1. Introduction
1.1. Procédure
1. La proposition de résolution présentée par Jean-Charles
Gardetto (Monaco, PPE/DC) et plusieurs de ses collègues sur «La
promotion d'alternatives à l'emprisonnement» a été renvoyée le 3
octobre 2011
à la commission des
questions juridiques et des droits de l'homme pour rapport. Le 13
décembre 2011, la commission m'a nommée rapporteure et le 13 mars
2012 a examiné une note introductive. Le 11 décembre 2012, elle
a procédé à l’audition des experts suivants:
- M. Jovan Ciric, directeur de l’Institut de droit comparé,
Belgrade (Serbie)
- Professeur Marcelo Aebi, directeur adjoint de l’Institut
de criminologie, Université de Lausanne (Suisse)
2. Les 11 et 12 février 2013, j’ai effectué une visite d’étude
au Royaume-Uni, afin d’examiner les mesures récemment prises pour
promouvoir les alternatives à l’emprisonnement destinées à diminuer
la récidive et à améliorer la sécurité de la population, tout en
contenant les coûts budgétaires. J’aimerais remercier les autorités
britanniques compétentes, et notamment la délégation du Royaume-Uni
auprès du Conseil de l’Europe, pour leur coopération et leur excellente
hospitalité
. J’ai été impressionnée par le professionnalisme et
l’engagement personnel dont ont fait preuve mes interlocuteurs,
tant sur le plan de l’action des instances étatiques compétentes
que sur le plan politique, et notamment parmi les organisations
non gouvernementales spécialisées ou les organismes autonomes mandatés
par l’Etat. Les autres pays européens ont beaucoup à apprendre de
la manière dont le Royaume-Uni a tout d’abord expérimenté, puis
introduit progressivement à grande échelle un certain nombre de
nouvelles peines non privatives de liberté, qui se sont véritablement révélées
être des alternatives viables à l’emprisonnement.
1.2. Le Conseil de l’Europe
à la pointe de la promotion des alternatives à l’emprisonnement
3. Le Conseil de l’Europe est depuis longtemps à la
pointe du mouvement en faveur d’un plus large recours aux peines
non privatives de liberté. Dès 1965, «considérant les inconvénients
que l’incarcération peut présenter, et plus particulièrement pour
les délinquants primaires»
, le Comité des Ministres a adopté
la Résolution «Sursis, probation et autres mesures de substitution
aux peines privatives de liberté». Cette résolution s’inspirait
elle-même de la recommandation de l’Assemblée de 1959 sur la réforme
pénale
. «Considérant
la tendance constatée dans tous les Etats membres d’éviter, dans
toute la mesure du possible, l’application des peines privatives
de liberté, en raison de leurs multiples inconvénients et par respect
pour les libertés individuelles, et convaincu que cette politique
pourrait être poursuivie sans mettre en danger la sécurité publique»,
le Comité des Ministres a adopté une autre résolution sur certaines
mesures pénales de substitution aux peines privatives de liberté
en 1976
.
4. La Recommandation No R (92) 16
relative aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées
dans la communauté
correspond à la version européenne
des Règles minima des Nations Unies pour l'élaboration de mesures
non privatives de liberté («les Règles de Tokyo») adoptées en 1990
. Les Règles européennes sur les sanctions
et mesures appliquées dans la communauté (ci-après «les Règles européennes»)
ont été complétées récemment par la Recommandation CM/Rec(2010)1
sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation
.
5. Ces documents indiquent tous clairement que les mesures non
privatives de liberté ont pour vocation et pour intérêt d’offrir
des peines de substitution à l’emprisonnement aux délinquants et
de permettre aux autorités d’adapter les sanctions pénales aux besoins
de chaque délinquant de manière proportionnée à l’infraction commise.
Elles permettent à un délinquant de rester en liberté, et donc de
poursuivre son activité professionnelle, ses études et sa vie familiale
. Parallèlement,
ces documents sont – tout comme moi, si je puis dire – pleinement
favorables au but poursuivi par le système de justice répressive,
qui consiste à diminuer la criminalité et à admettre qu’il importe
de tenir compte de la situation des victimes
.
6. La promotion d’alternatives à l’emprisonnement n’est donc
en aucun cas une démarche nouvelle ou «révolutionnaire»; il s’agit
tout simplement de bon sens. Comme nous le verrons, les avancées
technologiques récentes offrent de nouvelles possibilités à toute
la panoplie des alternatives à l’emprisonnement, ce qui favorise
encore la cause de la réduction de l’emprisonnement. Parallèlement,
il convient de veiller à ce que ces nouvelles options n’entraînent
pas un «élargissement de la nasse» des sanctions pénales, en visant
les petits délinquants et les primo-délinquants auteurs de petites
infractions qui, dans le cas contraire, n’auraient fait l’objet
d’aucune sanction pénale officielle.
2. Le regain
de terrain de l’emprisonnement en Europe et le problème de la surpopulation
carcérale
2.1. Les taux d’incarcération
en Europe: disparates, mais globalement en augmentation
7. Etonnamment, compte tenu de ce qui précède, l’emprisonnement
a gagné du terrain en Europe ces dernières années. Bien qu’il soit
généralement admis que la prison devrait offrir une solution de
dernier recours aux comportements répréhensibles, les taux d’incarcération
ont plus augmenté qu’ils n’ont diminué dans la plupart des pays
européens depuis les années 90. Les taux d’incarcération de la majeure
partie des pays européens sont en effet supérieurs à ceux des années
70 et 80. Les pays d’Europe centrale et orientale arrivent toujours
en tête, avec 200 détenus pour 100 000 habitants, et ces taux connaissent
malheureusement une nouvelle augmentation, qui fait suite à la forte
baisse enregistrée immédiatement après les changements politiques
survenus à la fin des années 80. Un certain nombre de pays d’Europe
occidentale ont également connu une forte progression du nombre
de leurs détenus au cours des 10 dernières années et atteignent
à présent des taux d’incarcération bien supérieurs à 100 détenus
pour 100 000 habitants (notamment les Pays-Bas, l’Angleterre et
le pays de Galles et l’Espagne). Fort heureusement, certains pays
continuent à afficher des taux de détention de moins de 100/100
000 (France, Allemagne et Grèce), tandis que ceux des pays scandinaves,
la Suisse et l’Italie restent très inférieurs à 100/100 000. En
Angleterre et au pays de Galles, aux Pays-Bas, en Grèce et en Espagne,
les taux de détention ont augmenté à un rythme particulièrement
rapide entre 1987 et 2006, tandis que la France, l’Allemagne, le
Danemark, l’Autriche et la Suisse ont connu une progression relativement
faible
.
8. Les chiffres précités concernent l’année 2006. Les chiffres
les plus récents fournis par les statistiques SPACE I (Statistiques
pénales annuelles du Conseil de l’Europe) publiées en 2012, qui
font état de la situation au 1er septembre
2010, confirment dans l’ensemble la tendance décrite par le professeur
Albrecht – à l’exception, sur un plan positif, des Pays-Bas, où
le taux d’incarcération a diminué à nouveau jusqu’à 70,8/100 000,
et sur un plan négatif, de la France et de l’Italie, où les taux
d’incarcération dépassent désormais les 100/100 000 (103,5 en France
et 113,3 en Italie)
.
Les pays dont les taux d’incarcération sont les plus élevés des
Etats membres du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire représente plus
du double de la moyenne européenne de 149,3, se situent tous à l’est
du continent: la Fédération de Russie (590,8), la Géorgie (533,9),
l’Azerbaïdjan (410,0) et l’Ukraine (332,4).
2.2. La surpopulation
carcérale: un problème pour 21 Etats membres du Conseil de l’Europe
9. Il n’est guère étonnant, au vu des chiffres précités,
et comme l’indique la proposition de résolution sur laquelle repose
le présent rapport, que plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe
souffrent de surpopulation carcérale. D’après les statistiques les
plus récentes publiées par le Conseil de l’Europe
, 21 Etats membres affichent un
taux de plus de 100 détenus pour 100 places de détention. Parmi
ceux-ci figurent des pays aux prisons légèrement surpeuplées, comme
l’Islande, l’Irlande, la Suède et la Finlande (moins de 105 détenus
pour 100 places), des Etats confrontés à des problèmes plus graves
(comme la France, avec un taux de 108,4, et la Turquie à hauteur
de 115 ou la Grèce à 123) et des pays confrontés à une très forte
surpopulation (la Serbie – 172,3 détenus pour 100 places – et l’Italie,
dont le taux atteint 153,2 et Chypre, qui compte 150,8 détenus pour
100 places).
10. De nombreux rapports du Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants
(CPT) montrent que cette situation génère des conditions carcérales
inférieures aux normes requises. Elles sont une source de graves
problèmes en matière de droits de l’homme et diminuent considérablement
l’incidence que peut avoir la prison sur la réinsertion des délinquants.
Outre les détenus déjà condamnés pour une infraction, les Etats
membres du Conseil de l'Europe comptent des centaines de milliers de
prévenus placés en détention provisoire ou préventive. Il convient
de ne pas oublier que ces personnes bénéficient de la présomption
d’innocence. C’est là une excellente raison de faire le meilleur
usage possible des mesures alternatives, afin d’atteindre les buts
habituellement poursuivis par le placement en détention provisoire
.
11. Compte tenu de la situation budgétaire difficile de la plupart
des Etats membres, le facteur que représente le coût élevé de l'emprisonnement
devrait
également inciter à une réflexion sur les alternatives à l'emprisonnement.
Les statistiques SPACE I
montrent que le
coût d’un détenu par jour (en 2009) va, par exemple, d’à peine 2
euros en Arménie et en Bulgarie, 9 euros en Azerbaïdjan, 15 euros
en Albanie et en Serbie, à 80 à 120 euros dans la plupart des pays
d’Europe occidentale et jusqu’à 300 euros en Norvège. Il s’agit
donc de dépenses considérables, même pour les pays qui se situent
dans la moyenne du coût par détenu; dans les pays dont les dépenses
sont particulièrement faibles, on peut se demander si ces ressources extrêmement
limitées peuvent réellement suffire à garantir le respect de la
dignité humaine et des normes minimales de détention, surtout en
vue d’une réinsertion.
12. Les préoccupations légitimes de nos sociétés en matière de
sécurité et le besoin de justice rétributive ressenti par les citoyens
doivent bien entendu être également pris en compte. Je partage néanmoins
l'idée avancée par les auteurs de la proposition sur laquelle repose
mon mandat: il existe des alternatives adaptées à l'emprisonnement,
notamment pour les petits délinquants ou les primo-délinquants,
les jeunes délinquants et ceux qui ne représentent pas à l'heure
actuelle un danger pour la société; ils pourraient même être mieux en
mesure de réparer le préjudice qu'ils ont causé à leurs victimes
s’il leur était permis de bénéficier d’alternatives aux peines d'emprisonnement
.
3. Les délinquants
aptes à bénéficier de peines de substitution: prise en compte de
«l’objectif poursuivi par la peine»
13. Les types de délinquants pour lesquels l’application
de peines non privatives de liberté serait socialement acceptable
et politiquement défendable dépendent des différents buts poursuivis
par les sanctions pénales et de leurs rapports complexes et parfois
contradictoires. Je suis consciente que l'importance accordée aux
divers «objectifs poursuivis par la sanction» est profondément enracinée
dans notre socialisation culturelle et politique. L'Assemblée représente
47 pays qui possèdent des traditions pénales différentes et offrent
l’éventail complet des tendances politiques de la gauche à la droite,
il n'est guère probable, et peut-être pas davantage souhaitable,
que nous soyons tous d’accord sur l’importance qu’il convient d’accorder
à ces divers objectifs de la sanction sur un plan quantitatif. Mais
il importe que nous puissions convenir d'une liste d’objectifs que
devraient poursuivre les sanctions pénales, sans préciser l'importance
que nous leur accordons, et sur laquelle figureraient:
- la
prévention générale, c'est-à-dire le fait de dissuader
en général d'éventuels délinquants. La prévention générale dépend
notamment de l’existence d’un taux élevé d’élucidation des infractions pénales,
c’est-à-dire de la probabilité qu’un délinquant soit effectivement
identifié et condamné. Elle exige également que les peines soient
suffisamment «désagréables» pour produire un effet dissuasif sur
d’éventuels délinquants. Il faut donc que les peines non privatives
de liberté ne soient pas inférieures à un certain seuil de contrainte;
- la prévention particulière,
c'est-à-dire le fait de prévenir la commission d'infractions (supplémentaires) par
les personnes condamnées à une peine, grâce à la fois à la dissuasion
et à la réinsertion. Sur le plan de la dissuasion, les facteurs
mentionnés ci-dessus entrent en ligne de compte de la même manière.
La réinsertion, quant à elle, peut être favorisée aussi bien en
prison qu’à l’extérieur. La prison peut cependant lui être préjudiciable,
à cause de son effet «école du crime» bien connu, surtout dans les
lieux de détention surpeuplés où les jeunes délinquants ou les primo-délinquants
subissent l’influence de multirécidivistes endurcis;
- la justice rétributive,
c'est-à-dire le fait de faire respecter la loi, en punissant les
délinquants par principe, pour le compte de la société dans son
ensemble et des victimes de l’infraction concernée, tend davantage
vers une dimension métaphysique de l’objectif de la peine. Son poids
est difficile à quantifier, mais elle joue un rôle important dans
la conception populaire, et (parfois) populiste, du rapport entre infraction
et peine. Bien que nos sociétés aient dépassé depuis longtemps le
principe archaïque «œil pour œil, dent pour dent», les peines privatives
de liberté restent très largement considérées comme la conséquence
inévitable de crimes particulièrement graves, en particulier lorsqu’ils
attentent volontairement à la vie et la santé d’autrui;
- la justice réparatrice,
c'est-à-dire le fait de réparer le préjudice subi par la victime,
qui comprend, selon certains, la «satisfaction morale» de voir puni
l'auteur de l'infraction. La justice réparatrice peut être favorisée
plus efficacement par des peines non privatives de liberté que par
l’emprisonnement, puisque l’auteur de l’infraction ne perd pas automatiquement
son emploi et dispose par conséquent de fonds plus importants pour
réparer le préjudice causé.
14. Ces «objectifs de la sanction» doivent servir à orienter l’évaluation
des alternatives possibles à l’emprisonnement, bien qu’elles dépendent
pour beaucoup de l’importance accordée par chaque pays à l’un ou
l’autre de ces objectifs, parfois contradictoires.
15. On peut considérer, en principe, que les peines non privatives
de liberté sont particulièrement adaptées à la sanction des infractions
non violentes, surtout lorsque celles-ci sont commises par des jeunes
délinquants et/ou des primo-délinquants, ainsi que par des femmes
.
Cela ne signifie pas pour autant que tous les autres délinquants
devraient systématiquement être placés en détention. Une semblable
conception représenterait un recul considérable, y compris par rapport
à la pratique en vigueur dans bon nombre de pays. En examinant les
différents types de peines non privatives de liberté, je mentionnerai
les catégories d’infractions et de délinquants pour lesquels elles
se sont avérées les plus judicieuses.
16. Les Règles de Tokyo, combinées au Commentaire sur les Règles,
donnent une première indication, en précisant que «pour des délits
très divers et de nombreux types de délinquants, en particulier
ceux qui ne risquent pas de récidiver, ceux qui sont condamnés pour
des délits mineurs et ceux qui ont besoin d’une aide médicale, psychiatrique
ou sociale, l’incarcération ne peut être considérée comme une sanction
appropriée»
.
4. Les différentes
alternatives à l’emprisonnement: normes légales et en matière de
droits de l’homme
17. Parmi les alternatives possibles à l’emprisonnement
figurent les amendes (voir ci-dessous 4.1), ainsi que l’application,
distincte ou combinée, de «sanctions et mesures appliquées dans
la communauté», définies comme des «sanctions et mesures qui maintiennent
l’auteur d’infraction dans la communauté et impliquent certaines
restrictions de liberté par l’imposition de conditions et/ou d’obligations»
. Ces sanctions et
mesures peuvent, soit accompagner une peine d’emprisonnement assortie
du sursis (voir ci-dessous 4.2), soit remplacer totalement une peine
privative de liberté. Les statistiques SPACE II du Conseil de l’Europe
offrent une profusion de données
intéressantes sur l’utilisation des peines et mesures non privatives
de liberté (à l’exclusion des amendes) dans la plupart des Etats
membres du Conseil de l’Europe.
18. Les Règles minima pour l'élaboration de mesures non privatives
de liberté ont été édictées pour la première fois en 1990 dans les
Règles de Tokyo. En 1992, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation
No R (92) 16 relative aux règles européennes
sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, complétée
en 2010 par la Recommandation CM/Rec (2010) 1 sur les règles du
Conseil de l’Europe relatives à la probation.
19. Les peines non privatives de liberté, qui sont évidemment
préférables aux peines d’emprisonnement dans tous les cas, sauf
les plus graves, doivent néanmoins respecter des exigences élémentaires
en matière de droits de l’homme, comme le précisent les Règles de
Tokyo et les Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées
dans la communauté; les exigences suivantes sont ainsi en principe
applicables à l’ensemble des peines non privatives de liberté.
4.1. Le principe de
légalité
20. Ce principe signifie que les mesures qui doivent
être appliquées, les conditions de leur application et les autorités
chargées de leur application doivent être prévues par la loi. La
règle 3 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées
dans la communauté précise que «[l]a définition, l’adoption et l’application des
sanctions et mesures appliquées dans la communauté doivent être
prévues par des dispositions légales». Bien que l’un des avantages
des peines de substitution soit leur souplesse, qui permet de personnaliser
la sanction dans l’intérêt de la réinsertion du délinquant, celle-ci
ne saurait pour autant autoriser l’arbitraire. La loi doit fixer
un cadre clair et prévisible pour toutes les condamnations pénales,
y compris pour les peines non privatives de liberté. Ces dernières
peuvent donner lieu à une importante ingérence dans les droits fondamentaux
des délinquants. Les autorités chargées de l’application de ces
sanctions peuvent être autorisées par la législation à en «privatiser»
certains volets. Je suis personnellement favorable à une plus grande
participation des acteurs de la société civile dans ce domaine,
car leur bonne volonté, leur expérience et leur engagement humain
peuvent améliorer de façon cruciale les chances de réinsertion des
délinquants. Les «cercles de soutien» lancés au Royaume-Uni par
les Quakers à propos desquels j’ai obtenu un certain nombre de précisions
au cours de ma visite en offrent un exemple intéressant. A l’inverse,
la participation des entreprises privées, qui cherchent à retirer
un profit financier de mesures telles que les travaux d’intérêt
général imposés aux délinquants ou auxquelles le suivi des appareils
électroniques peut être délégué, me laisse sceptique. En pareil
cas, la loi se doit de préciser clairement que la responsabilité
légale ultime appartient à l’autorité publique compétente, qui ne
saurait se soustraire à ses obligations en les déléguant à des acteurs privés.
4.2. L’interdiction
de la discrimination
21. L’interdiction de toute discrimination représente
une autre exigence légale importante associée à l’application de
mesures non privatives de liberté. Selon la règle 2.2 des Règles
de Tokyo, ces dernières s’appliquent «sans discrimination de race,
de couleur, de sexe, d’âge, de langue, de religion, d’opinion politique ou
autre, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance
ou autre situation». Mais toutes les différences de traitement ne
sont pas discriminatoires. Une différenciation établie sur la base
de critères raisonnables et objectifs ne s’apparente pas à une discrimination
interdite
.
L’un des grands avantages des mesures non privatives de liberté
est précisément leur souplesse, c’est-à-dire la possibilité qu’elles
offrent d’être adaptées aux besoins de chaque délinquant. Le fait
de traiter des personnes différemment en fonction de leur histoire
personnelle et de leurs besoins et problèmes propres peut en vérité
se justifier objectivement. Mais ceux auxquels la décision incombe
doivent toujours avoir conscience du fait que cet élément discrétionnaire
présent dans la mise en œuvre de ces mesures peut, intentionnellement
ou non, traduire une discrimination bien présente dans la collectivité
concernée
.
4.3. Le principe de
proportionnalité
22. Le respect du principe de proportionnalité suppose
qu’il existe un rapport raisonnable entre, d’une part, la gravité
de l’infraction et, d’autre part, l’intensité du caractère afflictif
et de l’ingérence dans les droits du délinquant de la mesure appliquée.
Comme le précise la règle 6 des Règles européennes, «la nature et
la durée des sanctions appliquées dans la communauté doivent aussi
bien être proportionnées à la gravité de l’infraction pour laquelle
un délinquant a été condamné ou une personne est inculpée que tenir
compte de sa situation personnelle».
23. Cela ne signifie pas obligatoirement que les peines de substitution
doivent uniquement peser légèrement sur le délinquant. Au contraire,
si nous songeons sérieusement à réduire l’emprisonnement en favorisant
des peines alternatives, nous devons être prêts à englober dans
le cadre de ces mesures les auteurs d’infractions assez graves,
qui seraient sinon incarcérés pendant un certain temps. Pour de
tels délinquants, l’existence de mesures assez «lourdes», comme
des amendes payées par le prélèvement à la source des revenus disponibles
du délinquant pendant plusieurs mois, éventuellement associées à
une assignation à résidence pendant un certain nombre de week-ends
et de soirées, dont le respect serait rigoureusement assuré par
des appareils électroniques, peut offrir une alternative crédible
à une peine d’emprisonnement, en tenant compte de la plupart, voire
de la totalité, des «objectifs de la peine» exposés plus haut.
4.4. Le consentement
du délinquant
24. Le consentement du délinquant est nécessaire surtout
dans les cas où les mesures pénales non privatives de liberté sont
appliquées avant ou en lieu et place de la procédure officielle
ou d’un procès (par exemple l’utilisation d’appareils de suivi électronique
pendant la phase qui précède le procès, afin d’éviter le placement
en détention provisoire; ou les mesures dites de «déjudiciarisation»,
destinées à éviter la stigmatisation des primo-délinquants par une
condamnation formelle)
.
25. La réussite de la mise en œuvre des mesures prises commande
de rechercher le consentement et la coopération du délinquant, également
lorsque celui-ci a été officiellement condamné. Les Règles européennes sur
les sanctions et mesures appliquées dans la communauté comportent
un ensemble de dispositions extrêmement détaillées, qui visent à
garantir que le délinquant donne son consentement en toute connaissance
de cause, expressément et sans qu’il ait été obtenu par l’exercice
de pressions excessives
.
4.5. Le droit à un contrôle
des mesures
26. Les Règles européennes et les Règles de Tokyo prévoient
toutes deux que le délinquant qui fait l’objet de sanctions et de
mesures appliquées dans la communauté jouisse de garanties judiciaires
et de procédures de recours
.
Les Règles européennes sont plus protectrices que les Règles de
Tokyo, car elles exigent que la décision ordonnant ou annulant une
sanction appliquée dans la communauté ou une mesure adoptée au cours
de l’instruction soit prise par une autorité judiciaire, alors que
les Règles de Tokyo permettent qu’elle provienne d’une «autre autorité
indépendante compétente». Une procédure de recours moins formelle
suffit pour les décisions relatives à la simple exécution d’une
sanction ordonnée par une autorité judiciaire.
4.6. Le respect du droit
au respect de la vie privée et de la dignité des délinquants
27. Les Règles de Tokyo précisent que «l’application
de mesures non privatives de liberté se fait dans le respect du
droit du délinquant et de sa famille à la vie privée» (règle 3.11).
Le Commentaire sur les Règles de Tokyo met en garde contre les mesures
de surveillance qui traitent les délinquants uniquement comme un objet
de contrôle et ajoute que les techniques de surveillance ne devraient
pas être utilisées sans que le délinquant en soit informé
. La règle 23 des Règles
européennes indique que le respect de soi, les relations familiales,
les liens avec la collectivité et la capacité à vivre en société
ne doivent pas être compromis et que «des garanties devront être
adoptées pour les protéger de toute insulte et de toute curiosité
ou publicité inopportunes».
28. Au vu de certaines pratiques expérimentales appliquées par
quelques juridictions, qui selon moi vont trop loin, au moins au
regard des normes européennes, il convient de rappeler ces règles
.
29. Néanmoins, les restrictions imposées au respect de la vie
privée, qui sont inévitablement inhérentes aux mesures de surveillance
électronique, doivent être acceptées si l’on veut favoriser cette
alternative crédible à des peines privatives de liberté qui occasionnent
une ingérence beaucoup plus importante dans les droits du délinquant.
Cela dit, la mise en œuvre pratique des mesures de surveillance
électronique peut être modulée de manière à limiter autant que possible
l’ingérence dans la vie privée, sans compromettre l’objectif de
la mesure (par exemple prévenir la récidive ou faire respecter des
heures de rentrée précises).
4.7. La protection contre
le risque excessif de préjudice physique ou mental
30. Fondée sur les articles 2 et 3 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5), la
règle 26 des Règles européennes précise que «la nature, le contenu
et les méthodes d’exécution d’une sanction ou mesure appliquée dans
la communauté ne doivent pas entraîner de risques indus de dommage
physique ou mental. La règle 25 indique qu’une sanction ou mesure
appliquée dans la communauté «ne doit jamais comporter de traitement
ou de technique médical ou psychologique non conforme aux normes
reconnues sur le plan international». Dans le même esprit, l’article
3.8 des Règles de Tokyo interdit les mesures non privatives de liberté
qui comportent une «expérimentation médicale ou psychologique effectuée
sur le délinquant [ou un] risque indu de dommage physique ou mental
pour celui-ci».
31. Ces dispositions soulèvent inévitablement la question du recours
à la castration chirurgicale chimique pour les délinquants sexuels.
La castration faisait certes, dans un passé plus ou moins récent,
fréquemment office de sanction pour différents types d’infractions
, mais la législation
qui autorisait la castration chirurgicale forcée a été soit modifiée
pour en interdire le caractère non volontaire soit totalement abrogée.
Bien que les textes de loi qui autorisent la castration volontaire
dans certains pays soient encore en vigueur (en Allemagne, au Danemark,
en Finlande et en Suède), l’application concrète de la castration
chirurgicale a été abandonnée, sauf en République tchèque, où la
castration chirurgicale volontaire des délinquants sexuels n’est
pas rare aujourd’hui encore, et en Allemagne, où elle est extrêmement
rare. Le CPT a fortement critiqué ces deux pays
, en déclarant que «la castration
chirurgicale est une mutilation irréversible et ne saurait être
considérée comme une nécessité médicale dans le cadre du traitement
des délinquants sexuels»
. La castration chimique volontaire,
en revanche, est pratiquée actuellement en Allemagne, en Belgique,
au Danemark, en France, en Hongrie, en Italie, au Royaume-Uni, en
Suède et en République tchèque
.
32. En 2009, la Pologne a adopté une loi relative à la castration
chimique
obligatoire, ce qui
a fait d’elle le premier pays d’Europe à autoriser l’imposition
de ce traitement à certains délinquants sexuels (pédophiles). En mars
et juin 2012, la République de Moldova et l’Estonie ont adopté des
textes de loi similaires
.
33. Compte tenu des questions médicales, déontologiques et juridiques
difficiles soulevées par la castration chirurgicale chimique, je
préfère ne pas prendre position sur ce type de sanction dans le
présent rapport. Cette question exige, selon moi, d’être traitée
dans un rapport distinct, afin d’accorder toute l’attention nécessaire
à ses détails. Je suis certaine que le rapport de Mme Liliane Maury
Pasquier, en préparation à la commission des questions sociales,
de la santé et du développement durable, rendra pleinement compte
de la question.
5. La nécessité d’éviter
d’«agrandir les mailles du filet» des sanctions
34. Il convient de veiller soigneusement à ce que les
peines non privatives de liberté soient infligées en lieu et place
des peines d’emprisonnement, et en aucun cas en plus de celles-ci,
de manière à ne pas élargir le champ d’application des peines. Les
infractions mineures qui ne sont pas passibles de sanctions pénales
ne devraient pas davantage donner lieu à des condamnations non privatives
de liberté. Cette question a déjà été soulevée dans le Commentaire
sur les Règles de Tokyo; celui-ci souligne que, «en réduisant le
recours à l’incarcération et en appliquant des mesures non privatives,
il faut tenir dûment compte du principe du respect des droits de
l’homme, de la justice sociale et de la réinsertion des délinquants.
Les Règles de Tokyo cherchent à garantir que l’utilisation plus
large des mesures non privatives de liberté n’entraîne pas une augmentation
du nombre de personnes frappées par des mesures pénales ou le recours
à des mesures plus rigoureuses»
. Les études récentes montrent
bien qu’il convient de veiller soigneusement à éviter tout effet
d’élargissement du filet des sanctions que pourrait entraîner le
recours accru aux peines non privatives de liberté
.
Le professeur Aebi nous a également fourni, lors de l’audition du
11 décembre 2012, des données intéressantes: elles mettent en évidence
cet effet d’élargissement du filet des sanctions provoqué par un
recours accru aux peines de substitution dans certains pays, qui
n’ont pas enregistré en parallèle de diminution de leur taux d’incarcération.
35. Ces conclusions amènent toutefois à penser que l’effet
d’élargissement du filet des sanctions n’est pas inévitable, sous
réserve que les juges et le grand public soient conscients de ce
danger et partagent l’idée que l’accroissement de la pression des
sanctions pénales sur les petites infractions n’est pas souhaitable.
Il convient en tout état de cause de rester vigilant; c’est la raison
pour laquelle je propose de consacrer un paragraphe spécial à cette
question dans notre résolution.
6. Analyse synthétique
des différentes alternatives à l’emprisonnement
6.1. Les amendes (y
compris les «jours-amende» calculés à proportion du revenu disponible
du délinquant)
36. Les amendes constituent de loin l’alternative à l’emprisonnement
la plus utilisée. En Allemagne, par exemple, les amendes sont infligées
dans 80,7 % des cas, contre 13,5 % pour les peines d’emprisonnement assorties
du sursis et 5,8 % pour les peines d’emprisonnement fermes
.
En France, 35,7 % de l’ensemble des peines prononcées sont des amendes
,
contre 48,6 % de peines d’emprisonnement (dont 19,6 % de peines
fermes)
.
Au Royaume-Uni, 65,6 % des délinquants condamnés se voient infliger
une amende, 3,6 % une peine assortie du sursis et 7,5 % une peine
d’emprisonnement
. La Serbie compte le pourcentage
le plus faible d’amendes, 16,5 %, et le pourcentage le plus élevé
de peines d’emprisonnement non assorties d’un sursis (23,9 %). Ces
chiffres ne peuvent être comparés de façon abrupte. En effet, en
France par exemple, moins de 630 000 peines ont été traitées, contre
près de 1,3 millions rien qu’en Angleterre et au pays de Galles, dont
la population est bien inférieure à celle de la France. Cela montre
que la France répond aux comportements répréhensibles par d’autres
moyens que les habituelles sanctions pénales plus fréquemment que
le Royaume-Uni. Cela explique pourquoi les condamnations à une peine
d’emprisonnement prononcées dans les autres affaires – sans doute
plus graves – sont plus nombreuses en France qu’en Angleterre et
au pays de Galles. En Allemagne
, les pourcentages
précités concernent 645 000 personnes condamnées au titre du droit
pénal général (donc à l’exclusion des jeunes délinquants), tandis
que moins de la moitié des procédures engagées devant les juridictions
répressives aboutissent à un jugement
.
37. Les chiffres allemands montrent que les amendes pénales peuvent
servir à sanctionner une portion considérable des activités criminelles
qui sont suffisamment graves pour justifier une décision de la justice répressive;
ce choix intervient même dans des systèmes de justice répressive
tels que celui de l’Allemagne, où d’autres formes de réponses aux
comportements répréhensibles jouent pourtant un rôle important.
Cela tient peut-être au fait que les amendes pénales peuvent être
assez conséquentes en Allemagne, car leur montant est calculé sur
la base du revenu disponible quotidien du délinquant – un «jour-amende»
(Tagessatz) équivaut à 1/30e du
revenu net mensuel de l’intéressé, après déduction de toutes les
charges occasionnées par l’entretien des membres de sa famille ou
autres personnes à sa charge. Le système des «jours-amende» est
utilisé depuis 1975 en Allemagne; il s’inspire des pays scandinaves,
comme la Finlande, où ce régime a été mis en place dès 1921. Le
nombre de «jours» (de cinq à 360, et jusqu’à 720 dans des situations exceptionnelles)
et le montant par jour (de 5 euros minimum à 30 000 euros maximum
par jour !) rendent cette peine suffisamment dissuasive, même pour
les très grandes infractions, notamment les délits économiques motivés
par des considérations pécuniaires. En pareil cas, la peine (l’amende)
s’ajoute à la confiscation des produits ou avantages du crime.
38. Le système de «jour-amende» présente l’avantage de moduler
le caractère pénible de la peine de manière à ce qu’elle soit en
principe identique pour tous, quelles que soient les ressources
financières d’une personne. Il garantit également que ce caractère
pénible et l’expression de la désapprobation de la société sont
à la fois prononcés et parfaitement comparables à une peine d’emprisonnement
pendant une période donnée – en laquelle l’amende non versée en
temps utile se transforme. Son adoption par les autres pays européens
qui ne disposent pas encore d’un tel système pourrait ouvrir la
voie à une solution à ce jour sous-exploitée de diminution de l’emprisonnement.
39. Lors de notre audition du 11 décembre 2012, l’expert serbe,
M. Jovan Ciric, a présenté les obstacles concrets auxquels se heurte
encore en Serbie le système de jour-amende, pourtant prévu par la
législation: il est difficile d’établir le montant des revenus d’un
délinquant lorsque celui-ci exerce ses activités dans l’économie
parallèle ou dans l’agriculture; la crise économique endémique provoque
une pauvreté générale, qui conduit certains délinquants à préférer
aller en prison plutôt que de verser une amende qu’ils n’ont pas
les moyens de payer. Ces difficultés ne devraient pas, selon moi,
dissuader les juges d’appliquer ce type de sanction plus fréquemment.
La complexité de l’évaluation des ressources d’une personne peut
être surmontée par l’imposition d’une obligation de présenter des
justificatifs, afin d’établir le revenu véritable et d’éviter le recours
à des estimations faites par le tribunal en fonction de signes extérieurs
du niveau de vie (domicile, véhicule et autres éléments d’appréciation).
Il est probable que le temps et l’énergie consacrés par les juges à
ces recherches seraient largement compensés par les économies réalisées
grâce à un recours moins fréquent à l’emprisonnement et au versement
des amendes elles-mêmes, qui devraient être reversées dans le budget
de la justice.
6.2. Les autres peines
non privatives de liberté, y compris les sanctions et mesures appliquées dans
la communauté
40. Les sanctions et mesures appliquées dans la communauté
représentent un outil particulièrement utile de limitation de la
population carcérale. D’après les statistiques SPACE II (2010)
, le nombre moyen
de personnes surveillées ou prises en charge par les services de
probation représente 205,7 individus pour 100 000 habitants. Le
chiffre le plus bas est celui de la Serbie (0,1) et le plus élevé
celui de la Géorgie (721). La Pologne (654,2), l’Estonie (564,7),
la Lettonie (466), la Belgique (370,4), la Hongrie (310,3), l’Angleterre
et le pays de Galles (307,5) et la France (280,6) ont également
un nombre de probationnaires bien supérieur à la moyenne des Etats
membres du Conseil de l’Europe. La Croatie (14,6), Chypre (37,6),
la Roumanie (44,9), la Norvège (47,8), l’Islande (56,4) et l’Italie
(59,3) se situent en dessous ou juste au-dessus du quart de la moyenne
européenne pour 100 000 habitants
. En Serbie,
comme l’a expliqué M. Ciric au cours de l’audition, ce chiffre extrêmement
bas s’explique dans une large mesure par la faiblesse organisationnelle
du système de probation, qui ne semble pas prendre en compte la
plupart des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement assortie
du sursis
et
qui ne propose pas même de mesures de travaux d’intérêt général, sauf
dans quelques villes. Je considère, comme lui, que de nombreuses
améliorations peuvent être apportées à la situation en Serbie et
j’ai l’intention de suivre cette question sur le plan politique
au sein du parlement de mon pays. Les mesures à disposition en la
matière sont présentées ci-dessous.
6.2.1. Les peines assorties
du sursis
41. Les peines d’emprisonnement assorties du sursis représentent
un moyen classique de diminuer l’incarcération effective. Elles
peuvent prendre la forme, soit d’un sursis prononcé dès le départ,
soit d’un sursis applicable au reste de la peine, lorsque le délinquant
a purgé une partie de sa peine initiale en détention et que l’on
considère qu’il présente un faible risque de récidive. Le sursis
dont est assortie une peine d’emprisonnement est généralement soumis
à des conditions de probation. La probation se définit comme «l’exécution
en milieu ouvert de sanctions et mesures définies par la loi et
prononcées à l’encontre d’un auteur d’infraction. Elle consiste
en toute une série d’activités et d’interventions, qui impliquent
suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement
l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité
collective»
.
42. Là encore, le recours à des peines assorties du sursis varie
considérablement d’un pays à l’autre. En Allemagne, les peines assorties
du sursis sont utilisées deux fois plus que les peines fermes, soit
dans 13,5 % des cas, contre 5,8 %. La France recourt également aux
peines assorties du sursis bien plus souvent qu’aux peines fermes:
les premières représentent 29 % de l’ensemble des sanctions pénales,
contre seulement 19,6 % de peines au moins en partie fermes
.
A l’inverse, le Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles) prononce
deux fois plus de peines fermes que de peines assorties du sursis
(seules 3,6 % des sanctions pénales représentent des peines assorties
du sursis, contre 7,5 % de peines fermes). En Serbie, d’après les chiffres
donnés par M. Ciric pour 2009, les peines assorties du sursis sont
prononcées dans 57,2 % des cas, soit plus de deux fois plus souvent
que les peines fermes (23,9 %). Selon les statistiques SPACE II,
le nombre moyen de personnes en probation après avoir été condamnées
en tout ou partie à une peine d’emprisonnement avec sursis est de
35,9/100000 habitants, le chiffre le plus bas étant celui de la
Serbie
(0) et le
plus élevé celui de la Roumanie (100). Monaco (80,6), la Pologne
(79,5), la France (79,2) et la Lettonie (66,1) présentent un nombre
assez élevé de personnes en probation à la suite d’une peine d’emprisonnement assortie
du sursis; l’Angleterre et le pays de Galles (25,6), l’Italie (10,7)
et l’Espagne (9,2) se situent au bas de l’échelle.
43. Les pratiques nationales varient également considérablement
pour le sursis dont est assorti le reste d’une peine partiellement
purgée. En Allemagne, la libération anticipée est quasi automatique
une fois la peine initiale purgée aux deux tiers (de moitié dans
le cas des jeunes délinquants), sous réserve que le détenu se soit
bien comporté et qu’il bénéficie d’un «pronostic social» favorable.
En France, la part de la peine qui doit être purgée en prison et
la part de la peine assortie du sursis sont fixées dans le jugement
initial. En Angleterre et au pays de Galles, la libération anticipée
est habituellement accordée à mi-chemin de la peine prononcée, tandis
que les peines à durée indéterminée comportent une période «tarifaire»
infligée en fonction de la gravité de l’infraction; après expiration
de la période tarifaire, le détenu peut être libéré lorsque le risque
de récidive est jugé faible et acceptable
. La France dispose d’un régime particulièrement
intéressant en matière de libération anticipée, prévu par la loi
du 9 mars 2004
. Ce système, conçu pour encourager
les détenus à coopérer avec les autorités pénitentiaires de manière
à améliorer leurs chances de réinsertion, fonctionne de la manière
suivante: trois mois sont déduits de la première année de la peine
d’emprisonnement, puis deux mois chaque année suivante (sauf pour
les récidivistes). Ce «crédit» de base peut être soit diminué en
cas de mauvaise conduite soit augmenté jusqu’à trois mois par année
d’emprisonnement en cas de conduite particulièrement exemplaire
du détenu (par exemple lorsqu’il se présente à un examen).
44. La libération anticipée est par ailleurs possible dans de
nombreux pays, voire dans la plupart d’entre eux, pour raisons humanitaires
ou familiales, à l’apparition de nouvelles circonstances qui n’étaient
pas prévisibles au moment du jugement (notamment pour raisons médicales
graves)
.
45. En Serbie, comme l’a expliqué M. Ciric à notre audition, le
nombre de bénéficiaires d’une libération anticipée a considérablement
diminué ces dernières années. Alors que le Code pénal de 2006 autorisait
la libération conditionnelle une fois purgée la moitié de la peine
initiale, il a été modifié en 2009 et autorise désormais cette libération
conditionnelle uniquement à l’issue des deux tiers de la peine initiale.
Mais, même au terme de cette période, les juges se montrent réticents
à accorder une libération conditionnelle à cause de la pression
exercée par certains médias et partis politiques.
6.2.2. Les heures de rentrée
imposées, l’assignation à résidence et les mesures restrictives
et d'exclusion dont le respect est assuré par des moyens technologiques
de type bracelet électronique et GPS
46. Les heures de rentrée imposées, l’assignation à résidence
et les mesures restrictives et d'exclusion, dont le respect est
de plus en plus assuré par des moyens technologiques (par exemple
bracelets électroniques ou appareils munis d’un GPS) peuvent faire
office soit de peines de substitution de plein droit soit de mesures
d’accompagnement de la suspension d’une peine d’emprisonnement pendant
tout ou partie de la période probatoire. Par rapport aux «objectifs
de la peine»
, il est clair que ces
mesures s’avèrent particulièrement utiles au regard de la nécessité
de protéger la société contre la récidive (prévention générale) et
de réinsérer le délinquant ou de l’empêcher avant tout de se trouver
en marge de la société (prévention spéciale). Cela vaut notamment
lorsque les moyens technologiques servent à faire respecter les
heures de rentrée, l’assignation à résidence et les mesures restrictives
et d’exclusion (par exemple à l’encontre des auteurs de harcèlement
ou de traque furtive et des membres violents d’une famille). Les
délinquants soumis à ces sanctions doivent endurer plusieurs aspects
négatifs – voulus – associés à la peine d’emprisonnement, notamment
la perte de leur liberté pendant ce qui constituerait normalement
leur temps libre. Mais ils peuvent s’épargner plusieurs aspects
négatifs involontaires de l’incarcération, comme la perte de leur
emploi, la perturbation des relations familiales normales et les
influences néfastes subies dans le contexte carcéral.
47. Les statistiques pertinentes (SPACE II) sont difficiles à
comparer en détail, mais il apparaît clairement à leur lecture que
ces mesures sont toujours sous-utilisées dans la plupart des juridictions,
malgré les possibilités considérables qu’elles offrent.
48. J’ai été particulièrement impressionnée au cours de ma visite
d’étude au Royaume-Uni par l’utilisation efficace des appareils
de surveillance de haute technologie dans ce pays. Leur coût quotidien
par jour et par délinquant représente une fraction seulement de
celui d’une peine privative de liberté, alors que le taux de récidive
des intéressés est nettement inférieur à celui des anciens détenus.
Les coûts unitaires ont également fortement diminué grâce à la combinaison
d’économies d’échelle dues à l’utilisation croissante de ces mesures et
à la réduction du coût du matériel électronique. Il apparaît clairement
que les résultats des différentes peines en termes de récidive sont
difficiles à comparer parce qu’elles dépendent pour beaucoup du
choix des «populations» auxquelles l’une ou l’autre peine est appliquée.
Mais l’expérience acquise par le Royaume-Uni montre que le respect
des heures de rentrée obtenu grâce à des moyens techniques donne
d’excellents résultats sur le plan de la sécurité. La surveillance
électronique facilite les enquêtes policières en réduisant le nombre
de suspects possibles. Il n’est pas nécessaire de gaspiller les
moyens limités affectés aux enquêtes pour des personnes dont la
localisation au moment de la commission d’une infraction peut être
établie en quelques clics. Ces mesures font également l’objet de
critiques, comme celles que formule le Rapport de l’Inspection conjointe
de la justice répressive de juin 2012
, qui s’inquiète de constater
que les heures de rentrée contrôlées électroniquement peuvent effectivement
être utilisées à des fins de sanction, mais rarement pour favoriser
un changement de comportement durable des délinquants. Il faudrait
pour cela procéder à une utilisation plus ciblée et personnalisée
de ces mesures, ce qui exige une meilleure circulation des informations entre
les différents acteurs de ce processus.
49. Le ministère britannique de la Justice a consacré une étude
approfondie aux effets sur la récidive de la libération anticipée
des détenus faisant l’objet d’une mesure d’heures de détention à
domicile et d’une surveillance électronique
.
Les heures de détention à domicile ont été mises en place dans l’ensemble
de l’Angleterre et du pays de Galles en 1999 pour permettre la libération
anticipée, sous surveillance électronique, des délinquants condamnés
à des peines d’emprisonnement relativement brèves et qui présentaient
un risque moins important de récidive à l’issue de leur libération.
Cette étude repose sur les données relatives à près de 500 000 mises
en liberté survenues entre 2000 et 2006, dont plus de 63 000 libérations
anticipées assorties d’une mesure d’heures de détention à domicile.
Elle montre que les délinquants soumis à ce régime ne sont pas plus
susceptibles de commettre de nouveaux délits après leur libération
que les détenus présentant des caractéristiques similaires, mais
qui ne réunissaient pas les conditions permettant de bénéficier
d’une libération anticipée assortie d’une détention à domicile.
Comme le coût du suivi d’un délinquant placé en détention à domicile
est nettement inférieur à celui de son maintien en détention, ces
constatations laissent penser que le régime de détention à domicile
est sans doute peu coûteux au regard de ses résultats.
50. La France dispose de différentes formes de surveillance électronique
aux différents stades de la procédure judiciaire pénale
. D’après la réponse donnée par le
Gouvernement français à une question parlementaire en 2011
, le «placement sous surveillance
électronique» est utilisé assez fréquemment (près de 65 000 cas
entre 2000 et 2010) et connaît de fait la croissance la plus rapide
parmi les mesures qui accompagnent ou modulent les peines privatives
de liberté. A l’inverse, le «placement sous surveillance électronique
mobile», qui existe en France seulement depuis août 2007, reste
fort peu appliqué (54 mesures en cours au 1er septembre
2011
).
51. En Allemagne, le Code pénal prévoit depuis le 1er janvier
2011 la possibilité d’imposer l’utilisation d’appareils mobiles
de surveillance électronique (Elektronische Aufenthaltsüberwachung
ou EAÜ)
.
Cette mesure est uniquement applicable dans les cas assez graves,
pour surveiller un délinquant présentant un risque élevé de récidive
au cours de la période de probation qui fait suite à sa mise en
liberté, dans le cadre d’une peine d’emprisonnement de trois ans
et plus. L’extension de ce type de mesure à des délinquants potentiellement
dangereux, qui ne peuvent plus être maintenus par sécurité en détention
provisoire en raison de la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme
, ou à d’autres catégories de délinquants en
vue de diminuer la surpopulation carcérale est actuellement à l’étude.
52. La réticence notable à l’emploi d’appareils mobiles de surveillance
en France et en Allemagne a le mérite d’attirer l’attention sur
le fait qu’il ne s’agit pas d’une mesure «douce» et qu’elle est
également applicable à des délinquants ayant commis des infractions
assez graves. La surveillance électronique impose de lourdes contraintes
aux délinquants et a des effets psychologiques qu’il convient de
ne pas sous-estimer. Mais comparée à une peine privative de liberté,
elle présente d’évidents avantages à la fois pour le délinquant
et pour la société en général, puisqu’elle évite au délinquant la
désocialisation qu’entraîne la détention, la perte de son emploi,
la réduction considérable des relations avec sa famille et ses amis
et le risque de «contagion» criminelle. J’ai appris à Londres que
certains médias, qui d’ordinaire condamnent toute politique considérée comme
une preuve de faiblesse à l’égard de la criminalité, avaient eux-mêmes
admis l’idée défendue par les partisans des mesures non privatives
de liberté: le fait, pour un délinquant, d’être contraint d’aller
travailler et de respecter des heures de rentrée rigoureuses contrôlées
par surveillance électronique était bien plus astreignant, et de
fait plus «difficile», que de «dormir» ou de passer quelques semaines
ou quelques mois en détention à regarder la télévision.
53. En Serbie, l’affaire d’un célèbre chanteur de folk, assigné
à résidence
pour
délit économique, a donné lieu à un vaste débat public. Malgré les
arguments qui affirmaient que l’assignation à résidence était un privilège
réservé aux gens riches et célèbres qui ne voulaient pas renoncer
au confort de leur demeure luxueuse, ce débat a eu le mérite d’amener
le grand public à prendre conscience de ce type de peine, ce qui a
favorisé son application accrue par les tribunaux. Mais comme l’a
indiqué notre collègue, Renato Farina, l’assignation à résidence
est difficile à mettre en pratique dans les nombreux cas de délinquants
sans domicile fixe ou migrants.
54. Je recommanderais néanmoins, au vu de l’expérience positive
pratiquée au Royaume-Uni sur un grand nombre de délinquants, l’utilisation
accrue de ces mesures en lieu et place des peines privatives de
liberté appliquées dans les autres pays européens, dont le mien,
qui reste très en retard dans ce domaine.
6.2.3. Les peines purgées
de manière intermittente ou les week-ends
55. Les peines purgées de manière intermittente ou les
week-ends se distinguent des heures de rentrée imposées, de l’assignation
à résidence et des autres mesures de ce type (y compris celles dont
le respect est assuré par surveillance électronique) par le fait
que les délinquants doivent réellement se rendre en prison quelques
temps: ils y passent leur temps libre la nuit et les week-ends,
et éventuellement leurs congés, en détention hors de chez eux.
56. Selon le temps à passer en prison, il peut s’agir d’une sanction
d’une sévérité intermédiaire entre une incarcération ininterrompue
et l’imposition d’heures de rentrée ou l’assignation à résidence
dont le respect est assuré par surveillance électronique. Elle permet
d’éviter une partie, mais pas l’intégralité, des effets négatifs de
l’emprisonnement.
6.2.4. Les programmes
d’aide et de surveillance
57. Les programmes d’aide et de surveillance des condamnés
par les agents de probation, et notamment la participation à des
«programmes de gestion des comportements délictueux» (programmes
de désintoxication, alcool au volant, gestion de la colère, violence
domestique), ont été de plus en plus utilisés à partir des années
70. Ils privilégiaient au départ la réinsertion des délinquants,
mais leur dimension répressive et le désir de contrôler les risques
ont pris de plus en plus de place dans ces mesures de substitution
depuis les années 90. La place dont je dispose dans mon rapport
n’est pas suffisante pour que je songe ici à donner un aperçu complet
de toutes les mesures appliquées dans les différents Etats membres
du Conseil de l’Europe. Je me contenterai de mentionner quelques
catégories de mesures qui peuvent être utilement associées et combinées
pour parvenir au buts recherchés, c’est-à-dire la réinsertion des
délinquants, la protection de la société par la diminution du risque
de récidive et l’application d’une peine suffisante, tout en contribuant
à la réduction de l’emprisonnement. Cet ensemble de mesures doit
être adapté à chaque cas particulier pour correspondre aux besoins
spécifiques de chaque délinquant. J’aimerais encourager les autorités
judiciaires de l’ensemble de nos Etats membres à faire le meilleur
usage de l’extrême souplesse de cette «boîte à outils». L’expérience
réalisée au Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles), que j’ai
eu le privilège d’étudier un peu plus attentivement, révèle le caractère
indispensable de la coordination de l’ensemble des acteurs concernés
par le traitement des délinquants, y compris ceux qui dispensent
une assistance sociale aux catégories particulièrement vulnérables,
comme les jeunes délinquants et les femmes, et ceux qui mettent
en œuvre et supervisent des mesures spécifiques. Les Mesures interinstitutions
de protection des citoyens (Multi-Agency Public Protection Arrangements
– MAPPA) mises en place en Angleterre et au pays de Galles offrent
un excellent modèle aux autres pays. Le récent Rapport d’inspection thématique
de l’Inspection conjointe de la justice répressive d’Angleterre
et du pays de Galles
donne
de précieuses informations sur les avantages et les inconvénients
de ces mesures et formule des propositions constructives d’améliorations
supplémentaires.
6.2.4.1. Les mesures de
désintoxication et de réinsertion des toxicomanes (prise en charge thérapeutique
et ordonnance de mise à l'épreuve)
58. Le combat mené contre les drogues a rempli les établissements
pénitentiaires de bon nombre de pays, mais on peut au mieux douter
de la réussite de cette méthode sur le plan de la réduction de la
criminalité liée à la drogue. Il est donc de plus en plus admis
que le meilleur moyen d’éviter la récidive des auteurs d’infractions en
rapport avec la drogue qui sont eux-mêmes toxicomanes consiste à
leur appliquer des mesures de désintoxication et de réinsertion.
59. Selon moi, l’emprisonnement (associé à la confiscation de
tout gain indûment acquis) demeure une peine pertinente pour les
gros dealers, qui gagnent des sommes considérables au détriment
de la santé et bien souvent de la vie des toxicomanes. Mais la situation
des toxicomanes eux-mêmes est plus proche de celle de victimes des
dealers que de celle de délinquants et il convient de les traiter
en conséquence.
60. Le consentement des auteurs de ces infractions (voir plus
haut le paragraphe 24) est particulièrement important pour optimiser
les chances de succès de ce type de mesure. Cela vaut également
pour les garanties et les normes générales fixées par les «Règles
de Tokyo» et les «Règles européennes» relatives aux peines de substitution
en vue de protéger la dignité et la santé des délinquants et d’assurer
l’indispensable respect des normes médicales et autres normes professionnelles
.
6.2.4.2. Les obligations
de travaux d'intérêt général
61. Les travaux d’intérêt général ont été mis en place
comme une sanction de plein droit dans plusieurs pays européens,
dont les Pays-Bas, l’Angleterre et le pays de Galles, la Norvège
et la France. En Allemagne (pour les délinquants adultes), leur
application est uniquement possible lorsqu’ils conditionnent l’obtention
d’un sursis ou sous forme de peine de substitution à l’emprisonnement
après le non versement d’une amende. Ces mesures, comme le programme
de «remboursement de la collectivité» (Community Payback) que j’ai découvert
lors de ma visite d’étude à Londres, peuvent comporter des travaux
de nettoyage des parcs publics, de suppression de graffitis, de
déneigement ou tout type de travaux à la fois utiles et «complémentaires»,
c’est-à-dire qui n’entrent pas en concurrence directe avec les activités
des salariés. Là encore, les obligations de travaux d’intérêt général
ou les peines de remboursement de la collectivité ne constituent
pas nécessairement une «option douce». De fait, en octobre 2012,
une nouvelle formule de «remboursement de la collectivité» a été
lancée à Londres, «qui verra les délinquants purger des peines plus
dures et plus intenses»
.
J’ai effectué une intéressante visite d’information auprès de la
SERCO, une société privée chargée de mettre en œuvre le régime de
«remboursement de la collectivité» dans la région de Londres
.
J’ai pu constater que les projets de travaux étaient mis en œuvre
et supervisés de manière efficace, à la manière d’une entreprise,
par des agents extrêmement motivés recrutés en partie auprès du
service public de probation. Mais j’ai également recueilli des critiques
motivées à la fois par des questions de principe – assurer le respect
de la loi ne fait-il pas partie des fonctions essentielles de l’Etat,
même dans l’esprit des plus ardents défenseurs de la liberté du marché?
– et par le risque de conflit d’intérêts et la difficulté d’assurer
la qualité de ce service. Ces questions sont étroitement liées à
celle du «paiement en fonction des résultats», dont nous avons entendu
à Londres les partisans et les détracteurs. Je suis personnellement
plutôt sceptique à l’égard de la commercialisation des divers aspects
de l’exécution des lois. Ce système peut fonctionner, dans une certaine
mesure, au Royaume-Uni, qui dispose de solides institutions capables
de surveiller efficacement toute tâche déléguée au secteur privé
et dont le niveau de corruption est généralement faible. Mais cette
«privatisation» pourrait s’avérer beaucoup plus difficile à mettre
correctement en œuvre dans d’autres pays, comme ceux d’Europe centrale
et orientale. C’est la raison pour laquelle je ne propose pas, dans
le projet de résolution et le projet de recommandation de poursuivre
la privatisation de ce secteur.
6.2.4.3. Les mesures qui
tiennent compte des victimes: justice réparatrice, restitution, indemnisation,
médiation
62. Au début des années 80, les pays d’Europe occidentale
ont porté toute leur attention sur les questions de la réparation,
de l’indemnisation, de la médiation ou de la réconciliation entre
victimes et délinquants. La Déclaration des principes fondamentaux
de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes
d'abus de pouvoir, adoptée par les Nations Unies,
a
reconnu pour la première fois sur le plan international la nécessité
d’améliorer également l’accès des victimes de la criminalité à la
justice.
63. La restitution, par exemple d’un objet volé, ou l’indemnisation
du préjudice subi par la victime d’une infraction par l’auteur de
celle-ci, devrait en principe aller de soi. Dans la plupart des
juridictions, voire dans la totalité d’entre elles, les infractions
qui causent un dommage à autrui permettent également d’engager une action
en responsabilité civile devant les tribunaux pour obtenir le versement
de dommages-intérêts. Malheureusement, les victimes peuvent se heurter
à d’énormes obstacles lorsqu’elles cherchent à obtenir réparation
devant les tribunaux. C’est la raison pour laquelle la constitution
de partie civile, c’est-à-dire la possibilité pour la victime d’une
infraction pénale d’être partie à la procédure pénale engagée à
l’encontre de l’auteur de l’infraction en qualité de partie civile,
mise en place en France présente un intérêt particulier: l’obligation
d’apporter la preuve de la commission d’un acte criminel (et en
même temps délictuel) ne pose plus problème (bien que le niveau
de preuve soit plus strict au pénal) et la victime s’épargne les
efforts et la dépense d’un contentieux devant les juridictions civiles.
64. La réparation du dommage causé par un délinquant ne suffit
en principe pas à atteindre «les objectifs poursuivis par la peine»
que nous avons évoqués plus haut
;
il convient donc d’atténuer ce risque grâce à une peine complémentaire
dissuasive pour les éventuels délinquants, car le taux d’élucidation
des affaires criminelles est forcément inférieur à 100 %. Mais lorsqu’un
délinquant coopère, dans la mesure du possible, à la réparation
des conséquences de l’infraction subie par sa victime directe, le
«besoin de punir» de la société diminue naturellement fortement.
Il convient certes de veiller à ce que l’inévitable contact entre
le délinquant et la victime n’accroisse pas le traumatisme de cette
dernière, mais les mesures de justice réparatrice qui prévoient
différentes formes de médiation entre le délinquant et la victime
peuvent contribuer à atténuer la souffrance de la victime et à améliorer
les chances de réinsertion du délinquant.
65. En novembre 2012, le Gouvernement britannique a lancé un nouveau
plan d’action en faveur de la justice réparatrice, auquel le ministre
de la Justice Jeremy Wright souscrivait dans les termes suivants:
«Les victimes méritent d’avoir accès à une justice réparatrice de
qualité, quel que soit l’endroit où ils habitent et au moment qui
leur convient»
. Le Conseil de la justice réparatrice
, dont nous avons
rencontré la direction, a élaboré une méthode extrêmement professionnelle
et empreinte d’un esprit de coopération, qui vise à concilier les
intérêts des victimes et des auteurs d’infractions. Les témoignages
que j’ai recueillis à Londres auprès des personnes qui participent
à ces activités étaient très impressionnants.
66. Au cours de ma visite au Royaume-Uni, j’ai également étudié
les mesures expérimentales conçues spécialement pour les délinquants
sexuels qui présentent un risque élevé de récidive. Le succès de
ces mesures doit beaucoup au dévouement et au professionnalisme
des acteurs concernés. Le dévouement et le professionnalisme dont
font preuve les initiateurs et les responsables du projet de «cercles
de soutien» mis en œuvre par les quakers, qui m’a été présenté par
leurs représentants, ne fait aucun doute; leur engagement confessionnel
en faveur de la réinsertion des délinquants leur vaut le profond
respect des agents publics et des autres instances non-gouvernementales
qui participent à ce travail de réinsertion. Je ne puis qu’encourager
le développement d’initiatives similaires dans les autres Etats
membres. Les représentants des quakers m’ont indiqué qu’ils étaient
prêts à partager gracieusement l’expérience qu’ils ont acquise dans
ce domaine.
67. A la lumière des statistiques disponibles, il est impossible
de nier que «la réparation et la restitution, qu’elles constituent
l’élément principal ou unique de la peine, se situent loin derrière
l’emprisonnement, la probation et les jours-amende»
. Sur un plan plus positif, il reste
encore de très nombreuses possibilités d’accroître le recours à
ces mesures progressistes dans la plupart, pour ne pas dire la totalité,
de nos pays.
7. Conclusions
68. Les informations que j’ai pu recueillir auprès de
sources officielles publiques, en consultant les études universitaires
et grâce à la contribution des experts présents à l’audition du
11 décembre 2012, ainsi qu’à l’occasion de la visite d’étude que
j’ai effectuée au Royaume-Uni, ont confirmé que les signataires
de la proposition de résolution sur laquelle repose mon mandat avaient
parfaitement raison: les alternatives à l’emprisonnement dont nous
disposons et qui ont été testées dans différentes juridictions sont
encore insuffisamment utilisées et méritent par conséquent d’être
favorisées conformément aux propositions que je viens d’exposer
dans le présent rapport.
69. Dans le projet de résolution, j’ai proposé de résumer l’état
actuel de la situation et encourager tous les Etats membres, et
surtout ceux dont le taux d’incarcération est particulièrement élevé,
à réduire le recours à l’emprisonnement en faisant un usage accru
des peines de substitution.
70. Dans le projet de recommandation, je propose à l’Assemblée
d’inviter le Comité des Ministres, qui a obtenu de remarquables
résultats dans la promotion des alternatives à l’emprisonnement,
de prendre de nouvelles initiatives spécialement destinées à accroître
le recours concret à ces mesures de substitution à l’emprisonnement
dans l’ensemble des Etats membres.