1. Introduction
1. Deux semaines après ma nomination au poste de rapporteur
par la commission des questions politiques et de la démocratie,
j'ai assisté du 11 au 13 février 2013 aux Journées parlementaires
de l'OCDE, et en particulier au Séminaire parlementaire de haut
niveau de l'OCDE intitulé «Suivre l'argent: commerce, fiscalité et
banques». A cette occasion, j'ai aussi pu rencontrer plusieurs membres
de haut niveau du Secrétariat de l’Organisation de coopération et
de développement économiques (OCDE) et mon compatriote, Yves Leterme, Secrétaire
général adjoint de cette organisation.
2. A la suite de mon échange de vues avec M. Leterme, j'ai décidé
que mon rapport traiterait des thèmes suivants: l'initiative de
l'OCDE sur les «nouvelles approches face aux défis économiques»
(New Approaches to Economic Challenges, NAEC); le développement
et la fiscalité; et le projet de l'OCDE Erosion de la base d'imposition
et transfert de bénéfices (BEPS, Base Erosion and Profit Shifting).
J’ai retenu ces thèmes essentiellement pour deux raisons. D’abord,
je pense que le fait que les gouvernements n’ont pas réagi comme il
convient face à la crise économique et de l’emploi a nui à la confiance
de la population en la démocratie. C’est ce que montre l’essor des
positions populistes qui caractérisent le débat public dans beaucoup
d’Etats membres, ce qui a fait l’objet d’un rapport récemment présenté
à l’Assemblée
. Deuxièmement, la capacité des
gouvernements à lever des fonds par l’impôt afin de financer des
services publics nécessaires est un socle fondamental pour ancrer
la démocratie. Quand les actions de sociétés et d’individus sapent
les capacités financières légitimes des gouvernements, soit par
une fraude fiscale abusive, soit par une évasion fiscale illégale,
les bases mêmes de la démocratie et du développement équitable sont
menacées. C’est-là un problème non seulement pour les pays développés,
mais aussi pour le monde en développement. L’OCDE joue un rôle moteur
dans les efforts internationaux pour une plus grande équité des
politiques fiscales dans le monde entier.
3. Le 8 mars 2013, j'ai effectué une visite d'information à l'OCDE,
durant laquelle j'ai participé à des réunions particulièrement fructueuses
avec: Sven Blondal, chef de la Division de la politique macroéconomique,
sur les perspectives économiques; Shardul Agrawala, chef de l'Unité
«Nouvelles approches face aux défis économiques» (NAEC) du Cabinet
du Secrétaire général, sur les NAEC; Grace Perez-Navarro, directrice
adjointe, Centre de politique et d'administration fiscales, sur
les BEPS et le travail de l'OCDE sur la fiscalité et le développement;
et Willemien Bax, Chef de la Division des relations extérieures,
sur les activités de l'OCDE en rapport avec les travaux du Conseil
de l'Europe. Les 28 et 29 mai 2013, j’ai assisté au Forum de l’OCDE
à Paris, qui portait sur trois thèmes clés dans le débat sur les
moyens de créer un avenir durable: promouvoir une croissance inclusive
et s’attaquer aux inégalités; rebâtir la confiance dans le système; et
promouvoir la durabilité.
4. Entre-temps, j’avais proposé à la commission, à sa réunion
de mars 2013, le calendrier ci-dessous – le même que celui de 2012
– calendrier qu’elle a accepté:
- Audition
de responsables à haut niveau de l’OCDE et d’autres experts le 5 juin
à Paris, sur la base d’un schéma de rapport sur le sujet.
- La commission donne son accord sur un projet de rapport
durant sa partie de session de juin.
- Le projet de rapport est envoyé aux délégations d'outre-mer
et à l'OCDE, pour commentaires, au début du mois de juillet.
- Approbation du rapport par la commission des questions
politiques et de la démocratie, élargie aux représentants des délégations
d'outre-mer, les 4 et 5 septembre à Paris.
- Débat au sein de l’Assemblée élargie le 1er octobre
à Strasbourg.
5. Vu le calendrier ci-dessus adopté et l'objet du rapport, j'ai
préparé un schéma de rapport qui a été discuté lors de la réunion
de la sous-commission des relations avec l’OCDE et le BERD à Paris
le 5 juin. A l’occasion de cette réunion, une audition a été organisée
avec les participants suivants: Raffaele Russo, chef de l'Unité de
la non-conformité, Division chargée de la coopération internationale
et de la concurrence fiscale du Centre de politique et d'administration
fiscales de l'OCDE; Shardul Agrawala, chef de l'Unité chargée des
nouvelles approches face aux défis économiques (NAEC), OCDE; John
Christensen, cofondateur et directeur administratif du Réseau pour
la justice fiscale; et Gabriel Zucman, doctorant de l'Ecole d'économie
de Paris.
6. Compte tenu de cette audition et du fruit des discussions
tenues avec des membres de la sous-commission, j’ai présenté un
projet de rapport à la commission des questions politiques et de
la démocratie au cours de la partie de session de juin 2013, dans
le respect du calendrier établi. J’ai saisi cette occasion de remercier
M. Nicholas Bray pour son aide précieuse dans la préparation de
cette version du rapport.
7. La commission a examiné le projet de rapport et convenu de
l’envoyer pour commentaires ou contributions aux délégations étrangères
et à l’OCDE. C’est ce qui a été fait le 5 juillet 2013. Certaines délégations
et l’OCDE ont envoyé des contributions, ce dont je leur suis reconnaissant.
Les contributions que j’ai pu accepter ont été incorporées dans
le présent rapport.
2. Une nouvelle
façon de penser pour replacer l'économie mondiale sur le sentier
de la croissance
8. Nous sommes encore, en 2013, dans la crise financière
et économique qui a éclaté en 2008. Grâce à l'action sans précédent
des banques centrales par l'injection de liquidités dans les économies,
la catastrophe a pu être évitée. Toutefois, la reprise amorcée en
2010 n'a pas été suffisamment forte pour replacer l'économie mondiale
sur la voie d’une croissance stable, et les perspectives, en particulier
en Europe, demeurent incertaines. Le chômage augmente, et les entreprises
sont réticentes à investir. Les consommateurs manquent trop de confiance
pour accroître leurs dépenses et les gouvernements de l'OCDE sont
mis sous pression pour réduire des dettes publiques élevées.
9. Selon les dernières prévisions économiques de l’OCDE, publiées
le 29 mai 2013 avant la réunion ministérielle annuelle de l’Organisation,
l’économie mondiale reprend progressivement des forces. L’OCDE a prévu
que le produit intérieur brut (PIB) de ses 34 pays membres connaîtra
une croissance de 1,2% cette année (1,9% pour l’économie américaine
et 1,6% pour l’économie japonaise). Quant à la Chine, la croissance devrait
se poursuivre à un rythme régulier de 7,8% cette année. Toutefois,
les économies européennes demeurent pour l’essentiel affaiblies,
tirées vers le bas par un chômage record. Selon les prévisions de l’OCDE,
l’économie de la zone euro se contractera de 0,6% cette année, avant
de revenir à un taux de croissance prévu de 1,1% en 2014.
10. L'inégalité des revenus se creuse, non seulement entre pays
mais aussi dans les pays. Selon les chiffres récents publiés par
l'OCDE, le revenu des 10 % de la population les plus riches dans
les pays de l'OCDE était en moyenne 9,5 fois supérieur à celui des
10 % les plus pauvres en 2010, contre 9 fois en 2007. L'écart le
plus large a été observé au Mexique, où les 10 % les plus riches
ont enregistré des revenus 27 fois plus élevés que les 10% les plus
pauvres. Mais l'écart s'est aussi avéré particulièrement important
au Chili, en Turquie, aux Etats-Unis et en Israël. Il est probable
que de nouvelles coupes dans les dépenses sociales des pays de l'OCDE
ne feront qu'accroître les inégalités et la pauvreté dans les années
à venir.
11. Dans un tel contexte, il n'est pas surprenant que les responsables
politiques se détournent de plus en plus du libre-échange néolibéral
et des politiques d'économie de marché qui se sont développées dans
les années 1980 et 1990. En préparant ce rapport, j'ai été frappé
par les conclusions du dernier Rapport sur le développement humain
du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Intitulé
«L'essor du Sud», ce rapport est une invitation à passer d'une conception
dogmatique à une conception factuelle des politiques socio-économiques
en faveur du développement humain. Le document montre que les pays
en développement qui ont obtenu de bons résultats étaient souvent
ceux qui soutenaient activement les entreprises privées et collaboraient
avec le secteur privé pour améliorer le développement humain, qui s'ouvraient
progressivement, plutôt que soudainement, aux marchés mondiaux,
et qui investissaient dans la santé, l'éducation et le développement
humain.
12. Ce constat vient totalement contredire le dogme que Washington
entretenait il y a quelques années à peine, promouvant auprès des
pays en difficulté une intervention minimale de l'Etat, l'ouverture
immédiate aux échanges et l'ajustement structurel axé sur la réduction
importante des dépenses publiques d'éducation et de santé.
13. A mesure que l'approche politique change de cap, la croissance
bascule de l'Ouest vers l'Est et du Nord vers le Sud, et certaines
stratégies économiques d’hier sont de plus en plus jugées obsolètes.
L'an dernier, Angel Gurría, Secrétaire général de l'OCDE, a reconnu
dans un article de l'Observateur de l'OCDE que «L'économie
mondiale change[ait] de paradigme». Dans ces conditions, comme il
l'a conclu, «nous devons maintenant déterminer ceux de nos concepts,
cadres et instruments qui restent pertinents et ceux qu'il faut repenser».
La réalité a obligé l’OCDE à s’engager dans une sérieuse démarche
d’introspection.
14. Il suffit d'observer les orientations que l'OCDE préconisait
il y a à peine trois ans pour se rendre compte à quel point elles
ont été dépassé par les événements. Une fois passée la crise financière
immédiate de 2008-2009, de nombreux pays développés ont appliqué
un traitement de choc conjuguant la réduction des dépenses et l'augmentation
des impôts, en vue de contenir des déficits publics importants.
Dans ses
Perspectives économiques 87,
publiées au printemps de 2010, l’OCDE recommandait aux banques centrales
de commencer à sortir des mesures de politique extraordinaires et,
dans certains cas, de commencer à «normaliser» leurs taux d’intérêt
directeurs pour se protéger du risque que les attentes en termes
d’inflation ne deviennent «déconnectées» dans le contexte d’une
reprise prévue de l’activité. Dans le même temps, l’OCDE suggérait
que la Banque centrale européenne (BCE) devrait éviter que les taux
au jour le jour convergent trop rapidement vers le taux d’intérêt
directeur plus élevé et relever les taux d’intérêt dans la zone
euro avant la fin de 2010, alors même que les modèles de l’OCDE
projetaient un faible niveau d’inflation pour les années à venir
.
15. Dans ce contexte, on notera que l’OCDE a constamment mis en
avant le rôle des réformes structurelles, non seulement pour paver
la voie à une croissance potentielle forte à plus long terme, mais
aussi pour renforcer l’activité étayant la reprise. Les politiques
structurelles sont, de fait, au cœur de son analyse et de ses conseils
politiques, ainsi que de sa réponse à la crise.
16. Selon les Perspectives économiques
87 et d'autres publications ultérieures, telles que Objectif croissance, ces réformes
permettraient de corriger les déséquilibres macroéconomiques et
de renforcer la compétitivité des pays déficitaires de la zone euro.
L'accent a été mis sur des réformes structurelles des marchés de
l'emploi et des biens, destinées à stimuler la concurrence, à encourager
l'innovation et à combattre le chômage à long terme. Les pays européens
de la périphérie ont été considérés notamment comme les bénéficiaires
potentiels de ces mesures dans le cadre d’un ensemble de propositions
destinées à restaurer leur compétitivité, mais l’accent a été également
mis sur la nécessité de mener des réformes dans les pays ayant enregistré
des excédents, ce qui contribuerait à un rééquilibrage plus symétrique.
17. Dans certains cas, par exemple dans l’étude économique sur
le Portugal en 2010, il était recommandé d'abaisser la fiscalité
sur le travail et d'augmenter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA),
au motif que cela servirait de relance à court terme, selon la technique
dite aussi de la dévaluation fiscale.
18. Les Perspectives économiques 87 de
l’OCDE reconnaissaient qu’il serait difficile de corriger les déséquilibres
par une inflation faible ou une déflation à la périphérie et qu’il
ne faudrait pas que tous les pays recherchent une compétitivité
par les prix au même moment. Les avis de l’OCDE sur la politique
monétaire, fiscale et structurelle ont reflété ce constat, notamment
en préconisant une forte stimulation monétaire pour faire en sorte
que l’objectif d’inflation soit satisfait et que l’inflation dépasse
l’objectif visé dans les pays ayant enregistré des excédents. L’avis
faisait une distinction pour ce qui est du rythme de la consolidation
fiscale et de l’urgence des réformes dans les pays à balance excédentaire,
mais il n’a pas donné suite à cette observation en recommandant
une inflation globale plus élevée dans l’eurozone ou une stimulation
fiscale dans les pays à balance excédentaire en vue de corriger
les déséquilibres
19. Aujourd'hui, après trois ans de morosité et de récession permanente
dans de nombreux pays membres, il est temps d'évaluer l’historique
des prévisions et l’impact des actions politiques qui ont été prises,
y compris celles recommandées par l’OCDE. Les taux de croissance
réels se sont révélés beaucoup plus faibles que ceux prévus par
l’OCDE et d’autres organismes de même nature en 2010. Le graphique
1 utilise des données de l’OCDE pour illustrer l’erreur de prévision,
autrement dit la différence entre la croissance du PIB prévue et constatée,
en fonction de l’effort de consolidation budgétaire qui avait été
prévu à l’époque. Il s'avère, en moyenne, que les pays qui ont planifié
un vaste ensemble de mesures d'assainissement budgétaire ont subi des
effets néfastes sur la croissance plus importants que prévu. Cependant,
l’OCDE fait valoir que ce résultat dépend beaucoup de l’inclusion
ou non d’un certain pays dans l’échantillon et n’implique pas nécessairement de
relation de cause à effet. De plus, d’autres facteurs comme l’ouverture,
la structure financière et l’effet sur la zone euro de la crise
de la dette souveraine semblent avoir affecté davantage les erreurs
de prévision.
Graphique 1: Plans de consolidation
budgétaire et erreurs de prévision de croissance
Remarque: l’échantillon utilisé
pour ce graphique couvre les pays de l’OCDE qui sont étudiés dans
les Perspectives économiques mondiales du Fonds monétaire international
(FMI), octobre 2012, Schéma 1.1.1.
20. Dans les pays de la zone euro en difficulté, les
écarts de rendement des obligations se sont élargis. Le graphique
n° 2 montre la hausse de l'écart en Espagne, en Italie et en Belgique
entre 2010 et 2012. Il semblerait qu'en augmentant les taux en avril
2011, la BCE ait contribué à alimenter la panique sur les marchés obligataires
européens. Par sa réponse trop brutale à la montée de l'inflation
constatée à l'époque, la BCE a peut-être donné l'impression qu'elle
n'aiderait pas les pays périphériques aux taux de change surévalués
à freiner la spirale déflationniste, en tolérant un peu plus l'inflation
sous-jacente. Les marchés obligataires en ont conclu que ces pays
ne pourraient pas contenir longtemps le processus déflationniste,
les anticipations de défaut se sont accrues, et une crise s’est
déclenchée mécaniquement. La BCE semble avoir sous-estimé l'importance
cruciale que revêt dans une union monétaire l’existence d'un prêteur
en dernier ressort, sous la forme d'une banque centrale qui protège
les gouvernements contre une rupture brutale de l'accès au financement.
Graphique 2: Ecarts de crédits
obligataires à 10 ans par rapport aux Bunds allemands, pour l’Italie,
la Belgique et l’Espagne
Remarque: la première ligne
indique la date à laquelle la BCE a relevé ses taux, la deuxième
indique l’entrée en fonction du gouvernement Di Rupo-1 en Belgique.
3. La nécessité de
«nouvelles approches»
21. Comment cette débâcle est-elle survenue? En partie,
parce que les effets négatifs de la politique budgétaire sur la
croissance ont été sous-évalués. Or I'impact des multiplicateurs
budgétaires – qui se matérialise par une diminution en pourcentage
du PIB résultant d'un montant donné de l'assainissement budgétaire
– s'est avéré nettement supérieur à ce qui était attendu. A présent,
des signes montrent enfin que les décideurs politiques européens
deviennent raisonnables et acceptent de diminuer le rythme du durcissement
de la politique budgétaire coordonnée. Le maintien de la récession,
la montée du chômage, l'inflation inférieure aux objectifs, et des
données pessimistes sur la monnaie et le crédit ont contraint –
trop tardivement – la BCE à jouer un rôle plus actif en faveur de
l'expansion. Dans le même temps, l'OCDE s'est engagée à réinventer
la pensée économique en profondeur, dans le cadre d'une initiative
intitulée «Nouvelles approches face aux défis économiques».
22. Si la crise de 2008-2009 a été le résultat d'une défaillance
des marchés financiers, on ne peut que constater que la poursuite
de la récession après 2010 est due en partie à une mauvaise appréciation
et à des erreurs stratégiques dans le traitement des suites de la
crise et des conséquences du fort accroissement de l’endettement
du secteur privé. Cette initiative donne l'occasion de se pencher
sur de nouvelles contributions universitaires, qui peuvent faciliter
l'élaboration de politiques mieux adaptées à la crise en cours.
23. Au début de cette année, en qualité de rapporteur, j'ai eu
le privilège de consulter récemment un document de travail de l'OCDE
définissant certains principes directeurs de son action. J'ai été
à la fois surpris et satisfait de lire des passages soulignant «la
nécessité de revisiter les objectifs des politiques macroéconomiques»
et «la nécessité d'accroître les capacités réglementaires des gouvernements».
A un moment, le document évoque les «hypothèses erronées à propos
du caractère auto-équilibrant de l'économie», et ailleurs, «la nécessité
de réorienter les politiques vers la promotion du bien-être fondée
sur la réduction des inégalités, de meilleurs emplois et un environnement
plus sain, et pas seulement sur les résultats macroéconomiques».
24. En 2012, l’OCDE a lancé l’initiative «Nouvelles approches
face aux défis économiques» en tant que processus de réflexion à
l’échelle de l’organisation pour y catalyser un processus d’amélioration
continue des cadres analytiques et du conseil politique. Conformément
aux ambitions sous-tendant cette initiative et pour assurer une
approche commune à toute l’organisation, le Secrétaire Général supervise
lui-même ce travail avec l’aide de Gabriela Ramos, son chef du personnel
et Sherpa du G20. Alors que la crise économique et financière est
un catalyseur immédiat, une telle réflexion est également opportune
pour un certain nombre de raisons afin de s’adapter à des problèmes
politiques changeants, y compris l’intégration des grands marchés émergents
dans l’économie mondiale; les mutations technologiques; le développement
de la division internationale du travail; le vieillissement de la
population, les migrations et autres évolutions démographiques; et
la raréfaction des ressources naturelles, le changement climatique
et la dégradation de l’environnement. Un thème transversal de l’initiative
«Nouvelles approches» est constitué par les limites des outils d’analyse existants,
des cadres politiques et des arrangements de gouvernance dans le
contexte d’un renforcement considérable de l’interconnexion et de
la complexité de l’économie mondiale. Ce phénomène s’observe aussi bien
d’un pays à l’autre qu’au sein d’un même pays, entre le secteur
financier et l’économie réelle et, plus profondément, entre diverses
tendances mondiales qui se sont dessinées depuis plusieurs décennies.
25. L’initiative «Nouvelles approches face aux défis économiques»
vise avant tout à élaborer un programme de politique stratégique
pour le bien-être et la croissance durable et inclusive, fondé sur
l’interconnexion, les complémentarités et les retombées des différents
objectifs et instruments politiques. Par son travail sur le cadre
de Nouvelles approches et l’accent mis délibérément sur la croissance,
les inégalités et le bien-être, l’OCDE vise à élaborer de nouvelles
perspectives combinant forte croissance économique et amélioration
des conditions de vie qui comptent pour la qualité de la vie: santé,
emploi, compétences et salubrité de l’environnement, y compris d’une
génération à l’autre. Un des éléments essentiels de ce programme
est le travail sur la croissance inclusive qui a été lancé à l’OCDE
avec l’aide de la Fondation Ford. Dans son rapport de mai 2013,
à l’occasion de sa Réunion annuelle du Conseil ministériel, l’OCDE
s’est donné les objectifs suivants pour ses «Nouvelles approches
face aux défis économiques»:
- améliorer
notre compréhension de la nature complexe et interconnectée de l’économie
mondiale et trouver de meilleurs moyens de négocier des concessions
politiques et de mettre à profit des synergies (par exemple entre
croissance, inégalités, stabilité et environnement);
- reconnaître l’importance de la croissance économique en
tant que moyen, mais non en tant que fin en soi, d’élaborer des
politiques, ce moyen présentant une définition plus large des résultats
en matière de bien-être et permettant de concrétiser des résultats
politiques qui combinent une croissance économique forte et des
améliorations de niveau de vie ainsi que des avancées importantes
pour la qualité de vie des gens (bonne santé, emploi, etc.);
- identifier des domaines où les cadres analytiques de l’OCDE
doivent être ajustés ou complétés, et voir comment intégrer transversalement
des données, outils et approches économiques nouveaux (par exemple
économie comportementale);
- permettre aux gouvernements d’identifier, de classer par
ordre de priorité et de combiner des réformes pour soutenir une
croissance durable et inclusive.
26. Ces mentions laissent présager un changement de la pensée
économique, tant par rapport à l'Europe qu'au niveau mondial. On
peut donc enfin espérer que les penseurs du Sud et du Nord vont
enfin s’unir dans le but commun de trouver des politiques favorables
au bien-être de tous les habitants du monde. Je pense que l'OCDE
doit être encouragée à poursuivre son travail sur ces «Nouvelles
approches», afin d'introduire cette nouvelle pensée dans un débat
qui tourne en rond depuis trop longtemps. Le monde doit se dégager
des entraves dans lesquelles il est retenu. Regroupant des nations
engagées dans les meilleures pratiques en matière de politique économique,
l'OECD constitue la meilleure instance dans laquelle le débat peut progresser.
4. Réagir au piège
à liquidités
27. En attendant, nous ne devons pas pour autant perdre
de vue les dures réalités. Il ressort des études de l'OCDE une observation
importante et lourde de conséquences, à savoir que la crise aurait
des effets persistants sur le potentiel de croissance des économies.
Ces effets ne sont pas seulement à court terme, les économies enregistrant
des résultats inférieurs à la tendance: la capacité productive à
long terme de l'économie d'un pays est atteinte. Les économistes
parlent d'hystérèse pour désigner les conséquences à long terme
d'effets à court terme.
28. L'hystérèse se matérialise sous diverses formes: des investissements
productifs réduits, des investissements moindres dans la recherche
et le développement, un intérêt limité des chômeurs de longue durée
pour l'activité professionnelle, des effets marquants sur les jeunes
au début de carrière difficile, la baisse des investissements gouvernementaux
matériels et en capital humain. Toutes se traduisent par l'affaiblissement
du potentiel de l'économie. Même lorsque celle-ci se redresse, elle
se retrouve sur une voie de croissance plus lente.
29. Des économistes tels que DeLong et Summers
ont souligné que
l'hystérèse apportait une nouvelle dimension au débat sur l'austérité.
En effet, elle met clairement en danger la viabilité à long terme
des finances publiques, car elle place l'économie sur une voie de
croissance ralentie. Corollaire de cette observation, l'expansion
budgétaire temporaire peut s'autofinancer dans le long terme, si
les conséquences des hystérèses sont suffisamment fortes. Si les
multiplicateurs budgétaires sont moyens ou élevés, l'expansion budgétaire entraînera
une croissance de l'économie à court terme. L’effet d’hystérèse
permet à l’élan imparti sur une courte durée d’avoir des effets
positifs pendant longtemps. Appliquant ce modèle à la zone euro,
DeLong
indique que si le coût réel de l'emprunt
à long terme dans la zone euro ne dépasse pas 5%, l'effet incitatif temporaire
consolidera probablement la situation budgétaire et améliorera la
confiance.
30. DeLong et Summers prennent soin de préciser que cet effet
ne fonctionne que dans un nombre de cas de figure limités. Tout
d'abord, il faut que les taux d'intérêt soient raisonnables. A l'évidence,
un Etat en proie à de graves problèmes de liquidité ne sera pas
capable de financer une expansion budgétaire à court terme. De plus,
les multiplicateurs budgétaires doivent être raisonnablement élevés.
DeLong et Summers expliquent que ce n'est, la plupart du temps,
pas le cas. En temps normal, les banques centrales ont tendance
à contrebalancer l'incitation budgétaire par une politique monétaire
restrictive; l'expansion budgétaire n'aura alors aucun effet, les
multiplicateurs étant proches de zéro.
31. Dans les crises graves comme celle que nous traversons aujourd'hui,
les autorités monétaires peuvent être tentées de ne pas aller à
contre-courant du marché, comme elles le font en temps normal. En
effet, leurs outils semblent insuffisants pour combattre la crise:
ce phénomène est appelé un piège à liquidités. C'est potentiellement
la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui une grande partie
du monde occidental.
32. En ma qualité de rapporteur, je souhaiterais vous livrer d'autres
considérations que j'ai trouvées intéressantes en préparant le présent
rapport. Les travaux de Gauti Eggertson et de Paul Krugman
ont montré que les pays asphyxiés
par la dette peuvent ne pas tirer profit de politiques généralement
considérées comme bénéfiques à la croissance. Il apparaît même que
la flexibilité accrue et l'augmentation de l'offre de travail peuvent
aboutir à des effets néfastes. En effet, la baisse des prix et des
salaires due à ces politiques accroît la valeur réelle de la dette,
si bien que la charge des ménages endettés prend une ampleur plus
importante. Le cycle de déflation de la dette devient encore plus
pervers qu'auparavant.
33. Dans un document récent, Eggertson
et
al appliquent ce cadre à l'Europe.
Selon eux, les réformes structurelles peuvent aggraver la récession,
amplifier la déflation et accroître les taux d'intérêt réels. Ils suggèrent
de revoir la conception des réformes structurelles, afin qu'elles
ne fassent effet qu'une fois écartée la menace du piège à liquidités.
Ils proposent même que
durant la
récession, ces réformes fonctionnent à rebours, avant d'être mises
en œuvre en temps normal. Cependant, les résultats conditionnent
la crédibilité des réformes annoncées et la capacité de la banque
centrale d’accompagner la politique menée. De même, l’analyse de
l’OCDE donne à penser que certaines réformes pourraient avoir des
effets positifs sur l’activité même à court terme selon la nature
de ces réformes et, ainsi que l’ont suggéré Eggertson
et al., l’état de l’économie.
34. Le surendettement généré par les bulles spéculatives est un
grave problème dans de nombreux pays périphériques. Au Portugal,
en Irlande et en Espagne en particulier, les ménages se sont énormément endettés
au cours des dix années qui ont précédé la crise financière.
35. Le transfert de la fiscalité du travail sur la TVA est parfois
présenté comme un autre outil permettant de corriger les distorsions
de la concurrence. L'expérience montre que ce type de mesure ne
peut avoir que des effets temporaires: après un certain temps, les
salaires se rééquilibrent pour rétablir le pouvoir d'achat, ce qui annule
l'effet pro concurrentiel. Certaines études concluent que ces réformes
ne produisent que des effets mineurs malgré leur taille budgétaire
relativement importante
.
36. Si l'assainissement est requis, le choix des instruments fiscaux
adaptés doit également prendre en compte la question de l'équité,
car il s'avère que l'austérité ne touche pas tout le monde de la
même façon. Ball
et al montrent
que les compressions de dépenses, en sus de l'accroissement du chômage
à long terme, touchent en premier lieu les salariés, tandis que
les revenus locatifs et les bénéfices se rétablissent assez rapidement.
Ces résultats permettent de penser qu'un ensemble de mesures d'assainissement
équitable devrait comprendre des réformes qui allègent la pression
fiscale du travail et la transfèrent sur le revenu du capital.
37. Après ce bref exposé, il apparaît clairement que les défis
économiques qui nous attendent requièrent des conseils politiques
soigneusement ajustés aux besoins des pays concernés. Il convient
de prendre en compte le contexte précis, comme l'existence d'un
surendettement, mais aussi la période engagée, notamment la menace
d’un piège à liquidités.
38. Toutefois, dans le contexte de l’union monétaire européenne,
il convient de tenir compte aussi de la responsabilité partagée
des Etats membres. S’il n’est pas possible de parvenir à une union
budgétaire pleine et entière, il faudrait envisager des politiques
intermédiaires. Ainsi, pour Paul de Grauwe
, les pays qui ont pu stabiliser
leur ratio dette publique/PIB devraient cesser de chercher à équilibrer
leurs budgets et maintenir les ratios d’endettement constants au
niveau de 2012.
39. L'OCDE a un rôle de conseil crucial à jouer, pas seulement
pour les gouvernements de ses pays membres, mais pour toute la communauté
mondiale. Elle a déjà attiré l’attention des gouvernements sur les difficultés
engendrées par les écarts croissants de revenus dans la plupart
des pays, et elle a élargi son analyse des réformes structurelles
pro-croissance pour faire émerger les échanges pertes/gains, les
synergies et les conséquences imprévues des réformes structurelles
sur la distribution des revenus dans les pays.
40. Alors que l’échéance 2015 est en vue pour les Objectifs du
Millénaire pour le développement, l’OCDE travaille, dans le contexte
de sa Stratégie sur le développement, à renforcer l’engagement et
le partage de connaissances avec les pays en développement. Des
efforts permanents sont déployés pour intégrer le développement
à tous les niveaux dans les travaux de l’organisation et matérialiser
la cohérence des politiques pour le développement. Dans le domaine
des politiques de l’environnement aussi, l’OCDE joue un rôle de premier
plan en matière de conseils aux gouvernements. Sa Stratégie pour
une croissance verte, lancée en 2011, est maintenant déclinée dans
des domaines politiques clés. De même, le travail éducatif couvre
de plus en plus les réalités des pays en développement.
41. Il est gratifiant de voir, grâce à ces exemples, que l’OCDE
aborde enfin les questions de politique économique selon une approche
holistique indispensable. Spécifiquement, elle fait progresser ces
travaux par ses réflexions sur de «Nouvelles approches face aux
défis économiques», qui mettent en avant la dimension de croissance
inclusive présente dans ses conseils politiques. Je recommande que
l’Assemblée parlementaire élargie incite l’OCDE à poursuivre dans
cette voie afin de présenter des conclusions claires rapidement.
5. La fraude fiscale
et l'évasion fiscale abusive: une menace pour les institutions démocratiques
42. Comme nous l'avons vu, la crise financière et économique
restreint la capacité des gouvernements à financer les dépenses
requises en matière de santé, d'éducation, d'aide sociale et d'infrastructure.
Les pressions fiscales engendrent de vives réactions politiques,
les citoyens protestant contre le double fardeau de la récession
et des hausses d'impôt. La perte de recettes due à la fraude fiscale
et aux stratégies abusives d'évasion fiscale des multinationales
met en péril les systèmes démocratiques. Il faut saluer les efforts
de l'OCDE pour venir à bout du problème, et notamment sa campagne
contre les paradis fiscaux et son travail sur les BEPS.
43. Il reste néanmoins beaucoup à faire. Des mesures énergiques
doivent être prises contre la fraude fiscale et les régimes fiscaux
doivent être réformés en profondeur, afin de lutter contre l'évasion
fiscale abusive. Les gouvernements ont le devoir de veiller à ce
que les impôts soient prélevés équitablement et efficacement. La législation
fiscale actuelle est pour une large part fondée sur la vision dépassée
de l'activité économique dominée par des actifs fixes et comportant
peu d'échanges transfrontaliers. Une économie numérique, axée sur
des actifs incorporels et des transferts transfrontaliers rapides,
requiert des approches radicalement nouvelles en matière de fiscalité.
L'OCDE, qui a pour mission de définir des règles assurant le bon fonctionnement
des marchés mondiaux, constitue un espace approprié pour l'élaboration
de telles approches. Un nouveau mode de pensée animé par la volonté
d'agir est aujourd'hui indispensable.
44. Je considère qu'il s'agit d'une question d'extrême urgence.
En Europe, des fuites de documents et de courriers électroniques
laissent supposer que des responsables politiques, des hommes d'affaires
et d'autres personnes fortunées disposent de fonds présumés cachés
dans des comptes secrets basés dans des paradis fiscaux. L'affaire
a sapé la confiance dans les institutions démocratiques. Selon la
Commission européenne, la fraude fiscale et l'évasion fiscale privent
les gouvernements de l'Union européenne d'environ mille milliards d'euros
en recettes annuelles. Le chiffre excède le montant total que les
Etats membres de l'Union européenne dépensent en soins de santé,
et s'élève à quatre fois le montant des dépenses consacrées à l'éducation.
45. Le Président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, avait
mis l'accent sur cette question lors du sommet du 22 mai 2013, durant
lequel les dirigeants de l'Union européenne avaient réaffirmé leur
engagement en faveur de la lutte contre les fraudeurs fiscaux. «L'évasion
fiscale est injuste pour les citoyens qui travaillent dur et qui
paient leurs impôts pour que nos sociétés fonctionnent. Elle est
injuste pour les entreprises qui paient leurs impôts et qui ont
du mal à rivaliser avec celles qui ne le font pas. L'évasion fiscale
est un problème extrêmement grave pour les pays qui ont besoin des
revenus nécessaires pour rétablir des finances publiques saines.»
6. Lutter contre l'érosion
de la base d'imposition et le transfert de bénéfices
46. La question n’intéresse pas seulement les pays développés.
Les pays en développement souffrent massivement d’une hémorragie
fiscale vers les paradis fiscaux. La question ne se limite pas non
plus à l’évasion fiscale illégale. Les multinationales recourent
à des pratiques fiscales totalement légales pour réduire au minimum
leurs factures fiscales. Au Royaume Uni, des sociétés comme Amazon,
Google et Starbucks ont été critiquées en raison des dispositions
comptables qui leur ont permis de réduire légalement le montant
des impôts qu’elles versent au Trésor britannique en dépit de ventes
soutenues au Royaume Uni même. Aux Etats-Unis, la société Apple
a été dénoncée par le Congrès parce qu’elle arrivait par l’évasion
fiscale à éviter de payer des dizaines de milliards de dollars d’impôts
sur ses opérations internationales, en passant par des filiales
extraterritoriales. Dans d'autres pays, les préoccupations vont
aussi croissant, car des multinationales exploitent abusivement
des pratiques comptables transfrontalières pour augmenter leurs
bénéfices en réduisant le montant des impôts exigibles.
47. Au cœur de ces opérations figure une habile manipulation du
dénommé «principe de pleine concurrence», concept longtemps considéré
essentiel pour garantir des conditions fiscales équitables entre les
sociétés internationales. Ce principe de pleine concurrence exige
que les entités d'une multinationale comptabilisent les transactions
entre elles, comme si elles étaient indépendantes sur le plan fiscal.
Le système avait pour vocation de promouvoir les activités transfrontalières
en éliminant la double imposition des bénéfices.
48. Des exemples récents comme ceux mentionnés ci-dessus montrent
toutefois que ce concept subit une telle distorsion que, dans de
nombreux cas, il entraîne en fait un transfert artificiel de bénéfices.
Les conditions de concurrence équitable tellement vantées ont créé
un parcours semé d'ornières et d'embûches, un parcours aisément
franchissable pour les escrocs de la finance, face aux inspecteurs
des impôts qui ne disposent que de réglementations dépassées.
49. Aujourd'hui, outre le fait de combattre la fraude fiscale,
il importe de procéder à une réforme de la fiscalité à grande échelle.
Je pense qu'il ne suffira pas de réparer le système actuel pour
relever les défis fiscaux auxquels l'Europe et le monde entier sont
confrontés. Aux Etats-Unis, le Président américain Obama partage
ce point de vue; comme il l'indique dans son Cadre pour la réforme
de la fiscalité des entreprises, rapport conjoint publié en février
2012 par la Maison blanche et le Trésor américain, «d'après les
données concrètes disponibles, le transfert de bénéfices opéré par
les groupes multinationaux est un grave problème auquel il faut
répondre en engageant une réforme fiscale».
50. Les dirigeants du G20 se sont saisis du problème, en reconnaissant
«la nécessité de prévenir l'érosion de l’assiette fiscale et le
transfert de bénéfices» dans leur déclaration finale au sommet de
juin 2012 à Mexico. En réponse à une demande des ministres des Finances
du G20, l'OCDE a publié un rapport en février 2013, intitulé «Addressing
Base Erosion and Profit Shifting» (Lutter contre l'érosion de la
base d'imposition et le transfert de bénéfices). Ce rapport, qui
analyse les causes profondes de ces phénomènes et les raisons du transfert
de bénéfices, identifie plusieurs éléments techniques liés aux procédures
comptables qui facilitent ces pratiques. Ces éléments comprennent
les produits hybrides et les asymétries qui facilitent l'arbitrage
fiscal; l'équilibre fiscal dans la détermination de la résidence
source, en particulier dans le contexte de l'économie numérique;
les transactions financières intragroupe, qui permettent d'attribuer
aux entités sises dans les pays à forte fiscalité un maximum de
dettes; et les prix de transfert, avec notamment la répartition
artificielle de la propriété d'actifs incorporels entre différentes
entités et les économies de localisation.
51. Les produits hybrides, par exemple, s'appuient sur les différences
de traitement et donc de fiscalité d'un pays à l'autre pour le même
argent ou la même transaction. Les instruments hybrides qu'une entreprise
peut traiter dans un pays comme une dette, et dans un autre comme
des capitaux propres, et les transferts hybrides par lesquels une
transaction peut être traitée comme le transfert de propriété d'un
actif dans un pays, et comme un prêt avec garantie dans un autre
sont notamment très répandus. De mon point de vue, l'Assemblée élargie devrait
saluer cette analyse et demander instamment à l'OCDE de tout mettre
en œuvre pour émettre des propositions de réforme claires.
52. Le Secrétaire Général de l’OCDE a présenté le rapport «Addressing
Base Erosion and Profit Shifting» lors de la réunion du G20 des
ministres des Finances de Moscou en février 2013. Ceux-ci ont approuvé
le travail réalisé et demandé que soit élaboré un plan d’action
global. Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a élaboré le plan
d’action entre février et juin 2013. Les pays du G20 non-membres
de l’OCDE ont participé à ce travail. Ils étaient tous présents
lors de la réunion du 25 juin 2013 à Paris, pendant laquelle le
plan d’action a été approuvé par le Comité. Le plan d’action a été
présenté lors de la réunion des ministres des Finances du G20 le
19 juillet 2013, où il a bénéficié d’un soutien exceptionnel.
53. L’ambitieux plan d’action détermine 15 actions visant à combattre
de façon globale et coordonnée l’érosion de la base fiscale et le
détournement des bénéfices (voir synthèse en annexe). Ces actions
conduiront aux changements les plus fondamentaux du système fiscal
international depuis les années 1920. Elles sont fondées sur trois
grands principes: cohérence, substance et transparence. Le plan
invite de plus à œuvrer pour relever les défis posés par l’économie
numérique. Il cherche des approches innovantes pour faire évoluer rapidement
la situation et appelle à l’élaboration d’un instrument international
que les pays pourraient utiliser pour mettre en œuvre les mesures
élaborées au cours de ce travail.
7. Quels sont les
responsables?
54. Dans le même temps, il convient de rappeler que l'évasion
fiscale n'est pas seulement imputable aux stratégies abusives d'entreprises
individuelles; elle est également le résultat de politiques fiscales
des gouvernements nationaux, notamment celles conçues pour attirer
les investissements des sociétés étrangères.
55. Le rapport de l'OCDE de février 2013 souligne aussi que l'efficacité
des règles de lutte contre l'évasion fiscale a souvent été affaiblie
par un lobbying intensif et les pressions concurrentielles. Sont
également mis en cause les régimes préférentiels qui déplacent les
sociétés vers des lieux d'imposition plus attractifs avec un bénéfice
minime pour le pays hôte et une érosion considérable de la base
d'imposition ailleurs. Les spécialistes de la question reconnaissent
que les gouvernements ont été hypocrites, se plaignant de l’érosion
de leur base d’imposition tout en offrant des avantages fiscaux
à des entreprises étrangères.
56. Dans les suites données à son rapport de février 2013 et afin
d’élaborer le Plan d’action qui a été présenté aux ministres des
Finances du G20 en juillet 2013, l’OCDE a consulté tout un panel
de parties prenantes en mars-avril 2013, notamment le secteur du
commerce et de l’industrie, par le biais du Comité consultatif du
commerce et de l’industrie auprès de l’OCDE (BIAC), les syndicats,
représentés par le Comité consultatif des syndicats auprès de l’OCDE
(TUAC), des organisations de la société civile et des organisations non
gouvernementales (ONG). Les représentants du commerce et de l’industrie
ont, comme on pouvait s’y attendre, exprimé des points de vue nuancés
sur les questions soulevées; les représentants des syndicats et de
la société civile n’ont, eux, pas mâché leurs mots en exprimant
leurs préoccupations.
57. Dans un rapport intitulé “No More Shifty Business”, 58 ONG
du monde entier ont salué l’analyse de l’OCDE, dans laquelle elles
voient un appel urgent à concevoir un nouveau système international
de fiscalité qui i) redresse la répartition, actuellement inéquitable,
de la base mondiale de taxation, ii) traite les multinationales
pour ce qu’elles sont, à savoir des structures complexes liées entre
elles par une gestion centralisée, une intégration fonctionnelle
et des économies d’échelle et iii) fasse en sorte que les multinationales
paient leurs impôts dans le pays où leurs activités économiques
et leur investissement sont réellement basés, plutôt que dans des
juridictions où leur présence est fictive et motivée par des stratégies inacceptables
d’évasion fiscale.
58. Dans un commentaire ultérieur, qui à mon sens mérite d’être
cité
in extenso, le groupe
déclarait:
«L’érosion de la base
fiscale et le détournement des bénéfices résultent d’une faille
structurelle profonde dans le système fiscal international, une
faille qui est une cause majeure d’instabilité pour ce dernier.
En effet, le système ne traite pas les entreprises multinationales
selon la réalité économique de leurs activités. Au contraire, il
fonctionne selon le principe, qui a pris de plus en plus de poids,
qu’elles devraient être taxées comme si elles fonctionnaient en
tant qu’entreprises distinctes dans chaque pays et étaient indépendantes
les unes des autres. Cette fiction, non seulement permet aux multinationales d’organiser
leurs affaires en formant des entités dans des juridictions leur
donnant la possibilité de réduire leur taux d’imposition effectif
global, mais les y encourage.
L’évasion fiscale systématique permise par cette faille
structurelle dans le système a de nombreuses conséquences extrêmement
dommageables. Les gouvernements et autorités fiscales sont à bon
droit préoccupés par les pertes immédiates de recettes, mais les
ramifications vont bien plus loin:
l’évasion fiscale systématique pratiquée par les plus
gros et les plus puissants conglomérats mondiaux sape la légitimité
de la fiscalité partout, comme le reconnaît le rapport de février
sur les BEPS;
elle donne aux multinationales qui exploitent ces possibilités
d’évasion des avantages concurrentiels très conséquents par rapport
aux entreprises nationales, ce qui aboutit à une allocation inefficiente
des investissements et à des distorsions majeures dans l’activité
économique;
dans le même temps, elle entraîne des distorsions dans
les décisions de ces entreprises elles-mêmes, avec à l’arrivée des
bénéfices pour certains pays, mais au prix de pertes globales en
matière de bien-être économique;
elle a particulièrement affecté le secteur de la finance,
contribuant largement à la création d’activités bancaires occultes,
à des effets de levier excessifs et à l’apparition d’autres techniques
du même acabit, et donc à la financiarisation des économies, qui
a créé la bulle ayant causé le crash financier de 2007-2009 qui
a dévasté des économies entières;
elle soutient le secteur international de l’optimisation
fiscale, ce qui entraîne un gâchis considérable en dépenses pour
les entreprises comme pour les gouvernements;
les techniques et montages conçus par le secteur de l’optimisation
fiscale, utilisant les paradis fiscaux extraterritoriaux et le secret
systématique, servent aussi à tous types d’évasion, non seulement
sur le plan fiscal, mais aussi pour le blanchiment de l’argent du
crime, la corruption et le terrorisme;
l’érosion de la base fiscale et le détournement des bénéfices,
et de manière générale l’évasion et la fraude fiscales, sapent gravement
les efforts déployés pour éradiquer la pauvreté et réduire les inégalités,
notamment par le biais de l’aide publique au développement.»
59. Comme le montrent bien ces considérations, les gouvernements
nationaux vont devoir revoir de nombreux aspects de leurs politiques
fiscales. Nous ne devrions sous-estimer ni la complexité de cette
tâche, ni son urgence. En particulier, les gouvernements doivent
veiller à ce que les règles internationales pour la taxation des
multinationales soient réformées en profondeur pour refléter convenablement
les pratiques de production et de commerce dans l’économie globalisée
d’aujourd’hui.L'Assemblée
élargie devrait donc appeler l'OCDE à prendre la tête des opérations
avec résolution.
8. Il est temps d'envisager
une «imposition uniforme» des sociétés transnationales
60. Une attention plus particulière devrait être portée,
à mon sens, aux distorsions causées par l'application actuelle du
principe fiscal de pleine concurrence. La méthode de l’«entité distincte»
ouvre aux multinationales une large voie pour transférer leurs bénéfices
dans le monde selon leur bon vouloir. L’OCDE a cherché à remédier
aux failles du système par un renforcement de la coopération et
de la coordination entre les gouvernements et une révision de ses
Principes applicables en matière de prix de transfert pour faire
en sorte que les règles arrêtées produisent l’effet escompté.
61. Cependant, certains commentateurs ont suggéré qu'il est plutôt
temps d'examiner de plus près les propositions d'imposition uniforme
pour les multinationales, selon lesquelles celles-ci seraient traitées
comme des entités distinctes. Dans ces conditions, les multinationales
devraient présenter un jeu unique de comptes consolidés mondiaux
dans chaque pays dans lequel elles exercent une activité, en imputant
une part de l'ensemble de leurs bénéfices mondiaux à chaque pays,
en fonction d'une formule pondérée qui traduirait la nature véritable
de leur présence économique. Grâce à ce rapport, tous les pays pourraient
avoir une vue d'ensemble complète et taxer leur quote-part des bénéfices
mondiaux à leur propre taux.
62. Il me semble que cette approche procurerait d’importants avantages.
En simplifiant l’administration des impôts, elle pourrait réduire
les coûts liés à la conformité pour les entreprises; elle pourrait
aligner les barèmes d’imposition plus étroitement sur la réalité
économique, améliorant par là-même l’équité et la transparence du système
international de taxation; et elle pourrait restreindre considérablement
les possibilités d'évasion fiscale internationale fondée sur le
transfert des bénéfices ou les paradis fiscaux. Cela permettrait
d'instaurer réellement des conditions de concurrence équitable pour
les entreprises et profiterait en particulier aux pays en développement
souvent désavantagés par les pratiques en cours.
63. Tendre vers ce but ne sera pas chose aisée. Dès 1935 déjà,
la Ligue des Nations avait conclu qu’une imposition uniforme était
“politiquement impossible”. A l’OCDE, les responsables des discussions
sur les questions de politique de taxation internationale laissent
entendre qu’une telle approche ne serait pas possible dans l’environnement
actuel, où la politique fiscale relève de la décision des Etats
souverains. Or, l’expérience en matière de politique fiscale internationale
montre pourtant qu’il est possible de changer les choses en profondeur.
Le plan d’action publié par l’OCDE et soutenu par les ministres
des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 en
juillet 2013 reconnaît, il convient de le noter, que si le principe
de pleine concurrence ne permet pas de traiter les questions liées
aux prix de transfert, concernant les biens incorporels, le risque
et la surcapitalisation, des mesures plus ambitieuses seront proposées.
64. L’article 26 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE prévoit
un échange de renseignements à la demande en tant que norme minimum
des traités bilatéraux à signer entre les Etats membres, mais il
permet toutes les formes d’échange, y compris les échanges automatiques,
ainsi que l’explique le Commentaire du Modèle de convention fiscale.
L’OCDE œuvre depuis de longues années en faveur d’un échange automatique de
renseignements sur un certain nombre de points liés aux revenus
imposables, ainsi que le montre son rapport «Echange automatique
de renseignements: Qu’est-ce que l’échange automatique de renseignements, comment
fonctionne-t-il, quels sont ses avantages, quels progrès reste-t-il
à accomplir?», qui a été salué par les responsables du G20 en 2012.
65. En juillet 2013, les ministres des Finances du G20 ont déclaré
que l’échange automatique de renseignements était la nouvelle norme
mondiale. Je note avec satisfaction que l’OCDE est à la pointe pour promouvoir
celle-ci au niveau international, pour faire progresser l’élaboration
d’une norme mondiale unique de modèles multilatéraux et bilatéraux
d’échanges automatiques de renseignements. Le Forum mondial de l’OCDE
sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales,
qui regroupe actuellement 120 membres, a été chargé par le G20 de
suivre et d’examiner sa mise en œuvre effective.
66. Pour ce qui est des efforts pour assurer une taxation équitable
des revenus des multinationales, je suggère que l’Assemblée élargie
invite l’OCDE à ne pas fermer la porte à une imposition uniforme,
mais plutôt qu’elle examine une approche par étapes, qui débuterait
par l'obligation pour les sociétés multinationales de produire un
rapport financier mondial complet, comprenant un compte rendu pays
par pays. Une fois ce but atteint, des mesures supplémentaires pourraient
être envisagées, notamment la possible adoption de l’approche de
l’imposition uniforme au niveau des groupements régionaux comme
l'Union européenne, l'Association des nations de l’Asie du Sud-Est
(ANASE) et le Mercosur, en prélude d'une adoption plus large.
67. A cet égard, je suggère en outre que l’Assemblée élargie invite
l’OCDE à faire davantage pour associer les pays en développement
aux travaux sur la BEPS. Je note que l’OCDE a instauré des groupes
de travail spécialisés pour discuter d’aspects clés de la question
(Contrer l’érosion de la base d’imposition, Juridiction d’imposition
et Calcul des prix de transfert). L’OCDE signale que les pays ont
été invités à faire acte de candidature pour y travailler et que
ces groupes ont été constitués sur cette base, en tenant compte
de la plupart des demandes des pays. Cependant, les participants
de ces groupes de travail spécialisés appartiennent exclusivement
à l’OCDE ou au G20. En ma qualité de rapporteur, j’estime important
que des mesures soient prises pour que les pays en développement
plus petits aient également voix au chapitre dans ce type d’enceintes.
68. Le «projet BEPS OCDE/G20» a été lancé pour faire davantage
participer les grands pays non-membres de l’OCDE dans le cadre du
plan d’action. De cette manière, les Etats du G20 qui ne sont pas
membres de l’OCDE pourront y participer sur un pied d’égalité. D’autres
pays qui ne font partie ni de l’OCDE ni du G20 peuvent aussi être
invités sur une base ad hoc. De plus, les programmes d’information
de l’OCDE serviront à faire participer les pays en développement
à ce travail. En particulier, les quatre forums mondiaux sur les conventions
fiscales, sur les prix de transfert, sur la TVA et sur la transparence
et l’échange de renseignements à des fins fiscales seront des cadres
utiles pour que les pays en développement puissent faire des contributions
de même que le Groupe de travail de l’OCDE sur la fiscalité et le
développement. Par ailleurs, le Comité des affaires fiscales (CAF)
bénéficiera de la participation des Nations Unies, qui en fait partie
depuis janvier 2012.
9. Renforcer la lutte
contre les paradis fiscaux
69. En parallèle, je pense que l'Assemblée élargie devrait
appeler l'OCDE à renforcer sa lutte contre l'évasion fiscale illégale,
que les paradis fiscaux persistent à encourager. En particulier,
l’Assemblée élargie devrait soutenir les efforts de l’OCDE pour
faire pression au niveau international en vue de la mise en place de
modalités permettant l’échange automatique de renseignements à des
fins fiscales, afin de lutter contre l’évasion fiscale illégale.
70. L'OCDE a montré que l'échange automatique de renseignements
facilite la lutte contre la fraude fiscale extraterritoriale de
différentes façons. Il peut fournir des renseignements en temps
voulu lorsque la fraude concerne le rendement du capital investi
ou le capital sous-jacent. Il permet aussi d'identifier des cas
de fraude alors que les administrations fiscales elles-mêmes n'avaient
aucune présomption. Enfin, il a un effet dissuasif, renforce l'observation
volontaire de la législation et encourage les contribuables à divulguer
tout renseignement pertinent.
71. A ce propos, l'Assemblée élargie devrait saluer les progrès
déjà accomplis en ce qui concerne la transparence et l’échange de
renseignements à la demande, sous l'égide du Forum mondial sur la transparence
et l'échange de renseignements à des fins fiscales et du Forum sur
l'administration fiscale. Créé par l'OCDE en 2000 pour définir des
normes fiscales mondiales, le Forum mondial compte aujourd'hui 120 pays
membres et juridictions. Depuis 2009, date à laquelle le G20 a engagé
des mesures de répression contre les paradis fiscaux en appelant
à l'application effective des normes d'échange de renseignements
à la demande convenues sur le plan international, le Forum mondial
a publié 113 rapports d'examen par les pairs.
72. Des avancées ont pu être réalisées pour ce qui est du nombre
d'accords bilatéraux conclus entre juridictions pour échanger des
renseignements. Il y a cinq ans, la plupart des échanges s'effectuaient
à partir d'un réseau de conventions fiscales entre des juridictions
qui collaboraient depuis longtemps. Aujourd’hui, on compte dans
le monde plus de 850 accords bilatéraux pour l’échange de renseignements
à des fins fiscales (TIEA).
73. Dans le même temps, l'initiative prise par l'OCDE en 2011
pour mettre à jour et élargir la Convention jointe Conseil de l’Europe/OCDE
concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale
(STE n° 127) a fait plus que doubler le nombre de signataires et
a multiplié les relations d'échange de renseignements, 228 nouvelles
relations étant notamment établies alors qu’auparavant, aucun accord
bilatéral n'existait. Globalement, le nombre de nouvelles relations
d'échange de renseignements (bilatérales et multilatérales) a augmenté
de plus de 1 100 depuis 2009. Il convient de noter que la convention
constitue un mécanisme utile et efficace pour une mise en œuvre
rapide de l’échange automatique de renseignements.
74. Alors que certains membres du Forum mondial doivent encore
corriger des déficiences dans leur cadre juridique, il est intéressant
de noter que la plupart des juridictions ont aujourd'hui franchi
cette étape et peuvent entamer la suivante dite phase 2, qui consiste
à évaluer l'efficacité de leurs pratiques en matière d'échange de renseignements.
Pour cette étape, le Forum mondial commencera par estimer l'application
des normes par les pays, sur la base d'un système de classification
à quatre niveaux: «conforme», «largement conforme», «partiellement
conforme» et «non conforme». Une première série d'examens couvrant
environ 50 juridictions fiscales sera achevée d'ici la fin de cette
année.
75. Parallèlement, l'Assemblée élargie peut prendre note des résultats
de la réunion des directeurs d'administrations fiscales de 45 économies,
qui s'est tenue à Moscou les 16 et 17 mai 2013 dans le cadre du Forum
sur l'administration fiscale, et en particulier du travail réalisé
par son Réseau pour la discipline fiscale extraterritoriale, qui
a permis d'échanger des idées, des outils et des techniques afin
de mettre un terme aux fraudes fiscales extraterritoriales.
76. Certains pays se sont montrés particulièrement efficaces dans
la collecte et l'utilisation de données sur les transactions financières
transfrontalières, afin de détecter les fraudes fiscales extraterritoriales.
Les outils et les techniques qu'ils ont élaborés sont décrits dans
un manuel mis à la disposition des membres du réseau. A ce manuel,
s'ajoute un guide pratique à l'intention des contrôleurs internationaux,
qui leur décrypte les codes utilisés par les banques lorsqu'elles
effectuent des transferts transnationaux pour désigner les comptes impliqués
dans les transactions. En outre, le réseau a mis au point une technique
de catalogage, illustrée par des exemples pratiques, pour aider
ses membres à concevoir et perfectionner leurs stratégies de lutte
contre la fraude et l'évasion fiscales extraterritoriales, en particulier
pour les enquêtes sur des structures extraterritoriales complexes.
77. En dépit de ces avancées, je pense que le travail est loin
d'être achevé pour combattre le fléau mondial des paradis fiscaux.
En 2008, d'après une étude de Gabriel Zucman
de l'Ecole d'économie
de Paris, environ 8 % du patrimoine financier des ménages dans le
monde, soit autour de six billions de dollars, était détenu dans
des paradis fiscaux. Cette masse de capitaux qui échappe aux administrations
fiscales nationales entraîne des moins-values considérables pour
des budgets nationaux déjà serrés. Les centres financiers extraterritoriaux
n'ont plus leur place dans un environnement politique qui, au sortir
de la crise financière, attache plus d'importance que jamais à la
transparence et à la réglementation du secteur financier. Dans le monde
d'aujourd'hui, les paradis fiscaux apparaissent de plus en plus
comme des aberrations.
10. La nécessité d'une
approche de type «Big Bang»
78. Il est par essence extrêmement difficile d'évaluer
les effets des changements politiques sur les flux de capitaux qui
transitent entre les centres financiers extraterritoriaux et d'autres
pays. Toutefois une étude menée par Zucman et Niels Johannesen
,
de l'université de Copenhague, a apporté des informations très intéressantes.
A partir de données fournies par la Banque des règlements internationaux
(BRI), ils ont pu analyser le fonctionnement des transferts bancaires
bilatéraux entre 14 pays, dont la Suisse et le Luxembourg, sur une
base trimestrielle.
79. Les résultats de cette étude ont fait ressortir les mouvements
de fonds provenant de paradis fiscaux et entre ceux-ci, à la suite
de traités signés par les paradis fiscaux avec les pays de l'OCDE.
Les fraudeurs fiscaux semblent avoir peu réagi à la signature de
ces traités; les rapatriements de fonds ont été limités. Apparemment, un
grand nombre de fraudeurs n'ont pas eu l'impression que la signature
du traité augmenterait beaucoup la probabilité d'être repérés.
80. Ceux qui ont réagi à la signature des traités n'ont pas, pour
la majeure partie, rapatrié leurs fonds dans le pays d'origine,
mais les ont plutôt transférés vers d'autres paradis fiscaux qui
n'avaient pas signé les traités. De fait, après l'initiative du
G20 de 2009 pour lutter contre la fraude fiscale extraterritoriale,
la valeur totale des dépôts dans les paradis fiscaux a augmenté,
des données montrant un déplacement modéré des dépôts entre paradis
fiscaux. Le graphique n° 3 ci-après illustre ces fluctuations.
Graphique 3
Source: Johannesen, N. et Zucman,
G. (2012).
81. L’OCDE déclare qu’il est trop tôt pour tirer des
conclusions fermes de ces données, puisque bon nombre des 1 100
nouveaux arrangements pour l’échange de renseignements sont à peine
entrés en vigueur, ce qui veut dire que leur impact ne se fera sentir
que lorsque les pays commenceront à s’en servir de manière intensive.
Cependant, j’estime que les conclusions de Johannesen et Zucman
exposent les limites de la méthode progressive jusque-là recommandée
par le G20 et l'OCDE.
82. L'OCDE a joué un rôle décisif dans l'élaboration d'une réponse
politique au phénomène de la fraude fiscale extraterritoriale. Mais
son approche, et celle du G20, s'est limitée à engager une réforme
en douceur et par paliers. Les centres financiers dits non coopératifs
ont été remis sur liste blanche dès leur signature de 12 traités
bilatéraux sur l'échange de renseignements, les libérant ainsi de
toute sanction possible. La signature d'un traité ne conduit pas
automatiquement à l'échange de renseignements: la norme actuelle
des échanges n'exige de fournir que les renseignements demandés.
Les fraudeurs fiscaux exploitent les failles de l'approche actuelle,
qui incite les paradis fiscaux à signer le nombre le plus restreint
possible de traités.
83. De plus, les conclusions de Johannesen et Zucman montrent
les limites pesant sur la capacité des gouvernements à suivre les
flux financiers et l’évasion fiscale illégale. Les fonds sont souvent
cachés dans des structures d’entreprise opaques, comme des fiducies
ou des fondations, qui occultent l’identité de leur bénéficiaire
final effectif. Les «juridictions du secret» utilisent des dispositions
législatives et réglementaires conçues pour renforcer cette opacité
afin d’attirer des capitaux ne respectant pas les règles de conformité applicables.
De mon point de vue, en l’état actuel des choses, une action concertée
s’impose sur un certain nombre de fronts.
84. En ma qualité de rapporteur, je me dois de souligner que le
plus gros du document cité en note de bas de page 13 est consacré
à une analyse économétrique qui identifie les conséquences découlant
de la signature de traités sur l’échange de renseignements sur demande
concernant les dépôts extraterritoriaux, tous les autres éléments
demeurant constants. La conclusion la plus importante est qu’il
ne se passe pas grand-chose. Etant donné que les échanges sont sur
demande, les traités sur l’échange d’information ne mettent pas
les fraudeurs fiscaux en danger, c’est pourquoi ces derniers ne
réagissent guère. Ceux qui le font (une faible minorité) transfèrent
leurs dépôts dans des paradis fiscaux qui ne se conforment pas à
la réforme en cours. C’est ce qui ressort des données, sur la base
d’une méthodologie rigoureuse qui analyse les facteurs pouvant entraîner
une confusion.
85. Il me semble qu’il est essentiel de souligner une fois de
plus qu’il y a une différence réelle et cruciale entre l’échange
de renseignements sur demande et l’échange automatique de renseignements.
Actuellement, les renseignements échangés sur demande grâce aux
plus de 800 traités en vigueur sont extrêmement rares. Ainsi, les
services de l’administration fiscale française reçoivent, par an,
des informations sur une cinquantaine de comptes bancaires étrangers
en activant les nombreux traités qu’ils ont signés. Or, les résidents
français ont au moins 100 000 (et plus vraisemblablement 200 000,
voire 300 000) comptes de ce type. Par un échange automatique de
renseignements, ce sont des renseignements sur chacun de ces comptes
qui seraient transmis chaque année – soit sur environ 200 000 comptes
plutôt que sur une cinquantaine actuellement – ce qui fait une énorme
différence. En réalité, il reste simplement 99,98% du travail à
faire.
86. L'expérience a montré qu'une action concertée des grands pays
pouvait avoir des effets. Lorsque l'initiative du G20 a été lancée
en avril 2009 et que les juridictions contrevenantes se sont vues
menacées de sanctions financières, les paradis fiscaux se sont dépêchés
de signer les traités qu'on leur présentait. Peu importe si ces
traités n'ont pas donné les résultats escomptés. L’efficacité de
l’action concertée a néanmoins été démontrée. Je suis donc heureux
que l’OCDE et le G20 ouvrent la voie de la mise en œuvre d’une norme mondiale
unique en matière d’échange automatique de renseignements.
87. En juillet 2013, le G20 a qualifié l’échange automatique de
nouvelle norme mondiale, il a invité l’ensemble des juridictions
à adhérer à cette norme et a chargé le Forum mondial de suivre et
d’examiner l’effectivité de sa mise en œuvre. Il a aussi souligné
la nécessité d’aider les pays en développement à mettre en œuvre
la nouvelle norme mondiale. D’autres initiatives de l’OCDE comme
les «inspecteurs des impôts sans frontières» ont aussi été saluées
par les responsables du G8 lors du sommet de 2013 à Lough Erne (Irlande du
Nord).
88. Dans le même temps, les gouvernements doivent revoir certains
aspects de base, techniques, de leurs dispositions relatives aux
déclarations fiscales, notamment par exemple l’utilisation standardisée
de numéros d’identification fiscale, pour rendre l’échange de renseignements
efficace. Le 18 juin 2013, l’OCDE a rendu public un rapport préparé
pour le G8, intitulé «A step Change in Tax Transparency» (Un tournant
pour la transparence fiscale), qui contient les démarches pratiques
qui devraient être entreprises afin de faire de l’échange automatique
d’information une réalité. Ce rapport alimentera d’autres débats
au niveau du G20
. De même, lors de la réunion des
ministres des Finances du G20 en juillet 2013, l’OCDE a été invitée
à soumettre en novembre un rapport d’étape sur l’élaboration d’une
norme unique mondiale en matière d’échanges automatiques, y compris
un calendrier pour l’achèvement des travaux en 2014.
89. A mon sens, pour combattre l’évasion fiscale illégale, il
faut à l’évidence des informations statistiques plus détaillées
sur les flux financiers des ménages et des entreprises en direction
de juridictions à taxation faible ou nulle. Il conviendrait également
de prendre des mesures au niveau international pour être à même d’identifier
le bénéficiaire final effectif des actifs détenus dans des sociétés
de type fiducies et fondations, en imposant par exemple aux administrateurs
de ce type de montage des obligations similaires à celles imposées aux
banques pour lutter contre le blanchiment d’argent. C’est pourquoi,
l’Assemblée devrait soutenir l’appel du G20 au Forum Mondial afin
qu’il prenne en compte les travaux du Groupe d’action financière
(GAFI) sur les bénéficiaires effectifs.
90. Même si de telles mesures peuvent être adoptées et mises en
œuvre, il est peu probable qu’elles soient efficaces sauf si les
gouvernements conviennent d’une approche de type «Big Bang», à la
faveur de laquelle les paradis fiscaux seraient invités à signer
des traités avec tous les pays au lieu d’en rester à la politique actuelle
de petits pas. Une telle évolution pourrait aussi se faire rapidement
si l’on faisait signer aux paradis fiscaux la Convention multilatérale
concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale.
Une telle approche devrait être assortie de la menace d’imposer
des restrictions sur les transactions financières aux juridictions
qui refusent de s’engager dans cette voie afin d’éviter la perspective
autrement inévitable d’une fuite de capitaux vers les endroits qui
continuent d’offrir des mécanismes permettant de pratiquer l’évasion fiscale.
Pour y parvenir, il faut qu’une coopération internationale se mette
en place au niveau du G20, l’OCDE ayant un rôle clé à jouer pour
préparer le terrain. L'Assemblée élargie devrait appeler l'OCDE
à travailler avec ses pays membres pour accroître la pression afin
d’agir sur tous ces fronts. L'OCDE devrait prendre la tête d'une
nouvelle campagne globale de lutte contre les paradis fiscaux.