1. Introduction
1. La commission des questions politiques et de la démocratie
a procédé, lors de la réunion qu’elle a tenue à Paris le 5 septembre
2013, à un échange de vue sur la situation en Syrie à la suite d’une
attaque de grande envergure à l’arme chimique dans la banlieue de
Damas, le 21 août 2013, et de menaces de frappes aériennes des Etats-Unis
d’Amérique.
2. A l’issue de ses discussions, la commission a décidé de demander
la tenue d’un débat d’urgence pendant la prochaine partie de session
de l’Assemblée (30 septembre – 4 octobre 2013) et m’a désigné rapporteur
pour ce débat, sous réserve de la décision du Bureau et de l’Assemblée.
Cette décision est aujourd’hui prise de sorte que ma mission est
confirmée.
3. Lorsque la commission a discuté de la Syrie au début du mois
de septembre, la question qui se posait était celle de la réaction
de la communauté internationale à l’attaque chimique (alors présumée)
et notamment celle de savoir si une intervention militaire serait
ou non appropriée et dans l’affirmative, par qui et dans quelles conditions.
Des opinions divergentes ont été exprimées, mais dans leur grande
majorité, les membres ont semblé reconnaître que la solution au
problème était politique, et non militaire, et regretté l’incapacité
du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) d’agir; la nécessité
d’une conférence de paix a été soulignée. La commission se félicite
à cet égard de la décision des autorités suédoises d’accorder des
titres de séjour permanents et de reconnaître le droit au regroupement
familial à tous les réfugiés syriens présents actuellement dans
le pays, ainsi qu’à ceux qui vont arriver et obtenir un titre de
séjour. Elle encourage d’autres Etats membres à envisager de prendre
des mesures analogues
4. Quelques semaines après notre réunion à Paris, la situation
est aujourd’hui très différente et évolue de jour en jour, si ce
n’est d’heure en heure. Après un mois de diplomatie intense, le
CSNU a adopté à l’unanimité, il y a deux jours, une résolution sur
la Syrie qui ouvre la voie non seulement à la destruction de l’arsenal d’armes
chimiques de la Syrie, mais aussi, peut-on espérer, à des négociations
de paix et à une solution politique.
5. Je me contenterai donc d’expliquer brièvement le contexte
dans lequel l’Assemblée a pris la décision de tenir un tel débat
et les événements politiques intervenus depuis, et qui ont mené
à l’adoption de la Résolution 2118 du CSNU. Dans mes remarques finales
je me concentrerai sur les problèmes que soulève à court et à moyen
termes le conflit en Syrie.
2. Contexte
et position antérieure de l’Assemblée parlementaire
6. Depuis le début du soulèvement, il y a de cela deux
ans et demi environ, la guerre entre le régime de M. Bachar el-Assad
et différents groupes d’opposants en Syrie a fait plus 100 000 morts
et est à l’origine de plus de 2 millions de réfugiés et de plus
de 4 millions de personnes déplacées.
7. Les deux camps ont été accusés d’atrocités. Des allégations
d’emploi d’armes chimiques par les deux camps avaient été formulées
avant que la Mission d’enquête des Nations Unies concernant les
allégations d’emploi d’armes chimiques en République arabe syrienne
ne se rende dans le pays le 21 août 2013. La Mission des Nations
Unies, dirigée par un scientifique suédois, Ake Sellström, et composée
d’experts de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques
(OIAC) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), était opérationnelle
deux jours plus tôt, le 19 août.
8. Le CSNU n’a pas été en mesure, depuis le début des hostilités,
d’adopter une résolution sur la situation en Syrie, la France, le
Royaume-Uni et les Etats-Unis d’un côté et la Chine et la Fédération
de Russie de l’autre ne parvenant pas à dégager un accord.
9. Pour sa part, l’Assemblée a tenu son premier débat d’urgence
sur la Syrie en avril 2012 sur la base d’un rapport préparé par
notre commission (
Doc.
12906, rapporteur: M. Pietro Marcenaro, Italie, SOC), ce qui
a conduit à l’adoption de la
Résolution
1878 (2012) sur la situation en Syrie, dans laquelle l’Assemblée condamne
fermement «les violations des droits de l'homme généralisées, systématiques
et graves constituant des crimes contre l’humanité, commises par
les forces militaires et de sécurité syriennes». Elle y condamne également
«les violations des droits de l'homme perpétrées par certains des
groupes armés combattant le régime» et réitère «qu’il ne peut y
avoir aucune impunité pour ceux qui commettent des crimes contre l’humanité,
quels qu’en soient leurs auteurs». Selon l’Assemblée, toutes les
allégations de violations et de crimes doivent «faire l’objet d’une
enquête sérieuse et leurs auteurs doivent être traduits en justice,
y compris, le cas échéant, devant la Cour pénale internationale».
10. L’Assemblée appelle en outre à «la création d’un espace permettant
la réalisation pacifique de la transformation démocratique en Syrie.
Il convient de ce fait de créer progressivement les conditions propices à
la mise en place “d’un processus politique, dirigé par les Syriens”
(…) et, à terme, à la conduite d’élections libres et équitables.
Le peuple syrien devrait être libre de construire son propre avenir».
A ce sujet, l’Assemblée demande au CSNU «de mettre en place d’urgence
un embargo sur l’importation d’armes et de matériel militaire en
Syrie».
11. L’Assemblée déclare aussi que «[l]a dictature qui a opprimé
le peuple syrien durant des décennies n’a aucun avenir» et soutient
«tous les efforts déployés, aux plans tant international que national,
pour aider à la création d’une nouvelle Syrie démocratique et pluraliste,
respectueuse des droits de l'homme et des droits des minorités ethniques,
culturelles et religieuses»; elle invite «les Etats membres du Conseil
de l'Europe à répondre positivement aux appels lancés par les agences
concernées des Nations Unies afin de satisfaire les besoins humanitaires
des (…) réfugiés fuyant la Syrie (…) ainsi que (…) de[s] personnes
(…) touchées par la crise au sein même de la Syrie» et «à accorder
une protection adéquate (…) à tout demandeur d’asile syrien».
12. Quelques mois plus tard, en octobre 2012, l’Assemblée a tenu
un autre débat d’urgence sur la Syrie et adopté la
Résolution 1902 (2012) sur la réponse européenne face à la crise humanitaire
en Syrie. Dans cette résolution, l’Assemblée «regrette l’aggravation
dramatique du conflit et l’escalade qui a conduit à une véritable guerre
civile et qui continue à faire peser une menace très grave sur la
sécurité et la stabilité de l’ensemble de la région et, en particulier,
des pays limitrophes».
13. La visite du camp de réfugiés syriens de Za’atri en Jordanie,
le 6 avril 2013, par notre sous-commission sur le Proche-Orient
a donné lieu à un débat d’actualité lors de la partie de session
de l’Assemblée d’avril 2013 sur «Les réfugiés syriens en Jordanie,
en Turquie, au Liban et en Irak: comment organiser et soutenir l’aide internationale?».
La commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
a été chargée d’élaborer un rapport sur ce thème et son rapporteur,
M. Jean-Marie Bockel, s’est rendu au Liban et en Turquie en août
2013.
14. Enfin, dans sa
Résolution
1940 (2013) sur la situation au Proche-Orient, adoptée en juin 2013, l’Assemblée
se dit préoccupée par «de récents actes d’hostilité du régime Assad
contre Israël et d’autres pays voisins et par l’afflux immense d’armes
dans la région» et «met en garde contre une escalade du conflit».
15. L’Assemblée exprime aussi sa gratitude aux pays d’accueil,
et notamment aux autorités de la Jordanie, de la Turquie et du Liban,
qui «accueillent et aident les réfugiés syriens» et appelle «les
Etats membres du Conseil de l'Europe, les observateurs et ceux ayant
le statut de partenaire pour la démocratie, ainsi que l’ensemble
de la communauté internationale, à intensifier leur aide financière
à la Jordanie, à la Turquie et au Liban, au vu des vastes besoins
quotidiens des réfugiés syriens».
3. La mosaïque de
la société et de l’opposition syriennes
16. Il convient de rappeler que la Syrie compte 23 millions
d’habitants, dont 90,3 % sont Arabes et 9,7 % sont Kurdes, Arméniens,
et autres. Les langues parlées dans le pays sont l’arabe (langue
officielle), le kurde, l’arménien, l’araméen et le circassien. L’Islam
est la religion officielle: 74 % des Syriens sont sunnites; les autres
musulmans représentent 16 % de la population (dont les Alaouites
et les Druzes). Les Chrétiens de diverses confessions représentent
10 % et il existe de petites communautés juives à Damas, Al Qamishli
et Alep.
17. Sous le Président Assad, la majorité sunnite a été fortement
marginalisée, la minorité alaouite exerçant le contrôle politique
et militaire. Une cohabitation pacifique et une représentation dans
les structures de l’Etat ont été garanties aux Chrétiens. Le régime
a durement réprimé les minorités, dont les Kurdes qui, par leurs revendications
d’autonomie, menaçaient l’équilibre du pouvoir.
18. Dans sa
Résolution
1878 (2012), l’Assemblée souligne que la population syrienne constitue
une «mosaïque de groupes ethniques, culturels et religieux, et cette
diversité, au même titre que l’intégrité territoriale de la Syrie,
doit être préservée dans une future Syrie post-Assad».
19. Notant les profondes divisions de l’opposition syrienne, l’Assemblée
invite les divers groupes d’opposition nationale à s’unir «afin
de se présenter en tant qu’alternative légitime offrant à tous les
citoyens syriens, quelles que soient leur origine ethnique, leur
culture et leur religion, la perspective d’une Syrie pacifique,
démocratique et pluraliste». Elle insiste aussi sur le fait que
«tout avenir post-Assad doit garantir la tolérance religieuse dont
les chrétiens ont bénéficié jusqu’ici».
20. Soulignant «que le respect des droits de l'homme, la reconnaissance
des minorités ethniques, culturelles et religieuses, et le choix
en faveur du dialogue et de la démocratie ne constituent pas de
simples déclarations de principe, mais les conditions préalables
à l’unification et au renforcement de l’opposition», l’Assemblée
appelle la communauté internationale à soutenir les initiatives
visant à unir l’opposition en vue de réaliser la transformation
démocratique en Syrie. Parallèlement, elle préconise la plus grande
prudence à l’égard des forces qui, en raison d’intérêts géopolitiques
spécifiques ou pour des raisons sectaires – en Syrie comme dans
d’autre pays du Printemps arabe – fournissent un appui politique
et financier aux groupes extrémistes.
21. Plus d’un an après l’adoption de la
Résolution 1878 (2012) et deux ans et demi après le début du soulèvement en
Syrie, les divisions au sein de l’opposition sont de plus en plus
profondes. Il importe, dans la perspective de la prochaine conférence
de paix, d’essayer de comprendre la composition complexe de l’opposition
syrienne
.
22. L’éventail des groupes politiques, des dissidents exilés,
des militants sur le terrain et des militants armés, incapables
de conjuguer leurs efforts, est large. Plusieurs groupes ont cependant
essayé de former des coalitions pour unir les sympathisants de l’opposition
en Syrie et bénéficier de l’aide et de la reconnaissance de la communauté
internationale.
23. Le Conseil national syrien (CNS) est la première coalition
de groupes de l’opposition formée en octobre 2011 pour «offrir une
alternative crédible au Gouvernement syrien» et servir «de point
de contact unique à la communauté internationale». Il est dominé
par la communauté musulmane sunnite majoritaire/Frères musulmans
de Syrie.
24. Le CNS a été contesté par le Comité international de coordination
(CNC), qui représente les groupes de l’opposition politique interne
qui rejettent la violence et veulent négocier avec le gouvernement.
Il est composé de 13 partis politiques de gauche, de deux partis
politiques kurdes et de militants politiques indépendants et de
jeunes militants et est dirigé par des dissidents de longue date
dont certains se méfient des islamistes du CNS. Plusieurs membres
du CNS se sont aussi plaints de son leadership inefficace. Le CNS
entretient des relations difficiles avec l’Armée syrienne libre
(ASL).
25. La Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, a déclaré en novembre
2012 que le CNS ne pouvait plus être considéré comme le chef visible
de l’opposition et a préconisé une structure pouvant parler à tous
les secteurs et à toutes les régions de la Syrie.
26. La Coalition nationale des forces de l’opposition et de la
révolution syrienne (CN) a été créée en novembre 2012 pour remplacer
le CNS (qui n’a cependant pas disparu). Elle compte des membres
syriens et étrangers et des membres des comités locaux de coordination
(CLC), un réseau de militants de l’opposition au niveau local et
des représentants des Conseils révolutionnaires locaux. Elle bénéficie
aussi du soutien du Conseil militaire suprême rebelle et de l’Armée
syrienne libre. Elle a été reconnue comme étant la «représentante
légitime» du peuple syrien par plus de 100 pays.
27. La coalition ne comprend cependant pas le CNC ni plusieurs
groupes islamistes militants combattant aux côtés de rebelles.
28. En mai 2013, une coalition de groupes rebelles a fait une
déclaration commune critiquant vivement la CN, l’accusant de ne
pas s’acquitter de ses fonctions et d’être contrôlée par des acteurs
régionaux et internationaux. L’efficacité de la CN a aussi pâti
d’une lutte d’influence entre ceux qui sont soutenus par le Qatar
et ceux qui sont soutenus par l’Arabie saoudite.
29. L’ASL a été formée en août 2011 par des déserteurs de l’armée
officielle. Elle est basée en Turquie et commandée par le général
Salim Idriss. Tandis que l’ASL affirme avoir plus de 40 000 hommes
dans ses rangs, les analystes estiment qu’il n’y en aurait pas plus
de 10 000. Leur armement laisse toujours à désirer et beaucoup d’entre
eux n’ont reçu qu’un entraînement militaire sommaire. L’ASL a reconnu
qu’elle est incapable de combattre directement l’armée syrienne,
dont les effectifs seraient de 200 000 hommes. Cependant, un nombre
croissant de défections, causées en partie par les divisions sectaires,
affaiblissent sa capacité militaire, renforcent l’ASL et aggravent
les violences. Les hommes du rang de l’armée sont pour l’essentiel
sunnites, tandis que le commandement est principalement alaouite.
30. Des responsables américains et des officiers du renseignement
arabes ont déclaré en juin 2013 au New York
Times que des fusils automatiques, des lance-roquettes,
des munitions et des armes anti-char ont été fournies à l’ASL, pour
la plupart via la frontière turque, par le biais d’un «réseau informe
d’intermédiaires», y compris les Frères musulmans de Syrie, l’Arabie
saoudite et le Qatar.
31. L’ASL est avant tout une organisation chapeautant des déserteurs,
des civils ayant pris les armes et des militants islamistes. Le
Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a déclaré qu’il
avait obtenu des informations sur de graves violations des droits
de l’homme commises par des membres de divers groupes de l’ASL.
Le commandement de l’ASL a aussi eu du mal à collaborer avec le
CNS, qui a déclaré publiquement qu’il souhaitait préserver le «caractère
non violent» du soulèvement.
32. En janvier 2013, les deux groupes ont pourtant décidé de coordonner
leurs opérations plus étroitement par un bureau de liaison et le
CNS a appelé la communauté internationale à soutenir les rebelles
«en mettant à disposition des conseillers militaires, en assurant
l’entraînement des hommes et en fournissant des armes à des fins
défensives».
33. Beaucoup de groupes relevant de l’ASL ont des convictions
islamistes et leurs déclarations ont souvent un caractère religieux,
si bien qu’il est difficile de distinguer ceux qui sont partisans
d’un islam politique modéré et les extrémistes salafistes ultraconservateurs.
Ce manque de clarté est l’une des raisons pour lesquelles les gouvernements
occidentaux hésitent tant à armer les groupes rebelles.
34. D’autres groupes, qui ne s’inscrivent pas officiellement dans
le cadre de l’ASL, utilisent des tactiques de combat et visent des
objectifs idéologiques qui prouvent une orientation salafiste extrémiste.
Il en va ainsi du Front al-Nosra encore appelé Jabhat al-Nosra,
qui est sans doute le groupe djihadiste le plus puissant du pays. Il
a revendiqué un certain nombre d’attentats très médiatisés dans
les principales villes de Syrie, l’exécution d’un adolescent de
14 ans à Alep et l’enlèvement du religieux italien Paolo Dall’Oglio.
Il a été fondé au début du conflit avec l’aide d’Al Qaïda en Irak.
Les Etats-Unis ont qualifié le Front al-Nosra d’organisation terroriste. Un
autre groupe djihadiste, l’Etat islamique d’Irak et de Syrie (EIIS)
a déclaré la guerre aux groupes affiliés à l’ASL (y compris les
brigades Farouk d’Alep et Ahfad al-Rasoul). Des affrontements violents
ont été signalés le 18 septembre 2013 entre ces groupes et l’EIIS
dans le Nord et l’Est de la Syrie. Cette évolution est dans le droit
fil de la mise en garde formulée par le chef d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri,
selon laquelle ses partisans en Syrie devaient éviter de collaborer
avec des groupes séculiers liés à l’Occident.
35. Le Front islamique syrien est un groupement comprenant les
12 autres mouvements salafistes qui combattent en Syrie. A l’instar
du Front al-Nosra, ces mouvements cherchent tous à fonder un émirat
islamique en Syrie. La formation qui attire le plus l’attention
est la milice salafiste Ahrar al-Cham, qui provient du Nord du pays.
Les combattants d’Ahrar al-Cham auraient été présents lors de toutes
les grandes offensives déclenchées dans le pays depuis le milieu
de 2012. Alors que le Front al-Nosra et Ahrar al-Cham étaient alliés jusqu’en
août 2013, des échauffourées ont éclaté entre eux en septembre.
36. Alors que la plupart de ces groupes aux idées extrémistes
ont collaboré avec les combattants réguliers de l’ASL, des rivalités
liées à la maîtrise de ressources et de territoires ont commencé
à dégénérer en conflits entre eux. Le meurtre d’un chef de l’ASL
aux mains d’un groupe islamiste en juillet 2013 a mis en évidence
le risque élevé d’autres clivages. Les djihadistes, y compris les
combattants étrangers, sont de plus en plus présents en Syrie, bien
que selon les analystes, ils ne représentent pas plus de 10% de
l’opposition syrienne.
37. Selon des estimations récentes, il y aurait jusqu’à un millier
de groupes rebelles, regroupant au total 100 000 hommes. Il y aurait
10 000 djihadistes combattant pour l’EIIS et le Front al-Nosra et
encore 30 à 35 000 islamistes radicaux. 30 000 à 40 000 combattants
de plus appartiendraient à des groupes aux idées islamistes plus
modérés.
38. Le 25 septembre, 11 groupes rebelles islamistes, dont certains
font partie de l’ASL, ont annoncé qu’ils ne reconnaissaient pas
l’autorité de la Coalition nationale.
39. L’opposition ne parvient pas non plus à se mettre d’accord
sur la conférence internationale de paix qui est proposée. Quelques
jours à peine avant l’adoption de la Résolution 2118 du CSNU sur
la Syrie, le Président de la Coalition nationale a accepté de participer
à une telle conférence de paix, mais il n’a pas obtenu le soutien
des autres groupes de l’opposition.
40. Les milices du parti de l’Union démocrate kurde (PYD), qui
interviennent le long de la frontière turque, et le Conseil national
kurde (KNC) ont récemment décidé de s’allier à la CN. Le 30 septembre
2013, j’ai rencontré à Strasbourg un représentant du PYD. Celui-ci
a confirmé que les mouvements kurdes souhaitaient participer à la
conférence de paix. Etant donné leur défense laïque de la démocratie
et des droits de l’homme, ils sont accusés d’être pro-occidentaux
par les groupes islamistes radicaux. Ils ont souligné qu’ils combattent pour
une Syrie plurielle et qu’ils n’ont pas de programme séparatiste.
4. Les événements
du 21 août et les réactions internationales immédiates
41. Le rapport de la Mission des Nations Unies chargée
d'enquêter sur les allégations d'emploi d'armes chimiques lors de
l’incident du 21 août 2013 dans le district de Ghouta à Damas a
été soumis le 16 septembre 2013 au CSNU. Selon la note du Secrétaire
Général des Nations Unies accompagnant le rapport, des armes chimiques
ont été employées à une échelle assez grande le 21 août 2013 dans
le district de Ghouta à Damas, et ont fait beaucoup de victimes,
notamment parmi les civils, y compris un grand nombre d’enfants.
42. La Mission a «collecté des preuves claires et convaincantes
montrant que des roquettes sol-sol contenant du sarin, agent neurotoxique,
ont été utilisées à Ein Tarma, Moadamiyah et Zalmalka, dans le district damascène
de Ghouta». Elle n’a pas pu pourtant «répertorier pleinement l’emploi
d’armes chimiques le 21 août ni vérifier le nombre total de victimes».
Le chiffre de plusieurs centaines de morts, y compris des centaines d’enfants,
a été publié.
43. M. Ban Ki-Moon a ajouté dans sa note: «C'est un crime de guerre
et une violation grave du Protocole de 1925 et d'autres règles du
droit international coutumier. Je ne doute pas que tous se joignent
à moi pour condamner ce crime ignoble. La communauté internationale
a le devoir de tenir pour responsables les auteurs de cet acte et
de veiller à ce que les armes chimiques ne réapparaissent plus comme
un instrument de guerre.»
44. Pour préserver l’impartialité, alors que cela ne faisait pas
partie de son mandat, le rapport de la mission des Nations Unies
n’identifie pas les responsables. Toutefois, un certain nombre de
facteurs indiqués dans le rapport semblent mettre les forces insurgées
hors de cause.
45. Pendant les jours qui ont immédiatement suivi l’attaque et
alors que l’on attendait la publication du rapport, la communauté
internationale n’était pas unanime dans ses accusations. Alors que
le régime syrien a rejeté toute responsabilité pour l’attaque, les
Etats-Unis, la France et le Royaume Uni l’ont clairement accusé d’en
être l’auteur en se référant à des preuves accablantes. Pour la
Russie, la responsabilité du Gouvernement syrien n’a pas été prouvée.
46. Le Président Obama avait déclaré que le recours aux armes
chimiques était une «ligne rouge» qui ne devait pas être franchie
et il a menacé la Syrie de frappes punitives conduites par les forces
américaines en réponse immédiate à l’attaque du 21 août. Cependant,
il a décidé de demander au Sénat de se prononcer sur le sujet.
47. Le 29 août 2013, la Chambre des communes s’est opposée, par
un vote, à une éventuelle opération militaire pour dissuader le
gouvernement du Président syrien Bachar el-Assad de recourir aux
armes chimiques.
48. Le Président français François Hollande a déclaré que la France
était disposée à participer à une action internationale contre la
Syrie. Le 4 septembre, le Parlement français a tenu un débat sans
vote sur la question.
49. Réuni à Dubrovnik, le 2 septembre 2013, le Bureau de l’Assemblée
parlementaire a publié une déclaration sur la Syrie condamnant l’emploi
d’armes chimiques le 21 août 2013. Il a déclaré que «toute utilisation
d’armes chimiques n’importe où, par n’importe qui, en toutes circonstances,
constitue une violation du droit international et un crime contre
l’humanité. Le Bureau appelle la communauté internationale à prendre des
mesures pour augmenter la pression sur les pays qui n’ont pas encore
signé la Convention sur les armes chimiques, à le faire. Il appelle
également à une action urgente afin de mettre sous contrôle international
les stocks d’armes chimiques en Syrie pour en empêcher l’accès à
ceux qui soutiennent ou s’opposent au gouvernement». Le Bureau a
aussi appelé toutes les parties concernées à la fois à l’intérieur
et à l’extérieur du pays à participer au-delà de leurs différences
à une conférence sur la paix en Syrie, déclarant que «l’usage des
armes ne mène jamais à une paix durable et n’est, de ce fait, pas
une option. Seule une solution politique peut mettre un terme à
la spirale de la violence, mais aussi à la situation dramatique
des réfugiés et des personnes déplacées».
5. Les armes chimiques
en droit international
50. L’emploi des armes chimiques et biologiques dans
les conflits armés internationaux était déjà interdit par le Protocole
de 1925 (aux conventions de la Haye de 1899 et de 1907) concernant
la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques
ou similaires et de moyens bactériologiques, appelé d’ordinaire «Protocole
de Genève», et entré en vigueur en 1928. Ce texte interdit l'emploi
«de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que de tous liquides,
matières ou procédés analogues» et les «moyens de guerre bactériologiques»,
mais il est actuellement interprété comme une interdiction générale
de l’emploi d’armes chimiques et biologiques.
51. La Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la
fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur
leur destruction (CIAC) est entrée en vigueur en 1997 pour «exclure
complètement la possibilité de l'emploi des armes chimiques» mais
également pour tenir compte des aspects non couverts par le Protocole
de Genève, à savoir leur fabrication, stockage ou transfert. L’OIAC
est l’institution chargée de veiller à l’application de la CIAC.
Avec l’entrée en vigueur de la Convention pour la Syrie le 14 octobre
2013, soit un mois après l’adhésion (qui a eu lieu le 14 septembre
2013), l’OIAC comptera 190 Etats membres, qui œuvrent de concert
pour parvenir à un monde exempt d’armes chimiques. Ils partagent
le but commun d’empêcher la chimie de servir à nouveau pour faire
la guerre, de manière à renforcer la sécurité internationale.
52. A cette fin, la convention comprend quatre dispositions clés:
- détruire toutes les armes chimiques
existantes sous un contrôle international assuré par l’OIAC;
- surveiller l’industrie chimique pour empêcher de nouvelles
armes d’apparaître;
- offrir assistance et protection aux Etats Parties contre
les menaces chimiques;
- favoriser la coopération internationale pour renforcer
l’application de la convention et promouvoir l’utilisation de la
chimie à des fins pacifiques.
53. Après la destruction des stocks existants déclarés, l’OIAC
continuera de travailler d’arrache-pied pour persuader les quelques
Etats non-membres de renoncer aux armes chimiques et d’adhérer à
la convention. Dans le même temps, l’OIAC doit empêcher la réapparition
d’une menace liée aux armes chimiques, qu’elle provienne d’acteurs
étatiques ou non étatiques.
54. L’OIAC a reçu pour mandat de viser les objectifs et les buts
de la convention, d’assurer l’application de ses dispositions –
y compris en matière de contrôle international du respect de cet
instrument – et de constituer un cadre de consultation et de coopération
entre les Etats Parties. Le Secrétariat technique est responsable de
l’administration et de l’application au jour le jour de la convention,
y compris les inspections, tandis que le Conseil exécutif et la
Conférence des Etats Parties sont des organes décisionnels habilités
avant tout à se prononcer sur les questions politiques et à régler
les problèmes apparaissant entre les Etats Parties sur des questions
techniques ou sur l’interprétation de la convention.
55. Avant le 14 septembre 2013, la Syrie était avec l’Angola,
l’Egypte, la Corée du Nord et le Soudan du Sud, l’un des cinq Etats
au monde qui n’avait ni signé, ni ratifié la convention. Israël
et Myanmar l’ont signé il y a vingt ans, mais ils ne l’ont pas ratifiée.
6. Les récentes manœuvres
diplomatiques ayant conduit à l’adoption de la Résolution 2118 du
Conseil de sécurité des Nations Unies
56. Dans le contexte des menaces de frappes punitives
conduites par les Etats-Unis contre la Syrie et d’une déclaration
que le Secrétaire d’Etat américain John Kerry semble avoir faite
à la légère, le Ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï
Lavrov, a lancé une importante initiative diplomatique en proposant
que les armes chimiques de la Syrie soient répertoriées et détruites
en totalité. Sa proposition visait à éviter toute intervention militaire
immédiate emmenée par les Etats-Unis contre la Syrie et d’amener
les parties et la communauté internationale à la table des négociations.
Après des consultations intensives à Genève, un accord a été conclu le
14 septembre 2013 entre M. Kerry et M. Lavrov sur un plan en vertu
duquel la Syrie devrait présenter un inventaire de ses armes chimiques
dans un délai d’une semaine et assurer leur destruction d’ici la
mi-2014.
57. Pour que ce plan ait une chance de réussir, le Conseil de
Sécurité devrait, dans une résolution claire, prévoir un mécanisme
de suivi et de contrôle fiable et indépendant et des délais réalistes.
Selon l’accord conclu à Genève, «les Etats-Unis et la Fédération
de Russie s’accordent à considérer que cette résolution du Conseil de
sécurité des Nations Unies devrait déterminer l’examen sur une base
régulière de la mise en œuvre en Syrie de la décision du Conseil
exécutif de l’OIAC, et en cas de non-conformité, y compris un transfert
non autorisé, ou toute utilisation d’armes chimiques par quiconque
en Syrie, le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait imposer
des mesures en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies».
58. La communauté internationale s’est félicitée sans réserve
de ce plan et le Président syrien a déclaré qu’il était disposé
à le mettre en œuvre (il a cependant précisé que le plan prendrait
un an et qu’il faudrait un milliard de dollars pour détruire les
armes chimiques de la Syrie). En conséquence, le Président Obama
a retiré la demande qu’il avait faite au Sénat de voter sur des
frappes militaires.
59. Ce même 14 septembre, la Syrie a adhéré à la CIAC. Elle en
deviendra le 190e Etat Partie à la convention
le 14 octobre 2013.
60. A partir de la mi-septembre, des négociations ont été entamées
sur la rédaction d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations
Unies. La principale pomme de discorde portait sur le renvoi ou
non, dans la résolution, au Chapitre VII, disposition qui autorise
les Etats membres des Nations Unies à recourir à tous les moyens
disponibles, y compris des opérations militaires, pour exécuter
une résolution. Cela semblait avoir été convenu à Genève, mais par
la suite, le ministère russe des Affaires étrangères a rejeté un
projet de résolution français car il renvoyait au Chapitre VII,
ainsi que la suggestion que la résolution reproche au Gouvernement syrien
d’avoir déployé des armes chimiques.
61. Un autre point délicat était la mention ou non dans la résolution
de la saisine de la Cour pénale internationale (CPI). Selon l’ONG Human Rights Watch, «la résolution
examinée par le Conseil de sécurité des Nations Unies au sujet de
l’attaque à l’arme chimique du 21 août 2013 en Syrie devrait comprendre
la saisine de la CPI. La saisine de la CPI au sujet de la situation
en Syrie serait un grand progrès pour rendre justice aux victimes
de l’attaque et des autres atrocités commises par toutes les parties
au conflit armé syrien».
62. Le 21 septembre 2013, la Syrie a soumis des documents concernant
son programme d’armes chimiques à l’OIAC, qui s’est réunie une semaine
plus tard, le 27 septembre, et a adopté un programme accéléré qui
doit permettre d’éliminer complètement l’arsenal chimique de la
Syrie pour la fin du premier semestre 2014. Cette décision, qualifiée
«d’historique» par le Conseil exécutif, exige que les inspections
en Syrie commencent dès le 1er octobre
2013. Le Conseil exécutif de l’OIAC doit définir avant le 15 novembre
des échéances intérimaires pour la destruction. La mission des Nations
Unies est retournée en Syrie le 25 septembre.
63. On estime que la Syrie possède plus de 1 000 tonnes d’agents
chimiques et de précurseurs chimiques, y compris des moutardes au
souffre ainsi que du sarin et du gaz VX neurotoxique. Le processus
de destruction proposé pour la Syrie présente d’importantes différences
par rapport à celui que décrit la convention. Les difficultés techniques
et les obstacles juridiques sont immenses, et la guerre civile qui
fait encore rage dans le pays augmente considérablement la difficulté
du processus. Il est essentiel de faire preuve de volonté politique pour
régler les détails du plan et, pour qu’il puisse être mis en œuvre,
il est indispensable que tant les autorités syriennes que l’opposition
en respectent strictement les dispositions. Il faudra également
doter de moyens supplémentaires l’OIAC, qui devra relever le défi
inédit de superviser la destruction des armes chimiques alors que
la guerre fait rage. Plusieurs pays, y compris des Etats membres
du Conseil de l’Europe ont annoncé qu’ils allaient contribuer au
fonds pour la Syrie de l’OIAC; d’autres devraient suivre leur exemple.
64. Parallèlement aux négociations sur la destruction prévue des
armes chimiques de la Syrie et les éventuelles sanctions en cas
de non-respect du plan adopté, les discussions se sont poursuivies
au cours des deux dernières semaines en vue d’une conférence internationale
de paix sur la Syrie, que la Russie et les Etats-Unis ont décidé
d’organiser lors de leur réunion du 7 mai 2013 à Moscou, dans le
cadre du suivi d’une réunion antérieure, en juin 2012 à Genève.
Ils s’étaient alors mis d’accord sur le principe d’une transition politique,
mais avaient été incapables de faire cesser la guerre.
65. Il a été proposé que la deuxième conférence de paix au Proche-Orient
(ou Genève 2) serait parrainée par les Nations Unies et se tiendrait
à Genève fin 2013 pour tenter de faire cesser la guerre civile en
Syrie et organiser une période de transition de reconstruction post-conflit.
La mission première de Genève 2 serait d’amener toutes les parties
à adopter le principe d’une solution politique, et à réaliser des
progrès sur la base du plan de paix de M. Kofi Annan et de la réunion
de juin 2012.
66. Le 19 septembre, les médias ont annoncé que, intervenant au
nom du Gouvernement syrien, le Vice-Premier ministre avait déclaré
que la guerre civile était dans l’impasse, car aucune des parties
n’était assez forte pour l’emporter. Il a ajouté que lors des négociations
de paix proposées à Genève, auxquelles le Gouvernement syrien avait
déjà annoncé qu’il participerait sans poser de conditions préalables,
Damas demanderait à l’opposition armée de convenir d’un cessez-le-feu.
Plus tard dans la semaine, le Ministre a nié avoir fait une telle
déclaration.
67. Quelques jours plus tard, le 22 septembre 2013, le président
de la Coalition nationale des forces de l’opposition syrienne, M.
Ahmad Jarba, a annoncé que son groupe était à la fois disposé et
prêt à participer à une conférence de paix à Genève et à former
un gouvernement transitoire pour mettre un terme au conflit dans le
pays. La lettre de M. Jarba au Conseil de sécurité des Nations Unies
constitue le premier engagement clair pris par l’opposition en vue
de participer à la conférence proposée sous le parrainage des Etats-Unis
et de la Russie. Jusqu’ici, l’opposition était restée divisée sur
cette question et refusait de participer tant que le président Assad
n’aurait pas démissionné.
68. Le 26 septembre 2013, lors d’une réunion avec l’envoyé spécial
des Nations Unies et de la Ligue Arabe pour la Syrie, M. Lakhdar
Brahimi, le Président iranien Rouani a déclaré que si l’Iran est
invité sans conditions préalables, il participera à la conférence
Genève 2 afin d’aider à résoudre la crise syrienne, parce que chacun doit
consentir des efforts pour faire cesser le plus rapidement possible
la guerre et les effusions de sang en Syrie.
69. Dans ce contexte, et quelques heures à peine après la décision
de l’OIAC sur les procédures spéciales en vue d’une destruction
rapide et vérifiable de l’arsenal chimique de la Syrie pour la fin
du premier semestre 2014, le Conseil de sécurité des Nations Unies
a adopté, à l’unanimité, au cours d’une fructueuse réunion qui s’est
tenue tard dans la soirée, la Résolution 2118 qui, après deux ans
et demi d’une guerre civile sanguinaire aux conséquences humanitaires
dramatiques, fait renaître les espoirs de paix et de règlement politique
du conflit.
70. Le CSNU considère que l’emploi d’armes chimiques, où que ce
soit, constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales,
et demande la pleine application de la décision susmentionnée de
l’OIAC, datée du 27 septembre. Le document de l’OIAC fait à présent
partie intégrante de la résolution des Nations Unies qui est destinée
à régir l’ensemble du processus.
71. La résolution contraignante de ce Conseil de 15 membres interdit
à la Syrie d’employer, de mettre au point, de fabriquer, d’acquérir
en aucune manière, de stocker et de détenir des armes chimiques
ou d’en transférer, directement ou indirectement, à d’autres Etats
ou à des acteurs non étatiques, et souligne qu’aucune des parties
syriennes ne doit employer, mettre au point, fabriquer, acquérir,
stocker, détenir ou transférer de telles armes. La Syrie est appelée
à respecter tous les aspects de la décision de l’OIAC, notamment
en acceptant le personnel désigné par l’OIAC ou par les Nations
Unies et en leur donnant un accès immédiat et sans entrave à tous
les sites où sont stockés des armes chimiques, et le droit de les
inspecter. En outre, le Conseil a décidé d’examiner régulièrement
l’application en Syrie de la décision du Conseil exécutif de l’OIAC
et de sa propre résolution.
72. La résolution du CSNU, qui souscrit pleinement au Communiqué
de Genève du 30 juin 2012, demande qu’une conférence internationale
sur la Syrie soit organisée dans les meilleurs délais afin de mettre
en œuvre ledit Communiqué. Le Conseil de sécurité a ainsi approuvé
une feuille de route devant mener à une transition politique en
Syrie. Le Secrétaire Général des Nations Unies a également fixé
l’objectif d’organiser mi-novembre la conférence de paix Genève
2.
73. Concernant les points de divergence susmentionnés, la Résolution
2118 correspond à un compromis inévitable: alors que le projet se
réfère au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui autorise
le recours à la force militaire ou à d’autres mesures punitives,
il faudra désormais une deuxième résolution, adoptée en vertu du
Chapitre VII et autorisant de telles mesures, en cas de non-respect.
74. La résolution ne désigne pas de coupables pour les faits du
21 août et ne mentionne pas la Cour pénale internationale. La responsabilité
pour le massacre du 21 août reste donc une question litigieuse.
75. De son côté, le Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban
Ki-Moon, a déclaré que l’adoption de cette résolution était la «première
nouvelle qui donne finalement de l’espoir pour la Syrie», en rappelant
toutefois que s’il s’agit d’une étape importante, «nous ne devons
jamais oublier que le catalogue des horreurs en Syrie se poursuit,
avec des bombes, des chars, des grenades et des fusils». Il a ajouté
que ce plan pour éliminer les armes chimiques de la Syrie n’est
pas «un permis de tuer à l’arme conventionnelle.»
76. Insistant aussi sur le fait que les auteurs des attaques à
l’arme chimique devront être traduits en justice, M. Ban Ki-Moon
a déclaré que la mission des Nations Unies qui est retournée en
Syrie pour achever sa mission d’enquête devrait avoir terminé ses
travaux début octobre, et qu’il communiquera rapidement un rapport
à tous les Etats membres.
77. Le Secrétaire général des Nations Unies a exhorté le Conseil
de sécurité à profiter de son unité retrouvée pour s’intéresser
à deux autres dimensions du conflit qui sont tout aussi cruciales:
la situation humanitaire dramatique et la crise politique. De leur
côté, les parties syriennes sont encouragées à se mobiliser de manière
constructive en faveur de la création d’un Etat démocratique, tandis
que les acteurs de la région sont priés de faire obstacle à ceux
qui cherchent à affaiblir le processus.
78. M. John Kerry, Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, a déclaré
que les Nations Unies a démontré que la diplomatie peut-être assez
puissante pour désamorcer pacifiquement les pires armes de guerre.
Il s’est félicité de la résolution qui vise, pour la première fois,
à éliminer entièrement l’arsenal chimique d’une nation, avant d’ajouter
qu’il appartient désormais au régime syrien de se conformer aux
dispositions de la résolution.
79. Pour sa part, le ministre russe des Affaires étrangères, M.
Sergueï Lavrov, s’est également félicité de l’adoption de la résolution
en précisant que la Russie était prête à participer à toutes les
opérations en Syrie. Il a toutefois insisté sur le fait que la réussite
des efforts internationaux ne dépendait pas uniquement de Damas,
et que la coopération de l’opposition syrienne était également nécessaire.
Il a aussi souligné que la résolution demande également à tous les
pays, et en particulier les voisins de la Syrie, de coopérer en signalant
les initiatives d’acteurs non-étatiques pour acquérir des armes
chimiques.
80. Auparavant, le Président des Etats-Unis, M. Barack Obama,
avait déclaré qu’un accord des membres du Conseil de sécurité sur
cette question constituerait potentiellement une immense victoire
pour la communauté internationale.
81. M. William Hague, ministre britannique des Affaires étrangères,
a aussi salué l’adoption d’une résolution très originale. Laurent
Fabius, ministre français des Affaires étrangères s’est dit «satisfait»
de l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations Unies d’une
résolution qu’il a considérée comme étant un «pas en avant». Il a
noté que les choses progressaient, même si cela se faisait lentement.
82. Réagissant au vote, l’Ambassadeur de la Syrie auprès des Nations
Unies, M. Bachar Jaafari, a déclaré que la résolution couvrait la
plupart des préoccupations de Damas. Il a toutefois ajouté que les
pays qui soutiennent les rebelles syriens devraient eux-aussi se
conformer au document adopté.
83. Etant donné l’abîme qui se creuse de plus en plus entre les
divers groupes rebelles et au sein de l’opposition syrienne, celle-ci
ne s’est pas exprimée officiellement au sujet de la résolution.
La position de l’opposition est pourtant essentielle. Les conditions
dans lesquelles la résolution sera mise en œuvre, notamment pour
assurer le libre passage vers les sites d’armes chimiques du personnel
mandaté par l’OIAC ou les Nations Unies, selon le plan arrêté d’un
commun accord, ne pourront être satisfaites sans un respect des
cessez-le-feu par toutes les parties.
7. Bref aperçu du
désastre humanitaire
84. Comme le Secrétaire Général des Nations Unies, Ban
Ki-moon, l’a déclaré, le désastre humanitaire est l’un des deux
autres aspects essentiels du conflit syrien, avec l’aspect politique,
sur lequel la communauté internationale devrait maintenant se concentrer.
85. D’après les chiffres communiqués par le Haut Commissariat
des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) dans une note d’information
préparée pour nos discussions, on enregistrait, au 25 septembre 2013,
2 116 000 réfugiés qui avaient fui la Syrie depuis le début du conflit
à la recherche d’une protection dans des pays voisins: 763 097 étaient
au Liban, 525 231 en Jordanie, 494 330 en Turquie, 192 396 en Irak,
126 717 en Egypte et 14 289 dans des pays d’Afrique du Nord.
86. Le HCR attire l’attention sur le fait qu’en dépit de l’existence
de pas moins de 29 camps de réfugiés en Turquie, en Jordanie et
en Irak, plus de 75 % des réfugiés syriens n’y vivent pas mais sont
dispersés dans les villes et les villages des pays d’accueil. Cette
population urbaine largement invisible fait face à des difficultés supplémentaires,
comme la cherté des loyers, le coût élevé de la vie et des possibilités
de subsistance limitées.
87. D’après le HCR, la Syrie compte quelque 4,25 millions de personnes
déplacées dans le pays et 6,8 millions de personnes environ ont
besoin d’une aide humanitaire. Cela étant, sur les $US 249 millions destinés,
en 2013, à répondre aux besoins des personnes déplacées, 72 % ne
sont toujours pas financés.
88. Les Syriens arrivant en Europe sont aussi de plus en plus
nombreux. D’après le HCR, environ 47 000 demandes d’asile de Syriens
ont été enregistrées dans l’Union européenne ainsi qu’en Norvège,
au Liechtenstein, en Islande et en Suisse depuis le début de la
crise. Le nombre mensuel de demandeurs d’asile syriens varie de
3 000 à 5 000 dans certains pays. D’après des données récentes du
HCR, l’Italie est confrontée à une augmentation importante du nombre
de Syriens arrivant par bateau depuis l’Egypte et la Turquie essentiellement.
Sur une période de 40 jours, 3 300 Syriens, dont plus de 230 enfants
non accompagnés, sont entrés sur le territoire italien en passant
pour la majorité d’entre eux par la Sicile.
89. Point positif, les autorités suédoises ont décidé d’accorder
des titres de séjour permanents et le droit au regroupement familial
à tous les réfugiés syriens présents actuellement dans le pays,
ainsi qu’à ceux qui vont arriver et obtenir un titre de séjour.
Elle encourage les autres Etats membres à envisager de prendre des mesures
analogues. Les autorités allemandes pour leur part ont décidé d’accorder
l’asile à 5 000 réfugiés syriens auxquels elles remettront un titre
de séjour de deux ans renouvelable en fonction de la situation en Syrie.
90. Dans sa
Résolution
1902 (2012) sur la réponse européenne face à la crise humanitaire
en Syrie, qu’elle a adopté il y a déjà un an, l’Assemblée attire
l’attention sur le fait que la situation dans les camps de réfugiés en
Turquie, au Liban, en Jordanie et en Irak devient «dramatique, en
raison du manque de nourriture, de produits d’hygiène et de logements»,
comme c’est le cas dans certaines régions de la Syrie elle-même.
91. Les membres de la sous-commission sur le Proche-Orient ont
eu l’occasion de se rendre compte par eux-mêmes des difficultés
auxquelles les réfugiés syriens et les autorités jordaniennes sont
confrontés au vu des vastes besoins quotidiens des réfugiés du camp
de Za’atri.
92. Après s’être rendu en Turquie et au Liban, M. Jean-Marie Bockel
a préparé une note
dans le cadre de l’élaboration de
son rapport sur «Les réfugiés syriens en Jordanie, en Turquie, au
Liban et en Irak: comment organiser et soutenir l’aide internationale?»
qu’il m’a aimablement transmise. Le rapport de M. Bockel vise à appeler
de nouveau l’attention de la communauté internationale sur la situation
plus que précaire des réfugiés syriens. M. Bockel souligne que les
conditions de vie des réfugiés doivent être décentes et il met en
particulier l’accent sur des éléments essentiels comme l’éducation,
la santé et le logement. Il insiste aussi sur la situation particulièrement
dramatique des femmes et des enfants, ces derniers représentant
53 % des réfugiés.
93. S’appuyant sur la
Résolution
1902 (2012), M. Bockel entend, dans son rapport, demander de nouveau aux
Etats membres du Conseil de l'Europe de faire preuve de solidarité
et de responsabilité collective en prenant les mesures nécessaires
pour accueillir au mieux les réfugiés syriens.
94. La communauté internationale devrait répondre généreusement
et de toute urgence aux appels de fonds destinés à aider les réfugiés
syriens et les pays voisins qui les accueillent. Les conséquences humanitaires
du conflit syrien et la nécessité d’une aide humanitaire d’urgence
devraient de toute évidence être prises en compte lors de la conférence
de paix Genève 2 qui pourrait, à la suite de l’adoption de la Résolution 2118
du Conseil de sécurité des Nations Unies, se tenir dans les six
prochaines semaines et dont les chances de succès sont bien plus
importantes que celles que l’on pouvait entrevoir il y a de cela
quelques semaines.
95. Comme l’Assemblée l’a déjà souligné dans sa
Résolution 1902 (2012), les problèmes que pose la situation dramatique des
réfugiés et des personnes déplacées en Syrie et dans les pays voisins
ne sauraient être réglés sans perspectives de paix et de règlement
politique du conflit, ce que visent les futurs pourparlers de Genève.
8. Remarques finales
96. Depuis la réunion de la commission début septembre
à Paris, les perspectives ont considérablement changé: on est passé
de l’éventualité de frappes militaires contre les forces gouvernementales
syriennes en dépit de l’absence d’une décision du Conseil de sécurité
des Nations Unies, à un accord de coopération multinationale reconnaissant
le rôle central des Nations Unies et de l’OIAC. En soi, c’est là
un fait remarquable.
97. Dans le même temps, nous sommes confrontés à une triste réalité:
même si l’on ne recourt plus aux armes chimiques en Syrie, on continuera
d’y mourir tous les jours, y compris des civils, des femmes, des enfants,
en raison de l’emploi d’armes conventionnelles.
98. Un sentiment de frustration subsiste aussi, sentiment partagé
tout spécialement par les membres d’une assemblée parlementaire
faisant partie d’une organisation de défense des droits de l’homme:
justice n’a pas été faite. La Résolution 2118 du Conseil de sécurité
des Nations Unies récemment adoptée ne fait pas état de crimes de
guerre, ni du droit de la guerre; elle ne renvoie pas à la Cour
pénale internationale; personne ne se voit reprocher l’attaque chimique
du 21 août; le texte ne prévoit pas le recours automatique aux mesures visées
au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies (bien que cette possibilité
subsiste si jamais il ne devait pas être respecté).
99. Cependant, en convenant de procédures de désarmement complexes
et de contrôles réguliers stricts, les Etats membres du Conseil
de sécurité des Nations Unies ont pris un engagement à long terme.
Et ils ont sans doute su davantage faire renaître l’espoir de mettre
fin au conflit que ne l’auraient fait des frappes militaires. Ce
point a été clairement évoqué par M. Jean-Pascal Zanders, consultant
en désarmement à The Trench et ancien chercheur à l’Institut d’Etudes
de Sécurité de l’Union européenne, lors de son audition devant la
commission des questions politiques et de la démocratie sur la situation
en Syrie
.
100. S’il réussit en Syrie, ce processus pourrait aussi offrir
la possibilité d’un désarmement plus large au Moyen-Orient et contribuer
à mettre fin à l’impasse sur le programme nucléaire iranien.
101. La réussite du rôle de la communauté internationale après
deux ans et demi d’échecs et d’occasions manquées, après 100 000
morts, après des millions de réfugiés et de personnes déplacées
ne dépendra pourtant pas seulement du succès du processus de désarmement –
tant ce dernier est délicat d’un point de vue technique et juridique.
102. La pierre de touche de ce rôle sera la fin même de la guerre
civile – et une tâche encore plus ambitieuse à long terme – la mise
en place d’un Etat démocratique, pluriel et stable en Syrie. Pour
réussir à cet égard, il faut non seulement faire pression sur le
régime syrien actuel, mais aussi sur les groupes d’opposition; contribuer
à unir les groupes d’opposition qui favorisent la démocratie et
la tolérance; éliminer les mouvements extrémistes, y compris les
groupes terroristes; marginaliser les acteurs extérieurs qui financent
les mouvements extrémistes et qui leur offrent une aide politique
et militaire; amener à la table des négociations toutes les parties
intéressées; et faire de la conférence de paix internationale (Genève 2)
le début d’une ère nouvelle en Syrie.