1. Commentaires généraux
1. Je voudrais tout d’abord féliciter M. Kox pour son
rapport détaillé sur l’état de la mise en œuvre des engagements
pris par le Conseil national palestinien dans le cadre de sa demande
de partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée.
2. Je me félicite que le rapport de M. Kox aborde à plusieurs
reprises la question des droits des femmes lesquels figurent parmi
les engagements pris par le Conseil national palestinien en octobre
2011. Dans sa
Résolution
1830 (2011) par laquelle l’Assemblée a octroyé au Conseil national
palestinien le statut de partenaire pour la démocratie, l’Assemblée
a en effet considéré que les questions spécifiques suivantes revêtent
«une importance essentielle aux fins du renforcement de la démocratie,
de l’Etat de droit et du respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales dans les territoires palestiniens: (…) la promotion
active de l’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans
la vie politique et la vie publique; la lutte contre toutes les
formes de discrimination (en droit et en pratique) fondées sur le
genre; la garantie de l’égalité effective entre les femmes et les
hommes, y compris en ce qui concerne le mariage, le divorce, la
polygamie et le droit successoral, et si nécessaire l’initiation
d’un processus de révision de la législation; la lutte contre toutes
les formes de violence sexiste».
3. Je tiens à souligner d’emblée, à l’instar de M. Kox, que l’occupation
israélienne et le refus du Hamas de respecter les accords de réconciliation
successifs constituent des obstacles importants à la mise en œuvre
des engagements pris par le Conseil national palestinien. Toutefois,
malgré les circonstances difficiles, des améliorations peuvent et
doivent être apportées, en particulier s’agissant de la situation
des femmes.
4. Le présent avis s’attachera ainsi à apporter des éclairages
supplémentaires sur les aspects les plus critiques de la situation
des femmes en Palestine. Je voudrais remercier Mme Suheir Azzouni,
experte consultante sur les questions de genre et les droits de
l’homme en Palestine, pour sa participation à une audition organisée
par la commission sur l’égalité et la non-discrimination en décembre
2013 et pour son aide dans la collecte d’informations. Je tiens
également à remercier les membres de la délégation du Conseil national
palestinien auprès de l’Assemblée parlementaire pour leur approche
positive.
2. Promouvoir activement l’égalité des chances entre
les femmes et les hommes dans la vie politique et la vie publique
(engagement pris par le Conseil national palestinien, paragraphe
12.5 de la Résolution 1830 (2011))
5. En l’absence d’élections législatives depuis 2006,
la représentation des femmes au parlement n’a pas évolué depuis
l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie en octobre 2011.
Par ailleurs, il doit être regretté qu’au niveau gouvernemental,
le nombre de femmes soit passé de cinq à trois après le dernier remaniement
de juin 2013. Leurs portefeuilles sont désormais la Condition féminine,
le Tourisme ainsi que la Communication et les Technologies de l’Information.
6. Des élections locales se sont tenues à l’automne 2012 en Cisjordanie
pour lesquelles 25 % des candidats étaient des femmes grâce au système
de quota introduit en 2005. Il est à noter qu’une liste composée
uniquement de femmes («By participating we can») s’est présentée
à Hébron, sans succès cependant. La constitution d’une telle liste
témoigne néanmoins du dynamisme et de l’engagement des femmes palestiniennes
comme actrices du changement. A l’issue de ces élections locales,
21,1 % des élus étaient des femmes et une femme a été élue maire
de la ville de Bethlehem.
7. Les femmes palestiniennes ont un rôle crucial à jouer dans
les négociations de paix et la construction d’un Etat palestinien.
Elles sont très engagées et actives, comme en témoignent les nombreuses
associations de femmes tels que Women’s
Centre for Legal Aid and Counselling (WCLAC), Women's Affairs Technical Committee (WATC), Women’s Affairs Centre (WAC), et
contribuent largement au rayonnement de la Palestine à l’étranger.
Pourtant, leur représentation reste marginale dans les postes décisionnels
clés. La décision de 2012 du gouvernement palestinien d’instituer
une Haute commission indépendante chargée de mettre en œuvre la
Résolution 1325 (2000) du Conseil de Sécurité des Nations Unies
sur les femmes, la paix et la sécurité constitue à cet égard un
développement positif puisqu’elle va dans le sens d’une plus grande participation
des femmes au processus de réconciliation nationale et aux négociations
politiques avec Israël.
3. Lutter contre toutes les formes de discrimination
(en droit et en pratique) fondées sur le genre; garantir l’égalité
effective entre les femmes et les hommes, y compris en ce qui concerne
le mariage, le divorce, la polygamie et le droit successoral, et
si nécessaire l’initiation d’un processus de révision de la législation
(engagement pris par le Conseil national palestinien, paragraphe
12.5 de la Résolution 1830 (2011))
8. Je voudrais exprimer ici mon admiration pour le courage
des femmes palestiniennes qui ont été des pionnières dans la lutte
pour la libération des territoires palestiniens, mais qui souffrent
de multiples discriminations et formes de violence.
9. Les principes d’égalité et de non-discrimination sont inscrits
dans la Loi fondamentale palestinienne (article 9), mais celle-ci
dispose également que les principes de la Shari’a islamique sont
une source principale de la législation (article 4), ce qui peut
être interprété de manière à saper les droits des femmes en particulier dans
le domaine du droit de la famille. De plus, la fragmentation du
système juridique palestinien aggrave les discriminations auxquelles
sont confrontées les femmes puisqu’elle les empêche de jouir des
mêmes droits sur l’ensemble des territoires. En effet, les statuts
personnels applicables aux femmes varient selon qu’elles vivent
en Cisjordanie ou à Gaza et selon le groupe religieux auquel elles
appartiennent, et sont mis en œuvre par des tribunaux religieux
(tribunaux de la Shari’a pour les musulmans, autres tribunaux religieux
pour les chrétiens). De la même manière, l’absence de loi palestinienne
sur la nationalité crée de fortes disparités entre les femmes selon
leur lieu de résidence (Jérusalem, Cisjordanie ou Gaza) et implique
que des codes de la nationalité anciens (jordanien en Cisjordanie
et égyptien à Gaza) et fortement discriminatoires à l’égard des femmes
continuent de leur être appliqués.
10. Le statut personnel des femmes demeure une source de grave
préoccupation et aucune amélioration significative n’est intervenue
depuis octobre 2011. Ainsi que le constate M. Kox dans son rapport,
un pouvoir législatif effectif est à l’heure actuelle inexistant
en Palestine. Cette situation empêche l’harmonisation du droit de
la famille et sa mise en conformité avec les standards internationaux,
notamment ceux contenus dans la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). L’acceptation
unilatérale de la CEDAW en mars 2009 par l’Autorité nationale palestinienne
a une forte valeur symbolique mais doit se traduire dans la pratique
par des mesures en faveur de l’égalité des droits entre les femmes
et les hommes. Or, de graves inégalités persistent en ce qui concerne
le mariage, le divorce, la succession et la garde des enfants
.
11. La situation générale de l’emploi en Palestine est également
critique avec un taux de chômage qui atteint 23 % de la population
active. Les femmes pâtissent particulièrement de ce fort taux de
chômage. Leur taux d’emploi s’établit ainsi autour de 15,2 % en
2012, tandis que le taux de chômage féminin s’est aggravé, passant,
d’après les chiffres de la Banque mondiale, de 23,8 % en 2008 à
32,9 % en 2012. Des mesures résolues devraient être prises afin
d’encourager l’accès des femmes au marché du travail, qu’il s’agisse
du marché privé ou de l’administration publique.
4. Lutter contre toutes les formes de violence sexiste
(engagement pris par le Conseil national palestinien, paragraphe
12.5 de la Résolution 1830 (2011))
12. Les chiffres de la violence à l’égard des femmes
demeurent extrêmement alarmants. Un Plan stratégique national de
lutte contre les violences faites aux femmes pour 2011-2019 a été
préparé par le ministère de la Condition féminine et adopté par
le Gouvernement palestinien en janvier 2011. Il analyse la culture,
les normes et les traditions comme les principaux facteurs de la
violence à l’égard des femmes dans la société palestinienne, fortement
marquée par la culture patriarcale. La situation politique et économique
de la Palestine aggrave de surcroît le climat de violence qui se
reporte sur les femmes.
13. Dans un rapport de 2012, le Bureau central palestinien des
statistiques relève que 37 % des femmes mariées sont exposées à
la violence en Palestine, et plus particulièrement dans la bande
de Gaza où une femme mariée sur deux est victime de violence. Or,
d’après ce même rapport, les deux tiers des femmes exposées à la
violence préfèrent ne rien dire. La dénonciation d’actes de violence
est en effet perçue par la société comme honteuse et inacceptable,
en particulier quand ils sont le fait de membres de la famille.
De plus, il apparaît qu’à Gaza, la police est réticente à enregistrer
les plaintes et cherche avant tout à concilier les époux afin qu’ils
ne divorcent pas
. Par
ailleurs, les refuges qui accueillent les femmes victimes de violence
font cruellement défaut en Palestine: il n’y en a aucun dans la
bande de Gaza et trois seulement en Cisjordanie. Il s’ensuit que
les femmes ne sont pas encouragées à dénoncer les violences qu’elles
subissent. La dépendance économique des femmes constitue également
un obstacle à la dénonciation de ces violences. Un développement
positif réside toutefois dans l’approbation en février 2013 par
le Gouvernement palestinien d’un système d’orientation (
referral system) pour les femmes
victimes de violence afin d’améliorer la délivrance des services
juridique, social et de santé.
14. Les crimes dits «d’honneur» sont en augmentation en 2013 avec
27 cas recensés, dont plus des deux tiers ont été commis en Cisjordanie
.
Ils sont le signe d’une société patriarcale fondée sur la discrimination
à l’égard des femmes. Commis par des membres de la cellule familiale,
ces crimes sont peu dénoncés, ce qui contribue au sentiment d’impunité
de leurs auteurs. Je ne peux que m’associer à l’appel de la Commission indépendante
pour les droits de l’homme de Palestine pour que les autorités palestiniennes
prennent sans plus tarder toutes les mesures nécessaires pour protéger
les femmes de ces violences, poursuivre les auteurs et prévenir
la commission de tels crimes en imposant des peines à la hauteur
de la gravité des faits. Il n’est pas acceptable que la législation
en vigueur permette de justifier les meurtres commis sur le fondement
de «l’honneur familial» et d’alléger ainsi les peines de prison.
Le projet de code pénal, préparé en 2010-2011 sous l’égide du ministère
de la Justice par un groupe d’organisations gouvernementales et
non-gouvernementales, supprime la notion de «l’honneur familial»,
mais il n’a pas été formellement adopté et promulgué. Il est à noter que
le projet de code pénal contient de nombreuses autres avancées en
faveur des droits des femmes: par exemple, il criminalise le harcèlement
sexuel et la violence domestique, institue des amendes pour les mariages
célébrés avant l’âge de 18 ans sans l’autorisation d’un juge et
du tuteur du mineur et institue une peine minimale de cinq années
de prison pour meurtre. Toutefois, il est à regretter que ce même
texte prévoit également une réduction de peine dans le cas d’un
meurtre survenu après la découverte d’un adultère et criminalise
les relations sexuelles consenties entre adultes non mariés.
15. Je me félicite par ailleurs que la délégation du Conseil national
palestinien auprès de l’Assemblée parlementaire soit représentée
au sein du Réseau parlementaire pour «le droit des femmes de vivre
sans violence». La participation active de Mme Najat Alastal témoigne
de l’engagement du Conseil national palestinien à lutter contre
la violence à l’égard des femmes et rend tangibles les efforts des
autorités palestiniennes dans ce domaine.
5. Lutter contre le racisme, la xénophobie et toutes
les formes de discrimination (engagement pris par le Conseil national
palestinien, paragraphe 12.14 de la Résolution 1830 (2011))
16. Compte tenu du mandat de la commission et des engagements
pris par le Conseil national palestinien en matière de lutte contre
le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination,
je voudrais aborder la situation des personnes handicapées en Palestine
qui représentent une part significative de la population. Une étude
de 2011 du Bureau central palestinien des statistiques et du ministère
des Affaires sociales révèle en effet que, en application d’une
définition large du handicap (quelques ou plusieurs difficultés),
le taux de prévalence est de 7 % en Palestine.
17. Un cadre juridique protecteur des droits des personnes handicapées
existe en Palestine. La Loi fondamentale interdit toute discrimination
fondée, entre autres, sur le handicap (article 9), et stipule que l’Autorité
palestinienne doit garantir aux personnes handicapées l’éducation,
la santé et la protection sociale (article 22). De plus, une loi
de 1999 (n° 4) sur les droits des personnes handicapées prévoit
qu’elles ont droit à une vie libre et décente et à l’ensemble des
services sur un pied d’égalité avec les autres citoyens.
18. Toutefois, le rapport de la Commission indépendante des droits
de l’homme de Palestine pour 2012 relève que la question du handicap
n’est pas intégrée dans les stratégies et plans d’action des organisations gouvernementales
et privées. L’accès des personnes handicapées au marché du travail
demeure restreint dans la mesure où elles ne bénéficient d’aucun
quota, et les personnes handicapées qui travaillent occupent souvent
des emplois subalternes et subissent des attitudes négatives de
la part de leurs collègues.
19. Je me félicite ainsi de la décision du gouvernement de réactiver
le Haut Conseil au Handicap chargé de mettre en œuvre la loi de
1999, et que le ministère des Affaires sociales ait annoncé l’élaboration
d’un cadre stratégique relatif aux questions de handicap qui sera
basé sur une approche fondée sur les droits de l’homme et non plus
sur une approche sociale ou humanitaire.
20. J’encourage vivement les autorités palestiniennes à utiliser
la Convention des Nations Unies sur les droits de personnes handicapées
comme cadre de référence afin de mettre leur législation et leurs
pratiques en conformité avec les standards internationaux en la
matière, et à lutter contre la perception généralement négative
du handicap en Palestine. Je tiens à souligner que l’intégration
des personnes handicapées dans la société ne relève pas de la seule
responsabilité du gouvernement mais de la société dans son ensemble
et des individus qui la composent.
6. Conclusions de la rapporteure
21. Je tiens à saluer les efforts des autorités palestiniennes
qui continuent de démontrer leur attachement à défendre l’égalité
entre les femmes et les hommes et à améliorer la condition de la
femme en Palestine. La situation politique et juridique rend difficile
l’accomplissement de réels progrès, mais il est clair que la volonté d’avancer
sur la voie d’une société démocratique et inclusive demeure. Pour
cette raison, je partage la recommandation de M. Kox de poursuivre
le partenariat pour la démocratie avec le Conseil national palestinien et
de procéder à une nouvelle évaluation dans deux ans.
22. Je souhaite également réitérer l’avis exprimé en 2011 par
la commission sur l’égalité et la non-discrimination que l’obtention
du statut de partenaire pour la démocratie n’est pas une fin en
soi mais le début d’un processus. Les autorités palestiniennes devraient
solliciter l’expertise du Conseil de l’Europe en vue de rendre le
cadre juridique applicable en Palestine pleinement conforme aux
normes en matière de droits de l’homme, notamment en ce qui concerne
l’égalité entre les femmes et les hommes et la protection des femmes contre
la violence. Des conventions clés du Conseil de l’Europe, telle
que la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre
la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE
n° 210), pourraient servir d’instruments de référence dans le cadre
d’une assistance technique fournie par le Conseil de l’Europe.