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Résolution 1974 (2014) Version finale
Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine
1. L’Assemblée parlementaire exprime
sa profonde préoccupation concernant la crise politique qui s’est déclenchée
en Ukraine après la décision inattendue des autorités ukrainiennes
de suspendre la procédure de signature d’un accord d’association,
y compris d’un accord de libre-échange approfondi et complet, avec l’Union
européenne. Elle condamne fermement l'escalade de la violence dans
le cadre des manifestations de l’Euromaïdan, qui a déjà fait au
moins cinq morts.
2. L’Ukraine étant un Etat souverain, c’est au peuple ukrainien
– et à lui seul – de décider, sans ingérence étrangère, de l’orientation
géopolitique du pays et des communautés et accords internationaux
dont l’Ukraine devrait faire partie. Seul le peuple ukrainien peut
répondre à la question de savoir si l’Ukraine doit signer ou non
un accord d’association avec l’Union européenne. Dans le même temps,
l'Assemblée considère que des décisions aussi importantes que l’orientation
géopolitique d’un pays devraient être prises sur la base d’un consensus
politique aussi large que possible entre les différentes forces
politiques du pays et sur la base d’une vaste consultation de la
population.
3. L’Assemblée rappelle que, jusqu’au 21 novembre 2013, les autorités,
tant par leurs paroles que par leurs actes, se montraient très favorables
à la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne
lors du Sommet de Vilnius de novembre 2013. Elle regrette donc que
le soudain changement de politique ait été opéré sans la consultation
requise de la société et sans aucune tentative de rechercher un
consensus national. La légitimité démocratique aux yeux de l’opinion
publique ukrainienne de la décision de suspendre la signature des
accords s’en trouve affaiblie, ce que montre aussi la vague de manifestations
de masse à l’échelle du pays qui a suivi cette décision. L'Assemblée
invite donc instamment les autorités à entamer des négociations ouvertes,
honnêtes et effectives avec l’opposition, et à rechercher rapidement
un large consensus sur l’alignement géopolitique et la poursuite
du développement démocratique, ainsi que sur l’ordre constitutionnel du
pays.
4. L'Assemblée prend note des déclarations publiques faites par
les dirigeants ukrainiens selon lesquelles la décision de ne pas
signer l’accord d’association a été lourdement influencée par des
pressions de la part de la Fédération de Russie, et notamment par
la menace de la Russie de fermer ses frontières aux exportations ukrainiennes
si l’accord d’association était signé. La menace de sanctions économiques
ou politiques pour influencer les décisions politiques d’un autre
pays est contraire aux normes diplomatiques et démocratiques communément
acceptées, et est inadmissible. A cet égard, l’Assemblée souhaite
rappeler à la Fédération de Russie que, lors de son adhésion, elle
s’est engagée à «dénoncer comme erroné le concept de deux catégories
différentes de pays étrangers, qui consiste à traiter certains d'entre
eux appelés “pays étrangers proches” comme une zone d'influence
spéciale», et à s’abstenir de véhiculer la doctrine géographique
des zones «d’intérêts privilégiés».
5. Les autorités ukrainiennes ont affirmé que les critiques émanant
de l’étranger et visant leur gestion des manifestations de l’Euromaïdan
représentaient une ingérence extérieure dans leurs affaires intérieures.
A cet égard, l’Assemblée tient à souligner que, en sa qualité de
membre du Conseil de l'Europe, l’Ukraine est dans l’obligation de
respecter les normes les plus élevées en ce qui concerne la démocratie,
la protection des droits de l’homme et l’Etat de droit. De plus,
l’Ukraine a signé, entre autres, la Déclaration universelle des
droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils
et politiques. Toute violation des droits de l'homme et les initiatives
risquant d’entraver le bon fonctionnement des institutions démocratiques
ne peuvent donc pas être considérées comme des affaires intérieures
au sens strict, mais peuvent légitimement faire l’objet de préoccupations
ou de critiques de la part d’autres pays, notamment d’autres Etats
membres du Conseil de l'Europe.
6. L’Assemblée regrette, et juge préoccupant, l’usage excessif
et disproportionné de la violence par la police à l’encontre des
manifestants. De l’avis de l’Assemblée, les tentatives des autorités
de disperser de force les manifestations de l’Euromaïdan n’ont fait
qu’aggraver la crise politique et galvaniser les manifestants. L’Assemblée
est tout aussi préoccupée par les provocations et affrontements
violents survenus à l’instigation de manifestants d’extrême droite.
Le droit à la liberté de manifestation et de réunion doit être pleinement respecté,
mais les actes des manifestants ne doivent pas être contraires aux
normes démocratiques communément acceptées. L’Assemblée appelle
donc les autorités à s’abstenir de toute tentative de recourir à la
force pour briser les manifestations et démanteler les campements
des manifestants. Dans le même temps, elle appelle la police et
les manifestants à renoncer à la violence ou aux actes visant clairement
à provoquer une réaction violente de l’autre partie.
7. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par les allégations
crédibles selon lesquelles des manifestants auraient été torturés
et soumis à de mauvais traitements par la police et les forces de
sécurité. Ces pratiques, dont plusieurs chaînes de télévision ont
diffusé des images, sont inacceptables et il faut que leurs auteurs
soient punis dans toute la mesure où la loi le permet. Il ne saurait
y avoir la moindre impunité pour de tels actes. L’Assemblée est
également préoccupée par des informations selon lesquelles les journalistes
seraient spécialement visés par les forces de sécurité, au mépris
du principe de la liberté des médias. En outre, elle est préoccupée
par des informations selon lesquelles trois policiers auraient été poignardés
par des manifestants, dont un mortellement touché. Elle estime que
de tels actes de violence contre des membres des forces de l’ordre
sont inacceptables dans une société démocratique et doivent donner lieu
à une enquête approfondie.
8. Les flambées de violence de décembre 2013 et de janvier 2014,
le recours excessif et disproportionné à la force par la police
et les autres allégations de violations des droits de l'homme doivent
faire l’objet d’investigations, d’un traitement et de réparations
à caractère complet et impartial, et les responsables doivent être
traduits en justice. L’Assemblée se félicite de l’initiative du
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’établir un groupe consultatif
indépendant chargé d’enquêter sur les incidents violents qui ont
eu lieu lors des manifestations de l’Euromaïdan, et regrette que
tant les autorités que l’opposition aient omis de désigner leurs représentants
au sein de ce groupe. De l’avis de l’Assemblée, il est indispensable
de mener une enquête complète, transparente et impartiale sur les
flambées de violence et les violations des droits de l'homme pour trouver
une solution pacifique et négociée à la crise politique. Aussi demande-t-elle
instamment aux autorités comme à l’opposition de désigner sans plus
tarder leurs représentants au sein du groupe et d’apporter à ce dernier
toute l’assistance et la coopération dont il a besoin pour travailler.
9. L’Assemblée regrette l’adoption, dans des circonstances chaotiques
qui compromettent leur légitimité, des «lois antimanifestations»
par la Verkhovna Rada le 16 janvier 2014 et leur promulgation par
le Président Ianoukovitch le 18 janvier 2014, en dépit des nombreux
appels à ne pas les faire entrer en vigueur. Ces lois sont contraires
au principe de la liberté d’expression, de la liberté de réunion
et de manifestation, ainsi que de la liberté des médias et de la
liberté d’information, et portent atteinte au droit à un procès
équitable. Conjuguées, ces lois sont antidémocratiques et répressives,
et elles sont contraires aux obligations incombant à l’Ukraine au
titre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n°
5) et en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe. L’Assemblée
salue donc la décision de la Verkhovna Rada, le 28 janvier 2014, d’abroger
les lois antimanifestations.
10. Il faudrait faire cesser immédiatement les violences et les
violations des droits de l'homme, et entamer des négociations ouvertes
et effectives pour parvenir à un accord sur une solution à cette
crise qui s'aggrave rapidement. De l’avis de l’Assemblée, cet accord
devrait être fondé sur l'engagement, par chacune des parties, de
renoncer à la violence et sur le lancement sans délai d'un dialogue
ouvert, sérieux et effectif entre les dirigeants au pouvoir et les
forces politiques et civiles unies dans le cadre des manifestations
de l’Euromaïdan, au sujet de l'orientation démocratique future et
de l'alignement géopolitique du pays.
11. L’abrogation des lois antimanifestations et la démission du
gouvernement sont un premier pas vers un règlement pacifique à la
crise politique. Ces actions, ainsi que les éléments indiquant que
les autorités tout comme l’opposition ont intensifié leurs efforts
pour trouver une solution négociée à cette épreuve de force, sont accueillies
favorablement par l’Assemblée. Elles offrent une nouvelle occasion
importante qui devrait maintenant être suivie, pour les deux camps,
de nouvelles mesures concrètes en vue de résoudre la crise de manière
pacifique et démocratique.
12. Les autorités ukrainiennes avaient annoncé précédemment plusieurs
réformes de grande ampleur, y compris une révision constitutionnelle,
devant permettre à l’Ukraine de respecter les obligations et engagements
à l’égard du Conseil de l'Europe. L’Assemblée espère que les autorités
et l'opposition maintiendront leur engagement et leur volonté politiques
de mettre en œuvre ces réformes, qui traiteraient aussi plusieurs
causes sous-jacentes des manifestations de l’Euromaïdan. Elle demande
aux autorités de fournir à sa commission de suivi un calendrier
actualisé de ces réformes.
13. Vu l’escalade de la violence et les violations des normes
européennes en matière de démocratie et de droits de l'homme, on
ne peut pas continuer vis-à-vis de l’Ukraine comme si de rien n’était.
L’Assemblée regrette que la Verkhovna Rada ait contribué à l’aggravation
violente de la crise en adoptant les lois antimanifestations controversées.
La Verkhovna Rada devrait assumer toute la responsabilité pour le
rôle qu’elle a joué et utiliser tous les instruments à sa disposition
pour aider à trouver une solution pacifique et négociée à la crise.
C’est pourquoi l’Assemblée voit dans l’abrogation des lois antimanifestations
le signe clair que la Verkhovna Rada a l’intention de jouer un tel
rôle. Elle ne souhaite donc pas envisager la possibilité de suspendre
les droits de vote à l’Assemblée de la délégation ukrainienne à
ce stade. Toutefois, elle pourrait envisager une telle sanction
lors de sa partie de session d’avril 2014 si les graves violations
des droits de l’homme se poursuivaient ou si les manifestations
de l’Euromaïdan devaient être réprimées par la force.
14. L’Assemblée continuera à suivre de près la situation en Ukraine
sur la base des informations données par sa commission de suivi,
qu’elle invite à suggérer d’autres mesures si l’évolution politique
le justifie.