Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 13309 | 24 septembre 2013

Le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan, une menace pour la sécurité européenne

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : Lord John E. TOMLINSON, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12154, Renvoi 3661 du 26 avril 2010. 2013 - Commission permanente de novembre

Résumé

Les stupéfiants constituent l’un des défis les plus importants auxquels sont confrontées les sociétés modernes, ainsi qu’une grave menace pour la paix internationale, la stabilité et la sécurité. L’héroïne et d’autres opiacés sont les drogues les plus nocives consommées en Europe et sont à l’origine de trois quarts des morts liées à la toxicomanie.

L’Afghanistan est de la loin la première source de ce type de drogues et l’Europe est la principale destination des opiacés provenant de ce pays. La communauté internationale n’a jusqu’à présent pas réussi à mettre fin à l’arrivée d’héroïne d’Afghanistan et l’Europe continue ainsi de payer un lourd tribut à cet échec.

Le rapport cherche à obtenir un appui politique dans les Etats membres, observateurs et partenaires du Conseil de l’Europe afin de mener une coopération internationale plus active et plus efficace pour lutter contre le trafic de drogues en provenance d’Afghanistan, coopération qui devient encore plus importante dans la perspective du retrait prochain d’Afghanistan de la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS), d’ici à 2014.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 23 avril
2013.

(open)
1. Les stupéfiants constituent l’un des défis les plus importants auxquels sont confrontées les sociétés modernes. Leur usage détruit la santé et la dignité humaines, provoque la mort de milliers de personnes en Europe et plonge nombre d’individus et leurs proches dans la douleur et le désespoir.
2. Le trafic et la vente de drogue portent atteinte à l’ordre public, nourrissent la criminalité violente, sapent l’économie, visent à corrompre, infiltrer et contrôler les institutions de l’Etat et détruisent le tissu social. Le problème de la drogue est donc une grave menace pour la sécurité, la cohésion sociale et l’Etat de droit.
3. De plus, les produits tirés du commerce de drogues illicites servent à financer des réseaux criminels et terroristes internationaux et des actions menées par des insurgés armés. La drogue menace donc aussi la paix, la stabilité et la sécurité internationales.
4. L’héroïne et d’autres opiacés sont les drogues les plus nocives consommées en Europe. Ils sont à l’origine de trois quarts des morts liées à la toxicomanie.
5. L’Afghanistan est de la loin la première source de l’héroïne et des autres opiacés consommés dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. L’Europe, y compris la Russie, est la principale destination des opiacés provenant d’Afghanistan.
6. Malgré les nombreuses déclarations solennelles faites ces dernières années, la communauté internationale n’a jusqu’à présent pas réussi à mettre fin à l’arrivée d’héroïne d’Afghanistan et l’Europe continue ainsi d’en payer un lourd tribut. Les dizaines de tonnes d’héroïne qui arrivent chaque année en Europe tuent des milliers de personnes.
7. L’Assemblée parlementaire estime qu’il est capital d’obtenir l’appui politique des Etats membres, observateurs et partenaires du Conseil de l’Europe afin de mener une coopération internationale plus active et plus efficace:
7.1. pour lutter contre la culture du pavot et la production d’héroïne et d’autres opiacés en Afghanistan;
7.2. pour démanteler le réseau du trafic d’opiacés entre l’Afghanistan et l’Europe, ainsi que les chaînes de distribution en Europe;
7.3. pour démanteler les filières de détournement et de contrebande de précurseurs chimiques;
7.4. pour combattre le blanchiment et la réinjection dans des activités criminelles et terroristes de capitaux tirés du commerce de drogues illicites.
8. Le retrait prochain d’Afghanistan de la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS), d’ici à 2014, confère à ces tâches un caractère encore plus impératif.
9. Dans cette perspective, l’Assemblée appelle les parlements des Etats membres, des Etats observateurs et des Etats partenaires du Conseil de l’Europe à exhorter leur gouvernement:
9.1. en ce qui concerne l’Afghanistan:
9.1.1. à faire de la politique de lutte contre la drogue une priorité des programmes de coopération et d’assistance concernant le Gouvernement afghan;
9.1.2. à renforcer les capacités des forces de l’ordre afghanes dans le but de démanteler les filières de trafic de drogue à la source, en mettant l’accent sur la lutte contre la corruption;
9.1.3. à accroître l’appui destiné à renforcer les capacités des forces de l’ordre afghanes et à multiplier les programmes de formation destinés à leur personnel;
9.1.4. à développer des opérations conjointes avec les forces de l’ordre afghanes compétentes en ciblant les laboratoires clandestins producteurs d’héroïne et les groupes criminels organisés dans le commerce de drogues, tout en redoublant d’efforts pour promouvoir le développement rural intégré, la construction d’infrastructures et le soutien aux paysans ayant opté pour une production alternative;
9.1.5. à aider l’Afghanistan à développer son économie et à diversifier son agriculture de manière à réduire sa dépendance à l’égard des revenus tirés du commerce de drogues illicites, conformément à la Déclaration de Lima et aux Principes directeurs internationaux sur le développement alternatif (novembre 2012);
9.1.6. à soutenir pleinement l’Initiative du Pacte de Paris et à coopérer véritablement dans ce cadre pour lutter contre les opiacés en provenance d’Afghanistan;
9.2. en ce qui concerne les pays voisins:
9.2.1. à accroître l’appui destiné à renforcer les capacités des forces de l’ordre des pays d’Asie centrale et à multiplier les programmes de formation destinés à leur personnel;
9.2.2. à promouvoir davantage la coopération antidrogue au niveau régional, en y associant les pays d’Asie centrale, l’Iran, le Pakistan, l’Inde et la Chine, ainsi que les cadres de coordination et de coopération actuels;
9.3. à créer, en concluant le cas échéant des accords spécifiques, les conditions voulues pour intensifier la coopération opérationnelle entre les forces de l’ordre, y compris en ce qui concerne le partage d’informations et de renseignements, l’échange de bonnes pratiques et les enquêtes communes;
9.4. à intensifier la coopération internationale pour lutter contre le détournement des précurseurs de drogue et à réfléchir aux moyens de renforcer le contrôle du commerce d’anhydride acétique (AA) en créant des bases de données et en partageant des informations sur les producteurs licites d’AA, les vendeurs et les consommateurs finaux;
9.5. à intensifier la coopération concernant la confiscation et le recouvrement des avoirs issus du commerce de drogues illicites.
10. L’Assemblée encourage vivement les Etats membres du Conseil de l'Europe à signer et ratifier, si ce n’est déjà fait, la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198), et les Etats non membres à y adhérer.
11. L’Assemblée appelle les Etats membres à renforcer la coopération en luttant contre le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan et les précurseurs de drogue à destination de ce pays, ainsi que contre le blanchiment des produits tirés du commerce de drogues illicites, dans le cadre des mécanismes compétents du Conseil de l’Europe, tels que le Groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite des stupéfiants (Groupe Pompidou), le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) et le Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL).
12. Enfin, l’Assemblée souligne l’importance de combiner les mesures répressives en matière de lutte contre le trafic et la distribution illégale de drogue avec les initiatives destinées à réduire la demande de drogue, à réinsérer socialement les toxicomanes – qui souvent sont aussi revendeurs de drogue – et à améliorer les conditions sociales propices à la consommation de drogue. Dans ce contexte, l’Assemblée estime que toute tentative de légaliser l’usage de stupéfiants irait à l’encontre de ces objectifs et devrait par conséquent être rejetée.

B. Exposé des motifs, par Lord Tomlinson, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En février 2010, une proposition de résolution sur «l’augmentation du trafic de drogue en provenance d’Afghanistan, une menace pour la sécurité européenne» a été déposée par M. Sergey Markov, alors membre de la délégation russe, et par un certain nombre d’autres membres.
2. La proposition soulignait que des drogues dures comme l’héroïne, qui provient à 90% d’Afghanistan, menaçaient de plus en plus la sécurité européenne et elle préconisait un renforcement de la coopération entre divers services des Etats membres du Conseil de l’Europe pour combattre la production de drogue en Afghanistan et faire cesser le trafic organisé à partir de ce pays.
3. Par la suite, la commission a entendu un exposé oral de M. Markov et procédé à un échange de vues préliminaire sur la question. M. Markov a aussi élaboré un schéma de rapport et a été autorisé à faire une mission d’enquête au Tadjikistan et en Turquie, qu’il n’a pu réaliser.
4. A la suite des élections de décembre 2011 en Russie, M. Markov a quitté l’Assemblée et a donc cessé d’être rapporteur. En janvier 2012, j’ai été désigné comme nouveau rapporteur.
5. En septembre 2012, la commission a procédé à un échange de vues sur la base d’une note d’information préparée selon mes instructions par le Secrétariat. La commission a déclaré qu’elle préférait rester centrée sur les drogues introduites en contrebande en Europe à partir de l’Afghanistan, et ne pas élargir son action aux drogues provenant d’autres régions, telle la cocaïne d’Amérique latine.
6. La commission m’a autorisé à me rendre en mission d’enquête à Bruxelles (Commission européenne et Service européen pour l’action extérieure, SEAE), ainsi qu’à la Haye (Office européen de police, Europol). J’ai effectué ces visites les 7 et 8 novembre 2012. Je suis reconnaissant aux responsables que j’y ai rencontrés des précieux renseignements qu’ils m’ont fournis et qui m’ont permis de mieux comprendre les enjeux du trafic de drogue en provenance d’Afghanistan et les moyens de le combattre.
7. Le 14 février 2013, je me suis rendu à Ankara (Turquie) où j’ai rencontré les principaux acteurs, tant au niveau politique (ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Coopération européenne) qu’au niveau opérationnel (Police nationale, Gendarmerie, Douanes et Garde-côtes), chargés de lutter contre le trafic de drogue. Je suis particulièrement reconnaissant à la délégation turque auprès de l’Assemblée parlementaire d’avoir organisé cette visite des plus instructives.
8. En mars 2013, la commission a examiné mon avant-projet de mémorandum et eu des discussions approfondies sur les questions qui y sont abordées. Dans le présent rapport, je me suis efforcé de tenir compte des commentaires utiles qui ont été formulés et d’apporter des informations supplémentaires, conformément aux suggestions des membres de la commission. A mon grand regret, je n’ai pu, faute de temps, effectuer une visite d’information en Russie comme cela a été évoqué pendant les discussions, mais j’ai ajouté dans mon rapport quelques données supplémentaires concernant ce pays.

2. Portée et objectifs du rapport

9. D’entrée de jeu, je souhaite souligner que mon objectif n’est pas de rédiger un rapport exhaustif sur les problèmes liés à la drogue: de tels rapports, de sources diverses et compétentes, sont d’ores et déjà disponibles sur ce sujet.
10. La production, le trafic, le commerce et la consommation de drogues illicites n’ont rien d’un phénomène nouveau dans nos sociétés, et font l’objet d’une documentation abondante. La plupart des pays ont élaboré des politiques nationales antidrogues et mis sur pied des organismes spécialisés qui produisent chaque année des dizaines de publications sur les problèmes liés à la drogue 
			(2) 
			Par exemple, lors de
ma visite en Turquie, on m'a procuré deux textes fort bien documentés
intitulés “Rapport turc sur la répression de la contrebande et la
criminalité organisée 2011” (90 pages) et “Rapport annuel 2012 de
la Turquie en matière de drogue” (190 pages)..
11. De plus, le commerce de la drogue étant de nature transnationale, la coordination et la coopération internationales antidrogues s’opèrent à divers niveaux, tout comme l’établissement des rapports. Par exemple, les deux principaux organismes de l’Union européenne engagés dans la lutte contre la drogue, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) et Europol, viennent de publier conjointement un “Rapport sur le marché de la drogue de l’UE – Une analyse stratégique” de 160 pages. A l’échelle mondiale, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) publie chaque année un “Rapport mondial sur les drogues” (l’édition 2012 compte 100 pages), ainsi que des rapports régionaux ou par substance, y compris sur l’Afghanistan.
12. Le présent rapport vise à donner des informations générales sur les drogues, grave menace qui pèse sur la société moderne, et sur l’héroïne et les opiacés d’Afghanistan, qui constituent une grande partie du marché des drogues illicites en Europe. Il repose pour l’essentiel sur les publications officielles des organes susmentionnés des Nations Unies et de l’Union européenne (ONUDC et OEDT), ainsi que sur les données collectées lors de mes visites.
13. Je l’indiquais précédemment, ce rapport est axé – comme le suggère la proposition originale – sur les drogues en provenance d’Afghanistan, et ne s’occupe pas des drogues d’origines autres, aussi dangereuses qu’elles puissent être pour nos sociétés. En outre, il se concentre essentiellement sur les politiques d’offre (culture du pavot, production d’opium et d’héroïne, et trafic) et n’aborde pas l’aspect de la demande; je suis pourtant pleinement conscient qu’il faudrait s’intéresser à la fois à l’offre et à la demande pour réduire la consommation d’héroïne.
14. Il convient de souligner un autre point important: bien que l’analyse de la situation en Afghanistan et, notamment, de son évolution possible après le retrait de la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) d’ici 2014, soit indispensable pour comprendre la dynamique de la production de drogue et proposer des politiques pour la combattre, ce rapport n’a pas pour ambition d’en étudier le détail 
			(3) 
			Une
analyse détaillée de la situation en Afghanistan figure, entre autres,
dans le rapport 2010 du Parlement européen «Une nouvelle stratégie
pour l’Afghanistan» (P7_TA(2010)0490)..
15. Le présent rapport repose avant tout sur le principe que le Conseil de l'Europe, tout en prenant part aux actions internationales de lutte contre le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan 
			(4) 
			Le Conseil de l'Europe
est membre de «l’initiative du Pacte de Paris», l'une des initiatives
les plus importantes dans la lutte contre les opiacés originaires
d’Afghanistan, qui réunit plus de 70 pays et organisations internationales., n’entend pas jouer les chefs de file dans ce processus.
16. C’est pourquoi, à mon sens, ce rapport doit viser à obtenir l’appui politique des Etats membres du Conseil de l’Europe en vue d’une coopération internationale plus efficace pour: a) lutter contre la culture du pavot et la production d’héroïne et d’autres opiacés en Afghanistan; b) démanteler le trafic des opiacés entre l’Afghanistan et l’Europe, ainsi que les chaînes de distribution en Europe; c) démanteler les filières de détournement et de contrebande de précurseurs chimiques; et d) combattre le blanchiment et la réinjection dans des activités criminelles et terroristes de capitaux tirés du commerce de drogues illicites.

3. Les drogues, une grave menace pour la société moderne

17. L’usage et l’abus de stupéfiants est un problème auquel les sociétés humaines sont confrontées depuis des dizaines, voire des centaines d’années. Les premières actions menées pour faire face aux problèmes causés par le trafic de drogue au niveau international remontent à 1909, année où la première conférence internationale sur les problèmes liés aux drogues dans le monde (la Commission internationale de l’opium) s’est tenue à Shanghai. Par la suite, le premier traité international sur le contrôle des drogues (la Convention internationale de l’opium) a été signé en 1912 à La Haye.
18. Cependant, un siècle plus tard, le problème de la drogue touche toujours la quasi-totalité des pays du monde et ses conséquences sont particulièrement marquées pour les personnes et la société dans son ensemble. Selon la Déclaration politique adoptée par la Commission des stupéfiants des Nations Unies dans le cadre d’un débat à haut niveau (Vienne, 2009):
«(...) malgré les efforts et les progrès toujours plus soutenus des Etats, des organisations internationales compétentes et de la société civile, le problème de la drogue demeure une menace grave pour la santé, la sécurité et le bien-être de l’humanité tout entière, en particulier des jeunes, qui constituent notre atout le plus précieux. Par ailleurs, le problème mondial de la drogue compromet le développement durable, la stabilité politique et les institutions démocratiques, ainsi que les efforts déployés pour éliminer la pauvreté, et menace la sécurité nationale et l’état de droit. Le trafic et l’usage illicite de drogues font peser une très lourde menace sur la santé, la dignité et les espoirs de millions d’individus et de leur famille et causent des pertes en vies humaines.»
19. Selon les estimations de l’ONUDC, près de 230 millions de personnes sur une population totale de 7 milliards usent de drogues illicites au moins une fois par an, soit une personne sur 20, âgées de 15 à 64 ans. Dans le même groupe d’âge, une personne sur 40 use de drogue au moins une fois par mois et une sur 160, soit 27 millions, use de drogue d’une façon qui les expose à des problèmes de santé d’une gravité particulière 
			(5) 
			ONUDC,
Rapport sur la drogue 2012.. En conséquence, une personne sur huit qui usent de drogues illicites développe une accoutumance aux stupéfiants.
20. Il y a quatre grands groupes de drogues illicites: le cannabis, la cocaïne, les opioïdes (catégorie comprenant l’opium, l’héroïne, la morphine et les drogues délivrées sur ordonnance, mais consommées à des fins non médicales) et les stimulants de type amphétamines (STA).
21. Alors que la plupart des utilisateurs de drogues illicites consomment du cannabis, près de 17 millions de personnes usent d’opiacés et avant tout d’héroïne, dans le monde. Les opiacés sont considérés comme le type de drogues le plus problématique. Il convient de souligner que la consommation d’héroïne entraîne une accoutumance beaucoup plus rapidement que les autres drogues: plus de la moitié des héroïnomanes sont considérés comme dépendants.
22. L’usage de drogues illicites a avant tout des effets de santé publique néfastes, dont le plus répandu est la mort liée à la toxicomanie (par surdose, par accident dû à l’abus de drogue, par suicide etc.). Quelque 200 000 personnes meurent chaque année de l’abus de drogue dans le monde, dont la moitié par surdose. D’après les estimations du Service fédéral russe de contrôle des stupéfiants, la consommation d’héroïne afghane a tué plus d’un million de personnes dans le monde depuis 2001. En Europe centrale et occidentale, les décès liés à la toxicomanie représentent 1 % de la mortalité totale au sein de la population âgée de 15 à 64 ans, soit 7 600 cas environ par an. En Russie, 9 263 morts liées à la drogue ont été signalées en 2010.
23. La toxicomanie favorise la propagation du VIH et de l’hépatite de types B et C: selon les estimations de l’ONUDC, 20% environ des 16 millions d’usagers de drogue par injection dans le monde sont séropositifs, 20% de plus sont contaminés par l’hépatite B et 50 % par l’hépatite C.
24. Il convient aussi de se rappeler que les toxicomanes ont besoin d’un traitement, ce qui a un coût considérable pour les intéressés, leurs proches et la société dans son ensemble. En Europe (non compris la Russie, l’Ukraine, le Bélarus, la République de Moldova et le Caucase du sud), près d’un million de personnes ont reçu un traitement en 2009 pour des problèmes liés à l’usage de drogues illicites.
25. L’abus de drogue entraîne aussi une aggravation des infractions violentes. Ceux qui sont sous l’influence de la drogue, qui altère leur état psychologique ou affaiblit leurs inhibitions sociales, ont plus fréquemment des comportements antisociaux agressifs ou violents et commettent des infractions pénales portant atteinte aux personnes ou aux biens. De plus, les toxicomanes qui ont besoin d’argent pour se procurer de la drogue sont souvent les auteurs d’infractions telles que fraude, cambriolage, vol, vol à l’étalage, extorsion de fonds, etc. En Russie, on estime que les toxicomanes représentent quelque 80 % des auteurs d’actes de délinquance sur la voie publique 
			(6) 
			Données
publiées par le Service fédéral russe de contrôle des stupéfiants.. Le coût des infractions liées à la toxicomanie est très élevé pour la société.
26. De plus, des violences et même des meurtres résultent d’affrontements entre divers groupes criminels impliqués dans le trafic de drogue.
27. Le trafic de drogue est étroitement lié à la criminalité organisée transnationale et constitue une source essentielle de revenus pour les groupes criminels organisés. Les experts de l’ONUDC estiment que le trafic de drogue procure entre un cinquième et un quart des revenus provenant de la criminalité organisée et près de la moitié des revenus provenant de la criminalité transnationale organisée 
			(7) 
			ONUDC, <a href='http://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/Illicit_financial_flows_2011_web.pdf'>Evaluation
des flux financiers illicites résultant du trafic de drogues et
des autres formes de criminalité transnationale organisée</a>, 2011..
28. En conséquence, le trafic de drogues illicites «est la source de gains financiers et de fortunes importantes qui permettent aux organisations criminelles transnationales de pénétrer, de contaminer et de corrompre les structures de l’Etat, les activités commerciales et financières légitimes et la société à tous les niveaux» 
			(8) 
			Convention des Nations
Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances
psychotropes, 1988.. Il sape donc les structures légitimes de l’économie et menace la stabilité, la sécurité et la souveraineté des Etats.
29. Le trafic de drogue a également des effets significatifs sur les structures et institutions sociales. Ainsi que l’ont souligné les chercheurs américains Coletta Youngers et Eileen Rosin, «le trafic international de drogue favorise la délinquance et exacerbe la violence politique, il aggrave les problèmes de sécurité générale et défait le tissu social des communautés et des quartiers. Il corrompt et affaiblit encore les collectivités locales, le système judiciaire et les forces de police…» 
			(9) 
			Coletta
A. Youngers et Eileen Rosin (dir.), Drugs
and Democracy in Latin America: The Impact of U.S. Policy,
Lynne Rienner Publishers, 2005..
30. De plus, il y a des rapports entre le trafic de drogue et les activités de groupes armés illégaux et d’organisations terroristes. Selon le rapport mondial sur les drogues 2012 de l’ONUDC:
«On citera notamment les exemples bien connus des liens entre diverses armées rebelles et la production et le trafic d’opium et de stimulants de type amphétamine dans l’Etat Shan du Myanmar, les liens entre le trafic de coca et le Sentier lumineux au Pérou dans les années 1990, l’utilisation des revenus générés par le trafic de drogues illicites pour financer les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) dans les années 2000, et l’utilisation des revenus tirés du trafic d’héroïne pour financer les activités armées illégales du Parti des travailleurs du Kurdistan en Turquie. Par ailleurs, nombre des milices qui étaient cause d’instabilités en Yougoslavie dans les années 1990 recouraient au trafic de drogues, notamment d’héroïne le long de la route des Balkans, pour financer leurs activités, et les Taliban en Afghanistan et au Pakistan tirent une partie de leurs revenus du trafic d’opium et d’héroïne. Al-Qaida au Maghreb islamique est soupçonné d’utiliser le produit du trafic de cannabis et de cocaïne, et l’Armée républicaine irlandaise (IRA) d’être impliquée dans le trafic international de drogues. A Sri Lanka, les Tigres tamouls auraient tiré une partie de leurs revenus du trafic d’héroïne avant leur démantèlement en 2009, tandis qu’au Liban, le Hezbollah a aussi été accusé d’être impliqué dans le trafic de drogues.»
31. Mes interlocuteurs au sein d’Europol ont confirmé l’existence de preuves avérées des liens qui unissent trafiquants de drogue et organisations terroristes internationales, y compris en Europe. On estime qu’en Afghanistan, au moins 50 % des actions menées par les insurgés contre la FIAS sont financés par la production et le trafic de drogue.
32. Selon certains membres des forces de l’ordre à Ankara, le trafic d’héroïne en provenance d’Afghanistan est une source de revenus considérable pour le “Parti des travailleurs du Kurdistan” (PKK) et l’«Union des communautés du Kurdistan» (KCK), classés comme organisations terroristes par de nombreux Etats et organisations internationales. Le PKK/la KCK interviendraient à tous les stades du trafic d’héroïne et prélèveraient de plus un «impôt» auprès d’autres trafiquants. Ces dernières années, les forces de l’ordre turques ont dirigé près de 370 opérations impliquant des trafiquants du PKK; elles ont arrêté 878 personnes et saisi 4 253 kg d’héroïne, 4 305 kg de morphine base, et près de 26 tonnes de précurseurs. En outre, les autorités turques attirent l’attention sur le rôle de membres du PKK (dont des enfants) résidant dans des pays européens, qui se livreraient au commerce de la drogue dans la rue.
33. En conclusion, malgré les nombreuses actions menées par la communauté internationale, les cultures illicites et la production, la distribution et le trafic de drogues illicites revêtent de plus en plus la forme d’un secteur d’activité aux structures criminelles brassant des sommes considérables, blanchies par le biais des secteurs financier et non financier. Il est indispensable d’intensifier et de poursuivre les actions internationales conjointes visant à régler les graves problèmes posés par le renforcement des rapports entre trafic de drogue, corruption et autres formes de criminalité transnationale organisée.

4. L’héroïne dans la consommation de drogue globale en Europe

34. Les pays d’Europe occidentale occupent la première place pour la consommation d’héroïne. Alors que la prévalence moyenne mondiale de l’usage d’opiacés est estimée à 0,3 % à 0,5 % de la population adulte, les chiffres pour l’Europe se situent entre 1,2 % et 1,3 %. Ces chiffres sont encore plus élevés en Russie 
			(10) 
			Selon le site internet
du Service fédéral russe de contrôle des stupéfiants, le nombre
de consommateurs de drogues en Russie est estimé à 2,5 millions
(sur une population d’environ 140 millions), dont 90 % d’opiomanes., où le nombre de toxicomanes a été multiplié par 10 au cours des 10 dernières années.
35. Voilà pourquoi, les opioïdes restent les drogues les plus problématiques d’Europe, car ce sont les substances qui sont avant tout responsables de la demande de traitement de désintoxication et une cause essentielle des décès liés à la toxicomanie dans les pays européens. Entre 1,3 et 1,4 million d’Européens (dans l’Union européenne) sont considérés comme des consommateurs d’opioïdes. Quelque 700 000 usagers d’opioïdes ont reçu un traitement de substitution en 2009.
36. Les opioïdes représenteraient les trois quarts des quelque 7 600 décès annuels liés à la toxicomanie dans les pays de l’Union européenne (plus la Croatie, la Norvège et la Turquie) 
			(11) 
			<a href='http://europa.eu/agencies/regulatory_agencies_bodies/policy_agencies/emcdda/index_fr.htm'>OEDT</a>, Etat du phénomène de la drogue en Europe, rapport annuel
2011.. Ainsi, plus de 83 % des 2 334 morts liées à la toxicomanie en 2010 au Royaume-Uni étaient dus aux opiacés. Ainsi que cela a été indiqué précédemment, en Russie, 9 263 morts liées à l’abus de drogue ont été signalées en 2010, dont 6 324 ont été attribuées à l’abus d’opioïdes 
			(12) 
			ONUDC, Rapport mondial
sur les drogues 2012.. En Turquie, 88 % des décès liés à la toxicomanie seraient dus à la consommation d’héroïne 
			(13) 
			Données fournies par
la Police nationale turque, Division centrale des stupéfiants..

5. Dynamique de la production de drogue ces récentes années en Afghanistan

37. Aujourd’hui, l’Afghanistan est de loin le premier producteur d’opium dans le monde. Selon les données publiées par l’ONUDC, ce pays représentait 88 % de la production mondiale d’opium entre 2005 et 2010 
			(14) 
			ONUDC,
Rapport mondial sur les drogues 2012.. L’Afghanistan a produit 5 800 tonnes en 2011 alors que la production potentielle mondiale d’opium était estimée à 7 000 tonnes cette année-là 
			(15) 
			Ibid..
38. La production d’opium n’a cessé d’augmenter en Afghanistan de 2001 (185 tonnes) à 2007 (où elle a atteint un record de 8 200 tonnes), avant de reculer légèrement en 2008-2009.
39. Selon les estimations de l’ONUDC, la production d’opium en Afghanistan a progressé de 61 % en 2011 par rapport à 2010, année où elle avait connu une forte chute en raison d’une maladie des plants de pavot à opium qui a détruit près de la moitié de la récolte d’opium. Elle constitue 16 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Afghanistan, chiffre très élevé, même s’il faut le mettre en rapport avec son niveau de 60 % en 2004 
			(16) 
			Ibid.. Plus de 190 000 ménages (5 % de la population totale) se livreraient à la culture du pavot. Au total, le trafic d’opium (soit la culture du pavot, la transformation et le trafic) occupe 3,3 millions d’Afghans sur une population totale de 23 millions (soit plus de 14 %).
40. L’Afghanistan est lui aussi un très gros consommateur de drogues: près de 3 % de sa population consomment des opiacés, et ce chiffre est en augmentation.
41. Sous le gouvernement des Talibans, dans la seconde moitié des années 1990, la taxation à l’exportation d’opium était la principale source de devises étrangères du régime (de $US 75 à 100 millions par an). Cependant, sous la menace d’un embargo décrété par les Nations Unies, en 2000, les Talibans ont interdit la culture de l’opium. Les paysans afghans ont respecté la consigne et se sont abstenus d’en planter. En 2001, la récolte était ainsi proche de zéro. Dans la période post-Talibans, la taxation sur le commerce de la drogue est devenue la première source de revenus des chefs de guerre.
42. Depuis 2003, les nouvelles autorités afghanes ont intensifié leurs efforts pour réduire la culture illicite du pavot à opium et détruire les plantations de pavot, mais elles n’ont obtenu que des résultats limités (par exemple 15 300 hectares détruits en 2006, 19 000 ha en 2007 et 9 600 ha en 2012, alors que les champs de pavot à opium faisaient une superficie estimée à 154 000 ha en 2012 
			(17) 
			Commission des stupéfiants
des Nations Unies, Situation mondiale en ce qui concerne le trafic
de drogues, 28 décembre 2012.). Dans le même temps, les équipes chargées de détruire les champs de pavot ont été attaquées à 48 reprises en 2011, 20 personnes ont été tuées et 45 blessées 
			(18) 
			ONUDC, <a href='https://www.unodc.org/documents/crop-monitoring/Afghanistan/ORAS_report_2011.pdf'>Etude
2011 sur l’opium en Afghanistan</a>.. Cependant, l’efficacité des mesures de destruction est plutôt douteuse, car il est très probable qu’en l’absence de cultures de substitution présentant la même rentabilité ces parcelles soient de nouveau utilisées pour cultiver du pavot à opium.
43. Actuellement, 95 % de la culture de pavot est concentrée dans les régions du Sud et de l’Est du pays, marquées par une grande insécurité, où le pouvoir gouvernemental est limité et où les experts internationaux n’ont quasiment pas accès. La destruction des cultures de pavot a progressé dans le Nord, mais il reste des dizaines de laboratoires clandestins, où l’opium est transformé en héroïne dans cette région. La moitié des 34 provinces afghanes sont considérées comme ne pratiquant pas la culture du pavot, ce qui signifie que celle-ci y couvre moins de 100 ha 
			(19) 
			Ibid..
44. La plus grande partie de l’opium est désormais transformée en Afghanistan même: le nombre de laboratoires clandestins est estimé entre 300 et 500, et la production annuelle d’héroïne atteint les 380 à 400 tonnes. La contrebande d’héroïne est plus facile que celle de l’opium, et les produits de plus grande valeur génèrent davantage de profits.
45. Selon certains experts des services de répression, s’ajoutent aux produits immédiatement expédiés d’importants stocks d’opium et d’héroïne dissimulés dans des montagnes reculées d’Afghanistan, qui peuvent représenter jusqu’à deux ans de production.
46. Les faiblesses des services de répression afghans dans la lutte contre la culture du pavot et la production de drogue sont le principal obstacle aux actions internationales menées en ce domaine. Selon Antonio Maria Costa, ancien directeur exécutif de l’ONUDC, «alors que 90 % de l’opium mondial proviennent d’Afghanistan, moins de 2 % y sont saisis. C’est là un échec cuisant pour les services de répression, alors même qu’il est incomparablement moins cher et plus facile de détecter et réprimer une activité illicite à la source plutôt qu’à l’arrivée 
			(20) 
			ONUDC,
Toxicomanie, criminalité et insurrection. L’opium afghan: une menace
transnationale, 2009.». Les interceptions ont néanmoins quelque peu progressé en Afghanistan ces dernières années.
47. Bien que les Talibans soient supposés contrôler le commerce de l’opium et gagner plus de $US 50 millions par an, il apparaît de plus en plus clairement que des fonctionnaires afghans et, parmi eux, des policiers et des magistrats, sont également très impliqués dans ce processus. Par conséquent, outre la formation des forces de l’ordre afghanes, la lutte contre la corruption doit devenir une priorité dans tous les programmes de coopération avec l’Afghanistan.
48. Avec le retrait prochain de la FIAS, d’ici à 2014, il y a peu d’espoir que les autorités afghanes soient plus efficaces pour détruire les plantations de pavot et démanteler la production et le commerce clandestins d’opiacés. Il est donc crucial, tout en continuant à soutenir les efforts de mise en œuvre, de privilégier d’autres voies de développement de l’économie afghane, en particulier une agriculture durable et des politiques rurales intégrées. Dans ce contexte, la Déclaration de Lima et les Principes directeurs internationaux sur le développement alternatif adoptés lors de la Conférence internationale de haut niveau des Nations Unies sur le développement alternatif (novembre 2012) sont extrêmement utiles.

6. Principales voies de trafic d’Afghanistan en Europe, premier consommateur de drogues afghanes

49. La contrebande d’opiacés, y compris l’héroïne pure, suit trois grandes voies d’exportation depuis l’Afghanistan vers les marchés de consommation et avant tout vers l’Europe.
50. La voie du sud passe par le Pakistan, l’un des principaux consommateurs d’opiacés 
			(21) 
			Le
nombre d’opiomanes dans la région (Pakistan et Iran) est évalué
à plus de 4 millions (interview réalisée à Europol).. La drogue est ensuite expédiée par mer et transbordée à maintes reprises en Afrique, au Moyen-Orient et dans les pays du Golfe. Les principaux pays destinataires sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suisse. On constate par ailleurs une augmentation du trafic direct par la voie des airs à destination de certains pays européens. On estime que près de 40% de la drogue produite en Afghanistan emprunte la voie du sud, considérée comme relativement sûre par les trafiquants en raison de la porosité de la frontière et des mouvements transfrontaliers permanents de la population locale (on évalue à près de 30 000 les ressortissants afghans qui franchissent tous les jours la frontière pakistanaise). La voie du sud est également considérée comme le principal point d’entrée des précurseurs.
51. Selon Antonio Maria Costa, ancien directeur exécutif de l’ONUDC, «la plupart des frontières communes à l’Afghanistan et au Pakistan sont grandes ouvertes, ce qui permet une contrebande sans grands risques d’un côté à l’autre de la ligne Durand, en particulier au Baloutchistan. Pratiquement aucune saisie n’a lieu dans les zones tribales sous administration fédérale (FATA) et ce, bien que des milliers de tonnes de drogue transitent par la région. Des violations de l'accord sur le commerce de transit afghan (ATTA), ainsi que l’exploitation de liens de parenté séculaires, ont fait de la frontière entre Afghanistan et Pakistan – déjà connue pour laisser libre cours aux déplacements des insurgés – une zone de libre-échange massif et illégal de drogues, de précurseurs chimiques, de capitaux, de personnes et d’armes. 
			(22) 
			ONUDC,
Toxicomanie, criminalité et insurrection. L’opium afghan: une menace
transnationale, 2009.»
52. La voie occidentale, ou voie des Balkans, qui passe par l’Iran et la Turquie, avant de traverser les pays du Sud-est et de l’Ouest de l’Europe, représente 35 % du trafic provenant d’Afghanistan. L’Iran, premier pays de transit sur cette voie, est aussi l’un des principaux consommateurs d’opiacés afghans. Selon l’ONUDC, la voie des Balkans est l’axe majeur pour les opiacés et l’héroïne destinés à l’Europe occidentale. Pour la police turque, les Pays-Bas sont le principal pays de destination sur cette route (2 113 kg saisis en 2011-2012); ils sont suivis par l’Allemagne (721 kg), l’Albanie (262 kg), la Slovénie (136 kg) et la Grèce (122 kg).
53. Cependant, les autorités iraniennes et turques ont intensifié leurs efforts pour démanteler le trafic et elles ont obtenu des résultats significatifs en matière de saisies importantes de drogue (27 tonnes d’héroïne saisies en 2010 en Iran et 13 en Turquie). L’Iran et la Turquie totalisent à eux deux plus de la moitié de toutes les saisies d’héroïne. Pourtant, aucune saisie importante de précurseurs chimiques n’a eu lieu en Turquie au cours des dernières années. Cependant, des groupes criminels organisés de différentes origines ethniques 
			(23) 
			Selon
les statistiques (2010-2012) fournies par la Police nationale turque,
parmi les étrangers originaires de 27 pays arrêtés pour trafic de
drogue, les Iraniens étaient majoritaires (126), suivis par les
Turkmènes (40), les Bulgares (39), les Albanais (33) et les Géorgiens
(27). Quant aux quantités d'héroïne saisies, les Iraniens (2 211
kg) précédaient les Bulgares (690 kg), les Albanais (644 kg), les
Britanniques (193 kg), les Néerlandais (190 kg) et les Grecs (184
kg). continuent d’exploiter cette voie, et cherchent à diversifier aussi bien les circuits entre la Turquie et l’Europe de l’Ouest 
			(24) 
			Cargaisons
expédiées par voie maritime en Europe occidentale à partir des ports
turcs, et en Europe centrale à travers le Caucase et la mer Noire. que les moyens de livraison 
			(25) 
			Par
exemple, cargaisons transportées par conteneurs, voitures de passagers,
livraisons postales, courriers titulaires de passeports de l’Union
européenne. . Un peu plus loin sur le trajet (Grèce, Bulgarie, Roumanie et Balkans occidentaux), le taux d’interception est de moins de 2 %.
54. Enfin, la voie du nord (également connue sous le nom de route de la soie) passe par les pays d’Asie centrale (Tadjikistan, Kirghizstan, Kazakhstan) vers la Fédération de Russie, sa destination principale, puis une partie de la drogue continue son périple vers le nord et l’est de l’Europe. Le long de cette route, les pays d’Asie centrale – autrefois uniquement pays de transit – sont aujourd’hui eux-mêmes de gros consommateurs. Des groupes criminels composés de Tadjiks seraient les principaux responsables de ce trafic. Les autorités ne disposent pas des capacités nécessaires pour maîtriser le flot de drogue qui traverse ces pays d’Asie centrale. Elles pourraient même y être mêlées. Les saisies tout au long de cette voie sont bien moins importantes (seuls 4 % à 5 % du volume total de l’héroïne transportée sont saisis). La voie du nord serait également utilisée pour introduire des précurseurs frauduleusement en Afghanistan. Selon les experts, le trafic d’héroïne à travers l’Asie centrale devrait vraisemblablement augmenter dans les années à venir, aggravant encore les problèmes économiques, de santé et de sécurité dans la région.

7. Précurseurs

55. Les précurseurs de drogue sont des produits chimiques industriels licites qui sont nécessaires à la fabrication de drogues illicites. Ces produits ont des utilisations licites diverses et variées et font l’objet d’échanges commerciaux licites sur les marchés. Leur commerce ne peut être interdit. Toutefois, ces produits étant détournés des filières de distribution licites pour produire des drogues illicites, le contrôle des précurseurs et un élément clé de la lutte contre la drogue.
56. Le principal précurseur employé dans la fabrication de l’héroïne est l’anhydride acétique (AA). Il a également de nombreux usages licites, notamment dans l’industrie pharmaceutique. Selon l’ONUDC, environ 216 000 tonnes d’AA sont produites chaque année légalement dans 13 pays 
			(26) 
			Argentine,
Chine, France, Allemagne, Inde, Iran, Italie, Japon, Mexique, Russie,
Royaume-Uni, Etats-Unis et Ouzbékistan.. Entre 1 et 4 litres d’AA sont nécessaires pour produire 1 kg d’héroïne.
57. D’après Europol, l’Europe centrale et du Sud-Est paraissent être la principale plate-forme de transit utilisée pour détourner l’AA des échanges intracommunautaires de l’Union européenne. En 2008, la Slovénie et la Hongrie ont saisi 156 tonnes d’AA (soit plus du tiers requis pour transformer l’opium afghan en héroïne).
58. L’ONUDC pense que l’AA est livré à l’Afghanistan par les mêmes voies que celles utilisées pour transporter les opiacés, mais dans la direction opposée. Il est également probable que ce sont les mêmes bandes criminelles organisées qui sont à l’origine de ce trafic. Le Pakistan est considéré comme le principal point de regroupement du passage en contrebande de précurseurs venus d’Asie (Chine et Corée) vers l’Afghanistan. Pourtant, lors de notre séjour à Ankara, les services de répression turcs ont déclaré qu’il n’y avait pas eu de saisies notables d’AA dans le pays ces dernières années.
59. La consolidation du cadre international de contrôle du commerce d’AA, dans le but d’empêcher le détournement de cette substance vers le marché illégal et la production d’héroïne, devrait être un élément central d’une politique de lutte contre l’héroïne. Au niveau de l’Union européenne, des démarches sont entreprises pour créer un système de contrôle concernant tous les producteurs d’AA implantés et enregistrés dans l’Union européenne, les vendeurs et les consommateurs finaux. Des mesures similaires devraient être prises au niveau international.

8. Nécessité de renforcer la coopération internationale

60. Le trafic de drogue en provenance de l’Afghanistan a un caractère transnational par nature: les produits illicites traversent de nombreuses frontières et sont vendus par des bandes criminelles organisées de différentes origines ethniques, voire multi-ethniques. L’une des solutions pour remédier à ce fléau consiste à renforcer la coopération entre les représentants de la loi des pays concernés et les organismes internationaux compétents.
61. Cette coopération existe d’ores et déjà sous des formes variées et à différents niveaux, qu’il soit mondial (ONUDC, Initiative du Pacte de Paris), européen (Europol, Eurojust, OEDT), régional (Initiative de coopération pour l'Europe du Sud-Est – Centre régional pour la lutte contre la criminalité transfrontière (SECI); Centre de maintien de l'ordre de l'Europe du Sud-Est (SELEC); Organisation de coopération de Shanghai (OCS); Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC); Centre d'information et de coordination régionale d'Asie centrale pour la lutte contre les stupéfiants, les psychotropes et leurs précurseurs (CARICC); «Sécurité et coopération au cœur de l’Asie»–Processus d’Istanbul sur la sécurité et la coopération régionale pour un Afghanistan stable et sûr, etc.), ou encore bilatéral. Il n’en est pas moins nécessaire de renforcer considérablement cette coopération et de la rendre moins bureaucratique, plus opérationnelle et axée sur les résultats.
62. Lors de ma visite à Europol, on m’a dit que cet organisme de l’Union européenne avait développé de bonnes relations institutionnelles avec plusieurs pays concernés par le trafic de drogue afghan, mais que cela ne suffisait pas pour réagir en temps réel à une situation en constante évolution. C’est pourquoi, Europol a conclu – ou est sur le point de conclure – des accords opérationnels avec ces pays, pour permettre un partage rapide des renseignements et soutenir les opérations de police transfrontalières, ce qui améliorerait l’efficacité de la coopération. Il y a de fortes chances qu’un tel accord soit conclu rapidement avec la Russie, mais les choses se présentent sous de moins bons auspices avec la Turquie.
63. Lors de mon séjour à Ankara, j’ai insisté auprès de mes interlocuteurs turcs sur l’importance qu’attachait Europol à la conclusion d’un accord opérationnel avec leur pays. J’ai été satisfait d’apprendre que le Gouvernement turc avait rédigé des projets de loi relatifs à la protection des données dans la droite ligne des normes de l’Union européenne et qu’il éliminerait les obstacles s’opposant à la conclusion d’un accord opérationnel avec Europol. Les forces de l’ordre turques étaient toutefois inquiètes à l’idée qu’un tel accord ne leur permette pas de participer pleinement au processus de prise de décision au sein d’Europol (un organisme de l’Union européenne).
64. En attendant, les forces de l’ordre turques ont instauré une coopération bilatérale avec des collègues de 19 pays européens, et rapporté 180 enquêtes menées conjointement ces dernières années avec des partenaires européens, dont 70 livraisons contrôlées, qui ont conduit à 876 arrestations.
65. Pendant ma visite à Ankara, j’ai également été impressionné par le travail accompli par l'Académie internationale turque contre les drogues et le crime organisé (TADOC), qui fait partie du Département de lutte contre la contrebande et le crime organisé de la Police nationale (KOM). Outre une formation continue du personnel des forces de l’ordre turques et des recherches scientifiques en matière de drogue et de crime organisé, elle offre aussi aux policiers d’autres pays des programmes de formation internationaux, que ce soit sur une base bilatérale ou en coopération avec des organisations internationales 
			(27) 
			La TADOC coopère notamment
avec l’ONUDC, l’OSCE, Europol, Interpol, le Conseil OTAN-Russie,
la Coopération économique de la mer Noire (CEMN), l'Organisation
de coopération économique (OCE) et le Plan de Colombo.. Ces dernières années, elle a proposé des programmes de formation à plus de 7 100 participants de 86 pays, parmi lesquels l’Afghanistan (1 009 stagiaires), le Turkménistan (300), le Kazakhstan (263), le Pakistan (226), l’Ouzbékistan (197), le Tadjikistan (184) et le Kirghizstan (164), c’est-à-dire des pays concernés par le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan. Elle dispense par ailleurs à 500 cadets de la police afghane des formations policières de base sur six mois. Ces initiatives sont extrêmement importantes pour améliorer les compétences opérationnelles des forces de l’ordre de ces pays, et devraient être adoptées par d’autres partenaires.
66. Comme indiqué plus haut (voir paragraphe 15), le Conseil de l’Europe n’est pas le principal intervenant dans les actions internationales de lutte contre le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan. Toutefois, certains de ses instruments et organes pourraient être mieux exploités dans ce cadre.
67. Tout d’abord, le Groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite des stupéfiants (l’Accord partiel du Conseil de l'Europe, connu sous le nom de Groupe Pompidou 
			(28) 
			Le Groupe Pompidou
a été créé en 1971 à l’initiative du président français de l’époque,
Georges Pompidou, afin de partager les expériences en matière de
lutte contre la drogue entre sept Etats européens. Il a été intégré
dans le cadre institutionnel du Conseil de l’Europe en 1980 et rassemble
aujourd’hui 34 Etats membres du Conseil de l’Europe ainsi que le
Maroc. D’autres Etats membres du Conseil de l’Europe ne faisant
pas partie du Groupe Pompidou, comme l’Albanie, la Lettonie et l’Ukraine,
et des Etats du bassin méditerranéen comme l’Algérie, la Tunisie,
le Liban, l’Egypte et la Jordanie interviennent dans le cadre de
la coopération technique. Certains Etats non membres (par exemple
les Etats-Unis, le Canada et le Saint-Siège) participent aux activités
du Groupe sur une base ad hoc. L’Allemagne, l’Andorre, l’Arménie,
la Bosnie-Herzégovine, le Danemark, l’Espagne, la Géorgie, Monaco,
les Pays-Bas et le Royaume-Uni ne font pas partie du Groupe Pompidou.
Pour en savoir plus: <a href='http://www.coe.int/t/dg3/pompidou/default_FR.asp'>www.coe.int/t/dg3/pompidou/default_FR.asp.</a>) devrait contribuer davantage à la lutte contre le trafic de drogue provenant d’Afghanistan, par ses activités de prévention du détournement et de la production illégale de précurseurs chimiques et d’amélioration de la détection des drogues dans les aéroports européens, ainsi que par l’offre de formations aux experts en drogue de l’Afghanistan et des pays avoisinants.
68. Il conviendrait de réorganiser les activités des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe comme le GRECO 
			(29) 
			GRECO a été créé par
le Conseil de l’Europe en 1999 pour contrôler l’application par
les Etats des normes anti-corruption de l’Organisation. Il compte
49 membres (tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, plus
le Bélarus et les Etats-Unis). Pour en savoir plus: <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/default_FR.asp'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/greco/default_FR.asp.</a> et MONEYVAL 
			(30) 
			MONEYVAL a été créé
en 1997. Son objectif est de veiller à ce que ses Etats membres
(au nombre de 30 à l’heure actuelle) instaurent des systèmes permettant
de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du
terrorisme et qu’ils respectent les normes internationales en vigueur
dans ces domaines. Pour en savoir plus: <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/moneyval/default_FR.asp'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/moneyval/default_FR.asp.</a> afin que la lutte contre le blanchiment de capitaux dans le cadre du trafic de drogue provenant d’Afghanistan figure en bonne place dans leur programme de travail, tout comme la coopération destinée à empêcher que ces revenus soient réinjectés pour financer la criminalité et le terrorisme.
69. En outre, la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198, «Convention de Varsovie») est un instrument important à utiliser pour renforcer la coopération afin de tarir les flux financiers liés au trafic de drogue en provenance d’Afghanistan. Elle a été ouverte à la signature le 16 mai 2005 et est entrée en vigueur le 1er mai 2008. A l’heure actuelle, 23 Etats membres du Conseil de l’Europe sont Parties à cette convention et 13 autres 
			(31) 
			Autriche,
Danemark, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Islande, Italie,
Luxembourg, Russie, Suède et Turquie. l’ont signée mais pas encore ratifiée. Les Etats membres suivants n’en sont pas signataires: Allemagne, Andorre, Azerbaïdjan, Irlande, Liechtenstein, Lituanie, Monaco, Norvège, République tchèque, Royaume-Uni et Suisse. La convention est également ouverte à la signature des Etats non membres ayant participé à son élaboration 
			(32) 
			Canada,
Etats-Unis, Japon, Maroc, Mexique et Saint-Siège., et à l’adhésion des autres Etats non membres.

9. Conclusions

70. Tout au long de mes visites, la plupart de mes interlocuteurs ont admis que depuis ces dix dernières années, le trafic illicite d’opiacés en provenance d’Afghanistan constitue l’une des plus graves menaces à l’échelle mondiale dans le domaine de la criminalité transnationale organisée, avec de graves conséquences pour la santé, la sécurité, l’ordre public et la gouvernance. Aussi est-ce bien l’une des principales menaces pesant sur la sécurité aux niveaux national, européen et international.
71. La quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe pâtissent des conséquences de l’abus de drogues illicites et paient un prix élevé pour ce fléau, qui frappe les individus, les familles, les institutions et la société dans son ensemble.
72. Les opiacés, et avant tout l’héroïne, sont les drogues les plus nocives consommées en Europe. Ils sont à l’origine de trois quarts des morts liées à la toxicomanie.
73. L’Afghanistan est de la loin la première source d’héroïne et des autres opiacés consommés en Europe, laquelle, y compris la Russie, est la principale destination du trafic d’opiacés provenant d’Afghanistan.
74. Il serait urgent de mobiliser les efforts de l’ensemble des pays européens pour réduire la production d‘opium et d’héroïne en Afghanistan et démanteler les réseaux de trafic de drogue provenant de ce pays.
75. En conséquence, l’Assemblée devrait appeler les autorités des Etats membres du Conseil de l'Europe:

en ce qui concerne l’Afghanistan:

  • à faire de la politique de lutte contre la drogue une priorité des programmes de coopération et d’assistance concernant le Gouvernement afghan;
  • à renforcer les capacités des forces de l’ordre afghanes dans le but de démanteler les filières à la source, en mettant l’accent sur la lutte contre la corruption;
  • à accroître l’appui destiné à renforcer les capacités des forces de l’ordre afghanes et à multiplier les programmes de formation destinés à leur personnel;
  • à développer les opérations conjointes avec les forces de l’ordre afghanes compétentes ciblant les laboratoires clandestins producteurs d’héroïne et les groupes criminels organisés, tout en redoublant d’efforts pour promouvoir le développement rural intégré, la construction d’infrastructures et le soutien aux paysans ayant opté pour une production alternative;
  • à aider l’Afghanistan à développer son économie et à diversifier son agriculture de manière à réduire sa dépendance à l’égard des revenus tirés du commerce de drogues illicites, conformément à la Déclaration de Lima et aux Principes directeurs internationaux sur le développement alternatif (novembre 2012);
  • à soutenir pleinement l’Initiative du Pacte de Paris et à coopérer véritablement dans ce cadre pour lutter contre les opiacés en provenance d’Afghanistan;

en ce qui concerne les pays voisins:

  • à accroître l’appui destiné à renforcer les capacités des forces de l’ordre des pays d’Asie centrale et à multiplier les programmes de formation destinés à leur personnel;
  • à promouvoir davantage la coopération antidrogue au niveau régional, en y associant les pays d’Asie centrale, l’Iran, le Pakistan, l’Inde et la Chine, ainsi que les cadres de coordination et de coopération actuels;
  • à créer, en concluant le cas échéant des accords spécifiques, les conditions voulues pour intensifier la coopération opérationnelle entre les forces de l’ordre, y compris en ce qui concerne le partage d’informations et de renseignements, l’échange de bonnes pratiques et les enquêtes communes;
  • à intensifier la coopération internationale pour lutter contre le détournement des précurseurs de drogue et à réfléchir aux moyens de renforcer le contrôle du commerce d’anhydride acétique (AA) en créant des bases de données et en partageant des informations sur les producteurs licites d’AA, les vendeurs et les consommateurs finaux;
  • à intensifier la coopération concernant la confiscation et le recouvrement des avoirs issus du commerce de drogues illicites.