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Rapport | Doc. 13174 | 19 avril 2013

La promotion d’alternatives à l’emprisonnement

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Nataša VUČKOVIĆ, Serbie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12659, Renvoi 3815 du 3 octobre 2011. 2013 - Commission permanente de mai

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme considère l’emprisonnement comme une mesure prise en dernier ressort. Les sanctions appliquées dans la communauté devraient représenter la peine choisie en priorité, sauf en cas d’infractions particulièrement graves.

De nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe connaissent de graves problèmes de surpopulation carcérale. Le coût de l’emprisonnement est considérable pour les contribuables européens. Il équivaut en moyenne, parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe, à 100 euros par détenu et par jour. La commission juge la surpopulation carcérale inacceptable, tant sur le plan de la protection contre les traitements inhumains et dégradants (article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme), que pour les conséquences négatives concrètes de cette surpopulation sur les intéressés et la société en général, qui risque de pâtir de taux de récidive élevés et de la perte de la contribution à la vie économique et sociale des personnes dont la réinsertion est compromise par la surpopulation carcérale.

Les dernières avancées technologiques ont élargi les possibilités d’utilisation des appareils de suivi électronique, notamment les bracelets électroniques ou le GPS, et ont amélioré leur rapport coût-efficacité. Elle considère que ces appareils, en particulier lorsqu’ils sont associés à d’autres mesures plus classiques, permettent d’élargir le champ d’application des peines non privatives de liberté à des infractions plus graves.

Le Royaume-Uni a réussi à introduire et à promouvoir au cours de ces dernières années de nouvelles formes de peines non privatives de liberté, qui représentent autant d’alternatives à l’emprisonnement, tout en préservant les besoins légitimes de la société en matière de sécurité.

La commission invite par conséquent tous les Etats membres, en particulier ceux qui présentent les taux d’incarcération les plus élevés, à promouvoir énergiquement l’utilisation des peines non privatives de liberté, notamment pour les primo-délinquants, les délinquants qui n’ont commis aucun acte de violence, les jeunes délinquants et les femmes.

Elle rappelle que les peines non privatives de liberté doivent aussi respecter des exigences élémentaires en matière de droits de l’homme, comme le précisent les Règles minima des Nations Unies pour l'élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo, 1990) et les Règles européennes du Conseil de l’Europe sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (1992) et souligne que les peines non privatives de liberté devraient être infligées en remplacement des peines d’emprisonnement, sans élargir davantage le champ d’application des sanctions pénales.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 19 mars
2013.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Recommandation 1257 (1995) sur les conditions de détention dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, réaffirme le principe en vertu duquel l’emprisonnement devrait être une mesure prise en dernier ressort. Elle partage le point de vue du Comité des Ministres, qui a constaté dès sa Résolution (76) 10 une tendance à éviter l'application des peines privatives de liberté, en raison de leurs multiples inconvénients et par respect pour les libertés individuelles, convaincu que cette politique pourrait être poursuivie sans mettre en danger la sécurité publique. Les sanctions appliquées dans la communauté devraient représenter la peine choisie en priorité, sauf lorsque la gravité de l’infraction interdit toute peine autre que la privation de liberté.
2. Elle prend note avec un intérêt particulier des données comparatives suivantes, publiées dans les Statistiques annuelles pénales du Conseil de l’Europe (SPACE I – 2010):
2.1. la population carcérale varie considérablement d’un pays européen à l’autre. L’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Lettonie, la Fédération de Russie et l’Ukraine dépassent, de plus du double, la moyenne des Etats membres du Conseil de l’Europe de 149 détenus pour 100 000 habitants, tandis que Andorre, la Bosnie-Herzégovine, le Danemark, la Finlande, l’Islande, le Liechtenstein, Monaco, les Pays-Bas, la Norvège, Saint-Marin, la Slovénie, la Suède et la Suisse affichent des taux d’emprisonnement correspondant à la moitié ou moins de la moitié de la moyenne européenne. La plupart des pays d’Europe ont enregistré une tendance générale à l’augmentation de ces chiffres au cours des 10 dernières années;
2.2. un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe connaissent de graves problèmes de surpopulation carcérale. Vingt-et-un Etats membres dépassent les 100 détenus pour 100 places de détention. Selon les Statistiques annuelles pénales du Conseil de l’Europe, les six pays où la situation est pire sont: la Serbie avec 172 détenus, l’Italie avec 153 détenus, Chypre avec 151 détenus, la Grèce avec 123 détenus, la Turquie avec 115 détenus et la France avec 108 détenus pour 100 places;
2.3. le coût de l’emprisonnement est considérable pour les contribuables européens. Il équivaut en moyenne, parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe, a 100 euros par détenu et par jour.
3. L’Assemblée juge la surpopulation carcérale inacceptable, tant par principe au regard des droits de l’homme, notamment sur le plan de la protection contre les traitements inhumains et dégradants (article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)), que pour les conséquences négatives concrètes de cette surpopulation sur les intéressés et la société en général, qui risque de pâtir de taux de récidive élevés et de la perte de la contribution à la vie économique et sociale des personnes dont la réinsertion est compromise par la surpopulation carcérale.
4. Vu le coût élevé de la construction et de l’entretien des nouveaux établissements pénitentiaires, l’Assemblée recommande de concentrer les maigres ressources budgétaires sur l’amélioration des conditions de détention des prisons existantes, plutôt que d’augmenter la capacité du parc pénitentiaire.
5. L’Assemblée observe avec satisfaction que le Royaume-Uni a réussi à introduire et à promouvoir au cours de ces dernières années de nouvelles formes de peines non privatives de liberté, qui représentent autant d’alternatives à l’emprisonnement, tout en préservant les besoins légitimes de la société en matière de sécurité.
6. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée invite tous les Etats membres, en particulier ceux qui présentent les taux d’incarcération les plus élevés, à promouvoir énergiquement l’utilisation des peines non privatives de liberté, notamment pour les primo-délinquants, les délinquants qui n’ont commis aucun acte de violence, les jeunes délinquants et les femmes.
7. Elle souligne que les peines non privatives de liberté devraient être infligées en remplacement des peines d’emprisonnement, sans élargir davantage le champ d’application des sanctions pénales. Il importe que les infractions mineures qui n’étaient jusqu’ici passibles d’aucune sanction pénale ne soient pas non plus passibles de peines non privatives de liberté.
8. L’Assemblée rappelle que les peines non privatives de liberté, qui sont évidemment préférables aux peines d’emprisonnement dans tous les cas, sauf les plus graves, doivent néanmoins respecter des exigences élémentaires en matière de droits de l’homme, comme le précisent les Règles minima des Nations Unies pour l'élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo, 1990) et les Règles européennes du Conseil de l’Europe sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (1992), dont:
8.1. le principe de légalité, ce qui signifie que les mesures qui doivent être appliquées, les conditions de leur application et les autorités chargées de leur application doivent être prévues par la loi;
8.2. l’interdiction de toute discrimination dans l’application de mesures non privatives de liberté;
8.3. le respect du principe de proportionnalité entre la gravité de l’infraction et l’intensité du caractère afflictif et de l’ingérence dans les droits du délinquant de la mesure appliquée;
8.4. l’obligation d’obtenir le consentement de l’intéressé lorsque les mesures non privatives de liberté sont appliquées avant ou en lieu et place de la procédure officielle ou d’un procès;
8.5. le droit au contrôle des mesures, c’est-à-dire à l’existence de garanties juridictionnelles et de voies de recours;
8.6. le respect du droit au respect de la vie privée et de la dignité humaine des délinquants;
8.7. la protection contre tout risque excessif de dommage physique ou mental.
9. Les peines non privatives de liberté suivantes méritent une attention particulière, à la lumière de l’expérience pratique des pays qui réussissent à faire respecter la loi et à maintenir l’ordre public avec un taux d’emprisonnement comparativement bas:
9.1. les amendes, qu’il convient de calculer à proportion du revenu dont dispose le délinquant, afin qu’elles soient comparables à des périodes de détention;
9.2. les peines d’emprisonnement assorties du sursis, que ce soit intégralement ou par rapport à la dernière portion d’une peine privative de liberté;
9.3. la libération anticipée d’un détenu pour raisons humanitaires ou familiales, en cas d’évolution de sa santé ou d’événements touchant à sa vie privée imprévisibles;
9.4. les peines purgées de manière intermittente ou les week-ends, qui permettent à un détenu de continuer à mener sa vie professionnelle et familiale, tout en étant privé de liberté pendant son temps libre;
9.5. l’aide et la surveillance des agents de probation, et notamment la participation à des «programmes de gestion des comportements délictueux» (alcool au volant, gestion de la colère, violence domestique);
9.6. les mesures de désintoxication et de réinsertion des toxicomanes (prise en charge thérapeutique et ordonnances de mise à l'épreuve);
9.7. les obligations de travaux d’intérêt général et les mesures de «remboursement de la collectivité»;
9.8. les mesures de justice réparatrice qui prennent activement en compte les victimes de la criminalité;
9.9. les programmes innovants de réinsertion des délinquants auxquels participe la société civile, comme le programme des «cercles de soutien» mis en place au Royaume-Uni;
9.10. les heures de rentrée imposées, l’assignation à résidence et les mesures restrictives et d'exclusion, contrôlés par des moyens technologiques.
10. L’Assemblée observe que les dernières avancées technologiques ont élargi les possibilités d’utilisation des appareils de suivi électronique, notamment les bracelets électroniques ou le GPS, et ont amélioré leur rapport coût-efficacité. Elle considère que ces appareils, en particulier lorsqu’ils sont associés à d’autres mesures plus classiques, permettent d’élargir le champ d’application des peines non privatives de liberté aux infractions plus graves, qui étaient jusqu’ici sanctionnées par des peines d’emprisonnement.
11. L’Assemblée encourage par conséquent tous les Etats membres du Conseil de l’Europe:
11.1. à compléter, si besoin est, leur législation pénale pour mettre à la disposition de leurs autorités judiciaires la panoplie complète des sanctions non privatives de liberté, en prévoyant des alternatives viables à l’emprisonnement dans tous les cas où elles seraient pertinentes;
11.2. à élaborer et tester de nouvelles formes et combinaisons de peines non privatives de liberté et de sanctions appliquées dans la communauté, tout en respectant les exigences énoncées au paragraphe [8] en matière de droits de l’homme;
11.3. à échanger des informations sur leurs réussites et les difficultés qu’ils ont rencontrées, en utilisant les instruments de coopération du Conseil de l’Europe en matière de droit pénal.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 19 mars
2013.

(open)
1. Se référant à sa Résolution ... (2013) sur la promotion d’alternatives à l’emprisonnement, l’Assemblée parlementaire félicite le Comité des Ministres pour ses travaux antérieurs novateurs sur la promotion des alternatives à l’emprisonnement, et notamment: la Résolution (65) 1 sur le sursis, la probation et les autres mesures de substitution aux peines privatives de liberté; la Résolution (76) 10 sur certaines mesures pénales de substitution aux peines privatives de liberté; la Recommandation n° R (92) 16 relative aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté; la Recommandation n° R (99) 19 sur la médiation pénale; la Recommandation n° R (99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l'inflation carcérale; la Recommandation Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle; la Recommandation Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes; la Recommandation Rec(2006)13 concernant la détention provisoire, les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place de garanties contre les abus; et la Recommandation CM/Rec(2010)1 sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation.
2. A la lumière des récentes avancées technologiques, qui permettent de nouvelles possibilités d’utilisation de la surveillance électronique et améliorent son rapport coût-efficacité, l’Assemblée invite le Comité des Ministres à envisager d’adresser une nouvelle recommandation à l’ensemble des Etats membres, visant à promouvoir les alternatives à l’emprisonnement en vue de réduire la population carcérale en Europe, en accordant une attention particulière aux possibilités accrues des mesures de surveillance électronique, mais également aux nouvelles menaces que ces mesures pourraient faire peser sur les droits de l’homme.

C. Exposé des motif, par Mme Vučković, rapporteure

(open)

1. Introduction

1.1. Procédure

1. La proposition de résolution présentée par Jean-Charles Gardetto (Monaco, PPE/DC) et plusieurs de ses collègues sur «La promotion d'alternatives à l'emprisonnement» a été renvoyée le 3 octobre 2011 
			(3) 
			Doc. 12659, Renvoi 3817. à la commission des questions juridiques et des droits de l'homme pour rapport. Le 13 décembre 2011, la commission m'a nommée rapporteure et le 13 mars 2012 a examiné une note introductive. Le 11 décembre 2012, elle a procédé à l’audition des experts suivants:
  • M. Jovan Ciric, directeur de l’Institut de droit comparé, Belgrade (Serbie)
  • Professeur Marcelo Aebi, directeur adjoint de l’Institut de criminologie, Université de Lausanne (Suisse)
2. Les 11 et 12 février 2013, j’ai effectué une visite d’étude au Royaume-Uni, afin d’examiner les mesures récemment prises pour promouvoir les alternatives à l’emprisonnement destinées à diminuer la récidive et à améliorer la sécurité de la population, tout en contenant les coûts budgétaires. J’aimerais remercier les autorités britanniques compétentes, et notamment la délégation du Royaume-Uni auprès du Conseil de l’Europe, pour leur coopération et leur excellente hospitalité 
			(4) 
			Le
programme de la visite est disponible auprès du secrétariat de la
commission.. J’ai été impressionnée par le professionnalisme et l’engagement personnel dont ont fait preuve mes interlocuteurs, tant sur le plan de l’action des instances étatiques compétentes que sur le plan politique, et notamment parmi les organisations non gouvernementales spécialisées ou les organismes autonomes mandatés par l’Etat. Les autres pays européens ont beaucoup à apprendre de la manière dont le Royaume-Uni a tout d’abord expérimenté, puis introduit progressivement à grande échelle un certain nombre de nouvelles peines non privatives de liberté, qui se sont véritablement révélées être des alternatives viables à l’emprisonnement.

1.2. Le Conseil de l’Europe à la pointe de la promotion des alternatives à l’emprisonnement

3. Le Conseil de l’Europe est depuis longtemps à la pointe du mouvement en faveur d’un plus large recours aux peines non privatives de liberté. Dès 1965, «considérant les inconvénients que l’incarcération peut présenter, et plus particulièrement pour les délinquants primaires» 
			(5) 
			Résolution
(65) 1 adoptée par les Délégués des Ministres le 22 janvier 1965: 
			(5) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Res(65)1&Language=lanFrench'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Res(65)1&Language=lanFrench</a>., le Comité des Ministres a adopté la Résolution «Sursis, probation et autres mesures de substitution aux peines privatives de liberté». Cette résolution s’inspirait elle-même de la recommandation de l’Assemblée de 1959 sur la réforme pénale 
			(6) 
			Recommandation 195 (1959), Réforme pénale (notamment le paragraphe 3.a).. «Considérant la tendance constatée dans tous les Etats membres d’éviter, dans toute la mesure du possible, l’application des peines privatives de liberté, en raison de leurs multiples inconvénients et par respect pour les libertés individuelles, et convaincu que cette politique pourrait être poursuivie sans mettre en danger la sécurité publique», le Comité des Ministres a adopté une autre résolution sur certaines mesures pénales de substitution aux peines privatives de liberté en 1976 
			(7) 
			Résolution
(76) 10 adoptée par les Délégués des Ministres le 9 mars 1976: 
			(7) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Res(76)10&Language=lanFrench'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Res(76)10&Language=lanFrench</a>..
4. La Recommandation No R (92) 16 relative aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté 
			(8) 
			Adoptée
par les Délégués des Ministres lors de leur 482e réunion,
le 19 octobre 1992. correspond à la version européenne des Règles minima des Nations Unies pour l'élaboration de mesures non privatives de liberté («les Règles de Tokyo») adoptées en 1990 
			(9) 
			Adoptées par l'Assemblée
générale dans sa Résolution 45/110 du 14 décembre 1990: 
			(9) 
			<a href='http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/45/110'>www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/45/110</a>; voir également Haut-Commissariat des Nations Unies
aux droits de l'homme, «Human Rights in the Administration of Justice:
A Manual on Human Rights for Judges, Prosecutors and Lawyers», chapitre
9, The Use of Non-Custodial Measures in the Administration of Justice: 
			(9) 
			<a href='http://www.ohchr.org/Documents/Publications/training9chapter9en.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Publications/training9chapter9en.pdf</a> (ci-après «Manuel du HCDC») et «Commentaire sur les
Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non
privatives de liberté (Règles de Tokyo)», document des Nations Unies
St/CSDHA/22 (ci-après «Commentaire sur les Règles de Tokyo»): <a href='https://www.ncjrs.gov/pdffiles1/Digitization/147416NCJRS.pdf '>https://www.ncjrs.gov/pdffiles1/Digitization/147416NCJRS.pdf. </a>. Les Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (ci-après «les Règles européennes») ont été complétées récemment par la Recommandation CM/Rec(2010)1 sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation 
			(10) 
			Adoptée par les Délégués
des Ministres lors de leur 1057e réunion,
le 20 janvier 2010. Parmi les autres travaux pertinents du Comité
des Ministres figurent: la Recommandation No R
(99) 19 sur la médiation en matière pénale; la Recommandation No R
(99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l'inflation carcérale;
la Recommandation Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle;
la Recommandation Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes;
la Recommandation Rec (2006) 13 concernant la détention provisoire,
les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place
de garanties contre les abus..
5. Ces documents indiquent tous clairement que les mesures non privatives de liberté ont pour vocation et pour intérêt d’offrir des peines de substitution à l’emprisonnement aux délinquants et de permettre aux autorités d’adapter les sanctions pénales aux besoins de chaque délinquant de manière proportionnée à l’infraction commise. Elles permettent à un délinquant de rester en liberté, et donc de poursuivre son activité professionnelle, ses études et sa vie familiale 
			(11) 
			Voir Commentaire sur
les Règles de Tokyo (note 10), p. 2.. Parallèlement, ces documents sont – tout comme moi, si je puis dire – pleinement favorables au but poursuivi par le système de justice répressive, qui consiste à diminuer la criminalité et à admettre qu’il importe de tenir compte de la situation des victimes 
			(12) 
			Ibid.,
p. 6..
6. La promotion d’alternatives à l’emprisonnement n’est donc en aucun cas une démarche nouvelle ou «révolutionnaire»; il s’agit tout simplement de bon sens. Comme nous le verrons, les avancées technologiques récentes offrent de nouvelles possibilités à toute la panoplie des alternatives à l’emprisonnement, ce qui favorise encore la cause de la réduction de l’emprisonnement. Parallèlement, il convient de veiller à ce que ces nouvelles options n’entraînent pas un «élargissement de la nasse» des sanctions pénales, en visant les petits délinquants et les primo-délinquants auteurs de petites infractions qui, dans le cas contraire, n’auraient fait l’objet d’aucune sanction pénale officielle.

2. Le regain de terrain de l’emprisonnement en Europe et le problème de la surpopulation carcérale

2.1. Les taux d’incarcération en Europe: disparates, mais globalement en augmentation

7. Etonnamment, compte tenu de ce qui précède, l’emprisonnement a gagné du terrain en Europe ces dernières années. Bien qu’il soit généralement admis que la prison devrait offrir une solution de dernier recours aux comportements répréhensibles, les taux d’incarcération ont plus augmenté qu’ils n’ont diminué dans la plupart des pays européens depuis les années 90. Les taux d’incarcération de la majeure partie des pays européens sont en effet supérieurs à ceux des années 70 et 80. Les pays d’Europe centrale et orientale arrivent toujours en tête, avec 200 détenus pour 100 000 habitants, et ces taux connaissent malheureusement une nouvelle augmentation, qui fait suite à la forte baisse enregistrée immédiatement après les changements politiques survenus à la fin des années 80. Un certain nombre de pays d’Europe occidentale ont également connu une forte progression du nombre de leurs détenus au cours des 10 dernières années et atteignent à présent des taux d’incarcération bien supérieurs à 100 détenus pour 100 000 habitants (notamment les Pays-Bas, l’Angleterre et le pays de Galles et l’Espagne). Fort heureusement, certains pays continuent à afficher des taux de détention de moins de 100/100 000 (France, Allemagne et Grèce), tandis que ceux des pays scandinaves, la Suisse et l’Italie restent très inférieurs à 100/100 000. En Angleterre et au pays de Galles, aux Pays-Bas, en Grèce et en Espagne, les taux de détention ont augmenté à un rythme particulièrement rapide entre 1987 et 2006, tandis que la France, l’Allemagne, le Danemark, l’Autriche et la Suisse ont connu une progression relativement faible 
			(13) 
			Voir Hans-Jörg
Albrecht, Sanction Policies and Alternative Measures to Incarceration:
European Experiences with Intermediate and Alternative Criminal
Penalties, UNAFEI, 142nd International Training Course, Visiting
Experts’ Papers. Resource Material Series No. 80, Tokyo, mars 2010,
p. 47-50: <a href='http://www.unafei.or.jp/english/pages/RMS/No80.htm'>www.unafei.or.jp/english/pages/RMS/No80.htm</a>. .
8. Les chiffres précités concernent l’année 2006. Les chiffres les plus récents fournis par les statistiques SPACE I (Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe) publiées en 2012, qui font état de la situation au 1er septembre 2010, confirment dans l’ensemble la tendance décrite par le professeur Albrecht – à l’exception, sur un plan positif, des Pays-Bas, où le taux d’incarcération a diminué à nouveau jusqu’à 70,8/100 000, et sur un plan négatif, de la France et de l’Italie, où les taux d’incarcération dépassent désormais les 100/100 000 (103,5 en France et 113,3 en Italie) 
			(14) 
			Les
chiffres du nombre de détenus pour 100 000 habitants en septembre
2010 mentionnés pour les autres pays par le professeur Albrecht
sont les suivants: Autriche 102,6; Danemark 71,3; Finlande 62,0;
Allemagne 87,6; Grèce 105,6; Islande 51,9; Norvège 74,8; Espagne
164,8; Suède 74,1; Suisse 79,4 (source: SPACE I – 2010, Tableau
1, Situation des institutions pénales au 1er septembre
2010, p. 37 (Strasbourg, 28 mars 2012, pc-cp/space/documents/pc-cp(2012)1).. Les pays dont les taux d’incarcération sont les plus élevés des Etats membres du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire représente plus du double de la moyenne européenne de 149,3, se situent tous à l’est du continent: la Fédération de Russie (590,8), la Géorgie (533,9), l’Azerbaïdjan (410,0) et l’Ukraine (332,4).

2.2. La surpopulation carcérale: un problème pour 21 Etats membres du Conseil de l’Europe

9. Il n’est guère étonnant, au vu des chiffres précités, et comme l’indique la proposition de résolution sur laquelle repose le présent rapport, que plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe souffrent de surpopulation carcérale. D’après les statistiques les plus récentes publiées par le Conseil de l’Europe 
			(15) 
			SPACE II 2010, p. 51,
graphique 1.B., 21 Etats membres affichent un taux de plus de 100 détenus pour 100 places de détention. Parmi ceux-ci figurent des pays aux prisons légèrement surpeuplées, comme l’Islande, l’Irlande, la Suède et la Finlande (moins de 105 détenus pour 100 places), des Etats confrontés à des problèmes plus graves (comme la France, avec un taux de 108,4, et la Turquie à hauteur de 115 ou la Grèce à 123) et des pays confrontés à une très forte surpopulation (la Serbie – 172,3 détenus pour 100 places – et l’Italie, dont le taux atteint 153,2 et Chypre, qui compte 150,8 détenus pour 100 places).
10. De nombreux rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT) montrent que cette situation génère des conditions carcérales inférieures aux normes requises. Elles sont une source de graves problèmes en matière de droits de l’homme et diminuent considérablement l’incidence que peut avoir la prison sur la réinsertion des délinquants. Outre les détenus déjà condamnés pour une infraction, les Etats membres du Conseil de l'Europe comptent des centaines de milliers de prévenus placés en détention provisoire ou préventive. Il convient de ne pas oublier que ces personnes bénéficient de la présomption d’innocence. C’est là une excellente raison de faire le meilleur usage possible des mesures alternatives, afin d’atteindre les buts habituellement poursuivis par le placement en détention provisoire 
			(16) 
			Mon collègue Pedro
Agramunt (Espagne, PPE/DC) élabore en ce moment un rapport spécialement
consacré à «L'abus de la détention provisoire dans les Etats parties
à la Convention européenne des droits de l'homme»; je n'analyserai
donc pas de manière plus détaillée cette question dans le présent
rapport..
11. Compte tenu de la situation budgétaire difficile de la plupart des Etats membres, le facteur que représente le coût élevé de l'emprisonnement 
			(17) 
			La proposition de résolution
chiffre à 70 000 euros par an le coût de l'emprisonnement d'un délinquant;
ce coût n'est évidemment pas le même dans l'ensemble des Etats membres,
mais il est partout considérable au regard des ressources disponibles. devrait également inciter à une réflexion sur les alternatives à l'emprisonnement. Les statistiques SPACE I 
			(18) 
			SPACE
II 2010, p. 127, tableau 16. montrent que le coût d’un détenu par jour (en 2009) va, par exemple, d’à peine 2 euros en Arménie et en Bulgarie, 9 euros en Azerbaïdjan, 15 euros en Albanie et en Serbie, à 80 à 120 euros dans la plupart des pays d’Europe occidentale et jusqu’à 300 euros en Norvège. Il s’agit donc de dépenses considérables, même pour les pays qui se situent dans la moyenne du coût par détenu; dans les pays dont les dépenses sont particulièrement faibles, on peut se demander si ces ressources extrêmement limitées peuvent réellement suffire à garantir le respect de la dignité humaine et des normes minimales de détention, surtout en vue d’une réinsertion.
12. Les préoccupations légitimes de nos sociétés en matière de sécurité et le besoin de justice rétributive ressenti par les citoyens doivent bien entendu être également pris en compte. Je partage néanmoins l'idée avancée par les auteurs de la proposition sur laquelle repose mon mandat: il existe des alternatives adaptées à l'emprisonnement, notamment pour les petits délinquants ou les primo-délinquants, les jeunes délinquants et ceux qui ne représentent pas à l'heure actuelle un danger pour la société; ils pourraient même être mieux en mesure de réparer le préjudice qu'ils ont causé à leurs victimes s’il leur était permis de bénéficier d’alternatives aux peines d'emprisonnement 
			(19) 
			C’est également le
point de vue de la ministre française de la Justice, Mme Christiane
Taubira. Une conférence initiée par la ministre et présidée par
Mme Françoise Tulkens, ancienne vice-présidente de la Cour européenne
des droits de l'homme («Conférence de consensus sur la récidive»),
a présenté ses conclusions au Premier ministre français et à la ministre
de la Justice le 20 février 2013. Celles-ci préconisent notamment
d'abandonner ce qui apparaît comme un recours généralisé aux peines
privatives de liberté (le «tout carcéral»); voir Le Parisien du 21 février 2013,
«Justice: l’efficacité de la prison mise en cause par des experts»,
et la réponse de Mme Laurence Neuer, «La prison est un instrument
nécessaire pour la République», in :
LePoint.fr, 21 février 2013; et Le Monde du
22 février 2013, «Récidive: la conférence de consensus contre le
'tout-carcéral'». .

3. Les délinquants aptes à bénéficier de peines de substitution: prise en compte de «l’objectif poursuivi par la peine»

13. Les types de délinquants pour lesquels l’application de peines non privatives de liberté serait socialement acceptable et politiquement défendable dépendent des différents buts poursuivis par les sanctions pénales et de leurs rapports complexes et parfois contradictoires. Je suis consciente que l'importance accordée aux divers «objectifs poursuivis par la sanction» est profondément enracinée dans notre socialisation culturelle et politique. L'Assemblée représente 47 pays qui possèdent des traditions pénales différentes et offrent l’éventail complet des tendances politiques de la gauche à la droite, il n'est guère probable, et peut-être pas davantage souhaitable, que nous soyons tous d’accord sur l’importance qu’il convient d’accorder à ces divers objectifs de la sanction sur un plan quantitatif. Mais il importe que nous puissions convenir d'une liste d’objectifs que devraient poursuivre les sanctions pénales, sans préciser l'importance que nous leur accordons, et sur laquelle figureraient:
  • la prévention générale, c'est-à-dire le fait de dissuader en général d'éventuels délinquants. La prévention générale dépend notamment de l’existence d’un taux élevé d’élucidation des infractions pénales, c’est-à-dire de la probabilité qu’un délinquant soit effectivement identifié et condamné. Elle exige également que les peines soient suffisamment «désagréables» pour produire un effet dissuasif sur d’éventuels délinquants. Il faut donc que les peines non privatives de liberté ne soient pas inférieures à un certain seuil de contrainte;
  • la prévention particulière, c'est-à-dire le fait de prévenir la commission d'infractions (supplémentaires) par les personnes condamnées à une peine, grâce à la fois à la dissuasion et à la réinsertion. Sur le plan de la dissuasion, les facteurs mentionnés ci-dessus entrent en ligne de compte de la même manière. La réinsertion, quant à elle, peut être favorisée aussi bien en prison qu’à l’extérieur. La prison peut cependant lui être préjudiciable, à cause de son effet «école du crime» bien connu, surtout dans les lieux de détention surpeuplés où les jeunes délinquants ou les primo-délinquants subissent l’influence de multirécidivistes endurcis;
  • la justice rétributive, c'est-à-dire le fait de faire respecter la loi, en punissant les délinquants par principe, pour le compte de la société dans son ensemble et des victimes de l’infraction concernée, tend davantage vers une dimension métaphysique de l’objectif de la peine. Son poids est difficile à quantifier, mais elle joue un rôle important dans la conception populaire, et (parfois) populiste, du rapport entre infraction et peine. Bien que nos sociétés aient dépassé depuis longtemps le principe archaïque «œil pour œil, dent pour dent», les peines privatives de liberté restent très largement considérées comme la conséquence inévitable de crimes particulièrement graves, en particulier lorsqu’ils attentent volontairement à la vie et la santé d’autrui;
  • la justice réparatrice, c'est-à-dire le fait de réparer le préjudice subi par la victime, qui comprend, selon certains, la «satisfaction morale» de voir puni l'auteur de l'infraction. La justice réparatrice peut être favorisée plus efficacement par des peines non privatives de liberté que par l’emprisonnement, puisque l’auteur de l’infraction ne perd pas automatiquement son emploi et dispose par conséquent de fonds plus importants pour réparer le préjudice causé.
14. Ces «objectifs de la sanction» doivent servir à orienter l’évaluation des alternatives possibles à l’emprisonnement, bien qu’elles dépendent pour beaucoup de l’importance accordée par chaque pays à l’un ou l’autre de ces objectifs, parfois contradictoires.
15. On peut considérer, en principe, que les peines non privatives de liberté sont particulièrement adaptées à la sanction des infractions non violentes, surtout lorsque celles-ci sont commises par des jeunes délinquants et/ou des primo-délinquants, ainsi que par des femmes 
			(20) 
			Voir Criminal Justice
Joint Inspection (England & Wales) «Thematic Inspection Report:
Equal but different? An inspection of the use of alternatives to
custody for women offenders», ISBN 978-1-84099-485-8, Londres, 2011.
L'étude conclut que les délinquantes souffrent plus souvent de plusieurs
maux de santé (y compris psychiatriques) et de société, qui devraient
être traités par la prise de mesures sociales et sanitaires adéquates,
et non par l'emprisonnement, qui pose de surcroît des problèmes
particuliers lorsqu'elles ont de jeunes enfants. . Cela ne signifie pas pour autant que tous les autres délinquants devraient systématiquement être placés en détention. Une semblable conception représenterait un recul considérable, y compris par rapport à la pratique en vigueur dans bon nombre de pays. En examinant les différents types de peines non privatives de liberté, je mentionnerai les catégories d’infractions et de délinquants pour lesquels elles se sont avérées les plus judicieuses.
16. Les Règles de Tokyo, combinées au Commentaire sur les Règles, donnent une première indication, en précisant que «pour des délits très divers et de nombreux types de délinquants, en particulier ceux qui ne risquent pas de récidiver, ceux qui sont condamnés pour des délits mineurs et ceux qui ont besoin d’une aide médicale, psychiatrique ou sociale, l’incarcération ne peut être considérée comme une sanction appropriée» 
			(21) 
			Voir
Commentaire sur les Règles de Tokyo, op.
cit., p. 5..

4. Les différentes alternatives à l’emprisonnement: normes légales et en matière de droits de l’homme

17. Parmi les alternatives possibles à l’emprisonnement figurent les amendes (voir ci-dessous 4.1), ainsi que l’application, distincte ou combinée, de «sanctions et mesures appliquées dans la communauté», définies comme des «sanctions et mesures qui maintiennent l’auteur d’infraction dans la communauté et impliquent certaines restrictions de liberté par l’imposition de conditions et/ou d’obligations» 
			(22) 
			Définition donnée par
la Recommandation CM/Rec(2010)1 du Comité des Ministres sur les
règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation (adoptée
par le Comité des Ministres le 20 janvier 2010, lors de la 1075e réunion
des Délégués des Ministres).. Ces sanctions et mesures peuvent, soit accompagner une peine d’emprisonnement assortie du sursis (voir ci-dessous 4.2), soit remplacer totalement une peine privative de liberté. Les statistiques SPACE II du Conseil de l’Europe 
			(23) 
			Les dernières données
actuellement disponibles sont celles de 2010 (Statistiques pénales
annuelles du Conseil de l'Europe, SPACE II, Persons Serving Non-Custodial
Sanctions and Measures in 2010), publiées le 23 mars 2012 par le Conseil
de l'Europe et l'Université de Lausanne (document PC-CP (2012) 2): 
			(23) 
			<a href='http://www3.unil.ch/wpmu/space/2012/04/space-i-ii-2009-available-online/'>http://www3.unil.ch/wpmu/space/2012/04/space-i-ii-2009-available-online/</a>. offrent une profusion de données intéressantes sur l’utilisation des peines et mesures non privatives de liberté (à l’exclusion des amendes) dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe.
18. Les Règles minima pour l'élaboration de mesures non privatives de liberté ont été édictées pour la première fois en 1990 dans les Règles de Tokyo. En 1992, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation No R (92) 16 relative aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, complétée en 2010 par la Recommandation CM/Rec (2010) 1 sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation.
19. Les peines non privatives de liberté, qui sont évidemment préférables aux peines d’emprisonnement dans tous les cas, sauf les plus graves, doivent néanmoins respecter des exigences élémentaires en matière de droits de l’homme, comme le précisent les Règles de Tokyo et les Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté; les exigences suivantes sont ainsi en principe applicables à l’ensemble des peines non privatives de liberté.

4.1. Le principe de légalité

20. Ce principe signifie que les mesures qui doivent être appliquées, les conditions de leur application et les autorités chargées de leur application doivent être prévues par la loi. La règle 3 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté précise que «[l]a définition, l’adoption et l’application des sanctions et mesures appliquées dans la communauté doivent être prévues par des dispositions légales». Bien que l’un des avantages des peines de substitution soit leur souplesse, qui permet de personnaliser la sanction dans l’intérêt de la réinsertion du délinquant, celle-ci ne saurait pour autant autoriser l’arbitraire. La loi doit fixer un cadre clair et prévisible pour toutes les condamnations pénales, y compris pour les peines non privatives de liberté. Ces dernières peuvent donner lieu à une importante ingérence dans les droits fondamentaux des délinquants. Les autorités chargées de l’application de ces sanctions peuvent être autorisées par la législation à en «privatiser» certains volets. Je suis personnellement favorable à une plus grande participation des acteurs de la société civile dans ce domaine, car leur bonne volonté, leur expérience et leur engagement humain peuvent améliorer de façon cruciale les chances de réinsertion des délinquants. Les «cercles de soutien» lancés au Royaume-Uni par les Quakers à propos desquels j’ai obtenu un certain nombre de précisions au cours de ma visite en offrent un exemple intéressant. A l’inverse, la participation des entreprises privées, qui cherchent à retirer un profit financier de mesures telles que les travaux d’intérêt général imposés aux délinquants ou auxquelles le suivi des appareils électroniques peut être délégué, me laisse sceptique. En pareil cas, la loi se doit de préciser clairement que la responsabilité légale ultime appartient à l’autorité publique compétente, qui ne saurait se soustraire à ses obligations en les déléguant à des acteurs privés.

4.2. L’interdiction de la discrimination

21. L’interdiction de toute discrimination représente une autre exigence légale importante associée à l’application de mesures non privatives de liberté. Selon la règle 2.2 des Règles de Tokyo, ces dernières s’appliquent «sans discrimination de race, de couleur, de sexe, d’âge, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou autre situation». Mais toutes les différences de traitement ne sont pas discriminatoires. Une différenciation établie sur la base de critères raisonnables et objectifs ne s’apparente pas à une discrimination interdite 
			(24) 
			Voir
le Manuel du HCDH (note 10 ci-dessus), p. 377 et ses renvois supplémentaires.. L’un des grands avantages des mesures non privatives de liberté est précisément leur souplesse, c’est-à-dire la possibilité qu’elles offrent d’être adaptées aux besoins de chaque délinquant. Le fait de traiter des personnes différemment en fonction de leur histoire personnelle et de leurs besoins et problèmes propres peut en vérité se justifier objectivement. Mais ceux auxquels la décision incombe doivent toujours avoir conscience du fait que cet élément discrétionnaire présent dans la mise en œuvre de ces mesures peut, intentionnellement ou non, traduire une discrimination bien présente dans la collectivité concernée 
			(25) 
			Voir
Commentaire sur le Règles de Tokyo, op.
cit., p. 8-9..

4.3. Le principe de proportionnalité

22. Le respect du principe de proportionnalité suppose qu’il existe un rapport raisonnable entre, d’une part, la gravité de l’infraction et, d’autre part, l’intensité du caractère afflictif et de l’ingérence dans les droits du délinquant de la mesure appliquée. Comme le précise la règle 6 des Règles européennes, «la nature et la durée des sanctions appliquées dans la communauté doivent aussi bien être proportionnées à la gravité de l’infraction pour laquelle un délinquant a été condamné ou une personne est inculpée que tenir compte de sa situation personnelle».
23. Cela ne signifie pas obligatoirement que les peines de substitution doivent uniquement peser légèrement sur le délinquant. Au contraire, si nous songeons sérieusement à réduire l’emprisonnement en favorisant des peines alternatives, nous devons être prêts à englober dans le cadre de ces mesures les auteurs d’infractions assez graves, qui seraient sinon incarcérés pendant un certain temps. Pour de tels délinquants, l’existence de mesures assez «lourdes», comme des amendes payées par le prélèvement à la source des revenus disponibles du délinquant pendant plusieurs mois, éventuellement associées à une assignation à résidence pendant un certain nombre de week-ends et de soirées, dont le respect serait rigoureusement assuré par des appareils électroniques, peut offrir une alternative crédible à une peine d’emprisonnement, en tenant compte de la plupart, voire de la totalité, des «objectifs de la peine» exposés plus haut.

4.4. Le consentement du délinquant

24. Le consentement du délinquant est nécessaire surtout dans les cas où les mesures pénales non privatives de liberté sont appliquées avant ou en lieu et place de la procédure officielle ou d’un procès (par exemple l’utilisation d’appareils de suivi électronique pendant la phase qui précède le procès, afin d’éviter le placement en détention provisoire; ou les mesures dites de «déjudiciarisation», destinées à éviter la stigmatisation des primo-délinquants par une condamnation formelle) 
			(26) 
			Voir
la règle 3.4 des Règles de Tokyo et la règle 35 des Règles européennes..
25. La réussite de la mise en œuvre des mesures prises commande de rechercher le consentement et la coopération du délinquant, également lorsque celui-ci a été officiellement condamné. Les Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté comportent un ensemble de dispositions extrêmement détaillées, qui visent à garantir que le délinquant donne son consentement en toute connaissance de cause, expressément et sans qu’il ait été obtenu par l’exercice de pressions excessives 
			(27) 
			Chapitre
IV, règles 30-36..

4.5. Le droit à un contrôle des mesures

26. Les Règles européennes et les Règles de Tokyo prévoient toutes deux que le délinquant qui fait l’objet de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté jouisse de garanties judiciaires et de procédures de recours 
			(28) 
			Règles
européennes, chapitre II, règles 12-19; Règles de Tokyo, règle 3.5.. Les Règles européennes sont plus protectrices que les Règles de Tokyo, car elles exigent que la décision ordonnant ou annulant une sanction appliquée dans la communauté ou une mesure adoptée au cours de l’instruction soit prise par une autorité judiciaire, alors que les Règles de Tokyo permettent qu’elle provienne d’une «autre autorité indépendante compétente». Une procédure de recours moins formelle suffit pour les décisions relatives à la simple exécution d’une sanction ordonnée par une autorité judiciaire.

4.6. Le respect du droit au respect de la vie privée et de la dignité des délinquants

27. Les Règles de Tokyo précisent que «l’application de mesures non privatives de liberté se fait dans le respect du droit du délinquant et de sa famille à la vie privée» (règle 3.11). Le Commentaire sur les Règles de Tokyo met en garde contre les mesures de surveillance qui traitent les délinquants uniquement comme un objet de contrôle et ajoute que les techniques de surveillance ne devraient pas être utilisées sans que le délinquant en soit informé 
			(29) 
			Commentaire sur les
Règles de Tokyo, p. 13.. La règle 23 des Règles européennes indique que le respect de soi, les relations familiales, les liens avec la collectivité et la capacité à vivre en société ne doivent pas être compromis et que «des garanties devront être adoptées pour les protéger de toute insulte et de toute curiosité ou publicité inopportunes».
28. Au vu de certaines pratiques expérimentales appliquées par quelques juridictions, qui selon moi vont trop loin, au moins au regard des normes européennes, il convient de rappeler ces règles 
			(30) 
			Citons par exemple
le cas d'une femme de Cleveland (Etats-Unis) condamnée par un juge,
pour une infraction au code de la route, à se tenir à un important
croisement en brandissant une pancarte sur laquelle était écrit
«seule une imbécile peut faire le choix de rouler sur le trottoir
pour éviter un bus scolaire». .
29. Néanmoins, les restrictions imposées au respect de la vie privée, qui sont inévitablement inhérentes aux mesures de surveillance électronique, doivent être acceptées si l’on veut favoriser cette alternative crédible à des peines privatives de liberté qui occasionnent une ingérence beaucoup plus importante dans les droits du délinquant. Cela dit, la mise en œuvre pratique des mesures de surveillance électronique peut être modulée de manière à limiter autant que possible l’ingérence dans la vie privée, sans compromettre l’objectif de la mesure (par exemple prévenir la récidive ou faire respecter des heures de rentrée précises).

4.7. La protection contre le risque excessif de préjudice physique ou mental

30. Fondée sur les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), la règle 26 des Règles européennes précise que «la nature, le contenu et les méthodes d’exécution d’une sanction ou mesure appliquée dans la communauté ne doivent pas entraîner de risques indus de dommage physique ou mental. La règle 25 indique qu’une sanction ou mesure appliquée dans la communauté «ne doit jamais comporter de traitement ou de technique médical ou psychologique non conforme aux normes reconnues sur le plan international». Dans le même esprit, l’article 3.8 des Règles de Tokyo interdit les mesures non privatives de liberté qui comportent une «expérimentation médicale ou psychologique effectuée sur le délinquant [ou un] risque indu de dommage physique ou mental pour celui-ci».
31. Ces dispositions soulèvent inévitablement la question du recours à la castration chirurgicale chimique pour les délinquants sexuels. La castration faisait certes, dans un passé plus ou moins récent, fréquemment office de sanction pour différents types d’infractions 
			(31) 
			Elle était même pratiquée
en Europe, jusqu'au XIXe siècle, sur
des garçons pour que leur voix de soprano ainsi préservée puisse
retentir sur les scènes d'opéra., mais la législation qui autorisait la castration chirurgicale forcée a été soit modifiée pour en interdire le caractère non volontaire soit totalement abrogée. Bien que les textes de loi qui autorisent la castration volontaire dans certains pays soient encore en vigueur (en Allemagne, au Danemark, en Finlande et en Suède), l’application concrète de la castration chirurgicale a été abandonnée, sauf en République tchèque, où la castration chirurgicale volontaire des délinquants sexuels n’est pas rare aujourd’hui encore, et en Allemagne, où elle est extrêmement rare. Le CPT a fortement critiqué ces deux pays 
			(32) 
			Voir BBC News, 22 février
2012, «Germany urged to end sex offender castration»: <a href='http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-17124604'>www.bbc.co.uk/news/world-europe-17124604</a>; voir, à propos de la République tchèque, notamment
Voislav Stojanovski, «Surgical Castration of Sex Offenders and its
Legality: The Case of the Czech Republic», qui cite en détail les
rapports pertinents du CPT et les réponses des autorités tchèques: <a href='http://www.iusetsocietas.cz/fileadmin/user_upload/Vitezne_prace/Stojanovski.pdf'>www.iusetsocietas.cz/fileadmin/user_upload/Vitezne_prace/Stojanovski.pdf</a>., en déclarant que «la castration chirurgicale est une mutilation irréversible et ne saurait être considérée comme une nécessité médicale dans le cadre du traitement des délinquants sexuels» 
			(33) 
			Voir
Voislav Stojanovski, ibid.
p. 12-16. . La castration chimique volontaire, en revanche, est pratiquée actuellement en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en France, en Hongrie, en Italie, au Royaume-Uni, en Suède et en République tchèque 
			(34) 
			Ibid.,
p. 5-6..
32. En 2009, la Pologne a adopté une loi relative à la castration chimique obligatoire, ce qui a fait d’elle le premier pays d’Europe à autoriser l’imposition de ce traitement à certains délinquants sexuels (pédophiles). En mars et juin 2012, la République de Moldova et l’Estonie ont adopté des textes de loi similaires 
			(35) 
			Voir,
à propos de la République de Moldova, BBC News, 6 mars 2012, «Moldova
introduces chemical castration for paedophiles»: <a href='http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-17278225'>www.bbc.co.uk/news/world-europe-17278225</a>; concernant l'Estonie, voir Voice of Russia, 5 juin
2012, «Estonia passes chemical castration law»: <a href='http://english.ruvr.ru/2012_06_05/77079747/'>http://english.ruvr.ru/2012_06_05/77079747/
 .</a>.
33. Compte tenu des questions médicales, déontologiques et juridiques difficiles soulevées par la castration chirurgicale chimique, je préfère ne pas prendre position sur ce type de sanction dans le présent rapport. Cette question exige, selon moi, d’être traitée dans un rapport distinct, afin d’accorder toute l’attention nécessaire à ses détails. Je suis certaine que le rapport de Mme Liliane Maury Pasquier, en préparation à la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rendra pleinement compte de la question.

5. La nécessité d’éviter d’«agrandir les mailles du filet» des sanctions

34. Il convient de veiller soigneusement à ce que les peines non privatives de liberté soient infligées en lieu et place des peines d’emprisonnement, et en aucun cas en plus de celles-ci, de manière à ne pas élargir le champ d’application des peines. Les infractions mineures qui ne sont pas passibles de sanctions pénales ne devraient pas davantage donner lieu à des condamnations non privatives de liberté. Cette question a déjà été soulevée dans le Commentaire sur les Règles de Tokyo; celui-ci souligne que, «en réduisant le recours à l’incarcération et en appliquant des mesures non privatives, il faut tenir dûment compte du principe du respect des droits de l’homme, de la justice sociale et de la réinsertion des délinquants. Les Règles de Tokyo cherchent à garantir que l’utilisation plus large des mesures non privatives de liberté n’entraîne pas une augmentation du nombre de personnes frappées par des mesures pénales ou le recours à des mesures plus rigoureuses» 
			(36) 
			Commentaire sur les
Règles de Tokyo, p. 7.. Les études récentes montrent bien qu’il convient de veiller soigneusement à éviter tout effet d’élargissement du filet des sanctions que pourrait entraîner le recours accru aux peines non privatives de liberté 
			(37) 
			Voir par exemple Hans-Jörg
Albrecht, Sanction Policies and Alternative Measures to Incarceration:
European Experiences with Intermediate and Alternative Criminal
Penalties, UNAFEI, 142nd International Training Course, Visiting Experts’
Papers, Resource Material Series No. 80, Tokyo, mars 2010, p. 44: <a href='http://www.unafei.or.jp/english/pages/RMS/No80.htm'>www.unafei.or.jp/english/pages/RMS/No80.htm</a>; Shauna Bottos, An Overview of Electronic Monitoring
in Corrections: the Issues and Implications, Research Branch, Correctional
Service Canada, avril 2007, 2008 n° R-182 (p. 8); Commentaire sur
les Règles de Tokyo, p. 7; au cours de ma visite d'étude à Londres,
plusieurs de mes interlocuteurs ont fait la même remarque: les juges,
qui pourraient hésiter à placer un petit délinquant en détention,
seront sans doute tentés de recourir à des condamnations non privatives de
liberté si celles-ci sont à leur disposition, plutôt que de n'infliger
aucune sanction, ce qu'ils auraient peut-être fait dans le cas contraire.. Le professeur Aebi nous a également fourni, lors de l’audition du 11 décembre 2012, des données intéressantes: elles mettent en évidence cet effet d’élargissement du filet des sanctions provoqué par un recours accru aux peines de substitution dans certains pays, qui n’ont pas enregistré en parallèle de diminution de leur taux d’incarcération.
35. Ces conclusions amènent toutefois à penser que l’effet d’élargissement du filet des sanctions n’est pas inévitable, sous réserve que les juges et le grand public soient conscients de ce danger et partagent l’idée que l’accroissement de la pression des sanctions pénales sur les petites infractions n’est pas souhaitable. Il convient en tout état de cause de rester vigilant; c’est la raison pour laquelle je propose de consacrer un paragraphe spécial à cette question dans notre résolution.

6. Analyse synthétique des différentes alternatives à l’emprisonnement

6.1. Les amendes (y compris les «jours-amende» calculés à proportion du revenu disponible du délinquant)

36. Les amendes constituent de loin l’alternative à l’emprisonnement la plus utilisée. En Allemagne, par exemple, les amendes sont infligées dans 80,7 % des cas, contre 13,5 % pour les peines d’emprisonnement assorties du sursis et 5,8 % pour les peines d’emprisonnement fermes 
			(38) 
			Jörg-Martin Jehle,
Criminal Justice in Germany, Facts and Figures, publié par le ministère
fédéral de la Justice (2009), diagramme 14. . En France, 35,7 % de l’ensemble des peines prononcées sont des amendes 
			(39) 
			Plus 3,9 % de «jours-amende»,
qui entrent dans la catégorie des «peines de substitution». , contre 48,6 % de peines d’emprisonnement (dont 19,6 % de peines fermes) 
			(40) 
			Ministère
de la Justice, Les chiffres-clés de la Justice 2011, p. 18.. Au Royaume-Uni, 65,6 % des délinquants condamnés se voient infliger une amende, 3,6 % une peine assortie du sursis et 7,5 % une peine d’emprisonnement 
			(41) 
			Ministère
de la Justice, Quarterly Main Sentencing Tables, mars 2012, Tableaux
Q1.6 et Q5.1: Offenders sentenced by offence group and outcome: <a href='http://www.justice.gov.uk/downloads/statistics/criminal-justice-stats/sentencing-tables-0312.xls'>www.justice.gov.uk/downloads/statistics/criminal-justice-stats/sentencing-tables-0312.xls</a>.. La Serbie compte le pourcentage le plus faible d’amendes, 16,5 %, et le pourcentage le plus élevé de peines d’emprisonnement non assorties d’un sursis (23,9 %). Ces chiffres ne peuvent être comparés de façon abrupte. En effet, en France par exemple, moins de 630 000 peines ont été traitées, contre près de 1,3 millions rien qu’en Angleterre et au pays de Galles, dont la population est bien inférieure à celle de la France. Cela montre que la France répond aux comportements répréhensibles par d’autres moyens que les habituelles sanctions pénales plus fréquemment que le Royaume-Uni. Cela explique pourquoi les condamnations à une peine d’emprisonnement prononcées dans les autres affaires – sans doute plus graves – sont plus nombreuses en France qu’en Angleterre et au pays de Galles. En Allemagne 
			(42) 
			Uniquement l'ancienne
Allemagne de l'Ouest et Berlin-Ouest (pour permettre l'analyse comparative
de ces chiffres au fil des ans)., les pourcentages précités concernent 645 000 personnes condamnées au titre du droit pénal général (donc à l’exclusion des jeunes délinquants), tandis que moins de la moitié des procédures engagées devant les juridictions répressives aboutissent à un jugement 
			(43) 
			Voir ministère de la
Justice, note 39, diagramme 11. Les affaires restantes sont traitées
en suivant diverses stratégies de «déjudiciarisation», dont l'abandon
sans condition des poursuites à l'encontre des petits délinquants
ou primo-délinquants et l'abandon des poursuites sous condition
(comme le paiement d'une amende, la réparation du préjudice causé,
etc.)..
37. Les chiffres allemands montrent que les amendes pénales peuvent servir à sanctionner une portion considérable des activités criminelles qui sont suffisamment graves pour justifier une décision de la justice répressive; ce choix intervient même dans des systèmes de justice répressive tels que celui de l’Allemagne, où d’autres formes de réponses aux comportements répréhensibles jouent pourtant un rôle important. Cela tient peut-être au fait que les amendes pénales peuvent être assez conséquentes en Allemagne, car leur montant est calculé sur la base du revenu disponible quotidien du délinquant – un «jour-amende» (Tagessatz) équivaut à 1/30e du revenu net mensuel de l’intéressé, après déduction de toutes les charges occasionnées par l’entretien des membres de sa famille ou autres personnes à sa charge. Le système des «jours-amende» est utilisé depuis 1975 en Allemagne; il s’inspire des pays scandinaves, comme la Finlande, où ce régime a été mis en place dès 1921. Le nombre de «jours» (de cinq à 360, et jusqu’à 720 dans des situations exceptionnelles) et le montant par jour (de 5 euros minimum à 30 000 euros maximum par jour !) rendent cette peine suffisamment dissuasive, même pour les très grandes infractions, notamment les délits économiques motivés par des considérations pécuniaires. En pareil cas, la peine (l’amende) s’ajoute à la confiscation des produits ou avantages du crime.
38. Le système de «jour-amende» présente l’avantage de moduler le caractère pénible de la peine de manière à ce qu’elle soit en principe identique pour tous, quelles que soient les ressources financières d’une personne. Il garantit également que ce caractère pénible et l’expression de la désapprobation de la société sont à la fois prononcés et parfaitement comparables à une peine d’emprisonnement pendant une période donnée – en laquelle l’amende non versée en temps utile se transforme. Son adoption par les autres pays européens qui ne disposent pas encore d’un tel système pourrait ouvrir la voie à une solution à ce jour sous-exploitée de diminution de l’emprisonnement.
39. Lors de notre audition du 11 décembre 2012, l’expert serbe, M. Jovan Ciric, a présenté les obstacles concrets auxquels se heurte encore en Serbie le système de jour-amende, pourtant prévu par la législation: il est difficile d’établir le montant des revenus d’un délinquant lorsque celui-ci exerce ses activités dans l’économie parallèle ou dans l’agriculture; la crise économique endémique provoque une pauvreté générale, qui conduit certains délinquants à préférer aller en prison plutôt que de verser une amende qu’ils n’ont pas les moyens de payer. Ces difficultés ne devraient pas, selon moi, dissuader les juges d’appliquer ce type de sanction plus fréquemment. La complexité de l’évaluation des ressources d’une personne peut être surmontée par l’imposition d’une obligation de présenter des justificatifs, afin d’établir le revenu véritable et d’éviter le recours à des estimations faites par le tribunal en fonction de signes extérieurs du niveau de vie (domicile, véhicule et autres éléments d’appréciation). Il est probable que le temps et l’énergie consacrés par les juges à ces recherches seraient largement compensés par les économies réalisées grâce à un recours moins fréquent à l’emprisonnement et au versement des amendes elles-mêmes, qui devraient être reversées dans le budget de la justice.

6.2. Les autres peines non privatives de liberté, y compris les sanctions et mesures appliquées dans la communauté

40. Les sanctions et mesures appliquées dans la communauté représentent un outil particulièrement utile de limitation de la population carcérale. D’après les statistiques SPACE II (2010) 
			(44) 
			Voir plus haut note
16, tableau 1.3. (p. 23-24)., le nombre moyen de personnes surveillées ou prises en charge par les services de probation représente 205,7 individus pour 100 000 habitants. Le chiffre le plus bas est celui de la Serbie (0,1) et le plus élevé celui de la Géorgie (721). La Pologne (654,2), l’Estonie (564,7), la Lettonie (466), la Belgique (370,4), la Hongrie (310,3), l’Angleterre et le pays de Galles (307,5) et la France (280,6) ont également un nombre de probationnaires bien supérieur à la moyenne des Etats membres du Conseil de l’Europe. La Croatie (14,6), Chypre (37,6), la Roumanie (44,9), la Norvège (47,8), l’Islande (56,4) et l’Italie (59,3) se situent en dessous ou juste au-dessus du quart de la moyenne européenne pour 100 000 habitants 
			(45) 
			Mais il convient de
noter que les chiffres de grands pays comme la Fédération de Russie,
la Turquie et l'Ukraine font défaut et que ceux de l'Allemagne remontent
à 2009 et ne sont pas détaillés.. En Serbie, comme l’a expliqué M. Ciric au cours de l’audition, ce chiffre extrêmement bas s’explique dans une large mesure par la faiblesse organisationnelle du système de probation, qui ne semble pas prendre en compte la plupart des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement assortie du sursis 
			(46) 
			57,2 %
de l'ensemble des personnes condamnées en 2009, d'après M. Ciric. et qui ne propose pas même de mesures de travaux d’intérêt général, sauf dans quelques villes. Je considère, comme lui, que de nombreuses améliorations peuvent être apportées à la situation en Serbie et j’ai l’intention de suivre cette question sur le plan politique au sein du parlement de mon pays. Les mesures à disposition en la matière sont présentées ci-dessous.

6.2.1. Les peines assorties du sursis 
			(47) 
			J’ai
fait le choix de présenter les peines assorties du sursis avec les
sanctions et mesures appliquées dans la communauté parce que celle-ci
sont, dans la pratique, souvent combinées, sous la responsabilité
générale des services de probation.

41. Les peines d’emprisonnement assorties du sursis représentent un moyen classique de diminuer l’incarcération effective. Elles peuvent prendre la forme, soit d’un sursis prononcé dès le départ, soit d’un sursis applicable au reste de la peine, lorsque le délinquant a purgé une partie de sa peine initiale en détention et que l’on considère qu’il présente un faible risque de récidive. Le sursis dont est assortie une peine d’emprisonnement est généralement soumis à des conditions de probation. La probation se définit comme «l’exécution en milieu ouvert de sanctions et mesures définies par la loi et prononcées à l’encontre d’un auteur d’infraction. Elle consiste en toute une série d’activités et d’interventions, qui impliquent suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur d’infraction dans la société et de contribuer à la sécurité collective» 
			(48) 
			Définition
tirée de la Recommandation CM/Rec(2010)1..
42. Là encore, le recours à des peines assorties du sursis varie considérablement d’un pays à l’autre. En Allemagne, les peines assorties du sursis sont utilisées deux fois plus que les peines fermes, soit dans 13,5 % des cas, contre 5,8 %. La France recourt également aux peines assorties du sursis bien plus souvent qu’aux peines fermes: les premières représentent 29 % de l’ensemble des sanctions pénales, contre seulement 19,6 % de peines au moins en partie fermes 
			(49) 
			«avec partie ferme».. A l’inverse, le Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles) prononce deux fois plus de peines fermes que de peines assorties du sursis (seules 3,6 % des sanctions pénales représentent des peines assorties du sursis, contre 7,5 % de peines fermes). En Serbie, d’après les chiffres donnés par M. Ciric pour 2009, les peines assorties du sursis sont prononcées dans 57,2 % des cas, soit plus de deux fois plus souvent que les peines fermes (23,9 %). Selon les statistiques SPACE II, le nombre moyen de personnes en probation après avoir été condamnées en tout ou partie à une peine d’emprisonnement avec sursis est de 35,9/100000 habitants, le chiffre le plus bas étant celui de la Serbie 
			(50) 
			Là encore,
ce chiffre semble indiquer un faible développement des services
de probation, compte tenu du recours fréquent aux peines d'emprisonnement
assorties du sursis (voir plus haut).(0) et le plus élevé celui de la Roumanie (100). Monaco (80,6), la Pologne (79,5), la France (79,2) et la Lettonie (66,1) présentent un nombre assez élevé de personnes en probation à la suite d’une peine d’emprisonnement assortie du sursis; l’Angleterre et le pays de Galles (25,6), l’Italie (10,7) et l’Espagne (9,2) se situent au bas de l’échelle.
43. Les pratiques nationales varient également considérablement pour le sursis dont est assorti le reste d’une peine partiellement purgée. En Allemagne, la libération anticipée est quasi automatique une fois la peine initiale purgée aux deux tiers (de moitié dans le cas des jeunes délinquants), sous réserve que le détenu se soit bien comporté et qu’il bénéficie d’un «pronostic social» favorable. En France, la part de la peine qui doit être purgée en prison et la part de la peine assortie du sursis sont fixées dans le jugement initial. En Angleterre et au pays de Galles, la libération anticipée est habituellement accordée à mi-chemin de la peine prononcée, tandis que les peines à durée indéterminée comportent une période «tarifaire» infligée en fonction de la gravité de l’infraction; après expiration de la période tarifaire, le détenu peut être libéré lorsque le risque de récidive est jugé faible et acceptable 
			(51) 
			Le document suivant
offre un excellent aperçu des différents types de libération anticipée:
Early release for prisoners, UK parliament briefing papers (SN/HA/5199
du 15 octobre 2009): <a href='http://www.parliament.uk/briefing-papers/SN05199.pdf'>www.parliament.uk/briefing-papers/SN05199.pdf</a>.. La France dispose d’un régime particulièrement intéressant en matière de libération anticipée, prévu par la loi du 9 mars 2004 
			(52) 
			<a href='http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005765479&dateTexte=20100517'>www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005765479&dateTexte=20100517</a>.. Ce système, conçu pour encourager les détenus à coopérer avec les autorités pénitentiaires de manière à améliorer leurs chances de réinsertion, fonctionne de la manière suivante: trois mois sont déduits de la première année de la peine d’emprisonnement, puis deux mois chaque année suivante (sauf pour les récidivistes). Ce «crédit» de base peut être soit diminué en cas de mauvaise conduite soit augmenté jusqu’à trois mois par année d’emprisonnement en cas de conduite particulièrement exemplaire du détenu (par exemple lorsqu’il se présente à un examen).
44. La libération anticipée est par ailleurs possible dans de nombreux pays, voire dans la plupart d’entre eux, pour raisons humanitaires ou familiales, à l’apparition de nouvelles circonstances qui n’étaient pas prévisibles au moment du jugement (notamment pour raisons médicales graves) 
			(53) 
			Voir,
par exemple, pour le Royaume-Uni: Parliament briefing paper, op. cit., p. 7 et suivantes; pour
l'Allemagne: paragraphe 455 StPO/Code de procédure pénale; sur la
libération conditionnelle pour raisons de santé en France, voir
par exemple les explications de l'Observatoire international des
prisons (section française): <a href='http://www.oip.org/index.php/lasuspensiondepeinepourraisonsmedicales'>www.oip.org/index.php/lasuspensiondepeinepourraisonsmedicales</a>..
45. En Serbie, comme l’a expliqué M. Ciric à notre audition, le nombre de bénéficiaires d’une libération anticipée a considérablement diminué ces dernières années. Alors que le Code pénal de 2006 autorisait la libération conditionnelle une fois purgée la moitié de la peine initiale, il a été modifié en 2009 et autorise désormais cette libération conditionnelle uniquement à l’issue des deux tiers de la peine initiale. Mais, même au terme de cette période, les juges se montrent réticents à accorder une libération conditionnelle à cause de la pression exercée par certains médias et partis politiques.

6.2.2. Les heures de rentrée imposées, l’assignation à résidence et les mesures restrictives et d'exclusion dont le respect est assuré par des moyens technologiques de type bracelet électronique et GPS

46. Les heures de rentrée imposées, l’assignation à résidence et les mesures restrictives et d'exclusion, dont le respect est de plus en plus assuré par des moyens technologiques (par exemple bracelets électroniques ou appareils munis d’un GPS) peuvent faire office soit de peines de substitution de plein droit soit de mesures d’accompagnement de la suspension d’une peine d’emprisonnement pendant tout ou partie de la période probatoire. Par rapport aux «objectifs de la peine» 
			(54) 
			Voir
plus haut paragraphe 13., il est clair que ces mesures s’avèrent particulièrement utiles au regard de la nécessité de protéger la société contre la récidive (prévention générale) et de réinsérer le délinquant ou de l’empêcher avant tout de se trouver en marge de la société (prévention spéciale). Cela vaut notamment lorsque les moyens technologiques servent à faire respecter les heures de rentrée, l’assignation à résidence et les mesures restrictives et d’exclusion (par exemple à l’encontre des auteurs de harcèlement ou de traque furtive et des membres violents d’une famille). Les délinquants soumis à ces sanctions doivent endurer plusieurs aspects négatifs – voulus – associés à la peine d’emprisonnement, notamment la perte de leur liberté pendant ce qui constituerait normalement leur temps libre. Mais ils peuvent s’épargner plusieurs aspects négatifs involontaires de l’incarcération, comme la perte de leur emploi, la perturbation des relations familiales normales et les influences néfastes subies dans le contexte carcéral.
47. Les statistiques pertinentes (SPACE II) sont difficiles à comparer en détail, mais il apparaît clairement à leur lecture que ces mesures sont toujours sous-utilisées dans la plupart des juridictions, malgré les possibilités considérables qu’elles offrent.
48. J’ai été particulièrement impressionnée au cours de ma visite d’étude au Royaume-Uni par l’utilisation efficace des appareils de surveillance de haute technologie dans ce pays. Leur coût quotidien par jour et par délinquant représente une fraction seulement de celui d’une peine privative de liberté, alors que le taux de récidive des intéressés est nettement inférieur à celui des anciens détenus. Les coûts unitaires ont également fortement diminué grâce à la combinaison d’économies d’échelle dues à l’utilisation croissante de ces mesures et à la réduction du coût du matériel électronique. Il apparaît clairement que les résultats des différentes peines en termes de récidive sont difficiles à comparer parce qu’elles dépendent pour beaucoup du choix des «populations» auxquelles l’une ou l’autre peine est appliquée. Mais l’expérience acquise par le Royaume-Uni montre que le respect des heures de rentrée obtenu grâce à des moyens techniques donne d’excellents résultats sur le plan de la sécurité. La surveillance électronique facilite les enquêtes policières en réduisant le nombre de suspects possibles. Il n’est pas nécessaire de gaspiller les moyens limités affectés aux enquêtes pour des personnes dont la localisation au moment de la commission d’une infraction peut être établie en quelques clics. Ces mesures font également l’objet de critiques, comme celles que formule le Rapport de l’Inspection conjointe de la justice répressive de juin 2012 
			(55) 
			Criminal Justice Joint
Inspection, «It’s Complicated: The Management of Electronically
Monitored Curfews, A follow-up inspection of electronically monitored
curfews, An inspection by HMI Probation», Londres, juin 2012, ISBN:
978-1-84099-550-3., qui s’inquiète de constater que les heures de rentrée contrôlées électroniquement peuvent effectivement être utilisées à des fins de sanction, mais rarement pour favoriser un changement de comportement durable des délinquants. Il faudrait pour cela procéder à une utilisation plus ciblée et personnalisée de ces mesures, ce qui exige une meilleure circulation des informations entre les différents acteurs de ce processus.
49. Le ministère britannique de la Justice a consacré une étude approfondie aux effets sur la récidive de la libération anticipée des détenus faisant l’objet d’une mesure d’heures de détention à domicile et d’une surveillance électronique 
			(56) 
			Voir Ministry of Justice,
Research Summary 1/11, «The effect of early release of prisoners
on Home Detention Curfew (HDC) on recidivism», mai 2011: <a href='http://www.justice.gov.uk/downloads/publications/research-and-analysis/moj-research/effect-early-release-hdc-recidivism.pdf'>www.justice.gov.uk/downloads/publications/research-and-analysis/moj-research/effect-early-release-hdc-recidivism.pdf</a>; et le rapport d'inspection de la Criminal Justice Joint
Inspection de juin 2012, «It’s Complicated: The Management of Electronically
Monitored Curfews, A follow-up inspection of electronically monitored curfews,
An inspection by HMI Probation», ISBN: 978-1-84099-550-3.. Les heures de détention à domicile ont été mises en place dans l’ensemble de l’Angleterre et du pays de Galles en 1999 pour permettre la libération anticipée, sous surveillance électronique, des délinquants condamnés à des peines d’emprisonnement relativement brèves et qui présentaient un risque moins important de récidive à l’issue de leur libération. Cette étude repose sur les données relatives à près de 500 000 mises en liberté survenues entre 2000 et 2006, dont plus de 63 000 libérations anticipées assorties d’une mesure d’heures de détention à domicile. Elle montre que les délinquants soumis à ce régime ne sont pas plus susceptibles de commettre de nouveaux délits après leur libération que les détenus présentant des caractéristiques similaires, mais qui ne réunissaient pas les conditions permettant de bénéficier d’une libération anticipée assortie d’une détention à domicile. Comme le coût du suivi d’un délinquant placé en détention à domicile est nettement inférieur à celui de son maintien en détention, ces constatations laissent penser que le régime de détention à domicile est sans doute peu coûteux au regard de ses résultats.
50. La France dispose de différentes formes de surveillance électronique aux différents stades de la procédure judiciaire pénale 
			(57) 
			Voir la vue d'ensemble
donnée par le ministère français de la Justice: <a href='http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/la-vie-hors-detention-10040/le-placement-sous-surveillance-electronique-11997.html'>www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/la-vie-hors-detention-10040/le-placement-sous-surveillance-electronique-11997.html</a>.. D’après la réponse donnée par le Gouvernement français à une question parlementaire en 2011 
			(58) 
			13e législature,
question n° 113971 de M. Nicolas Dupont-Aignan, publiée le 12 juillet
2011, réponse publiée le 8 novembre 2011: <a href='http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-113971QE.htm'>http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-113971QE.htm</a>., le «placement sous surveillance électronique» est utilisé assez fréquemment (près de 65 000 cas entre 2000 et 2010) et connaît de fait la croissance la plus rapide parmi les mesures qui accompagnent ou modulent les peines privatives de liberté. A l’inverse, le «placement sous surveillance électronique mobile», qui existe en France seulement depuis août 2007, reste fort peu appliqué (54 mesures en cours au 1er septembre 2011 
			(59) 
			+35 % de
septembre 2010 à septembre 2011 (source : «Réponse», ibid.).).
51. En Allemagne, le Code pénal prévoit depuis le 1er janvier 2011 la possibilité d’imposer l’utilisation d’appareils mobiles de surveillance électronique (Elektronische Aufenthaltsüberwachung ou EAÜ) 
			(60) 
			Paragraphe
68 b I 1 Nr. 12 StGB (Code pénal allemand).. Cette mesure est uniquement applicable dans les cas assez graves, pour surveiller un délinquant présentant un risque élevé de récidive au cours de la période de probation qui fait suite à sa mise en liberté, dans le cadre d’une peine d’emprisonnement de trois ans et plus. L’extension de ce type de mesure à des délinquants potentiellement dangereux, qui ne peuvent plus être maintenus par sécurité en détention provisoire en raison de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(61) 
			Voir
les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme dans
les affaires S. c. Allemagne (Requête n° 3300/10,
arrêt du 28 juin 2012) et M. c. Allemagne (Requête
n° 19359/04, arrêt du 17 décembre 2009): <a href='http://www.echr.coe.int/ECHR/FR/Header/Case-Law/Decisions+and+judgments/HUDOC+database/'>www.echr.coe.int/ECHR/FR/Header/Case-Law/Decisions+and+judgments/HUDOC+database/</a>., ou à d’autres catégories de délinquants en vue de diminuer la surpopulation carcérale est actuellement à l’étude.
52. La réticence notable à l’emploi d’appareils mobiles de surveillance en France et en Allemagne a le mérite d’attirer l’attention sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une mesure «douce» et qu’elle est également applicable à des délinquants ayant commis des infractions assez graves. La surveillance électronique impose de lourdes contraintes aux délinquants et a des effets psychologiques qu’il convient de ne pas sous-estimer. Mais comparée à une peine privative de liberté, elle présente d’évidents avantages à la fois pour le délinquant et pour la société en général, puisqu’elle évite au délinquant la désocialisation qu’entraîne la détention, la perte de son emploi, la réduction considérable des relations avec sa famille et ses amis et le risque de «contagion» criminelle. J’ai appris à Londres que certains médias, qui d’ordinaire condamnent toute politique considérée comme une preuve de faiblesse à l’égard de la criminalité, avaient eux-mêmes admis l’idée défendue par les partisans des mesures non privatives de liberté: le fait, pour un délinquant, d’être contraint d’aller travailler et de respecter des heures de rentrée rigoureuses contrôlées par surveillance électronique était bien plus astreignant, et de fait plus «difficile», que de «dormir» ou de passer quelques semaines ou quelques mois en détention à regarder la télévision.
53. En Serbie, l’affaire d’un célèbre chanteur de folk, assigné à résidence 
			(62) 
			Article
45 du Code pénal serbe («Assignation à résidence»). pour délit économique, a donné lieu à un vaste débat public. Malgré les arguments qui affirmaient que l’assignation à résidence était un privilège réservé aux gens riches et célèbres qui ne voulaient pas renoncer au confort de leur demeure luxueuse, ce débat a eu le mérite d’amener le grand public à prendre conscience de ce type de peine, ce qui a favorisé son application accrue par les tribunaux. Mais comme l’a indiqué notre collègue, Renato Farina, l’assignation à résidence est difficile à mettre en pratique dans les nombreux cas de délinquants sans domicile fixe ou migrants.
54. Je recommanderais néanmoins, au vu de l’expérience positive pratiquée au Royaume-Uni sur un grand nombre de délinquants, l’utilisation accrue de ces mesures en lieu et place des peines privatives de liberté appliquées dans les autres pays européens, dont le mien, qui reste très en retard dans ce domaine.

6.2.3. Les peines purgées de manière intermittente ou les week-ends

55. Les peines purgées de manière intermittente ou les week-ends se distinguent des heures de rentrée imposées, de l’assignation à résidence et des autres mesures de ce type (y compris celles dont le respect est assuré par surveillance électronique) par le fait que les délinquants doivent réellement se rendre en prison quelques temps: ils y passent leur temps libre la nuit et les week-ends, et éventuellement leurs congés, en détention hors de chez eux.
56. Selon le temps à passer en prison, il peut s’agir d’une sanction d’une sévérité intermédiaire entre une incarcération ininterrompue et l’imposition d’heures de rentrée ou l’assignation à résidence dont le respect est assuré par surveillance électronique. Elle permet d’éviter une partie, mais pas l’intégralité, des effets négatifs de l’emprisonnement.

6.2.4. Les programmes d’aide et de surveillance

57. Les programmes d’aide et de surveillance des condamnés par les agents de probation, et notamment la participation à des «programmes de gestion des comportements délictueux» (programmes de désintoxication, alcool au volant, gestion de la colère, violence domestique), ont été de plus en plus utilisés à partir des années 70. Ils privilégiaient au départ la réinsertion des délinquants, mais leur dimension répressive et le désir de contrôler les risques ont pris de plus en plus de place dans ces mesures de substitution depuis les années 90. La place dont je dispose dans mon rapport n’est pas suffisante pour que je songe ici à donner un aperçu complet de toutes les mesures appliquées dans les différents Etats membres du Conseil de l’Europe. Je me contenterai de mentionner quelques catégories de mesures qui peuvent être utilement associées et combinées pour parvenir au buts recherchés, c’est-à-dire la réinsertion des délinquants, la protection de la société par la diminution du risque de récidive et l’application d’une peine suffisante, tout en contribuant à la réduction de l’emprisonnement. Cet ensemble de mesures doit être adapté à chaque cas particulier pour correspondre aux besoins spécifiques de chaque délinquant. J’aimerais encourager les autorités judiciaires de l’ensemble de nos Etats membres à faire le meilleur usage de l’extrême souplesse de cette «boîte à outils». L’expérience réalisée au Royaume-Uni (Angleterre et pays de Galles), que j’ai eu le privilège d’étudier un peu plus attentivement, révèle le caractère indispensable de la coordination de l’ensemble des acteurs concernés par le traitement des délinquants, y compris ceux qui dispensent une assistance sociale aux catégories particulièrement vulnérables, comme les jeunes délinquants et les femmes, et ceux qui mettent en œuvre et supervisent des mesures spécifiques. Les Mesures interinstitutions de protection des citoyens (Multi-Agency Public Protection Arrangements – MAPPA) mises en place en Angleterre et au pays de Galles offrent un excellent modèle aux autres pays. Le récent Rapport d’inspection thématique de l’Inspection conjointe de la justice répressive d’Angleterre et du pays de Galles 
			(63) 
			Criminal
Justice Joint Inspection, «Thematic Inspection Report: Putting the
pieces together, An inspection of Multi-Agency Public Protection
Arrangements», A Joint Inspection by HMI Probation and HMI Constabulary,
Londres, 2011, ISBN: 978-1-84099-488-9. donne de précieuses informations sur les avantages et les inconvénients de ces mesures et formule des propositions constructives d’améliorations supplémentaires.

6.2.4.1. Les mesures de désintoxication et de réinsertion des toxicomanes (prise en charge thérapeutique et ordonnance de mise à l'épreuve)

58. Le combat mené contre les drogues a rempli les établissements pénitentiaires de bon nombre de pays, mais on peut au mieux douter de la réussite de cette méthode sur le plan de la réduction de la criminalité liée à la drogue. Il est donc de plus en plus admis que le meilleur moyen d’éviter la récidive des auteurs d’infractions en rapport avec la drogue qui sont eux-mêmes toxicomanes consiste à leur appliquer des mesures de désintoxication et de réinsertion.
59. Selon moi, l’emprisonnement (associé à la confiscation de tout gain indûment acquis) demeure une peine pertinente pour les gros dealers, qui gagnent des sommes considérables au détriment de la santé et bien souvent de la vie des toxicomanes. Mais la situation des toxicomanes eux-mêmes est plus proche de celle de victimes des dealers que de celle de délinquants et il convient de les traiter en conséquence.
60. Le consentement des auteurs de ces infractions (voir plus haut le paragraphe 24) est particulièrement important pour optimiser les chances de succès de ce type de mesure. Cela vaut également pour les garanties et les normes générales fixées par les «Règles de Tokyo» et les «Règles européennes» relatives aux peines de substitution en vue de protéger la dignité et la santé des délinquants et d’assurer l’indispensable respect des normes médicales et autres normes professionnelles 
			(64) 
			Voir, par exemple,
la règle 3.8. des Règles de Tokyo, qui interdit «[l’]expérimentation
médicale ou psychologique effectuée sur le délinquant [ou un] risque
indu de dommage physique ou mental pour celui-ci»..

6.2.4.2. Les obligations de travaux d'intérêt général

61. Les travaux d’intérêt général ont été mis en place comme une sanction de plein droit dans plusieurs pays européens, dont les Pays-Bas, l’Angleterre et le pays de Galles, la Norvège et la France. En Allemagne (pour les délinquants adultes), leur application est uniquement possible lorsqu’ils conditionnent l’obtention d’un sursis ou sous forme de peine de substitution à l’emprisonnement après le non versement d’une amende. Ces mesures, comme le programme de «remboursement de la collectivité» (Community Payback) que j’ai découvert lors de ma visite d’étude à Londres, peuvent comporter des travaux de nettoyage des parcs publics, de suppression de graffitis, de déneigement ou tout type de travaux à la fois utiles et «complémentaires», c’est-à-dire qui n’entrent pas en concurrence directe avec les activités des salariés. Là encore, les obligations de travaux d’intérêt général ou les peines de remboursement de la collectivité ne constituent pas nécessairement une «option douce». De fait, en octobre 2012, une nouvelle formule de «remboursement de la collectivité» a été lancée à Londres, «qui verra les délinquants purger des peines plus dures et plus intenses» 
			(65) 
			Voir
le communiqué de presse du ministère de la Justice du 31 octobre
2012, «New approach to Community Payback begins in London». . J’ai effectué une intéressante visite d’information auprès de la SERCO, une société privée chargée de mettre en œuvre le régime de «remboursement de la collectivité» dans la région de Londres 
			(66) 
			Voir la présentation
de cette question sur <a href='http://www.serco.com'>www.serco.com</a>: Community Payback, Serco & London Probation Trust, Bring
service to life; Ministry of Justice, National Offender Management
Service, Community Payback, The Unpaid Work Sentence.. J’ai pu constater que les projets de travaux étaient mis en œuvre et supervisés de manière efficace, à la manière d’une entreprise, par des agents extrêmement motivés recrutés en partie auprès du service public de probation. Mais j’ai également recueilli des critiques motivées à la fois par des questions de principe – assurer le respect de la loi ne fait-il pas partie des fonctions essentielles de l’Etat, même dans l’esprit des plus ardents défenseurs de la liberté du marché? – et par le risque de conflit d’intérêts et la difficulté d’assurer la qualité de ce service. Ces questions sont étroitement liées à celle du «paiement en fonction des résultats», dont nous avons entendu à Londres les partisans et les détracteurs. Je suis personnellement plutôt sceptique à l’égard de la commercialisation des divers aspects de l’exécution des lois. Ce système peut fonctionner, dans une certaine mesure, au Royaume-Uni, qui dispose de solides institutions capables de surveiller efficacement toute tâche déléguée au secteur privé et dont le niveau de corruption est généralement faible. Mais cette «privatisation» pourrait s’avérer beaucoup plus difficile à mettre correctement en œuvre dans d’autres pays, comme ceux d’Europe centrale et orientale. C’est la raison pour laquelle je ne propose pas, dans le projet de résolution et le projet de recommandation de poursuivre la privatisation de ce secteur.

6.2.4.3. Les mesures qui tiennent compte des victimes: justice réparatrice, restitution, indemnisation, médiation

62. Au début des années 80, les pays d’Europe occidentale ont porté toute leur attention sur les questions de la réparation, de l’indemnisation, de la médiation ou de la réconciliation entre victimes et délinquants. La Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir, adoptée par les Nations Unies, 
			(67) 
			Adoptée par l'Assemblée
générale dans sa Résolution 40/34 du 29 novembre 1985. a reconnu pour la première fois sur le plan international la nécessité d’améliorer également l’accès des victimes de la criminalité à la justice.
63. La restitution, par exemple d’un objet volé, ou l’indemnisation du préjudice subi par la victime d’une infraction par l’auteur de celle-ci, devrait en principe aller de soi. Dans la plupart des juridictions, voire dans la totalité d’entre elles, les infractions qui causent un dommage à autrui permettent également d’engager une action en responsabilité civile devant les tribunaux pour obtenir le versement de dommages-intérêts. Malheureusement, les victimes peuvent se heurter à d’énormes obstacles lorsqu’elles cherchent à obtenir réparation devant les tribunaux. C’est la raison pour laquelle la constitution de partie civile, c’est-à-dire la possibilité pour la victime d’une infraction pénale d’être partie à la procédure pénale engagée à l’encontre de l’auteur de l’infraction en qualité de partie civile, mise en place en France présente un intérêt particulier: l’obligation d’apporter la preuve de la commission d’un acte criminel (et en même temps délictuel) ne pose plus problème (bien que le niveau de preuve soit plus strict au pénal) et la victime s’épargne les efforts et la dépense d’un contentieux devant les juridictions civiles.
64. La réparation du dommage causé par un délinquant ne suffit en principe pas à atteindre «les objectifs poursuivis par la peine» que nous avons évoqués plus haut 
			(68) 
			Paragraphe13 plus haut.; il convient donc d’atténuer ce risque grâce à une peine complémentaire dissuasive pour les éventuels délinquants, car le taux d’élucidation des affaires criminelles est forcément inférieur à 100 %. Mais lorsqu’un délinquant coopère, dans la mesure du possible, à la réparation des conséquences de l’infraction subie par sa victime directe, le «besoin de punir» de la société diminue naturellement fortement. Il convient certes de veiller à ce que l’inévitable contact entre le délinquant et la victime n’accroisse pas le traumatisme de cette dernière, mais les mesures de justice réparatrice qui prévoient différentes formes de médiation entre le délinquant et la victime peuvent contribuer à atténuer la souffrance de la victime et à améliorer les chances de réinsertion du délinquant.
65. En novembre 2012, le Gouvernement britannique a lancé un nouveau plan d’action en faveur de la justice réparatrice, auquel le ministre de la Justice Jeremy Wright souscrivait dans les termes suivants: «Les victimes méritent d’avoir accès à une justice réparatrice de qualité, quel que soit l’endroit où ils habitent et au moment qui leur convient» 
			(69) 
			Voir
le communiqué de presse du ministère de la Justice du 19 novembre
2012, «More victims to get a say – restorative Justice»: <a href='http://www.justice.gov.uk/news/features/more-victims-to-get-a-say-restorative-justice'>www.justice.gov.uk/news/features/more-victims-to-get-a-say-restorative-justice</a>. . Le Conseil de la justice réparatrice 
			(70) 
			Voir le site web <a href='http://www.restorativejustice.org.uk'>www.restorativejustice.org.uk</a> et la «Résolution», bulletin d'information trimestriel,
disponible sur le site web., dont nous avons rencontré la direction, a élaboré une méthode extrêmement professionnelle et empreinte d’un esprit de coopération, qui vise à concilier les intérêts des victimes et des auteurs d’infractions. Les témoignages que j’ai recueillis à Londres auprès des personnes qui participent à ces activités étaient très impressionnants.
66. Au cours de ma visite au Royaume-Uni, j’ai également étudié les mesures expérimentales conçues spécialement pour les délinquants sexuels qui présentent un risque élevé de récidive. Le succès de ces mesures doit beaucoup au dévouement et au professionnalisme des acteurs concernés. Le dévouement et le professionnalisme dont font preuve les initiateurs et les responsables du projet de «cercles de soutien» mis en œuvre par les quakers, qui m’a été présenté par leurs représentants, ne fait aucun doute; leur engagement confessionnel en faveur de la réinsertion des délinquants leur vaut le profond respect des agents publics et des autres instances non-gouvernementales qui participent à ce travail de réinsertion. Je ne puis qu’encourager le développement d’initiatives similaires dans les autres Etats membres. Les représentants des quakers m’ont indiqué qu’ils étaient prêts à partager gracieusement l’expérience qu’ils ont acquise dans ce domaine.
67. A la lumière des statistiques disponibles, il est impossible de nier que «la réparation et la restitution, qu’elles constituent l’élément principal ou unique de la peine, se situent loin derrière l’emprisonnement, la probation et les jours-amende» 
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			Voir Hans-Jörg Albrecht
(note 14). . Sur un plan plus positif, il reste encore de très nombreuses possibilités d’accroître le recours à ces mesures progressistes dans la plupart, pour ne pas dire la totalité, de nos pays.

7. Conclusions

68. Les informations que j’ai pu recueillir auprès de sources officielles publiques, en consultant les études universitaires et grâce à la contribution des experts présents à l’audition du 11 décembre 2012, ainsi qu’à l’occasion de la visite d’étude que j’ai effectuée au Royaume-Uni, ont confirmé que les signataires de la proposition de résolution sur laquelle repose mon mandat avaient parfaitement raison: les alternatives à l’emprisonnement dont nous disposons et qui ont été testées dans différentes juridictions sont encore insuffisamment utilisées et méritent par conséquent d’être favorisées conformément aux propositions que je viens d’exposer dans le présent rapport.
69. Dans le projet de résolution, j’ai proposé de résumer l’état actuel de la situation et encourager tous les Etats membres, et surtout ceux dont le taux d’incarcération est particulièrement élevé, à réduire le recours à l’emprisonnement en faisant un usage accru des peines de substitution.
70. Dans le projet de recommandation, je propose à l’Assemblée d’inviter le Comité des Ministres, qui a obtenu de remarquables résultats dans la promotion des alternatives à l’emprisonnement, de prendre de nouvelles initiatives spécialement destinées à accroître le recours concret à ces mesures de substitution à l’emprisonnement dans l’ensemble des Etats membres.