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Rapport | Doc. 13225 | 07 juin 2013

L’égalité de l’accès aux soins de santé

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Jean-Louis LORRAIN, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc.12504 et 12512, Renvoi 3753 du 11 avril 2011. 2013 - Troisième partie de session

Résumé

L’accès aux soins est un élément essentiel du droit fondamental à la santé. Les inégalités d’accès aux soins de santé sont en train de s’accroître dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, en raison notamment des barrières financières, géographiques et linguistiques, la corruption, les inégalités socio-économiques, certaines politiques migratoires et sécuritaires et la crise économique qui a eu des répercussions sur les systèmes de santé. Ces inégalités touchent particulièrement les groupes vulnérables et conduisent à un phénomène de non recours ou de recours tardif aux soins, susceptible d’avoir des implications catastrophiques tant pour la santé individuelle que publique et de conduire, à long terme, à une augmentation des dépenses de santé.

Afin de réduire les inégalités d’accès, les Etats devraient, entre autres, diminuer les dépenses de santé à la charge des patients les plus démunis, assurer l’accessibilité, dans tout le pays, aux professionnels de santé ainsi que des informations relatives au système de santé et dissocier leur politique de l’immigration et de sécurité, de celle de la santé. Compte tenu de l’importance de continuer à protéger le droit à la santé consacré par l’article 11 de la Charte sociale européenne révisée, le Comité des Ministres devrait renforcer le rôle du Comité européen des droits sociaux.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 3 juin 2013.

(open)
1. Le droit à la santé est un droit fondamental de l’être humain. La protection de la santé est une condition essentielle à la cohésion sociale et la stabilité économique et constitue l’un des piliers indispensables au développement. L’accès aux soins est un élément essentiel du droit à la santé.
2. L’Assemblée parlementaire constate que les inégalités d’accès aux soins de santé sont en train de s’accroître dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Différents facteurs sont à l’origine de ce phénomène dont les barrières financières, géographiques et linguistiques, la corruption, les inégalités socio-économiques et certaines politiques migratoires et sécuritaires peu soucieuses des besoins de santé. La crise économique a conduit à des coupes budgétaires dans beaucoup de pays, imposées par les politiques d’austérité, créant ainsi une pression sur les systèmes de santé. En conséquence, plusieurs pays ont instauré des frais à la charge des patients ou augmenté leur niveau, notamment pour les services de santé essentiels.
3. L’Assemblée note que les inégalités d’accès aux soins touchent particulièrement les groupes vulnérables dont les personnes en difficulté économique telles que les chômeurs, les familles monoparentales, les enfants, les personnes âgées, ainsi que les Roms, les migrants, notamment ceux en situation irrégulière, et les personnes sans domicile fixe. Ces inégalités conduisent à un phénomène de non recours ou de recours tardif aux soins, ce qui pourrait avoir des implications catastrophiques tant pour la santé individuelle que publique et conduire, à long terme, à une augmentation des dépenses de santé.
4. Rappelant sa résolution 1884 (2012) «Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux», l’Assemblée attire une fois de plus l’attention sur l’impact négatif des mesures d’austérité sur les droits sociaux et leurs effets sur les catégories les plus vulnérables. A cet égard, elle note avec inquiétude l’impact de la crise économique et des mesures d’austérité sur l’accessibilité des soins dans plusieurs pays membres dont la Grèce, qui fait désormais face à une crise sanitaire voire humanitaire ainsi qu’à une augmentation des actes xénophobes et racistes contre des réfugiés et des migrants.
5. L’Assemblée estime que la crise devrait être considérée comme une opportunité pour repenser les systèmes de santé et utilisée pour augmenter leur efficience et non pas comme une excuse pour procéder à des mesures de régression.
6. L’Assemblée invite donc les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1. à réduire, le cas échéant, la part des dépenses de santé restant à la charge des patients les plus démunis et prendre toute autre mesure nécessaire afin d’assurer que le coût des soins ne devienne pas un obstacle à l’accès aux soins, y compris la promotion d’une plus grande utilisation des médicaments génériques;
6.2. à assurer l’accessibilité aux établissements et aux professionnels de santé sur l’ensemble du territoire par des mesures appropriées, le cas échéant en ayant recours à des mesures incitatives;
6.3. à assurer l’accessibilité des informations relatives au système de santé, y compris des programmes de vaccination et de dépistage, et mettre en place des programmes d’éducation à la santé, tout en tenant compte des besoins spécifiques des différents groupes vulnérables et de l’exigence de réduire au minimum les barrières linguistiques;
6.4. à simplifier les procédures administratives requises pour pouvoir bénéficier de soins de santé;
6.5. à mettre en place des mesures de lutte contre la corruption dans le secteur de la santé, en coopération étroite avec le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO);
6.6. à dissocier leur politique de sécurité et de l’immigration de celle de la santé, le cas échéant en supprimant l’obligation de signalement des migrants en situation irrégulière faite aux professionnels de santé;
6.7. à mettre en place des politiques de formation du personnel de santé qui insistent sur la nécessité de lutter contre l’arbitraire, les discriminations et la corruption dans le secteur de la santé.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 3 juin
2013.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution ... (2013) sur l’égalité de l’accès aux soins de santé.
2. L’Assemblée se félicite des travaux récents du Comité des Ministres dans le domaine de la santé, qui se sont concrétisés notamment par l’adoption de la Recommandation CM/Rec(2010)6 sur la bonne gouvernance dans les systèmes de santé, la Recommandation CM/Rec(2011)13 sur la mobilité, les migrations et l’accès aux soins de santé, les Lignes directrices de 2011 du Comité des Ministres sur les soins de santé adaptés aux enfants et la Recommandation CM/Rec(2012)8 sur la mise en œuvre des principes de bonne gouvernance dans les systèmes de santé.
3. L’Assemblée regrette toutefois que, depuis 2012, le Conseil de l’Europe ne dispose plus d’un comité intergouvernemental spécifiquement chargé de faciliter le développement de politiques et l’échange de bonnes pratiques dans le domaine de la santé.
4. Eu égard aux principes et valeurs du Conseil de l’Europe, il est de la plus haute importance de continuer à protéger le droit à la santé consacré par l’article 11 de la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163) et de renforcer le rôle du Comité européen des droits sociaux pour qu’il puisse exercer cette tâche au mieux.
5. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
5.1. d’enjoindre aux Etats membres qui ne l’ont pas encore fait de signer et de ratifier la Charte sociale européenne (révisée) ainsi que ses protocoles;
5.2. de prendre des mesures afin de progresser rapidement sur la voie de la mise en œuvre de la Charte conformément aux conclusions et décisions du Comité européen des droits sociaux;
5.3. d’inciter les autres secteurs du Conseil de l’Europe à intégrer les questions liées à la santé dans leurs travaux, sur la base d’une approche transversale.

C. Exposé des motifs, par M. Lorrain, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le droit à la santé est un droit fondamental de l’être humain. La protection de la santé est une condition essentielle à la cohésion sociale et à la stabilité économique 
			(3) 
			Déclaration de Varsovie
adoptée lors du Troisième Sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement
du Conseil de l'Europe (Varsovie, 16-17 mai 2005). et constitue l’un des piliers indispensables au développement 
			(4) 
			La santé figure dans
trois des huit objectifs du Millénaire pour le développement (réduire
la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, et combattre
le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies) et joue également
un rôle décisif dans la réalisation des autres objectifs, en particulier
ceux qui concernent l’éradication de l’extrême pauvreté et de la
faim, l’éducation et l’égalité des sexes.. L’accès aux soins de santé est un élément essentiel du droit à la santé.
2. Les principes d’universalité, d’équité et de solidarité font partie des principes clés de la bonne gouvernance dans les systèmes de santé 
			(5) 
			Recommandation
CM/Rec(2010)6 du Comité des Ministres sur la bonne gouvernance dans
les systèmes de santé.. Ces principes, dont celui d’équité, requièrent que l’égalité d’accès aux soins de santé soit garantie, tant en droit qu’en pratique. Hélas, les inégalités d’accès aux soins sont en train de s’accroître dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Différents facteurs sont à l’origine de ce phénomène: les barrières financières et géographiques, les inégalités socio-économiques, la corruption et certaines politiques migratoires et sécuritaires, pour n’en citer que quelques-uns.
3. La crise économique a eu des répercussions importantes sur le revenu des ménages, notamment des plus vulnérables, créant ainsi de nouvelles inégalités, et a conduit à une augmentation des besoins de santé. Par ailleurs, les politiques d’austérité ont, dans de nombreux pays, visé les systèmes de santé publique et mené à une augmentation des frais à la charge des patients.
4. En conséquence, alors que la population aisée accède encore relativement facilement aux ressources disponibles, certains groupes vulnérables se heurtent à des difficultés plus grandes pour bénéficier des prestations fournies par les systèmes de santé. Parmi ceux-ci se trouvent les personnes en difficulté économique telles que les chômeurs, les familles monoparentales, les personnes âgées, ainsi que les Roms et les migrants, particulièrement ceux en situation irrégulière.
5. L’objectif de ce rapport est d’identifier, sur la base d’exemples nationaux, les facteurs conduisant à des inégalités d’accès aux soins de santé, afin de proposer des stratégies visant à réduire ces inégalités. Il ne s’agit en aucun cas d’une analyse exhaustive examinant tous les problèmes d’inégalité d’accès aux soins ni d’un rapport comparatif sur les inégalités d’accès aux différents types de soins (les soins primaires, les soins psychiatriques, les soins prénataux, etc.) et selon les différents groupes vulnérables (les migrants, les personnes handicapées, les Roms, les femmes, les personnes âgées, les détenus, etc.), sachant que cela nécessiterait un travail beaucoup plus approfondi.
6. Dans le cadre du rapport, une attention particulière est portée à l’impact de la crise économique sur les systèmes de santé et notamment sur l’accessibilité des soins, sur la base des informations recueillies lors de la visite d’information effectuée du 11 au 13 avril 2013, à Athènes (Grèce).

2. Accès aux soins de santé: un élément essentiel du droit à la santé

7. Selon le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, l’accès aux soins de santé est un des éléments essentiels du droit à la santé. Le droit à la santé englobe également une grande diversité de facteurs socio-économiques de nature à promouvoir des conditions dans lesquelles les êtres humains peuvent mener une vie saine et s'étend aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l'alimentation et la nutrition, le logement, l'accès à l'eau salubre et potable et à un système adéquat d'assainissement, des conditions de travail sûres et hygiéniques et un environnement sain. L’égalité d’accès aux soins de santé oblige les Etats à garantir aux personnes dépourvues de moyens suffisants l’accès aux dispositifs de soins de santé, ainsi qu’à empêcher toute discrimination dans la fourniture des soins de santé 
			(6) 
			Observation générale
n° 14 (2000) du Comité des droits économiques, sociaux et culturels
des Nations Unies..
8. Le droit à la santé est garanti par différents instruments internationaux et régionaux des droits humains ainsi que par de nombreuses constitutions nationales 
			(7) 
			D’après une étude de
l’OMS (2008), 135 constitutions nationales sur 186 contiennent des
dispositions relatives à la santé ou au droit à la santé.. Adoptée en 1946, la constitution de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est le premier document à proclamer «la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre» comme l’un des droits fondamentaux de tout être humain. Deux ans plus tard, la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule dans son article 25.1 que «[t]oute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille (…)». En 1966, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies consacre le droit à la santé pour la première fois dans le cadre d’un instrument international juridiquement contraignant. Conformément à l’article 12.1 du Pacte, les Etats Parties reconnaissent «le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre» 
			(8) 
			Par
la suite, des garanties supplémentaires destinées à protéger le
droit à la santé des groupes vulnérables ont été adoptées dans le
cadre notamment de la Convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale (article 5.e.iv), la Convention sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (article 11.1.f et article 12) et la Convention
relative aux droits de l’enfant (article 24)..
9. Au niveau du Conseil de l’Europe, la Charte sociale européenne révisée (STE nº 163) reconnaît le droit à la protection de la santé (article 11) ainsi que le droit à l’assistance sociale et médicale (article 13) 
			(9) 
			Les
autres instruments régionaux qui consacrent le droit à la santé
sont la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article
16) et le Protocole additionnel à la Convention américaine relative
aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et
culturels (article 10). En ce qui concerne l’évolution du droit
à la santé au sein de l’Union européenne, voir paragraphe 34 de
l’exposé des motifs de la Résolution
1824 (2011) sur le rôle des parlements dans la consolidation et
le développement des droits sociaux en Europe.. La protection du droit à la santé tel que reconnu par la Charte exige, entre autres, la mise en place de structures de soins accessibles et efficaces pour l’ensemble de la population. Enfin, l’article 3 de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (STE nº 164) appelle les Parties contractantes à assurer «un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée».

3. Les facteurs conduisant à des inégalités d’accès aux soins de santé

10. Malgré la diversité des modes de financement et d’organisation des systèmes de santé en Europe, on observe globalement deux courants: les systèmes d’assurance maladie obligatoire, financés par les cotisations sociales partagées entre les employeurs et les employés (par exemple Allemagne, France, Hongrie, Pologne, Roumanie, République tchèque) et les systèmes nationaux de santé financés par l’Etat sur la base des revenus publics, dont notamment les impôts (par exemple Danemark, Espagne, Irlande, Italie, Suède). Dans tous les systèmes, il existe, à des degrés variables, des frais à la charge des patients. Enfin, les assurances privées (volontaire ou obligatoire 
			(10) 
			Dans le cas de l’assurance
privée obligatoire, c’est la législation qui contraint les assureurs
privés à participer à un système fondé sur la solidarité sociale
et les politiques de sélection des risques sont strictement réglementées
par l’Etat.) viennent jouer un rôle complémentaire, notamment en ce qui concerne les dépenses médicales qui ne sont pas prises en charge par le système de santé ou qui le sont seulement en partie.
11. L’égalité d’accès aux soins de santé suppose que les soins soient accessibles à tous et à toutes, en droit comme en fait. Il s’agit de supprimer les obstacles ou les barrières que certains individus ou groupes pourraient rencontrer pour accéder aux prestations prévues par le système de santé. Ceux-ci concernent notamment les barrières financières (le coût des soins), la portée limitée des prestations, les barrières géographiques (problèmes d’accessibilité des soins sur l’ensemble du territoire, notamment dans les zones rurales), les barrières linguistiques ou encore les barrières informationnelles (mauvaise connaissance du système de santé) ainsi que la corruption. Il s’agit de facteurs liés principalement aux systèmes de santé.
12. Les inégalités d’accès aux soins de santé résultent également d’autres facteurs tels que la discrimination (qui ne sera pas examinée dans le cadre de ce rapport) 
			(11) 
			Pour
une analyse détaillée sur la discrimination dans l’accès aux soins
de santé, voir le rapport de l’Agence des droits fondamentaux de
l’Union européenne «Inequalities and multiple discrimination in
access to and quality of healthcare», 2013., les facteurs socio-économiques et certaines politiques migratoires et sécuritaires. Un, plusieurs ou l’ensemble de ces facteurs pourront être à l’origine des inégalités d’accès et il n’est pas toujours aisé de déterminer celui ou ceux qui sont impliqués. Ainsi, par exemple, l’utilisation très limitée d’un type particulier de soins, lorsqu’elle concerne une région donnée, pourrait signaler l’existence de barrières géographiques pour accéder à ce type de soins, tandis qu’elle indiquerait plutôt que le coût desdits soins est trop élevé (barrières financières) lorsqu’elle concerne une population donnée.
13. De même, le recours tardif aux soins par un groupe donné pourrait indiquer que les soins sont inabordables pour ce groupe (barrières financières) ainsi qu’une ignorance de leurs droits de recevoir lesdits soins (barrières informationnelles). L’utilisation exceptionnellement importante d’un type de soins (tels que les soins d’urgence) peut, dans certaines circonstances, également être indicateur d’une inégalité d’accès, justement parce qu’à son origine peut se trouver l’impossibilité d’accéder aux soins appropriés en temps voulu. Dans ce contexte, la collecte de données sur l’état de santé et l’utilisation des services de santé selon notamment le sexe, l’âge, les régions et les différents groupes, est essentielle pour l’identification des inégalités de santé et d’accès aux soins de santé, ainsi que des facteurs conduisant à ces inégalités.
14. L’inégalité d’accès conduit souvent à un phénomène de non recours ou de recours tardif aux soins, ce qui a des implications tant pour la santé individuelle que publique.

3.1. Facteurs liés aux systèmes de santé

15. Dans son rapport sur la santé dans le monde (2010), l’OMS met l’accent sur le passage à une couverture universelle qu’elle considère comme un moyen essentiel pour promouvoir et soutenir la santé 
			(12) 
			Dans ce
rapport, l’OMS expose les grandes lignes sur la façon dont les pays
peuvent modifier leurs systèmes de financement pour avancer plus
rapidement vers une couverture universelle et maintenir ensuite
ces réalisations.. L’OMS définit la couverture universelle comme l’accès de tous aux services de santé dont ils ont besoin sans subir de difficultés financières lors de leur paiement. Aujourd’hui, assurer des systèmes de santé garantissant une couverture universelle, notamment pour les plus démunis, demeure encore un objectif à atteindre pour les pays européens, en raison des différents facteurs exposés ci-dessous. A cet égard, il convient de noter que des événements économiques et/ou politiques majeurs (par exemple une crise économique, un changement de régime, une guerre) conduisent souvent à l’effondrement du système de santé en place, avec un impact désastreux sur l’accessibilité des soins. De même, les inquiétudes suscitées par la raréfaction des ressources et la crise des dépenses de santé (voir plus bas) ont modifié considérablement la manière dont la santé est organisée, financée et administrée et se sont traduites, dans certains pays, par un rationnement des soins de santé, ce qui a également d’importantes implications pour l’accessibilité des soins.

3.1.1. Critères d’éligibilité et portée limitée des prestations

16. De nombreux systèmes de santé soumettent le bénéfice des soins de santé à des critères d’éligibilité tels qu’un un contrat de travail ou une résidence régulière. Or, les chômeurs, les Roms et les migrants rencontrent souvent des difficultés pour accéder au marché du travail et se trouvent donc désavantagés par rapport à l’accès aux soins de santé. Par exemple en Bulgarie, 46 % des Roms n’auraient aucune assurance maladie parce qu’ils ne remplissent pas les critères d’éligibilité 
			(13) 
			«Addressing inequities
in access to health care for vulnerable groups in countries of Europe
and central Asia», Xenia Scheil-Adlung et Catharina Kuhl, Social
Security Department, International Labour Office, 2011.. En avril 2012, en Espagne, une nouvelle loi a été mise en vigueur par un décret royal et l’accès aux soins de santé des personnes qui n’ont pas d’emploi est désormais plus difficile. Cela est également le cas en Grèce, sachant qu’on continue de bénéficier d’une couverture pendant l’année qui suit la perte de l’emploi. La conséquence en est que des centaines de milliers de chômeurs et de migrants sans papiers n'ont quasiment pas accès aux soins de santé.
17. La portée limitée des prestations constitue aussi un obstacle à l’accès aux soins. L’exemple type concerne les soins dentaires qui, dans plusieurs pays, sont exclus des forfaits de remboursement (par exemple en Belgique, au Danemark, en Grèce, au Portugal et en Suisse). L’exclusion de certaines prestations se traduit par une obligation pour les patients de les prendre en charge selon leurs propres moyens et entrave ainsi l’accès aux soins pour les populations démunies.

3.1.2. Barrières financières

18. Comme précisé plus haut, dans tous les systèmes de santé il existe des frais à la charge des patients, qu’on appelle parfois «des restes à charge». Il s’agit d’une contribution imposée au patient, une somme dont il doit s’acquitter pour pouvoir bénéficier du service concerné (consultation, médicament), couvert pour le reste par le système de santé. Si le niveau de cette contribution varie d’un pays à l’autre, l’absence de protection financière contre les sommes non prises en charge peut en effet considérablement limiter la possibilité d’accéder aux soins pour les catégories vulnérables, par exemple les pensionnés disposant de bas revenus, les malades chroniques, etc. Une enquête publiée par le centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie en juillet 2010 montre qu’un Français sur sept, soit environ 14 % de la population, doit s’imposer des restrictions budgétaires en matière de soins médicaux, du fait de leurs coûts. En Géorgie, les frais qui restent à la charge des patients représenteraient quelques 74,7 % du total des dépenses de santé, ce qui pourrait conduire à des dépenses de santé exorbitantes qui dépassent 40 % du revenu d’un ménage.
19. A cet égard, il convient de souligner que selon le Comité européen des droits sociaux, le droit à l’accès aux soins de santé implique que le coût des soins ne représente pas une charge trop lourde pour les individus. Aussi, le Comité préconise la mise en place de mesures visant à atténuer les effets de la participation financière des patients parmi les catégories défavorisées de la population 
			(14) 
			Conclusions XVII-2,
Portugal..

3.1.3. Barrières géographiques

20. Les disparités géographiques en termes d’accessibilité des services constituent également un obstacle à l’accès aux soins. Ces disparités peuvent être dues notamment à l’absence d’un établissement de santé à proximité du domicile du patient, au manque de moyens de transport entre le domicile et l’établissement de santé le plus proche, ainsi qu’au temps et au coût du voyage pour le rejoindre. A cet égard, on constate une démarcation claire entre villes et campagnes. Dans l’Union européenne, dans les zones rurales, le nombre de personnes qui dénoncent des problèmes d’accès aux soins médicaux en raison de la distance à parcourir pour rejoindre un hôpital est deux fois plus important que dans les zones urbaines. En 2009, en Ukraine, 30 % des ménages des zones rurales ont déclaré ne pas pouvoir accéder aux services de soins primaires, aux centres médicaux, aux dispensaires et aux pharmacies 
			(15) 
			Voir note de bas de
page n° 14.. Une mauvaise distribution des médecins disponibles est également un problème à souligner dans ce contexte. En France par exemple, on trouve 458 médecins pour 100 000 citadins contre seulement 122 pour 100 000 ruraux 
			(16) 
			Toutefois, en France,
ce phénomène dit de «déserts médicaux» touche également les zones
urbaines dans la mesure où dans certains quartiers parisiens ou
dans certaines grandes villes, il est très difficile de trouver
un généraliste à tarif opposable (tarif remboursé par l’assurance
maladie)..

3.1.4. Barrières linguistiques

21. L’impossibilité ou la difficulté de communication avec le personnel médical constitue une barrière importante dans l’accès aux soins de santé, notamment pour les migrants qui n’ont pas une maîtrise suffisante de la langue du pays hôte, mais aussi pour les personnes souffrant d’incapacités sensorielles. Contrairement à ce que l’on peut penser, il ne s’agit pas seulement des migrants «récents» ou des femmes migrantes au foyer qui vivent dans des conditions particulièrement isolées dans le pays hôte, mais également des personnes âgées issues de l’immigration et des migrants atteints d’un handicap intellectuel 
			(17) 
			Voir note de bas de
page n° 12..
22. Les barrières linguistiques perturbent le processus de consultation médicale du début à la fin, y compris la possibilité d’établir une relation de confiance entre le patient et le médecin. En plus des difficultés que cela crée pour le patient pour donner un consentement libre et éclairé aux interventions qui sont susceptibles de lui être proposées, la difficulté ou l’impossibilité de comprendre de quoi se plaint le patient conduit souvent le personnel médical à multiplier les examens – qui ne sont pas forcément adéquats ou nécessaires – afin d’identifier le problème. Dans certains cas, les barrières linguistiques peuvent aller jusqu’à causer un danger public, comme par exemple lorsqu’un patient atteint de tuberculose ne comprend pas qu’il doit suivre son traitement pendant plusieurs mois.

3.1.5. Corruption

23. La corruption dans le secteur de la santé publique est un autre élément important à prendre en considération dans l’examen des inégalités d’accès aux soins de santé. Celle-ci se manifeste sous diverses formes, dont notamment des paiements officieux aux professionnels de santé, à savoir le versement de pots-de-vin pour, entre autres, échapper aux longues listes d’attente (pour une consultation ou une intervention médicale) ou, pire encore, simplement pour recevoir des soins. Quel que soit l’objectif visé, et mis à part les autres effets désastreux de la corruption en général, la pratique du pot-de-vin crée une inégalité d’accès aux soins de santé, au détriment des personnes qui ont peu de moyens. Sur ce dernier point, il est intéressant de noter que d’après les études qui ont été portées à l’attention du Groupe d’experts contre la corruption (GRECO), l’accès aux soins de santé est un des domaines où la corruption pourrait avoir un impact potentiellement différencié sur les hommes et les femmes. En conséquence, le GRECO a soutenu que les études nationales menées sur la corruption en tant qu’obstacle à l’égalité d’accès aux soins incluent la perspective de genre.
24. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme a noté que la faiblesse des salaires des professionnels de la santé, associée à un manque de formation déontologique, à un système de financement par le Système national de santé dénué de transparence et à un budget insuffisant des centres médicaux constituaient un terreau fertile pour la corruption dans le secteur de la santé 
			(18) 
			Pratiques de bonne
gouvernance pour la protection des droits de l’Homme, Haut-Commissariat
des Nations Unies aux droits de l’Homme, New York et Genève, 2007.. Si la prévalence de celle-ci varie d’un Etat membre à l’autre, les statistiques concernant les Etats membres de l’Union européenne ne sont pas réjouissantes. En effet, selon un rapport récent de European Health Care Fraud and Corruption Network, sur les mille milliards d’euros dépensés dans les services de santé au sein de l’Union européenne, 56 milliards d’euros disparaissent en raison de la fraude et de la corruption.

3.1.6. Autres barrières

25. L’ignorance des droits ainsi que des règles relatives aux systèmes de santé est un autre facteur conduisant à des inégalités d’accès aux soins de santé. A ce dernier égard, Médecins du Monde note que 60 % de l’ensemble des patients qui fréquentent leurs cliniques ne savent pas où aller pour être vaccinés 
			(19) 
			«Accès aux soins en
Europe en temps de crise et de montée de la xénophobie, Médecins
du Monde», avril 2013..
26. Par ailleurs, des procédures administratives trop complexes et une bureaucratie excessive pour pouvoir bénéficier des soins (par exemple la présentation de documents d’identité valides, de preuves de résidence, de preuves d’absence de revenus suffisants, les enquêtes à domicile, etc.) ont tendance à créer de nouveaux obstacles dans l’accès aux soins de santé, notamment pour les groupes vulnérables.

3.2. Facteurs socio-économiques

27. Une étude réalisée dans les pays en développement 
			(20) 
			Dépenses de santé et
équité dans l’accès aux services de santé dans les pays en développement,
Jean-Claude Berthélemy et Juliette Seban, Université Paris 1, Centre
d’Economie de la Sorbonne, 2009. montre que l’accès aux services de santé est fortement influencé par les caractéristiques socio-économiques des ménages et, notamment, par l’éducation des mères. A cet égard, les auteurs de l’étude suggèrent qu’une politique de généralisation de l’éducation des filles pourrait contribuer à améliorer significativement l’accès à la santé pour les pauvres.
28. Les facteurs socio-économiques jouent aussi un rôle important dans les inégalités de santé. En effet, les statistiques concernant le taux de mortalité et l’état de santé des Européens font état d’inégalités substantielles, tant entre les pays qu’entre les différents groupes socio-économiques à l’intérieur d’un même pays. Ainsi par exemple, en 2009, l’espérance de vie à la naissance était de 82 ans en Suisse (80 pour les hommes et 84 pour les femmes), alors qu’elle était seulement de 68 ans en Russie (62 pour les hommes et 74 pour les femmes) 
			(21) 
			Statistiques
sanitaires mondiales, OMS, 2012. . L’espérance de vie à la naissance pour les hommes est de 54 ans à Calton, un quartier pauvre de Glasgow (Ecosse), alors qu’à Lenzie, distant de quelques kilomètres à peine, elle est de 82 ans 
			(22) 
			OMS, Combler le fossé
en une génération. Instaurer l’équité en santé en agissant sur les
déterminants sociaux de la santé, Rapport 2008..
29. Cette situation ne peut pas s’expliquer que par des inégalités d’accès aux soins de santé. Ce sont notamment les facteurs socio-économiques comme le revenu, l’emploi, l’éducation, les conditions de vie et de travail, répartis de manière inégale au sein de la population, qui sont à l’origine de telles disparités. Selon les experts de l’OMS, les populations défavorisées cumulent les handicaps: «éducation médiocre, manque d’équipements sociaux, chômage et insécurité de l’emploi, mauvaises conditions de travail et quartiers dangereux, en plus de leurs répercussions sur la vie de famille», et ils ajoutent que «cette disparité n’est en aucun cas un phénomène “naturel”, elle est le résultat de politiques qui priment les intérêts de certains par rapport à ceux des autres, le plus souvent les intérêts d’une minorité puissante et riche par rapport aux intérêts d’une majorité démunie. 
			(23) 
			Ibid.»

3.3. Politiques migratoires et sécuritaires

30. En Europe, la tendance à des politiques migratoires et sécuritaires de plus en plus sévères visant à dissuader en particulier les Roms et les migrants sans-papiers, constitue également un facteur conduisant à des inégalités d’accès aux soins. Dans ce contexte, les expulsions répétées des Roms en France ont conduit à une quasi-impossibilité pour une partie de cette population d’accéder à des soins de santé. De même, l’obligation faite aux professionnels de santé et/ou aux fonctionnaires publics de signaler les migrants en situation irrégulière décourage nombre d’entre eux de se manifester aux autorités sanitaires par peur d’être dénoncés puis renvoyés dans leur pays d’origine.
31. Ces politiques ont également des répercussions sur les systèmes de santé. Ainsi, par exemple, en Espagne, depuis le 1er septembre 2012, les migrants sans-papiers sont exclus de la majeure partie du système de santé publique 
			(24) 
			Désormais,
pour les adultes migrants en situation irrégulière, l’assistance
universelle est limitée aux seuls cas d’urgence pour maladie ou
accident et aux soins de maternité, tandis que l'assistance sanitaire
aux moins de 18 ans seront encore assurés gratuitement., alors que la législation prévoyait auparavant l’accès aux soins pour tous les résidents, quel que soit leur statut.
32. Comme le constate le réseau HUMA (Health for Undocumented Migrants and Asylum seekers) «le discours sur les droits des migrants en situation irrégulière est constamment en lien avec celui concernant la lutte contre “l’immigration illégale” et aucun débat ne porte sur la nécessité de protéger, ne serait-ce que pour des raisons de santé publique, la santé de ces personnes» 
			(25) 
			Les personnes sans
autorisation de séjour et les demandeurs d’asile ont-ils droit aux
soins dans l’Union européenne ? Synthèse d’une étude sur les législations
de 16 pays, Health for Undocumented Migrants and Asylum seekers
(HUMA) Network, novembre 2010.. En effet, les politiques migratoires et sécuritaires en question mettent la vie des personnes concernées en danger et les stigmatisent davantage, mais constituent également un vrai problème de santé publique dans le cas des maladies transmissibles, l’impossibilité d’accéder à des soins ou le recours tardif à ceux-ci exposant la population entière à une éventuelle contamination.

4. Les systèmes de santé européens face à la crise économique

33. Aujourd’hui, l’allongement de la vie grâce, notamment, aux avancées médicales est accompagné d’une augmentation drastique des maladies chroniques (maladies cardio-vasculaires et respiratoires, diabète, cancer, etc.) et neuro-dégénératives (Alzheimer et autres formes de démence), ainsi que de l’apparition de nouvelles pathologies. Si les progrès de la médecine permettent de développer des traitements de plus en plus pointus pour pouvoir répondre à ces défis, leur financement demeure néanmoins hautement coûteux. En conséquence, les besoins en soins ont explosé au cours des dernières décennies. Face à cette pression financière croissante, la viabilité des systèmes de santé européens a été mise à l’épreuve et de nombreux Etats se sont engagés dans des réformes afin d’accroître l’efficience de leur système de santé.
34. La situation a été accentuée récemment par la crise économique, qui a un double effet sur les systèmes de santé. D’une part, les mesures d’austérité adoptées par les gouvernements conduisent à un recul des dépenses publiques, y compris de santé. D’autre part, la crise a d’importantes répercussions sur les déterminants socio-économiques de la santé, tels que l’accès à un emploi ou à un logement, notamment pour les groupes vulnérables, ce qui pourrait se traduire par une augmentation des besoins en terme de soins. Un article publié récemment par The Lancet, qui analyse les effets de la crise à partir d’études et de statistiques nationales, vient confirmer cette éventualité. Ainsi, au Royaume-Uni, l’étude constate que la hausse du taux de suicides entre 2008 et 2010 est liée notamment à la hausse du chômage, qui a entraîné 1 000 décès supplémentaires. En Espagne, les maladies mentales se sont substantiellement accrues entre 2006 et 2010 et il est estimé qu’au moins la moitié de ces maladies est due au chômage et à la difficulté de payer des hypothèques 
			(26) 
			«Financial crisis,
austerity, and health in Europe», The
Lancet, Early online publication, 27 mars 2013, Marina Karanikolos,
Philipa Mladowsky, Jonathan Cyclus, Sarah Thompson, Sanjay Basu,
David Stuckler, Johan Mackenbach et Martin McKee..
35. Une étude publiée récemment par l’OMS 
			(27) 
			WHO, Health policy
responses to the financial crisis in Europe, Policy Summary 5, 2012. constate que, pour adapter leurs systèmes de santé aux exigences de la crise, les Etats ont mené des politiques très variées que l’on peut rassembler en trois groupes: des politiques visant à changer le niveau des contributions au financement des services de santé, notamment à travers des coupes budgétaires et l’augmentation ou l’instauration de frais à la charge des patients; des politiques visant à changer l’étendue et la qualité des services; des politiques visant à influencer le coût des soins, notamment à travers la réduction du prix des biens médicaux et la réduction ou le gel des salaires des professionnels de santé, ainsi que la promotion de l’usage rationnel des médicaments. Dans la plupart des pays, l’étendue de la couverture ainsi que de la population couverte n’a pas radicalement changé. Toutefois, plusieurs pays 
			(28) 
			Les pays
concernés sont : l’Arménie, le Danemark, l’Estonie, la France, la
Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, les Pays-Bas, le Portugal,
la Roumanie, la Fédération de Russie, la Slovénie, la Suisse, la
République tchèque, et la Turquie. ont instauré des frais à la charge des patients ou augmenté leur niveau, pour les services de santé essentiels. Cela risque d’affecter de manière disproportionnée l’accès aux soins des groupes vulnérables, tels que les personnes à faible revenu, les sans-emploi et les migrants, ainsi que les utilisateurs réguliers de ces services, tels les patients souffrant de maladies chroniques. Les auteurs de l’étude notent que, à long terme, ce type de mesures pourrait conduire à une augmentation des dépenses de santé en raison du coût des services liés au recours tardif aux traitements (l’aggravation de l’état clinique nécessitant des soins plus coûteux).
36. Comme déjà souligné plus haut (voir paragraphe 32), les problèmes d’accès aux soins et le recours tardif aux traitements pourront avoir une autre conséquence, de nature non pas économique mais sans doute beaucoup plus catastrophique, à savoir le risque de santé publique lié à l’exposition éventuelle de la population à des maladies transmissibles ou à l’utilisation de médicaments contrefaits.

5. Impact de la crise économique sur l’accès aux soins de santé: exemple de la Grèce 
			(29) 
			Les informations fournies
dans ce chapitre ont été collectées lors de la visite d’information
effectuée à Athènes (Grèce), les 12-13 avril 2013. En l’absence
du rapporteur pour des raisons de santé, c’est la Présidente de
la commission des affaires sociales, de la santé et du développement
durable, Mme Liliane Maury Pasquier (Suisse, SOC), qui a effectué
la visite. Mme Maury Pasquier a échangé avec les représentants des
autorités nationales, de la société civile et des organisations
non-gouvernementales.

37. La Grèce est un des pays les plus touchés par la crise économique qui frappe actuellement l’Europe. En échange de «plans de sauvetage financier», le gouvernement a adopté des mesures d’austérité drastiques, exigées par la troïka, réunissant la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international. Ces mesures ont touché tous les secteurs mais surtout celui de la santé, où les coupes budgétaires ont été très importantes. On parle désormais d’une crise sanitaire voire humanitaire touchant de plus en plus de personnes dont, notamment, les sans-emploi, les migrants, les réfugiés, les Roms, les femmes et les enfants.
38. Le système grec de couverture médicale publique est basé sur l’emploi. Aussi, mis à part quelques exceptions, seules les personnes qui ont un emploi et celles qui sont au chômage depuis moins d’un an peuvent bénéficier d’une couverture médicale. Dans un pays où le taux de chômage a atteint les 27 % pour l’ensemble de la population (il a dépassé les 60 % pour les jeunes), un système d’assurance basé sur l’emploi a pour conséquence d’exclure une très grande partie de la population de l’accès aux soins de santé. Même pour la population couverte, une somme de 5 € est exigée pour chaque visite à l’hôpital, sachant que les examens requis lors de la consultation sont également payants.
39. Les coupes budgétaires ont affecté notamment les hôpitaux publics qui souffrent de ruptures de stock pour certain matériel médical de base, tel que seringues, compresses, gants en latex ou fils de suture et il arrive que le personnel médical se voie obligé de demander aux patients d’acheter eux-mêmes ce matériel. Les difficultés liées à la particularité géographique de la Grèce (composée de centaines d’îles) ont empiré avec la crise. Les îles sont touchées notamment par un manque d’effectifs: de nombreuses petites îles n’ont pas de médecin et d’autres «partagent» un seul médecin avec d’autres îles. Les grandes îles souffrent quant à elles de manque de médecins spécialistes. On observe une augmentation importante du nombre de porteurs du virus VIH et des cas de tuberculose resurgissent sur le territoire (même si cela reste isolé). Les vaccins ne sont plus gratuits et, sans vaccination, les enfants ne sont pas acceptés dans les écoles.
40. La situation des migrants ne cesse d’empirer. Avec la crise, ils sont nombreux à avoir perdu leur travail et être tombés dans l’irrégularité, perdant par la même occasion leur accès aux soins de santé. Le problème des flux de migration mixte irrégulière vers la Grèce constitue un vrai défi pour le gouvernement. En 2012, celui-ci a dépensé 120 millions d’euros pour améliorer l’accès aux soins de santé des migrants en situation irrégulière, dont le nombre est aujourd’hui estimé à plus d’un million. Des centres spéciaux ont été mis en place pour recevoir ces migrants. Dans ces centres, un premier examen médical est effectué pour chaque nouvel arrivant qui, le cas échéant, est renvoyé à l’hôpital public pour recevoir les soins appropriés. L’accès à des soins de base est assuré pendant toute la durée du séjour dans les centres.
41. Selon la réglementation en vigueur, toute personne a accès à des soins d’urgence gratuits. Toutefois, dans la pratique, cette exigence n’est pas toujours respectée. A cet égard, la situation des femmes enceintes qui n’ont pas de couverture médicale est particulièrement inquiétante. En effet, si elles sont acceptées dans les services d’urgence au moment de l’accouchement, elles se voient ensuite obligées d’en payer les frais qui varient entre 800 et 1 200 euros. Des cas d’hôpitaux qui ont refusé de délivrer le certificat de naissance des nouveau-nés ou même de laisser le nouveau-né quitter l’hôpital tant que les frais d’accouchement n’étaient pas payés ont été mentionnés.
42. Les ONG signalent une augmentation alarmante du nombre d’usagers qui ont recours à leurs services, parmi lesquels des citoyens grecs qui sont majoritairement des personnes souffrant de maladies chroniques. En raison de la réduction des salaires et de l’augmentation des contributions exigées pour les médicaments (25 % du prix total), même les personnes qui ont une couverture médicale n’arrivent pas à payer leurs médicaments. Face à une demande croissante, Médecins du Monde délivre désormais des médicaments sur seule présentation d’une ordonnance, alors qu’il exigeait une consultation préalable auparavant.
43. Par ailleurs, un véritable système de santé parallèle, fonctionnant entièrement sur la base de la solidarité et du bénévolat, a vu le jour, grâce aux citoyens grecs eux-mêmes. Le dispensaire médical gratuit d’Hellenikon, où des dizaines de médecins volontaires travaillent, en est un exemple. Créé en 2011, le dispensaire accueille notamment les patients qui n’ont pas de couverture médicale et collecte des médicaments qu’il distribue ensuite à ses patients.
44. Le ministère de la santé a entamé des réformes fondamentales visant à améliorer la gestion et la viabilité du système de santé et à garantir l’accès universel aux soins de santé primaires. Dans ce contexte, il est également envisagé de renforcer le filet social de sécurité pour garantir l’accès aux soins de santé des groupes les plus vulnérables. En 2013-2014, il est notamment prévu d’introduire un «ticket de santé» pour garantir l’accès aux soins de 200 000 personnes (non couvertes par l’assurance maladie). Ce projet est financé par l’Union européenne.
45. Enfin, des actes xénophobes et racistes contre des réfugiés et des migrants ont pris un essor inquiétant. Par ailleurs, les demandeurs d’asile et les réfugiés, originaires de certains pays et bénéficiant d’une couverture médicale limitée en raison de leur statut, affirment avoir été ignorés et/ou maltraités par le personnel de santé.

6. Conclusions

46. Afin de garantir le droit fondamental à la santé, l’Assemblée devrait recommander que toute personne vivant en Europe puisse bénéficier de l’égalité d’accès aux soins de santé quels que soient ses moyens financiers, son statut de séjour et son lieu de résidence. Aussi, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire et supprimer les inégalités d’accès aux soins. Pour identifier les inégalités de santé et d’accès aux soins de santé, ainsi que les facteurs conduisant à ces inégalités, les Etats devraient recueillir des données fiables concernant l’état de santé et l’utilisation des services de santé par les personnes vivant sur leur territoire.
47. En ce qui concerne les facteurs liés au système de santé, les Etats devraient réduire les frais à la charge des patients en tenant compte des couches les plus démunies de la société et assurer l’accessibilité aux établissements de santé et aux professionnels de santé compétents sur l’ensemble du territoire. Ils devraient également renforcer l’aide linguistique gratuite dans les établissements de soins de santé, ce à tous les stades de l’offre des services (consultation, communication des informations médicales, etc.). Ceci inclut les services de traduction et de médiation pour les personnes qui ne parlent ou ne comprennent pas la langue, la langue des signes et d’autres formes de soutien aux personnes atteintes d’incapacités sensorielles et intellectuelles.
48. Les Etats devraient aussi assurer l’accessibilité des informations relatives au système de santé, y compris aux programmes de vaccination et de dépistage, notamment pour les groupes défavorisés, et dispenser des programmes d’éducation à la santé.
49. Les Etats devraient également s’attaquer aux facteurs socio-économiques de la santé, dont notamment l’accès à l’emploi et à un logement. Ceci est d’autant plus important dans le contexte actuel de la crise économique qui frappe l’Europe. Celle-ci ne devrait, en aucun cas, être utilisée comme une excuse donnant carte blanche aux gouvernements pour procéder à des mesures de régression au mépris du droit fondamental à la santé et en particulier au détriment des groupes vulnérables, qui sont d’ailleurs souvent les plus touchés par les crises économiques. La crise devrait être considérée comme une opportunité pour repenser les systèmes de santé et augmenter leur efficience.
50. Enfin, les considérations sanitaires et humanitaires devraient primer sur toute autre considération. Aussi, les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient dissocier leur politique en matière de sécurité et leur politique de l’immigration de celle en matière de santé.