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Rapport | Doc. 13372 | 17 décembre 2013

Les réfugiés syriens: comment organiser et soutenir l'aide internationale?

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Jean-Marie BOCKEL, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 3958 du 26 avril 2013. 2014 - Première partie de session

Résumé

Depuis le début du conflit en Syrie, 2,2 millions de Syriens dont 1,1 millions d’enfants ont fui le pays et, en Syrie même, 6,8 millions de personnes ont besoin de l’aide humanitaire et 4,25 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays.

Malgré les différents appels lancés par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, et le Premier ministre de la Turquie, et malgré l’aide fournie par les pays frontaliers et les Etats membres du Conseil de l’Europe, la situation ne cesse de s’aggraver et les victimes du conflit continuent à souffrir du manque d’eau potable, de nourriture, de vêtements et d’hébergement décent.

Particulièrement préoccupant est le du fait que les femmes et les enfants subissent dans certains camps de réfugiés des violences sexuelles et des violences fondées sur le genre.

Les Etats doivent, entre autres, faire preuve de générosité et de solidarité avec les pays voisins de la Syrie, afin d’alléger la pression exercée sur eux, prévoir un plan de contingence d’urgence pour prévenir tout nouvel afflux massif de réfugiés syriens et prendre toutes les mesures nécessaires pour fournir les ressources vitales.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 20 novembre
2013.

(open)
1. Selon les estimations fournies par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), environ 2,2 millions de Syriens ont fui le pays pour demander la protection aux pays voisins, parmi lesquels quelque 1,1 million sont des enfants. En Syrie même, on dénombre, selon les mêmes sources, environ 6,8 millions de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire (3,1 millions d’enfants) et 4,25 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont la situation mérite d’être examinée.
2. L’Assemblée parlementaire soutient l’appel lancé par M. Chaloka Beyani, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, demandant aux parties au conflit de donner les moyens nécessaires aux organisations internationales et aux organisations non gouvernementales (ONG) d’aider les personnes déplacées à l’intérieur du pays, notamment les femmes et les enfants, ainsi que les groupes vulnérables.
3. L’Assemblée exprime une nouvelle fois sa gratitude aux autorités turques, jordaniennes, libanaises et irakiennes pour avoir accueilli un nombre considérable de réfugiés et ce, malgré tous les problèmes de logistique que cela entraîne, et elle remercie les Etats membres ou non-membres du Conseil de l’Europe qui ont accepté d’accueillir des réfugiés syriens afin d’alléger quelque peu la pression exercée sur les pays voisins de la Syrie. Il s’agit notamment de l’Allemagne, de l’Arménie, de l’Autriche, de la Bulgarie, de la France, du Luxembourg, de la Suède et de la Suisse.
4. L’Assemblée se félicite des initiatives prises par certains Etats membres pour offrir des possibilités de regroupement familial à des réfugiés syriens présents sur leur territoire. Elle prend note des mesures prises par les autorités suédoises et suisses à cet égard et encourage les autres Etats à suivre leur exemple dans la mesure du possible.
5. L’Assemblée regrette toutefois que, dans l’ensemble, les Etats membres n’aient pas adopté de politiques générales en ce qui concerne les réfugiés syriens et qu’ils continuent pour la plupart d’évaluer les demandes d’asile syriennes de manière individuelle.
6. L’Assemblée constate que la situation en Irak, en Jordanie et au Liban devient de plus en plus critique, ces pays devant accueillir de nombreux réfugiés tout en faisant face à la crise économique et au chômage, ce qui exacerbe les tensions déjà existantes entre les populations locales et les réfugiés.
7. L’Assemblée est profondément choquée par les conditions extrêmement précaires dans lesquelles vivent les réfugiés syriens, notamment au Liban. Ce pays ne dispose pas d’infrastructures permettant d’accueillir de nombreux réfugiés, qui souffrent par conséquent d’un manque d’eau potable, de nourriture, de vêtements et d’hébergement. L’Assemblée saisit cette occasion pour rendre hommage au travail des organisations internationales, notamment le HCR, qui s’efforcent néanmoins d’assurer au mieux l’aide humanitaire dans des circonstances difficiles.
8. L’Assemblée souhaite également remercier les autorités turques, ainsi que le Croissant-Rouge turc, d’avoir mis en place des structures d’accueil où les réfugiés syriens peuvent vivre dans des conditions décentes et où les enfants peuvent poursuivre leurs études. Elle soutient pleinement l’appel à l’aide internationale lancé par le Premier ministre de la Turquie, M. Recep Tayyip Erdoğan, pour que la communauté internationale aide son pays à faire face à l’afflux croissant de réfugiés.
9. La situation des femmes et des enfants, qui représentent une grande majorité des réfugiés syriens, est de plus en plus préoccupante. Les enfants sont les premières victimes du conflit syrien et ont besoin d’aide de toute urgence. La plupart d’entre eux rencontrent des difficultés d’accès à l’éducation et certains sont forcés de travailler dans des conditions contraires à la Convention relative aux droits de l’enfant, tandis que de nombreuses femmes subissent des violences sexuelles et des violences fondées sur le genre (viols, mariages forcés, prostitution).
10. L’Assemblée attire également l’attention sur la situation dans les pays d’Afrique du Nord, qui ont accueilli près de 15 000 réfugiés syriens et qui sont de plus en plus affectés par l’afflux massif de réfugiés. La situation est également préoccupante en Egypte, qui accueille plus de 126 000 réfugiés, notamment des réfugiés syriens, dont certains auraient été expulsés vers des pays tiers. On s’inquiète également de ce qu’en Egypte, des enfants réfugiés soient placés en rétention administrative.
11. L’Assemblée demande aux parties au conflit de respecter le droit humanitaire et de permettre aux travailleurs humanitaires d’accéder aux personnes déplacées en Syrie, en particulier aux femmes, aux enfants et aux groupes vulnérables, afin de leur fournir l’aide dont ils ont besoin.
12. En conséquence, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe, les Etats observateurs auprès du Conseil de l’Europe et de son Assemblée parlementaire et les autres Etats concernés par la situation des réfugiés syriens:
12.1. à examiner la possibilité de fournir une protection temporaire ou internationale aux réfugiés syriens conformément à la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés («Convention de Genève de 1951») et leur permettre de travailler durant cette période, comme le fait déjà la Turquie;
12.2. à appliquer le principe fondamental du non-refoulement et à suspendre les retours forcés des Syriens vers la Syrie et les pays limitrophes de la Syrie, compte tenu des difficultés auxquelles ces pays sont confrontés pour gérer l’afflux de Syriens;
12.3. à assurer au maximum l’accès à leur territoire et à leurs procédures d’asile, à fournir des conditions d’accueil appropriées et à veiller à ce que les demandeurs d’asile syriens bénéficient de procédures d’asile efficaces, rapides et équitables, en évitant les visas dits «de transit»;
12.4. à éviter la rétention administrative des Syriens entrés sur le territoire sans documents d’identité ou irrégulièrement, et à n’y recourir que dans des circonstances exceptionnelles et en dernier ressort, après avoir examiné toutes les autres solutions possibles;
12.5. à faciliter l’octroi de visas et de titres de séjour aux Syriens, notamment à des fins d’études ou d’emploi ou pour des raisons humanitaires ou familiales;
12.6. à simplifier et accélérer les procédures de regroupement familial;
12.7. à donner aux organisations humanitaires et aux ONG les moyens administratifs et financiers d’aider les réfugiés syriens, notamment au Liban;
12.8. à faire preuve de générosité et de solidarité lors de l’accueil sur leur territoire de réfugiés syriens, dont la répartition doit être équilibrée entre les pays, et à mettre en place les infrastructures nécessaires de façon à ce que l’hébergement, les installations sanitaires, l’eau, l’éducation, les soins de santé, la nourriture, etc. soient fournis dans des conditions décentes;
12.9. à prévoir un plan de contingence en cas de nouvel afflux massif de réfugiés syriens et fournir une aide au développement supplémentaire aux pays voisins de la Syrie, afin de leur donner les moyens d’accueillir les réfugiés dans la dignité et le respect de leurs droits fondamentaux;
12.10. à prendre des mesures pour fournir toutes les ressources vitales, notamment la nourriture, des vêtements, une aide médicale et un abri temporaire aux personnes déplacées en Syrie et aux réfugiés dans les pays limitrophes;
12.11. à soutenir un programme spécifique d’éducation pour les enfants syriens dans chaque pays d’accueil et à appuyer les efforts en faveur de la promotion de l’éducation des enfants syriens déplacés dans leur pays;
12.12. à assurer une protection adéquate aux femmes et aux jeunes filles;
12.13. à apporter une aide spécifique aux personnes déplacées à l’intérieur du pays qui vivent dans des conditions d’hygiène déplorables;
12.14. à mettre en place un programme de réinstallation pour les réfugiés syriens depuis les pays d’accueil, en faisant éventuellement appel à l’aide de la Banque de développement du Conseil de l’Europe;
12.15. à demander au Gouverneur de la Banque de développement du Conseil de l’Europe d’envisager un don du compte fiduciaire sélectif pour renforcer l’action du HCR en faveur des réfugiés de Syrie.
13. L’Assemblée invite les Etats membres de l’Union européenne:
13.1. à mettre en œuvre, si nécessaire, la Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil;
13.2. à soutenir, dans un souci de solidarité et de partage des responsabilités, les pays de l’Union européenne qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés syriens, et à renforcer leurs capacités d’accueil.
14. L’Assemblée demande à l’ensemble des pays voisins de la Syrie d’ouvrir ou de laisser ouvertes leurs frontières aux réfugiés qui fuient la Syrie.

B. Exposé des motifs, par M. Bockel, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Depuis le dernier rapport présenté par M. Giacomo Santini 
			(2) 
			Doc. 13045, rapport sur la réponse européenne face à la crise humanitaire
en Syrie, et Résolution
1902 (2012)., la situation des réfugiés syriens s’est encore dégradée: l’on s’attend à plus de 3 millions de réfugiés syriens avant la fin de l’année 2013, selon les dernières informations reçues du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). J’aimerais rappeler que ce chiffre a été pratiquement multiplié par dix en une année, puisqu’en octobre 2012, l’on avait dénombré environ 294 000 personnes contraintes de quitter le pays. Un nombre croissant de Syriens affluent en Europe. Dans certains pays, le nombre de demandeurs d’asile en provenance de la Syrie atteint entre 3 000 et 5 000 personnes par mois et ces demandes ne sont pas près de s’arrêter.
2. La crise syrienne dure depuis trop longtemps avec des conséquences sur le plan humanitaire qui sont inacceptables. Malgré les efforts des pays d’accueil, des organisations internationales, des organisations non gouvernementales (ONG) et des donateurs, les conditions dans lesquelles vivent les réfugiés se détériorent de plus en plus. Le présent rapport vise avant tout à alerter une fois de plus la communauté internationale sur la situation plus que précaire que connaissent les réfugiés syriens et de lui demander de faire preuve de solidarité avec les pays frontaliers de la Syrie qui ont accueilli la majorité de ces réfugiés et qui se retrouvent pratiquement au bord de l’asphyxie. Il s’agit, avant tout, d’aider ces pays à assurer des conditions de vie décentes aux réfugiés, en portant une attention particulière à des éléments essentiels comme l’éducation, la santé et le logement, mais également d’accueillir les réfugiés afin d’alléger la charge supportée par les pays frontaliers.
3. Gardant à l’esprit que plus de 75 % des réfugiés sont des femmes et des enfants, il m’est apparu indispensable de mettre l’accent sur la situation précaire dans laquelle ils se trouvent.
4. Enfin, à la lumière des appels à l’aide lancés par les dirigeants des différents Etats frontaliers, le rapport a comme but premier de réitérer notre appel aux Etats membres pour qu’ils fassent preuve de solidarité et de partage de responsabilité en prenant les mesures nécessaires pour accueillir au mieux les réfugiés syriens.
5. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, j’ai effectué une visite au Liban et en Turquie du 19 au 22 août 2013. Je souhaite remercier tous ceux m’ayant accompagné dans la préparation de cette visite, en particulier le HCR ainsi que les autorités turques.

2. La situation en Turquie

6. Selon les dernières estimations fournies par les autorités turques, environ 200 000 réfugiés sont accueillis dans 21 camps et 400 000 sont hébergés dans des familles. Il est fort possible, selon les estimations du HCR, que l’on atteigne le million de réfugiés d’ici la fin de l’année.
7. Tout comme en Irak et en Jordanie, les réfugiés sont abrités dans des tentes installées dans les camps. La situation en Turquie est complètement différente de celle que j’ai pu constater au Liban.
8. Les camps que j’ai eu l’occasion de visiter près d’Hatay comptent environ 6 500 personnes réparties dans 214 tentes et 300 «containers». Les camps sont très bien administrés par les autorités turques. Ils disposent d’un accès à l’eau potable et à l’électricité, et bénéficient également d’installations sanitaires, d’une infirmerie et d’un local internet.
9. Les administrateurs responsables des camps essaient de regrouper au mieux les familles et les réfugiés se voient octroyer une somme, fixée par le Programme Alimentaire Mondial et les autorités turques, de 80 livres turques (environ 30 euros) par personne et par mois pour les achats personnels. Cela permet aux réfugiés de mener un semblant de vie sociale et d’avoir ainsi des contacts avec les habitants en dehors des camps.
10. Le gouvernement et la Société du Croissant-Rouge turc, conformément aux normes en vigueur dans le domaine du droit humanitaire international, aident les réfugiés qui se trouvent sur les lignes frontières du côté syrien, afin de leur donner le meilleur accueil possible, ces derniers vivant le plus souvent dans des conditions précaires et un environnement dangereux.
11. Le nombre de réfugiés ayant doublé depuis le début de l’année 2013, la gestion de la situation commence à devenir une charge de plus en plus lourde pour le pays, à laquelle se greffe le problème d’une sécurité fragile. Le souvenir du double attentat, qui a fait 51 morts le 11 mai à Reyhanli, dans la province d’Hatay, près de la frontière syrienne, est encore frais dans les mémoires. Le Gouvernement turc attribue ces attaques à des groupes de terroristes de la gauche radicale 
			(3) 
			Le Monde, «Le sud de la Turquie
craint d’être pris dans le chaos syrien», 15 mai 2013: <a href='http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/05/15/le-sud-de-la-turquie-craint-d-etre-pris-dans-le-chaos-syrien_3229570_3214.html'>www.lemonde.fr/europe/article/2013/05/15/le-sud-de-la-turquie-craint-d-etre-pris-dans-le-chaos-syrien_3229570_3214.html.</a>. Il faut rappeler que, suite à ces attentats, des familles syriennes ont commencé à vouloir quitter Reyhanli, considérée parfois comme le point de chute de la rébellion syrienne 
			(4) 
			Le Monde, «L'attentat de Reyhanli
fragilise la mosaïque ethnique et religieuse turque», 13 mai 2013: <a href='http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/13/l-attentat-de-reyhanli-fragilise-la-mosaique-ethnique-et-religieuse-turque_3176343_3218.html'>www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/13/l-attentat-de-reyhanli-fragilise-la-mosaique-ethnique-et-religieuse-turque_3176343_3218.html.</a>, pour prendre le risque, non moindre, de rentrer en Syrie. Pour mémoire, j’aimerais rappeler que la ville d’Hatay, anciennement appelée Antioche, faisait partie de la Syrie, tout en étant sous mandat français depuis la chute de l’Empire Ottoman, jusqu’en 1939, année où elle a été rattachée à la Turquie. Beaucoup de personnes vivant à Hatay appartiennent à la communauté alaouite.
12. Face à la situation en Syrie, qui ne cesse de s’aggraver, des pourparlers se sont engagés en Turquie afin d’examiner la possibilité de considérer les Syriens non plus comme des invités mais comme des réfugiés, ce qui leur donnerait plus de droits. Les autorités turques sont cependant conscientes que ce changement pourrait avoir des conséquences sur les habitants, l’emploi et la sécurité.
13. Je ne peux que soutenir, dans ce contexte, l’appel lancé par le Premier ministre de la Turquie, M. Recep Tayyip Erdoğan, invoquant les difficultés rencontrées par son pays pour faire face à l’afflux croissant de réfugiés syriens et rappelant que son pays a fourni gratuitement la nourriture ainsi que l’éducation et les soins médicaux aux réfugiés syriens vivant en Turquie.

3. La situation au Liban

14. Le Liban est le pays frontalier le plus touché par le conflit, puisque l’on estime à 2 200 le nombre de réfugiés syriens arrivant au Liban chaque jour, y compris un nombre important de femmes et d’enfants qui se retrouvent en grandes difficultés sur le plan financier et humanitaire. Selon les informations du HCR, l’on compte à l’heure actuelle environ 764 000 réfugiés enregistrés ou en attente d’enregistrement et selon les dernières estimations une personne sur quatre au Liban serait un réfugié syrien.
15. Le choix d’insister sur la situation au Liban n’est pas anodin dans la mesure où le Liban, qui compte environ 4 millions d’habitants, a accueilli massivement les réfugiés syriens. Cette décision a mis à rude épreuve ses capacités d’accueil, puisque, selon le HCR, l’on estime qu’à la fin de l’année environ 1 million de Syriens auront trouvé refuge au Liban.
16. J’aimerais souligner que cette situation est d’autant plus difficile que le Liban traverse lui-même une période de crise à la fois politique, sociale et économique et que les conflits aux frontières avec la Syrie ne font qu’exacerber cette situation.
17. Les réfugiés syriens ont toujours été très présents au Liban. En effet, depuis la fin de la guerre civile libanaise et suite aux accords de Taëf en 1989, ainsi qu’aux accords signés entre la Syrie et le Liban, beaucoup de Syriens sont venus au Liban à la recherche d’un travail et ce, essentiellement, dans la région de Beyrouth.
18. Dans ce contexte, j’aimerais également attirer l’attention sur les conditions de vie très précaires dans lesquelles vivent les réfugiés palestiniens et qui se trouvent essentiellement dans les zones de non-droit, dans des camps sans eau et sans électricité.
19. D’après les échanges de vues que j’ai pu avoir avec des citoyens libanais, la situation des réfugiés syriens se complique par le fait que, à l’heure actuelle, il n’existe aucun cadre juridique pour aider les Syriens. Cette position s’explique notamment par le risque que les réfugiés qui sont sunnites et prêts à prendre les armes pour renverser le régime syrien font peser sur le Liban.
20. J’aimerais rappeler que le Liban ne reconnaît pas officiellement un statut en tant que tel pour les réfugiés syriens, alors que le statut de réfugié palestinien est reconnu.
21. Lors de ma visite dans les centres collectifs d’hébergement, j’ai pu constater que la plupart des réfugiés qui y vivent sont pauvres et vivent dans des conditions plus que précaires, indignes des principes qui nous gouvernent en matière de protection des droits de l’homme.
22. A titre d’exemple, lors de ma visite au centre collectif d’Abu Eliwa, où vivent environ 32 familles, ce qui fait approximativement 150 personnes, les réfugiés avec qui j’ai eu l’occasion de m’entretenir, m’ont fait part, sans agressivité aucune, j’aimerais le souligner, des conditions dans lesquelles ils vivaient: eau insalubre, pas de sanitaire, aucune aide, loyers élevés, aucune école pour les enfants. A cela, j’ajoute la question des visas à faire renouveler, dont le montant s’élève à environ 250 euros, somme astronomique pour eux.
23. Leur souhait premier est d’avoir des produits de première nécessité: couches pour bébés, couvertures pour l’hiver, ainsi que l’accès à des cliniques mobiles, etc.
24. En outre, certains réfugiés issus d’un milieu plus aisé ont essayé de trouver des logements lorsqu’ils ne pouvaient être hébergés par leur famille, ce qui a entraîné une flambée des prix de l’immobilier.
25. Les réfugiés qui sont plus pauvres reçoivent des aides matérielles et financières de l’Etat libanais et d’organisations internationales, comme Médecins sans frontières, le HCR ou l’UNICEF. De petites associations locales prennent également en charge, dans la mesure de leurs moyens, les enfants et les malades, et aident les réfugiés à construire des logements.
26. Au cours de mes échanges de vues avec les autorités libanaises, il s’avère que l’afflux massif de réfugiés a des conséquences sur la paix sociale et certains ont estimé que l’on se trouvait, en ce moment, sur une «poudrière» prête à s’enflammer. L’on constate une montée de la criminalité et du chômage, une baisse des salaires, dont on accuse les Syriens. Un sondage effectué en juillet 2013 par l’AFP a montré qu’environ 54 % des Libanais ne voulaient plus de réfugiés syriens, estimant que leur présence était dangereuse pour la stabilité du pays. L’on a pu constater d’ailleurs une recrudescence des attentats et des violences ainsi que des tensions croissantes entre les communautés. Il va sans dire que cette insécurité affecte également le tourisme qui représentait 20 % du produit intérieur brut (PIB) libanais.
27. A titre d’exemple, j’ai pris connaissance du fait qu’à Jezzine, principale ville chrétienne du Sud-Liban, la mairie a pris des mesures drastiques en interdisant les rassemblements de Syriens, ce, suite aux plaintes résultant de la recrudescence de la délinquance et la police municipale a expulsé environ 30 familles installées dans des échoppes commerciales, bien qu’elles payaient un loyer.
28. A Aley, ville touristique près de Beyrouth, les autorités municipales ont instauré un couvre-feu pour les Syriens. Ces exemples montrent ainsi l’équilibre précaire où se trouve le Liban.
29. La situation dans les campagnes est nettement plus facile puisque, dans les villages, les habitants font preuve de plus de solidarité. Les réfugiés peuvent, par exemple, prendre possession d’un garage vide ou encore louer des maisons à des loyers moindres.
30. En conséquence, l’ampleur de la crise existante au Liban ne peut être sous-estimée et il devient urgent d’augmenter l’aide humanitaire pour fournir de l’eau, de la nourriture, des soins et des abris aux réfugiés car la situation prévalant dans le pays à l’heure actuelle fragilise au maximum la situation des réfugiés et des acteurs de l’aide humanitaire qui craignent de plus en plus pour leur vie.
31. J’aimerais également exprimer mon regret quant au manque de fonds suffisants permettant aux organismes locaux et internationaux de répondre efficacement aux besoins des personnes affectées par la crise syrienne. N’ayant reçu des donateurs que 40 % des financements nécessaires, le HCR, par exemple, s’est vu contraint de supprimer l’aide alimentaire d’une partie des réfugiés et ce, à compter du 1er octobre 2013, et de ne fournir qu’une «assistance ciblée à ceux qui en ont le plus besoin», accompagnée d’une assistance sanitaire et éducative.

4. La situation dans les autres pays frontaliers

32. La situation dans les autres pays frontaliers est, elle aussi, tout aussi dramatique puisque ces pays manquent cruellement d’aide dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’eau ou de ressources énergétiques et, si rien ne bouge, il est plus que probable que la population commencera à exercer des pressions pour que les gouvernements ferment les frontières et qu’un grand nombre de réfugiés se rendent en Europe.

4.1. La situation en Jordanie

33. La Jordanie accueille à l’heure actuelle environ 525 000 réfugiés syriens, qui sont presqu’exclusivement des sunnites qui vivaient dans les zones bombardées. Ils représenteraient ainsi environ 10 % de la population de la Jordanie. Une grande partie vient de Damas et a des ressources financières, le reste venant plutôt des régions rurales.
34. Au départ, les premiers réfugiés ont été hébergés dans leurs familles ou chez des amis, mais, par la suite, les réfugiés ont été accueillis le plus souvent dans les campagnes ou dans les camps, faute de ressources financières. J’aimerais rappeler qu’en Jordanie, il n’y a que quatre camps et 85% des réfugiés passent d’abord dans le camp de Zaatari pour y faire établir des papiers. Ils ne peuvent en sortir que si un Jordanien se porte garant.
35. Selon les informations reçues, les conditions de vie dans les camps sont inhumaines. Le camp de Zaatari, par exemple, se trouve dans une région très aride, battue par les vents, sans approvisionnement d’eau, ce qui entraîne, comme dans la plupart des autres pays frontaliers, des maladies, mais également une montée des tensions et des violences, ainsi qu’une augmentation de la prostitution. Ce à quoi s’ajoute l’interdiction de travailler, favorisant ainsi le travail au noir.

4.2. La situation en Irak

36. Je n’ai pas pu me rendre en Irak mais lors des échanges de vues que j’ai pu avoir, on m’a fait part d’une intensification de l’arrivée de réfugiés syriens en Irak et plus spécifiquement dans le nord du pays et dans le Kurdistan où des camps ont été mis en place, notamment depuis le 15 août 2013.
37. En outre, depuis la fin du mois d’août 2013, les combats ont repris dans la région kurde de Syrie, ayant pour conséquence l’arrivée de près de 40 000 personnes. A l’heure actuelle, l’on compte environ 197 844 Syriens, y inclus ceux en attente d’enregistrement.
38. Il va sans dire que la situation sur le plan humanitaire se détériore très rapidement. Un appel urgent des autorités irakiennes a été lancé pour sensibiliser la communauté internationale.

5. La situation dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe

39. Selon les données fournies par l’Union européenne, 24 000 réfugiés syriens ont demandé l’asile dans les pays de l’Union européenne en 2012. Ces demandes sont en hausse, mais elles restent, malgré tout, modérées. L’objectif d’accueil fixé par le HCR serait de 10 000 personnes au niveau européen. Au moment de la rédaction de ce rapport, environ 17 Etats ont accepté d’accueillir des réfugiés syriens afin d’alléger les pays frontaliers de la Syrie.
40. Dans ce contexte, je ne peux que saluer l’initiative prise par les autorités allemandes d’accorder l’asile à 5 000 ressortissants syriens. Ces réfugiés disposeront d’un permis de séjour de deux ans pouvant éventuellement faire l’objet d’une prolongation selon la situation en Syrie. Je me dois de souligner qu’il s’agit là du plus important programme d’octroi de l’asile aux réfugiés syriens en Europe. Selon le ministère de l’Intérieur allemand, près d’un millier de demandes d’asile ont été déposées durant le seul mois d’août 2013 et un certain nombre de réfugiés syriens, encore non enregistrés, continuent à entrer dans le pays par des voies irrégulières et souvent dangereuses.
41. Le Gouvernement suédois, quant à lui, a décidé d’accorder aux ressortissants syriens se trouvant déjà sur son territoire un permis de séjour permanent, ainsi que le droit au regroupement familial. L’on compte environ 8 000 réfugiés syriens qui sont arrivés dans le pays depuis 2012 et qui ont obtenu un visa pour trois ans. La Suisse, de son côté, a également décidé de faciliter au maximum le regroupement familial.
42. De son côté, le Gouvernement français, suite à la demande du HCR, a également assoupli ses mesures et a accepté d’accueillir 500 réfugiés syriens «en situation de vulnérabilité». Selon les informations du HCR, environ 850 Syriens ont fait une demande d’asile en France depuis le mois de janvier 2013 et 47 000 au niveau de l’Union européenne.
43. Pour ce qui est du reste de l’Europe, certains réfugiés ayant traversé la Turquie ont demandé l’asile en Grèce et en Bulgarie où les centres d’accueil commencent à être surpeuplés, obligeant ainsi les autorités à loger certains d’entre eux dans des centres de rétention dont les conditions sont plus que précaires.
44. Selon les informations récentes du HCR, l’Italie relève une augmentation accrue des arrivées par bateau de réfugiés syriens en provenance principalement d’Egypte et de Turquie. Sur une période de 40 jours, près de 3 300 Syriens, dont plus de 230 enfants non accompagnés, seraient entrés sur le territoire italien, notamment en Sicile.

6. La situation dans les pays d’Afrique

45. Même si le présent rapport porte essentiellement sur la situation des réfugiés dans les Etats frontaliers et dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, j’aimerais toutefois attirer l’attention sur la situation des réfugiés en Egypte. Ces derniers ont été pour la plupart expulsés vers des pays tiers, y compris des enfants, et d’autres se retrouvent en rétention administrative alors qu’aucune accusation n’a été portée contre eux. Ces exemples ne sont toutefois pas exclusivement liés à l’Egypte, mais l’on constate qu’un grand nombre de pays d’Afrique du Nord sont de plus en plus affectés par le déplacement de réfugiés provoqué par la crise en Syrie. Mes recommandations s’adresseront ainsi tout d’abord aux parties au conflit mais, avant tout, aux Etats membres et non membres de notre Organisation afin qu’ils prennent toutes les mesures possible pour soutenir et aider les réfugiés syriens mais également des mesures leur permettant de faire face à l’afflux massif de réfugiés que ce soit au niveau de l’aide humanitaire ou au niveau de l’aide au développement.

7. La situation des personnes déplacées en Syrie

46. La situation relative aux personnes déplacées en Syrie est alarmante. L’observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) 
			(5) 
			IDMC,
communiqué de presse, 16 août 2012: <a href='http://www.internal-displacement.org/countries/syria'>www.internal-displacement.org/countries/syria</a> et <a href='http://www.internal-displacement.org/8025708F004BE3B1/%28httpInfoFiles%29/9209FA40E72CAFECC1257A5D00445BAF/$file/syria-press-release-aug2012-fr.pdf'>www.internal-displacement.org/8025708F004BE3B1/%28httpInfoFiles%29/9209FA40E72CAFECC1257A5D00445BAF/$file/syria-press-release-aug2012-fr.pdf.</a> estime que l’on compte, sur une population totale de 21,9 millions, 6,8 millions de Syriens ayant été forcés d’abandonner leurs maisons et leurs moyens de subsistance, du fait du conflit actuel. A l’heure actuelle, et selon les informations fournies par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), les mécanismes d’adaptation et les ressources sont pratiquement épuisées. L’accès aux familles déplacées devient de plus en plus difficile pour les organismes sur place, provoquant ainsi des pénuries de nourriture, d’eau et de médicaments et de logements salubres. En outre, les problèmes de sécurité ont également obligé le HCR à réduire ses activités dans le pays.
47. Les besoins de protection et d’assistance des personnes déplacées en Syrie se sont accrus ces derniers temps au fur et à mesure de la détérioration de la situation dans le pays et ces personnes ont fait l’objet d’une augmentation de menaces, de harcèlement, de violences domestiques, d’enlèvements. Ces personnes ont également été les premières touchées par la montée des prix, la pénurie des moyens de subsistance et l’envol des loyers dans les régions dites les plus sûres. La plupart de ces personnes sont devenues complètement dépendantes de l’aide fournie par le HCR et le Croissant-Rouge arabe syrien.
48. Je tiens à souligner que les déséquilibres et les besoins créés par ces déplacements sont des sources préoccupantes d’instabilité venant s’ajouter à la situation déjà critique dans le pays.

8. La situation des femmes et des enfants

49. Les chiffres cités précédemment concernent surtout les femmes et les enfants, puisqu’ils représentent environ 53% de la population de réfugiés. La plupart des femmes réfugiées ont, en outre, été abusées sexuellement ou forcées de se marier et les enfants, quant à eux, se voient interdire l’accès à l’éducation et sont obligés de travailler. En outre, les enfants ont souvent été les témoins d’agressions, de crimes et de violences sexuelles s’ils n’ont pas été eux-mêmes les victimes. La plupart d’entre eux ont fui le pays sans leur famille et, faute d’appui ou d’aide, sont obligés de travailler ou se retrouvent dans des réseaux de prostitution. Selon Mme Melissa Fleming, porte-parole du HCR, le nombre croissant d’enfants non accompagnés résulte du fait que le coût des voyages étant très élevé (entre 2 000 et 5 000 dollars par personne), certaines familles choisissent d’envoyer leurs enfants seuls ou avec des parents ou des amis.
50. Par ailleurs, les organisations internationales ont commencé à mettre en place des centres de planning familial ainsi que des centres de conseil en Jordanie, au Liban et en Irak, portant notamment sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
51. Le Gouvernement libanais avait d’ailleurs lancé un appel en septembre, lors de son déplacement à Genève, pour attirer l’attention de la communauté internationale sur le peu d’aide reçue et sur la situation plus que précaire des enfants qui ne peuvent suivre aucun enseignement, compte tenu du manque de place dans les écoles. La plupart du temps, les enfants réfugiés reçoivent un enseignement «sur le tas» qui est dispensé par des bénévoles se trouvant dans le même camp. Dans ce contexte, j’aimerais saluer l’organisation dans les camps en Turquie où les enfants peuvent suivre les cours et, à titre d’anecdote, lors de ma visite, l’on m’a informé que le matin même l’on avait fait passer des épreuves du baccalauréat aux jeunes réfugiés syriens.

9. Conclusion et recommandations

52. En conclusion, et au vu des constatations faites, la communauté internationale se doit de réagir et de prendre toutes les mesures pour mettre en place une véritable aide humanitaire. Cette aide, pour qu’elle soit efficace, devrait également être accompagnée d’une aide au développement portant sur les infrastructures, les services, et la construction d’écoles et de centres de soin.