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Rapport | Doc. 13301 | 13 septembre 2013

Les activités de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2012-2013

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Dirk Van der MAELEN, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 3920 du 30 novembre 2012. 2013 - Quatrième partie de session

Résumé

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, élargie aux délégations des parlements nationaux des Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) non membres du Conseil de l’Europe, et à une délégation du Parlement européen, examine, à nouveau, les activités de l’OCDE.

Dans la logique des objectifs de la réforme de l’Assemblée et dans une volonté d’aborder le débat sous un angle plus politique, le présent rapport s’intéresse en priorité aux conséquences que l’inefficacité des réponses politiques et l’injustice fiscale patente pourraient avoir sur la confiance des citoyens à l’égard des institutions démocratiques dans la période de crise économique et de chômage que nous traversons.

L'initiative de l'OCDE sur les «Nouvelles approches face aux défis économiques» (New Approaches to Economic Challenges), les questions sur le développement et la fiscalité, ainsi que le projet de l'OCDE sur l’Erosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices (BEPS) sont soulignés. La capacité des gouvernements à lever des fonds par l’impôt afin de financer des services publics nécessaires est un socle fondamental pour ancrer la démocratie. Quand les actions de sociétés et d’individus sapent les capacités financières légitimes des gouvernements, les bases mêmes de la démocratie et du développement équitable sont menacées. L’OCDE doit continuer à jouer un rôle moteur dans les efforts internationaux pour une plus grande équité des politiques fiscales dans le monde entier.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 5 septembre
2013.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, élargie aux délégations des parlements nationaux des Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) non membres du Conseil de l’Europe, et à une délégation du Parlement européen, examine, à nouveau, les activités de l’OCDE. L’Assemblée élargie a passé en revue les activités de l’OCDE en 2012-2013 à la lumière des rapports de l’organisation et du rapport présenté par la commission des questions politiques et de la démocratie.
2. Dans la logique des objectifs de la réforme de l’Assemblée et dans une volonté d’aborder le débat sous un angle plus politique, le présent rapport sur les activités de l’OCDE s’intéresse en priorité aux conséquences que l’inefficacité des réponses politiques et l’injustice fiscale patente pourraient avoir sur la confiance des citoyens à l’égard des institutions démocratiques dans la période de crise économique et de chômage que nous traversons.
3. L’Assemblée élargie prend acte du contexte économique mondial dans lequel les activités de l’OCDE se sont inscrites en 2012-2013. Bien que des signes de reprise se manifestent enfin, plus particulièrement aux Etats-Unis et au Japon, les perspectives de croissances demeurent faibles dans la plupart des pays de l’OCDE et le chômage reste élevé.
4. Il est essentiel que l’OCDE renforce les relations entre les pays membres et les pays non membres qui jouent un rôle important dans l’économie mondiale afin de promouvoir la croissance de l’économie mondiale. A cet égard, l’Assemblée élargie note avec satisfaction que les négociations pour l’adhésion de la Fédération de Russie à l’OCDE se poursuivent. Elle relève aussi la décision de l’OCDE d’entamer un nouveau cycle d’adhésions, comme l’indique la résolution du Conseil intitulée «Renforcer la portée mondiale de l’OCDE», par l’invitation adressée à la Colombie et à la Lettonie d’entamer des discussions sur l’adhésion cette année et la perspective d’une décision d’ouverture de négociations d’adhésion avec le Costa Rica et la Lituanie en 2015. En outre, l’Assemblée élargie se félicite aussi de la décision de l’OCDE de lancer un programme régional pour l’Asie du Sud-Est dans le but de renforcer ses liens avec les pays stratégiquement prioritaires en plus de la collaboration étroite avec ses Partenaires clés.
5. Dans un contexte marqué par une reprise économique mondiale hésitante, le Secrétaire Général de l’OCDE a fixé à l’organisation, pour l’année à venir, un agenda couvrant trois grands domaines: Inclusivité et croissance; Interdépendance au service de la croissance; et Institutions et gouvernance au service de la croissance. Au niveau national, les gouvernements doivent d’urgence restaurer la croissance et la compétitivité, réduire le chômage, notamment chez les jeunes et les chômeurs de longue durée, rebâtir la confiance, traiter les inégalités et stimuler la qualité des emplois. Dans le même temps, les gouvernements sont confrontés à des défis mondiaux, notamment l’ancrage de plus en plus affirmé de la mondialisation, de la pauvreté, du vieillissement démographique rapide, des migrations, des changements climatiques, des pressions de plus en plus fortes sur les ressources naturelles, et à une économie mondiale basée sur les connaissances et compétences.
6. Le développement est au cœur des efforts déployés pour concrétiser une économie mondiale juste et équitable. Alors que l’échéance de 2015 est en vue pour les Objectifs du Millénaire pour le développement, l’Assemblée élargie se réjouit de l’élan donné par l’OCDE dans le contexte de sa Stratégie sur le développement en vue d’instaurer une cohérence politique pour le développement et de renforcer l’engagement et le partage des connaissances avec les pays en développement. Elle espère vivement que la question du développement sera encore plus intégrée transversalement dans les travaux de l’Organisation.
7. Une réponse adéquate aux défis environnementaux sera cruciale pour le succès du développement mondial. Dans cette perspective, l’Assemblée élargie se réjouit des efforts de l’OCDE pour intégrer sa Stratégie pour une croissance verte dans des domaines d’intervention clés, tout en continuant à insister sur l’importance de l’innovation. Elle attend avec intérêt la poursuite des travaux de l’OCDE sur des indicateurs et autres outils de mesure, ainsi que ses efforts pour intégrer des considérations liées à une croissance verte dans sa politique subnationale et multilatérale.
8. L’un des plus gros défis que les gouvernements vont devoir relever est de résoudre la crise de l’emploi. L’Assemblée élargie se réjouit des travaux en cours dans le contexte de la Stratégie de l’OCDE pour les compétences, lancée en mai 2012 afin que les jeunes d’aujourd’hui soient dotés des compétences dont ils auront besoin demain sur un marché de l’emploi évolutif. Les grandes étapes seront constituées par le lancement, en octobre 2013, des premières Perspectives de l’OCDE sur les compétences, basées sur les résultats de son Etude PIAAC sur les compétences des adultes, ainsi que la publication, en décembre 2013, des résultats de la dernière évaluation PISA, menée tous les trois ans, des compétences des élèves âgés de 15 ans. L’Assemblée élargie invite l’OCDE à travailler avec les gouvernements nationaux pour développer des approches intégrées au niveau national et local qui couvrent non seulement la manière dont les compétences sont acquises grâce aux systèmes éducatifs et de formation, mais aussi les moyens mis en œuvre par les entreprises pour promouvoir l’acquisition des compétences qui leur sont nécessaires et pour les mettre à profit dans le processus de production.
9. L’Assemblée élargie reconnaît qu’il est important de traiter les inégalités sociales et de mettre en œuvre des mesures adaptées pour alléger les problèmes d’emploi si l’on veut parvenir à une croissance inclusive et durable, qui contribuera alors à restaurer la confiance dans notre système de gouvernance. Dans ce contexte, l’Assemblée élargie se félicite que le Conseil de l’OCDE au niveau des ministres ait adopté, à sa réunion de 2013, la Recommandation sur l’égalité hommes-femmes en matière d’éducation, d’emploi et d’entrepreneuriat et se soit engagé à faire progresser la situation en matière d’égalité. Elle encourage en outre l’OCDE à intensifier encore ses efforts pour lutter contre les inégalités.
10. Tout en relevant que de nombreux Etats membres de l’OCDE sont confrontés à la nécessité de répondre à la crise de la dette souveraine, l’Assemblée élargie soutient aussi l’appel du Comité consultatif des syndicats auprès de l’OCDE (TUAC) pour lequel «financer la rigueur budgétaire par des coupes dans les services publics, dans les régimes de sécurité sociale et des retraites ne ferait que prolonger la crise de l’emploi et le risque d’une crise sociale aggravée».
11. Une sortie de crise réussie passe par des politiques globales prenant en compte non seulement les défis en matière d’emploi mais aussi tous les aspects des réalités économiques propres à chaque pays. Dans ce contexte, l’Assemblée élargie note avec satisfaction les travaux en cours dans le cadre de l’initiative «Nouvelles approches face aux défis économiques» de l’OCDE. Lancée en mai 2012, cette initiative vise à tirer les enseignements de la crise afin de promouvoir une notion plus large de la croissance, qui prenne aussi en compte d’autres résultats importants, tels que le bien-être, l’inclusivité et la durabilité environnementale.
12. L’Assemblée élargie rappelle que le Secrétaire général de l’OCDE a indiqué l’an dernier, dans sa réponse à l’Assemblée, que l’OCDE devait continuer à mettre à jour ses compétences analytiques afin de délivrer de meilleurs conseils. En conséquence, elle invite instamment l’OCDE à poursuivre l’initiative «Nouvelles approches face aux défis économiques» afin d’en rendre compte dès la réunion 2014 du Conseil au niveau des ministres, avec des propositions d’action claires. L’Assemblée reconnaît aussi qu’il est nécessaire que tous les gouvernements restaurent la confiance en adoptant les mesures de réforme préconisées par les «Nouvelles approches face aux défis économiques».
13. Alors que la crise et ses répercussions ont entamé la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques, les responsables politiques doivent prendre des mesures pour restaurer la confiance dans le gouvernement. L’OCDE travaille à l’élaboration d’une feuille de route sur la confiance destinée à soutenir les efforts visant à établir des institutions gouvernementales plus efficaces, plus transparentes et plus ouvertes. Les travaux de l’OCDE portent avant tout sur les moyens de donner davantage la parole aux citoyens lors de la formulation des politiques, de rendre les institutions plus réactives aux besoins des usagers et de renforcer le flux d’informations entre les gouvernements et les citoyens. De plus, établir la confiance à l’égard de l’action gouvernementale nécessite d’assurer le respect de critères d’intégrité exigeants, en particulier dans des domaines à haut risque, comme le lobbying, les marchés publics et le financement politique. Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, de plus en plus complexe et interconnectée, il est crucial que la charge du financement des dépenses publiques pour des services et infrastructures nécessaires soit perçue comme étant partagée équitablement. L’Assemblée élargie se félicite des travaux de l’OCDE sur les questions de transparence, de responsabilité et d’intégrité.
14. L’OCDE a aussi renforcé sa coopération avec des pays (Brésil, Chine, Inde, Indonésie et Afrique du Sud) et des régions (Sud-Est asiatique, Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), Amérique latine et Afrique), qui sont des partenaires clés; elle joue un rôle déterminant en soutenant le fonctionnement du G8 et du G20. Elle participe à ce dernier en fournissant des analyses et des données afin d’alimenter les débats sur toute une série de sujets économiques, sociaux et environnementaux, comme les questions liées aux réformes structurelles envisagées dans le «Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée», l’emploi, l’éducation financière et la protection des consommateurs, la lutte contre la corruption, la croissance verte, les subventions aux énergies fossiles, le commerce et l’investissement et, enfin, la fiscalité. L’organisation joue aussi un rôle actif dans le soutien au développement économique, social et politique de la région MENA, en relation avec le Partenariat de Deauville.
15. L’Assemblée élargie se félicite aussi des travaux de l’OCDE sur «l’interdépendance au service de la croissance» et, en particulier, de la création, en collaboration avec l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), d’une nouvelle base de données sur «les échanges en valeur ajoutée», ainsi que de ses travaux sur les «chaînes de valeur mondiales». Ces travaux sont susceptibles de modifier notre compréhension des schémas du commerce, des investissements et de la production au niveau mondial, en soulignant l’importance de la facilitation des échanges et de la libéralisation, et de permettre de mieux mesurer à la fois les gains résultant des échanges et les coûts du protectionnisme.
16. L’OCDE a endossé un rôle de chef de file dans les efforts déployés au niveau international pour garantir l’équité fiscale en s’attaquant à l’évasion fiscale agressive. Les politiques fiscales des gouvernements devront cependant aussi être adaptées à une économie de plus en plus mondialisée pour assurer des recettes fiscales adéquates et maintenir des finances publiques saines. Dans ce contexte, l’Assemblée élargie salue les travaux de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting – BEPS) et en particulier le Plan d’action vaste et ambitieux publié à la mi-juillet 2013 par le G20 et l’OCDE pour lutter contre ces phénomènes. L’Assemblée élargie invite instamment l’OCDE à continuer de mener résolument l’action visant à réformer les règles internationales pour la taxation des multinationales afin qu’elles reflètent convenablement les pratiques de production et de commerce dans l’économie mondiale contemporaine. De plus, elle reconnaît l’importance de la collaboration entre Etats pour coordonner les systèmes fiscaux et garantir ainsi la confiance des contribuables dans ces systèmes.
17. Pour garantir une taxation équitable des profits mondiaux, l’Assemblée élargie invite instamment l’OCDE:
17.1. à améliorer la collecte de données sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, ces données étant déterminantes pour superviser la future mise en œuvre du Plan d’action, et notamment à identifier le type de données que les contribuables devraient communiquer, ainsi que les méthodologies pour analyser ces données en vue d’estimer les conséquences économiques probables des pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices, ainsi que l’impact des mesures prises pour les combattre;
17.2. à promouvoir l’obligation pour les sociétés transnationales de produire un rapport financier mondial complet, comprenant un compte rendu pays par pays, ce qui constituerait un premier pas sur la voie d’un éventuel accord multilatéral relatif à un système de taxation uniforme des sociétés transnationales;
17.3. à faire pression pour l’adoption d’une approche de type «Big Bang» exigeant la transparence concernant les bénéficiaires effectifs et l’échange automatique de renseignements à des fins fiscales entre tous les pays, afin de garantir l’équité fiscale et la conformité pour les entreprises comme les individus;
17.4. à élaborer des règles de déclaration obligatoire des transactions, dispositifs ou structures à caractère agressif ou abusif, en mettant l’accent sur les montages fiscaux internationaux;
17.5. à proposer des mesures pour lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en privilégiant l’amélioration de la transparence, y compris l’échange spontané obligatoire d’informations sur les décisions relatives à des régimes préférentiels ainsi qu’à l’obligation de requérir une activité substantielle pour l’instauration de tout régime préférentiel;
17.6. à analyser les questions de droit fiscal et de droit public international que pose l’élaboration d’un instrument multilatéral permettant aux pays qui le souhaitent de mettre en œuvre les mesures arrêtées lors des travaux relatifs à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices, et de modifier les conventions fiscales bilatérales;
17.7. à promouvoir la cohérence internationale de l’imposition des bénéfices des sociétés afin que la conception des politiques fiscales tienne mieux compte de l’interdépendance croissante des économies et des failles qui peuvent être générées par les interactions entre les législations fiscales nationales;
17.8. à faire davantage pour prendre en compte les besoins et les intérêts des pays en développement à cet égard, et pour associer plus pleinement les pays en développement aux discussions préparatoires et aux groupes de travail spécialisés traitant de ces diverses questions;
17.9. à œuvrer en faveur de la collaboration entre le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, le Groupe de travail de l’OCDE sur la fiscalité et le développement, le Groupe Banque mondiale et d’autres organisations pour aider les pays en développement à identifier leurs besoins d’assistance technique et de constitution de capacités.
18. L’Assemblée élargie encourage l’OCDE à intensifier la lutte contre l’évasion fiscale agressive, phénomène répandu que les paradis fiscaux continuent à encourager, et en particulier à faire pression au niveau international pour la mise en place de modalités permettant l’échange automatique de renseignements à des fins fiscales.
19. Enfin, l’Assemblée élargie se félicite du rôle moteur de l’OCDE dans la formulation de diverses initiatives politiques comme ses travaux portant sur la création d’emplois, sa stratégie pour les compétences, sa stratégie pour le développement, la promotion de l’égalité hommes-femmes, les chaînes de valeur mondiales et la mesure des échanges en valeur ajoutée. L’Assemblée élargie invite aussi l’OCDE à informer les participants au débat élargi des efforts déployés pour apporter des réponses aux questions soulevées dans la présente résolution sous une forme appropriée, soit avant le prochain débat élargi, soit à l’occasion de celui-ci.

B. Exposé des motifs, par M. Van der Maelen, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Deux semaines après ma nomination au poste de rapporteur par la commission des questions politiques et de la démocratie, j'ai assisté du 11 au 13 février 2013 aux Journées parlementaires de l'OCDE, et en particulier au Séminaire parlementaire de haut niveau de l'OCDE intitulé «Suivre l'argent: commerce, fiscalité et banques». A cette occasion, j'ai aussi pu rencontrer plusieurs membres de haut niveau du Secrétariat de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et mon compatriote, Yves Leterme, Secrétaire général adjoint de cette organisation.
2. A la suite de mon échange de vues avec M. Leterme, j'ai décidé que mon rapport traiterait des thèmes suivants: l'initiative de l'OCDE sur les «nouvelles approches face aux défis économiques» (New Approaches to Economic Challenges, NAEC); le développement et la fiscalité; et le projet de l'OCDE Erosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices (BEPS, Base Erosion and Profit Shifting). J’ai retenu ces thèmes essentiellement pour deux raisons. D’abord, je pense que le fait que les gouvernements n’ont pas réagi comme il convient face à la crise économique et de l’emploi a nui à la confiance de la population en la démocratie. C’est ce que montre l’essor des positions populistes qui caractérisent le débat public dans beaucoup d’Etats membres, ce qui a fait l’objet d’un rapport récemment présenté à l’Assemblée 
			(2) 
			Voir Résolution 1888 (2012) sur la crise de la démocratie et le rôle de l’Etat dans
l’Europe d’aujourd’hui.. Deuxièmement, la capacité des gouvernements à lever des fonds par l’impôt afin de financer des services publics nécessaires est un socle fondamental pour ancrer la démocratie. Quand les actions de sociétés et d’individus sapent les capacités financières légitimes des gouvernements, soit par une fraude fiscale abusive, soit par une évasion fiscale illégale, les bases mêmes de la démocratie et du développement équitable sont menacées. C’est-là un problème non seulement pour les pays développés, mais aussi pour le monde en développement. L’OCDE joue un rôle moteur dans les efforts internationaux pour une plus grande équité des politiques fiscales dans le monde entier.
3. Le 8 mars 2013, j'ai effectué une visite d'information à l'OCDE, durant laquelle j'ai participé à des réunions particulièrement fructueuses avec: Sven Blondal, chef de la Division de la politique macroéconomique, sur les perspectives économiques; Shardul Agrawala, chef de l'Unité «Nouvelles approches face aux défis économiques» (NAEC) du Cabinet du Secrétaire général, sur les NAEC; Grace Perez-Navarro, directrice adjointe, Centre de politique et d'administration fiscales, sur les BEPS et le travail de l'OCDE sur la fiscalité et le développement; et Willemien Bax, Chef de la Division des relations extérieures, sur les activités de l'OCDE en rapport avec les travaux du Conseil de l'Europe. Les 28 et 29 mai 2013, j’ai assisté au Forum de l’OCDE à Paris, qui portait sur trois thèmes clés dans le débat sur les moyens de créer un avenir durable: promouvoir une croissance inclusive et s’attaquer aux inégalités; rebâtir la confiance dans le système; et promouvoir la durabilité.
4. Entre-temps, j’avais proposé à la commission, à sa réunion de mars 2013, le calendrier ci-dessous – le même que celui de 2012 – calendrier qu’elle a accepté:
  • Audition de responsables à haut niveau de l’OCDE et d’autres experts le 5 juin à Paris, sur la base d’un schéma de rapport sur le sujet.
  • La commission donne son accord sur un projet de rapport durant sa partie de session de juin.
  • Le projet de rapport est envoyé aux délégations d'outre-mer et à l'OCDE, pour commentaires, au début du mois de juillet.
  • Approbation du rapport par la commission des questions politiques et de la démocratie, élargie aux représentants des délégations d'outre-mer, les 4 et 5 septembre à Paris.
  • Débat au sein de l’Assemblée élargie le 1er octobre à Strasbourg.
5. Vu le calendrier ci-dessus adopté et l'objet du rapport, j'ai préparé un schéma de rapport qui a été discuté lors de la réunion de la sous-commission des relations avec l’OCDE et le BERD à Paris le 5 juin. A l’occasion de cette réunion, une audition a été organisée avec les participants suivants: Raffaele Russo, chef de l'Unité de la non-conformité, Division chargée de la coopération internationale et de la concurrence fiscale du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE; Shardul Agrawala, chef de l'Unité chargée des nouvelles approches face aux défis économiques (NAEC), OCDE; John Christensen, cofondateur et directeur administratif du Réseau pour la justice fiscale; et Gabriel Zucman, doctorant de l'Ecole d'économie de Paris.
6. Compte tenu de cette audition et du fruit des discussions tenues avec des membres de la sous-commission, j’ai présenté un projet de rapport à la commission des questions politiques et de la démocratie au cours de la partie de session de juin 2013, dans le respect du calendrier établi. J’ai saisi cette occasion de remercier M. Nicholas Bray pour son aide précieuse dans la préparation de cette version du rapport.
7. La commission a examiné le projet de rapport et convenu de l’envoyer pour commentaires ou contributions aux délégations étrangères et à l’OCDE. C’est ce qui a été fait le 5 juillet 2013. Certaines délégations et l’OCDE ont envoyé des contributions, ce dont je leur suis reconnaissant. Les contributions que j’ai pu accepter ont été incorporées dans le présent rapport.

2. Une nouvelle façon de penser pour replacer l'économie mondiale sur le sentier de la croissance

8. Nous sommes encore, en 2013, dans la crise financière et économique qui a éclaté en 2008. Grâce à l'action sans précédent des banques centrales par l'injection de liquidités dans les économies, la catastrophe a pu être évitée. Toutefois, la reprise amorcée en 2010 n'a pas été suffisamment forte pour replacer l'économie mondiale sur la voie d’une croissance stable, et les perspectives, en particulier en Europe, demeurent incertaines. Le chômage augmente, et les entreprises sont réticentes à investir. Les consommateurs manquent trop de confiance pour accroître leurs dépenses et les gouvernements de l'OCDE sont mis sous pression pour réduire des dettes publiques élevées.
9. Selon les dernières prévisions économiques de l’OCDE, publiées le 29 mai 2013 avant la réunion ministérielle annuelle de l’Organisation, l’économie mondiale reprend progressivement des forces. L’OCDE a prévu que le produit intérieur brut (PIB) de ses 34 pays membres connaîtra une croissance de 1,2% cette année (1,9% pour l’économie américaine et 1,6% pour l’économie japonaise). Quant à la Chine, la croissance devrait se poursuivre à un rythme régulier de 7,8% cette année. Toutefois, les économies européennes demeurent pour l’essentiel affaiblies, tirées vers le bas par un chômage record. Selon les prévisions de l’OCDE, l’économie de la zone euro se contractera de 0,6% cette année, avant de revenir à un taux de croissance prévu de 1,1% en 2014.
10. L'inégalité des revenus se creuse, non seulement entre pays mais aussi dans les pays. Selon les chiffres récents publiés par l'OCDE, le revenu des 10 % de la population les plus riches dans les pays de l'OCDE était en moyenne 9,5 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres en 2010, contre 9 fois en 2007. L'écart le plus large a été observé au Mexique, où les 10 % les plus riches ont enregistré des revenus 27 fois plus élevés que les 10% les plus pauvres. Mais l'écart s'est aussi avéré particulièrement important au Chili, en Turquie, aux Etats-Unis et en Israël. Il est probable que de nouvelles coupes dans les dépenses sociales des pays de l'OCDE ne feront qu'accroître les inégalités et la pauvreté dans les années à venir.
11. Dans un tel contexte, il n'est pas surprenant que les responsables politiques se détournent de plus en plus du libre-échange néolibéral et des politiques d'économie de marché qui se sont développées dans les années 1980 et 1990. En préparant ce rapport, j'ai été frappé par les conclusions du dernier Rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Intitulé «L'essor du Sud», ce rapport est une invitation à passer d'une conception dogmatique à une conception factuelle des politiques socio-économiques en faveur du développement humain. Le document montre que les pays en développement qui ont obtenu de bons résultats étaient souvent ceux qui soutenaient activement les entreprises privées et collaboraient avec le secteur privé pour améliorer le développement humain, qui s'ouvraient progressivement, plutôt que soudainement, aux marchés mondiaux, et qui investissaient dans la santé, l'éducation et le développement humain.
12. Ce constat vient totalement contredire le dogme que Washington entretenait il y a quelques années à peine, promouvant auprès des pays en difficulté une intervention minimale de l'Etat, l'ouverture immédiate aux échanges et l'ajustement structurel axé sur la réduction importante des dépenses publiques d'éducation et de santé.
13. A mesure que l'approche politique change de cap, la croissance bascule de l'Ouest vers l'Est et du Nord vers le Sud, et certaines stratégies économiques d’hier sont de plus en plus jugées obsolètes. L'an dernier, Angel Gurría, Secrétaire général de l'OCDE, a reconnu dans un article de l'Observateur de l'OCDE que «L'économie mondiale change[ait] de paradigme». Dans ces conditions, comme il l'a conclu, «nous devons maintenant déterminer ceux de nos concepts, cadres et instruments qui restent pertinents et ceux qu'il faut repenser». La réalité a obligé l’OCDE à s’engager dans une sérieuse démarche d’introspection.
14. Il suffit d'observer les orientations que l'OCDE préconisait il y a à peine trois ans pour se rendre compte à quel point elles ont été dépassé par les événements. Une fois passée la crise financière immédiate de 2008-2009, de nombreux pays développés ont appliqué un traitement de choc conjuguant la réduction des dépenses et l'augmentation des impôts, en vue de contenir des déficits publics importants. Dans ses Perspectives économiques 87, publiées au printemps de 2010, l’OCDE recommandait aux banques centrales de commencer à sortir des mesures de politique extraordinaires et, dans certains cas, de commencer à «normaliser» leurs taux d’intérêt directeurs pour se protéger du risque que les attentes en termes d’inflation ne deviennent «déconnectées» dans le contexte d’une reprise prévue de l’activité. Dans le même temps, l’OCDE suggérait que la Banque centrale européenne (BCE) devrait éviter que les taux au jour le jour convergent trop rapidement vers le taux d’intérêt directeur plus élevé et relever les taux d’intérêt dans la zone euro avant la fin de 2010, alors même que les modèles de l’OCDE projetaient un faible niveau d’inflation pour les années à venir 
			(3) 
			Voir également Krugman
(2012), «End this depression, now!», W.W.
Norton & Co..
15. Dans ce contexte, on notera que l’OCDE a constamment mis en avant le rôle des réformes structurelles, non seulement pour paver la voie à une croissance potentielle forte à plus long terme, mais aussi pour renforcer l’activité étayant la reprise. Les politiques structurelles sont, de fait, au cœur de son analyse et de ses conseils politiques, ainsi que de sa réponse à la crise.
16. Selon les Perspectives économiques 87 et d'autres publications ultérieures, telles que Objectif croissance, ces réformes permettraient de corriger les déséquilibres macroéconomiques et de renforcer la compétitivité des pays déficitaires de la zone euro. L'accent a été mis sur des réformes structurelles des marchés de l'emploi et des biens, destinées à stimuler la concurrence, à encourager l'innovation et à combattre le chômage à long terme. Les pays européens de la périphérie ont été considérés notamment comme les bénéficiaires potentiels de ces mesures dans le cadre d’un ensemble de propositions destinées à restaurer leur compétitivité, mais l’accent a été également mis sur la nécessité de mener des réformes dans les pays ayant enregistré des excédents, ce qui contribuerait à un rééquilibrage plus symétrique.
17. Dans certains cas, par exemple dans l’étude économique sur le Portugal en 2010, il était recommandé d'abaisser la fiscalité sur le travail et d'augmenter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), au motif que cela servirait de relance à court terme, selon la technique dite aussi de la dévaluation fiscale.
18. Les Perspectives économiques 87 de l’OCDE reconnaissaient qu’il serait difficile de corriger les déséquilibres par une inflation faible ou une déflation à la périphérie et qu’il ne faudrait pas que tous les pays recherchent une compétitivité par les prix au même moment. Les avis de l’OCDE sur la politique monétaire, fiscale et structurelle ont reflété ce constat, notamment en préconisant une forte stimulation monétaire pour faire en sorte que l’objectif d’inflation soit satisfait et que l’inflation dépasse l’objectif visé dans les pays ayant enregistré des excédents. L’avis faisait une distinction pour ce qui est du rythme de la consolidation fiscale et de l’urgence des réformes dans les pays à balance excédentaire, mais il n’a pas donné suite à cette observation en recommandant une inflation globale plus élevée dans l’eurozone ou une stimulation fiscale dans les pays à balance excédentaire en vue de corriger les déséquilibres
19. Aujourd'hui, après trois ans de morosité et de récession permanente dans de nombreux pays membres, il est temps d'évaluer l’historique des prévisions et l’impact des actions politiques qui ont été prises, y compris celles recommandées par l’OCDE. Les taux de croissance réels se sont révélés beaucoup plus faibles que ceux prévus par l’OCDE et d’autres organismes de même nature en 2010. Le graphique 1 utilise des données de l’OCDE pour illustrer l’erreur de prévision, autrement dit la différence entre la croissance du PIB prévue et constatée, en fonction de l’effort de consolidation budgétaire qui avait été prévu à l’époque. Il s'avère, en moyenne, que les pays qui ont planifié un vaste ensemble de mesures d'assainissement budgétaire ont subi des effets néfastes sur la croissance plus importants que prévu. Cependant, l’OCDE fait valoir que ce résultat dépend beaucoup de l’inclusion ou non d’un certain pays dans l’échantillon et n’implique pas nécessairement de relation de cause à effet. De plus, d’autres facteurs comme l’ouverture, la structure financière et l’effet sur la zone euro de la crise de la dette souveraine semblent avoir affecté davantage les erreurs de prévision.

Graphique 1: Plans de consolidation budgétaire et erreurs de prévision de croissance

Graphic

Remarque: l’échantillon utilisé pour ce graphique couvre les pays de l’OCDE qui sont étudiés dans les Perspectives économiques mondiales du Fonds monétaire international (FMI), octobre 2012, Schéma 1.1.1.

20. Dans les pays de la zone euro en difficulté, les écarts de rendement des obligations se sont élargis. Le graphique n° 2 montre la hausse de l'écart en Espagne, en Italie et en Belgique entre 2010 et 2012. Il semblerait qu'en augmentant les taux en avril 2011, la BCE ait contribué à alimenter la panique sur les marchés obligataires européens. Par sa réponse trop brutale à la montée de l'inflation constatée à l'époque, la BCE a peut-être donné l'impression qu'elle n'aiderait pas les pays périphériques aux taux de change surévalués à freiner la spirale déflationniste, en tolérant un peu plus l'inflation sous-jacente. Les marchés obligataires en ont conclu que ces pays ne pourraient pas contenir longtemps le processus déflationniste, les anticipations de défaut se sont accrues, et une crise s’est déclenchée mécaniquement. La BCE semble avoir sous-estimé l'importance cruciale que revêt dans une union monétaire l’existence d'un prêteur en dernier ressort, sous la forme d'une banque centrale qui protège les gouvernements contre une rupture brutale de l'accès au financement.

Graphique 2: Ecarts de crédits obligataires à 10 ans par rapport aux Bunds allemands, pour l’Italie, la Belgique et l’Espagne

Graphic

Remarque: la première ligne indique la date à laquelle la BCE a relevé ses taux, la deuxième indique l’entrée en fonction du gouvernement Di Rupo-1 en Belgique.

3. La nécessité de «nouvelles approches»

21. Comment cette débâcle est-elle survenue? En partie, parce que les effets négatifs de la politique budgétaire sur la croissance ont été sous-évalués. Or I'impact des multiplicateurs budgétaires – qui se matérialise par une diminution en pourcentage du PIB résultant d'un montant donné de l'assainissement budgétaire – s'est avéré nettement supérieur à ce qui était attendu. A présent, des signes montrent enfin que les décideurs politiques européens deviennent raisonnables et acceptent de diminuer le rythme du durcissement de la politique budgétaire coordonnée. Le maintien de la récession, la montée du chômage, l'inflation inférieure aux objectifs, et des données pessimistes sur la monnaie et le crédit ont contraint – trop tardivement – la BCE à jouer un rôle plus actif en faveur de l'expansion. Dans le même temps, l'OCDE s'est engagée à réinventer la pensée économique en profondeur, dans le cadre d'une initiative intitulée «Nouvelles approches face aux défis économiques».
22. Si la crise de 2008-2009 a été le résultat d'une défaillance des marchés financiers, on ne peut que constater que la poursuite de la récession après 2010 est due en partie à une mauvaise appréciation et à des erreurs stratégiques dans le traitement des suites de la crise et des conséquences du fort accroissement de l’endettement du secteur privé. Cette initiative donne l'occasion de se pencher sur de nouvelles contributions universitaires, qui peuvent faciliter l'élaboration de politiques mieux adaptées à la crise en cours.
23. Au début de cette année, en qualité de rapporteur, j'ai eu le privilège de consulter récemment un document de travail de l'OCDE définissant certains principes directeurs de son action. J'ai été à la fois surpris et satisfait de lire des passages soulignant «la nécessité de revisiter les objectifs des politiques macroéconomiques» et «la nécessité d'accroître les capacités réglementaires des gouvernements». A un moment, le document évoque les «hypothèses erronées à propos du caractère auto-équilibrant de l'économie», et ailleurs, «la nécessité de réorienter les politiques vers la promotion du bien-être fondée sur la réduction des inégalités, de meilleurs emplois et un environnement plus sain, et pas seulement sur les résultats macroéconomiques».
24. En 2012, l’OCDE a lancé l’initiative «Nouvelles approches face aux défis économiques» en tant que processus de réflexion à l’échelle de l’organisation pour y catalyser un processus d’amélioration continue des cadres analytiques et du conseil politique. Conformément aux ambitions sous-tendant cette initiative et pour assurer une approche commune à toute l’organisation, le Secrétaire Général supervise lui-même ce travail avec l’aide de Gabriela Ramos, son chef du personnel et Sherpa du G20. Alors que la crise économique et financière est un catalyseur immédiat, une telle réflexion est également opportune pour un certain nombre de raisons afin de s’adapter à des problèmes politiques changeants, y compris l’intégration des grands marchés émergents dans l’économie mondiale; les mutations technologiques; le développement de la division internationale du travail; le vieillissement de la population, les migrations et autres évolutions démographiques; et la raréfaction des ressources naturelles, le changement climatique et la dégradation de l’environnement. Un thème transversal de l’initiative «Nouvelles approches» est constitué par les limites des outils d’analyse existants, des cadres politiques et des arrangements de gouvernance dans le contexte d’un renforcement considérable de l’interconnexion et de la complexité de l’économie mondiale. Ce phénomène s’observe aussi bien d’un pays à l’autre qu’au sein d’un même pays, entre le secteur financier et l’économie réelle et, plus profondément, entre diverses tendances mondiales qui se sont dessinées depuis plusieurs décennies.
25. L’initiative «Nouvelles approches face aux défis économiques» vise avant tout à élaborer un programme de politique stratégique pour le bien-être et la croissance durable et inclusive, fondé sur l’interconnexion, les complémentarités et les retombées des différents objectifs et instruments politiques. Par son travail sur le cadre de Nouvelles approches et l’accent mis délibérément sur la croissance, les inégalités et le bien-être, l’OCDE vise à élaborer de nouvelles perspectives combinant forte croissance économique et amélioration des conditions de vie qui comptent pour la qualité de la vie: santé, emploi, compétences et salubrité de l’environnement, y compris d’une génération à l’autre. Un des éléments essentiels de ce programme est le travail sur la croissance inclusive qui a été lancé à l’OCDE avec l’aide de la Fondation Ford. Dans son rapport de mai 2013, à l’occasion de sa Réunion annuelle du Conseil ministériel, l’OCDE s’est donné les objectifs suivants pour ses «Nouvelles approches face aux défis économiques»:
  • améliorer notre compréhension de la nature complexe et interconnectée de l’économie mondiale et trouver de meilleurs moyens de négocier des concessions politiques et de mettre à profit des synergies (par exemple entre croissance, inégalités, stabilité et environnement);
  • reconnaître l’importance de la croissance économique en tant que moyen, mais non en tant que fin en soi, d’élaborer des politiques, ce moyen présentant une définition plus large des résultats en matière de bien-être et permettant de concrétiser des résultats politiques qui combinent une croissance économique forte et des améliorations de niveau de vie ainsi que des avancées importantes pour la qualité de vie des gens (bonne santé, emploi, etc.);
  • identifier des domaines où les cadres analytiques de l’OCDE doivent être ajustés ou complétés, et voir comment intégrer transversalement des données, outils et approches économiques nouveaux (par exemple économie comportementale);
  • permettre aux gouvernements d’identifier, de classer par ordre de priorité et de combiner des réformes pour soutenir une croissance durable et inclusive.
26. Ces mentions laissent présager un changement de la pensée économique, tant par rapport à l'Europe qu'au niveau mondial. On peut donc enfin espérer que les penseurs du Sud et du Nord vont enfin s’unir dans le but commun de trouver des politiques favorables au bien-être de tous les habitants du monde. Je pense que l'OCDE doit être encouragée à poursuivre son travail sur ces «Nouvelles approches», afin d'introduire cette nouvelle pensée dans un débat qui tourne en rond depuis trop longtemps. Le monde doit se dégager des entraves dans lesquelles il est retenu. Regroupant des nations engagées dans les meilleures pratiques en matière de politique économique, l'OECD constitue la meilleure instance dans laquelle le débat peut progresser.

4. Réagir au piège à liquidités

27. En attendant, nous ne devons pas pour autant perdre de vue les dures réalités. Il ressort des études de l'OCDE une observation importante et lourde de conséquences, à savoir que la crise aurait des effets persistants sur le potentiel de croissance des économies. Ces effets ne sont pas seulement à court terme, les économies enregistrant des résultats inférieurs à la tendance: la capacité productive à long terme de l'économie d'un pays est atteinte. Les économistes parlent d'hystérèse pour désigner les conséquences à long terme d'effets à court terme.
28. L'hystérèse se matérialise sous diverses formes: des investissements productifs réduits, des investissements moindres dans la recherche et le développement, un intérêt limité des chômeurs de longue durée pour l'activité professionnelle, des effets marquants sur les jeunes au début de carrière difficile, la baisse des investissements gouvernementaux matériels et en capital humain. Toutes se traduisent par l'affaiblissement du potentiel de l'économie. Même lorsque celle-ci se redresse, elle se retrouve sur une voie de croissance plus lente.
29. Des économistes tels que DeLong et Summers 
			(4) 
			DeLong, B. and Summers,
L. (2012), Fiscal Policy in a Depressed Economy, dans Brookings
Papers for Economic Activity. ont souligné que l'hystérèse apportait une nouvelle dimension au débat sur l'austérité. En effet, elle met clairement en danger la viabilité à long terme des finances publiques, car elle place l'économie sur une voie de croissance ralentie. Corollaire de cette observation, l'expansion budgétaire temporaire peut s'autofinancer dans le long terme, si les conséquences des hystérèses sont suffisamment fortes. Si les multiplicateurs budgétaires sont moyens ou élevés, l'expansion budgétaire entraînera une croissance de l'économie à court terme. L’effet d’hystérèse permet à l’élan imparti sur une courte durée d’avoir des effets positifs pendant longtemps. Appliquant ce modèle à la zone euro, DeLong 
			(5) 
			DeLong,
B. (2012), Spending Cuts to Improve Confidence? No, the Arithmetic
Goes the Wrong Way, <a href='http://www.voxeu.org/'>www.voxEU.org</a>. indique que si le coût réel de l'emprunt à long terme dans la zone euro ne dépasse pas 5%, l'effet incitatif temporaire consolidera probablement la situation budgétaire et améliorera la confiance.
30. DeLong et Summers prennent soin de préciser que cet effet ne fonctionne que dans un nombre de cas de figure limités. Tout d'abord, il faut que les taux d'intérêt soient raisonnables. A l'évidence, un Etat en proie à de graves problèmes de liquidité ne sera pas capable de financer une expansion budgétaire à court terme. De plus, les multiplicateurs budgétaires doivent être raisonnablement élevés. DeLong et Summers expliquent que ce n'est, la plupart du temps, pas le cas. En temps normal, les banques centrales ont tendance à contrebalancer l'incitation budgétaire par une politique monétaire restrictive; l'expansion budgétaire n'aura alors aucun effet, les multiplicateurs étant proches de zéro.
31. Dans les crises graves comme celle que nous traversons aujourd'hui, les autorités monétaires peuvent être tentées de ne pas aller à contre-courant du marché, comme elles le font en temps normal. En effet, leurs outils semblent insuffisants pour combattre la crise: ce phénomène est appelé un piège à liquidités. C'est potentiellement la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui une grande partie du monde occidental.
32. En ma qualité de rapporteur, je souhaiterais vous livrer d'autres considérations que j'ai trouvées intéressantes en préparant le présent rapport. Les travaux de Gauti Eggertson et de Paul Krugman 
			(6) 
			Eggertson, G. et Krugman,
P. (2012), Debt, Deleveraging and the Liquidity Trap: A Fisher-Minsky-Koo
Approach Quarterly Journal of Economics 127(3):
1469-1513. ont montré que les pays asphyxiés par la dette peuvent ne pas tirer profit de politiques généralement considérées comme bénéfiques à la croissance. Il apparaît même que la flexibilité accrue et l'augmentation de l'offre de travail peuvent aboutir à des effets néfastes. En effet, la baisse des prix et des salaires due à ces politiques accroît la valeur réelle de la dette, si bien que la charge des ménages endettés prend une ampleur plus importante. Le cycle de déflation de la dette devient encore plus pervers qu'auparavant.
33. Dans un document récent, Eggertson et al 
			(7) 
			Eggertson,
G., Ferrero, A. et Raffo, A. (2013), Can Structural Reforms Help
Europe?, non publié. appliquent ce cadre à l'Europe. Selon eux, les réformes structurelles peuvent aggraver la récession, amplifier la déflation et accroître les taux d'intérêt réels. Ils suggèrent de revoir la conception des réformes structurelles, afin qu'elles ne fassent effet qu'une fois écartée la menace du piège à liquidités. Ils proposent même que durant la récession, ces réformes fonctionnent à rebours, avant d'être mises en œuvre en temps normal. Cependant, les résultats conditionnent la crédibilité des réformes annoncées et la capacité de la banque centrale d’accompagner la politique menée. De même, l’analyse de l’OCDE donne à penser que certaines réformes pourraient avoir des effets positifs sur l’activité même à court terme selon la nature de ces réformes et, ainsi que l’ont suggéré Eggertson et al., l’état de l’économie.
34. Le surendettement généré par les bulles spéculatives est un grave problème dans de nombreux pays périphériques. Au Portugal, en Irlande et en Espagne en particulier, les ménages se sont énormément endettés au cours des dix années qui ont précédé la crise financière.
35. Le transfert de la fiscalité du travail sur la TVA est parfois présenté comme un autre outil permettant de corriger les distorsions de la concurrence. L'expérience montre que ce type de mesure ne peut avoir que des effets temporaires: après un certain temps, les salaires se rééquilibrent pour rétablir le pouvoir d'achat, ce qui annule l'effet pro concurrentiel. Certaines études concluent que ces réformes ne produisent que des effets mineurs malgré leur taille budgétaire relativement importante 
			(8) 
			Lipinska,
A. et Von Thadden, L. (2012), Monetary and Fiscal Policy Aspects
of Indirect Tax Changes in a Monetary Union, unpublished, Board
of Governors of the Federal Reserve System..
36. Si l'assainissement est requis, le choix des instruments fiscaux adaptés doit également prendre en compte la question de l'équité, car il s'avère que l'austérité ne touche pas tout le monde de la même façon. Ball et al 
			(9) 
			Ball, L., Leigh, D.
et Loungani, P. (2011), Painful Medicine, Finance and Development. montrent que les compressions de dépenses, en sus de l'accroissement du chômage à long terme, touchent en premier lieu les salariés, tandis que les revenus locatifs et les bénéfices se rétablissent assez rapidement. Ces résultats permettent de penser qu'un ensemble de mesures d'assainissement équitable devrait comprendre des réformes qui allègent la pression fiscale du travail et la transfèrent sur le revenu du capital.
37. Après ce bref exposé, il apparaît clairement que les défis économiques qui nous attendent requièrent des conseils politiques soigneusement ajustés aux besoins des pays concernés. Il convient de prendre en compte le contexte précis, comme l'existence d'un surendettement, mais aussi la période engagée, notamment la menace d’un piège à liquidités.
38. Toutefois, dans le contexte de l’union monétaire européenne, il convient de tenir compte aussi de la responsabilité partagée des Etats membres. S’il n’est pas possible de parvenir à une union budgétaire pleine et entière, il faudrait envisager des politiques intermédiaires. Ainsi, pour Paul de Grauwe 
			(10) 
			De Grauwe, P. (2013),
Design Failures in the Eurozone. Can they be fixed? Euroforum KULeuven
Policy Paper., les pays qui ont pu stabiliser leur ratio dette publique/PIB devraient cesser de chercher à équilibrer leurs budgets et maintenir les ratios d’endettement constants au niveau de 2012.
39. L'OCDE a un rôle de conseil crucial à jouer, pas seulement pour les gouvernements de ses pays membres, mais pour toute la communauté mondiale. Elle a déjà attiré l’attention des gouvernements sur les difficultés engendrées par les écarts croissants de revenus dans la plupart des pays, et elle a élargi son analyse des réformes structurelles pro-croissance pour faire émerger les échanges pertes/gains, les synergies et les conséquences imprévues des réformes structurelles sur la distribution des revenus dans les pays.
40. Alors que l’échéance 2015 est en vue pour les Objectifs du Millénaire pour le développement, l’OCDE travaille, dans le contexte de sa Stratégie sur le développement, à renforcer l’engagement et le partage de connaissances avec les pays en développement. Des efforts permanents sont déployés pour intégrer le développement à tous les niveaux dans les travaux de l’organisation et matérialiser la cohérence des politiques pour le développement. Dans le domaine des politiques de l’environnement aussi, l’OCDE joue un rôle de premier plan en matière de conseils aux gouvernements. Sa Stratégie pour une croissance verte, lancée en 2011, est maintenant déclinée dans des domaines politiques clés. De même, le travail éducatif couvre de plus en plus les réalités des pays en développement.
41. Il est gratifiant de voir, grâce à ces exemples, que l’OCDE aborde enfin les questions de politique économique selon une approche holistique indispensable. Spécifiquement, elle fait progresser ces travaux par ses réflexions sur de «Nouvelles approches face aux défis économiques», qui mettent en avant la dimension de croissance inclusive présente dans ses conseils politiques. Je recommande que l’Assemblée parlementaire élargie incite l’OCDE à poursuivre dans cette voie afin de présenter des conclusions claires rapidement.

5. La fraude fiscale et l'évasion fiscale abusive: une menace pour les institutions démocratiques

42. Comme nous l'avons vu, la crise financière et économique restreint la capacité des gouvernements à financer les dépenses requises en matière de santé, d'éducation, d'aide sociale et d'infrastructure. Les pressions fiscales engendrent de vives réactions politiques, les citoyens protestant contre le double fardeau de la récession et des hausses d'impôt. La perte de recettes due à la fraude fiscale et aux stratégies abusives d'évasion fiscale des multinationales met en péril les systèmes démocratiques. Il faut saluer les efforts de l'OCDE pour venir à bout du problème, et notamment sa campagne contre les paradis fiscaux et son travail sur les BEPS.
43. Il reste néanmoins beaucoup à faire. Des mesures énergiques doivent être prises contre la fraude fiscale et les régimes fiscaux doivent être réformés en profondeur, afin de lutter contre l'évasion fiscale abusive. Les gouvernements ont le devoir de veiller à ce que les impôts soient prélevés équitablement et efficacement. La législation fiscale actuelle est pour une large part fondée sur la vision dépassée de l'activité économique dominée par des actifs fixes et comportant peu d'échanges transfrontaliers. Une économie numérique, axée sur des actifs incorporels et des transferts transfrontaliers rapides, requiert des approches radicalement nouvelles en matière de fiscalité. L'OCDE, qui a pour mission de définir des règles assurant le bon fonctionnement des marchés mondiaux, constitue un espace approprié pour l'élaboration de telles approches. Un nouveau mode de pensée animé par la volonté d'agir est aujourd'hui indispensable.
44. Je considère qu'il s'agit d'une question d'extrême urgence. En Europe, des fuites de documents et de courriers électroniques laissent supposer que des responsables politiques, des hommes d'affaires et d'autres personnes fortunées disposent de fonds présumés cachés dans des comptes secrets basés dans des paradis fiscaux. L'affaire a sapé la confiance dans les institutions démocratiques. Selon la Commission européenne, la fraude fiscale et l'évasion fiscale privent les gouvernements de l'Union européenne d'environ mille milliards d'euros en recettes annuelles. Le chiffre excède le montant total que les Etats membres de l'Union européenne dépensent en soins de santé, et s'élève à quatre fois le montant des dépenses consacrées à l'éducation.
45. Le Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, avait mis l'accent sur cette question lors du sommet du 22 mai 2013, durant lequel les dirigeants de l'Union européenne avaient réaffirmé leur engagement en faveur de la lutte contre les fraudeurs fiscaux. «L'évasion fiscale est injuste pour les citoyens qui travaillent dur et qui paient leurs impôts pour que nos sociétés fonctionnent. Elle est injuste pour les entreprises qui paient leurs impôts et qui ont du mal à rivaliser avec celles qui ne le font pas. L'évasion fiscale est un problème extrêmement grave pour les pays qui ont besoin des revenus nécessaires pour rétablir des finances publiques saines.»

6. Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices

46. La question n’intéresse pas seulement les pays développés. Les pays en développement souffrent massivement d’une hémorragie fiscale vers les paradis fiscaux. La question ne se limite pas non plus à l’évasion fiscale illégale. Les multinationales recourent à des pratiques fiscales totalement légales pour réduire au minimum leurs factures fiscales. Au Royaume Uni, des sociétés comme Amazon, Google et Starbucks ont été critiquées en raison des dispositions comptables qui leur ont permis de réduire légalement le montant des impôts qu’elles versent au Trésor britannique en dépit de ventes soutenues au Royaume Uni même. Aux Etats-Unis, la société Apple a été dénoncée par le Congrès parce qu’elle arrivait par l’évasion fiscale à éviter de payer des dizaines de milliards de dollars d’impôts sur ses opérations internationales, en passant par des filiales extraterritoriales. Dans d'autres pays, les préoccupations vont aussi croissant, car des multinationales exploitent abusivement des pratiques comptables transfrontalières pour augmenter leurs bénéfices en réduisant le montant des impôts exigibles.
47. Au cœur de ces opérations figure une habile manipulation du dénommé «principe de pleine concurrence», concept longtemps considéré essentiel pour garantir des conditions fiscales équitables entre les sociétés internationales. Ce principe de pleine concurrence exige que les entités d'une multinationale comptabilisent les transactions entre elles, comme si elles étaient indépendantes sur le plan fiscal. Le système avait pour vocation de promouvoir les activités transfrontalières en éliminant la double imposition des bénéfices.
48. Des exemples récents comme ceux mentionnés ci-dessus montrent toutefois que ce concept subit une telle distorsion que, dans de nombreux cas, il entraîne en fait un transfert artificiel de bénéfices. Les conditions de concurrence équitable tellement vantées ont créé un parcours semé d'ornières et d'embûches, un parcours aisément franchissable pour les escrocs de la finance, face aux inspecteurs des impôts qui ne disposent que de réglementations dépassées.
49. Aujourd'hui, outre le fait de combattre la fraude fiscale, il importe de procéder à une réforme de la fiscalité à grande échelle. Je pense qu'il ne suffira pas de réparer le système actuel pour relever les défis fiscaux auxquels l'Europe et le monde entier sont confrontés. Aux Etats-Unis, le Président américain Obama partage ce point de vue; comme il l'indique dans son Cadre pour la réforme de la fiscalité des entreprises, rapport conjoint publié en février 2012 par la Maison blanche et le Trésor américain, «d'après les données concrètes disponibles, le transfert de bénéfices opéré par les groupes multinationaux est un grave problème auquel il faut répondre en engageant une réforme fiscale».
50. Les dirigeants du G20 se sont saisis du problème, en reconnaissant «la nécessité de prévenir l'érosion de l’assiette fiscale et le transfert de bénéfices» dans leur déclaration finale au sommet de juin 2012 à Mexico. En réponse à une demande des ministres des Finances du G20, l'OCDE a publié un rapport en février 2013, intitulé «Addressing Base Erosion and Profit Shifting» (Lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices). Ce rapport, qui analyse les causes profondes de ces phénomènes et les raisons du transfert de bénéfices, identifie plusieurs éléments techniques liés aux procédures comptables qui facilitent ces pratiques. Ces éléments comprennent les produits hybrides et les asymétries qui facilitent l'arbitrage fiscal; l'équilibre fiscal dans la détermination de la résidence source, en particulier dans le contexte de l'économie numérique; les transactions financières intragroupe, qui permettent d'attribuer aux entités sises dans les pays à forte fiscalité un maximum de dettes; et les prix de transfert, avec notamment la répartition artificielle de la propriété d'actifs incorporels entre différentes entités et les économies de localisation.
51. Les produits hybrides, par exemple, s'appuient sur les différences de traitement et donc de fiscalité d'un pays à l'autre pour le même argent ou la même transaction. Les instruments hybrides qu'une entreprise peut traiter dans un pays comme une dette, et dans un autre comme des capitaux propres, et les transferts hybrides par lesquels une transaction peut être traitée comme le transfert de propriété d'un actif dans un pays, et comme un prêt avec garantie dans un autre sont notamment très répandus. De mon point de vue, l'Assemblée élargie devrait saluer cette analyse et demander instamment à l'OCDE de tout mettre en œuvre pour émettre des propositions de réforme claires.
52. Le Secrétaire Général de l’OCDE a présenté le rapport «Addressing Base Erosion and Profit Shifting» lors de la réunion du G20 des ministres des Finances de Moscou en février 2013. Ceux-ci ont approuvé le travail réalisé et demandé que soit élaboré un plan d’action global. Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a élaboré le plan d’action entre février et juin 2013. Les pays du G20 non-membres de l’OCDE ont participé à ce travail. Ils étaient tous présents lors de la réunion du 25 juin 2013 à Paris, pendant laquelle le plan d’action a été approuvé par le Comité. Le plan d’action a été présenté lors de la réunion des ministres des Finances du G20 le 19 juillet 2013, où il a bénéficié d’un soutien exceptionnel.
53. L’ambitieux plan d’action détermine 15 actions visant à combattre de façon globale et coordonnée l’érosion de la base fiscale et le détournement des bénéfices (voir synthèse en annexe). Ces actions conduiront aux changements les plus fondamentaux du système fiscal international depuis les années 1920. Elles sont fondées sur trois grands principes: cohérence, substance et transparence. Le plan invite de plus à œuvrer pour relever les défis posés par l’économie numérique. Il cherche des approches innovantes pour faire évoluer rapidement la situation et appelle à l’élaboration d’un instrument international que les pays pourraient utiliser pour mettre en œuvre les mesures élaborées au cours de ce travail.

7. Quels sont les responsables?

54. Dans le même temps, il convient de rappeler que l'évasion fiscale n'est pas seulement imputable aux stratégies abusives d'entreprises individuelles; elle est également le résultat de politiques fiscales des gouvernements nationaux, notamment celles conçues pour attirer les investissements des sociétés étrangères.
55. Le rapport de l'OCDE de février 2013 souligne aussi que l'efficacité des règles de lutte contre l'évasion fiscale a souvent été affaiblie par un lobbying intensif et les pressions concurrentielles. Sont également mis en cause les régimes préférentiels qui déplacent les sociétés vers des lieux d'imposition plus attractifs avec un bénéfice minime pour le pays hôte et une érosion considérable de la base d'imposition ailleurs. Les spécialistes de la question reconnaissent que les gouvernements ont été hypocrites, se plaignant de l’érosion de leur base d’imposition tout en offrant des avantages fiscaux à des entreprises étrangères.
56. Dans les suites données à son rapport de février 2013 et afin d’élaborer le Plan d’action qui a été présenté aux ministres des Finances du G20 en juillet 2013, l’OCDE a consulté tout un panel de parties prenantes en mars-avril 2013, notamment le secteur du commerce et de l’industrie, par le biais du Comité consultatif du commerce et de l’industrie auprès de l’OCDE (BIAC), les syndicats, représentés par le Comité consultatif des syndicats auprès de l’OCDE (TUAC), des organisations de la société civile et des organisations non gouvernementales (ONG). Les représentants du commerce et de l’industrie ont, comme on pouvait s’y attendre, exprimé des points de vue nuancés sur les questions soulevées; les représentants des syndicats et de la société civile n’ont, eux, pas mâché leurs mots en exprimant leurs préoccupations.
57. Dans un rapport intitulé “No More Shifty Business”, 58 ONG du monde entier ont salué l’analyse de l’OCDE, dans laquelle elles voient un appel urgent à concevoir un nouveau système international de fiscalité qui i) redresse la répartition, actuellement inéquitable, de la base mondiale de taxation, ii) traite les multinationales pour ce qu’elles sont, à savoir des structures complexes liées entre elles par une gestion centralisée, une intégration fonctionnelle et des économies d’échelle et iii) fasse en sorte que les multinationales paient leurs impôts dans le pays où leurs activités économiques et leur investissement sont réellement basés, plutôt que dans des juridictions où leur présence est fictive et motivée par des stratégies inacceptables d’évasion fiscale.
58. Dans un commentaire ultérieur, qui à mon sens mérite d’être cité in extenso, le groupe déclarait:
«L’érosion de la base fiscale et le détournement des bénéfices résultent d’une faille structurelle profonde dans le système fiscal international, une faille qui est une cause majeure d’instabilité pour ce dernier. En effet, le système ne traite pas les entreprises multinationales selon la réalité économique de leurs activités. Au contraire, il fonctionne selon le principe, qui a pris de plus en plus de poids, qu’elles devraient être taxées comme si elles fonctionnaient en tant qu’entreprises distinctes dans chaque pays et étaient indépendantes les unes des autres. Cette fiction, non seulement permet aux multinationales d’organiser leurs affaires en formant des entités dans des juridictions leur donnant la possibilité de réduire leur taux d’imposition effectif global, mais les y encourage.
L’évasion fiscale systématique permise par cette faille structurelle dans le système a de nombreuses conséquences extrêmement dommageables. Les gouvernements et autorités fiscales sont à bon droit préoccupés par les pertes immédiates de recettes, mais les ramifications vont bien plus loin:
l’évasion fiscale systématique pratiquée par les plus gros et les plus puissants conglomérats mondiaux sape la légitimité de la fiscalité partout, comme le reconnaît le rapport de février sur les BEPS;
elle donne aux multinationales qui exploitent ces possibilités d’évasion des avantages concurrentiels très conséquents par rapport aux entreprises nationales, ce qui aboutit à une allocation inefficiente des investissements et à des distorsions majeures dans l’activité économique;
dans le même temps, elle entraîne des distorsions dans les décisions de ces entreprises elles-mêmes, avec à l’arrivée des bénéfices pour certains pays, mais au prix de pertes globales en matière de bien-être économique;
elle a particulièrement affecté le secteur de la finance, contribuant largement à la création d’activités bancaires occultes, à des effets de levier excessifs et à l’apparition d’autres techniques du même acabit, et donc à la financiarisation des économies, qui a créé la bulle ayant causé le crash financier de 2007-2009 qui a dévasté des économies entières;
elle soutient le secteur international de l’optimisation fiscale, ce qui entraîne un gâchis considérable en dépenses pour les entreprises comme pour les gouvernements;
les techniques et montages conçus par le secteur de l’optimisation fiscale, utilisant les paradis fiscaux extraterritoriaux et le secret systématique, servent aussi à tous types d’évasion, non seulement sur le plan fiscal, mais aussi pour le blanchiment de l’argent du crime, la corruption et le terrorisme;
l’érosion de la base fiscale et le détournement des bénéfices, et de manière générale l’évasion et la fraude fiscales, sapent gravement les efforts déployés pour éradiquer la pauvreté et réduire les inégalités, notamment par le biais de l’aide publique au développement.»
59. Comme le montrent bien ces considérations, les gouvernements nationaux vont devoir revoir de nombreux aspects de leurs politiques fiscales. Nous ne devrions sous-estimer ni la complexité de cette tâche, ni son urgence. En particulier, les gouvernements doivent veiller à ce que les règles internationales pour la taxation des multinationales soient réformées en profondeur pour refléter convenablement les pratiques de production et de commerce dans l’économie globalisée d’aujourd’hui.L'Assemblée élargie devrait donc appeler l'OCDE à prendre la tête des opérations avec résolution.

8. Il est temps d'envisager une «imposition uniforme» des sociétés transnationales

60. Une attention plus particulière devrait être portée, à mon sens, aux distorsions causées par l'application actuelle du principe fiscal de pleine concurrence. La méthode de l’«entité distincte» ouvre aux multinationales une large voie pour transférer leurs bénéfices dans le monde selon leur bon vouloir. L’OCDE a cherché à remédier aux failles du système par un renforcement de la coopération et de la coordination entre les gouvernements et une révision de ses Principes applicables en matière de prix de transfert pour faire en sorte que les règles arrêtées produisent l’effet escompté.
61. Cependant, certains commentateurs ont suggéré qu'il est plutôt temps d'examiner de plus près les propositions d'imposition uniforme pour les multinationales, selon lesquelles celles-ci seraient traitées comme des entités distinctes. Dans ces conditions, les multinationales devraient présenter un jeu unique de comptes consolidés mondiaux dans chaque pays dans lequel elles exercent une activité, en imputant une part de l'ensemble de leurs bénéfices mondiaux à chaque pays, en fonction d'une formule pondérée qui traduirait la nature véritable de leur présence économique. Grâce à ce rapport, tous les pays pourraient avoir une vue d'ensemble complète et taxer leur quote-part des bénéfices mondiaux à leur propre taux.
62. Il me semble que cette approche procurerait d’importants avantages. En simplifiant l’administration des impôts, elle pourrait réduire les coûts liés à la conformité pour les entreprises; elle pourrait aligner les barèmes d’imposition plus étroitement sur la réalité économique, améliorant par là-même l’équité et la transparence du système international de taxation; et elle pourrait restreindre considérablement les possibilités d'évasion fiscale internationale fondée sur le transfert des bénéfices ou les paradis fiscaux. Cela permettrait d'instaurer réellement des conditions de concurrence équitable pour les entreprises et profiterait en particulier aux pays en développement souvent désavantagés par les pratiques en cours.
63. Tendre vers ce but ne sera pas chose aisée. Dès 1935 déjà, la Ligue des Nations avait conclu qu’une imposition uniforme était “politiquement impossible”. A l’OCDE, les responsables des discussions sur les questions de politique de taxation internationale laissent entendre qu’une telle approche ne serait pas possible dans l’environnement actuel, où la politique fiscale relève de la décision des Etats souverains. Or, l’expérience en matière de politique fiscale internationale montre pourtant qu’il est possible de changer les choses en profondeur. Le plan d’action publié par l’OCDE et soutenu par les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 en juillet 2013 reconnaît, il convient de le noter, que si le principe de pleine concurrence ne permet pas de traiter les questions liées aux prix de transfert, concernant les biens incorporels, le risque et la surcapitalisation, des mesures plus ambitieuses seront proposées.
64. L’article 26 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE prévoit un échange de renseignements à la demande en tant que norme minimum des traités bilatéraux à signer entre les Etats membres, mais il permet toutes les formes d’échange, y compris les échanges automatiques, ainsi que l’explique le Commentaire du Modèle de convention fiscale. L’OCDE œuvre depuis de longues années en faveur d’un échange automatique de renseignements sur un certain nombre de points liés aux revenus imposables, ainsi que le montre son rapport «Echange automatique de renseignements: Qu’est-ce que l’échange automatique de renseignements, comment fonctionne-t-il, quels sont ses avantages, quels progrès reste-t-il à accomplir?», qui a été salué par les responsables du G20 en 2012.
65. En juillet 2013, les ministres des Finances du G20 ont déclaré que l’échange automatique de renseignements était la nouvelle norme mondiale. Je note avec satisfaction que l’OCDE est à la pointe pour promouvoir celle-ci au niveau international, pour faire progresser l’élaboration d’une norme mondiale unique de modèles multilatéraux et bilatéraux d’échanges automatiques de renseignements. Le Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, qui regroupe actuellement 120 membres, a été chargé par le G20 de suivre et d’examiner sa mise en œuvre effective.
66. Pour ce qui est des efforts pour assurer une taxation équitable des revenus des multinationales, je suggère que l’Assemblée élargie invite l’OCDE à ne pas fermer la porte à une imposition uniforme, mais plutôt qu’elle examine une approche par étapes, qui débuterait par l'obligation pour les sociétés multinationales de produire un rapport financier mondial complet, comprenant un compte rendu pays par pays. Une fois ce but atteint, des mesures supplémentaires pourraient être envisagées, notamment la possible adoption de l’approche de l’imposition uniforme au niveau des groupements régionaux comme l'Union européenne, l'Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et le Mercosur, en prélude d'une adoption plus large.
67. A cet égard, je suggère en outre que l’Assemblée élargie invite l’OCDE à faire davantage pour associer les pays en développement aux travaux sur la BEPS. Je note que l’OCDE a instauré des groupes de travail spécialisés pour discuter d’aspects clés de la question (Contrer l’érosion de la base d’imposition, Juridiction d’imposition et Calcul des prix de transfert). L’OCDE signale que les pays ont été invités à faire acte de candidature pour y travailler et que ces groupes ont été constitués sur cette base, en tenant compte de la plupart des demandes des pays. Cependant, les participants de ces groupes de travail spécialisés appartiennent exclusivement à l’OCDE ou au G20. En ma qualité de rapporteur, j’estime important que des mesures soient prises pour que les pays en développement plus petits aient également voix au chapitre dans ce type d’enceintes.
68. Le «projet BEPS OCDE/G20» a été lancé pour faire davantage participer les grands pays non-membres de l’OCDE dans le cadre du plan d’action. De cette manière, les Etats du G20 qui ne sont pas membres de l’OCDE pourront y participer sur un pied d’égalité. D’autres pays qui ne font partie ni de l’OCDE ni du G20 peuvent aussi être invités sur une base ad hoc. De plus, les programmes d’information de l’OCDE serviront à faire participer les pays en développement à ce travail. En particulier, les quatre forums mondiaux sur les conventions fiscales, sur les prix de transfert, sur la TVA et sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales seront des cadres utiles pour que les pays en développement puissent faire des contributions de même que le Groupe de travail de l’OCDE sur la fiscalité et le développement. Par ailleurs, le Comité des affaires fiscales (CAF) bénéficiera de la participation des Nations Unies, qui en fait partie depuis janvier 2012.

9. Renforcer la lutte contre les paradis fiscaux

69. En parallèle, je pense que l'Assemblée élargie devrait appeler l'OCDE à renforcer sa lutte contre l'évasion fiscale illégale, que les paradis fiscaux persistent à encourager. En particulier, l’Assemblée élargie devrait soutenir les efforts de l’OCDE pour faire pression au niveau international en vue de la mise en place de modalités permettant l’échange automatique de renseignements à des fins fiscales, afin de lutter contre l’évasion fiscale illégale.
70. L'OCDE a montré que l'échange automatique de renseignements facilite la lutte contre la fraude fiscale extraterritoriale de différentes façons. Il peut fournir des renseignements en temps voulu lorsque la fraude concerne le rendement du capital investi ou le capital sous-jacent. Il permet aussi d'identifier des cas de fraude alors que les administrations fiscales elles-mêmes n'avaient aucune présomption. Enfin, il a un effet dissuasif, renforce l'observation volontaire de la législation et encourage les contribuables à divulguer tout renseignement pertinent.
71. A ce propos, l'Assemblée élargie devrait saluer les progrès déjà accomplis en ce qui concerne la transparence et l’échange de renseignements à la demande, sous l'égide du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales et du Forum sur l'administration fiscale. Créé par l'OCDE en 2000 pour définir des normes fiscales mondiales, le Forum mondial compte aujourd'hui 120 pays membres et juridictions. Depuis 2009, date à laquelle le G20 a engagé des mesures de répression contre les paradis fiscaux en appelant à l'application effective des normes d'échange de renseignements à la demande convenues sur le plan international, le Forum mondial a publié 113 rapports d'examen par les pairs.
72. Des avancées ont pu être réalisées pour ce qui est du nombre d'accords bilatéraux conclus entre juridictions pour échanger des renseignements. Il y a cinq ans, la plupart des échanges s'effectuaient à partir d'un réseau de conventions fiscales entre des juridictions qui collaboraient depuis longtemps. Aujourd’hui, on compte dans le monde plus de 850 accords bilatéraux pour l’échange de renseignements à des fins fiscales (TIEA).
73. Dans le même temps, l'initiative prise par l'OCDE en 2011 pour mettre à jour et élargir la Convention jointe Conseil de l’Europe/OCDE concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE n° 127) a fait plus que doubler le nombre de signataires et a multiplié les relations d'échange de renseignements, 228 nouvelles relations étant notamment établies alors qu’auparavant, aucun accord bilatéral n'existait. Globalement, le nombre de nouvelles relations d'échange de renseignements (bilatérales et multilatérales) a augmenté de plus de 1 100 depuis 2009. Il convient de noter que la convention constitue un mécanisme utile et efficace pour une mise en œuvre rapide de l’échange automatique de renseignements.
74. Alors que certains membres du Forum mondial doivent encore corriger des déficiences dans leur cadre juridique, il est intéressant de noter que la plupart des juridictions ont aujourd'hui franchi cette étape et peuvent entamer la suivante dite phase 2, qui consiste à évaluer l'efficacité de leurs pratiques en matière d'échange de renseignements. Pour cette étape, le Forum mondial commencera par estimer l'application des normes par les pays, sur la base d'un système de classification à quatre niveaux: «conforme», «largement conforme», «partiellement conforme» et «non conforme». Une première série d'examens couvrant environ 50 juridictions fiscales sera achevée d'ici la fin de cette année.
75. Parallèlement, l'Assemblée élargie peut prendre note des résultats de la réunion des directeurs d'administrations fiscales de 45 économies, qui s'est tenue à Moscou les 16 et 17 mai 2013 dans le cadre du Forum sur l'administration fiscale, et en particulier du travail réalisé par son Réseau pour la discipline fiscale extraterritoriale, qui a permis d'échanger des idées, des outils et des techniques afin de mettre un terme aux fraudes fiscales extraterritoriales.
76. Certains pays se sont montrés particulièrement efficaces dans la collecte et l'utilisation de données sur les transactions financières transfrontalières, afin de détecter les fraudes fiscales extraterritoriales. Les outils et les techniques qu'ils ont élaborés sont décrits dans un manuel mis à la disposition des membres du réseau. A ce manuel, s'ajoute un guide pratique à l'intention des contrôleurs internationaux, qui leur décrypte les codes utilisés par les banques lorsqu'elles effectuent des transferts transnationaux pour désigner les comptes impliqués dans les transactions. En outre, le réseau a mis au point une technique de catalogage, illustrée par des exemples pratiques, pour aider ses membres à concevoir et perfectionner leurs stratégies de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales extraterritoriales, en particulier pour les enquêtes sur des structures extraterritoriales complexes.
77. En dépit de ces avancées, je pense que le travail est loin d'être achevé pour combattre le fléau mondial des paradis fiscaux. En 2008, d'après une étude de Gabriel Zucman 
			(11) 
			Zucman, G. (2013),
The Missing Wealth of Nations: Are Europe and the U.S. Net Debtors
or Net Creditors?, à venir dans Quarterly
Journal of Economics. de l'Ecole d'économie de Paris, environ 8 % du patrimoine financier des ménages dans le monde, soit autour de six billions de dollars, était détenu dans des paradis fiscaux. Cette masse de capitaux qui échappe aux administrations fiscales nationales entraîne des moins-values considérables pour des budgets nationaux déjà serrés. Les centres financiers extraterritoriaux n'ont plus leur place dans un environnement politique qui, au sortir de la crise financière, attache plus d'importance que jamais à la transparence et à la réglementation du secteur financier. Dans le monde d'aujourd'hui, les paradis fiscaux apparaissent de plus en plus comme des aberrations.

10. La nécessité d'une approche de type «Big Bang»

78. Il est par essence extrêmement difficile d'évaluer les effets des changements politiques sur les flux de capitaux qui transitent entre les centres financiers extraterritoriaux et d'autres pays. Toutefois une étude menée par Zucman et Niels Johannesen 
			(12) 
			Johannesen, N. and
Zucman, G. (2012), The End of Bank Secrecy? An Evaluation of the
G20 Tax Haven Crackdown, à venir dans American
Economic Journal: Economic Policy., de l'université de Copenhague, a apporté des informations très intéressantes. A partir de données fournies par la Banque des règlements internationaux (BRI), ils ont pu analyser le fonctionnement des transferts bancaires bilatéraux entre 14 pays, dont la Suisse et le Luxembourg, sur une base trimestrielle.
79. Les résultats de cette étude ont fait ressortir les mouvements de fonds provenant de paradis fiscaux et entre ceux-ci, à la suite de traités signés par les paradis fiscaux avec les pays de l'OCDE. Les fraudeurs fiscaux semblent avoir peu réagi à la signature de ces traités; les rapatriements de fonds ont été limités. Apparemment, un grand nombre de fraudeurs n'ont pas eu l'impression que la signature du traité augmenterait beaucoup la probabilité d'être repérés.
80. Ceux qui ont réagi à la signature des traités n'ont pas, pour la majeure partie, rapatrié leurs fonds dans le pays d'origine, mais les ont plutôt transférés vers d'autres paradis fiscaux qui n'avaient pas signé les traités. De fait, après l'initiative du G20 de 2009 pour lutter contre la fraude fiscale extraterritoriale, la valeur totale des dépôts dans les paradis fiscaux a augmenté, des données montrant un déplacement modéré des dépôts entre paradis fiscaux. Le graphique n° 3 ci-après illustre ces fluctuations.

Graphique 3

Graphic

Source: Johannesen, N. et Zucman, G. (2012).

81. L’OCDE déclare qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions fermes de ces données, puisque bon nombre des 1 100 nouveaux arrangements pour l’échange de renseignements sont à peine entrés en vigueur, ce qui veut dire que leur impact ne se fera sentir que lorsque les pays commenceront à s’en servir de manière intensive. Cependant, j’estime que les conclusions de Johannesen et Zucman exposent les limites de la méthode progressive jusque-là recommandée par le G20 et l'OCDE.
82. L'OCDE a joué un rôle décisif dans l'élaboration d'une réponse politique au phénomène de la fraude fiscale extraterritoriale. Mais son approche, et celle du G20, s'est limitée à engager une réforme en douceur et par paliers. Les centres financiers dits non coopératifs ont été remis sur liste blanche dès leur signature de 12 traités bilatéraux sur l'échange de renseignements, les libérant ainsi de toute sanction possible. La signature d'un traité ne conduit pas automatiquement à l'échange de renseignements: la norme actuelle des échanges n'exige de fournir que les renseignements demandés. Les fraudeurs fiscaux exploitent les failles de l'approche actuelle, qui incite les paradis fiscaux à signer le nombre le plus restreint possible de traités.
83. De plus, les conclusions de Johannesen et Zucman montrent les limites pesant sur la capacité des gouvernements à suivre les flux financiers et l’évasion fiscale illégale. Les fonds sont souvent cachés dans des structures d’entreprise opaques, comme des fiducies ou des fondations, qui occultent l’identité de leur bénéficiaire final effectif. Les «juridictions du secret» utilisent des dispositions législatives et réglementaires conçues pour renforcer cette opacité afin d’attirer des capitaux ne respectant pas les règles de conformité applicables. De mon point de vue, en l’état actuel des choses, une action concertée s’impose sur un certain nombre de fronts.
84. En ma qualité de rapporteur, je me dois de souligner que le plus gros du document cité en note de bas de page 13 est consacré à une analyse économétrique qui identifie les conséquences découlant de la signature de traités sur l’échange de renseignements sur demande concernant les dépôts extraterritoriaux, tous les autres éléments demeurant constants. La conclusion la plus importante est qu’il ne se passe pas grand-chose. Etant donné que les échanges sont sur demande, les traités sur l’échange d’information ne mettent pas les fraudeurs fiscaux en danger, c’est pourquoi ces derniers ne réagissent guère. Ceux qui le font (une faible minorité) transfèrent leurs dépôts dans des paradis fiscaux qui ne se conforment pas à la réforme en cours. C’est ce qui ressort des données, sur la base d’une méthodologie rigoureuse qui analyse les facteurs pouvant entraîner une confusion.
85. Il me semble qu’il est essentiel de souligner une fois de plus qu’il y a une différence réelle et cruciale entre l’échange de renseignements sur demande et l’échange automatique de renseignements. Actuellement, les renseignements échangés sur demande grâce aux plus de 800 traités en vigueur sont extrêmement rares. Ainsi, les services de l’administration fiscale française reçoivent, par an, des informations sur une cinquantaine de comptes bancaires étrangers en activant les nombreux traités qu’ils ont signés. Or, les résidents français ont au moins 100 000 (et plus vraisemblablement 200 000, voire 300 000) comptes de ce type. Par un échange automatique de renseignements, ce sont des renseignements sur chacun de ces comptes qui seraient transmis chaque année – soit sur environ 200 000 comptes plutôt que sur une cinquantaine actuellement – ce qui fait une énorme différence. En réalité, il reste simplement 99,98% du travail à faire.
86. L'expérience a montré qu'une action concertée des grands pays pouvait avoir des effets. Lorsque l'initiative du G20 a été lancée en avril 2009 et que les juridictions contrevenantes se sont vues menacées de sanctions financières, les paradis fiscaux se sont dépêchés de signer les traités qu'on leur présentait. Peu importe si ces traités n'ont pas donné les résultats escomptés. L’efficacité de l’action concertée a néanmoins été démontrée. Je suis donc heureux que l’OCDE et le G20 ouvrent la voie de la mise en œuvre d’une norme mondiale unique en matière d’échange automatique de renseignements.
87. En juillet 2013, le G20 a qualifié l’échange automatique de nouvelle norme mondiale, il a invité l’ensemble des juridictions à adhérer à cette norme et a chargé le Forum mondial de suivre et d’examiner l’effectivité de sa mise en œuvre. Il a aussi souligné la nécessité d’aider les pays en développement à mettre en œuvre la nouvelle norme mondiale. D’autres initiatives de l’OCDE comme les «inspecteurs des impôts sans frontières» ont aussi été saluées par les responsables du G8 lors du sommet de 2013 à Lough Erne (Irlande du Nord).
88. Dans le même temps, les gouvernements doivent revoir certains aspects de base, techniques, de leurs dispositions relatives aux déclarations fiscales, notamment par exemple l’utilisation standardisée de numéros d’identification fiscale, pour rendre l’échange de renseignements efficace. Le 18 juin 2013, l’OCDE a rendu public un rapport préparé pour le G8, intitulé «A step Change in Tax Transparency» (Un tournant pour la transparence fiscale), qui contient les démarches pratiques qui devraient être entreprises afin de faire de l’échange automatique d’information une réalité. Ce rapport alimentera d’autres débats au niveau du G20 
			(13) 
			<a href='http://www.oecd.org/ctp/exchange-of-tax-information/taxtransparency_G8report.pdf'>www.oecd.org/ctp/exchange-of-tax-information/taxtransparency_G8report.pdf</a>.. De même, lors de la réunion des ministres des Finances du G20 en juillet 2013, l’OCDE a été invitée à soumettre en novembre un rapport d’étape sur l’élaboration d’une norme unique mondiale en matière d’échanges automatiques, y compris un calendrier pour l’achèvement des travaux en 2014.
89. A mon sens, pour combattre l’évasion fiscale illégale, il faut à l’évidence des informations statistiques plus détaillées sur les flux financiers des ménages et des entreprises en direction de juridictions à taxation faible ou nulle. Il conviendrait également de prendre des mesures au niveau international pour être à même d’identifier le bénéficiaire final effectif des actifs détenus dans des sociétés de type fiducies et fondations, en imposant par exemple aux administrateurs de ce type de montage des obligations similaires à celles imposées aux banques pour lutter contre le blanchiment d’argent. C’est pourquoi, l’Assemblée devrait soutenir l’appel du G20 au Forum Mondial afin qu’il prenne en compte les travaux du Groupe d’action financière (GAFI) sur les bénéficiaires effectifs.
90. Même si de telles mesures peuvent être adoptées et mises en œuvre, il est peu probable qu’elles soient efficaces sauf si les gouvernements conviennent d’une approche de type «Big Bang», à la faveur de laquelle les paradis fiscaux seraient invités à signer des traités avec tous les pays au lieu d’en rester à la politique actuelle de petits pas. Une telle évolution pourrait aussi se faire rapidement si l’on faisait signer aux paradis fiscaux la Convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Une telle approche devrait être assortie de la menace d’imposer des restrictions sur les transactions financières aux juridictions qui refusent de s’engager dans cette voie afin d’éviter la perspective autrement inévitable d’une fuite de capitaux vers les endroits qui continuent d’offrir des mécanismes permettant de pratiquer l’évasion fiscale. Pour y parvenir, il faut qu’une coopération internationale se mette en place au niveau du G20, l’OCDE ayant un rôle clé à jouer pour préparer le terrain. L'Assemblée élargie devrait appeler l'OCDE à travailler avec ses pays membres pour accroître la pression afin d’agir sur tous ces fronts. L'OCDE devrait prendre la tête d'une nouvelle campagne globale de lutte contre les paradis fiscaux.

Annexe – Synthèse du plan d’action de l’OCDE concernant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices

(open)

Action 1: Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique – Un groupe de travail spécial recensera les questions soulevées par l’économie numérique et les actions éventuelles pour y faire face. Le travail portera sur une analyse approfondie des différents modèles économiques, sur le paysage économique toujours mouvant et sur une meilleure compréhension de la création de valeur, y compris sous l’angle de la fiscalité indirecte.

Action 2: Neutraliser les effets des montages hybrides – Les asymétries du traitement réservé par la législation fiscale aux entités et instruments peuvent permettre à des sociétés de bénéficier de déductions multiples pour la même dépense économique ou d’escamoter des revenus imposables. Cette action conduira à des dispositions internes et conventionnelles pour neutraliser les montages en ce sens.

Action 3: Renforcer les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées (SEC) – L’une des causes des préoccupations liées à la BEPS est la possibilité de créer des entités extraterritoriales et de faire passer des recettes par leur intermédiaire à des fins d’évasion fiscale dans le pays de l’actionnaire. Des règles strictes applicables aux SEC peuvent permettre de traiter cette question en incorporant en continu les revenus de ces entités extraterritoriales dans les revenus de l’actionnaire.

Action 4: Limiter l’érosion de la base d’imposition via les déductions d’intérêts et autres frais financiers – Certaines sociétés utilisent des déductions d’intérêt pour réduire leur bénéfice imposable ou recourent à l’endettement (qui crée des déductions de la charge d’intérêts) pour financer la création de revenus défiscalisés. Cette action conduira à des règles visant à prévenir la BEPS par le biais de la charge d’intérêts et d’autres paiements financiers.

Action 5: Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables – Les pays reconnaissent depuis longtemps que la «baisse compétitive» ramènera en fin de compte à zéro dans tous les pays les taux d’imposition applicables à certaines sources mobiles de revenu, que ce soit ou non la politique fiscale que le pays veut mener. Cette action conduira à revoir le travail sur les pratiques fiscales néfastes en mettant l’accent sur la transparence des régimes et sur l’activité économique nécessaire pour en tirer profit.

Action 6: Empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales – Alors que certaines conventions fiscales sont conçues pour prévenir la double imposition, elles servent dans certains cas pour obtenir une double non-imposition en particulier par le recours à des sociétés-écrans créées dans un pays tiers (c’est-à-dire un autre pays que celui de l’investisseur ou de l’investissement). Cette action conduira à des dispositions destinées à prévenir l’octroi d’avantages conventionnels lorsque les circonstances ne s’y prêtent pas.

Action 7: Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable – En droit international, un pays ne peut imposer les bénéfices commerciaux d’une société étrangère sauf si elle y a un établissement stable. Si la société n’est pas imposée pour ces bénéfices dans la juridiction où elle a son siège, il y a double non-imposition. Cette action conduira à réviser la définition «d’établissement stable» pour empêcher une société d’échapper au statut d’établissement stable dans le contexte de la BEPS.

Action 8: Faire en sorte que les prix de transfert calculés soient conformes à la création de valeur: actifs incorporels – Les règles applicables aux prix de transfert servent à affecter les revenus retirés par les entreprises multinationales (EMN) dans les différents pays où elles ont des activités. Dans certains cas, les EMN arrivent à utiliser et/ou détourner les règles existantes pour dissocier les revenus des activités économiques qui permettent de dégager ceux-ci. Cette action conduira à l’élaboration de règles qui empêchent la BEPS par transfert d’actifs incorporels.

Action 9: Faire en sorte que les prix de transfert calculés soient conformes à la création de valeur: risques et capital – Les règles applicables aux prix de transfert servent à affecter les revenus retirés par les EMN dans les différents pays où elles ont des activités. Dans certains cas, les EMN arrivent à utiliser et/ou détourner les règles existantes pour dissocier les revenus des activités économiques qui permettent de dégager ceux-ci. Cette action conduira à l’élaboration de règles qui empêchent la BEPS par transfert de risques ou affectations excessives de capitaux.

Action 10: Faire en sorte que les prix de transfert calculés soient conformes à la création de valeur: autres transaction à haut risque – Les règles applicables aux prix de transfert servent à affecter les revenus retirés par les EMN dans les différents pays où elles ont des activités. Dans certains cas, les EMN arrivent à utiliser et/ou détourner les règles existantes pour dissocier les revenus des activités économiques qui permettent de dégager ceux-ci. Cette action conduira à l’élaboration de règles qui empêchent la BEPS par des transactions qui ne devraient jamais se produire entre des tiers ou qui ne devraient se produire que très rarement.

Action 11: Mettre au point des méthodes permettant de collecter et d’analyser des données sur la BEPS ainsi que les mesures prises pour y remédier – Il convient de poursuivre le travail visant à mesurer l’ampleur et les effets de la BEPS et à suivre l’incidence des actions prises pour y remédier. Cette action recensera les outils nécessaires pour évaluer l’efficacité et l’effet économique des mesures prises pour faire face à la BEPS, y compris les retombées de celle-ci.

Action 12: Obliger les contribuables à faire connaître leurs dispositifs de planification fiscale abusive – L’amélioration des mesures de divulgation peut aider les administrations fiscales et les responsables de la politique fiscale à cerner les nouveaux domaines de risques. Elle a aussi un effet dissuasif en matière de planification fiscale abusive. Cette action conduira à des règles de divulgation obligatoire axée sur ce type de dispositifs.

Action 13: Réexaminer la documentation des prix de transfert – Alors que les contribuables sont souvent invités à présenter une volumineuse documentation sur les dispositifs liés aux prix de transfert, dans bien des cas, les renseignements ne permettent pas à l’administration fiscale de brosser un tableau global des dispositifs mondiaux mis en place par un contribuable. Cette action conduira à des règles concernant la documentation sur les prix de transfert, ce qui favorisera la transparence envers l’administration fiscale, tout en tenant compte des frais supportés par les sociétés pour se mettre en règle, sans oublier l’exigence faite aux EMN de fournir à toutes les autorités intéressées les renseignements nécessaires sur l’affectation mondiale de leurs revenus, leurs activités économiques et les impôts versés pays par pays.

Action 14: Accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends – Il faut compléter les actions destinées à endiguer la BEPS par des mesures destinées à assurer la sécurité et la prévisibilité nécessaires pour favoriser les investissements dans l’environnement d’aujourd’hui. Cette action conduira à cette sécurité par l’élaboration de solutions visant à lever les obstacles qui empêchent les pays de régler les litiges relevant du droit conventionnel.

Action 15: Elaborer un instrument multilatéral – La révision du Modèle de convention fiscale de l’OCDE restera sans effet direct en l’absence de modification des conventions fiscales bilatérales. Un instrument multilatéral servant pour la révision des conventions bilatérales est un moyen prometteur d’aller de l’avant. L’OCDE a entamé le travail nécessaire pour élaborer un tel instrument permettant d’incorporer rapidement les révisions conventionnelles.