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Rapport | Doc. 13383 | 10 janvier 2014

Révision de la Convention européenne sur la télévision transfrontière

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. James CLAPPISON, Royaume-Uni, GDE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12752, Renvoi 3820 du 25 novembre 2011. 2014 - Première partie de session

Résumé

La Convention européenne sur la télévision transfrontière – qui fut le premier traité multilatéral garantissant la libre transmission des programmes à travers les frontières – a désormais 24 ans et n’a été révisée qu’une fois, il y a une dizaine d’années. Conçue à l’origine pour définir les normes minimales de la programmation, de la publicité et du parrainage, elle est largement dépassée du fait de l’évolution de la technologie et de la société. Dans les Etats membres de l’Union européenne, elle a par ailleurs été supplantée par une série de directives de l’Union européenne, qui évoluent et dont le but est identique. De fait, le projet de nouvelle mise à jour de la convention a été interrompu en 2011 en raison de l’opposition de la Commission européenne, qui considérait être l’unique détentrice d’une compétence exclusive en la matière à l’égard des Etats membres de l’Union européenne.

Pourtant, comme le montre clairement le présent rapport, sur les 33 Etats membres du Conseil de l’Europe qui ont ratifié la convention, 13 d’entre eux ne sont pas membres de l’Union européenne. La situation actuelle empêche ces Etats de disposer d’un instrument juridique actualisé dans un environnement médiatique en constante évolution, au risque d’entraîner des conflits de normes.

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme considère que la solution réside dans une révision et une modernisation de la convention par le Conseil de l’Europe, qui tienne compte des normes technologiques les plus récentes. L’Union européenne, de son côté, devrait reprendre les négociations avec le Conseil de l’Europe dans ce domaine, afin d’établir un cadre juridique véritablement paneuropéen pour les questions relatives à la liberté des médias.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 12 décembre
2013.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire rappelle que la Convention européenne sur la télévision transfrontière (STE n° 132, «la CETT») a été le premier instrument juridique international garantissant la libre transmission des programmes sans considération de frontières et qu’elle a été ouverte à la signature peu de temps avant que la Communauté économique européenne (à présent l'Union européenne) n’adopte sa Directive 89/552/CEE «Télévision sans frontières».
2. L’Assemblée observe que le cadre juridique de l’Union européenne applicable aux services audiovisuels a suivi l’évolution technologique depuis 1989, notamment grâce à l’adoption de la Directive «Services de médias audiovisuels» (SMAV) en 2007; la CETT, en revanche, n’a été révisée qu’une seule fois en 2002 et les travaux consacrés à son projet de deuxième protocole d’amendement ont été interrompus en 2009 parce que l’Union européenne y était opposée, au motif qu’elle était seule compétente dans ce domaine.
3. L'Assemblée déplore l’interruption de la révision de la CETT et des travaux de son Comité permanent (T-TT). Elle observe que la situation actuelle peut conduire à des conflits de normes dans les Etats membres liés par la directive actualisée de l'Union européenne et par la CETT non modifiée et empêche les Etats non membres de l'Union européenne de disposer d'un instrument juridique actualisé dans un environnement médiatique en constante évolution.
4. Elle rappelle que la régulation des médias, étroitement associée au droit à la liberté d'expression, a été une priorité du Conseil de l'Europe, qui a établi des normes pertinentes dans ce domaine. L’Assemblée est par conséquent convaincue qu’il convient que le Conseil de l'Europe révise et modernise la CETT, afin de l'adapter aux normes technologiques les plus récentes.
5. L’Assemblée invite dès lors l’Union européenne:
5.1. à préciser quelles sont les questions relatives à la régulation des services de médias audiovisuels qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive;
5.2. à reprendre les pourparlers avec le Conseil de l’Europe sur la révision de la CETT;
5.3. à examiner les autres moyens envisageables visant à l’adoption d’un cadre juridique moderne qui régisse les questions relatives à la liberté des médias à l’échelon paneuropéen.
6. L’Assemblée invite également les Etats membres de l’Union européenne:
6.1. à user de leur influence au sein de l’Union européenne pour que les travaux sur la révision de la CETT reprennent;
6.2. à promouvoir l’établissement d’un cadre juridique paneuropéen cohérent de la liberté des médias, qui protège la liberté d’expression et tienne compte des récentes évolutions technologiques.
7. L’Assemblée invite tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à promouvoir la révision de la CETT et à défendre le rôle majeur joué par le Conseil de l’Europe dans la définition des normes relatives à la politique et à la législation en matière de médias, qui protègent la liberté d’expression en Europe.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 12 décembre
2013.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2014) sur la révision de la Convention européenne sur la télévision transfrontière, recommande au Comité des Ministres:
1.1. de reprendre les travaux sur la révision de la Convention européenne sur la télévision transfrontière (STE n° 132) et les négociations avec l’Union européenne sur cette question;
1.2. d’assurer la reprise des travaux du Comité permanent sur la télévision transfrontière (T-TT);
1.3. si besoin est, d’envisager de rédiger une nouvelle convention portant sur les aspects de la régulation des médias relatifs à la liberté d’expression;
1.4. de rédiger des lignes directrices relatives à la liberté des médias adaptées au paysage médiatique en mutation, en se fondant sur les normes en vigueur, y compris sur celles qui découlent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative au droit à la liberté d’expression.

C. Exposé des motifs, par M. Clappison, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 25 novembre 2011, l'Assemblée parlementaire a renvoyé à la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, pour rapport, la proposition de recommandation intitulée «Révision de la Convention européenne sur la télévision transfrontière» 
			(3) 
			Doc. 12752. Lors de sa réunion du 13 décembre 2011, la commission m'a nommé rapporteur. Le 25 mars 2013, j’ai effectué une visite d’information à Bruxelles. A l’occasion de la réunion du mois d’avril 2013 de notre commission, j’ai proposé de procéder à un échange de vues avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, sur les relations avec l’Union européenne. Comme M. Jagland ne pouvait pas y prendre part pendant la partie de session du mois de juin, il a désigné M. Jan Kleijssen, directeur de la Direction de la société de l’information et de la lutte contre la criminalité, avec lequel la commission a procédé à un échange de vues sur les relations avec l’Union européenne à propos de la télévision transfrontière le 27 juin 2013. Par la suite, lors de sa réunion à Paris le 4 septembre 2013, la commission a procédé à une audition à laquelle ont participé deux experts:
  • M. Tarlach McGonagle, chercheur principal, Institut du droit de l’information (IViR), Faculté de droit, Université d’Amsterdam, Pays-Bas;
  • M. Jean-Paul Jacqué, directeur général honoraire et conseiller spécial au Conseil de l'Union européenne, Bruxelles, professeur associé au Collège d’Europe, Bruges, Belgique.
2. Les auteurs de la proposition de recommandation déplorent que les travaux du projet de deuxième protocole d’amendement à la Convention européenne sur la télévision transfrontière du Conseil de l’Europe (STE n° 132, «la CETT») de 1989 aient été interrompus suite à l’intervention de la Commission européenne, qui soutenait que seule l’Union européenne, et non ses Etats membres, avait compétence pour conclure des accords internationaux dans le domaine traité par la CETT. Par suite de la position adoptée par l’Union européenne, le Conseil de l’Europe a interrompu en janvier 2011 le processus de révision de la CETT. Les Etats membres de l’Union européenne qui ont ratifié la CETT sont par conséquent liés par ses dispositions et par celles de la Directive 2007/65/CE sur les services de médias audiovisuels 
			(4) 
			<a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2007:332:0027:01:FR:HTML'>Directive
2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007
visant la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires
et administratives des Etats membres relatives à l'exercice d'activités
de radiodiffusion télévisuelle (modifiant la Directive 89/552/CEE),
JOUE L 332 du 18 décembre 2007, p. 27-45. </a> («Directive SMAV») de l’Union européenne de 2007, tandis que les Etats non membres de l’Union européenne sont liés uniquement par la CETT. Les auteurs de la proposition de recommandation soulignent que cette situation nuit aux Etats non membres de l’Union européenne et que «les travaux de révision de la Convention du Conseil de l'Europe sur la télévision transfrontière doivent se poursuivre sans délai et sans ingérence de la Commission européenne dans l'intérêt de l'Europe élargie qui n'est pas représentée par l'Union européenne».
3. En 2009, avant l’interruption des travaux de révision de la CETT, la question de sa modernisation avait déjà fait l’objet d’un rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, qui avait débouché sur l’adoption par l’Assemblée de la Recommandation 1855 (2009) sur la régulation des services de médias audiovisuels 
			(5) 
			Voir également Doc. 11775 (rapporteur: M. Andrew McIntosh, Royaume-Uni, SOC). . Dans cette recommandation, l’Assemblée considérait que les progrès technologiques des médias audiovisuels électroniques imposaient la révision de la CETT et constatait que les deux instruments juridiques faisaient l’objet d’une approche différente: alors que l’objectif de la Directive SMAV consistait à «garantir la liberté des services au sein du marché intérieur de l’Union européenne, conformément au droit communautaire», la CETT visait à «garantir la liberté de transmission et de retransmission de services audiovisuels en Europe, sans considération de frontières, conformément à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme» 
			(6) 
			Paragraphes 8 et 9
de la recommandation. .
4. Le sujet qui nous occupe a trait à un certain nombre de points aussi bien juridiques que politiques. Est-il encore possible de donner une nouvelle impulsion à la CETT et d’adopter le projet de deuxième protocole d’amendement ou sont-ils devenus tous deux obsolètes dans un paysage médiatique en constante évolution? Quelles incidences aurait l’éventuelle disparition de la CETT sur le rôle majeur joué par le Conseil de l’Europe dans l’élaboration du droit et de la politique des médias? J’ai donc décidé de rechercher, dans le présent rapport, les raisons pour lesquelles la Commission européenne s’est retirée du processus de révision de la CETT, d’analyser les rapports entre la CETT et la Directive SMAV de l’Union européenne et de réfléchir à la valeur ajoutée de la CETT. J’y propose également un certain nombre de moyens autres que l’adoption du projet de deuxième protocole d’amendement à la CETT, qui permettraient de sortir de l’impasse née du refus de l’Union européenne de voir ses Etats membres l’adopter.

2. Le cadre juridique européen relatif aux services audiovisuels

2.1. Le cadre juridique du Conseil de l’Europe

5. La réglementation des médias, qui forment une subdivision de la liberté d’expression, a été pendant longtemps une priorité pour le Conseil de l’Europe. Le droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10.1 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention»), comprend notamment le droit «de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière»; il peut uniquement être soumis à restriction dans les conditions prévues à l’alinéa 2 de l’article 10. L’article 9 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE n° 157) et l’article 11 de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148) comportent des dispositions similaires. La dimension transfrontière du droit à la liberté d’expression revêt une importance particulière pour les minorités (linguistiques) nationales, pour lesquelles la télévision transfrontière peut être un moyen crucial de maintenir des liens avec leur culture et leur langue d’origine, ainsi qu’avec leurs Etats-parents. Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a réaffirmé davantage encore le rôle joué par l’Etat pour garantir le pluralisme des médias et le droit du public à accéder à un éventail d’informations et d’idées 
			(7) 
			Voir,
notamment, Informationsverein Lentia
et autres c. Autriche, Requête n° 13914/88, arrêt du
24 novembre 1994, et Demuth c. Suisse,
Requête n° 38743/97, arrêt du 5 novembre 2002..
6. La Convention européenne sur la télévision transfrontière a été ouverte à la signature en 1989. Elle a été ratifiée par 33 Etats membres de l’Organisation, dont 20 sont également membres de l'Union européenne 
			(8) 
			Pour
une vue d'ensemble des signatures et ratifications actuelles, voir: <a href='http://www.conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?CL=FRE&CM=&NT=132&DF=18/07/2012&VL='>www.conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?CL=FRE&CM=&NT=132&DF=18/07/2012&VL=</a>.. Elle a été modifiée à une seule reprise par un protocole en 2002 (STE n° 171) 
			(9) 
			A ce jour, le protocole
a été ratifié par 25 Etats membres. Pour une vue d'ensemble des
signatures et ratifications actuelles, voir: <a href='http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?NT=171&CM=8&DF=21/06/2013&CL=FRE'>http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?NT=171&CM=8&DF=21/06/2013&CL=FRE</a>. à la suite de la modification de la directive CCE. Les dispositions relatives à la radiodiffusion au-delà des frontières des Etats membres du Conseil de l'Europe n’ont par conséquent connu aucune modification majeure pendant près de 20 ans.
7. La CETT, qui a été ouverte à la signature peu de temps avant l’adoption par l’Union européenne de sa Directive 89/552/CEE «Télévision sans frontières» 
			(10) 
			<a href='http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:31989L0552:FR:HTML'>Directive
89/552/CEE</a> du Conseil, du 3 octobre 1989, visant la coordination
de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives
des Etats membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion
télévisuelle, JOUE L 298 du 17 octobre 1989, p. 23-30., est la première convention internationale à avoir créé un cadre juridique pour la libre transmission de programmes télévisés transfrontières en Europe. Elle vise essentiellement à mettre en œuvre des normes communes minimales dans des domaines tels que la programmation, la publicité, le parrainage et la protection de certains droits individuels. Elle charge les Etats transmetteurs de veiller à la conformité des services de programmes de télévision avec ses dispositions. En outre, elle garantit le droit de recevoir et de retransmettre les services de programmes conformes aux dispositions minimales de la convention.
8. La CETT est applicable à l'ensemble des programmes transfrontières, quels que soient les moyens techniques de transmission utilisés. La convention ne fait aucune distinction entre les services de médias à la demande et les services gratuits. Tout en protégeant les valeurs essentielles consacrées par les articles 8, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, ses principales dispositions portent sur la liberté d'expression, la protection et la retransmission, l'accès du public aux événements d'importance majeure définis par les Parties, le droit de réponse, l'interdiction de la pornographie, de la violence et de l'incitation à la haine raciale, la protection de la jeunesse, les normes applicables en matière de publicité, le temps de diffusion des publicités, les pauses publicitaires et les dispositions relatives au parrainage des programmes. Enfin, la CETT comporte des dispositions qui visent à améliorer la production européenne et le cinéma européen, en leur réservant un certain temps de diffusion.
9. Un Comité permanent sur la télévision transfrontière (T-TT) composé des représentants de chaque Partie est chargé de contrôler l'application de la convention. Le texte prévoit également des procédures de conciliation et d'arbitrage. En 2007, le Comité permanent de la CETT a lancé un processus de réflexion sur les révisions à apporter à cet instrument, qui a abouti à l’élaboration du projet de deuxième protocole d’amendement à la CETT 
			(11) 
			Pour le texte du projet
de deuxième protocole d’amendement à la Convention européenne sur
la télévision transfrontière et de son exposé des motifs, voir: <a href='http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/media/T-TT/T-TT%20_2009_007FIN_fr%20second%20protocole%20d’amendement.pdf'>www.coe.int/t/dghl/standardsetting/media/T-TT/T-TT%20_2009_007FIN_fr%20second%20protocole%20d'amendement.pdf</a>..

2.2. Le cadre juridique de l'Union européenne

10. En 1989, la Communauté européenne d'alors a adopté sa propre directive consacrée à la télévision transfrontière. Inspirée de la CETT, mais soucieuse avant tout de considérations relatives au marché intérieur, cette directive télévision sans frontières a été révisée en 1997 et transformée en une nouvelle directive «services de médias audiovisuels» 2007/65/CE (Directive SMAV) en 2007. Les Etats membres de l'Union européenne étaient tenus de la transposer avant la fin 2009.
11. La Directive SMAV modifie le contenu et l'intitulé de la directive télévision sans frontières et prévoit une réglementation moins précise et plus souple. Elle modernise également les dispositions relatives à la publicité télévisuelle pour permettre un meilleur financement du contenu audiovisuel. Elle englobe l'ensemble des services de contenu audiovisuel, quelle que soit la technologie utilisée pour la transmission de ce contenu; elle est donc neutre du point de vue technologique. La seule distinction établie est faite entre les services linéaires et les services à la demande. Dans ce système de dispositions à deux vitesses, la directive tient compte d'une série de valeurs sociétales essentielles applicables à l'ensemble des services de médias audiovisuels et prévoit une réglementation plus légère des services à la demande, où les usagers jouent un rôle plus actif en amont et peuvent choisir le contenu et l’heure à laquelle ils le visionnent.
12. Les principales dispositions de la Directive SMAV, qui concrétisent la libre circulation des services prévue par le droit de l'Union européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, garantissent la diversité de réception et de transmission, défendent le pluralisme des médias, visent à façonner l'évolution technologique, préservent la diversité culturelle, protègent les enfants et les consommateurs, luttent contre la haine raciale et religieuse et garantissent l'indépendance des régulateurs nationaux des médias.

2.3. Les évolutions récentes

13. Certains secteurs de la Commission européenne semblent parvenir à la conclusion que les dispositions de l'Union européenne et de la CETT du Conseil de l'Europe pourraient entrer en conflit. Le 23 octobre 2009, Mme Viviane Reding, qui était alors commissaire européenne chargée de la société de l'information et des médias, a fait part des préoccupations que lui inspiraient la procédure de révision de la convention et le champ d'application matériel de la convention en général. Elle était particulièrement préoccupée par l'article 23 de la convention, qui prévoit l'entrée en vigueur des modifications apportées à cet instrument par tacite approbation. Dans une lettre adressée au représentant permanent du Portugal auprès de l'Union européenne, elle a indiqué que les domaines traités par la convention relevaient pour une bonne part de la compétence de l'Union européenne, puisque la convention traitait principalement de questions prises en compte par la Directive SMAV. Elle a à ce propos rappelé la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (devenue la Cour de justice de l'Union européenne), selon laquelle les Etats membres de l'Union européenne ne sauraient passer de leur propre chef des accords internationaux relevant du domaine de compétence de l'Union européenne.
14. Evoquant les arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne à propos des accords dits de «ciel ouvert» (Open Skies) 
			(12) 
			CJCE, arrêts du 5 novembre
2002 rendus dans les affaires C-466/98, C-467/98, C-468/98, C-469/98,
C-471/98, C‑472/98, C-475/98 et C-476/98. Ces arrêts marquent l'aboutissement
de la procédure en manquement engagée en 1998 par la Commission
européenne devant la Cour de justice des Communautés européennes
à l'encontre de sept Etats membres de l'Union européenne qui avaient
conclu des accords «de ciel ouvert» avec les Etats-Unis dans le
domaine du transport aérien (Autriche, Belgique, Danemark, Finlande,
Allemagne, Luxembourg, Suède) et à l'encontre du Royaume‑Uni à propos
de l'accord «Bermuda II» passé avec les Etats-Unis. Voir, par exemple,
l'affaire <a href='http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=47838&doclang=FR&mode=&part=1'>C-467/98, Commission
c. Danemark [2002] ECR, I-9519</a>., Mme Reding avait rappelé aux Etats membres de l’Union européenne leur double obligation de ne pas contracter d’engagements internationaux en contradiction sur le fond avec le droit communautaire. En cas de non-respect de cette obligation, la Commission pouvait, conformément à l'article 258 du Traite sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), engager une procédure en manquement contre les Etats membres concernés.
15. Le Comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication (CDMC) 
			(13) 
			Rapport
de la 12e réunion du CDMC, 8-11 juin
2010., son Bureau 
			(14) 
			Rapports des réunions
du Bureau du CDMC, 6-7 mai 2010, CDMC-BU(2010)002 et 14-15 octobre
2010, CDMC-BU(2010)004. et le Comité permanent sur la télévision transfrontière 
			(15) 
			Réponse du Comité des
Ministres, adoptée lors de la 1116e réunion
des Délégués des Ministres (15-16 juin 2011), à la question écrite
n° 591, Doc. 12645. ont fait part de leur profonde inquiétude face à l’arrêt de ce processus de révision. Au sein de l’Assemblée, le blocage du projet de deuxième protocole a été évoqué sous la forme de questions écrites par M. Andrew McIntosh (Royaume-Uni, SOC) en mars 2010 
			(16) 
			Doc. 12182, question écrite n° 584. et, après son décès, par M. Markku Laukannen (Finlande, ADLE) en décembre 2010 
			(17) 
			Doc. 12452, question écrite n° 591., qui soulignaient les conflits existant entre la directive modifiée et la version actuelle de la convention 
			(18) 
			Réponse
du Comité des Ministres à la question écrite n° 591, op. cit..
16. Plusieurs contacts ont par ailleurs été établis sur cette question, y compris à haut niveau, entre le Secrétariat du Conseil de l’Europe et la Commission européenne, suivi d'un échange de courrier entre le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et la vice-présidente de la Commission européenne, Mme Neelie Kroes. Dans une lettre du 10 décembre 2010, Mme Kroes a informé le Secrétaire Général que, au vu de l’article 3.2 du TFUE 
			(19) 
			«L'Union dispose également
d'une compétence exclusive pour la conclusion d'un accord international
lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union,
ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne,
ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter des règles
communes ou d'en altérer la portée»., l’Union européenne a compétence exclusive pour conclure un accord international dans le domaine des services de médias audiovisuels. Elle a déclaré explicitement que «l’UE n’envisage pas de devenir partie à la Convention, car cela risquerait de réduire la promptitude et la portée de toute intervention politique future dans les domaines couverts». Elle a également promis que la Commission européenne fournirait au Comité permanent un «avis sur une liste de questions touchant à la régulation des services de médias audiovisuels qui sont considérées comme tombant en dehors des compétences externes exclusives de l’UE» 
			(20) 
			Voir <a href='http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/media/t-tt/T-TT(2010)2_fr%20rapport%2045e%20reunion.asp#TopOfPage'>annexe
III du compte rendu de la réunion du T-TT des 1-2 juillet 2010 (T-TT(2010)2)</a>.. Le Comité permanent n’a pas encore reçu cette liste.
17. Certains Etats (notamment l’Autriche) ont critiqué l’opposition de la Commission européenne et ont déploré le fait qu’elle l’ait manifestée uniquement lorsque le projet de deuxième protocole d’amendement était déjà achevé et entrait dans ses dernières phases de négociation et d’approbation avant qu’il ne soit ouvert à la signature 
			(21) 
			Compte rendu de la
31e réunion du Comité de contact pour
la directive «Télévision sans frontières» (3 novembre 2009), DOC
CC TVSF (2009)6.. Le refus de la Commission a conduit le Comité des Ministres à renoncer à renvoyer la proposition de version révisée devant l’Assemblée, pour avis 
			(22) 
			1069e réunion
du Comité des Ministres, 4 novembre 2009..
18. Le 31 janvier 2011, M. Kleijssen, alors directeur de la Direction des activités normatives, a informé les membres du Comité permanent que le Comité des Ministres avait décidé d’interrompre le travail sur la révision de la CETT, en excluant toute nouvelle allocation de fonds en ce sens, et que le Service du conseil juridique préparait un rapport général sur l’importance et la pertinence des conventions du Conseil de l’Europe 
			(23) 
			Ce
dernier point a été discuté plus avant par notre commission au cours
de l’échange de vues qu’elle a tenu le 11 décembre 2012 avec M.
l’Ambassadeur Charles-Edouard Held, président du Groupe de rapporteurs
sur la coopération juridique (GR-J) des Délégués des Ministres.
Voir également la réponse du Comité des Ministres à la question
écrite n° 591, op. cit.. Ce dernier a été publié en mai 2012 et faisait remarquer qu’«il est apparu que la Convention européenne sur la télévision transfrontière (…) conserve sa valeur ajoutée mais qu’une révision serait souhaitable» et que sa révision avait été reportée sine die par décision du Comité des Ministres du 4 novembre 2009 
			(24) 
			Rapport du
Secrétaire Général sur le passage en revue des conventions du Conseil
de l'Europe, Document d'information, SG/Inf(2012)12, 16 mai 2012,
paragraphe 48.. Il mentionnait également la CETT sur la liste des conventions auxquelles la Cour européenne des droits de l’homme s’était référée dans ses arrêts et décisions 
			(25) 
			Annexe V.. En outre, la CETT ne figure pas parmi les conventions du Conseil de l’Europe examinées lors des réunions régulières des hauts représentants de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe 
			(26) 
			Rapport de la réunion
entre la Troïka du Comité de l'article 36 (CATS) de l’Union européenne
et le Conseil de l'Europe, Strasbourg, 20 juin 2013, DGI(2013)12
du 20 septembre 2013. .

3. Principaux enjeux

3.1. Les rapports entre les deux cadres juridiques

19. Bien que la Directive SMAV mentionne la CETT 
			(27) 
			Au considérant 3 (désormais
considérant 4 dans la directive 2010 consolidée)., les deux instruments juridiques sont très différents l’un de l’autre. La question présente à l'évidence des aspects techniques. La principale différence entre les deux cadres réside dans la distinction faite par la Directive SMAV entre les services linéaires et les services à la demande, qui n'existe pas dans la convention. La convention offre par conséquent un cadre juridique homogène, alors que la Directive SMAV comporte un système à deux vitesses, qui conduit à l'application de normes réglementaires différentes.
20. Compte tenu de l'objectif premier de marché intérieur poursuivi par la Directive SMAV, un conflit normatif avec la convention est presque inévitable. Cela s'explique par la similarité des dispositions dans de nombreuses parties des deux textes. La Directive SMAV est cependant beaucoup plus précise que la convention, qui se contente de donner aux Parties de grandes orientations. Bien que la CETT traite davantage de points que la Directive, cette dernière porte sur un petit nombre de questions qui ne sont pas prises en compte par la première (par exemple le quota de productions indépendantes). En dehors de ce conflit normatif général, les deux instruments ne comportent pas de dispositions conflictuelles. C'est d'autant moins le cas qu’ils semblent complémentaires.
21. La directive prévoit un règlement «pacifique» des situations de conflit dans son article 24, en vertu duquel la directive n'affecte pas les droits et obligations des Etats membres qui découlent des conventions existantes en matière de télécommunications et de radiodiffusion dans les domaines qui ne sont pas coordonnés par elle. Comme nous l'avons indiqué plus haut, la convention est entrée en vigueur avant la précédente directive télévision sans frontières. Cette disposition relative aux incompatibilités immédiates n'a pas été le moins du monde modifiée ni précisée lors de la dernière révision de la directive en 2007.
22. En matière de droits de l’homme, la CETT évoque les éléments «contraires aux bonnes mœurs» («indecent») dans son article 7, en se fondant sur l’article 10.2 de la Convention européenne des droits de l’homme; la Directive emploie quant à elle la formule «contraire aux bonnes mœurs» («transgress standards of public decency») dans son article 28.4. Concernant les rapports entre les deux instruments, la CETT comporte une clause de réserve 
			(28) 
			Voir, notamment, «Spécificité
et valeur ajoutée de l’acquis découlant du droit conventionnel du
Conseil de l’Europe», document de travail préparé par M. Jeremy
McBride, expert, pour le rapport de notre collègue de la commission,
M. John Prescott (Royaume-Uni, SOC), «Intensifier l'engagement des
Etats membres en faveur de l'efficacité et de la mise en œuvre du
droit des traités du Conseil de l'Europe», AS/Jur (2009) 40, paragraphes
47-49 (texte disponible sur le site web de la commission). dans son article 27.1, qui prévoit que «les Parties qui sont membres de la Communauté européenne appliquent les règles de la Communauté et n'appliquent donc les règles découlant de la présente Convention que dans la mesure où il n'existe aucune règle communautaire régissant le sujet particulier concerné». Cela signifie que, pour les Etats membres de l’Union européenne, la Convention régit les rapports entre l’Etat concerné et tout Etat non membre de l’Union européenne qui l’a ratifiée 
			(29) 
			D.
Mac Síthigh, «Death of a Convention: competition between the Council
of Europe and European Union in the regulation of broadcasting»,
Faculté de droit de l’Université d’Edimbourg, Research
Paper Series n° 2013/26, p. 5..

3.2. Modification du cadre juridique de l’Union européenne à la suite de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne

23. Le principal argument de la Commission européenne, qui se fonde pour cela sur l’article 3.2 du TFUE, a trait à la compétence exclusive de l’Union européenne pour la conclusion d’accords internationaux relatifs aux services audiovisuels; d’après le professeur Jacqué, l’argumentaire juridique de la Commission européenne est recevable. Les questions relatives au marché intérieur relèvent de la compétence commune de l’Union européenne et de ses Etats membres, mais comme l’Union européenne a déjà légiféré dans le domaine des services audiovisuels, la conclusion d’un accord international portant sur les points pris en compte par la Directive SMAV sont de sa compétence exclusive (avant d’être codifié par le Traité de Lisbonne, ce principe découlait de la «doctrine AETR» 
			(30) 
			Arrêt du 31 mars 1971, Commission des Communautés européennes c. Conseil
des Communautés européennes. – Accord européen sur les transports
routiers, Affaire 22-70. Voir également son avis 1/94. de la Cour de justice des Communautés européenne). En outre, la conclusion d’accords commerciaux internationaux relatifs aux services fait partie de la politique commerciale commune, qui relève de la compétence exclusive de l’Union européenne (article 3.1.e du TFUE). Les Etats membres de l’Union européenne ne sont donc pas autorisés à être Parties à une convention telle que la CETT et devraient être représentés par l’Union européenne pour la révision de la CETT. Les Etats membres n’auraient pas capacité pour prendre part directement à la révision de la convention, la Commission européenne ayant l’initiative et le monopole de la conduite des négociations. Cette convention du Conseil de l’Europe serait par conséquent conclue entre l’Union européenne et les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres de l’Union européenne. Il serait cependant difficile de parvenir à un tel accord contre la volonté de la Commission européenne (à moins que le Conseil ou le Parlement européen ne l’en persuade).
24. Même si l’Union européenne avait la volonté politique de conclure un accord international relatif à la radiodiffusion comme celui de la version révisée de la CETT, il faudrait encore que le Conseil de l’Union européenne accepte à l’unanimité la négociation et la conclusion d’un accord «dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels, lorsque ces accords risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union» (article 207.4.a du TFUE).

3.3. La portée géographique

25. L’un des principaux arguments en faveur de la révision de la CETT est celui de la portée paneuropéenne de la convention, alors que la Directive de l’Union européenne concerne uniquement les 28 Etats membres de l’Union européenne. En outre, un certain nombre de pays du sud de la Méditerranée, qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe, ont montré leur intérêt pour adhésion à une convention modifiée.
26. Toutefois, l’application de l’acquis de l’Union européenne est étendu à certains Etats non membres de l’Union européenne, en particulier les Etats candidats ou les autres Etats qui souhaitent adhérer à l’Union européenne en temps utile, au moyen d’accords bilatéraux, y compris sous la forme d’accords de stabilité et d’association. Certains de ces accords pourraient conduire, surtout dans le cadre de la «Politique de voisinage» de l’Union européenne, à «une extension du multilatéralisme asymétrique dirigé par l’UE» 
			(31) 
			D. Mac Síthigh, op. cit., p. 11..
27. Cela limite de fait le nombre d’Etats non membres de l’Union européenne qui ont ratifié la CETT et ne sont pas liés par les dispositions de l’Union européenne en matière de services audiovisuels. La Commission européenne n’a donc aucun intérêt à se lier aux Etats non membres de l’Union européenne par une convention, alors qu’elle est parvenue à étendre l’application de sa Directive au moyen d’accords bilatéraux de coopération passés avec les Etats voisins, qui visent à établir une zone de libre-échange applicable aux services et aux médias.

3.4. L’élaboration des politiques relatives aux médias en Europe

28. Lorsque la Communauté économique européenne (CEE) a adopté la Directive 89/552/CEE en 1989, le Conseil de l’Europe représentait la principale référence en matière de droit et de politique des médias, notamment grâce à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à ses groupes d’experts, comme le Comité directeur sur les moyens de communication de masse (CDMM). Le fondement juridique de la Directive était la liberté d’établissement et de prestation de services, et non la culture, qui n’a pas été prise en compte par l’Union européenne jusqu’au Traité de Maastricht de 1992 
			(32) 
			Ibid.,
p. 4 et 5.. A l’époque, les deux instruments juridiques, la Directive et la CETT, pouvaient être appliquées en parallèle. Mais la Communauté économique européenne, devenue ensuite l’Union européenne, a depuis étendu son influence dans le domaine de la radiodiffusion grâce à ses directives du marché intérieur 
			(33) 
			Ibid.,
p. 1 et 3.. En outre, les rapports entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont également évolué, puisque l’Union européenne a commencé à s’étendre dans des domaines autrefois exclusivement couverts par le Conseil de l’Europe, surtout après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne 
			(34) 
			Voir, par exemple,
le rapport de notre collègue de la commission des questions politiques
et de la démocratie, Mme Kerstin Lundgren
(Suède, ADLE), «L’impact du Traité de Lisbonne sur le Conseil de
l’Europe», Doc. 12713..

4. Ma mission d’enquête à Bruxelles

29. Afin d’éclaircir les différents points présentés ci-dessus, j’ai effectué une mission d’enquête à Bruxelles le 25 mars 2013 
			(35) 
			Voir le <a href='http://assembly.coe.int/ASP/NewsManager/FMB_NewsManagerView.asp?ID=8534'>communiqué
de presse du 26 mars 2013</a> .. J’y ai rencontré des fonctionnaires de la Commission européenne, du Conseil de l’Union européenne et de la commission de la culture et de l’éducation du Parlement européen. Je me suis également entretenu avec des représentants des radiodiffuseurs européens, notamment l’Association des télévisions commerciales européennes (ACT) et l’Union européenne de radio‑télévision (UER).
30. J’ai rencontré tout spécialement des fonctionnaires du service juridique de la Commission européenne, de la DG CNECT (Direction générale des réseaux de communications, du contenu et des technologies), du Service européen pour l’action extérieure et du Conseil de l’Union européenne. Les représentants de la Commission européenne ont réaffirmé le point de vue formulé précédemment par les commissaires Reding et Kroes, pour qui la révision de la CETT relève du champ de compétence exclusive de l’Union européenne, ce qui explique pourquoi les travaux sur cette dernière avaient dû être interrompus. Ils ont également souligné que l’Union européenne n’est pas intéressée à adhérer à la CETT, car celle-ci doit être révisée régulièrement afin de tenir compte des changements technologiques constants de l’environnement médiatique. L’argument de la valeur ajoutée liée à la plus grande portée géographique de la CETT n’est plus valable puisque l’Union européenne a conclu des accords bilatéraux avec plusieurs Etats non membres de l’Union européenne qui font partie du Conseil de l’Europe. L’adhésion de l’Union européenne à une version révisée de la CETT – comme proposé dans le projet de deuxième protocole d’amendement – est exclue. L’Union européenne et ses Etats membres pourraient éventuellement envisager d’adhérer au moyen d’un accord mixte à une nouvelle convention du Conseil de l’Europe. Cependant, une telle convention devrait porter uniquement sur les aspects liés aux droits de l’homme de l’utilisation des services de médias audiovisuels et ne pas aborder de questions spécifiques comme celle des normes applicables en matière de publicité.
31. Le Parlement européen me semble avoir une position plus ouverte à ce sujet, mais celle-ci a besoin d’être précisée. C’est pourquoi j’ai écrit en août 2013 à la présidente de la commission de la culture et de l’éducation du Parlement européen, Mme Doris Pack, pour lui demander des informations supplémentaires; je n’ai cependant reçu aucune réponse de sa part jusqu’ici.
32. Les représentants des associations de radiodiffuseurs ont soutenu vigoureusement l’idée de réviser la CETT et se sont déclarés en général favorables au projet de deuxième protocole d’amendement à la CETT (bien qu’avec certaines réserves). Ils considèrent que la portée géographique plus étendue de la CETT en constitue l’atout principal. Bien que certains Etats membres du Conseil de l’Europe non membres de l’Union européenne aient signé des accords bilatéraux avec l’Union européenne, l’application de ces accords n’a pas conduit à l’établissement d’un mécanisme de règlement des litiges. Il serait donc souhaitable de «réanimer» la CETT et son Comité permanent.

5. La position actuelle du Conseil de l’Europe

33. Lors de l’échange de vues avec la commission de juin 2013, M. Kleijssen a déclaré que les arguments technologiques avancés par l’Union européenne pour interrompre les négociations sur la révision de la CETT étaient fondés, car le paysage médiatique évoluait rapidement. Les principales difficultés sont, néanmoins, d’ordre politique 
			(36) 
			La version
intégrale de l’intervention de M. Kleijssen est disponible auprès
du Secrétariat.. L’Union européenne ne veut pas mettre en place de nouvelles dispositions sur la publicité, ni négocier aucune disposition dans un cadre multilatéral, car elle préfère imposer ses propres règles. M. Kleijssen a rappelé que des représentants de la Commission européenne avaient pris part aux négociations sur la révision de la CETT, avant qu’elles ne soient interrompues suite à l’envoi d’une lettre de la commissaire Reding. Les négociations pourraient reprendre s’il existait une volonté politique en ce sens, comme cela a été le cas pour la Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE n° 108). En l’espèce, la Commission européenne avait obtenu mandat du Conseil de l’Union européenne pour négocier la modernisation de la convention 
			(37) 
			Voir le <a href='http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-12-877_en.htm'>communiqué
de presse du 19 novembre 2012</a>. . En outre, l’argument de la portée géographique plus vaste de la CETT est toujours d’actualité, car les Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas tous signé d’accord bilatéral avec l’Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée montrent un grand intérêt pour une adhésion à la CETT.
34. A la suite de l’interruption des travaux sur la révision de la CETT, cette dernière est devenue obsolète (car, par exemple, elle ne traite pas de domaines tels que les services à la demande et les diverses formes de contenus audiovisuels en ligne). M. Kleijssen a indiqué que, pour sortir de l’impasse, on pourrait imaginer de rédiger une convention plus générale (par exemple une convention-cadre), qui définirait les principes directeurs en matière de droits de l’homme en se référant à la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l’homme à l’égard de l’article 10 de la Convention et porterait sur des questions telles que la liberté d’expression, le pluralisme, la diversité et le flux transfrontière des contenus. Cette convention pourrait également tenir compte des récentes évolutions du monde des médias, en intégrant une nouvelle notion des médias 
			(38) 
			Voir, par exemple,
la <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM/Rec%282011%297&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>Recommandation
CM/Rec(2011)7</a> du Comité des Ministres sur une nouvelle conception
des médias., être neutre du point de vue technologique et succéder à la CETT. Pour ce faire, le soutien de l’Union européenne serait sans doute nécessaire; elle pourrait être disposée à envisager un accord portant sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, s’il excluait toute question relative à la publicité. Une nouvelle convention permettrait également aux pays du sud de la Méditerranée d’y adhérer. Dans l’intervalle, avant l’adoption d’une convention révisée/nouvelle, le Comité des Ministres pourrait adopter une forme de «lignes directrices» sur la question.

6. Solutions envisageables

6.1. L’adoption du projet de deuxième protocole d’amendement

35. Comme les questions prises en compte par le projet de deuxième protocole d’amendement relèvent de la «compétence exclusive» de l’Union européenne, la révision de la CETT exigerait la participation de la Commission européenne, qui se substituerait aux Etats membres de l’Union européenne. Toutefois, l’Union européenne, ou du moins la Commission européenne (qui mènerait les négociations en la matière), n’a pas la volonté politique de conclure un tel accord. Les principales raisons invoquées sont le fait que l’Union européenne n’aurait plus la même souplesse pour modifier par la suite la Directive SMAV dans un paysage médiatique en constante évolution et que la portée géographique de la CETT présente une valeur ajoutée limitée.
36. L’exemple de la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des données montre que la révision des conventions du Conseil de l’Europe peut présenter un intérêt pour l’Union européenne, et pour la Commission européenne en particulier. Toutefois, comme l’a souligné le professeur Jacqué lors de l’audition de septembre 2013, cette situation est différente de celle de la CETT, car la réglementation relative à la protection des données de l’Union européenne ne prend pas en compte l’ensemble des questions pertinentes. La modernisation de la Convention sur la protection des données permettrait également à l’Union européenne d’exporter ses normes plus exigeantes en la matière vers les Etats non membres de l’Union européenne 
			(39) 
			D. Mac Síthigh, op. cit., p. 14..

6.2. L’adoption d’une nouvelle convention(-cadre)

37. S’il s’avère impossible de relancer le processus de révision de la CETT, on pourrait envisager d’adopter une nouvelle convention (ou un amendement à la CETT) portant exclusivement sur les questions relatives aux principales compétences du Conseil de l’Europe: démocratie, droits de l’homme et Etat de droit. Le Conseil de l’Europe pourrait également prendre en compte d’autres domaines du droit et de la politique des médias extérieurs à l’Union européenne, comme «le rôle de la radiodiffusion de service public pour une société démocratique», «le pluralisme des médias et la télévision» et «le rôle des autorités réglementaires indépendantes» 
			(40) 
			K.
Jakubowicz, Mise en œuvre et contrôle: Préserver les droits de l'homme
et les valeurs culturelles, in: S. Nikoltchev, (sous la direction
de), IRIS Spécial: Services de médias
audiovisuels sans frontières – La mise en œuvre du cadre réglementaire,
Strasbourg, Observatoire européen de l'audiovisuel, 2006, p. 35-44,
p. 42.. Au moment où la révision de la CETT se trouve dans l’impasse, les éléments suivants ont été proposés: liberté d’expression, pluralisme, diversité, flux transfrontalier des contenus. La nouvelle convention pourrait notamment consolider la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais le Comité permanent sur la télévision frontalière et le CDMC avaient déjà examiné cette idée en 2004 et n’y avaient pas été favorables 
			(41) 
			D. Mac Síthigh, op. cit., p. 21.. On peut également douter de la valeur ajoutée d’une synthèse ou d’une réaffirmation des normes existantes, car selon la doctrine de «l’instrument vivant» de la Cour 
			(42) 
			La
Convention européenne des droits de l'homme est un «instrument vivant»,
qu'il convient «[d’]interpréter à la lumière des conditions de vie
actuelles»; voir, par exemple, Tyrer
c. Réunis, Requête n° 5856/72, arrêt du 25 avril 1978. , l’interprétation de la Convention, y compris de son article 10, peut évoluer au fil du temps.
38. D’après le professeur Jacqué, la possibilité d’adopter une convention portant sur les normes applicables à la liberté d’expression pourrait reposer sur le fait que l’Union européenne n’est pas compétente pour légiférer sur les droits fondamentaux, malgré l’existence de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La question devrait être abordée sous l’angle de la démocratie et des droits de l’homme et pourrait déboucher sur un accord mixte (par exemple une convention-cadre) entre l’Union européenne et les Etats membres du Conseil de l’Europe. Mais, comme l’a souligné M. McGonagle lors de l’audition de septembre 2013, le fait d’asseoir la convention(-cadre) sur une série de points approuvés par l’Union européenne constitue un point de départ hasardeux, parce que les projets de l’Union européenne peuvent évoluer et évolueront sans doute avec le temps. L’Union européenne a notamment fait montre dernièrement d’un intérêt politique ostensible pour le développement du pluralisme des médias. L’article 11.2 de la Charte des droits fondamentaux, par exemple, précise que «la liberté des médias et leur pluralisme sont respectés». La Commission européenne a financé une importante étude pour concevoir des indicateurs du pluralisme des médias et, début 2013, le Groupe de haut niveau sur la liberté et le pluralisme des médias a publié son rapport, qui a été suivi par une consultation publique sur les conclusions du rapport 
			(43) 
			K.U.
Leuven – ICRI et autres, Independent Study on Indicators for Media
Pluralism in the Member States – Towards a Risk-Based Approach,
juillet 2009.. Ces évolutions soulignent l’intérêt croissant de l’Union européenne pour un domaine d’activité traditionnelle du Conseil de l’Europe.
39. L’élaboration d’une nouvelle convention(-cadre), assortie d’un système de rapports et de suivi des Etats, pourrait faciliter l’étude en profondeur et systématique de toute une série de points, mais la portée de cet exercice pourrait également être limitée par le caractère politiquement sensible des questions en cause; elle risquerait par ailleurs de faire double emploi avec les activités de la Cour européenne des droits de l’homme et des organes de suivi spécialisés du Conseil de l’Europe.
40. Il est difficile à ce stade d’indiquer quelle pourrait être la teneur souhaitable d’une convention-cadre, car les précédents en la matière sont rares (ils se limitent principalement à la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales). Ces conventions sont uniquement «programmatiques»; elles définissent des objectifs que les Etats s’engagent à réaliser et sont habituellement mises en œuvre par des mesures nationales ou des accords bilatéraux 
			(44) 
			F. Benoît-Rohmer et
H. Klebes, Le droit du Conseil de l'Europe
– Vers un espace juridique paneuropéen, Strasbourg, Editions
du Conseil de l'Europe, 2005, p. 98..

6.3. La synthèse des lignes directrices existantes

41. Selon nos experts, avant de tenter de trouver une solution normative, le Conseil de l’Europe pourrait codifier les normes juridiques en vigueur sous la forme d’une série de lignes directrices politiques. Comme l’a souligné M. McGonagle, il serait également utile de réfléchir à la possibilité de donner une nouvelle impulsion à des normes politiquement contraignantes pour remédier aux nouveaux problèmes posés par les médias, qui ont été laissés de côté à cause de l’interruption de la révision de la CETT. Il est inutile d’adopter de nouvelles normes, mais il pourrait être utile de faire l’inventaire des normes déjà existantes, par exemple au moyen d’une recommandation du Comité des Ministres.

7. Conclusion

42. L’importance de la Convention européenne sur la télévision transfrontière s’explique pour deux raisons: il s’agit d’une convention juridiquement contraignante, qui porte sur un domaine très spécifique. Comme l’a souligné M. McGonagle, l’interruption de la révision de la CETT, qui visait à l’adapter aux récentes évolutions technologiques, a entraîné un vide normatif dans l’espace juridique du Conseil de l’Europe. Cette lacune ne peut être comblée par des recommandations politiques, comme la Recommandation CM/Rec(2011)7 du Comité des Ministres sur une nouvelle conception des médias (qui d’ailleurs ne mentionne pas la CETT) 
			(45) 
			Recommandation
CM/Rec(2011)7, op. cit.; de plus, «un instrument extérieur au Conseil de l’Europe exerce une force gravitationnelle»: la Directive SMAV.
43. Les Etats membres de l’Union européenne qui sont Parties à la CETT ont réellement intérêt à achever la révision de la convention, afin de minimiser le conflit avec le cadre juridique de l’Union européenne. A l’heure actuelle, il existe, d’une part, une convention non révisée qui date de 1998 (légèrement modifiée en 2002) et, d’autre part, une directive qui a été adaptée aux normes techniques les plus récentes en 2007, mais qui devient aussi à présent peu à peu obsolète dans un paysage médiatique en constante évolution. Cette situation pourrait aboutir à un conflit normatif si des réglementations différentes étaient appliquées. Comme elle est toujours en vigueur, la convention lie les Parties, comme le ferait n’importe quel autre instrument international. Le risque de conflit normatif est donc bien plus élevé aujourd’hui qu’il ne le serait une fois le processus de révision achevé.
44. En outre, comme les contenus de la télévision et des multimédias peuvent être diffusés très facilement sur internet, la Commission européenne aurait tout intérêt à ce que la convention soit adaptée aux nouvelles dispositions de la Directive SMAV. La convention, dont la portée paneuropéenne dépasse les limites de l’Union européenne, pourrait en définitive permettre de garantir que les Etats non membres de l’Union européenne ne portent pas atteinte aux dispositions de la Directive SMAV.
45. A la suite des contacts établis avec plusieurs parties prenantes, je considère que, puisque les changements technologiques intervenus pendant les deux dernières décennies ont remis en cause la pertinence de la convention, il est aujourd’hui absolument indispensable d’adapter cet instrument au nouveau paysage audiovisuel dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et de l’harmoniser avec la Directive de l’Union européenne sur les services de médias audiovisuels. La révision de la CETT aurait un impact positif sur la liberté de l’information dans l’aire géographique du Conseil de l’Europe et dans les pays voisins. Que l’Union européenne bloque cette révision pour des raisons de pure forme (apparemment légales, ou de compétence) est inacceptable et constituerait un précédent négatif qui pourrait être invoqué à l’avenir par l’Union européenne à l’égard d’autres conventions du Conseil de l’Europe ayant besoin d’être révisées ou modernisées. Je considère par ailleurs que la manière dont l’Union européenne impose unilatéralement ses règles applicables aux services audiovisuels à certains Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas membres de l’Union européenne, sans chercher à parvenir à un compromis paneuropéen sur la mise à jour de la CETT pour tenir compte des évolutions technologiques, est inadmissible.
46. Il est clair que l’Union européenne, ou tout au moins la Commission européenne, ne souhaite pas réviser la CETT. La question de la «compétence exclusive» de l’Union européenne pour la conclusion d’un accord international dans le domaine des services de médias audiovisuels semble plus ou moins devoir se régler, malgré l’absence de réponse de la Commission européenne à la demande d’éclaircissements du Comité permanent sur les questions relatives à la régulation des services de médias audiovisuels qui ne relèvent pas du domaine de compétence externe exclusive de l’Union européenne. Le recensement de ces questions est absolument essentiel avant de commencer à examiner d’autres moyens possibles d’actualiser la CETT comme, par exemple, la conclusion d’un «accord mixte» avec l’Union européenne et ses Etats membres ou l’élaboration d’une nouvelle convention à caractère plus général («convention-cadre» ou «convention sur les principes»).
47. La position de la Commission européenne a donc de profondes implications sur les activités d’élaboration des traités du Conseil de l’Europe en général, si l’on considère que le Traité de Lisbonne a, une fois de plus, élargi les compétences de l’Union européenne aux dépens des Etats membres. Mais malgré cette évolution, le Conseil de l’Europe reste bien placé pour l’élaboration de projets d’instruments juridiques contraignants relatifs au droit et à la politique des médias, compte tenu de son expérience dans ce domaine. Il importe que les organes décisionnels du Conseil de l’Europe reconsidèrent la question de la révision de la CETT, qui devient de fait obsolète au vu de l’évolution constante des technologies des médias. On devrait permettre au Comité permanent sur la télévision transfrontière de reprendre ses travaux et d’examiner les solutions envisageables pour combler les lacunes précitées. S’il s’avère impossible d’adopter le projet de deuxième protocole d’amendement à la CETT en raison de la résistance politique de l’Union européenne, d’autres moyens devraient être envisagés dans l’intervalle, comme l’élaboration d’une convention(-cadre) consacrée aux questions relatives à la liberté d’expression. Mais comme l’adoption d’un nouveau traité exigerait beaucoup de temps, le Comité des Ministres devrait envisager d’élaborer des lignes directrices (sous forme de recommandation), qui synthétiseraient les normes en vigueur du Conseil de l’Europe en matière de liberté des médias et les adapteraient au nouveau paysage médiatique actuel.