1. Introduction
1.1. Procédure
1. La proposition de résolution intitulée «L’accès à
la nationalité» (
Doc.
12414) a été transmise pour rapport à la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme le 24 janvier 2011. La commission
m’a nommé rapporteur lors de la réunion qu’elle a tenue à Strasbourg
le 26 janvier 2011. Au cours de la réunion organisée à Paris le
12 novembre 2012, la commission a procédé à l’audition de trois
experts en la matière:
- le professeur
Gerard René de Groot, professeur de droit comparé et de droit international
privé, Université de Maastricht, Pays-Bas
- Mme Ivanka Kostic, représentante du European Network on
Statelessness (Réseau européen sur l’apatridie), directrice exécutive,
Praxis, Belgrade, Serbie
- Mme Inge Sturkenboom, agent de protection (apatridie),
Bureau européen du HCR des Nations Unies, Bruxelles, Belgique
2. Pendant cette même réunion, la commission m’a nommé rapporteur
sur la «Convention européenne sur la nationalité: application et
propositions de solutions» (
Doc.
12696)
, à la suite du départ
de l’Assemblée de la rapporteure précédente, Mme Elsa Papadimitriou
(Grèce, PPE/DC). La commission a ensuite décidé de fusionner ce
renvoi avec celui de «L’accès à la nationalité» et en a conséquemment
informé le Bureau. Par la suite, lors de sa réunion du 11 décembre
2012, la commission a décidé, sur ma proposition, de donner au rapport
conjoint un nouvel intitulé: «L’accès à la nationalité et la mise
en œuvre effective de la Convention européenne sur la nationalité».
A la suite de la fusion des deux propositions, le 19 mars 2013,
la commission a procédé à un échange de vues avec le professeur
Zdzisław Galicki, de l’Institut de droit international de la Faculté
de droit et d’administration de l’Université de Varsovie, Pologne,
ancien président du Groupe de spécialistes sur la nationalité (CJ-S-NA)
du Conseil de l’Europe.
1.2. Les deux propositions
de résolution
3. La proposition de résolution sur «L’accès à la nationalité»
se focalise sur l’accès à la nationalité des migrants et de leurs
descendants, ainsi que sur la prévention de l’apatridie. Dans la
plupart des pays européens, les migrants de première génération
se heurtent à de nombreux obstacles juridiques et administratifs
lorsqu’ils demandent à être naturalisés, et leurs enfants n’acquièrent
pas automatiquement la nationalité de l’Etat dans lequel ils sont
nés. Depuis quelques années, les conditions d’acquisition de la nationalité
tendent à se durcir dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe.
Les critères d’éligibilité sont plus exigeants et imposent notamment
de réussir des tests complets qui portent sur la langue, l’histoire et
la connaissance des institutions de l’Etat concerné. En outre, quelques
pays n’autorisent pas la pluralité de nationalités, de sorte que
les migrants naturalisés ne peuvent pas conserver leur nationalité
d’origine
.
4. La proposition de résolution sur la «Convention européenne
sur la nationalité: application et propositions de solutions» souligne
l’importance de la Convention européenne sur la nationalité (STE
n° 166, ci-après «la CEN») du Conseil de l’Europe pour l’évolution
de la législation relative à la nationalité à l’échelon européen. Elle
préconise de procéder à «une vérification détaillée de la ratification
et de la mise en œuvre» de cette convention dans les différents
Etats Parties. Cette démarche s’explique par le fait que le droit
interne de certains Etats Parties n’était pas pleinement compatible
avec les dispositions de la convention, ce qui les a conduit, soit
à modifier leur législation, soit à formuler des réserves à l’égard
de certains articles de la Convention de 1997
. Les auteurs de la proposition de
résolution s’inquiétaient également de la dénonciation, par divers
Etats, de certaines dispositions des conventions pertinentes du
Conseil de l’Europe en matière de nationalité ou de la formulation
par ceux-ci de réserves à l’égard de ces mêmes dispositions.
5. Compte tenu des dispositions de la Convention européenne sur
la nationalité, signée le 6 novembre 1997, et de la récente évolution
des instruments juridiques nationaux et internationaux, je m’appliquerai
à rappeler aux Etats membres leur obligation de lutter contre l’apatridie,
qui reste un phénomène extrêmement répandu en Europe, et j’examinerai
les tendances actuelles en matière d’acceptation de la pluralité
de nationalités, qui est étroitement liée à la politique de naturalisation.
L’apatridie est préoccupante, car elle amoindrit la dignité humaine
et rend les personnes concernées vulnérables, en les privant de
la protection d’un Etat. Elle porte atteinte à des principes du
Conseil de l’Europe aussi fondamentaux que les droits de l’homme et
l’Etat de droit. Il convient donc de faire disparaître l’apatridie
le plus vite possible, de prévenir l’apparition de nouveaux cas
d’apatridie et, en attendant, de protéger les apatrides.
6. La pluralité de nationalités, qui est en constante augmentation
en raison de la mobilité internationale et des migrations, est devenue
un «fait social total»
. Certains Etats y sont défavorables, car
ils la considèrent comme un obstacle à une pleine intégration des
migrants et craignent que les intérêts des différents Etats concernés
ne se heurtent dans des domaines tels que le service militaire obligatoire
ou la protection diplomatique et que les gouvernements étrangers
n’en viennent à manipuler d’importants groupes d’électeurs. Bien
que ces préoccupations soient légitimes dans certains cas, la pluralité
de nationalités semble moins problématique que l’apatridie, car
les Etats concernés peuvent limiter les conflits entre les obligations
nées d’une pluralité de nationalités en mettant en place une coordination
adéquate.
7. Le Conseil de l’Europe a élaboré des instruments régionaux
qui traitent de ces questions, notamment la CEN, la première convention
complète au monde en matière de nationalité. Malheureusement, rares
sont encore les Etats Parties de cet instrument ou des autres conventions
du Conseil de l’Europe relatives aux questions de nationalité. C’est
la raison pour laquelle j’estime que la décision de fusionner les
deux propositions de résolution prise par la commission était parfaitement
fondée; je compte poursuivre la réflexion sur la mise en œuvre de
la convention. Il serait également utile de se demander s’il y a
lieu de modifier encore la CEN ou s’il convient de la remplacer
par une autre convention.
2. Les travaux
antérieurs de l’Assemblée
8. Plusieurs résolutions et rapports de l’Assemblée
parlementaire ont soulevé la question de l’apatridie. Dès les années
50, l’Assemblée a souligné la gravité de ce problème au regard des
droits de l’homme et a adopté la
Recommandation 87 (1955) «Apatridie»
et la
Recommandation 194 (1959) sur la nationalité des enfants d’apatrides
. Cette question a encore été traitée par
divers autres textes de l’Assemblée, notamment dans le cadre de
rapports consacrés à certains groupes minoritaires, comme les Roms,
la population musulmane de Thrace occidentale ou les minorités nationales
de Lettonie.
9. En outre, dès 1978, l’Assemblée a constaté les difficultés
rencontrées par les migrants de la deuxième génération, surtout
à propos de leur statut juridique dans leur pays d’accueil
. En effet,
alors qu’ils conservent la nationalité de leurs parents, ils présentent
une double identité socio-culturelle
. Aussi l’Assemblée invitait-elle
les Etats membres «à faciliter l’accès à la nationalité du pays
d’accueil aux jeunes migrants qui le souhaitent, qu’ils soient nés
dans ce pays ou qu’ils y aient accompli la majeure partie de leur
scolarité»
. L’Assemblée
s’est également penchée sur la question de la naturalisation des
réfugiés en 1969
et
1984
. En
1984, elle a déploré que les législations nationales n’aient pas
été améliorées pour permettre de naturaliser, dans des délais raisonnables,
les réfugiés, et a invité les Etats membres à rendre leur procédure
de naturalisation plus souple et plus rapide et à veiller à octroyer
aux enfants mineurs de réfugiés la nationalité de leur pays d’accueil
une fois que les parents l’ont acquise
. Ces principes ont
par la suite trouvé un écho dans la CEN.
10. L’Assemblée a également traité de la pluralité de nationalités
dans le cadre des mariages mixtes
.
Tout en réaffirmant à l’époque que la politique adoptée par les
Etats pour réduire le nombre de cas de pluralité de nationalités
devait être maintenue
,
elle a jugé souhaitable que chaque conjoint d’un mariage mixte ait
le droit d’obtenir la nationalité de l’autre sans perdre sa nationalité
d’origine
et
que leurs enfants puissent acquérir et conserver la nationalité
de leurs deux parents
.
3. Les questions relatives
à la nationalité dans les instruments juridiques internationaux
3.1. La notion de nationalité
11. La nationalité est une institution de droit interne,
qui désigne le lien juridique qui existe entre une personne et un
Etat. La CEN souligne que la nationalité «n’indique pas l’origine
ethnique de la personne» (article 2.
a).
La définition des dispositions qui régissent l’acquisition de la
nationalité à la naissance est habituellement du ressort des Etats
.
La nationalité s’acquiert essentiellement de deux manières: soit
par filiation, c’est-à-dire que les enfants acquièrent la nationalité
de l’un ou de leurs deux parents (c’est le «droit du sang», ou «
jus sanguinis»), soit par la naissance
sur le territoire d’un pays donné (c’est le «droit du sol», ou
jus soli). La plupart des pays combinent
les deux critères. En outre, les individus qui résident légalement dans
un pays depuis un certain temps et/ou qui y ont tissé des liens
particuliers (en se mariant avec un ressortissant de ce pays, par
exemple) peuvent prétendre à la citoyenneté en demandant leur naturalisation
.
12. Bien que les dispositions relatives à la nationalité relèvent
de l’ordre juridique interne, plusieurs instruments juridiques internationaux
traitent de certains aspects, notamment de l’apatridie et de la
pluralité de nationalités. La jurisprudence des juridictions internationales
est cependant extrêmement rare sur les questions de nationalité
. L’affaire la plus fréquemment citée est
peut-être l’affaire
Nottebohm (Liechtenstein c.
Guatemala) , dans laquelle
la Cour internationale de justice a affirmé le principe de la «nationalité effective»,
en vertu duquel le lien effectif et véritable entre une personne
et un Etat donne à ce dernier la possibilité de lui accorder sa
protection diplomatique.
3.2. Existe-t-il un
droit à une nationalité?
13. Autre point important dans cette réflexion sur l’accès
à la nationalité: le droit à une nationalité en tant que tel. Il
est qualifié de «droit à être titulaire de droits», tandis que l’apatridie
signifie la négation de l’existence juridique d’une personne
. Certains documents internationaux
considèrent le droit à la nationalité comme un droit de l’homme:
c’est notamment le cas de l’article 15 de la Déclaration universelle
des droits de l’homme
, de l’article 20 de la Convention
américaine relative aux droits de l’homme et l’article 4 de la Convention européenne
sur la nationalité. En ce qui concerne plus particulièrement les
enfants, l’article 24 du Pacte international sur les droits civils
et politiques
et
l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant
énoncent
le droit de chaque enfant d’acquérir une nationalité, tandis que
l’article 8 de cette dernière précise que l’enfant a le droit de
conserver sa nationalité. En juillet 2012, le Conseil des droits
de l’homme de l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté deux
résolutions, «Droits de l’homme et privation arbitraire de la nationalité»
(20/5) et «Le droit à la nationalité: les femmes et les enfants»
(20/4)
, dans lesquelles il a réaffirmé
sa position sur le droit à la nationalité, qu’il considère comme
un droit de l’homme
. Le
haut-commissaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE) pour les minorités nationales a adopté la même
position
. En outre, en cas de succession
d’Etats (STCE n° 200), la Convention sur la prévention des cas d’apatridie
en relation avec la succession d’Etats de 2006
reconnaît
le droit à une nationalité des personnes qui, au moment de cette
succession, avaient la nationalité de l’Etat précédent et qui étaient
ou seraient devenus apatrides par suite de cette succession d’Etats
(article 2); cette convention précise également que les Etats prennent
toutes les mesures appropriées pour empêcher que ces personnes ne deviennent
apatrides (article 3).
14. Bien que la Convention européenne des droits de l’homme ne
fasse pas expressément mention d’un tel droit, la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») a conclu à la violation de cette
convention dans plusieurs affaires qui portaient sur les droits
et libertés des apatrides
.
Dans son récent arrêt
Kuric et autres c.
Slovénie , la Cour a
examiné la question des «personnes radiées», dont certaines sont
devenues apatrides à la suite de la dissolution de l’ancienne République
fédérale socialiste de Yougoslavie et dont les dossiers avaient
été retirés de l’état civil, ce qui les a privés de leur droit de
résidence. La Cour a estimé, notamment, que le refus persistent
des autorités slovènes de régler le statut de la résidence des requérants
constituait une ingérence dans leur droit au respect de la vie privée
et/ou familiale (violation de l’article 8). Il est intéressant de constater
que, dans une autre affaire qui portait sur l’acquisition de la
nationalité par filiation,
Genovese c. Malte , la Cour a conclu
que l’accès à la nationalité se situait dans le champ d’application
de la protection accordée par la Convention, dans la mesure où il
faisait partie de l’identité sociale d’une personne et donc de sa
vie privée (article 8)
. En l’espèce, le requérant,
un ressortissant britannique dont le père était Maltais, n’avait
pu obtenir la nationalité maltaise parce qu’il était né hors des
liens du mariage. La Cour a estimé qu’aucun motif raisonnable ni
objectif ne justifiait que le requérant soit traité différemment
parce qu’il était né hors des liens du mariage et qu’il était victime
de discrimination dans la jouissance de son droit au respect de la
vie privée (violation de l’article 14, combiné à l’article 8). Cet
arrêt ouvre la voie vers une éventuelle jurisprudence ultérieure
relative au droit à une nationalité, à l’interdiction de toute discrimination
dans l’accès à la nationalité et aux garanties contre l’apatridie.
3.3. L’apatridie
15. Le terme «apatride» désigne «une personne qu’aucun
Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa
législation»
, c’est-à-dire une personne
qui n’a la nationalité (citoyenneté) d’aucun pays. Le droit des
Etats à définir les conditions de l’obtention de la nationalité
s’accompagne de l’obligation d’éviter l’apatridie par des mesures
législatives, administratives ou autres
.
Les principaux instruments juridiques contre l’apatridie sont la
Convention de 1954 relative au statut des apatrides (ci-après la
«Convention de 1954»
et
la Convention de 1961 relative à la réduction des cas d’apatridie
(ci-après la «Convention de 1961)»
.
La Convention de 1954 donne une définition des apatrides et établit
un régime de protection internationale des apatrides; il n’en existe
aucun équivalent à l’échelon régional. La Convention de 1961 est importante
pour garantir l’application de normes mondiales communes en vue
de prévenir les conflits entre les différentes législations internes
relatives à la nationalité. Cependant, seuls 78 Etats (dont 37 Etats
membres du Conseil de l’Europe) sont Parties à la Convention de
1954 et 53 (dont 28 Etats membres du Conseil de l’Europe) sont Parties
à celle de 1961
. Il existe également une série d’instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme qui consacrent le
droit d’accès à la nationalité sans discrimination, ainsi que le
droit des enfants à l’acquisition d’une nationalité. Il s’agit de
la Convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale
, du Pacte international
de 1966 relatif aux droits civils et politiques
, de la Convention de 1979 sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
, de la Convention de 1989 relative
aux droits de l’enfant
, de la Convention internationale
de 1990 sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants
et des membres de leur famille
et de la Convention de 2006
relative aux droits des personnes handicapées
.
16. Le Conseil de l’Europe a élaboré de nombreux instruments dans
ce domaine, en particulier la Convention européenne sur la nationalité
de 1997 (articles 4 et 6) et la Convention sur la prévention des
cas d’apatridie en relation avec la succession d’Etats de 2006 (voir
notamment ses articles 2 et 3), le seul instrument juridiquement
contraignant qui traite de la nationalité et de la succession d’Etats.
Le Comité des Ministres a également adopté des recommandations qui
traitent de cette question, comme la Recommandation N° R (1999)
18 sur la prévention et la réduction des cas d’apatridie
et la Recommandation CM/Rec(2009)13 sur
la nationalité des enfants
.
3.4. La Convention européenne
sur la nationalité
17. La CEN a été rédigée à la suite des changements démocratiques
survenus en Europe centrale et orientale depuis 1989, afin d’aider
les nouvelles démocraties à élaborer une nouvelle législation relative
à la nationalité et aux ressortissants étrangers
. Malheureusement,
cet instrument juridique n’a été ratifié que par 20 Etats membres
du Conseil de l’Europe
.
18. La CEN a réglé pour la première fois à l’échelon international
tous les aspects relatifs à la nationalité. Les articles 4.a à 4.c de
la CEN reprend comme suit le contenu de la Déclaration universelle
des droits de l’homme: «Les règles sur la nationalité de chaque
Etat Partie doivent être fondées sur les principes suivants: a.
chaque individu a droit à une nationalité; b. l’apatridie doit être
évitée; c. nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité».
Elle pose également pour principe que «ni le mariage, ni la dissolution
du mariage entre un ressortissant d’un Etat Partie et un étranger,
ni le changement de nationalité de l’un des conjoints pendant le mariage
ne peuvent avoir d’effet de plein droit sur la nationalité de l’autre
conjoint» (article 4.d).
19. La convention comporte des garanties contre l’apatridie: l’article
6.1.b de la CEN prévoit l’acquisition
de la nationalité d’un Etat par «les nouveau-nés trouvés sur son
territoire qui, autrement, seraient apatrides» et règle l’accès
à la nationalité des enfants apatrides nés sur son territoire (article
6.2).
20. En outre, la CEN traite de questions telles que la discrimination
en matière de nationalité (article 5), l’acquisition de la nationalité
(article 6) et la réintégration dans une nationalité antérieure
(article 9), les motifs de perte de nationalité, qu’elle énumère
de façon exhaustive (article 7)
, les procédures qui régissent la demande
de nationalité (articles 10-13), la situation juridique des personnes
qui risquent de devenir apatrides par suite d’une succession d’Etats
(articles 18-20)
, la pluralité de nationalités (articles
14-17), les obligations militaires (articles 21-22) et la coopération
entre les Etats Parties (articles 23 et 24).
21. A ce jour, la CEN a seulement été ratifiée par 20 Etats membres
du Conseil de l’Europe, dont la plupart ont formulé des réserves
et des déclarations en y adhérant. Neuf autres Etats membres l’ont
signée, mais ne l’ont pas encore ratifiée
.
4. L’apatridie dans
le monde
4.1. Quelques chiffres
22. Comme l’a souligné l’ancien Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Thomas Hammarberg, en août
2011, «les apatrides sont souvent marginalisés. Sans certificat
de naissance, carte d’identité, passeport ou autres documents, ils
risquent de ne pas avoir accès à l’éducation, aux soins de santé, à
l’aide sociale et au droit de vote. Une personne apatride ne peut
pas toujours se déplacer ou travailler légalement. De ce fait, les
apatrides se heurtent à des inégalités et à la discrimination, sans
parler du risque élevé d’être pris pour des clandestins
». Son successeur, M. Nils Muižnieks,
a récemment souligné que l’apatridie se transmettait d’une génération
à l’autre et a invité les Gouvernements européens à mettre un terme
à ce phénomène, surtout à l’égard des enfants
.
23. L’apatridie est un phénomène très répandu: les Nations Unies
estiment que l’apatridie concernerait au moins 12 millions de personnes
à travers le monde
. En
Europe même, les personnes relevant du mandat en matière d’apatridie
du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés étaient
plus de 680 000 en 2012
. Les médias font très souvent état
de cas de discrimination à l’encontre de certains groupes d’apatrides (de
nombreux membres des communautés russophones de Lettonie
et
d’Estonie, par exemple, ou des groupes de Roms, en particulier dans
les pays de l’ex-Yougoslavie
et en Italie
). Ces
problèmes découlent essentiellement des bouleversements politiques
qu’ont connus de nombreuses régions d’Europe après 1989, comme l’éclatement
de l’Union soviétique, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie.
Selon les estimations du HCR, le nombre d’apatrides s’élevait en
2012 à 280 584 personnes en Lettonie, 178 000 personnes en Fédération
de Russie
, 94 235 personnes en Estonie, 35 000
personnes en Ukraine, 10 825 personnes en Pologne, 9 596 personnes
en Suède et 8 500 personnes en Serbie
.
4.2. Exemple de groupes
de personnes apatrides en Europe
4.2.1. La situation des
Roms
24. De nombreux Roms sont apatrides, bien qu’il n’existe
aucune statistique précise
. Les estimations
pour l’Europe du Sud-Est en 2009 situaient les Roms apatrides à
hauteur de 10 000 personnes en Bosnie-Herzégovine, 1 500 personnes
au Monténégro, 17 000 personnes en Serbie et 4 090 personnes en Slovénie
. L’Europe occidentale compte également
des Roms apatrides
.
Leurs conditions de vie sont souvent médiocres et leurs logements
insalubres
. Ce phénomène s’explique
par le fait que nombre de Roms n’ont jamais obtenu de certificat
de naissance et ont du mal à réunir les preuves de leur nationalité.
25. La République tchèque offre un exemple flagrant de privation
de nationalité des Roms: la dissolution de la République fédérale
de Tchécoslovaquie et l’adoption en 1992 d’une législation en matière
de nationalité qui comportait des exigences rigoureuses pour l’acquisition
de la nationalité tchèque ont entraîné l’apatridie de milliers de
Roms. 10 000 à 25 000 Roms environ, considérés par la République
tchèque comme des ressortissants slovaques et par la République
slovaque comme des ressortissants tchèques, sont ainsi devenus apatrides
. La modification
de la législation tchèque relative à la nationalité a apparemment
permis de régler l’essentiel du problème en 1999.
4.2.2. Les Turcs meskhètes
26. La situation des Turcs meskhètes offre un autre exemple
de la manière dont les déportations et la modification des structures
étatiques peuvent être une cause d’apatridie. Les Turcs meskhètes,
qui vivaient autrefois dans le sud-ouest de la Géorgie, avaient
été déportés en 1944 en Asie centrale par le régime soviétique.
Après une explosion de violence en 1989, la plupart d’entre eux
ont quitté l’Ouzbékistan et se sont établis dans d’autres républiques
soviétiques
. Ils se répartissent
aujourd’hui sur le territoire de plusieurs pays, principalement
en Azerbaïdjan, en Fédération de Russie, au Kirghizstan et en Turquie.
Environ 5 000 d’entre eux sont retournés en Géorgie, qui a commencé
à leur accorder la nationalité géorgienne
. Cependant,
malgré la volonté politique clairement affichée des autorités géorgiennes,
le processus de rapatriement et de réintégration dans leur nationalité
demeure extrêmement lent
. Dans les faits,
les rapatriés se heurtent à des obstacles administratifs. En août
2013, le statut de rapatrié avait été octroyé à 1 058 personnes,
tandis que la nationalité géorgienne avait été octroyée uniquement
à sept personnes
.
27. Pendant de nombreuses années la situation des Turcs meskhètes
qui vivaient en Fédération de Russie, tout particulièrement dans
la région de Krasnodar, était préoccupante, car après l’effondrement
de l’Union soviétique, la qualité de ressortissants russes ne leur
avait pas été reconnue et ils étaient restés dans un vide juridique,
privés des droits civils, politiques, économiques et sociaux élémentaires
parce que les autorités persistaient
à refuser de les enregistrer sur leur lieu de résidence. Selon le
Groupe Helsinki de Moscou, leur population dans la région de Krasnodar
représentait entre 11 000 et 13 000 personnes
. L’Assemblée a traité cette question,
notamment dans le rapport de Mme Ruth-Gaby Vermot-Mangold, «La situation
de la population meskhète déportée»
. Le problème a été en grande partie réglé
lorsque les Etats-Unis ont décidé d’accorder l’asile aux Meskhètes
de Krasnodar, ce qui a entraîné le déplacement de plus de 9 000
personnes aux Etats-Unis
. Malheureusement, force est de constater
que les mécanismes européens se sont montrés incapables de traiter
efficacement ce problème.
4.2.3. Les personnes privées
de la nationalité grecque
28. Comme je l’ai déjà souligné dans l’un de mes précédents
rapports
, un nombre important
de personnes qui ne sont pas d’ascendance grecque et vivent en Grèce
ou à l’étranger ont été privées de leur nationalité grecque en application
de l’ancien article 19 du Code grec de la nationalité. Cette disposition
a déchu de leur nationalité grecque environ 60 000 ressortissants
grecs, notamment ceux qui appartenaient à l’ethnie macédonienne
ou étaient d’ascendance turque entre 1995 et 1998
. Bien que la disposition précitée
ait été abrogée, cette abrogation étant dépourvue d’effet rétroactif,
un petit nombre de musulmans établis en Thrace occidentale demeurent
apatrides
,
en attendant l’aboutissement d’une longue procédure de naturalisation
. Le
HCR estime que 154 personnes relevant de son mandat en matière d’apatridie
vivaient en Grèce en 2012
.
4.2.4. La population russophone
d’Estonie et de Lettonie
29. A la suite de l’éclatement de l’Union soviétique,
un nombre important de résidents, principalement russophones, sont
devenus apatrides en Estonie et en Lettonie. Bien que bon nombre
d’entre eux soient nés dans ces pays et qu’ils y aient, dans leur
immense majorité, le statut de résidents en situation régulière,
ils sont toujours privés de droits politiques, par exemple du droit
de vote aux élections nationales (et aux élections municipales en
Lettonie), du droit d’exercer certaines fonctions dans le secteur
public et dans le secteur privé, ainsi que de certains autres droits,
comme le droit de posséder légalement des armes à feu
. Dans
certains cas, les non-citoyens ont droit à une pension de vieillesse
inférieure à celle des citoyens. En Estonie, ils sont officiellement
qualifiés de «personnes de nationalité indéterminée». La Lettonie
leur a accordé un statut spécial de «non-ressortissants», ainsi
que des passeports particuliers, qui leur permettent de voyager
à l’étranger et de bénéficier de sa protection diplomatique; elle
considère que leur statut est différent de celui des personnes apatrides.
Malgré l’intervention de diverses instances internationales
, cette situation n’est toujours pas réglée
. D’après le HCR, la Lettonie et
l’Estonie avaient en 2012 le nombre le plus élevé de personnes apatrides
en Europe
. Même si l’apatridie diminue
progressivement dans les Etats baltes (d’après les dernières données,
elle concernait en Lettonie 290 510 personnes en juillet 2013
et, en Estonie, 90 014 personnes
en juin 2013
), ces chiffres sont encore plus
consternants lorsqu’on les compare à la population totale de ces
pays (près de 2 004 000 habitants en Lettonie et près de 1 340 000
habitants en Estonie). Dans son dernier rapport sur la Lettonie
, la Commission européenne contre
le racisme et l’intolérance (ECRI) a critiqué les difficultés rencontrées
par les «non-ressortissants» pour réussir les examens de naturalisation,
y compris pour s’acquitter des frais qu’ils entraînent, et l’absence
de mesures destinées à faciliter la naturalisation des enfants nés
en Lettonie après 1991 de «parents non-ressortissants». Bien que
les modifications récentes de la législation relative à la nationalité
lettone aient quelque peu assoupli l’enregistrement, en qualité
de ressortissants nationaux, des enfants dont les deux parents ont
le statut de «non-ressortissants», il subsiste dans le droit la
possibilité que, en cas de refus des parents de faire usage de cette
option, ces enfants restent dépourvus de nationalité. Des dispositions
analogues existent toujours en Estonie, qui compte près de 1 200
enfants apatrides. Lors de sa visite de mars 2013, le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks,
a invité les autorités estoniennes à octroyer la nationalité estonienne
à leur naissance aux enfants qui, sans cette mesure, seraient apatrides
.
4.2.5. Les personnes apatrides
dans l’ouest des Balkans
30. Après l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie dans
les années 90, de nombreuses personnes ont été déplacées et sont
devenues apatrides faute d’avoir été enregistrées comme ressortissants
nationaux auprès d’un Etat successeur, bien que ces Etats successeurs
aient évité une apatridie à grande échelle en appliquant le principe
de continuité de l’ancienne nationalité républicaine et en facilitant
l’accès à la nationalité pendant une période transitoire aux citoyens
de l’ancienne Yougoslavie ayant eu une résidence permanente sur
le territoire durant une période prescrite. D’après le HCR, la région
compte plus de 20 000 personnes apatrides ou de nationalité indéterminée
– principalement les membres des minorités Roms, Ashkali et Egyptiens
.
31. Comme l’a souligné Mme Kostic lors de l’audition de novembre
2012, les groupes minoritaires les plus vulnérables et les plus
socialement marginalisés n’ont pu bénéficier de la procédure assouplie
d’octroi de la nationalité, car ils n’étaient pas en mesure de prouver
leur ancienne nationalité républicaine et/ou leur résidence permanente
sur le territoire. Certains d’entre eux ont laissé passer le délai
prescrit pour une demande de nationalité selon la procédure assouplie,
car ils ignoraient cette possibilité, tandis que d’autres ont rencontré
de grandes difficultés à reconstituer leur dossier personnel en
raison de la destruction et de la disparition des registres. En
outre, sans documents personnels valides relatifs à leur naissance
et à leur nationalité, sans résidence enregistrée et sans pièce
d’identité, ils se trouvent dans l’impossibilité d’enregistrer la
naissance de leurs propres enfants. En Serbie, bien qu’il soit aujourd’hui
possible, depuis la modification de la législation en 2012, d’engager
une action en justice pour établir la date et le lieu de naissance
des personnes qui ne figurent pas sur le registre des naissances,
le ministère de l’Intérieur, qui est compétent pour les questions
de nationalité, n’est pas lié par ces décisions de justice
.
4.2.6. Les personnes «radiées»
de Slovénie
32. Le problème des personnes «radiées» (
izbrisani), c’est-à-dire des ressortissants
étrangers ou des personnes apatrides qui résident illégalement en
Slovénie, a été traité par la Cour européenne des droits de l’homme
dans l’affaire
Kuric et autres c. Slovénie. Bien
que l’arrêt ne concerne que quelques requérants, il témoigne d’un
problème structurel qui touche de nombreux résidents de Slovénie.
D’après les données officielles de 2002 citées dans l’arrêt
, 18 305 anciens citoyens
de la République fédérale socialiste de Yougoslavie ont perdu leur
statut de résident permanent en février 1992, lorsque la modification
de la loi relative aux ressortissants étrangers est entrée en vigueur;
près de 2 400 d’entre eux se sont vu refuser l’octroi de la nationalité
slovène. Selon des informations actualisées de janvier 2009, sur
25 671 personnes radiées du registre d’Etat civil, 7 899 avaient
ensuite acquis la nationalité slovène et 3 630 un permis de séjour. Toutefois,
dans le même temps, 13 426 «personnes radiées» n’avaient aucun statut
réglementé en Slovénie
.
Le Commissaire aux droits de l’homme, M. Nils Muižnieks, a récemment
fait part des nouvelles inquiétudes que lui inspire l’absence de
progrès visible de la réintégration des personnes «radiées» dans
la société slovène
. Le Comité des Ministres surveille
désormais l’exécution de l’arrêt
Kuric
et autres, et a récemment constaté que le Parlement slovène
examinait un projet de loi spéciale qui prévoit la mise en place d’un
régime d’indemnisation pour les «personnes radiées»
.
4.3. Le rôle du HCR
33. Depuis 1974, le mandat confié au Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés par l’Assemblée générale des
Nations Unies a évolué jusqu’à sa forme actuelle: un mandat mondial
relatif à l’identification, la prévention et la réduction des cas
d’apatridie, ainsi qu’à la protection des personnes apatrides. Dans
la mesure où l’apatridie résulte souvent de la discrimination et
de lois et pratiques arbitraires, la lutte contre ce phénomène est
fondamentale pour garantir l’Etat de droit. Au vu du faible nombre
de ratifications de la Convention de 1954 relative au statut des
apatrides et de la Convention de 1961 relative à la réduction des
cas d’apatridie, le HCR a profité du 50e anniversaire
de la Convention de 1961, en août 2011, pour lancer une campagne
spéciale qui encourage vivement les Etats à adhérer à ces deux instruments
. En Europe, cette campagne a entraîné
l’adhésion à l’une des conventions ou aux deux de la Lituanie, de
l’Ukraine, du Portugal, de la République de Moldova, de la Bulgarie
et de la Géorgie.
4.4. Les mesures de
prévention de l’apatridie
34. Les personnes apatrides demeurent dans un vide juridique:
elles ne jouissent pas d’une situation de pleine égalité avec les
citoyens d’un pays quelconque, elles peuvent faire l’objet d’une
détention arbitraire et prolongée, se heurtent à des difficultés
supplémentaires dans la jouissance des droits de l’homme fondamentaux,
comme l’accès aux soins et à l’éducation, et sont privées de droits
politiques. La nécessité de prévenir l’apatridie semble généralement
admise. Cette idée se traduit dans les législations nationales par
une application étendue du droit du sol (
ius
soli) ou par des dispositions moins restrictives en matière
d’abandon obligatoire de la nationalité d’origine lors de la naturalisation,
bien que certaines d’entre elles prévoient des exceptions en cas
de fraude ou d’autres infractions
; l’article 7.3 de la
CEN autorise la perte de la nationalité en raison d’un acte frauduleux
commis durant la procédure de naturalisation. Toutefois, comme l’a
souligné Mme Sturkenboom du HCR lors de l’audition de novembre 2012,
les garanties en faveur des enfants nés sur le territoire d’un Etat,
qui sans ces mesures sont apatrides, font toujours défaut dans certains
Etats européens (par exemple à Malte, en Norvège et en Roumanie)
ou ne prennent pas en compte toutes les situations dans lesquelles
un enfant naît apatride sur le territoire d’un Etat (par exemple
en Arménie, Croatie, Lituanie et Slovénie). Le HCR aide les Etats
à mettre en place des procédures de détermination officielle des
situations d’apatridie conformes à ses lignes directrices
.
Cette procédure existe déjà en Espagne, en France et en Hongrie
et été établie récemment en Géorgie, en République de Moldova et
au Royaume-Uni, notamment
.
35. Selon l’étude EUDO CITIZENSHIP
, de grandes avancées ont été réalisées
au cours de ces dernières décennies, en accordant une priorité politique
aux mesures de lutte contre l’apatridie. Pour ce qui est des garanties
contre l’apatridie, «le respect des normes internationales dans
la législation interne relative à la nationalité varie considérablement
d’un Etat à l’autre»
. La violation
de ces normes est souvent due au fait que les Etats n’interprètent
pas soigneusement leur législation en matière de nationalité
. Je considère, comme notre expert
le professeur Galicki, que la question de l’apatridie en Europe
devrait être réglée plutôt par une action politique que par la modification
du droit international, puisque le fondement juridique a déjà été mis
en place.
5. La pluralité de
nationalités
36. La pluralité de nationalités, c’est-à-dire la possession
simultanée de deux ou plusieurs nationalités par la même personne
, peut survenir automatiquement
à la naissance, lorsque l’enfant acquiert une nationalité différente
par l’intermédiaire de chacun de ses parents, en vertu du droit
du sang (
jus sanguinis, en
vigueur dans les pays d’origine des parents) ou lorsque le droit
du sang et le droit du sol (en vigueur dans le pays où est né l’enfant)
s’appliquent simultanément. La pluralité de nationalités peut également
survenir par la suite, lorsqu’une personne acquiert une nouvelle
nationalité par naturalisation, sans pour autant renoncer à sa nationalité
actuelle
. Afin d’éviter
tout conflit d’obligations, notamment en matière de protection diplomatique et
de service militaire, les Etats ont conclu des accords bilatéraux
ou multilatéraux; mais ce problème particulier n’est pas universellement
résolu
. Dans la pratique, les Etats traitent
toute personne titulaire de plusieurs nationalités comme l’un de
leurs ressortissants; l’intéressé ne peut donc se soustraire à ses
obligations vis-à-vis de l’Etat dont il a la nationalité en invoquant
ses obligations vis-à-vis d’un autre Etat dont il est également le
ressortissant.
37. La Convention du Conseil de l’Europe sur la réduction des
cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires
en cas de pluralité de nationalités (STE n° 43) de 1963 (ci-après
«la Convention de 1963»)
et la Convention européenne
sur la nationalité de 1997 traitent de la question de la pluralité
de nationalités. La Convention de 1963 vise à limiter autant que
possible le nombre de situations de pluralité de nationalités et
prévoit la perte automatique d’une ancienne nationalité en cas d’acquisition
d’une nouvelle nationalité par un adulte
. Elle a été à ce jour ratifiée par 13 Etats
membres, mais six d’entre eux l’ont dénoncée intégralement (Allemagne
et Suisse) ou partiellement (chapitre 1 – Belgique, France, Italie
et Luxembourg). En outre, le deuxième protocole portant modification
de cette convention a ajouté trois nouvelles situations dans lesquelles
les personnes peuvent être autorisées à conserver leur nationalité
d’origine: les migrants de deuxième génération, les conjoints de
nationalité différente et les enfants dont les parents sont de nationalité
différente
. Malgré
l’importance de ces modifications, dont le but était de traduire
l’évolution de la société, seuls la France, l’Italie et les Pays-Bas
ont signé et ratifié le deuxième protocole. Mais la France l’a dénoncé
en 2009.
38. Bien que la Convention de 1963 ait eu au départ pour objectif
de prévenir la pluralité de nationalités, la CEN semble bien moins
restrictive à cet égard
.
Elle admet, en principe, la pluralité de nationalités d’un enfant
qui les acquiert à la naissance et d’un conjoint qui acquiert une
deuxième nationalité par mariage (article 14). Elle permet également
à un Etat Partie de définir en droit interne si ses ressortissants
conservent ou perdent leur nationalité lorsqu’ils acquièrent la
nationalité d’un autre Etat et si l’acquisition ou la conservation de
la nationalité d’un Etat est soumise à la renonciation à une autre
nationalité ou à sa perte (article 15). La CEN ne modifie pas la
Convention de 1963 et n’est pas incompatible avec elle; les deux
instruments peuvent coexister (voir notamment l’article 26 de la
CEN)
. Toutefois,
elles peuvent produire des effets différents en fonction du droit
interne de l’Etat en question. C’est surtout le cas pour la pluralité
de nationalités – un Etat dont le droit interne autorise celle-ci
dans des cas autres que ceux prévus à l’article 14 de la CEN et
de la Convention de 1963 pourrait ne pas vouloir être lié par le
chapitre 1er de cette dernière (qui porte
sur la réduction des cas de pluralité de nationalités), tout en
acceptant la CEN
.
39. Les études montrent que la législation relative à la nationalité
tend, dans le monde et en Europe, à autoriser la pluralité de nationalités
.
Cette tendance est également confirmée par la dénonciation de la Convention
de 1963 par de nombreux Etats Parties. Seuls deux pays (Danemark
et Norvège) sont liés par cet instrument sans aucune exception.
Une étude réalisée au début de l’année 2012 révèle que dans 21 Etats
sur 31 (l’Espace économique européen (EEE) et la Suisse), l’acquisition
volontaire d’une autre nationalité n’entraîne pas automatiquement
la perte de la nationalité d’origine
. Ce même mouvement s’observe dans les
Etats européens non-membres de l’EEE et partout dans le monde, puisque
respectivement 22 et 127 Etats acceptent l’acquisition volontaire
d’une autre nationalité sans perte de la nationalité précédente.
Comme l’ont souligné nos experts lors de l’audition de novembre
2012, cette tendance a pour conséquence positive de limiter l’apatridie
.
6. L’acquisition de
la nationalité par les migrants et leurs descendants: naturalisation
et applications du droit du sol (ius soli)
40. La naturalisation est «la forme d’accès à la nationalité
qui fait le plus débat et qui donne lieu à la réglementation la
plus dense»; elle peut se définir comme «toute acquisition après
la naissance d’une nationalité que l’intéressé ne possédait pas
auparavant, qui doit faire l’objet d’une demande auprès des pouvoirs
publics et est soumise à leur décision»
.
On peut établir une distinction entre la procédure de naturalisation
ordinaire et la procédure de naturalisation spéciale. S’agissant
de la naturalisation ordinaire, les principaux critères retenus
par les Etats sont la renonciation à la nationalité d’origine (qui
est toutefois exigée moins souvent dans la plupart des pays d’Europe
occidentale
),
les connaissances en matière civique, les ressources économiques,
les conditions de résidence et de connaissance de la langue, ainsi
qu’un casier judiciaire vierge. La procédure de naturalisation spéciale
s’applique principalement en cas de réintégration dans une nationalité
antérieure, de transfert de nationalité entre conjoints, ainsi qu’aux
réfugiés et aux apatrides
.
41. En vertu de l’article 6.3 de la CEN, les Etats Parties prévoient
dans leur droit interne la possibilité de naturaliser des personnes
qui résident «légalement et habituellement» sur leur territoire.
La période de résidence exigée ne doit pas excéder 10 ans avant
le dépôt d’une demande. En vertu de l’article 6.4, l’Etat Partie
doit faciliter l’acquisition de sa nationalité par certaines catégories
de personnes, notamment les conjoints de ses ressortissants, les
enfants d’un de ses ressortissants, les «personnes nées sur son
territoire et y résidant légalement et habituellement» et les personnes
y ayant résidé pendant un certain temps avant l’âge de 18 ans, les
apatrides et les réfugiés «qui résident légalement et habituellement
sur son territoire». Le déroulement de la procédure de naturalisation
et des autres procédures relatives aux questions de nationalité doit
être conforme aux dispositions des articles 10 à 13 de la CEN: les
décisions sont motivées par écrit (article 11), elles doivent faire
l’objet d’un droit de recours (article 12) et les frais qu’elles
occasionnent doivent être «raisonnables» (article 13).
42. D’après EUDO CITIZENSHIP, qui a réalisé une étude dans 33
pays européens (l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne
et l’Islande, la République de Moldova, la Norvège, la Suisse et
la Turquie), on observe les tendances suivantes en matière de procédure
de naturalisation dans ces pays
:
- les
conditions de résidence vont de trois ans (Belgique) à 12 ans (Suisse, qui n’est pas
signataire de la CEN), bien que cette condition soit le plus souvent
de cinq ans. Quelques pays d’Europe méridionale et orientale imposent
une période de 10 ans, qui peut être excessive . De nombreux pays soumettent les
auteurs d’une demande de naturalisation à des conditions supplémentaires,
comme une résidence ininterrompue ou la comptabilisation des seules
années pendant lesquelles l’intéressé possédait un permis de séjour
permanent;
- 15 Etats sur 33 continuent d’exiger la renonciation à
une nationalité antérieure (c’est le cas, par exemple, de la Bulgarie
et des trois pays baltes – mais une récente modification de la législation
lettone permet de conserver une nationalité antérieure lorsqu’il
s’agit de celle d’un Etat membre de l’Union européenne ou de l’OTAN,
ou de la nationalité australienne, néo-zélandaise ou brésilienne).
Certains de ces Etats n’appliquent pas en pratique cette disposition
(comme l’Espagne) ou prévoient de nombreuses exceptions (par exemple
l’Allemagne ou les Pays-Bas);
- les Etats ont tendance à mettre en place des examens officiels
des compétences linguistiques et des connaissances civiques (18
Etats en octobre 2010): le nombre des pays qui vérifient les compétences linguistiques
et la connaissance de l’histoire, de la Constitution, des valeurs
publiques et des usages sociaux du pays a augmenté depuis 2000 . Il est intéressant de constater
que très peu d’études ont été réalisées sur l’efficacité de ces
examens, qui pourraient être considérés, d’une part, comme une incitation
à acquérir des compétences linguistiques et civiques et, d’autre
part, comme un moyen de dissuader les intéressés de demander leur
naturalisation, car ils occasionnent bien souvent, notamment, des
frais supplémentaires pour les candidats ou, selon leur degré de difficulté, pourraient
avoir pour but ou pour effet de ralentir la naturalisation de certains
groupes minoritaires (comme les groupes ethniques russes de Lettonie
ou d’Estonie) ;
- la naturalisation est toujours considérée comme une décision
discrétionnaire des pouvoirs publics (seuls cinq Etats sur 33 –
Croatie, Allemagne, Pays-Bas, Portugal et Espagne – la définissent
comme un droit prévu par la loi, sous réserve que les conditions
fixées soient réunies);
- de nombreux Etats (16 sur 33) facilitent la naturalisation
non seulement des proches parents de ressortissants nationaux, mais
également des personnes considérées comme ayant un lien ethnique
ou linguistique avec la majorité de la population (par exemple le
Danemark pour les Danois du Schleswig du Sud ou la Hongrie pour
les membres des minorités hongroises des pays voisins ). Certains d’entre eux privilégient également
l’accès à la nationalité des citoyens des pays auxquels ils sont
liés par une union politique (comme les pays nordiques, sur le fondement
de l’Accord relatif à la mise en œuvre de certaines dispositions
concernant la nationalité; mais peu d’Etats membres de l’Union européenne facilitent
la naturalisation des ressortissants d’autres Etats membres – c’est
le cas de l’Autriche, de la Grèce et de l’Italie ).
43. D’après les dernières données d’EUDO CITIZENSHIP, plusieurs
pays continuent à ne guère faciliter la naturalisation des conjoints
de leurs ressortissants (par exemple certains Etats d’Europe centrale,
ainsi que le Danemark, la Finlande, la Grèce ou le Luxembourg).
Qui plus est, près de la moitié d’entre eux soumettent cette naturalisation
à des conditions générales telles que le fait d’avoir un emploi
ou des revenus réguliers (Autriche, Danemark, France, Allemagne,
Hongrie, Italie et Suisse)
.
44. Comme le fait remarquer EUDO CITIZENSHIP dans son étude, l’Etat
de droit doit être renforcé dans les procédures de naturalisation,
car certains Etats ne motivent pas par écrit leur décision de refus
(Belgique, Bulgarie, Chypre, Danemark, Islande, Malte et Pologne),
tandis que d’autres ne prévoient pas de voies de recours contre
cette décision (par exemple la Croatie, la Hongrie et le Royaume-Uni)
. La procédure elle-même est souvent coûteuse
pour les requérants, qui peuvent être tenus de s’acquitter de frais
pour le traitement des demandes (ces frais sont extrêmement élevés
en Autriche, en Grèce et en Suisse), les cours de langue et les
traductions officielles de documents
.
45. En fonction des Etats, la naturalisation est traitée par diverses
instances: il s’agit très souvent d’un organe administratif spécialisé,
mais dans certains Etats, le pouvoir central, y compris le gouvernement
dans son ensemble (Estonie, Lettonie et Turquie), le chef de l’Etat
(Bulgarie, Hongrie, Italie, Lituanie et République de Moldova),
voire le Parlement (Belgique et Danemark), participe au processus
décisionnel. Cela prouve que la naturalisation reste considérée
«comme un privilège exceptionnel, accordé uniquement dans l’intérêt général
de l’Etat»
. Les cérémonies
publiques organisées pour les citoyens qui viennent d’obtenir leur naturalisation
visent à souligner la valeur accordée à cette nouvelle nationalité
.
46. D’après les experts d’EUDO CITIZENSHIP
,
le principe du droit du sang (
ius sanguinis)
continue de prévaloir dans la plupart des pays européens. Le degré
d’inclusion de la législation relative à la nationalité en Europe
varie considérablement d’un pays à l’autre, surtout pour ce qui
est du droit du sol (
ius soli)
des deuxième et troisième générations d’immigrés et des conditions
d’obtention d’une naturalisation ordinaire. Il n’existe pas de modèle
commun de l’accessibilité de la nationalité aux immigrés de deuxième
génération en Europe occidentale: tandis que certains pays
comme la Belgique et l’Allemagne ont
mis en place des dispositions qui reconnaissent le droit du sol
à la naissance pour la deuxième génération, combiné dans le cas de
l’Allemagne avec l’obligation de faire un choix définitif une fois
atteint l’âge de la majorité; d’autres ont uniquement prévu l’octroi
de la nationalité fondé sur le principe du droit du sol après la
naissance, habituellement à partir de 18 ans. Quant à la transmission
de la nationalité par descendance, on observe une tendance à l’égalité
de traitement entre les hommes et les femmes
.
47. La Recommandation CM/Rec(2009)13 du Comité des Ministres sur
la nationalité des enfants énonce un principe 17 sur l’acquisition
de la nationalité par les enfants nés, sur le territoire d’un Etat,
d’un parent étranger. En vertu de ce principe, il convient que les
Etats membres du Conseil de l’Europe facilitent l’acquisition de
la nationalité par ces enfants, avant l’âge de leur majorité, si
leur parent y réside légalement et habituellement. L’acquisition
de leur nationalité devrait être davantage facilitée lorsque ce
parent est également né sur leur territoire.
7. Discrimination
éventuelle en raison du mode d’acquisition de la nationalité et
à l’occasion de l’octroi de la nationalité
48. En vertu de l’article 5.
d.iii
de la Convention des Nations Unies de 1965 sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale
,
les Etats devraient garantir «le droit de chacun à l’égalité devant
la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale
ou ethnique» dans la jouissance du droit à une nationalité.
49. De même, l’article 5 de la CEN prévoit que les dispositions
des Etats relatives à la nationalité «ne doivent pas contenir de
distinction ou inclure des pratiques constituant une discrimination
fondée sur le sexe, la religion, la race, la couleur ou l’origine
nationale ou ethnique» (paragraphe 1) et que chaque Etat Partie
«doit être guidé par le principe de la non-discrimination entre
ses ressortissants, qu’ils soient ressortissants à la naissance
ou aient acquis sa nationalité ultérieurement» (paragraphe 2). Comme
l’a souligné le haut-commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales,
«la pluralité de nationalités ne devrait pas être considérée en
soi comme un obstacle à l’intégration»
et il importe que les Etats ne pratiquent
aucune discrimination à l’encontre des titulaires d’une double nationalité
. En cas de risque de conflit
de loyauté, notamment lors de prises de positions politiques très
marquées, les Etats peuvent légitimement leur demander de renoncer
à leur(s) autre(s) nationalité(s)
.
50. L’octroi de la nationalité sur la base de critères différents
en fonction des caractéristiques de l’intéressé ou du groupe auquel
il appartient risque également de s’apparenter à une discrimination.
Il convient de rappeler à cet égard les Lignes directrices de Ljubljana
sur l’intégration des sociétés diverses («Ljubljana Guidelines on
Integration of Diverse Societies») (ci-après les «Lignes directrices
de Ljubljana») du haut-commissaire de l’OSCE pour les minorités
nationales du 7 novembre 2012, établies à partir de l’expérience acquise
par le haut-commissaire et des conseils d’experts internationalement
reconnus
. Les Lignes directrices de
Ljubljana soulignent que la marge d’appréciation étendue des Etats
pour l’octroi de la nationalité est cependant soumise à certaines
restrictions. Il importe que l’octroi de la nationalité se fonde
sur un critère de «lien véritable», ne porte pas atteinte aux principes
de souveraineté et de relations amicales, notamment de bon voisinage,
et ne s’apparente pas à une discrimination
. La discrimination s’entend comme tout «traitement
différencié, qui exclut directement ou indirectement des groupes
particuliers de l’acquisition de la nationalité en raison de leurs
caractéristiques, sans poursuivre un but légitime ou sans être proportionné
à ce but»
; il convient de la distinguer des «distinctions
justifiées» (comme les exigences linguistiques imposées pour la
naturalisation ou l’acquisition facilitée de la nationalité par
les citoyens en raison de leur ascendance ou de leur lieu de naissance)
ou du «traitement préférentiel» réservé par les «Etats parents»
dans l’octroi de la nationalité
. Toutefois, comme l’a souligné le
haut-commissaire pour les minorités nationales dans les Recommandations
de Bolzano, l’octroi de la nationalité aux personnes vivant à l’étranger
en raison de compétences linguistiques préférées ou de liens culturels,
historiques ou familiaux, peut s’avérer extrêmement délicat, surtout
lorsqu’il est pratiqué en masse
. Il peut également entraîner une différence
de traitement pour ces personnes, par rapport à d’autres résidents
auxquels l’acquisition de la nationalité peut être refusée
.
8. Remarques finales
et propositions
8.1. L’apatridie
51. La prévention et l’élimination de l’apatridie est
primordiale pour le renforcement de la notion de droit à une nationalité,
envisagée comme un droit de l’homme. Très souvent, et surtout dans
les Etats récemment apparus en Europe, ce problème devait être traité
en même temps que celui de la succession d’Etats. En pareil cas,
l’apatridie survient principalement en raison de l’absence d’inclusion
de tous les résidents dans le corps des citoyens au moment de l’accession
à l’indépendance de l’Etat et ne découle pas seulement d’une discrimination
ou d’un conflit de législation
.
52. Tous les Etats devraient prévoir une procédure d’identification
de l’apatridie. Dans certains Etats (comme dans l’ouest des Balkans),
il importe tout particulièrement de modifier la procédure d’enregistrement administratif
des naissances pour veiller à ce que tous les enfants soient enregistrés
immédiatement à la naissance, indépendamment du statut de leurs
parents, et de sensibiliser les groupes socialement vulnérables à
l’importance de l’enregistrement des naissances. En outre, une personne
qui n’a pas été inscrite dans le registre des naissances devrait
avoir la possibilité d’engager une procédure administrative ou une
action en justice «pour démontrer la réalité et le lieu de sa naissance»
aux fins d’un enregistrement ultérieur de sa naissance; la décision
de justice relative à la date et au lieu de naissance devrait lier
l’administration. Les Etats qui comptent un grand nombre d’apatrides,
de personnes de nationalité indéterminée ou de personnes qui risquent
de devenir apatrides en raison d’une absence d’enregistrement à
l’état-civil devraient prendre des mesures pour reconstituer les
registres d’état-civil détruits et pour assurer l’enregistrement
de ces populations et l’établissement de documents à leur égard.
Il importe d’accorder aux apatrides un accès effectif à la justice, y
compris au moyen d’une aide juridictionnelle gratuite.
53. Il convient par ailleurs de prévoir des garanties contre l’apatridie
en cas de changement de nationalité, car le retrait d’une nationalité
peut avoir l’apatridie pour conséquence. La perte involontaire de
nationalité doit être évitée. Je considère, comme le professeur
de Groot, que certaines questions controversées qui touchent aux
intérêts de l’Etat, comme la pluralité de droits de vote, peuvent
être réglées par une coordination entre les Etats concernés (comme
c’est le cas pour la pluralité d’obligations militaires). La naturalisation
des apatrides devrait être facilitée, par exemple en renonçant aux
conditions de capacités linguistiques et en diminuant le nombre
d’années de résidence en situation régulière exigées pour une demande
de naturalisation.
54. Il convient d’octroyer la nationalité aux enfants nés sur
le territoire d’un Etat et qui n’acquièrent pas une autre nationalité
à la naissance, conformément aux instruments juridiques internationaux,
parmi lesquels la Convention de 1961, la CEN et la Recommandation
CM/Rec(2009)13. Mais je partage avec nos experts l’idée que la CEN
n’est pas parfaite à cet égard. Bien qu’elle exige que la nationalité
soit accordée à ces enfants, elle admet aussi la condition de «résidence
légale et habituelle» pendant une période de cinq ans au maximum lorsque
l’Etat ne prévoit pas de droit l’acquisition de la nationalité à
la naissance et qu’une demande doit être déposée au nom de l’enfant
auprès de l’autorité compétente (article 6.2.
b).
Le cas de l’Estonie et de la Lettonie, que nous avons évoqué plus
haut, montre que la procédure d’octroi sur demande de la nationalité
aux enfants apatrides ne permet pas nécessairement de prévenir l’apatridie,
de sorte que l’octroi, de droit, de la nationalité à la naissance
semble le seul moyen efficace de réaliser cet objectif. En outre,
comme l’a fait remarquer Mme Sturkenboom lors de l’audition de novembre
2012, la condition de «résidence légale» n’est pas conforme à la Convention
de 1961
. Dans les pays qui imposent
une condition de résidence légale ou permanente, les enfants en
situation de migration irrégulière demeurent apatrides, même s’ils
ont habituellement résidé dans le pays où ils sont nés pendant une
longue période et s’ils n’ont aucun lien pertinent avec un autre
pays. Le souhait des parents de ne pas enregistrer leur enfant,
qui dans ce cas serait apatride, en qualité de citoyen de l’Etat
dans lequel il est né pourrait être respecté uniquement s’ils apportent
la preuve que l’enfant obtiendra immédiatement la nationalité d’un
autre Etat, car le choix de demeurer apatride ne saurait en aucun
cas être conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.
55. A cet égard, nous avons, en notre qualité de parlementaires,
un rôle déterminant à jouer, en persuadant nos collègues parlementaires
d’adopter des lois conformes aux principes précités et en tenant
nos gouvernements pour responsables de leur mise en œuvre. C’est
la raison pour laquelle j’invite les parlements nationaux à adopter
une législation qui permettra l’acquisition de la nationalité par
les apatrides sans obstacle excessif et qui empêchera les enfants
de devenir apatrides à la naissance. Mais il ne suffit pas d’avoir
de bonnes lois, conformes aux normes internationales; il importe
de les mettre en œuvre de manière à garantir une véritable protection
contre l’apatridie. J’invite également toutes les autorités nationales
à définir et à mettre en œuvre une politique qui remédiera à l’absence
d’enregistrement à l’état-civil et/ou d’établissement de documents,
ainsi qu’à toute autre situation qui pourrait contribuer à une apatridie,
en levant les obstacles dans ce domaine.
8.2. L’accès à la nationalité
des immigrés de longue durée
56. Comme l’a souligné le haut-commissaire pour les minorités
nationales dans ses Lignes directrices de Ljubljana, «une politique
de nationalité inclusive et non discriminatoire représente un aspect
important de la politique d’intégration» et l’accès à la nationalité
est un «élément essentiel de l’intégration»
. La tendance à refuser
aux migrants de longue durée l’accès à la nationalité du pays de
résidence est un obstacle à leur pleine intégration dans ce pays.
Elle les prive notamment de la pleine jouissance des droits politiques,
puisque ceux-ci sont généralement subordonnés à la nationalité.
Elle entraîne également une discrimination dans divers domaines.
Ainsi, les migrants de longue durée peuvent souvent avoir l’impression
d’être traités comme des individus de deuxième classe. La situation
de leurs enfants est encore plus préoccupante: ils risquent de devenir
apatrides (s’ils n’acquièrent ni la nationalité de leurs parents,
ni celle de leur pays de naissance) ou de souffrir de certains désavantages
dans leur pays de naissance et de résidence parce qu’ils ne possèdent
que la nationalité du pays d’origine de leurs parents, avec lequel
il arrive qu’ils n’aient aucun lien véritable. Dans certains cas,
les enfants n’ont pas la nationalité de leur pays de naissance et
de résidence uniquement parce que leurs parents n’ont pas rempli
les conditions complexes des demandes de nationalité dans les délais prescrits.
Compte tenu de l’augmentation du nombre de migrants au cours des
dernières décennies, cette situation s’avère préoccupante.
57. La pluralité de nationalités devient une indéniable réalité
dans bon nombre de sociétés européennes, en raison de la circulation
croissante des personnes à travers les frontières, de la diversité
au sein des familles à travers les générations et des mesures prises
par les Etats pour conserver des liens juridiques avec les populations
émigrées à l’étranger. Je considère donc qu’il convient de ne pas
empêcher les immigrés de longue durée et leurs descendants d’acquérir
la nationalité de leur pays d’accueil, tout au moins lorsque l’abandon
de leur nationalité d’origine n’est pas possible, ce que traduit
également l’article 16 de la Convention européenne sur la nationalité
de 1997, qui traite de la conservation de la nationalité antérieure
. L’octroi
de la nationalité aux résidents de longue durée, sans exiger qu’ils
renoncent à leur nationalité précédente, ne peut que favoriser leur
intégration dans leur pays de résidence. S’agissant des procédures
de naturalisation, il importe que les Etats (au moins ceux qui adhèrent
à la CEN) mettent en œuvre les principes nés de la CEN: la période
de résidence exigée pour la naturalisation ne devrait en aucun cas
excéder dix ans, cinq ans idéalement. Il convient de respecter les
conditions de procédure et d’éviter toute discrimination des citoyens naturalisés.
Il importe que les dispositions relatives aux questions de nationalité
ne comportent aucune distinction susceptible d’entraîner une discrimination.
8.3. Vers une nouvelle
convention?
58. Compte tenu des tendances actuelles de la naturalisation
des migrants, de l’acceptation de la pluralité de nationalités,
du nombre d’instruments juridiques internationaux en vigueur et
de la faible ratification des principaux d’entre eux, comme la CEN,
on peut se demander si une nouvelle convention ne s’avérerait pas nécessaire.
On peut également considérer que la CEN pourrait être améliorée,
par exemple en définissant le critère de «la résidence légale et
habituelle» ou en traitant spécifiquement de la nationalité des
enfants nés à l’étranger hors des liens du mariage
.
59. Selon le professeur de Groot, une nouvelle convention complète
sur les questions de nationalité ou un protocole à la CEN fondé
sur la Recommandation CM/Rec(2009)13 serait souhaitable, mais son
élaboration pourrait présenter quelques risques, car certains acquis
existants pourraient être remis en question au cours des négociations.
Qui plus est, cette nouvelle convention ou ce nouveau protocole
pourrait rencontrer les mêmes difficultés de ratification que la
CEN. Je suis donc enclin à penser, comme le professeur Galicki,
que le cadre juridique existant est suffisant, mais qu’il convient
d’améliorer sa mise en œuvre.
8.4. Un nouveau comité
d’experts?
60. La CEN et la Convention sur la prévention des cas
d’apatridie en relation avec la succession d’Etats de 2006 ont été
rédigées par le Comité d’experts sur la nationalité, qui a été créé
en 1995 et a subitement mis un terme à ses activités en 2005, après
avoir achevé ses travaux sur cette dernière convention. Il y a eu,
par la suite, une tentative de poursuivre ses activités sous la
forme du Groupe de spécialistes sur la nationalité (CJ-S-NA), qui,
après s’être réuni trois fois en 2008, a cessé ses activités en
2009 en adoptant son rapport final
. Ce
dernier recommande au CDCJ de réinstituer dès que possible le Comité
d’experts sur la nationalité, composé des représentants de tous
les Etats membres, et de lui donner notamment pour mandat de:
- régulièrement promouvoir et
faire le point sur l’adhésion aux conventions du Conseil de l’Europe
et aux autres instruments dans le domaine de la nationalité;
- examiner les questions pertinentes dans le domaine de
la nationalité où de futurs travaux du Conseil de l’Europe – qui
ne se limitent pas aux activités normatives, – si nécessaire;
- proposer et entreprendre des activités pertinentes dans
le domaine de la nationalité, y compris en coopération avec des
institutions partenaires;
- préparer, promouvoir et assurer le suivi des Conférences
européennes sur la nationalité.
61. Bien qu’une quatrième Conférence européenne sur la nationalité
ait eu lieu en décembre 2010, la recommandation susmentionnée de
réactiver le Comité d’experts sur la nationalité n’a jamais été
suivie d’effet. Je considère qu’au vu de l’importance des questions
de nationalité dans les sociétés actuelles, en raison de la mobilité
internationale et de l’ampleur de l’apatridie en Europe, la réactivation
de ce comité serait extrêmement utile, car il pourrait régulièrement
suivre la mise en œuvre de la CEN et des autres conventions relatives
à la nationalité, promouvoir l’adhésion à ces instruments et proposer
de nouvelles normes, si besoin était.
62. Comme l’a souligné à juste titre un expert, ces 15 dernières
années le Conseil de l’Europe «s’est pour l’essentiel attaché au
développement de normes juridiques sur l’apatridie, alors que d’autres
domaines, à l’exception de la promotion de l’adhésion à la Convention
européenne sur la nationalité et à la Convention sur la prévention
des cas d’apatridie en relation avec la succession d’Etats, n’ont
pas été explorés ou développés»
. Il
serait donc utile d’examiner les autres questions juridiques relatives
à l’augmentation des cas de pluralité de nationalités, comme l’acquisition
de la nationalité à la naissance, par naturalisation ou par réintégration
.
Une réflexion plus approfondie pourrait être menée, surtout à propos
de la naturalisation, sur les notions de «résidence»
associés
à la naturalisation et à la réintégration ou, plus précisément de «résidence
habituelle» des parents d’un enfant né sur le territoire d’un Etat,
lorsque l’acquisition de la nationalité se fait par le droit du
sol
(voir Recommandation
CM/Rec(2009)13). Une étude d’experts de 2012 proposait que ces questions,
y compris la façon de qualifier le caractère discontinu de la résidence
ou de démontrer la réalité d’une présence) soient développées dans
une nouvelle recommandation du Comité des Ministres
.
8.5. Conclusion
63. Bien que la question de l’octroi de la nationalité
ait été considérée pendant longtemps comme une prérogative des Etats,
la nationalité est aujourd’hui de plus en plus envisagée comme une
question relative aux droits de l’homme. L’harmonisation de ces
deux tendances s’impose. Il existe désormais un compromis sur le
fait que le droit à une nationalité est un droit individuel, mais
que les conditions de son octroi sont définies par les Etats. Toutefois,
trois principes fondamentaux doivent être respectés par les Etats:
i) toute personne a droit à une nationalité, ii) l’apatridie doit
être évitée et iii) nul ne doit être arbitrairement privé de sa
nationalité.
64. La CEN et la Convention sur la prévention des cas d’apatridie
en relation avec la succession d’Etats de 2006 comportent quelques
dispositions essentielles, dont la mise en œuvre revêt une importance
capitale pour la jouissance effective du droit à une nationalité
dans l’espace du Conseil de l’Europe. Ce sont les suivantes:
i. le principe de non-discrimination,
en droit et en pratique;
ii. la protection particulière qui doit être accordée par
les Etats aux enfants nés sur leur territoire et qui n’acquièrent
pas d’autre nationalité à la naissance;
iii. les conditions restrictives en vertu desquelles une personne
peut perdre sa nationalité de plein droit;
iv. l’obligation faite aux Etats de motiver par écrit leurs
décisions prises en matière de nationalité.
65. Toutefois, l’expérience (et notamment l’étude précitée menée
dans l’Union européenne et les pays de l’AELE) montre que la mise
en œuvre de ces normes se heurte à des obstacles dans de nombreux
Etats membres du Conseil de l’Europe. En outre, la CEN et les autres
instruments du Conseil de l’Europe relatifs aux questions de nationalité
n’ont été ratifiés que par une minorité de ses Etats membres, tandis
que les conventions des Nations Unies de 1954 et 1961, qui visaient
à prévenir l’apatridie, n’ont toujours pas été ratifiées par certains
Etats membres du Conseil de l’Europe.
66. Il convient donc de mettre davantage l’accent sur la nécessité
de ratifier et de mettre en œuvre ces instruments, afin que le «droit
d’être titulaire de droits» soit garanti dans l’ensemble de l’espace
du Conseil de l’Europe. Il importe que la CEN soit ratifiée par
l’ensemble des Etats membres et soit mise en œuvre, car elle représente
le principal instrument capable de combler les lacunes nées de l’absence
de droit à une nationalité dans la Convention européenne des droits
de l’homme. Comme nous l’avons indiqué plus haut, la CEN est neutre
à l’égard de la pluralité de nationalités et sa ratification n’entraînerait
pas automatiquement la pleine acceptation de ce phénomène. Elle
ne conférerait pas davantage l’accès illimité à la nationalité aux
immigrés de longue date, car elle permet aux Etats membres de les
naturaliser après une période maximale de dix ans de résidence «légale
et habituelle» et les Etats conservent une marge d’appréciation
étendue pour l’application concrète de ce critère.
67. Les questions relatives à la nationalité ont toujours présenté
énormément d’intérêt pour le Conseil de l’Europe. Elles ont même
été inscrites sur la liste de ses priorités lors du Sommet des chefs
d’Etat et de Gouvernement de Varsovie en 2005
. C’est la raison pour laquelle il
convient de reprendre les travaux sur les questions de nationalité,
si possible au travers d’un comité d’experts qui pourrait promouvoir
l’adhésion à la CEN et réfléchir à d’autres moyens de l’améliorer.
68. Prévenir l’apatridie en général et accorder un accès à la
nationalité aux résidents en situation régulière de longue date
est sans aucun doute une question aussi bien politique que juridique,
car ces deux objectifs relèvent de la compétence des Etats. L’ampleur
de l’immigration dans de nombreux pays d’Europe (occidentale) a
entraîné une instrumentalisation de l’octroi de la nationalité dans
le cadre des politiques d’intégration et l’importance de la nationalité
en tant que statut identitaire s’est accrue ces toutes dernières années
. Les Etats doivent trouver le moyen
d’utiliser la naturalisation comme une mesure d’intégration, de façon
non discriminatoire, afin d’améliorer l’intégration de groupes importants
de résidents de longue date qui n’en sont pas ressortissants. Lorsque
ces groupes sont apatrides, en droit ou de fait, leur présence de
longue durée «va à l’encontre de l’intégration de la société et
peut présenter des risques pour la cohésion et la stabilité de la
société»
.
69. Aucune avancée n’est possible sans volonté politique. Il convient
donc d’accorder à ces questions un caractère plus prioritaire et
que des mesures supplémentaires soient prises par les gouvernements,
les médiateurs, les institutions nationales de défense des droits
de l’homme et la société civile. Il importe par ailleurs que les
gouvernements intensifient la coopération avec des comités d’experts
internationaux, afin de prévoir un cadre dans lequel régler les
problèmes posés par les questions de nationalité, et qu’ils améliorent le
partage interétatique des informations relatives aux questions de
nationalité.