamment pendant les visites et la préparation
du rapport.
2. Portée
du problème
10. Le nombre des migrants en situation irrégulière,
des demandeurs d’asile et des réfugiés qui affluent dans les pays
étudiés est en augmentation constante. Dans certains cas, ces augmentations
sont substantielles et sont dues en partie aux événements intervenus
en Afrique du Nord, en particulier en Tunisie et en Libye, ainsi
qu’à ceux qui se produisent actuellement en Syrie. Elles s’expliquent
aussi par les flux émanant d’anciennes zones de conflit telles que
l’Afghanistan. Toutefois, l’une des raisons principales de ces augmentations
tient à la fermeture progressive des itinéraires plus traditionnels
de migration mixte du sud de la Méditerranée.
11. Pour citer des chiffres spécifiques: 9 230 demandes d’asile
ont été déposées en Turquie en 2010, et plus de 20 000 en 2012.
Encore ce chiffre n’inclut-il pas les 258 200 ressortissants syriens
bénéficiant actuellement d’une protection temporaire en Turquie.
Les chiffres sont plus préoccupants encore si l’on regarde les projections
du HCR pour fin 2013: d’après ses calculs, il pourrait y avoir jusqu’à
703 340 personnes répondant aux critères du HCR (dont 586 000 Syriens)
.
12. La Serbie a recensé plus de 2 499 demandeurs d’asile en 2012,
soit une augmentation de 500 % sur deux ans
. La Croatie a vu le nombre de demandes
qu’elle reçoit augmenter de 180 % entre 2010 et 2011 (de 290 à 807,
tandis que plus d’un millier de demandes ont été déposées en 2012).
13. Ce ne sont là que trois exemples, mais ils montrent à quelle
vitesse l’ampleur du problème peut changer.
3. Les systèmes d’asile
de ces pays sont-ils prêts et ont-ils les capacités nécessaires
pour faire face aux futurs défis que posent les flux migratoires
mixtes?
14. Dans les pays considérés, les systèmes d’asile sont
pour la plupart récents. Par ailleurs, bon nombre des responsables
de leur gestion sont relativement inexpérimentés. Le HCR a apporté
une aide considérable à ces pays pour les aider à construire leurs
systèmes d’asile et à former les personnes chargées de leur gestion.
D’autres efforts ciblés sont menés actuellement pour aider les pays
des Balkans à développer des réponses basées sur la coopération
et attentives à la protection face aux problèmes engendrés par les mouvements
mixtes, conformément au Plan d’action en dix points du HCR sur la
protection des réfugiés et les migrations mixtes. L’Union européenne
a également apporté un soutien et des investissements importants.
La question reste cependant de savoir si ces pays sont capables
de faire face à leurs problèmes tout en respectant leurs obligations
juridiques internationales et européennes.
3.1. Législation
15. En termes d’adaptation de la législation, la plupart
des pays ont pris de nombreuses mesures – mais pas toutes – nécessaires
pour adapter leur législation aux normes internationales.
16. La Croatie a amendé sa loi de 2007 relative à l’asile, la
mettant en conformité avec les normes internationales, ce qui a
été bien accueilli par la communauté internationale. En 2002, la
République de Moldova a adhéré à la Convention relative au statut
des réfugiés de 1951 et à son protocole de 1967, et sa nouvelle
loi relative à l’asile est entrée en vigueur en mars 2009. Celle-ci
est pour l’essentiel conforme aux normes internationales, mais nécessite
encore quelques modifications concernant les dispositions relatives
au non-refoulement et à l’exclusion.
17. En Fédération de Russie, selon le HCR, «la protection juridique
accordée aux demandeurs d’asile et aux réfugiés s’est améliorée
ces dernières années»
. Le pays a adhéré
à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et à son
protocole en 1992. En 1993, il a adopté la loi fédérale relative
aux réfugiés. Depuis lors, le Service fédéral des migrations (SFM),
en coopération avec le HCR, a préparé un nouveau projet de loi sur
les réfugiés. Malheureusement, son examen par la Douma sera probablement
repoussé à 2015. En attendant l’adoption de cette nouvelle loi,
le SFM a comblé certaines lacunes de la législation en modifiant
la réglementation. Le HCR a été associé à ce processus, par exemple
au moyen de commentaires sur des questions telles que l’effet suspensif
des recours et la prolongation de la validité des documents pendant
les procédures de recours.
18. La Turquie, quoique signataire de la Convention de 1951 relative
au statut des réfugiés, maintient une réserve géographique. Cela
signifie qu’elle accepte uniquement comme réfugiés les personnes
originaires d’Europe. Celles qui proviennent d’un pays non européen
dépendent actuellement de la volonté du HCR de leur octroyer le
statut de réfugié et d’organiser leur réinstallation dans un pays
tiers. La Turquie est la cible de pressions pour retirer sa réserve
géographique, mais cela est lié aux négociations pour l’entrée de
la Turquie dans l’Union européenne. Il est toutefois encourageant
qu’elle soit sur le point d’adopter sa toute première loi relative
à l’asile, qui fournira des garanties de non-refoulement et octroiera
également d’autres droits aux demandeurs d’asile.
19. En Ukraine, des évolutions positives ont enfin été enregistrées
en matière de renforcement du cadre juridique de l’asile, motivées
en partie par l’incitation que représente le plan d’action de l’Union
européenne pour la libéralisation du régime des visas avec l’Ukraine.
Une nouvelle loi sur les réfugiés et les personnes ayant besoin
d’une protection complémentaire ou temporaire en Ukraine est entrée
en vigueur le 28 juillet 2011. Elle introduit une protection complémentaire
pour les personnes qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine
et prévoit également un certificat unifié dans le cadre du système
d’asile.
20. En Serbie, le cadre juridique semble très largement avoir
été mis en place, grâce à l’adoption d’une loi sur l’asile en 2007.
Cependant, sachant que le nombre des reconnaissances du statut de
réfugié est quasiment nul
, il y a manifestement des problèmes
majeurs en matière d’octroi d’une protection internationale, y compris pour
le droit d’asile.
21. Le dernier point m’amène à conclure que si ces pays ont apporté
de nombreuses améliorations à leur législation, il convient maintenant
de mettre l’accent sur l’application des lois dans la pratique.
Sur le plan législatif, la Turquie doit être encouragée à poursuivre
ses efforts pour adopter la nouvelle loi sur l’asile et à prendre
des mesures pour lever dès que possible la réserve géographique
à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
3.2. Pratique
22. Adopter une législation est une chose, mais la mettre
en pratique en est une autre. Si l’on garde présent à l’esprit que
nombre de ces pays disposent d’une nouvelle législation mais ont
peu d’expérience dans la mise en œuvre de ces lois relatives à l’asile
et la prise en charge d’un grand nombre de demandeurs d’asile, il
n’est peut-être pas surprenant que la plupart des questions et problèmes
se posent en termes de pratique plutôt que de législation.
23. Les problèmes les plus courants que j’ai rencontrés lors de
la préparation du présent rapport portent sur les aspects suivants:
- les structures qui ont été créées
pour traiter les demandes d’asile;
- le volume des demandes;
- la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile;
- les faibles taux de reconnaissance;
- le rôle des gardes-frontières;
- la formation de toutes les personnes impliquées dans les
procédures d’asile (des gardes-frontières et fonctionnaires chargés
de l’asile aux avocats et aux juges);
- les effectifs du personnel;
- les ressources financières;
- les courts délais pour le dépôt d’une demande d’asile;
- la capacité insuffisante des centres d’accueil pour les
demandeurs d’asile;
- le traitement inéquitable;
- le non-respect des arrêts et des mesures provisoires de
la Cour européenne des droits de l’homme;
- l’accès à l’assistance juridique;
- l’accès à des soins médicaux, au logement, à l’assistance
sociale, à l’emploi;
- l’absence de protections spécifiques pour les demandeurs
d’asile vulnérables;
- l’accès aux procédures d’asile pour les personnes en rétention.
Dans
cette partie du rapport, j’aimerais m’intéresser en particulier
à la question de la qualité et de la cohérence des décisions en
matière d’asile, qui englobe un grand nombre des points énumérés
ci-dessus.
3.2.1. Qualité et cohérence
des décisions en matière d’asile
24. Un signe clair de l’existence de problèmes est le
faible taux de reconnaissance du droit d’asile dans de nombreux
pays. En Serbie, personne ne s’est vu accorder le statut de réfugié
depuis 2008, et cinq personnes seulement ont bénéficié d’une protection
subsidiaire. Il y a à cela de nombreuses raisons, qui tiennent en
partie à l’organisation de la procédure d’asile et aux conséquences
du fait que c’est la police des frontières qui traite les demandes
dans les services d’asile, plutôt que du personnel civil
. Du fait de cette situation, de
nombreux candidats à l’asile renoncent à leur demande
.
Chiffres sur la reconnaissance (statistiques pour 2010)
Taux
d’acceptation/Pays
|
Convention
|
Protection complémentaire
|
Total des demandes
|
Taux d’acceptation
|
Albanie
|
4
|
Chiffre
nul ou non disponible
|
9
|
44,4 %
|
Bélarus
|
22
|
8
|
291
|
10,30 %
|
Croatie
|
5
|
8
|
314
|
4,14 %
|
«L’ex-République yougoslave
de Macédoine»
|
/
|
/
|
89
|
0 %
|
Fédération
de Russie
|
124
|
1 040
|
4 104
|
28,3 %
|
Serbie
|
/
|
1
|
614
|
0,1 %
|
Turquie
|
6 485
|
/
|
10 827
|
59,9 %
|
Ukraine
|
260
|
49
|
1 796
|
17,2 %
|
25. En Ukraine, divers problèmes subsistent concernant
la qualité et la cohérence des décisions en matière d’asile. Le
HCR a indiqué que de nombreuses personnes n’avaient pas accès à
un avocat lors de leur passage devant le tribunal (en particulier
lorsqu’elles sont placées en rétention) ni à une aide judiciaire
gratuite, et que les audiences devant les tribunaux se déroulaient
parfois sans interprète ou en présence d’un interprète parlant une
langue que l’intéressé ne comprenait pas. Par ailleurs, les demandeurs
d’asile ne reçoivent pas toujours une copie des décisions les concernant,
de sorte qu’il leur est extrêmement difficile de faire appel de
ces décisions dans le court délai prévu (cinq jours). Un autre problème
noté en Ukraine vient de ce qu’après la réorganisation du Service
national des migrations en 2011, il y a eu une baisse massive du
nombre des demandeurs d’asile enregistrés, en raison du manque de
capacité institutionnelle (890 seulement en 2011). Cela montre que
le personnel nouveau et redéployé du Service national des migrations
a besoin d’une formation complémentaire et d’une assistance pour
garantir l’accès aux procédures d’asile.
26. En Russie, le HCR a collaboré étroitement avec le Service
fédéral des migrations sur le renforcement des capacités du système
d’asile. L’un des problèmes qui subsistent est cependant l’absence
d’une aide judiciaire gratuite. Bien que les organisations non gouvernementales
(ONG) locales et le HCR interviennent chaque fois que possible pour
fournir une telle aide, le problème reste à régler. Un autre sujet
préoccupant est le risque de refoulement en provenance de l’intérieur
du pays mais aussi aux frontières, y compris dans les aéroports
internationaux. Un certain nombre de cas supposés de refoulement
ont été signalés et le HCR a dû intervenir à plusieurs occasions
pour empêcher d’autres cas de se produire.
27. Le problème de la qualité et de la cohérence des décisions
en matière d’asile nécessitera de nouveaux efforts de la part des
pays de la région, qui devront recevoir une assistance supplémentaire
de l’Union européenne et du HCR. A ce sujet, les lacunes structurelles
du système d’asile devront recevoir une réponse, par le biais d’un
service d’asile efficace fonctionnant en tant qu’entité indépendante
dotée de son propre budget et du personnel convenablement formé.
28. Afin de répondre à ce besoin, le HCR a lancé dernièrement
un projet régional biennal de renforcement des capacités d’asile,
cofinancé par l’Union européenne et centré sur les procédures nationales
de détermination du statut de réfugié (DSR). S’appuyant sur des
méthodes éprouvées issues de projets antérieurs menés en Europe
centrale et méridionale, il vise à mettre en place des mécanismes
durables d’assurance qualité pour les procédures de DSR en Europe
orientale (Ukraine, Bélarus, République de Moldova, Géorgie, Azerbaïdjan,
Arménie et Russie en tant qu’observateur). Pour ce faire, le projet
visera à améliorer la qualité de la formation, en utilisant le Curriculum
européen en matière d’asile en tant qu’outil de formation standardisé,
et à créer une version russe de la base de données REFWORLD du HCR
pour faciliter l’accès à des informations de grande qualité sur
les pays d’origine pour les personnes russophones chargées d’examiner
les demandes.
29. Une autre question à examiner dans toute cette région concerne
les conséquences des procédures d’asile accélérées et des délais
serrés, tant pour demander l’asile que pour faire appel des décisions.
En l’absence de systèmes d’asile efficaces, ces délais et ces procédures
accélérées accroissent le risque de rejeter les demandes de personnes
ayant véritablement besoin d’une protection.
3.3. Conclusions
30. La question initiale était celle-ci: les systèmes
d’asile nationaux sont-ils prêts et ont-ils les capacités nécessaires
pour faire face aux futurs défis que pose l’augmentation du nombre
des demandeurs d’asile et des réfugiés? A l’évidence, ce n’est pas
le cas. Si un effort considérable a été mené pour mettre la législation
en conformité avec les normes internationales relatives aux réfugiés
et aux droits de l’homme, il n’en va pas de même pour la pratique,
comme l’attestent les taux d’acceptation des demandes d’asile.
31. Ces pays deviennent de plus en plus des pays de destination,
et non plus seulement de transit, mais en l’absence de procédures
d’asile équitables et pleinement opérationnelles, les personnes
n’y resteront pas et choisiront ou seront contraintes d’entrer dans
l’Union européenne pour y trouver une protection.
4. Rétention des migrants
en situation irrégulière et des demandeurs d’asile
32. Lors de l’examen de cette question, j’aimerais rappeler
la
Résolution 1707 (2010) de l’Assemblée sur la rétention administrative des demandeurs
d’asile et des migrants en situation irrégulière en Europe. Dans
cette résolution, l’Assemblée indique clairement que les Etats membres
ne devraient pas retenir un migrant en situation irrégulière ou
un demandeur d’asile sauf si cela est autorisé par la loi. A cette
fin, les Etats doivent respecter l’article 5.1 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»), qui dispose que les migrants en situation irrégulière
ne peuvent être privés de liberté que si une procédure d’expulsion
ou d’extradition est en cours ou pour les empêcher de pénétrer irrégulièrement
sur le territoire.
33. Avec la hausse des flux migratoires mixtes à destination des
pays situés aux frontières orientales de l’Union européenne et à
travers eux, il y a eu un recours accru à la rétention. Il en résulte
un certain nombre de problèmes et de questions, portant notamment
sur le fondement juridique de la rétention, les garanties générales
et les droits des personnes retenues, ainsi que les conditions générales
de la rétention.
4.1. Fondement juridique
de la rétention
4.1.1. Normes internationales
34. Le droit international relatif aux droits de l’homme
et le droit international des réfugiés fixent le cadre juridique
contre les détentions arbitraires et illégales.
35. L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme
interdit la détention arbitraire et illégale. L’Assemblée a tenté
de préciser les circonstances dans lesquelles la rétention peut
être admissible légalement. Dans sa
Résolution 1707 (2010), elle met en avant 10 principes directeurs. Ces principes
figurent à l’annexe 1 du présent rapport.
36. Sur ces 10 principes, j’aimerais en choisir quatre qui sont
particulièrement pertinents pour mon rapport, car ils se sont avérés
problématiques dans plusieurs pays de la région. Ce sont les principes
suivants: la rétention est une mesure exceptionnelle qui n’est applicable
que lorsque l’on a examiné toutes les autres alternatives; en matière
de rétention, une distinction est opérée entre les demandeurs d’asile
et les migrants en situation irrégulière; la durée de la rétention
est la plus brève possible; enfin, en règle générale, les personnes
vulnérables (enfants, femmes enceintes, etc.) ne sont pas placées
en rétention.
4.1.2. Législation nationale
37. La meilleure protection contre la rétention arbitraire
est que toutes les formes de rétention doivent être inscrites de
façon adéquate dans la législation nationale
. Si
certaines lois prévoient la rétention des demandeurs d’asile et
des migrants dans les pays concernés, elles ne prévoient pas toujours
toutes les garanties nécessaires.
38. Le premier problème, qui semble être une pratique courante
dans de nombreux pays
, est que les pays concernés ont bien trop
souvent systématiquement recours à la rétention administrative des
migrants et des demandeurs d’asile. En outre, ils n’envisagent presque
jamais d’alternatives à la rétention.
39. Un autre problème est qu’il n’est guère fait de distinction
entre les demandeurs d’asile et les migrants. Cela est dû en partie
au problème précédent, à savoir le recours pratiquement systématique
à la rétention.
40. Un autre problème encore est que la rétention devrait être
la plus brève possible. Dans l’Union européenne déjà, beaucoup de
critiques ont été formulées à propos de la durée de la rétention
autorisée par la «Directive Retour» 2008/115, qui permet effectivement
la rétention pendant six mois, avec possibilité de la prolonger
pour une période de 12 mois supplémentaires (18 mois au total
). En conséquence des très vives critiques
formulées, cette période va être réduite à 12 mois, une durée de
rétention qui demeure néanmoins extrêmement longue pour des personnes
qui n’ont commis aucun crime.
41. Pour ce qui concerne la situation dans certains pays de la
région des Balkans: en Croatie et en Serbie, la législation nationale
a été mise en conformité avec la «Directive Retour» de l’Union européenne.
42. En Turquie, où un nouveau projet de loi est en cours d’examen
par le parlement, les migrants sont placés en rétention sur la base
d’un arrêté administratif du ministère de l’Intérieur, et ils ne
peuvent pas contester la décision de leur rétention. Les personnes
restent souvent en rétention pendant plus de six mois car il n’y
a pas de définition claire dans la loi de la période maximale autorisée
pour la rétention administrative des étrangers.
43. En Russie, le droit administratif fixe la durée maximale de
rétention avant expulsion à une année.
44. En République de Moldova, où l’entrée illégale sur le territoire
est considérée comme une infraction pénale et le séjour illégal
comme une infraction administrative, les demandeurs d’asile sont
généralement placés dans des centres de rétention administrative
pendant que les procédures d’asile suivent leur cours. Les migrants,
y compris ceux qui n’ont pas eu la possibilité de déposer une demande
d’asile, sont aussi placés en rétention. La durée de celle-ci ne
peut excéder six mois.
45. En Ukraine, les ressortissants étrangers peuvent être expulsés
et/ou placés en rétention administrative pour un certain nombre
d’infractions liées à l’immigration. Parmi celles-ci figurent la
tentative d’entrer dans le pays sans les papiers requis, le séjour
dans le pays de façon irrégulière et sans avoir accompli les formalités d’enregistrement,
la commission de certaines catégories d’infractions et le fait de
représenter une menace pour la sécurité, l’ordre public ou la santé.
La rétention peut durer jusqu’à 12 mois et il n’existe pas de solution
de substitution. Fait inquiétant, la législation actuelle permet
la rétention d’une personne sans ordonnance d’un tribunal (par exemple
sur décision d’un garde-frontière de l’Etat), alors que précédemment
la rétention devait être autorisée par un tribunal. L’article 5
de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit l’examen, dans
les plus brefs délais, de la légalité de la rétention, et il est
certain que l’absence d’un tel examen posera problème du point de
vue de la Convention.
46. Il ressort clairement de cette brève analyse que les Etats
ont de plus en plus souvent recours à la rétention pour des périodes
relativement longues, sans proposer d’alternatives à la rétention.
Il est urgent d’inverser cette tendance. Non seulement ces politiques
coûtent cher aux Etats en termes de gestion des centres de rétention,
mais les longues périodes de rétention ont des conséquences humaines
non négligeables pour les personnes retenues, qui sont exacerbées
lorsque les conditions de rétention sont inférieures aux normes
requises.
4.2. Garanties générales
et droits des personnes retenues
47. L’Assemblée a indiqué clairement, dans sa
Résolution 1707 (2010), ce qu’elle attend en termes de garanties et de droits
pour les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile.
Elle l’a fait en énonçant 15 règles qu’il s’agit d’appliquer. Ces
règles figurent à l’annexe 2 du présent rapport.
48. Dans la présente partie, j’ai choisi de me concentrer sur
quatre aspects et d’analyser certains des problèmes concernant l’accès
à un avocat et les droits procéduraux, les contacts avec les membres
de la famille, le droit à des soins médicaux et la protection des
enfants en tant que groupe vulnérable. Un autre aspect majeur est
celui de l’accès aux procédures d’asile en rétention, qui a déjà
été évoqué plus haut.
4.2.1. Droit d’accès à
un avocat et autres droits procéduraux
49. Toutes les personnes retenues doivent avoir accès
à un avocat et doivent bénéficier d’un droit de recours effectif
pour pouvoir contester leur maintien en rétention. Elles doivent
aussi être informées des raisons de leur rétention et de leurs droits,
ainsi que des règles et de la procédure de plaintes applicables
pendant la rétention.
50. Si ces droits sont en théorie accordés aux personnes retenues,
la situation est souvent bien différente en pratique. L’un des problèmes
que j’ai constatés tient au fait que ce sont principalement des
ONG spécialisées qui apportent une assistance juridique à ces personnes
et que les autorités se reposent largement, voire totalement, sur
cette assistance, sans prévoir la création d’un système d’aide juridique
gratuite correctement financé. Parfois, comme je l’ai observé lors
de mes missions d’information en Turquie et en Ukraine, des personnes
sont privées de liberté sans savoir pourquoi. L’absence d’interprétation
aggrave le problème et fait qu’il est plus difficile pour les personnes
retenues de contester cette situation. Bien que l’Etat laisse aux
ONG le soin de donner des conseils juridiques, celles-ci n’ont souvent
pas la possibilité de se rendre librement dans les centres de rétention,
ce qui signifie que les personnes retenues ne bénéficient pas d’un accès
concret à des conseils juridiques. Ce problème semble se poser par
exemple en Turquie, en Russie et en Ukraine.
4.2.2. Droit à des soins
médicaux
51. Toute personne qui arrive dans un centre de rétention
doit avoir droit à un examen médical, destiné à évaluer son état
de santé physique et mentale. Cet examen peut permettre de constater
que la personne concernée a besoin de soins médicaux particuliers
et doit être hospitalisée. Les personnes retenues doivent aussi
pouvoir demander à consulter un médecin, les frais de cette consultation
pouvant cependant être à leur charge.
52. Bien entendu, ce droit n’est pas toujours respecté dans tous
les pays concernés. La majorité d’entre eux ne disposent pas de
ressources suffisantes pour garantir une assistance médicale à caractère
permanent dans les centres de rétention.
53. En Serbie, par exemple, les soins médicaux ne sont pas gratuits
pour les demandeurs d’asile placés en centre de rétention et le
ministère de la Santé n’a pas diffusé d’instructions claires concernant
les soins médicaux aux demandeurs d’asile et aux réfugiés. Les soins
de première nécessité sont actuellement dispensés par le Danish
Refugee Council et financés par le HCR. La même situation a été
observée en Turquie et en Ukraine.
4.2.3. Droit à des contacts
avec les membres de la famille
54. Il est important, pour les personnes retenues, de
pouvoir informer leur famille et leurs proches de leur situation
et de maintenir des contacts réguliers. C’est pourquoi elles doivent
être autorisées à conserver leur téléphone portable ou y avoir accès,
ou disposer d’autres moyens de communiquer avec leur famille.
55. En Ukraine et en Turquie, les personnes retenues ont la possibilité
d’acheter des cartes téléphoniques internationales. Ne bénéficient
cependant de cette mesure que les personnes disposant de l’argent nécessaire.
4.2.4. Les enfants non
accompagnés
56. L’Assemblée s’est exprimée clairement sur la question
des enfants non accompagnés. Ils ne devraient jamais être placés
en rétention et ne devraient en aucun cas être retenus avec des
adultes. Il peut cependant arriver que des enfants doivent être
retenus avec leurs parents, mais cela devrait rester exceptionnel
et ne se produire que lorsqu’il apparaît que cette rétention est
dans l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’article 3
de la Convention relative aux droits de l’enfant.
57. Pourtant, force est de constater que des enfants non accompagnés
sont privés de liberté et placés dans des centres de rétention pour
adultes dans les pays concernés. Cela se produit, par exemple, lorsque
les autorités ne tiennent pas compte des déclarations d’un jeune
concernant son âge. En conséquence, et en l’absence d’une procédure
adéquate d’évaluation de l’âge, le jeune est considéré comme un
adulte et risque de rester en rétention longtemps, dans une situation
d’extrême vulnérabilité. Cette pratique est contraire à la Convention
relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, et notamment
au principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant doit être
une considération primordiale.
58. Je note avec satisfaction que le Gouvernement ukrainien a
pris conscience du problème et tenté d’y remédier. En coopération
avec des organisations internationales, il a entrepris d’élaborer
une procédure fiable d’évaluation de l’âge, qui puisse contribuer
à éviter les cas de rétention d’enfants. Cependant, le problème
des demandeurs d’asile d’âge incertain placés en rétention administrative
se pose encore en Ukraine actuellement, de même que dans d’autres
pays.
4.3. Conditions de rétention
59. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, les migrants en situation
irrégulière ne sont pas des délinquants; leurs conditions de rétention
devraient être humaines et respecter la dignité inhérente à la personne.
Le HCR le rappelle d’ailleurs dans les principes directeurs qu’il
a publiés récemment sur les critères et les normes applicables à
la rétention des demandeurs d’asile
. Il y souligne certains
principes, notamment: la rétention est appliquée uniquement sur
la base de motifs juridiques clairs et détaillés et sous réserve
d’un contrôle judiciaire de sa légalité; elle se fait seulement
dans des lieux officiellement reconnus et prévus à cet effet, et non
pas dans des cellules de police; les hommes et les femmes sont séparés;
les personnes retenues ont la possibilité de recevoir un traitement
médical adéquat, de pratiquer de l’exercice physique et de pratiquer
leur religion; elles ont accès aux installations de base et à l’alimentation,
et la possibilité de se procurer de quoi lire; elles ont accès à
l’information en temps opportun, la possibilité de suivre des études
ou une formation professionnelle, la possibilité de soumettre des
plaintes, etc.
60. Ces principes directeurs ressemblent beaucoup à ceux qui figurent
dans la
Résolution 1707
(2010) de l’Assemblée et qui sont développés dans le
rapport y relatif de la commission des migrations, des réfugiés
et de la population
.
61. Le présent rapport n’a pas pour objet d’analyser la situation
des centres de rétention dans tous les pays concernés. Les rapports
de visite du Comité européen pour la prévention de la torture et
des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT), ainsi
que les rapports élaborés par des organisations comme Amnesty International
ou Human Rights Watch, décrivent d’ailleurs clairement une série
de problèmes que j’ai pu observer moi-même en visitant des centres
de rétention en Ukraine et en Turquie. J’ai eu la chance de pouvoir
me rendre dans un centre qui venait d’être construit, avec un soutien
financier important de l’Union européenne, et dans un centre beaucoup
plus ancien, qui ne bénéficiait pas de tels fonds.
62. Les remarques que m’inspire la visite de ces centres pourraient
s’appliquer à bien des établissements (neufs ou anciens) qui se
trouvent dans d’autres pays situés au-delà de la frontière orientale
de l’Union européenne (ainsi qu’à certains établissements qui se
trouvent sur le territoire de l’Union européenne). Mes visites de
centres de rétention en Ukraine et en Turquie servent donc d’études
de cas pour le présent rapport.
Ukraine
63. En Ukraine, les conditions de rétention des migrants
se sont améliorées ces dernières années, avec l’assistance et le
soutien techniques de l’Union européenne. Il y a plusieurs types
d’établissements de rétention et le Service national des gardes-frontières
gère 86 centres de rétention de courte durée, d’une capacité totale de
573 places: 73 centres spécialement équipés, prévus pour des séjours
de trois jours au maximum, et 13 centres de rétention temporaire,
pour des durées maximales de rétention de 10 jours
. De
plus, le Service national des migrations gère cinq centres d’hébergement
temporaire destinés à la rétention de ressortissants étrangers.
64. Lors de ma mission d’information en Ukraine, j’ai visité le
centre d’hébergement temporaire pour étrangers et apatrides de la
région de Tchernigov. Ce centre, qui peut héberger 208 personnes,
en accueillait alors 70. Il occupait une grande superficie, était
bien équipé et disposait d’installations sanitaires satisfaisantes.
Les personnes retenues dans ce centre étaient correctement soignées,
se voyaient proposer des activités en commun et pouvaient utiliser
des téléphones portables. Le problème principal était la mauvaise santé
des nouveaux arrivants, dont certains souffraient de tuberculose
et de divers troubles psychologiques et avaient souvent besoin de
soins médicaux spécialisés en milieu hospitalier.
65. Cet établissement était, à bien des égards, un centre modèle
pour l’Ukraine; il illustre les conditions de vie qui devraient
être garanties, dans les cas où une mesure de rétention est nécessaire.
Malheureusement, ce centre n’est pas représentatif de la situation
qui prévaut en Ukraine et de nombreux rapports crédibles font état
de mauvaises conditions de rétention, mais aussi de violences de
la part des surveillants. Le CPT a constaté des problèmes de surpeuplement
et d’insalubrité. Les centres gérés par les gardes-frontières sont particulièrement
critiqués pour les mauvais traitements qu’infligeraient les gardes.
Une prise en compte insuffisante des problèmes de santé et un manque
général de communication avec les personnes retenues, dû à la barrière
de la langue, seraient aussi à déplorer
. Les rapports d’ONG
respectées comme Human Rights Watch sont aussi très critiques; ils
dénoncent des cas de détention arbitraire, de mauvais traitements infligés
par des gardes-frontières, de corruption et de mauvais traitements
de personnes vulnérables, dont des enfants
.
66. L’Ukraine est un cas intéressant à étudier, car la situation
y présente deux aspects. D’une part, l’exemple de l’Ukraine montre
que des améliorations sont possibles. D’autre part, les autorités
de ce pays doivent encore résoudre de nombreux problèmes et continueront
à avoir besoin de l’aide de l’Union européenne et de la communauté
internationale.
Turquie
67. D’après les autorités turques, le pays peut héberger
2 176 migrants en situation irrégulière. En plus des centres d’éloignement
existants, un projet de l’Union européenne prévoit la construction
de deux autres de ces centres. En outre, un centre d’éloignement
d’une capacité de 400 personnes est en construction dans la région égéenne,
et deux autres sont en construction dans la partie orientale de
la Turquie, avec une capacité de 1 000 personnes.
68. Lors de ma visite en Turquie, j’ai eu l’occasion de me rendre
dans le centre de rétention de Kumkapi, à Istanbul, où j’ai observé
de très mauvaises conditions de vie: surpeuplement, conditions d’hébergement inadéquates
(20 personnes par chambre, certaines chambres sans fenêtres), manque
d’hygiène, mauvaise aération et soins médicaux insuffisants. Les
personnes retenues se plaignaient aussi de l’absence d’information
sur les procédures juridiques et de la manière dont elles étaient
traitées par les autorités de police.
69. Contrairement au centre visité en Ukraine, celui-ci ne bénéficiait
pas de crédits importants de l’Union européenne, ce qui se traduisait
dans les conditions de rétention. La Turquie est actuellement confrontée
à d’énormes défis, puisque le pays est l’un des principaux points
d’entrée des migrations irrégulières et qu’il doit faire face à
l’arrivée massive de réfugiés syriens.
70. Malgré la construction de nouveaux centres et le soutien de
l’Union européenne, la Turquie a besoin d’une assistance supplémentaire,
non seulement pour améliorer les conditions de vie dans ses centres
de rétention, mais aussi pour trouver des alternatives à la rétention.
4.4. Conclusions
71. Outre les questions soulevées dans les deux études
de cas ci-dessus, je tiens à évoquer un aspect qui me semble important.
Certains des phénomènes les plus graves de traitements inhumains
et dégradants se produisent au début de la privation de liberté,
pendant que les personnes appréhendées attendent dans des locaux
de police d’être transférées dans des centres de rétention des migrants.
C’est le cas non seulement en Ukraine et en Turquie, mais aussi
dans des pays comme la République de Moldova et la Russie.
72. Le problème tient en partie au fait que ces locaux de police
sont très dispersés, difficiles à inspecter et peu adaptés à la
prise en charge de migrants en situation irrégulière et de demandeurs
d’asile, et que les policiers ne sont pas formés pour s’occuper
de ces catégories de personnes. C’est certainement un aspect auquel
il faudra accorder beaucoup plus d’attention à l’avenir.
73. Ma première conclusion est que la privation de liberté doit
être évitée autant que possible; il ne faudrait y recourir qu’en
dernier ressort, en l’absence d’autre solution. De plus, la durée
de rétention devrait être réduite au minimum. De manière générale,
ces principes ne semblent guère appliqués dans les pays concernés.
Par ailleurs, si une mesure de rétention s’impose, elle doit être
mise en œuvre dans une structure conçue à cette fin. Malgré la construction
de plusieurs nouveaux établissements, de nombreux centres de rétention
ne sont manifestement pas aux normes et ne devraient plus être utilisés,
à moins d’être entièrement rénovés.
74. Parmi les autres problèmes qui semblent largement répandus
figurent les difficultés d’accès des personnes retenues à un avocat,
à un interprète, aux membres de leurs familles ainsi qu’aux procédures d’asile
et autres procédures juridiques. Je m’inquiète aussi du peu d’attention
accordé aux besoins des personnes vulnérables, et notamment des
enfants, qui ne devraient pas en principe être placées en rétention.
75. Mes entretiens avec les responsables des centres de rétention
m’amènent à conclure qu’il serait dans l’intérêt des personnes retenues
et des Etats membres que ces centres ne soient pas gérés par la
police, mais par le personnel d’institutions non répressives, formé
pour s’occuper de non-délinquants. Si des policiers continuent à
participer à la mise en œuvre de mesures de rétention, ils doivent
recevoir la formation nécessaire pour exercer des fonctions qui
vont bien au-delà de la simple surveillance de personnes.
76. Vu le nombre de problèmes qui se posent, il est essentiel
que les organisations ou institutions qui se consacrent au suivi
des centres de rétention, comme le CPT et les structures d’inspection
nationales, puissent véritablement faire leur travail. D’autres
acteurs ont aussi un rôle à jouer, notamment les ONG et les parlementaires
nationaux, qui devraient être autorisés et encouragés à se rendre
dans ces lieux de privation de liberté.
5. Accords de réadmission
77. Pour atteindre ses objectifs, toute stratégie migratoire
doit s’accompagner d’un système de retour effectif des migrants
en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés, qui
respecte les droits de ces personnes et garantisse le principe de
non-refoulement.
78. Parmi les mécanismes destinés à promouvoir ces retours figurent
les accords de réadmission. A l’origine, ils étaient conclus entre
pays, sur une base bilatérale, mais l’Union européenne a ensuite
négocié au nom de ses Etats membres toute une série d’accords de
ce type, également avec des pays situés au-delà de sa frontière
orientale.
79. L’Union européenne a ainsi signé des accords de réadmission
avec la République de Moldova, la Fédération de Russie, la Serbie,
le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» et l’Ukraine
, ainsi qu’avec
d’autres pays non européens. La Croatie, qui n’est liée à l’Union européenne
par aucun accord de ce type, a cependant conclu 25 accords bilatéraux
en matière de retour, dont un bon nombre avec des Etats membres
de l’Union européenne. S’agissant de l’accord de réadmission avec la
Turquie, il a été paraphé en juin 2012 mais la signature n’a pas
encore eu lieu.
80. La négociation et l’application de ces accords de réadmission
ont suscité de vives inquiétudes, qui ont notamment été exprimées
par l’Assemblée dans sa
Résolution 1741
(2010) «Les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi
des migrants en situation irrégulière»
.
81. Le problème n’est pas tant le retour de migrants dans leur
pays d’origine que la réadmission de ressortissants de pays tiers.
La Commission européenne l’a d’ailleurs reconnu elle-même dans une communication
récente: «L’ensemble des pays tiers ont une profonde aversion pour
la clause relative aux ressortissants de pays tiers, arguant qu’ils
ne sauraient assumer une responsabilité à l’égard de citoyens de pays
tiers et qu’ils n’ont dès lors pas l’obligation de réadmettre ces
personnes.»
Pour paraphraser une ONG, l’Union
européenne demande à des Etats de s’occuper des étrangers dont elle
ne veut pas
.
82. Il importe de comprendre cette aversion car les ressortissants
de pays tiers renvoyés sont ceux qui se retrouvent repoussés à la
frontière et qui sont ensuite souvent placés en rétention, avant
d’être finalement renvoyés ou libérés si le retour n’est pas possible.
Il est donc essentiel de mettre en place des protections et des
garanties en matière de droits de l’homme pour ces personnes et
de respecter le principe de non-refoulement.
83. J’ai principalement cinq réserves
sur
ces accords de réadmission, réserves qui sont liées à d’autres questions
soulevées dans le présent rapport.
84. La première concerne l’absence, dans ces accords, de clause
de suspension en cas de violations persistantes des droits de l’homme
dans les pays tiers. Bien entendu, s’il y a des problèmes majeurs
dans un pays tiers, l’accord ne doit pas être appliqué.
85. Deuxièmement, tout accord devrait comporter une clause imposant
au pays de réadmission de respecter le droit international en matière
de droits de l’homme et de réfugiés. Ce point est particulièrement important,
par exemple, pour ce qui concerne le non-refoulement et la rétention.
En outre, des mesures pratiques doivent avoir été mises en place
pour permettre leur application concrète.
86. La troisième réserve concerne la manière dont les accords
de réadmission sont appliqués aux frontières. Certains accords de
réadmission prévoient des processus de réadmission «accélérés»,
sans obligation d’accorder l’accès aux procédures d’asile si une
personne est appréhendée dans un laps de temps donné ou à une certaine
distance de la frontière. De telles dispositions ou pratiques sont
contraires au droit international des réfugiés. Il y a clairement
un danger que l’application de la procédure accélérée prévue dans
l’accord de réadmission devienne automatique ou semi-automatique
et ne soit pas précédée d’un examen approfondi de la situation et
des besoins de protection de chaque personne.
87. La quatrième réserve tient à l’absence de suivi portant sur
la mise en œuvre de ces accords et sur la situation des personnes
après leur retour. Certes, des comités conjoints examinent le fonctionnement
des accords, mais ils ne sont pas transparents. Des ONG et des organisations
internationales (notamment le HCR) devraient participer aux travaux
de ces comités dans l’avenir. De plus, il est nécessaire d’instaurer
ce qu’on a appelé des mécanismes de suivi de «l’après-retour», pour
savoir ce que deviennent, après leur retour, les personnes réadmises
dans le cadre d’accords de réadmission.
88. Enfin, la cinquième réserve concerne l’absence de référence
explicite aux obligations des Etats signataires en matière d’asile
dans certains cas (on parle parfois de «clause de non-incidence»),
ou l’inclusion de telles clauses sans suivi de leur respect.
89. Si les aspects décrits ci-dessus sont traités dans la
Résolution 1741 (2010) de l’Assemblée et dans la communication de la Commission
européenne elle-même (mentionnée plus haut), la situation a cependant
peu évolué et les Conclusions du Conseil de l’Union européenne définissant
la stratégie de l’UE en matière de réadmission, datées de juin 2011,
n’apportent guère de solution aux problèmes soulevés
.
90. En guise de conclusion de cette partie consacrée à l’application
des accords de réadmission, il est reconnu qu’ils sont nécessaires
et, par ailleurs, qu’ils pourraient, à condition d’inclure des garanties
suffisantes, faciliter les retours en toute sécurité et l’accès
à la procédure d’asile. Ils recouvrent cependant aussi une confrontation
entre les intérêts des Etats qui veulent se débarrasser d’un problème
et les intérêts des Etats qui sont réticents à s’en charger. Or,
au centre de cette confrontation se trouvent des personnes, considérées comme
étant le problème, à savoir des migrants et parfois des demandeurs
d’asile. Le risque que les intérêts nationaux l’emportent sur les
droits de l’homme est bien réel, d’où la nécessité d’intégrer dans
ces accords des dispositions protégeant les droits de l’homme et
de suivre la mise en œuvre des accords et la situation des personnes
réadmises.
6. Le rôle de l’Union
européenne
91. L’une des priorités de l’Union européenne est de
s’occuper de la pression migratoire qui s’exerce sur elle, et notamment
des migrations irrégulières.
92. En 2005, l’Union européenne a commencé à définir une approche
globale sur la question des migrations (GAM). En 2007, cette approche
a été étendue aux pays d’Europe orientale et d’Asie centrale. Le
programme de Stockholm de 2009, qui définissait les priorités politiques
de l’Union européenne dans le domaine des migrations et de l’asile
pour la période 2010-2014, soulignait aussi l’importance de lancer
et de mettre en œuvre de nouveaux programmes de protection régionaux,
ainsi que d’établir un partenariat stratégique avec le HCR. Renouvelée
dernièrement, l’approche globale sur la question des migrations
et de la mobilité (GAMM) présentée en 2011 remplace la GAM et fournit
le cadre transversal de la politique extérieure de l’Union européenne
en matière de migration.
93. De plus, une coopération a été établie entre les Etats membres
de l’Union européenne et les pays d’Europe orientale par le biais
de différentes plates-formes de coopération, telles que le Groupe
du partenariat oriental de l’UE sur les migrations et l’asile
,
le processus de Budapest
et le
processus de Prague
.
94. Par ailleurs, depuis 2007, la Commission européenne incorpore
les questions relatives aux migrations et à l’asile dans son programme
thématique de coopération avec les pays tiers dans le domaine des
migrations et de l’asile. Prochainement, un nouveau Cadre financier
pluriannuel – budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020
prévoira les programmes succédant au Programme thématique (lequel
prendra fin en 2013).
95. C’est par le biais de ces programmes thématiques que sont
mis en œuvre les objectifs du Groupe sur les migrations et l’asile
et des processus de Budapest et de Prague. En 2011-2013, les priorités
suivantes dans les pays d’Europe orientale ont été identifiées:
- soutenir la mise en œuvre et
la négociation d’accords de réadmission;
- soutenir les activités liées à la protection internationale,
notamment dans le cadre des programmes de protection régionaux,
en mettant plus particulièrement l’accent sur les conditions d’enregistrement, d’accueil
et de réinstallation, ainsi que sur les mesures destinées à protéger
les réfugiés contre l’exploitation et les mauvais traitements, le
racisme et la xénophobie;
- assurer la prévention et le contrôle des migrations irrégulières;
- accorder une attention particulière à la protection internationale
des demandeurs d’asile et des réfugiés et soutenir la mise en œuvre
de programmes de protection régionaux.
96. A titre d’exemple concret, en 2005, la Commission européenne
a désigné l’Ukraine, la République de Moldova et le Bélarus comme
pays cibles pour le premier programme de protection régional pilote.
Ce programme a fourni des financements pour renforcer la protection
internationale des demandeurs d’asile et des réfugiés, ainsi que
pour mettre en œuvre des solutions durables, c’est-à-dire le rapatriement,
l’intégration locale ou la réinstallation
.
97. En outre, a été lancé un programme «d’assistance frontalière
de l’Union européenne en faveur de la Moldova et de l’Ukraine» (EUBAM)
. Ce programme apporte
une assistance technique et des conseils aux gardes-frontières moldoves
et ukrainiens. Par ailleurs, dans le cadre d’un projet de jumelage
qui vise à renforcer les capacités de la Turquie en matière de lutte
contre les migrations irrégulières et de mise en place de centres
d’éloignement pour les migrants en situation irrégulière, l’Union
européenne a apporté une aide d’environ 15 millions d’euros aux
fins de la création de deux centres d’éloignement et de l’élaboration
de normes relatives à leur fonctionnement opérationnel jusqu’en
2012
.
98. Il est indéniable que ces différents programmes ont encouragé
les pays concernés à rendre leurs systèmes d’asile plus conformes
aux règles et normes internationales. Ils ont certainement aussi
contribué à améliorer les conditions de rétention dans certains
centres, comme j’ai pu le constater en Ukraine.
99. Compte tenu de l’ampleur du problème, la tâche à accomplir
reste cependant immense, surtout si l’on considère les pressions
en matière de migrations et d’asile qui s’exercent sur les pays
situés au-delà des frontières orientales externes de l’Union européenne.
A l’évidence, ces pays auront besoin d’une aide bien plus conséquente
s’ils doivent servir de zone tampon, destinée à protéger l’Union
européenne contre les migrations irrégulières.
7. Conclusions
générales
100. Les flux migratoires mixtes se déplacent vers l’est.
En témoignent les mouvements de population à destination de la Turquie
et à travers ce pays. Ils sont destinés à s’amplifier et à se déplacer
vers le nord, le long de la frontière orientale de l’Union européenne,
en augmentant encore la pression exercée sur les Balkans, l’Ukraine
et la Russie.
101. L’Union européenne et ses Etats membres, conscients des pressions
auxquelles sont soumis leurs voisins d’Europe orientale, leur apportent
un soutien pour les aider à contrôler ces flux mixtes de migrants
en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de réfugiés.
102. D’après ce que j’ai vu et appris, cette assistance est loin
d’être suffisante; ces pays ne sont pas à même de faire face aux
difficultés actuelles, et encore moins à celles qui se présenteront
dans l’avenir. L’Union européenne et ses Etats membres doivent apporter
une aide plus importante à ces pays. Il ne faut pas oublier que
l’Union européenne est le principal facteur d’attraction de ces
flux migratoires mixtes. Il appartient aussi aux pays ayant une
frontière avec l’Union européenne de redoubler d’efforts; ils ne
devraient pas se reposer entièrement sur l’assistance dans les domaines
qui relèvent de leur responsabilité.
103. L’histoire récente montre combien l’Europe est peu préparée
à faire face à des mouvements de population de grande ampleur. Elle
n’était pas prête lors de la première arrivée massive de réfugiés
sur les côtes méditerranéennes, au milieu des années 1990. Elle
n’était pas prête lors des importants déplacements de population
causés par la crise libyenne. Elle n’était pas prête lors de l’afflux
de Syriens, même s’il convient de saluer l’action de la Turquie,
qui a accueilli plus de 258 000 Syriens. Par ailleurs, l’Europe
n’a pas été capable de soulager la Grèce, qui cumule les problèmes
liés à la dette, à l’austérité, aux flux migratoires mixtes et à
la xénophobie.
104. Il s’agit donc de s’employer bien plus activement à aider
les pays situés au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne.