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Rapport | Doc. 13258 | 26 juin 2013

Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d'expression

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Arcadio DÍAZ TEJERA, Espagne, SOC

Origine - Renvoi en commission: Débat d’urgence, Renvoi 3975 du 24 juin 2013. 2013 - Troisième partie de session

Résumé

Le droit des individus de manifester contre les gouvernements démocratiquement élus est aussi légitime que le droit des gouvernements concernés de ne pas changer leur politique face à la contestation. Les manifestations se déroulent souvent de façon non organisée, les participants se coordonnent entre eux au moyen des médias sociaux.

Le 31 mai 2013, une manifestation pacifique organisée par des opposants à un projet de construction d’un centre commercial à Gezi Park à Istanbul a débouché sur une intervention musclée des forces de l’ordre et provoqué un mouvement de protestation populaire sans précédent en Turquie.

Le rapport déplore les récents cas de recours excessif à la force pour disperser les manifestants et réitère son appel aux autorités de veiller à ce que l’action de la police, si elle est nécessaire, reste proportionné et appelle instamment les Etats membres du Conseil de l'Europe, le cas échéant, à prendre les mesures nécessaires pour mettre leur législation en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en matière de liberté d’expression, de liberté des médias et de liberté de réunion.

A. Projet de résolution 
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			Projet
de résolution adopté par la commission le 26 juin 2013.

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1. De nombreux pays européens (et non européens) ont connu des mouvements de protestation populaire ces derniers temps. Des manifestations se déroulent souvent de façon non organisée, dont les participants se coordonnent entre eux au moyen des médias sociaux. Le droit des individus de manifester contre les gouvernements démocratiquement élus est aussi légitime que le droit des gouvernements concernés de ne pas changer leur politique face à la contestation.
2. Des manifestations de ce type ont eu lieu dans plusieurs villes et pays d’Europe au cours de la dernière année. Dans tous les cas, les protestations ont été tout d’abord pacifiques, même si, parfois, des petites minorités se sont livrées à des violences. Dans certains cas, les réactions des autorités publiques et l’action des forces de l’ordre ont été disproportionnées.
3. Récemment, le 31 mai 2013, une manifestation pacifique organisée par des opposants à un projet de rénovation urbaine à Istanbul a débouché sur une intervention musclée des forces de l’ordre et provoqué un mouvement de protestation populaire sans précédent en Turquie. Dans des dizaines de villes du pays, des centaines de milliers de personnes ont exprimé leur désaccord avec l’attitude des autorités et pris part à des manifestations. Dans de nombreuses villes, ces manifestations ont donné lieu à des confrontations violentes avec les forces de l’ordre, marquées par le recours systématique au gaz lacrymogène (gaz poivre), aux canons à eau et, dans certains cas, aux tirs de balles en caoutchouc. L’Assemblée déplore que le bilan s’élève à quatre morts, dont un policier, et presque 8 000 blessés.
4. L’Assemblée soutient la déclaration du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe le 25 juin, y compris la nécessité de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’utilisation de la force contre les manifestants.
5. L’Assemblée parlementaire rappelle que la liberté de réunion et d’association, y compris lors de manifestations non organisées et non autorisées, est un droit essentiel dans une démocratie, garanti par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5), et rappelé de manière constante par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa jurisprudence. Toute restriction de ce droit doit être prévue par la loi et nécessaire dans une société démocratique. Il appartient aux autorités d’assurer l’exercice du droit à la liberté d’expression et de manifestation.
6. C’est pourquoi, face à des manifestations, le rôle des forces de l’ordre est de protéger les droits des manifestants, leur liberté d’association et d’expression, tout en protégeant les autres, ainsi que les biens publics et privés. Aussi est-il essentiel qu’elles puissent s’appuyer sur des normes et lignes directrices, sur instructions d’une hiérarchie responsable.
7. L’Assemblée déplore les récents cas de recours excessif à la force pour disperser les manifestants et réitère son appel aux autorités de veiller à ce que l’action de la police, si elle est nécessaire, reste proportionné. Rappelant la position du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT) et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle insiste sur les conséquences graves sur la santé de l’usage de gaz lacrymogène.
8. L’Assemblée rappelle que les citoyens ont droit à une information objective et complète, et qu’il appartient aux autorités de garantir des conditions favorables à l’exercice effectif de la liberté des médias et d’expression, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle souligne en particulier la nécessité de clarifier les questions de propriété et d’indépendance des médias.
9. En conséquence, l’Assemblée appelle instamment les Etats membres du Conseil de l'Europe, le cas échéant, à prendre les mesures nécessaires pour mettre leur législation en conformité avec les normes du Conseil de l’Europe et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en matière de liberté d’expression, de liberté des médias et de liberté de réunion, et les invite:
9.1. à garantir la liberté de réunion et de manifestation, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et en assurer l’exercice effectif;
9.2. à mener des enquêtes diligentes concernant le recours excessif ou disproportionné à la force par des membres des forces de l’ordre, et en sanctionner les responsables;
9.3. à renforcer les programmes de formation aux droits de l’homme à destination des membres des forces de l’ordre ainsi que des juges et des procureurs, en partenariat avec le Conseil de l’Europe;
9.4. à élaborer des directives claires relatives à l’usage de gaz lacrymogène (gaz poivre) et interdire son usage dans des espaces confinés;
9.5. à assurer la liberté des médias, mettre un terme au harcèlement et à l’arrestation des journalistes et à la perquisition de leurs locaux, et s’abstenir d’infliger des sanctions aux médias qui couvrent les manifestations, conformément à la Résolution 1920 (2013) sur l'état de la liberté des médias en Europe;
9.6. à réformer le Code pénal et le Code de procédure pénale ainsi que les lois antiterroristes et le Code administratif dans tous les cas où les dispositions concernées ne sont pas conformes aux normes du Conseil de l’Europe ou à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
9.7. à examiner les moyens de consulter ou d’associer la population à la gestion des affaires publiques, tant au niveau national que local, en s’inspirant des normes européennes pertinentes et des bonnes pratiques, et en conformité avec la Résolution 1746 (2010) «Démocratie en Europe: crises et perspectives».
10. Enfin, l’Assemblée invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à envisager l’élaboration de lignes directrices sur le respect des droits de l’homme dans le cadre des interventions des forces de l’ordre lors de manifestations.

B. Exposé des motifs, par M. Díaz Tejera, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 24 juin 2013, l’Assemblée parlementaire a souscrit à la proposition présentée par le Groupe pour la gauche unitaire européenne de tenir un débat en application de la procédure d’urgence sur les «Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d’expression». Le même jour, la commission des questions politiques et de la démocratie m’a nommé rapporteur.

2. Evénements récents

2. De nombreux pays européens (et non européens) ont connu des mouvements de protestation populaire ces derniers temps. Ces manifestations se déroulent le plus souvent de façon non organisée, indépendamment des partis politiques et des organisations de la société civile; les participants se coordonnent entre eux au moyen des médias sociaux. Je crois que le droit des citoyens de manifester contre leurs gouvernements démocratiquement élus est aussi légitime que le droit des gouvernements concernés de ne pas changer de politique face à la contestation.
3. De telles manifestations ont eu lieu à Londres, Madrid, Paris et Stockholm, en Grèce, en Italie, au Portugal, au Brésil, en Russie et en Turquie, pour ne citer que quelques exemples récents. Dans tous les cas, les protestations ont été tout d’abord pacifiques, même si, parfois, de petites minorités se sont livrées à des violences. Dans certains cas, les réactions des autorités publiques et l’action des forces de l’ordre ont été disproportionnées.
4. Récemment, le 31 mai 2013, une manifestation pacifique organisée par des opposants à un projet de rénovation urbaine à Istanbul a déclenché une intervention musclée des forces de l'ordre et provoqué un mouvement de protestation populaire sans précédent en Turquie. Dans des dizaines de villes de Turquie, des centaines de milliers de personnes ont exprimé leur désaccord face à l’attitude des pouvoirs publics et ont participé à des manifestations. Dans de nombreux endroits, ces manifestations ont donné lieu à des heurts violents avec les forces de l'ordre, marqués par le recours systématique au gaz lacrymogène (gaz poivre), aux canons à eau et, dans certains cas, à des tirs de balles en caoutchouc. Quatre morts, dont un policier, et près de 8 000 blessés (dont 59 graves) sont à déplorer.
5. Les images de la répression des manifestations – et leurs graves conséquences – ont marqué l’opinion turque et l’opinion internationale. Notons, parmi les réactions internationales, la déclaration de M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le 5 juin 2013, appelant à l’arrêt immédiat du recours à la force contre les manifestants pacifiques 
			(2) 
			<a href='http://www.coe.int/t/commissioner/news/2013/130605turkey_FR.asp'>www.coe.int/t/commissioner/news/2013/130605turkey_FR.asp</a>?., celle du Secrétaire général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, le 16 juin 2013, appelant à la poursuite du dialogue 
			(3) 
			<a href='http://hub.coe.int/fr/web/coe-portal/press/newsroom?p_p_id=newsroom&_newsroom_articleId=1487518&_newsroom_groupId=10226&_newsroom_tabs=newsroom-topnews&pager.offset=-1'>http://hub.coe.int/fr/web/coe-portal/press/newsroom?p_p_id=newsroom&_newsroom_articleId=1487518&_newsroom_groupId=10226&_newsroom_tabs=newsroom-topnews&pager.offset=-1</a>., celle de Mme Josette Durrieu, rapporteure de la commission de suivi de l’Assemblée sur le dialogue postsuivi avec la Turquie 
			(4) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/ASP/NewsManager/FMB_NewsManagerView.asp?ID=8812'>www.assembly.coe.int/ASP/NewsManager/FMB_NewsManagerView.asp?ID=8812</a>., lançant un appel au calme, celle du Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, Mme Navi Pillay, exhortant le Gouvernement turc et la société civile à s'appuyer sur la décision de suspendre d'autres mesures sur le développement du Gezi Park et à agir de manière à apaiser les tensions 
			(5) 
			<a href='http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=30548&Cr=turquie&Cr1'>www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=30548&Cr=turquie&Cr1</a>=., les déclarations du Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Kin Moon au cours de cette période, ou encore la Résolution du 13 juin 2013 
			(6) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=B7-2013-0305&language=FR'>www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=B7-2013-0305&language=FR</a>. du Parlement européen sur la situation en Turquie, qui a par ailleurs provoqué un tollé parmi les plus hautes autorités turques. A l’heure actuelle, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe effectue une visite d’information en Turquie.
6. Face à ces cas récents de recours excessif à la force pour disperser des manifestants, nous devons en appeler aux autorités pour qu’elles veillent à ce que l’action de la police, lorsqu’elle est indispensable, demeure proportionnée. Il y a lieu de noter que la position du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants (CPT) et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme soulignent les graves conséquences que peut avoir sur la santé l’utilisation de gaz lacrymogène.

3. Protestations et médias sociaux

7. La plupart des régions du monde, y compris les Etats membres du Conseil de l’Europe, assistent à l’augmentation rapide des contacts établis par l’intermédiaire des réseaux sociaux grâce aux technologies des Smartphones. En tant que véhicules permettant d’organiser et d’exprimer la dissidence, internet et les médias sociaux tels que Twitter et Facebook ont déjà démontré qu’ils étaient des outils d’une importance considérable dans nombre de protestations, de manifestations, de soulèvements et de conflits.
8. Les médias sociaux ont joué un rôle crucial dans les protestations récentes en Turquie, ne serait-ce que parce que la plupart des médias turcs ont minimisé les protestations, surtout les premiers temps. En raison de l’absence d’une large couverture par les grands médias, les médias sociaux ont joué un rôle essentiel dans l’information de la population avec les hashtags Twitter «#ccupyGezi» («#OccupezGezi») et «#DirenGeziParki» («RésistezParcGezi»).
9. De manière générale, il devient trop fréquent d’entendre les dirigeants politiques s’en prendre à l’utilisation de l’Internet et des réseaux sociaux, accusés d’être des vecteurs de désinformation et d’incitation à la protestation contre les instances démocratiques, et donc de mettre en danger l’ordre public et social.
10. Il faut rejeter cette vision avec force. Nous ne pouvons pas oublier, par exemple, le rôle essentiel que les médias sociaux ont eu lors des mouvements historiques du Printemps arabe. Certes, le risque de manipulation est présent sur le web, comme d’ailleurs dans les médias traditionnels. Néanmoins cela ne justifie pas que l’on puisse se référer au principal espace de libre dialogue entre les citoyens comme étant un danger pour nos démocraties.

4. Liberté d’association, liberté d’expression et liberté des médias

11. Les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) qui garantissent, respectivement, la liberté d'expression et la liberté de réunion (et d’association), présentent une caractéristique commune en ce qu’ils consacrent des droits relatifs et présentent une structure en deux paragraphes, le premier énonçant le droit consacré et le deuxième fixant les circonstances dans lesquelles une ingérence peut se justifier.
12. En ce qui concerne la liberté de réunion, elle englobe les rassemblements publics ou privés, les marches, processions, manifestations et sit-in. Leur objet peut être politique, religieux ou spirituel, social ou autre; elle ne fait l'objet d'aucune limite, mais toute réunion doit être pacifique. L'existence d'actes de violence accessoires ne signifie pas qu'une réunion cesse d'être protégée, sauf si elle avait un objectif perturbateur. Dans un tel cas de figure, l'Etat a une «obligation positive»; en d’autres termes, il est tenu de protéger les personnes qui exercent leur droit de réunion pacifique contre tout acte de violence émanant de contre-manifestants. Dans une affaire, par exemple, les policiers avaient formé un cordon pour séparer des manifestants antagonistes, mais n'avaient pu empêcher des agressions physiques et des dommages matériels. La Cour européenne des droits de l’homme avait conclu qu'ils n'avaient pas pris de mesures suffisantes pour permettre le déroulement pacifique d'une manifestation légale (Organisation macédonienne unie Ilinden et autres c. Bulgarie).
13. En vertu du paragraphe 2 de l’article 11, les restrictions ou interdictions de réunion doivent i) être prévues par la loi, ii) poursuivre un but autorisé et iii) être nécessaires dans une société démocratique, proportionnées et non discriminatoires. Les buts autorisés sont: la sécurité nationale, la sûreté publique, la défense de l'ordre et la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale, et la protection des droits et libertés d'autrui.
14. Les autorités jouissent d'une marge d'appréciation considérable pour déterminer si une réunion proposée présente un risque pour la sûreté publique ou l'un des autres buts énoncés, qui pourrait justifier une ingérence; mais une réunion pacifique jouit d'une présomption favorable qui doit conduire à l'autoriser. Le fait d'exiger une notification ou autorisation préalable n'est pas contraire à l'exercice de ce droit, mais le refus d'une autorisation constitue une ingérence, qui doit être justifiée par les critères rigoureux du paragraphe 2. La violation peut être constituée même lorsque la réunion a eu lieu en bravant une interdiction.
15. Les autorités doivent veiller soigneusement à ce que les restrictions ne soient pas discriminatoires. Le fait que les organisateurs d'une réunion représentent un groupe de personnes impopulaire ne constitue pas un motif suffisant pour l'interdire. En pareille circonstance, les autorités devaient faire preuve «de pluralisme, de tolérance et d’ouverture d'esprit». Ces mêmes principes sont également applicables aux minorités ethniques ou politiques, ainsi qu'à d'autres groupes minoritaires comme les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) désireuses d'effectuer des marches et des manifestations.
16. Concernant la liberté d'expression et, plus spécifiquement, la liberté des médias, il faut se référer à la Résolution 1920 (2013) sur l'état de la liberté des médias en Europe, adoptée par notre Assemblée en janvier 2013, et au rapport élaboré par M. Mats Johansson pour la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias (Doc. 13078).
17. Affirmer que la possibilité de couvrir médiatiquement des manifestations populaires de masse soit un aspect essentiel de la liberté des médias sonne comme une évidence: en fait, c’est là non seulement une fonction inhérente au droit à la liberté des médias, mais aussi leur devoir de nous informer à l’égard de ces événements, qui font partie de la vie de nos démocraties, voire sont les signes que nous sommes encore en démocratie. Et pourtant force est de constater que cette évidence peut être oubliée.
18. Un Etat démocratique a non seulement le devoir de s’abstenir de toute ingérence illicite, mais aussi l’obligation de prendre les dispositions nécessaires pour que le droit des médias à la liberté d’informer – particulièrement en cas de mouvements de masse – et le droit de tous à la liberté d’accès à l’information – particulièrement lorsqu’il s’agit de protestations et de contestations populaires – soient assurés de manière effective, et puissent s’exercer sans craintes et sans entraves.

5. Conclusions

19. La liberté d’association, de réunion et de manifestation, y compris dans le cadre de manifestations qui ne sont ni organisées, ni autorisées, est un droit essentiel dans une démocratie, garanti par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, et rappelé de manière constante par la Cour européenne des droits de l'homme dans sa jurisprudence. Toute restriction de ce droit doit être prévue par la loi et nécessaire dans une société démocratique. Il appartient aux autorités d'assurer l'exercice du droit d'expression et de manifestation.
20. C'est pourquoi, face à des mouvements de protestation populaire, le rôle des forces de l'ordre est d'assurer et de protéger les droits des manifestants, leur liberté d'association et leur liberté d'expression, tout en protégeant les autres personnes ainsi que les biens publics et privés. Il peut être difficile pour les policiers de trouver le juste équilibre entre ces deux objectifs dans le feu de l'action; aussi est-il essentiel de pouvoir s'appuyer sur des lignes directrices et des instructions parfaitement claires, ainsi que sur une hiérarchie responsable.
21. Les citoyens ont droit à une information objective et complète, et il appartient aux autorités de garantir les conditions d'exercice effectif de la liberté des médias et d'expression, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il est nécessaire, en particulier, de clarifier les questions de propriété et d'indépendance des médias.
22. Par conséquent, l’Assemblée devrait, le cas échéant, encourager les autorités des Etats membres du Conseil de l'Europe à prendre les mesures nécessaires et à mettre ainsi leur législation en conformité avec les normes du Conseil de l'Europe et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, y compris dans le domaine de la liberté d'expression, la liberté des médias et la liberté de réunion. Elles devraient notamment:
  • garantir la liberté de réunion et de manifestation, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, et en assurer l'exercice effectif;
  • mener des enquêtes diligentes concernant le recours excessif ou disproportionné à la force par les forces de maintien de l’ordre et sanctionner les responsables; renforcer les programmes de formation aux droits de l'homme à destination des membres des forces de l'ordre ainsi que des juges et des procureurs, en partenariat avec le Conseil de l'Europe;
  • élaborer des directives claires sur l'usage de gaz lacrymogène (gaz poivre) et interdire son usage dans des espaces confinés;
  • garantir la liberté des médias, faire cesser le harcèlement et l'arrestation des journalistes et la perquisition de leurs locaux, et s’abstenir d’infliger des sanctions aux médias qui couvrent les manifestations, conformément à la Résolution 1920 (2013);
  • réformer le Code pénal et le Code de procédure pénale ainsi que les lois antiterroristes et le Code administratif dans tous les cas où les dispositions concernées ne sont pas conformes aux normes du Conseil de l'Europe ou à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme;
  • examiner les mécanismes permettant de consulter ou d'associer, la population à la gestion des affaires publiques, tant au niveau national que local, en s'inspirant des normes européennes et bonnes pratiques pertinentes, conformément aussi à la Résolution 1746 (2010) sur la démocratie en Europe: crises et perspectives.
23. Enfin, l’Assemblée devrait inviter le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe à envisager l'élaboration de lignes directrices sur le respect des droits de l'homme dans le cadre des interventions des forces de l'ordre lors de manifestations.
24. Permettez-moi de conclure en mentionnant qu’il ne faut pas oublier que la souveraineté appartient au peuple et que gouvernants et élus ne sont là que pour le servir. Le pouvoir qui leur est confié par la majorité des électeurs ne leur donne jamais le droit de mettre en sourdine, ou pire de bâillonner, ceux qui ne sont pas d’accord, qui sont mécontents ou qui demandent le changement. Au contraire, ce pouvoir les rend responsables et devrait les conduire à une écoute attentive.
25. Même s’il incombe aux représentants démocratiquement élus de prendre des décisions contraires aux attentes des foules si cela est dans l’intérêt général, ils ne peuvent ignorer la volonté populaire. Celle-ci ne saurait se réduire au vote et doit trouver la manière de s’exprimer autrement tous les jours, justement par le biais du droit à la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté de manifestation pacifique.