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Résolution 1941 (2013) Version finale

Demande d’ouverture d’une procédure de suivi pour la Hongrie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 juin 2013 (22e séance) (voir Doc. 13229, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), rapporteure: Mme Lundgren). Texte adopté par l’Assemblée le 25 juin 2013 (22e séance).

1. L’Assemblée parlementaire prend note du rapport sur la demande d’ouverture d’une procédure de suivi à l’égard de la Hongrie, qui a été établi à la suite de la proposition de résolution «Graves revers dans le domaine de la prééminence du droit et des droits de l’homme en Hongrie» (Doc. 12490). Elle prend note de l’avis du Bureau de l’Assemblée qui n’est pas favorable à l’ouverture d’une procédure de suivi à l’égard de la Hongrie. De ce point de vue, l’Assemblée salue la poursuite du dialogue régulier entre la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et le Gouvernement hongrois.
2. La Constitution et les lois organiques y afférentes sont le fondement du fonctionnement juridique et démocratique d’un pays. Elles établissent les règles démocratiques de base et le cadre pour la protection des droits de l’homme de ses citoyens et pour le respect de l’Etat de droit. Du point de vue de l’Assemblée, le cadre constitutionnel doit donc être stable et s’appuyer sur une large acceptation de la société et un vaste consensus politique. A l’issue des élections de 2010, une coalition a remporté une majorité de plus des deux tiers au Parlement hongrois, ce qui, du point de vue des normes européennes communes, lui confère une légitimité suffisante pour amender la Constitution.
3. L’Assemblée note que le nouveau Parlement hongrois a, pour la première fois dans l’histoire de la Hongrie libre et démocratique, amendé son ancienne Constitution – héritée d’un parti unique –, pour en faire une nouvelle Loi fondamentale moderne, à l’issue d’une procédure démocratique et d’intenses débats au parlement, et avec des contributions de la société civile hongroise.
4. L’Assemblée appuie l’avis de la Commission de Venise en relevant que le nombre de sujets soumis à une majorité des deux tiers n’a pas augmenté depuis l’adoption de la nouvelle Loi fondamentale. Afin que l’application de ces lois bénéficie du soutien le plus large possible dans la société civile, l’Assemblée appelle la majorité au pouvoir et tous les partis d’opposition à poursuivre leur coopération sur ces questions.
5. Un cadre constitutionnel devrait se fonder sur des valeurs largement acceptées dans la société. L'Assemblée note que plusieurs dispositions préoccupent une partie de la société hongroise. Ces dispositions se fondent toutefois sur des valeurs européennes traditionnelles, sont énoncées dans les Constitutions de nombreux autres pays européens et ont été adoptées par la majorité démocratique des deux tiers du Parlement hongrois. Cette situation porte atteinte à la légitimité démocratique et à l’acceptabilité sociale du cadre constitutionnel, ce qui est source de préoccupation.
6. L’Assemblée est profondément inquiète de l’érosion de l’équilibre démocratique entre les différents pouvoirs, qui résulte du nouveau cadre constitutionnel en Hongrie. Ce nouveau cadre a introduit une concentration excessive des pouvoirs, accru les pouvoirs discrétionnaires et réduit à la fois l’obligation de nombreuses institutions de l’Etat et d’organismes réglementaires de rendre compte, et le contrôle légal auxquels ils sont soumis. 
7. Pour l’Assemblée, la réduction des pouvoirs et des compétences de la Cour constitutionnelle, qui est une institution importante d’équilibrage et de stabilisation du système politique en Hongrie, est une preuve supplémentaire de l’érosion du système de séparation des pouvoirs dans ce pays. Dans ces circonstances, le fait que la coalition au pouvoir ait utilisé sa majorité des deux tiers au parlement pour passer outre des décisions de la Cour constitutionnelle et réintroduire dans la Constitution des dispositions qui avaient été invalidées par cette cour a suscité des inquiétudes.
8. Entre mai 2010 et l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi fondamentale, le 1er janvier 2012, l’ancienne Constitution a été modifiée 12 fois. Depuis cette date, la nouvelle Loi fondamentale a déjà été modifiée à quatre reprises, la dernière fois dans des proportions considérables. La modification incessante de la Constitution au nom d’intérêts politiques partisans étroits porte atteinte à la stabilité dont a besoin le cadre constitutionnel. De plus, l’Assemblée tient à souligner que la principale raison justifiant qu’une majorité qualifiée des deux tiers soit requise en matière constitutionnelle est de protéger le cadre constitutionnel de modifications frivoles par un parti au pouvoir et de garantir que la Constitution est fondée sur le consensus le plus large possible entre l’ensemble des forces politiques en ce qui concerne les fondements juridiques et démocratiques de l’Etat. Le fait de disposer d’une majorité des deux tiers ne dégage jamais un parti ou une coalition au pouvoir de l’obligation de rechercher un consensus et de respecter les vues et intérêts de la minorité, et d’en tenir compte. La tentative de la coalition gouvernementale en Hongrie d’utiliser sa majorité exceptionnelle des deux tiers pour faire passer en force des réformes était contraire à ces principes démocratiques.
9. L’Assemblée déplore l’adoption récente de ce qui est appelé le «quatrième amendement » à la Constitution en dépit des recommandations de nombreux experts nationaux et internationaux, et à l’encontre de l’avis explicite des partenaires internationaux de la Hongrie. Le fait que ce quatrième amendement comporte intentionnellement plusieurs dispositions précédemment déclarées inconstitutionnelles par la Cour constitutionnelle hongroise et/ou épinglées comme contraires aux normes et principes européens par la Commission de Venise est inacceptable et amène à s’interroger sur la volonté des autorités en place de respecter les normes et standards européens.
10. L’Assemblée prend acte de l’avis de la Commission de Venise sur le quatrième amendement constitutionnel; les conclusions et les constatations qu’il contient confirment les préoccupations exprimées par l’Assemblée dans la présente résolution, ainsi que dans le rapport de la commission de suivi. Elle exhorte les autorités hongroises, en étroite coopération avec la Commission de Venise, à répondre pleinement à ces préoccupations et à mettre en œuvre les recommandations contenues dans l’avis.
11. Les analyses de la Constitution et de plusieurs lois cardinales effectuées par des experts de la Commission de Venise et du Conseil de l’Europe soulèvent un certain nombre de questions quant à la compatibilité de certaines dispositions avec les normes et standards européens, y compris avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’Assemblée appelle les autorités hongroises à poursuivre leur dialogue ouvert et constructif avec la Commission de Venise et avec toutes les autres institutions européennes.
12. De plus, l’Assemblée appelle les autorités hongroises, en ce qui concerne:
12.1. la loi sur la liberté de religion et le statut des Eglises:
12.1.1. à supprimer des compétences du parlement, qui est par nature un organe politique, le droit de reconnaître à un groupe confessionnel le statut d’Eglise et à veiller à ce que ce type de décision soit pris par une autorité administrative impartiale, sur la base de critères juridiques clairs;
12.1.2. à définir, pour la reconnaissance d’une Eglise, des critères juridiques clairs qui soient pleinement conformes aux normes internationales, notamment à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
12.1.3. à prévoir une possibilité d’appel contre toute décision d’accepter ou de rejeter une demande de reconnaissance en tant qu’Eglise devant une juridiction ordinaire, aussi bien sur le fond que pour des motifs de procédure;
12.2. la loi sur l’élection des membres du parlement:
12.2.1. à veiller à ce que le découpage des circonscriptions électorales soit établi par une autorité indépendante, sur la base de critères juridiques clairs;
12.2.2. à veiller à ce que les limites mêmes des circonscriptions ne soient pas fixées par la loi, en particulier par une loi cardinale. En outre, l’Assemblée recommande aux autorités de s’efforcer de parvenir à un large consensus entre tous les partis politiques au sujet de la formule des «compensations» attribuées et de permettre aux électeurs appartenant à des minorités de choisir jusqu’au jour du scrutin s’ils veulent voter pour un parti ordinaire ou pour une liste minoritaire. L’Assemblée note que, en adoptant la loi sur l’élection des membres du parlement, les autorités ont répondu aux recommandations de la Commission de Venise et à la décision de la Cour constitutionnelle concernant le problème des écarts de taille entre circonscriptions;
12.3. la loi sur la Cour constitutionnelle:
12.3.1. à supprimer la limitation des compétences de la Cour constitutionnelle en matière économique;
12.3.2. à supprimer de la Constitution l’interdiction faite à la Cour constitutionnelle de se référer à sa jurisprudence antérieure au 1er janvier 2012;
12.3.3. à introduire une période de pause obligatoire pour les membres du parlement, à l’instar de ce qui existe déjà pour les membres du gouvernement, les dirigeants de partis politiques et les dirigeants de l’Etat, entre la fin du mandat politique et la prise de nouvelles fonctions, avant qu’ils ne soient éligibles en tant que juge à la Cour constitutionnelle;
12.4. les lois relatives au système judiciaire, nonobstant les améliorations apportées aux lois concernées en coopération avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe:
12.4.1. à retirer des compétences reconnues au président de l’Office national de la justice la possibilité de transférer des affaires;
12.4.2. à retirer de la loi la possibilité reconnue au président de l’Office national de la justice d’annuler le résultat de concours de nomination de juges;
12.4.3. à prévoir, dans la loi, que toutes les décisions du président de l’Office national de la justice puissent faire l’objet d’un recours devant les tribunaux, aussi bien sur le fond que pour des motifs de procédure;
12.5. la législation applicable aux médias:
12.5.1. à annuler les conditions fixées pour l’enregistrement des médias de la presse écrite et de la presse en ligne;
12.5.2. à séparer, fonctionnellement et juridiquement, le Conseil des médias de l’Autorité des médias;
12.5.3. à prévoir, dans la loi, que toutes les décisions du Conseil des médias ou de l’Autorité des médias puissent faire l’objet d’un recours devant les tribunaux, aussi bien sur le fond que pour des motifs de procédure.
13. L’Assemblée considère que chacun des sujets de préoccupation exposés ci-dessus est, en soi, grave en termes de démocratie, de prééminence du droit et de respect des droits de l’homme. Pris séparément, chacun mériterait déjà un examen approfondi par l’Assemblée. En fait, ce qui est frappant en l’espèce, c’est l’accumulation de réformes visant à établir un contrôle politique sur la plupart des institutions essentielles tout en affaiblissant le système d’équilibre des pouvoirs.
14. En adhérant au Conseil de l’Europe, la Hongrie s’est volontairement engagée à respecter les normes les plus exigeantes possibles en matière de fonctionnement des institutions démocratiques, de protection des droits de l’homme et de respect de la prééminence du droit. Malheureusement, les développements exposés ci-dessus suscitent de profondes et vives inquiétudes quant à la mesure dans laquelle le pays satisfait encore à ces obligations. L’Assemblée décide toutefois de ne pas ouvrir de procédure de suivi à l’égard de la Hongrie, mais de suivre de près l’évolution de la situation en Hongrie et de dresser le bilan des progrès accomplis dans la mise en œuvre de la présente résolution.