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Rapport | Doc. 13350 | 04 novembre 2013

La bonne gouvernance des grandes métropoles

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Jeffrey DONALDSON, Royaume-Uni, GDE

Origine - Renvoi en commission: Doc.12371, Renvoi 3717 du 8 octobre 2010. 2013 - Commission permanente de novembre

Résumé

Il est largement reconnu, et inscrit dans les normes européennes, qu’une bonne gouvernance urbaine doit s’appuyer sur des mécanismes solides de participation citoyenne. A cet égard, les grandes métropoles sont les «phares» de la démocratie locale: les approches innovantes et les défis y sont plus visibles qu’ailleurs, notamment en raison de la complexité particulière des situations urbaines et sociales auxquelles elles sont confrontées.

En particulier, compte tenu de la crise économique actuelle et de son impact sur les collectivités locales de toutes tailles, l’Assemblée parlementaire devrait inviter les Etats membres à établir un cadre national favorable au maintien et au développement de mécanismes solides de participation citoyenne en tant qu’éléments essentiels d’une démocratie locale vivante.

Les intérêts nationaux pouvant influencer le développement des grandes métropoles doivent être rendus transparents, et les acteurs locaux doivent avoir leur mot à dire. Le cadre institutionnel et financier des collectivités locales doit leur garantir des ressources suffisantes pour leur permettre d’affecter du personnel qualifié aux mécanismes participatifs, d’assurer la participation des citoyens de la manière la plus large possible, de concevoir des programmes de sensibilisation à la citoyenneté démocratique et de promouvoir l’utilisation des technologies de communication et des médias sociaux. L’échange international de bonnes pratiques, entre les grandes métropoles comme avec les villes de plus petite taille, est une condition essentielle pour faire des progrès rapides dans ce domaine.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 1er octobre
2013.

(open)
1. La bonne gouvernance dans les zones métropolitaines recouvre toutes les formes de coordination et de régulation qui contribuent à une plus grande efficacité et une plus grande transparence du système politique et administratif et qui améliorent réellement la qualité de vie dans une région urbaine. Depuis de nombreuses années, la participation citoyenne est considérée comme un élément particulièrement important de la bonne gouvernance démocratique au niveau local.
2. Cependant, l’Assemblée parlementaire est préoccupée par la nécessité de veiller au respect de normes démocratiques élevées et de maintenir la cohésion sociale dans les zones urbaines, en particulier dans une période où les difficultés budgétaires et les programmes d’austérité à tous les niveaux de gouvernement rendent d’autant plus importante la participation des citoyens et des habitants aux processus décisionnels.
3. Face aux multiples défis de la croissance et du réaménagement urbains, les grandes métropoles sont confrontées à des situations particulièrement complexes en matière de gouvernance démocratique et de participation citoyenne. Elles font donc partie des «phares» de la démocratie locale, où les développements et les innovations, mais aussi les obstacles à la participation sont plus visibles qu’ailleurs.
4. Les trois études de cas de Berlin, Istanbul et Londres ont montré que les ressources publiques affectées aux mécanismes de participation sont menacées et que la consultation des citoyens est parfois sacrifiée ou négligée. Par ailleurs, bon nombre de citoyens confrontés à des difficultés économiques et à l’exclusion sociale ont d’autres priorités que de s’approprier l’espace public dans lequel ils évoluent.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe à continuer de promouvoir la bonne gouvernance à tous les échelons de gouvernement, à accorder une attention particulière aux grandes métropoles en tant que «laboratoires» démocratiques et à créer des cadres législatifs et institutionnels qui facilitent et favorisent la consultation, la participation et l’engagement des citoyens au niveau local. Dans ce contexte, l’Assemblée salue les efforts de la présidence arménienne du Comité des Ministres qui a notamment organisé, avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, la Conférence sur «La démocratie participative au niveau local» le 19 juin 2013 à Erevan, au cours de laquelle il a été question de la participation citoyenne aux processus décisionnels aux niveaux local et régional.
6. La bonne gouvernance à l’échelon local devrait suivre les principes énoncés dans la «Stratégie pour l’innovation et la bonne gouvernance au niveau local» adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en mars 2008. Les normes relatives à la participation des citoyens aux affaires publiques au niveau local sont également énoncées dans la Recommandation Rec(2001)19 du Comité des Ministres sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local ainsi que dans des textes plus récents en faveur de la participation de différentes catégories sociales (les jeunes, les personnes handicapées, etc.).
7. Pour sa part, l’Assemblée souligne depuis de nombreuses années l’importance des mécanismes de participation citoyenne, qu’elle considère comme une composante essentielle des processus démocratiques. Plus récemment, l’Assemblée a insisté sur l’importance de la liberté de réunion et d’expression en adoptant la Résolution 1947 (2013) «Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d’expression».
8. Afin de consolider et de promouvoir la bonne gouvernance démocratique et la participation citoyenne au niveau local, notamment en apprenant de l’expérience de certaines grandes métropoles, l’Assemblée appelle les Etats membres:
8.1. à créer un cadre législatif et institutionnel pour les structures et processus démocratiques locaux, de manière à permettre un bon fonctionnement de l’autonomie locale des grandes métropoles;
8.2. à favoriser et à promouvoir des approches de bonne gouvernance des grandes métropoles, notamment par la mise en œuvre des normes européennes en vigueur et par l’organisation d’échanges de bonnes pratiques aux niveaux national et international (y compris par le biais des associations de collectivités locales);
8.3. dès lors que le développement des zones métropolitaines présente un intérêt accru au niveau national (comme c’est souvent le cas pour les capitales ou les villes qui sont des moteurs économiques), à veiller à ce que cet intérêt soit rendu transparent et que les pouvoirs locaux et, à travers eux, les citoyens concernés par ce développement, soient reconnus comme parties prenantes à part entière du processus;
8.4. à donner la priorité au maintien et au développement des mécanismes participatifs au niveau local en mettant à disposition des ressources suffisantes, en concevant des procédures appropriées, en prévoyant des moyens de qualification du personnel et en sensibilisant les citoyens aux diverses possibilités de participation qui s’offrent à eux;
8.5. outre l’organisation de consultations transparentes des citoyens au sujet des développements urbains engagés à l’initiative des pouvoirs publics ou des acteurs du secteur privé (approche descendante), à favoriser et à mettre au point des mécanismes participatifs par lesquels les citoyens eux-mêmes peuvent s’impliquer activement dans le développement local en exprimant leurs préoccupations, en stimulant des aménagements qui correspondent à leurs besoins et en prenant une part active à la vie de la collectivité locale (approche ascendante);
8.6. à concevoir et à mettre en œuvre des programmes spécifiques de sensibilisation et d’éducation à la citoyenneté démocratique touchant les jeunes dès le plus jeune âge pour les aider à devenir des citoyens actifs et intéressés par la vie de la collectivité, indépendamment de leur niveau d’éducation et de leur origine sociale;
8.7. à promouvoir l’utilisation des technologies de la communication et des médias sociaux pour la participation citoyenne au niveau local (sites web spécialisés, réseaux sociaux, courriel, chaînes de télévision locales), à chaque fois que cela s’avère approprié.

B. Exposé des motifs, par M. Donaldson, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La bonne gouvernance démocratique représente un défi à tous les échelons politiques et administratifs. Cependant, dans la mesure où elles doivent relever les multiples défis posés par la croissance et le développement urbains dans des proportions beaucoup plus importantes que les municipalités plus petites, les grandes métropoles sont confrontées à une situation particulièrement complexe en matière de bonne gouvernance démocratique. Par conséquent, en ce qui concerne les questions de développement et de gouvernance, elles se révèlent très souvent des lieux d’innovation où de nouvelles méthodes de travail sont conçues et expérimentées sur le terrain.
2. Pendant de nombreuses années, la participation citoyenne a été considérée comme un élément important de la gouvernance et du processus décisionnel démocratiques, en particulier dans un contexte où les informations politiques et administratives sont devenues plus facilement accessibles pour beaucoup de gens, essentiellement grâce aux technologies de l’information et de la communication, et où les jeunes générations sont de plus en plus conscientes de leurs droits et responsabilités de citoyens.
3. Le Conseil de l’Europe et ses différents organes, y compris l’Assemblée parlementaire, ont, pendant de nombreuses années, souligné l’importance de la participation citoyenne et promu le concept au moyen de différents instruments contraignants et non contraignants. Conformément à ces normes européennes et grâce aux échanges multiples de bonnes pratiques entre des collectivités locales européennes de taille différente dans diverses instances, la participation citoyenne est devenue, à des degrés divers, un élément incontournable des politiques de développement urbain dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe.
4. Dans mon rapport, j’examinerai les approches de plusieurs métropoles de la Grande Europe en matière de gouvernance afin d’identifier les «bonnes pratiques» en termes de participation citoyenne. L’objectif n’est pas de présenter des modèles et méthodologies participatifs dans le détail ni de promouvoir des mécanismes spécifiques, mais de dégager l’expérience de grandes villes pouvant être utile à d’autres.
5. Classées parmi les plus importantes zones métropolitaines de la Grande Europe, Istanbul et Londres (avec une population estimée respectivement à environ 12,5 millions et 7,8 millions d’habitants en 2010), ainsi que Berlin, de taille inférieure (4,4 millions d’habitants en 2010), serviront d’exemples dans ce rapport.

2. Les grandes métropoles et les principaux défis de bonne gouvernance et de participation citoyenne

6. «Métropole», terme souvent utilisé comme synonyme d’autres noms pour désigner les grandes villes (ville globale, mégapole, etc.), vient du mot grec mitrópoli, qui signifie «cité mère». Une zone métropolitaine est généralement définie comme une région urbaine à forte densité de population s’étendant sur un vaste territoire, dans laquelle une ville centrale est interconnectée avec des unités urbaines environnantes, par exemple à travers des relations de travail et de services. Sachant que pratiquement toutes les métropoles sont entourées de zones urbanisées étendues, les deux termes «métropole» et «zone métropolitaine» sont utilisés comme des synonymes dans ce rapport.
7. En raison de leur haute densité de population spécifique et de leurs diverses fonctions urbaines, par exemple en tant que siège central d’entreprises, d’administrations, d’établissements d’enseignement ou de services culturels, les autorités (et les habitants) des zones métropolitaines sont confronté(e)s au quotidien à de multiples questions politiques, techniques ou sociales, telles que la circulation routière, les transports publics, l’assainissement, la qualité de l’environnement ou les services sociaux. Ainsi, les zones métropolitaines sont souvent perçues comme un moteur du développement social et économique de l’ensemble du pays 
			(2) 
			Définitions
de base fournies par <a href='http://www.metropolen.de'>www.metropolen.de</a>. .
8. Parallèlement au développement urbain physique, l’organisation et le fonctionnement administratifs des grandes villes doivent évoluer en permanence afin que puissent être mises en œuvre des solutions efficaces et efficientes face à des tâches et défis complexes, et, surtout, que soit assuré un appui continu de l’électorat local à l’administration locale. Cependant, la crise économique actuelle fait peser une pression extrêmement forte sur les budgets des collectivités locales, les empêchant parfois même de remplir leurs obligations légales ou de fournir des services de base à un niveau satisfaisant. A ce propos, la question de la participation citoyenne devient un défi particulier, en termes de responsabilité financière en rapport avec le maintien d’institutions et procédures pertinentes (et parfois coûteuses) et en termes politiques en rapport avec l’obtention du soutien des citoyens pour les grands projets urbains parfois impliquant des décisions impopulaires de l’administration locale.
9. Deux exemples concrets illustrent le fait que le soutien des citoyens est aujourd’hui nécessaire pour une exécution sans heurt des grands projets urbains. Alors que l’aménagement des docks de Londres, piloté par la London Docklands Development Corporation (LDDC) dans les années 1980, avait été exécuté avec une faible participation citoyenne 
			(3) 
			Diller,
Christian et Kolloge, Christoph, Waterfront-Development & ereignisorientierte
Stadtentwicklung [Aménagement des zones situées au bord de l’eau
et aménagement urbain axé sur les événements], Institut für Geographie,
Giessen, 2009., les habitants de Stuttgart en Allemagne, face aux aménagements urbains et commerciaux autour de la principale gare ferroviaire de la ville, ont récemment commencé à revendiquer leur droit de participation, constituant un véritable mouvement de contestation à un stade déjà bien avancé du processus de planification et de construction 
			(4) 
			Schuman, Michael, «What
Stuttgart train station tells us about the global economy», Time
magazine online, 9 octobre 2010, <a href='http://business.time.com/2010/10/09/what-stuttgart-train-station-tells-us-about-the-global-economy'>http://business.time.com/2010/10/09/what-stuttgart-train-station-tells-us-about-the-global-economy</a>. .
10. Plusieurs facteurs contribuent par ailleurs à la complexité de la participation citoyenne dans les zones métropolitaines. En effet, dans la plupart des cas, elles ne sont pas administrées par une autorité locale unique mais par un double système d’administration locale, et le nombre d’acteurs ayant tendance à influencer le développement urbain est généralement plus élevé en raison d’une plus forte densité d’entreprises privées (et de leur intérêt financier pour certains développements) et d’organisations de la société civile, qui sont souvent mieux organisées dans les grandes villes.
11. En outre, la question de la démocratie locale dans les zones métropolitaines est étroitement liée aux intérêts et politiques nationaux: compte tenu du nombre de personnes habitant ces zones, les décisions prises au niveau local concernent très souvent une partie importante de la population nationale; en France par exemple, la métropole parisienne représente environ 18 % de la population nationale 
			(5) 
			D’après
l’estimation de la population établie par l’Institut national de
la statistique et des études économiques (INSEE) au 1er janvier
2012. Source: <a href='http://www.insee.fr '>www.insee.fr</a>. . Dans la plupart des cas, la zone métropolitaine est également la capitale du pays, ce qui lui confère un rôle et une influence particuliers dans le système politique et administratif national.
12. Ces facteurs et d’autres génèrent un intérêt accru à étudier et promouvoir l’expérience des zones métropolitaines ailleurs sur le territoire national et au-delà, à travers différents moyens disponibles, tels que l’action gouvernementale, les réseaux urbains internationaux ou les activités d’associations de collectivités locales et régionales. Cette dynamique pourrait en fin de compte contribuer à un «processus d’apprentissage» ayant des effets positifs sur les normes générales de démocratie dans un pays donné. Parmi les réseaux internationaux, le réseau «Metrex» a pris de l’importance ces dernières années, et les trois métropoles évoquées dans ce rapport y participent plus ou moins activement 
			(6) 
			<a href='http://www.eurometrex.org'>www.eurometrex.org</a>..

3. La bonne gouvernance et la participation citoyenne: concepts généraux

3.1. Définitions et défis généraux

13. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) définit la gouvernance en général comme «l’exercice de l’autorité économique, politique et administrative en vue de gérer les affaires d’un pays à tous les niveaux. [Elle] englobe les mécanismes, les processus et les institutions par le biais desquels les citoyens et les groupes expriment leurs intérêts, exercent leurs droits juridiques, assument leurs obligations et auxquels ils s’adressent en vue de régler leurs différends» 
			(7) 
			PNUD,
La gouvernance en faveur du développement humain durable, New York,
1997.. D’après une autre définition des Nations Unies, «la bonne gouvernance» favorise l’équité, la participation, le pluralisme, la transparence, la responsabilisation et la primauté du droit. Ainsi, on considère que la gouvernance est «bonne» et «démocratique» dans la mesure où les institutions et procédés d’un pays sont transparents, exempts de corruption et responsables devant le peuple. La corruption, la violence et la pauvreté compromettent la bonne gouvernance car elles nuisent à la transparence, à la sécurité, à la participation et aux libertés fondamentales 
			(8) 
			Questions thématiques
des Nations Unies, «Gouvernance», <a href='http://www.un.org/fr/globalissues/governance'>www.un.org/fr/globalissues/governance</a>..
14. La bonne gouvernance dans les zones métropolitaines recouvre toutes les formes de coordination et de régulation qui contribuent à une plus grande efficacité du système politique et administratif et améliorent la qualité de la vie de la région. Les critères courants d’évaluation des structures et processus de gouvernance locale sont les principes de transparence, participation, responsabilisation, efficacité et efficience, cohérence et durabilité 
			(9) 
			Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, La bonne gouvernance
dans les zones métropolitaines d’Europe, Exposé des motifs, CG(13)6,
deuxième partie, Strasbourg, 24 avril 2006. , même si la liste de ces critères peut légèrement varier en fonction du contexte socio-économique et professionnel 
			(10) 
			La Commission économique
pour l’Europe des Nations Unies (CEE-ONU) énumère les six principes
de base de la bonne gouvernance, qui seraient largement acceptés:
participation, décence, transparence, responsabilité, équité et efficacité.
Source: CEE-ONU, Guidebook on promoting good governance in public-private
partnerships [Guide sur la promotion d’une bonne gouvernance en
matière de partenariats public-privé], New York/Genève, 2008, <a href='http://www.unece.org'>www.unece.org</a>. .
15. Pendant de nombreuses années, la participation citoyenne, en particulier, a été considérée comme un élément important de la gouvernance démocratique et du processus décisionnel. Ses effets positifs sur la démocratie, notamment la citoyenneté démocratique individuelle ont été reconnus, étant donné qu’elle accroît la connaissance des questions, les compétences civiques et l’engagement public et génère un appui aux décisions. Ces dernières décennies, de nombreux pays ont acquis une expérience en rapport avec un des quatre principaux types de mécanisme participatif: instances de délibération, enquêtes, référendums et projets ayant trait à la formulation de politiques participatives 
			(11) 
			Ank
Michels, Utrecht School of Governance, Utrecht University (Pays-Bas),
«Innovations in democratic governance: how does citizen participation
contribute to a better democracy?», Revue internationale
des sciences administratives, juin 2011, volume 77, n°
2. . Les techniques et méthodes de travail relatives à la participation citoyenne peuvent ensuite être différenciées davantage en fonction du contexte institutionnel dans lequel elles sont employées. Dans les dispositifs de participation citoyenne au niveau local, on distingue souvent différentes étapes: d’abord la communication d’informations simples aux citoyens, puis la consultation et enfin la coopération en vue d’atteindre la codécision (voire l’autonomie administrative) 
			(12) 
			Handbuch
zur Partizipation der Senatsverwaltung für Stadtentwicklung und
Umwelt [Manuel sur la participation, édité par l’Administration
sénatoriale du développement urbain et de l’environnement], Berlin,
février 2012..
16. Cependant, un des défis principaux concernant les processus et procédures démocratiques dans nombre de pays sera de s’assurer que les citoyens bénéficient d’un accès égal aux procédures participatives et profitent de leurs retombées positives de manière équitable. Par ces temps de crise économique et financière, il est de plus en plus évident que la pauvreté et l’exclusion sociale (et les nombreuses formes sous lesquelles elles se manifestent) conduisent également à une exclusion – réelle ou perçue – des citoyens des processus démocratiques. Cette question spécifique est actuellement examinée par un autre rapport en cours de préparation par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable 
			(13) 
			Rapport en cours de
préparation sur le thème «L’aggravation de l’exclusion sociale et
son impact sur les institutions et la participation démocratiques:
appel à une réaction énergique» (rapporteur: M. Mike Hancock, Royaume-Uni,
ADLE).. Elle est également perçue comme un sujet de préoccupation par la Commission européenne, ainsi que l’a montré le discours prononcé par M. Lászlo Andor, Commissaire européen chargé de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion, sur «La lutte contre la pauvreté et la préservation de la démocratie à travers l’investissement social», à l’occasion de la Conférence du Conseil de l’Europe sur le thème «Pauvreté et inégalité dans les sociétés de droits humains» (Strasbourg, 21 février 2013) 
			(14) 
			Le texte du discours
peut être téléchargé à l’adresse: <a href='http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-13-148_en.htm'>http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-13-148_en.htm</a>. .
17. Il est connu depuis longtemps que «les gouvernements doivent investir suffisamment de temps, de ressources et d’énergie pour mettre en place des cadres juridiques, politiques et institutionnels solides, en développant les outils appropriés et en évaluant leur propre capacité à impliquer les citoyens dans la prise de décision sur les politiques publiques [sachant que] des mesures mal conçues ou inappropriées pour promouvoir l’information, la consultation et la participation active du public dans le processus de décision peuvent nuire aux relations entre les administrations et les citoyens» et peuvent s’avérer contreproductives si les citoyens découvrent que leurs efforts et avis n’ont aucun effet sur les décisions ou demeurent sans suite 
			(15) 
			OCDE,
PUMA Note de synthèse sur la gestion publique n° 10, «Impliquer
les citoyens: L’information, la consultation et la participation
du public», Paris, juillet 2001..

3.2. Normes de démocratie locale et régionale au niveau du Conseil de l’Europe

18. La participation citoyenne et, plus récemment, la bonne gouvernance ont fait l’objet d’instruments et textes contraignants et non contraignants du Conseil de l’Europe ces dernières années. Bien que des progrès importants aient été accomplis dans ce domaine et qu’une assistance spécifique soit fournie à travers plusieurs mécanismes, les Etats membres devraient continuer à les promouvoir et à en assurer le suivi, vu que les structures de gouvernance à tous les niveaux, y compris au niveau local et régional, continuent d’évoluer et sont susceptibles d’inclure des méthodes de travail novatrices à tout moment.
19. La démocratie locale et régionale a été une priorité pour un certain nombre de présidences consécutives du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Les questions relatives à la participation citoyenne, à l’association directe et indirecte des citoyens aux processus décisionnels et aux nouvelles approches impliquant la large utilisation des nouvelles technologies dans le contexte appelé «démocratie électronique», ont notamment été examinées lors de la conférence organisée par la présidence arménienne en coopération avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux le 19 juin 2013 à Erevan.
20. Parmi les principaux textes adoptés par le Comité des Ministres figurent la Recommandation Rec(2001)10 sur la participation des citoyens à la vie publique au niveau local; la Recommandation CM/Rec(2009)2 sur l’évaluation, l’audit et le suivi de la participation et des politiques de la participation aux niveaux local et régional, le Protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale (STE n° 122) sur le droit de participer aux affaires des collectivités locales (adopté en 2009 et entré en vigueur en juin 2012), invitant les Etats membres à «[assurer] à toute personne relevant de leur juridiction le droit de participer aux affaires des collectivités locales», ainsi que la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE n° 144) en 1992.
21. Le protocole additionnel à la charte, en tant qu’instrument contraignant, permet d’assurer la surveillance des institutions et procédures dans le cadre du mécanisme de suivi mis en place par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Cependant, il est de portée plutôt générale et n’indique pas de façon très précise des modalités et méthodes pour mettre en œuvre la participation citoyenne, alors que les textes non contraignants fournissent des axes d’intervention et outils très concrets pour la mise en œuvre des mécanismes de participation citoyenne. Par ailleurs, ces textes tiennent aussi compte d’aspects spécifiques tels que l’égalité des sexes dans la vie politique locale et les intérêts des citoyens éprouvant davantage de difficultés à s’impliquer activement pour diverses raisons.
22. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a adopté plusieurs textes de référence sur la participation citoyenne étroitement liés à ces normes et instruments, notamment la Résolution 326 (2011) et la Recommandation 307 (2011) sur la participation des citoyens aux niveaux local et régional en Europe et la Résolution 332 (2011) sur les outils des villes pour l’éducation à la citoyenneté démocratique; ainsi que sur la bonne gouvernance, notamment la Recommandation 188 (2006) sur la bonne gouvernance dans les zones métropolitaines européennes et la Recommandation 219 (2007) sur le statut des villes capitales, qui ont été prises en compte aux fins du présent rapport. Depuis 2007, les activités du Congrès incluent également la «Semaine européenne de la démocratie locale» (SEDL), manifestation européenne annuelle dans le cadre de laquelle les collectivités locales des Etats membres du Conseil de l’Europe sont invitées à organiser simultanément des initiatives et des activités publiques dans le but de rencontrer et impliquer les citoyens sur des thèmes d’actualité, l’objectif étant de promouvoir et de renforcer la participation démocratique au niveau local.
23. Pour sa part, l’Assemblée parlementaire n’a jamais adopté de texte sur la participation citoyenne au niveau local en tant que tel, mais a couvert différents aspects spécifiques dans des résolutions ayant trait au droit des migrants, femmes, personnes handicapées et enfants à participer à la vie publique ou aux décisions les concernant; ces textes ne seront pas tous énumérés dans le présent document. Il y a lieu de noter cependant que l’Assemblée a adopté tout récemment la Résolution 1947 (2013) «Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias et la liberté d’expression», à la suite des manifestations survenues au sujet d’un projet de réaménagement urbain à Istanbul (Turquie), comme nous le verrons dans la suite du rapport (voir chapitre 4.3).
24. Parmi les activités intergouvernementales du Conseil de l’Europe, je souhaiterais également rappeler les différents programmes d’assistance destinés à développer les normes de démocratie locale, qui sont proposés par le secteur gouvernemental du Conseil de l’Europe, notamment les programmes pour la «stabilité démocratique» et les «programmes de renforcement des capacités», qui sont pilotés par le «Centre d’expertise sur la réforme de l’administration locale». Dans ce contexte, les «douze Principes de bonne gouvernance démocratique au niveau local», élaborés en 2007 et adoptés par le Comité des Ministres en mars 2008 dans le cadre de la «Stratégie pour l’innovation et la bonne gouvernance au niveau local», accordent une grande importance à la participation citoyenne. Enfin et surtout, il y a aussi lieu de citer le «Code de bonne pratique pour la participation civile au processus décisionnel», publié en octobre 2009 par la Conférence des organisations internationales non gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe, qui présente les principes, degrés et modes de participation citoyenne de façon claire et accessible.
25. A propos des textes et activités existants du Conseil de l’Europe dans le domaine de la participation citoyenne et de la bonne gouvernance, j’aimerais conclure en soulignant qu’il existe des textes de référence principaux, qui sont suffisants pour garantir de bonnes normes de participation citoyenne dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. La bonne gouvernance au niveau local et régional a fait l’objet d’un vaste débat et est suivie de façon concrète à travers la Stratégie pour l’innovation et la bonne gouvernance au niveau local et d’autres activités. Les efforts ultérieurs devraient continuer à se concentrer sur la mise en œuvre des normes et aider les Etats membres à améliorer encore la gouvernance démocratique et la participation citoyenne au niveau local, notamment à travers l’échange de bonnes pratiques ayant trait aux méthodes et outils de participation citoyenne.

4. La gouvernance métropolitaine en Europe – les exemples de Berlin, Istanbul et Londres

26. Les zones métropolitaines de Berlin, Istanbul et Londres ont fait l’objet d’études de cas pour le présent rapport. Elles sont présentées ici par ordre alphabétique. Ces exemples ont été choisis pour des raisons d’équilibre géographique (même s’il n’est certes pas parfait) et d’accès aisé à l’information. L’examen de la situation à Londres en particulier m’a permis d’évoquer l’expérience de mon propre pays, le Royaume-Uni. Berlin semble être un exemple utile compte tenu de l’importance de la participation citoyenne à l’échelon local en Allemagne. L’exemple d’Istanbul avait été retenu bien avant le début des manifestations survenues dans le quartier du parc Gezi et de la place Taksim. Ces événements n’ont fait que souligner davantage l’intérêt d’étudier cette métropole plus en détail.

4.1. Berlin: le défi des mécanismes participatifs inclusifs

La métropole de Berlin – faits essentiels

La métropole de Berlin est la capitale fédérale de l’Allemagne mais aussi la plus grande ville du pays. Sa population était estimée à 4,4 millions en 2010. Avec certaines parties de la région adjacente du Brandebourg (qui, fonctionnellement, font partie de l’agglomération) et selon le système national de classification urbaine, elle forme la région métropolitaine de Berlin-Brandebourg, dont la population était estimée à environ 6 millions d’habitants en 2012. Klaus Wowereit, réélu en 2011, est maire de la ville depuis 2001.

Sous l’angle institutionnel, Berlin est considérée à la fois comme une collectivité locale et une collectivité régionale, étant donné qu’elle constitue un Land à part entière doté de sa propre Constitution régionale. La structure politique et administrative de Berlin repose sur un système à deux niveaux, constitué du Sénat, qui forme l’administration principale et se compose d’un nombre donné de sénateurs chargés de domaines administratifs spécifiques (actuellement huit administrations sénatoriales), et de 12 arrondissements (Bezirke) dotés de leurs propres administrations et organes politiques (mais sans pouvoirs législatifs).

27. En marge de la réunion de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, qui s’est tenue les 14 et 15 mars 2013 à Berlin, j’ai eu l’occasion d’examiner le cas de Berlin et de recueillir des données écrites auprès d’acteurs locaux 
			(16) 
			A ce propos,
j’aimerais remercier Mme Katharina Erdmenger,
Chef de la Division de l’aménagement du territoire européen du ministère
fédéral allemand des Transports, de la Construction et du Développement
urbain, M. Gilles Duhem, Directeur général de MORUS 14 e.V, association
pour le développement social du quartier Rollberg de Berlin Neukölln,
et Mme Barbara Berninger, Chef de la
Division des affaires européennes et internationales de l’Administration sénatoriale,
qui ont fourni des informations très utiles.. Berlin a, depuis l’après-guerre, une tradition de participation citoyenne sous des formes et dans des contextes divers. Des demandes explicites dans le sens d’une participation accrue ont été formulées dans le secteur ouest de la ville à la fin des années 1960, ce qui a été suivi par des efforts visant à impliquer davantage les citoyens dans les décisions relatives au développement de quartiers particuliers tels que Kreuzberg. Ces efforts se sont prolongés dans le cadre des programmes dits de «rénovation urbaine saine», mis en œuvre d’abord à Berlin-Ouest dans les années 1980 et ensuite dans l’ensemble de la ville de Berlin dans les années 1990.
28. A partir de la fin des années 1990, un programme dénommé «Ville sociale», financé et exécuté conjointement par les gouvernements fédéral et régionaux allemands, a été lancé afin d’appuyer le développement de bureaux de gestion de district, conseils de district et fonds de district. Depuis 2008, l’administration municipale met en œuvre sa nouvelle stratégie-cadre sur le «développement social urbain». Par ailleurs, Berlin implique les citoyens à travers sa démocratie représentative fondée sur une organisation décentralisée de la ville, qui se compose d’un sénat central (conseil et administration locaux) et de 12 conseils d’arrondissement (Bezirksräte).
29. La panoplie des mécanismes participatifs de la ville (et de la région fédérale) de Berlin inclut des éléments de grande portée telles que les initiatives législatives, référendums et conseils de citoyens. Les autorités recourent également à la participation de citoyens informés aux conseils d’arrondissement et à l’audition régulière de groupes de pression et d’intérêt (entre autres experts externes). Les citoyens eux-mêmes peuvent recourir aux pétitions et plaintes relatives à des infractions disciplinaires pour s’assurer que leurs avis sont pris en compte 
			(17) 
			Jochen Hucke, Senatsverwaltung
für Stadtentwicklung und Umwelt [Administration sénatoriale du développement urbain
et de l’environnement], Partizipation der Bevölkerung [La participation
des habitants], présentation faite devant la délégation de la ville
partenaire de Budapest le 10 avril 2013..
30. Enfin, parmi les institutions, le Berliner Stadtforum (Forum de la ville de Berlin), forum de débat ouvert qui réunit régulièrement des gestionnaires municipaux, experts et citoyens, a parfois joué un rôle de premier plan au cours des dernières décennies. Il existe toujours aujourd’hui, même s’il est bien entendu perçu comme moins novateur, alors que les enceintes de débat se sont multipliées dans des contextes institutionnels divers.
31. Pour s’assurer que les agents de l’administration locale peuvent accompagner les procédures de participation citoyenne en connaissance de cause, le Sénat de Berlin a très récemment publié un «Manuel sur la participation citoyenne» dans le but de motiver les agents à appliquer les procédures participatives dans leur domaine de responsabilité, de les informer des possibles obstacles à surmonter et de leur faire des recommandations d’action concrètes. Le manuel a été distribué au niveau national et constitue ainsi un élément d’échange de meilleures pratiques à ce niveau. En outre, il contient des outils pour la mise en œuvre de la participation citoyenne, tels que des listes de vérification détaillées à l’intention des décideurs et agents municipaux 
			(18) 
			Handbuch zur Partizipation
der Senatsverwaltung für Stadtentwicklung und Umwelt [manuel sur
la participation, édité par l’Administration sénatoriale du développement
urbain et de l’environnement], Berlin, février 2012. Version anglaise prévue
pour 2014.. Il sera bientôt édité en anglais et constituera ainsi un outil pour l’échange international de bonnes pratiques.
32. Dans le cas de Berlin, les méthodes de participation citoyenne semblent être extrêmement différenciées. Elles incluent, par exemple, le suivi continu des éléments nouveaux dans des districts urbains spécifiques, en tenant compte des idées et souhaits des citoyens, la participation des citoyens au processus de planification des grands projets urbains et même leur consultation en rapport avec les procédures et décisions budgétaires.
33. Des recommandations formulées à Berlin afin de développer une participation citoyenne efficace incluent une analyse précoce et complète des problèmes et l’exploration de solutions alternatives; la communication de ces solutions et des conditions non flexibles aux citoyens en des termes clairs; le recours à des compétences professionnelles aux fins de la modération des processus de consultation; l’identification des groupes sociaux qui ne peuvent pas facilement faire valoir leurs intérêts et le soutien de ces groupes; et la prévention d’attentes non réalistes en rapport avec des décisions qui doivent être prises 
			(19) 
			Jochen
Hucke, voir note de bas de page 18.. Parmi ces recommandations, l’identification des groupes sociaux qui ne peuvent pas facilement faire valoir leurs intérêts et le soutien de ces groupes constitue de toute évidence une question particulièrement délicate. A ce sujet, les perceptions peuvent grandement varier entre les acteurs ou participants aux processus de développement dans les différents quartiers. Un échange avec les représentants d’une association locale d’aide sociale du district de Neukölln a révélé que de nombreux citoyens ne se sentent pas concernés par le développement urbain dans leur quartier.
34. Dans la population du quartier de Rollberg, qui est en grande partie d’origine immigrée (kurde, turque et palestinienne du Liban), la subsistance du foyer et l’éducation des enfants accaparent les ressources disponibles. Très souvent, les procédures de participation publique n’atteignent pas les couches les moins instruites de la population, et dans tous les cas ne les atteignent pas en temps opportun, ce qui signifie que dans de nombreux cas, les individus concernés réagissent trop tard et quand les travaux de construction d’un nouveau projet d’aménagement ont déjà commencé dans leur quartier. Les nouvelles technologies de communication telles que les médias sociaux ne constituent pas le canal approprié pour atteindre ces populations, vu que ces technologies sont plus facilement accessibles à la classe moyenne urbaine bien instruite. Par conséquent, pour les agents confrontés à ce contexte social au quotidien, un des plus grands défis est de montrer aux habitants comment s’approprier l’espace public dans lequel ils évoluent, au-delà de la sphère privée sur laquelle se concentre leur attention. Après de nombreuses années d’expérience relative aux mécanismes de participation officiels de la ville de Berlin, les experts locaux ont donc estimé que ceux-ci ont complètement échoué à atteindre leur population locale.

4.2. Istanbul: le défi de préserver les institutions démocratiques locales face à des intérêts nationaux plus vastes

Le Grand Istanbul – faits essentiels

Située au carrefour de l’Asie et de l’Europe, la métropole d’Istanbul connaît une croissance rapide. En 2010, lorsque la ville était capitale européenne de la culture, sa population était estimée à 12,6 millions d’habitants; d’après les dernières estimations de 2012, ce nombre serait passé à quelque 13,8 millions d’habitants. La ville est représentée par la municipalité métropolitaine d’Istanbul, qui est aussi l’une des 81 provinces de la Turquie. Elle est dirigée par le maire métropolitain et le conseil de la métropole (qui, depuis la dernière réforme administrative, en 2008, se compose de 39 maires de district et d’un cinquième des conseillers de district). L’administration urbaine d’Istanbul repose donc également sur une structure à deux niveaux 
			(20) 
			London School of Economics
and Political Science (LSE) et Alfred Herrhausen Society (Deutsch
Bank), Istanbul, City of Intersections, Urban
Age, novembre 2009.. A l’échelon inférieur au district, elle compte un millier de quartiers, appelés Mahalle. En outre, il y existe 27 000 associations qui forment une société civile vivante et dynamique.

La municipalité métropolitaine et les municipalités de district ont des pouvoirs décisionnels: l’administration métropolitaine est responsable des décisions concernant l’ensemble de la ville, tandis que les districts sont responsables des décisions concernant les services municipaux traditionnels. Istanbul est l’une des trois autorités métropolitaines mises en place après la fin du régime militaire en 1984, les deux autres autorités étant Ankara et Izmir. Dans chaque cas, l’autorité métropolitaine représente un niveau complémentaire d’administration chargé de fonctions stratégiques dans l’ensemble de la métropole. Le maire de la métropole d’Istanbul, Kadir Topbaş (AKP), a été élu en 2004 puis réélu en 2009.

35. Istanbul a une longue tradition de participation citoyenne, dans ses 39 districts et plus d’un millier de quartiers (Mahalles), où sont élus des maires de quartier depuis le XVIIIe siècle (Muhtars). Le cadre institutionnel actuel est le fruit des efforts de décentralisation démocratiques déployés depuis les années 80 
			(21) 
			Institut
d’études politiques (IEP) de Paris: «Governing at the Crossroads»,
Istanbul, 2012, voyage d’étude 2012 dans le cadre du Master sur
l’administration des grandes métropoles. . Les mécanismes de participation modernes consistent notamment en la consultation obligatoire pour les programmes stratégiques, la consultation de diverses parties prenantes lors de réunions de comités locaux et, plus récemment, les «assemblées citoyennes», organes semi-autonomes qui revêtent une importance croissante, en particulier dans les villes de taille petite à moyenne. Les municipalités ont aussi diverses possibilités de mener des projets conjoints avec des entités du secteur associatif. Par ailleurs, le rôle d’internet dans la communication avec les citoyens ne cesse de prendre de l’ampleur en Turquie, et les principes de l’Union européenne sont aujourd’hui appliqués régulièrement pour ce qui concerne l’accès à l’information. Ajoutons que lorsqu’il était maire d’Istanbul, et avant de devenir Premier ministre, M. Recep Tayyip Erdoğan avait également organisé un dispositif de participation citoyenne par le biais des 3 000 mosquées de la ville.
36. Dans la pratique 
			(22) 
			Au
sujet des informations sur les pratiques de participation appliquées
à Istanbul, j’aimerais remercier M. Fikret Toksöz, conseiller pour
le programme de bonne gouvernance au sein du think tank indépendant
TESEV (Fondation turque d’études économiques et sociales), pour
sa précieuse contribution à la réunion de la commission tenue à
Paris le 3 juin 2013., une partie des mécanismes existants se heurte à certains obstacles: à Istanbul, l’assemblée citoyenne n’a pu être établie faute de majorité claire et il y a des réclamations d’ingérence systématique du gouvernement national. La fameuse Agence d’urbanisme d’Istanbul (qui employait 500 personnes) a été dissoute il y a quelques années; certaines de ses compétences ont été confiées aux ministères compétents au niveau national et au Centre de planification et d’urbanisme métropolitains, nouvel organisme qui exerce ses activités aux côtés des organes politiques et administratifs d’Istanbul. La participation des parties prenantes locales au niveau de la métropole semble souvent limitée à des questions de moindre importance.
37. Cette érosion de la participation réelle au niveau de la métropole semble avoir différentes causes, notamment certaines traditions culturelles (par exemple une tradition de communication indirecte via des intermédiaires pour faire part de situations déplaisantes), la structure et le fonctionnement des partis politiques en Turquie et la limitation des pouvoirs de l’administration locale (c’est-à-dire des possibilités très restreintes d’imposer des taxes locales directes excepté pour la collecte des ordures ménagères, ce qui laisse peu de marge de manœuvre pour lever des fonds au profit des priorités locales). La participation indirecte passe souvent par le biais de réclamations orales ou écrites ou d’affaires portées devant les tribunaux. Beaucoup de gens fondent actuellement leurs espoirs sur l’évolution des cultures de communication (y compris les médias sociaux) et sur la nouvelle Constitution en préparation, qui pourrait abaisser le seuil électoral actuel de 10 % que doivent atteindre les partis pour intégrer les instances délibérantes. Cette mesure permettrait plus de diversité dans divers organes décisionnels.
38. Les mouvements de protestation qui ont eu lieu récemment dans le quartier de la place Taksim, où un parc ancien, le parc Gezi, devait être détruit en partie pour faire de la place en vue de la construction de nouveaux logements et d’espaces commerciaux, ont montré à quel point les décisions nationales peuvent influer sur les développements urbains ainsi que l’importance d’un dialogue substantiel entre le gouvernement et les communautés locales. Ce projet basé sur une initiative citoyenne existante a provoqué un déferlement de protestations populaires et de violentes confrontations avec les forces de police. Bien que des groupes extrémistes se soient joints à certaines des manifestations, la majorité des manifestants (qui se comptaient par centaines de milliers au plus fort du mouvement) étaient descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement quant au mode de gouvernance du gouvernement, à l’absence de pouvoirs décisionnels à l’échelon local et à l’utilisation de quartiers populaires et parfois historiques pour les aménagements à caractère commercial 
			(23) 
			BBC News/Europe, «Turkey
protests: Police clear Istanbul’s Taksim Square», 11 juin 2013. . Le dernier élément en date dans cette affaire est le blocage de l’aménagement envisagé par décision de justice; toutefois, les autorités gouvernementales peuvent encore faire appel de cette décision 
			(24) 
			Deutsche Welle (DW),
«La cour turque annule le plan du premier ministre Erdogan de raser
le parc Gezi», 3 juillet 2013..
39. Cela étant, le parc Gezi n’est qu’un exemple parmi les nombreux projets censés dynamiser le développement de la ville. Rien qu’à Istanbul, une cinquantaine de quartiers sont concernés par des projets de rénovation urbaine; en 2012, 7,5 milliards de livres turques (environ 2,9 milliards d’euros) étaient affectés à des projets d’aménagement public d’Istanbul. Les politiques publiques sectorielles facilitent ce type d’aménagements, par exemple par le biais de nouvelles dispositions législatives qui confèrent au gouvernement d’importants pouvoirs décisionnels sur les zones à aménager (parfois pour des raisons de prévention des risques sismiques) ou qui ouvrent le marché immobilier turc aux investisseurs étrangers 
			(25) 
			The
New York Times, «Turkey’s Opening Comes With Catch»,
27 septembre 2012..
40. Face à de tels développements, plusieurs experts critiquent le manque de cohérence dans les aménagements urbains (les différents projets étant, semble-t-il, conçus sans vue d’ensemble) et l’absence de débat public préalablement à l’annonce de grands projets de reconstruction 
			(26) 
			The
Guardian, «Istanbul sees history razed in the name of
regeneration», 1er mars 2012.. Ils mettent en garde également contre le fait que les populations vulnérables, notamment les pauvres et les minorités ethniques, sont sans cesse repoussés vers les abords de la ville, ce qui réduit la diversité sociale en ville et contraint des populations de quitter les lieux où elles étaient installées depuis longtemps 
			(27) 
			Inter Press Service
(IPS), «Gezi Park Highlights Years of Destructive Urban Development»,
6 juin 2013..
41. D’après certains universitaires turcs, la gouvernance locale à Istanbul est l’expression du contexte politique global, qui se caractérise par une dominance excessive de l’Etat sur la société associée à une culture politique populiste 
			(28) 
			Erder Sema (professeur
émérite à l’université de Bahçeşehir), «Local Governance in Istanbul»,
in: Istanbul, City of Intersections, Urban
Age (publication de la London School of Economics and Political
Science (LSE) et de l’Alfred Herrhausen Society (Deutsche Bank)),
novembre 2009.. En particulier dans les grandes villes comme Istanbul, deux facteurs semblent contribuer à un tel populisme: d’une part, une réponse efficiente à des demandes vitales d’emplois et de logements générées par une immigration urbaine massive depuis les années 1960; d’autre part, une conception de la démocratie réduite à sa plus simple expression, à savoir le vote.
42. De plus, l’administration métropolitaine d’Istanbul correspond au schéma «maire puissant, conseil faible» qui conduit, finalement, à une situation où les décisions concernant l’ensemble de la ville ne sont évoquées et critiquées dans les médias et par les associations de professionnels que lorsqu’elles sont déjà prises. Bien que cette façon de faire suscite régulièrement des plaintes au sujet du processus décisionnel et de la forte influence exercée par le gouvernement central, le public apprécie grandement le fait que les problèmes fondamentaux et infrastructurels à caractère d’urgence sont effectivement traités, y compris grâce à l’action de l’administration centrale 
			(29) 
			Ibid..
43. En dépit du contexte et de la culture politiques globales, la participation citoyenne semble fonctionner relativement bien dans l’Istanbul moderne à l’échelon du district et du quartier: les assemblées locales de citoyens font participer régulièrement différents groupes tels que les jeunes, les personnes âgées, les femmes et les personnes handicapées. Deux siècles après la mise en place de cette institution, les maires de quartier, une fonction très populaire parmi les citoyens, demeurent des interlocuteurs privilégiés pour la population locale. Cependant, malgré tous les efforts déployés par les pouvoirs locaux pour mettre en place des conseils municipaux et favoriser le resserrement des liens avec les groupes civiques, la plus grande difficulté pour Istanbul semble être que la majorité de ses citoyens soit n’est pas organisée ou participe à des groupes «communautaires» hiérarchisés 
			(30) 
			Ibid..

4.3. Londres: le défi de la participation citoyenne pour des collectivités locales durables

Le Grand Londres – faits essentiels

Le Grand Londres compte aujourd’hui près de 8 millions d’habitants (7,8 millions selon les chiffres officiels de 2010) et devrait atteindre la barre des 10 millions d’habitants à l’horizon 2020. Cette aire métropolitaine a un maire élu au suffrage direct depuis 2000 (Boris Johnson depuis 2008, réélu en 2012). L’Autorité du Grand Londres («Greater London Authority» (GLA)) est principalement responsable des transports, de l’urbanisme, du développement économique, de l’environnement, de la sécurité, du logement et des loisirs pour l’ensemble de la ville. L’Assemblée du Grand Londres («Greater London Assembly)» se compose de 25 membres, dont 14 élus dans des circonscriptions (comptant chacune plusieurs arrondissements) et 11 membres «complémentaires» 
			(31) 
			Pour les sièges attribués
à titre «complémentaire», les votes sont comptés dans l’ensemble
de Londres et les sièges sont partagés entre les partis politiques
en proportion des votes reçus; source: «Greater London Authority
(GLA)», site internet de l’arrondissement londonien de Hounslow: 
			(31) 
			<a href='http://www.hounslow.gov.uk/index/council_and_democracy/democracy_and_elections/gla_about.htm'>www.hounslow.gov.uk/index/council_and_democracy/democracy_and_elections/gla_about.htm</a>..

L’aire métropolitaine est divisée en 33 arrondissements («boroughs») (32 arrondissements et la Cité de Londres, qui représente essentiellement le centre financier de la ville). Les arrondissements se chargent de la prestation de divers services sociaux et d’autres services locaux tels que les services d’éducation, de garde d’enfants, etc. Dans l’ensemble des arrondissements, on compte un total de 1 800 conseillers locaux élus tous les quatre ans dans leurs secteurs respectifs (les prochaines élections auront lieu en 2014). Les «London Councils», qui forment une structure administrative conjointe présente dans tous les arrondissements, sont en charge de questions d’infrastructure spécifiques liées notamment aux transports (parking, etc.) ou à la collecte des déchets. Il leur incombe également de négocier avec l’Autorité du Grand Londres en cas de conflits de compétences entre l’autorité centrale et les arrondissements.

44. Pour ce qui concerne la capitale de mon propre pays, le Royaume-Uni, j’ai eu l’occasion d’examiner la question de la participation citoyenne lors d’une visite d’information, le 18 juillet 2013, lors de laquelle j’ai rencontré plusieurs experts 
			(32) 
			J’aimerais remercier
tous les experts qui ont consacré une partie de leur temps à mes
recherches, à savoir (dans l’ordre de tenue des réunions): M. Ian
Hughes, chef de programmes de l’Association des collectivités locales
(LGA); M. John O’Brien, directeur général des London Councils; M. Andrew
Collinge, directeur adjoint de l’Autorité du Grand Londres (GLA);
Mme Nilgun Canver, conseillère à l’arrondissement de Haringey; M. George
Hallam, campagne «Save Lewisham Hospital»; M. Graham Smith, Université
de Westminster.. J’ai pu avoir confirmation du fait que la situation financière actuelle des collectivités locales était perçue par la plupart des parties prenantes locales comme un problème majeur, déterminant pour bon nombre de questions de développement à l’échelon local, y compris la participation citoyenne.
45. D’après l’Association des collectivités locales (Local Government Association), la participation citoyenne n’est pas nécessairement une priorité pour l’administration locale dans le contexte économique et financier actuel. Au cours des dernières années, les transferts de l’administration centrale vers les collectivités locales ont été réduits de 33 % 
			(33) 
			The
Guardian, «Slashing council spending in the 2013 budget
will prove a false economy», 18 mars 2013, <a href='http://www.guardian.co.uk'>www.guardian.co.uk</a>. . Des réductions supplémentaires allant jusqu’à 10 % sont prévues dans les plans de dépenses de la coalition actuelle pour 2015-2016 
			(34) 
			BBC News/UK Politics,
«Councils face 10% central government funding cut», 20 juin 2013, <a href='http://www.bbc.co.uk'>www.bbc.co.uk</a>. . Au Royaume-Uni, les programmes municipaux sont donc dominés par les questions financières et axés sur la réorganisation de la prestation des services et le regroupement des collectivités locales pour assurer les services dans les grandes zones économiques et la prestation de services locaux par une plus forte implication du secteur associatif ou des entreprises sociales.
46. Dans ce contexte, on s’attend à ce que les services participatifs, qui ne sont pas imposés par la loi mais laissés à l’appréciation des pouvoirs locaux, soient les premiers touchés dans beaucoup de collectivités, à l’heure où celles-ci sont déjà moins nombreuses à recourir aux instruments traditionnels tels que les «jurys de citoyens». Dans le même temps, les responsables politiques locaux communiquent de plus en plus avec leurs citoyens via les médias sociaux (Twitter, blogs et Facebook), bien qu’il semble y avoir une sorte de «fracture numérique» quant à l’utilisation de ces outils, déterminée entre autres par les niveaux de revenu et d’éducation.
47. D’après les London Councils, tous les arrondissements de la ville disposent encore d’un budget plus ou moins important consacré à la participation citoyenne, et les mécanismes concernés sont encore relativement bien développés dans l’ensemble de la capitale. Cependant, le choix des modes de participation est aujourd’hui plus restreint du fait que la gouvernance locale revient surtout à administrer des ressources limitées dans le but de remplir les nombreuses missions prévues par la loi. Avant la crise financière, la participation citoyenne consistait parfois à laisser les citoyens prendre part aux choix publics par le biais de méthodes innovantes. De nos jours, elle consiste davantage à clarifier les limites d’action pour les citoyens, et les pouvoirs locaux sont de plus en plus confrontés à un dilemme, à savoir qu’il peut y avoir moins de participation citoyenne en dépit d’un besoin accru d’informer les citoyens dans un contexte d’austérité. Beaucoup de citoyens semblent frustrés de ne voir aucun résultat après avoir été consultés et du fait que, bien évidemment, leur participation n’augmente pas les ressources disponibles.
48. De bonnes pratiques de participation citoyenne sont appliquées dans l’aire du Grand Londres en particulier en ce qui concerne la participation des jeunes aux processus politiques (tels que le parlement des jeunes et le maire des jeunes de l’arrondissement de Lewisham) et le maintien des services grâce au secteur associatif. Au Royaume-Uni, la participation citoyenne englobe par conséquent différents principes: l’information et la consultation des citoyens au sujet des développements futurs, d’une part, et la participation active au développement de la communauté, d’autre part.
49. A cet égard, les Jeux olympiques de 2012 ont eu un effet très positif sur la coopération au sein des communautés «dans l’esprit des Jeux» et, localement, des subventions ont été octroyées pour des projets connexes. Cela étant, en dépit de quelques exemples de bonnes pratiques, le concept de «Big Society» 
			(35) 
			The
Guardian, «The “big society” concept has changed the
way we provide social care», 8 mai 2013; voir également: «The Big
Society Network», <a href='http://www.thebigsociety.co.uk'>www.thebigsociety.co.uk</a>. du Premier ministre, qui inclut des tentatives pour donner un caractère plus bénévole à certains services locaux, n’a pas porté ses fruits partout et ce, pour différentes raisons. Dans la situation actuelle des finances locales au Royaume-Uni, il sera par conséquent de la plus haute importance de générer de nouvelles recettes grâce à la croissance locale et d’organiser les services de façon plus rationnelle – c’était d’ailleurs l’objectif du gouvernement central lorsqu’il a procédé à des coupes budgétaires drastiques.
50. S’agissant de la relation entre l’administration centrale et les arrondissements locaux, le système londonien peut être décrit comme un système à deux niveaux où la partie inférieure «pèse plus lourd»; c’est-à-dire que les arrondissements ont leur mot à dire et le maire de la ville a moins de pouvoirs que dans d’autres grandes villes. Qui plus est, le maire actuel n’utilise pas ses pouvoirs de façon excessive. Son administration, l’Autorité du Grand Londres, semble avoir une vision et une stratégie assez claires pour la participation citoyenne au niveau métropolitain, fondées sur la constatation que la relation entre la ville et ses citoyens est marquée par des attentes mutuelles: tandis que certaines préoccupations de la ville restent totalement abstraites pour les habitants, l’autorité centrale doit comprendre les préoccupations des citoyens et y répondre activement («gestion de la demande»).
51. Ce faisant, les méthodes de communication avec les citoyens ont considérablement évolué ces dernières années. En effet, alors qu’elles reposaient en grande partie sur les sondages d’opinion, elles consistent aujourd’hui davantage en une «démarche participative», notamment en une «participation numérique» présentant un bon rapport coût-efficacité, sachant que les méthodes traditionnelles telles que les débats annuels ou les séances de questions-réponses pour la population locale ont encore cours. On peut citer comme exemples concrets de nouvelles méthodes la plateforme numérique «Talk London» et le «London City Dashboard», un site internet présentant les politiques de la ville par secteur de façon transparente (étayé par une banque de données ou «Datastore»). Parmi les premiers groupes cibles des nouveaux mécanismes de participation figurent les nombreux bénévoles qui ont pris part à l’organisation des Jeux olympiques.
52. L’expérience du Grand Londres a montré que les médias sociaux et les technologies de communication jouent un rôle important dans l’obtention de résultats «concrets». Citons l’exemple de l’arrondissement de Barnett, où les habitants peuvent accéder à un «site internet de courtage» pour l’échange de services au sein de leur communauté. Dans certains quartiers, des rassemblements lancés via les médias sociaux ont débouché sur des projets concrets dans le secteur de l’éducation. On a également observé que la population se mobilisait de plus en plus autour des médias sociaux depuis les «émeutes de Londres» 
			(36) 
			Les «émeutes
de Londres» ou «London riots» désignent un mouvement de protestation
qui a duré plusieurs jours en août 2011, déclenché dans l’arrondissement
londonien de Tottenham après qu’un jeune résident de district a
été abattu par la police. Le mouvement s’est étendu par la suite
à beaucoup de quartiers défavorisés de Londres et à d’autres villes britanniques;
voir également The Telegraph,
«London riots: the underclass lashes out», 8 août 2011, <a href='http://www.telegraph.co.uk'>www.telegraph.co.uk</a>. . Les chaînes de télévision et les radios locales jouent un rôle important dans certaines communautés ethniques (par exemple une station de radio grecque à Barnett) et les responsables politiques locaux font des apparitions régulières dans ces médias.
53. Une équipe du service des relations publiques de l’Autorité du Grand Londres s’emploie à établir des liens en particulier avec certaines zones défavorisées où la population a moins accès aux médias sociaux. De son point de vue, que j’apprécie tout particulièrement dans ce contexte, l’important est que la participation ne soit pas une simple «case cochée» par les pouvoirs locaux mais représente une approche véritablement axée sur les citoyens et assurant que leur voix soit entendue. On accorde aujourd’hui beaucoup d’attention aux politiques dans le domaine de la «gestion de la demande» (par exemple en ce qui concerne les hôpitaux, les casernes de pompiers et les postes de police). Il importe cependant de ne pas susciter d’attentes qui ne seraient pas réalisables.
54. La représentante de l’arrondissement londonien de Haringey a confirmé une partie des informations reçues précédemment sur l’aire du Grand Londres: la participation citoyenne demeure plus simple pour les tâches prévues par la loi, mais est de plus en plus difficile lorsqu’il s’agit de procéder à des échanges approfondis avec la population locale. Néanmoins, il est possible de faire encore beaucoup grâce à des partenariats actifs entre les parties prenantes locales et à l’utilisation ciblée des technologies de la communication. Citons l’exemple du partenariat (formé par des élus, des commerçants et des citoyens) pour le développement de rues commerçantes, qui a consisté notamment en un dialogue mené en partie sur le site internet «Haringey online» (utilisé régulièrement par plus de 2 500 citoyens) et qui a permis l’exercice par la collectivité d’un contrôle sur les activités de paris illégaux tout en limitant la gentrification du secteur à un seuil acceptable.
55. Les personnes moins instruites, qui ont un accès limité aux médias sociaux et moins de facilité pour s’exprimer, sont fréquemment associées à des projets concrets qui les concernent, par exemple des projets de jardinage dans des espaces publics de leur quartier. Ces projets donnent alors une occasion de consulter la population locale sur d’autres questions d’aménagement et de créer une certaine continuité dans l’engagement collectif. Une fois mobilisés, les citoyens sont souvent approchés par les responsables politiques locaux, qui s’appuient sur ces projets communs pour les consulter sur d’autres questions (comme le recyclage alimentaire dans les logements sociaux).
56. Autre exemple de mobilisation de la collectivité: la campagne «Save Lewisham Hospital» («Sauvons l’hôpital de Lewisham»), qui est parvenue à mobiliser jusqu’à 10 000 et 20 000 personnes lors de diverses manifestations depuis la fin de 2012 (y compris une visite de Boris Johnson, maire de la GLA). La mobilisation s’est fait moins par les médias sociaux que par des méthodes de campagne traditionnelles (porte à porte, stands d’information lors d’événements locaux, dépliants distribués dans les gares ou les écoles, etc.). Pour l’heure, la campagne semble porter ses fruits: alors que la fermeture définitive de l’hôpital avait été décidée par le National Health Service (NHS) avant l’été 2013, la justice a estimé récemment que la réduction de services de santé importants serait contraire à la loi 
			(37) 
			The
Guardian, «Lewisham hospital cuts plan ruled unlawful
by judge», 31 juillet 2013, <a href='http://www.guardian.co.uk'>www.guardian.co.uk</a>.. Toutefois, aux dernières nouvelles, le gouvernement entend faire appel de cette décision.
57. Enfin, bon nombre de ces constatations des plus intéressantes concernant Londres ont été confirmées par des universitaires britanniques, qui ont identifié des tendances générales et des éléments s’appliquant au-delà du Royaume-Uni, à savoir:
  • le niveau global de confiance dans les décisions publiques semble être en baisse;
  • c’est lorsque les individus devraient être le plus impliqués dans la vie publique que cela semble le plus difficile (par exemple, en raison de la crise financière);
  • le fait de ne pas faire participer la population peut être source d’économies pour les pouvoirs locaux à court terme, mais crée d’immenses problèmes plus coûteux à long terme;
  • s’agissant des médias sociaux, les pouvoirs locaux sont encore en apprentissage, pas tant en ce qui concerne leur utilisation à des fins de participation que pour la collecte de données et la transmission «unidirectionnelle» d’informations vers les citoyens;
  • il convient de renforcer les capacités des pouvoirs locaux, essentielles pour améliorer la participation citoyenne, et d’éviter le recrutement d’experts extérieurs pour des événements ponctuels si l’on veut obtenir des résultats durables;
  • actuellement, les exemples de bonnes pratiques nous viennent surtout de pays situés hors d’Europe (Etats-Unis ou pays d’Amérique latine, par exemple, comme il ressort des réunions sur les «villes du XXIe siècle»), les responsables politiques européens étant avant tout soucieux de garder le contrôle en ces temps de crise et d’austérité;
  • les conditions essentielles pour développer dans la pratique la participation citoyenne sont les compétences et la volonté politique, en particulier dans les grandes métropoles où des ressources plus importantes sont généralement disponibles; or, peu de dirigeants de métropoles semblent saisir cette opportunité.

5. Conclusion: créer des conditions cadres permettant de faciliter et encourager la bonne gouvernance démocratique et la participation citoyenne au niveau local

58. Les trois exemples de Berlin, Istanbul et Londres ont mis en lumière certains défis, difficultés et obstacles récurrents, mais ont aussi dégagé des bonnes pratiques de participation citoyenne dans ces grandes villes, également capitales et/ou moteurs économiques de leurs pays. Les parties prenantes rencontrées à Berlin semblaient surtout préoccupées de faire participer les groupes les plus défavorisés au développement local et de créer un sentiment de responsabilité envers la collectivité; tandis qu’à Istanbul, on est confronté à une évolution des cultures politiques, qui mène parfois à des situations conflictuelles sous l’effet de fortes pressions pour la réalisation d’aménagements urbains et commerciaux. A Londres, ma propre capitale, où les finances locales ont subi des changements significatifs et de fortes réductions au cours des dernières années, les partenaires locaux sont en quête de nouveaux partenariats et d’outils de participation citoyenne.
59. Les défis identifiés dans ces trois métropoles sont donc très différents, quoique cette perception puisse être partiellement liée à l’approche sélective des interlocuteurs locaux. Dans tous les cas et jusqu’à un certain point, tous les grands problèmes qui se sont dégagés semblent symptomatiques des grandes métropoles en période de crise économique et financière; ces trois exemples se prêtent par conséquent à une certaine généralisation et nous aident à tirer les premières conclusions.
60. La base même des organes et processus démocratiques à l’échelon local est le cadre institutionnel, qui devrait, dans la mesure du possible, attribuer des compétences d’urbanisme aux pouvoirs locaux et doter ces derniers de ressources financières adaptées à leurs responsabilités. Par ailleurs, les décisions prises par les gouvernements nationaux mais ayant une incidence à l’échelon local devraient être mises en œuvre de la façon la plus transparente et la plus responsable possible.
61. Les citoyens devraient être associés aux décisions politiques selon des approches descendantes (les pouvoirs publics consultent les citoyens) et des approches ascendantes (y compris la gestion de la demande, en tenant compte des préoccupations des citoyens à l’échelon local). Les responsables politiques locaux devraient éviter d’établir des mécanismes de participation «creux» et inefficaces pour soigner leur réputation sans que les habitants aient véritablement voix au chapitre. Parmi les facteurs déterminants d’approches engagées, efficaces et innovantes de la participation citoyenne, citons la volonté politique des décideurs locaux, le renforcement des capacités au sein des collectivités locales, la disponibilité de ressources pour des actions à la discrétion des pouvoirs locaux, telles que des mécanismes participatifs, et la capacité de bâtir une relation de confiance entre les habitants et les politiciens.
62. Le fait d’encourager le développement social et économique à l’échelon local est une condition indispensable pour que les citoyens et les démocraties locales dynamiques développent un intérêt pour la participation active et pour l’engagement collectif. Seuls les citoyens dont les conditions de vie sont satisfaisantes et qui ne doivent pas lutter chaque jour pour subvenir aux besoins fondamentaux de leur famille seront en mesure de nouer le dialogue avec leur collectivité.
63. Pour faire participer la population locale, des moyens accessibles et appropriés de communication doivent être employés, susceptibles de varier selon les tranches d’âge et les catégories socio-économiques. Il n’est pas utile de communiquer sur des développements importants via internet ou les médias sociaux si la majeure partie de la population locale ne consulte pas ces supports. Par ailleurs, l’utilisation d’internet devrait être encouragée dans le domaine de la démocratie locale lorsque cela s’avère approprié (e-démocratie, e-participation, etc.) pour la jeune génération, qui est familière de ce type d’outils. Le bon dosage d’outils de communication pour nouer le contact avec les résidents devrait être choisi au cas par cas.
64. Il convient de renforcer, au niveau international, l’échange de bonnes pratiques et les mesures de sensibilisation visant l’amélioration des processus démocratiques locaux, notamment par des conditions nationales appropriées. Notre objectif commun devrait être de promouvoir des normes élevées de démocratie locale et de participation citoyenne dans toute l’Europe, y compris dans les pays où celles-ci sont menacées par la situation économique des collectivités locales et des citoyens ou par des politiques nationales autoritaires.
65. La bonne gouvernance et la participation citoyenne au niveau local – et dans les grandes métropoles, qui sont une catégorie particulière de collectivités locales – sont des éléments centraux de la démocratie moderne, étroitement liés à l’un des piliers des activités du Conseil de l’Europe. La participation active des citoyens au développement local, à savoir à la fois la consultation des citoyens dans le cadre des processus décisionnels et l’engagement collectif, est essentielle pour créer des collectivités locales durables et garantir le respect de normes démocratiques optimales partout en Europe.