1. Origine
et objectif du rapport
«L’unité de la culture européenne
est simplement le résultat de 3 000 ans de labeur par nos différents ancêtres.
C’est un patrimoine que nous refusons d’accepter à nos risques et
périls, mais dont il serait criminel de priver les jeunes générations.
Il est plutôt de notre devoir de le préserver et de le renouveler»
(Hugh Nicholas William Seton-Watson ,
historien et politologue, 1916-1984)
1. Le 1er octobre 2012, notre
commission a été saisie pour établir un rapport sur la proposition
de résolution (
Doc. 12999) présentée par Mme Muriel Marland-Militello et plusieurs
autres membres le 6 juillet 2012. La commission a nommé M. Michael
Falzon rapporteur le 18 décembre 2012. Après son départ de l'Assemblée parlementaire,
la commission m'a nommée rapporteure le 25 avril 2013.
2. Le 12 mars 2013 à Paris, la commission a eu un échange de
vues avec Mme Mechtild Rössler, Directeur adjoint du Centre du patrimoine
mondial, UNESCO, et M. Léon Herrera, directeur, Coopération européenne
et stratégie, Banque de développement du Conseil de l’Europe. Par
ailleurs, je tiens à remercier particulièrement M. Adam Wilkinson,
directeur des sites d’Edimbourg inscrits au patrimoine mondial,
pour son aide dans la rédaction de cet exposé des motifs. Après
avoir participé au Forum de Marseille organisé en septembre 2013 par
le Conseil de l’Europe et la Commission européenne sur «La valeur
sociale du patrimoine et la valeur du patrimoine pour la société»,
j’ai pris contact avec des experts et des collaborateurs qui m’ont
aidée à collecter des informations sur les initiatives intergouvernementales
pertinentes du Conseil de l’Europe, que le projet de recommandation
propose de promouvoir et de renforcer.
3. Conformément à la proposition, le présent rapport vise à «favoriser
une certaine sensibilisation quant à l’importance de politiques
plus efficaces destinées à préserver le patrimoine culturel afin
d’identifier les bonnes pratiques et de faire des recommandations
concrètes sur les mesures qui contribueraient à surmonter les problèmes
existants et à exploiter le potentiel économique du patrimoine en
tant que ressource pour un développement durable». Le rapport cherche
également «à donner un élan politique à la mise en œuvre de la Convention-cadre
du Conseil de l’Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour
la société (Convention de Faro, 2005)».
4. Le rapport met l'accent sur le patrimoine culturel tangible
, identifié
sur les listes nationales en Europe, qui peut être considéré comme
«menacé». L’article 11 de la Convention de l’UNESCO concernant la
protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (1972)
offre une définition de ce que
l’on entend par «patrimoine menacé»:
«… des biens du patrimoine culturel et naturel qui sont
menacés de dangers graves et précis, tels que menace de disparition
due à une dégradation accélérée, projets de grands travaux publics
ou privés, rapide développement urbain et touristique, destruction
due à des changements d’utilisation ou de propriété de la terre,
altérations profondes dues à une cause inconnue, abandon pour des
raisons quelconques, conflit armé venant ou menaçant d’éclater,
calamités et cataclysmes, grands incendies, séismes, glissements
de terrain, éruptions volcaniques, modification du niveau des eaux,
inondations, raz de marée.»
5. L'analyse qui suit s'appuie également sur les travaux importants
de l'Assemblée sur les questions spécifiques de conservation du
patrimoine
présentant
un intérêt direct avec ce rapport. Je tiens à souligner que les
exemples de patrimoine menacé indiqués dans le présent rapport sont
aléatoires, ils visent à illustrer un problème spécifique. Ils ne
doivent pas être considérés comme une liste exhaustive des sites
menacés et ne visent pas non plus à montrer du doigt un Etat membre.
2. Introduction
6. Le thème du patrimoine menacé en Europe est une source
de préoccupation pour de nombreux Etats membres, les problèmes les
plus aigus étant rencontrés en Europe centrale, en Europe de l'Est,
en Europe du Sud-Est, et dans le Caucase. Toutefois, en raison également
de la crise financière et de sévères coupes budgétaires dans le
domaine de la culture, le patrimoine menacé et sa sauvegarde constituent
également un problème pour de nombreux pays d'Europe occidentale.
La pertinence et l’acuité de cette question ressortent clairement
des travaux de l’UNESCO
sur la liste du Patrimoine mondial
en péril et le programme connexe ICOMOS
Heritage@Risk
et des principales activités intergouvernementales mises en œuvre
par le Conseil de l’Europe dans le cadre de son «Programme de coopération
et d’assistance techniques relatives à la conservation intégrée
du patrimoine culturel», et en particulier de ses programmes régionaux
dans l’Europe du Sud-Est et le Caucase du Sud. L’urgence d’examiner
cette question plus avant a été confirmée par le Congrès sur le
patrimoine européen organisé par Europa Nostra en juin 2012.
7. L’Europe entière renferme les vestiges les plus éblouissants
du développement culturel de l’humanité sur des milliers d’années,
et ce sous la forme d’un patrimoine bâti remarquable, rappelant
l’universalité de la créativité humaine et les valeurs communes
que nous partageons au‑delà de la diversité des cultures.
8. Les considérables avancées sociales, techniques et économiques
accomplies au cours des cent cinquante dernières années, parallèlement
aux migrations, aux guerres, aux catastrophes naturelles et aux
simples effets du vieillissement ont conduit inévitablement à des
pertes, le plus souvent engendrées par l’ignorance ou la recherche
d’un prétendu progrès à tout prix.
9. L’autonomisation croissante des communautés dans un monde
globalisé a conduit à une plus grande prise de conscience de l’importance
des sites et du patrimoine culturel qu’ils représentent en dehors
des cercles universitaires et gouvernementaux qui, traditionnellement,
étaient les gardiens des valeurs architecturales et historiques
de notre patrimoine bâti. Alors que l’on pouvait s’attendre à ce
que cette situation conduise à une réduction des pertes en termes
de bâtiments, de sites et de lieux historiques et des objets de valeur
patrimoniale, la menace, ou la perception de cette menace, semble,
au contraire, s’accroître.
10. Les types de sites en péril surprendront, et choqueront, le
citoyen européen moyen: ce sont par exemple la cathédrale de Bagrati,
le monastère de Gelati et les églises historiques de Mtskheta, en
Géorgie, des monuments médiévaux serbes au Kosovo*
, et la
ville maritime et commerçante de Liverpool – les trois sites figurant
actuellement sur la liste du patrimoine mondial en péril de l’UNESCO
; les sites archéologiques de Pompéi
et d’Herculanum, classés au patrimoine mondial, des manoirs et palais
bâtis en Silésie et dans toute l’Europe centrale, des villages entiers,
une montagne et un complexe minier vieux de deux mille ans dans
la province de Rosia Montana en Roumanie
,
des zones marécageuses de la Vénétie, de majestueux monastères et
couvents, des ponts spectaculaires dans des endroits reculés, des
casernes et des fortifications (telles celles de Vauban à Briançon),
autant d’édifices, d’espaces, de paysages et de sites d’une beauté sublime
et d’une importance historique majeure.
11. Plusieurs organisations ont dressé des listes de sites patrimoniaux
menacés, aussi bien aux niveaux mondial et européen que national.
Par exemple, le Fonds mondial pour les monuments, qui est une organisation
indépendante de premier plan aux Etats-Unis, a mis en place un Observatoire
des monuments mondiaux et publie une Liste des édifices en danger
, ce qui a ensuite encouragé Europa
Nostra à lancer son programme intitulé «Les 7 sites et monuments
les plus menacés en Europe»
. A l’échelle nationale, l’organisation
Patrimoine Suisse a dressé la liste rouge des bâtiments en danger
et l’Association suédoise pour la
préservation des bâtiments (
Svenska byggnadsvårdsföreningen) tient
quant à elle une liste jaune du patrimoine bâti menacé
. Ces initiatives nationales ne
sont cependant pas systématiques partout en Europe, et de nombreux
sites en péril échappent à une surveillance et un contrôle réguliers.
12. L'exemple du site du patrimoine mondial des zones archéologiques
de Pompéi et d'Herculanum est frappant, non seulement pour l'Italie,
mais parce qu’il illustre des situations complexes associées à de nombreux
autres sites en péril. Près de la moitié des 44 hectares du site
archéologique en plein air est menacée par l'effondrement et le
délabrement en raison des conditions climatiques, de la pollution
et de la pression extrême de 2,5 millions de visiteurs par an. L’effondrement
spectaculaire de la maison des gladiateurs a alerté la presse internationale
en 2010, mais de nombreuses autres parties du site se désintègrent
lentement et sans bruit. Du fait des restrictions budgétaires étatiques
,
le personnel scientifique et le personnel chargé de l'entretien
font gravement défaut. Il y a moins d'un gardien par hectare pour
gérer les masses de touristes. De plus, la gestion du site a été
confiée par l'ancien gouvernement à l'organisation de la protection
civile qui, normalement, intervient en cas de catastrophes naturelles.
Cette solution a certes permis de raccourcir de longues procédures
administratives, mais présente un inconvénient, car elle a fait
ressortir de graves allégations de corruption et de détournement
de fonds publics par la mafia locale. En mars 2013, 105 millions d’euros
ont été affectés par le Fonds européen de développement régional
pour restaurer les zones à haut risque, avec pour condition de garantir
une gestion transparente des fonds grâce à la création de la «Superintendance
spéciale du patrimoine archéologique de Naples et de Pompéi» (SANP).
3. Facteurs constituant
une menace pour le patrimoine en Europe
13. Les raisons pour lesquelles le patrimoine est en
danger sont rarement simples et, par conséquent, les solutions ne
sont guère faciles à trouver mais, si l’on prend un peu de recul,
on commence à comprendre les facteurs qui engendrent ces menaces.
La liste suivante des facteurs qui engendrent ces menaces n’est
pas exhaustive mais plutôt indicative:
- la négligence, l’ignorance;
- l’absence de formation et une éducation inadéquate;
- les changements institutionnels;
- le développement économique et les infrastructures (énergie,
transport);
- le développement urbain massif;
- le développement à l’échelle du paysage – exploitations
minières, construction de barrages, etc.;
- les situations de conflit et d’après-conflit;
- la naissance d’une nation;
- les catastrophes naturelles.
- les politiques contradictoires.
3.1. Négligence et ignorance,
absence de formation et éducation inadéquate
14. Les facteurs les plus simples sont l’ignorance et
la négligence, l’absence de formation et une éducation inadéquate,
les uns découlant souvent des autres. L’ignorance de la valeur d’un
patrimoine culturel et sa négligence conduisent inévitablement à
la dégradation des structures, lesquelles ne survivraient pas intactes sans
un maintien régulier. Le changement climatique devrait provoquer
des phénomènes météorologiques plus violents qui exerceront de nouvelles
contraintes sur des bâtiments historiques construits en tenant compte de
paramètres climatiques très différents. De gros efforts seront nécessaires
pour améliorer la résistance de nos lieux historiques et mieux les
préparer aux bouleversements à venir.
15. La dégradation progressive, qu’elle soit délibérée ou accidentelle,
peut être un obstacle considérable à l’action car elle déprécie
le bien au point que les institutions financières ne veulent pas,
ou ne peuvent pas, investir. Elle fausse le jugement porté sur le
patrimoine en question et masque son potentiel.
16. La négligence délibérée et le manque d’entretien sont, depuis
longtemps, un instrument grossier employé par les spéculateurs immobiliers.
Les pâtés de maisons situés à l’est de la gare de King’s Cross,
à Londres, sont l’exemple classique d’une incurie délibérée et prolongée
à laquelle il a enfin été remédié. Pendant de nombreuses années,
leur propriétaire foncier a intentionnellement laissé les immeubles
tomber en ruines, gâchant ainsi la vie des habitants et voisins,
dans l’intention à long terme d’un réaménagement complet. Ceci explique
pourquoi la population des quartiers environnants a tout fait pour
que les choses changent. Lorsque, des années après, les premières
propositions relatives au site ont été présentées, dont celle appelant à
la démolition de l’ensemble d’immeubles et de bâtiments industriels
historiques, l’opposition a protesté avec véhémence. Un agent immobilier
local a démontré comment on pouvait créer de la valeur à partir
des bâtiments existants, et la communauté a contribué à l’élaboration
d’une nouvelle conception du site. En fin de compte, le promoteur
a compris qu’il n’y avait aucun espoir pour ses projets initiaux
et a proposé un nouveau programme axé sur la conservation. L’effet
catalyseur de ce programme dans les zones voisines a été considérable:
un quartier livré à la drogue et à la prostitution s’est transformé
en une zone urbaine florissante.
17. Le manque de formation et d’éducation peut entraîner des réparations
et des interventions inappropriées sur des bâtiments historiques,
faisant plus de mal que de bien en accélérant leur délabrement. Les
structures et les bâtiments historiques sont souvent construits
à partir de matériaux beaucoup plus souples que leurs équivalents
modernes, et les mauvais choix de matériaux pour la réparation causent
des dégâts à long terme.
18. Certaines régions d’Europe connaissent une véritable pénurie
quant aux compétences requises pour la restauration des édifices
historiques, ainsi qu’une érosion du savoir traditionnel indispensable
pour effectuer ces travaux. Des projets visant à encourager l’emploi
des techniques artisanales traditionnelles nécessaires à l’entretien
de ces lieux historiques sont en cours dans plusieurs pays. Cependant,
l’image d’ensemble demeure quelque peu confuse: les savoirs traditionnels
se perdent vite et sont lents à se reconstituer.
3.2. Changement institutionnel
19. Des changements institutionnels peuvent être à l’origine
de nombre de défis parmi les plus importants à relever en matière
de conservation, entraînant la désaffectation de grands bâtiments
et complexes architecturaux, qu’ils aient une fonction religieuse,
médicale, militaire ou industrielle. La simple dimension de ces
sites fait que leur affectation à un nouvel usage pose d’énormes
problèmes, et que, pour les résoudre, les méthodes varient, allant
d’actions ponctuelles dépourvues de coordination à des plans d’ensemble.
20. Des ensembles monastiques exceptionnels tombent en ruines
et de nombreux édifices religieux d'importance locale se détériorent.
Le monastère et l’église de Setubal, au Portugal, conçus par l’architecte Diogo
de Boitaca et achevés en 1494 (avant son chef-d’œuvre, le monastère
Jéronimos de Santa Maria de Belém, à Lisbonne), le site où a été
ratifié le Traité de Tordesillas (1495)
,
l'église orthodoxe Notre-Dame de Ljevis à Prizren, Kosovo, l'ancienne
église arménienne Sourp de Levork à Mardin, en Turquie, (restaurée
en 1822)
sont des exemples d’ensembles religieux
menacés.
3.3. Développement économique
et infrastructure
21. Bien qu’une connectivité croissante soit considérée
comme indispensable au développement économique, la construction
de nouvelles routes et voies ferrées ne va pas sans conséquences
pour le patrimoine. Un exemple frappant de ce phénomène a été l’édification
d’un grand pont routier au-dessus de la vallée de l’Elbe, à Dresde
(Allemagne), qui a abouti à la suppression de cette vallée de la
liste du Patrimoine mondial. En dépit d’une campagne locale et internationale
musclée, les zones marécageuses de la Vénétie ont été fortement
dégradées par la construction du tronçon Valdastico Sud de l’autoroute
A31, entre Vincenza et Rovigo, qui a altéré l’environnement de nombreuses
villas chargées d’histoire dans un paysage jusque-là préservé, tout
en ouvrant cette zone à l’industrialisation.
22. La question des infrastructures énergétiques est depuis longtemps
sujette à contestation. Une pression croissante est exercée pour
accéder à des sources d’énergie souvent éloignées, ce qui risque
de voir éclater d’autres conflits. L’Europe se préoccupe de plus
en plus de l’impact des éoliennes sur les paysages et l’environnement
des monuments historiques. L’une des propositions récentes les plus
étonnantes a été l’installation d’éoliennes dans le cadre du Mont
Saint-Michel, en France, l’un des sites européens les plus emblématiques
inscrits au patrimoine mondial. L’inquiétude suscitée a été telle
que l’UNESCO a demandé à la France de suspendre ses propositions
afin que soit préservé ce «paysage intemporel». Le paysage culturel de
la Vallée du Haut-Rhin moyen, en Allemagne, est un autre site classé
au Patrimoine mondial (depuis 2002) qui est menacé par l’impact
des éoliennes.
3.4. Développement urbain
massif
23. Ce sont les villes européennes fondées depuis longtemps
qui ressentent avec le plus d’acuité les pressions exercées à des
fins de développement. L’urbanisation se poursuit à vive allure
sur tout le continent et bien qu’il y ait d’excellents programmes
communautaires comme URBACT visant à encourager le partage des meilleures
pratiques pour régler toute une série de problèmes communs, des
aménagements mal conçus, mal exécutés et mal contrôlés peuvent avoir
des conséquences désastreuses sur des villes anciennes au tissu social
et historique fragile.
24. Le succès croissant de certains quartiers fait grimper la
valeur du terrain et les promoteurs cherchent à exploiter ces zones
au maximum en démolissant et en reconstruisant. Moscou représente
en la matière un cas extrême: en effet, durant la période entre
1992 et 2010, la municipalité a transformé de vastes quartiers peuplés
d’élégants bâtiments de deux ou trois étages datant du XVIII et
du XIXe siècles en des variantes modernes, au détriment de tout
sens de l’histoire et de toute authenticité. D’autres villes d’Europe
ont mieux réussi à gérer les pressions en faveur du changement et
à en tirer parti; elles ont pour ce faire accepté que l’embourgeoisement
des quartiers historiques puisse parfois servir à les protéger à
longue échéance, et tenté de loger de nouveaux grands ensembles
dans des périmètres restreints – comme La Défense à Paris.
3.5. Développement à
l’échelle du paysage – exploitations minières, construction de barrages etc.
25. La prospection pour alimenter l’économie en matières
premières a rarement des effets positifs à long terme pour une région,
elle cause des dommages considérables au paysage et provoque le
saccage des communautés et de leur cadre de vie pendant les opérations
et leur abandon à la fin des travaux.
26. L’exploitation du lignite à ciel ouvert a été particulièrement
dommageable dans certaines régions d’Allemagne. Avec le démantèlement
progressif des centrales nucléaires, au lendemain de la catastrophe
de Fukushima, la demande d’électricité de base ne fera que croître.
L’ampleur de ces exploitations est considérable
.
L’exploitation minière n’a pas pour seul effet de dégrader les paysages,
villes et villages historiques; elle a aussi pour conséquence d’isoler
physiquement les zones les unes des autres, en détruisant ainsi
le tissu social.
27. La construction de barrages à vocation agricole ou énergétique
peut être extrêmement destructrice pour les paysages et lieux historiques.
Ceci est particulièrement inquiétant en Turquie, pays qui compte
de stupéfiantes richesses archéologiques et architecturales. Nombre
de ses sites historiques les plus précieux sont situés précisément
à proximité des fleuves sur lesquels il est proposé d’établir un
barrage dans le cadre d’un plan visant à favoriser le développement
économique. L’une des pires catastrophes récentes a été la destruction
du complexe thermal hadrianéen (romain) d’Allianoi.
28. La cité historique d’Hasankeyf est aujourd’hui menacée par
la construction du barrage d’Ilisu. Hasankeyf est un site d’une
valeur historique inestimable, témoignant de la présence d’un peuplement
dès 9 500 ans av. J.-C. et (plus récemment) de l’Empire romain,
de Byzance, des Artukides, des Ayyoubides, des Akkoyunlus et, bien
sûr, de l’Empire ottoman. L’édification du barrage aura pour effet
d’inonder 80 % de ces monuments historiques, en l’absence de tout
projet de conservation, de préservation et de transplantation internationalement
reconnu
.
Les propositions pour le barrage ont été ratifiées avant que la
Turquie ne soit dotée d’une législation exigeant des évaluations
d'impact environnemental.
3.6. Situations de conflit
et d’après-conflit
29. Cette question particulière sera traitée plus en
détail par la commission dans son rapport consacré à «La préservation
de la culture dans les situations de crise et de post-crise»
.
30. Des conflits sont souvent à l’origine de la disparition rapide
de nombreux bâtiments et lieux historiques. Selon les données recueillies
depuis novembre 1995 par l’Institut pour la protection du patrimoine
culturel, historique et naturel de Bosnie-Herzégovine (dans le cadre
de l’examen complet mené par le Conseil de l’Europe et la Commission
européenne), 2 771 biens du patrimoine bâti ont été partiellement
démolis ou endommagés, 713 ont été totalement détruits et 554 ont
été incendiés et sont inutilisables depuis la guerre de 1992-96.
L’épisode le plus tristement célèbre a été la destruction du vieux
pont de Mostar, laquelle a symbolisé l’anéantissement d’une communauté.
Toutefois, sa reconstruction a été un symbole de solidarité internationale et
un exemple très positif du soutien de la société civile à la préservation
du patrimoine.
31. Chypre offre un autre exemple de ce type de situation. Dans
ce pays, qui compte une civilisation unique depuis 9 000 av. J.-C.,
un certain nombre d’initiatives internationales ont été entreprises
pour trouver des solutions de conservation du patrimoine culturel
menacé. Selon les estimations, depuis 1974, des centaines de monuments
historiques et religieux ont été partiellement ou totalement détruits
et plus de 60 000 objets anciens ont été illégalement disséminés
à travers le monde. Les rapporteurs de l’Assemblée qui se sont rendus à
Chypre en 1989 et en 2000
ont
proposé la création d’une Fondation européenne pour le financement
des activités de conservation au nord de l’île, en facilitant les
contacts internationaux destinés à aider les experts locaux dans
leurs travaux de conservation, de recherche et d’inventaire des
pertes de biens culturels. Ils ont fortement encouragé l’établissement
d’une coopération plus étroite entre les parties prenantes et ont
appelé à une assistance internationale pour le contrôle du commerce
illicite des biens culturels.
32. L’éducation requiert un enseignement impartial de l’histoire
– qui évitera de privilégier explicitement une tradition au détriment
d’une autre en entraînant, à long terme, une incapacité à apprécier
à leur juste valeur certains bâtiments et monuments. Ceci est malheureusement
le cas au Kosovo où, au lendemain du conflit, une jeune population
de souche albanaise n’est pas éduquée à avoir pleinement conscience
de l’importance des monuments historiques qui l’entourent. On peut
craindre que cette situation conduise à l’abandon durable d’une
partie conséquente du patrimoine de la région.
3.7. Naissance d’une
nation
33. La formation d’une nation fait apparaître de nouveaux
citoyens qui tentent de trouver leur voie dans le monde, ainsi que
de nouvelles allégeances et de nouveaux investisseurs. En Europe
du sud-est en témoignent très clairement de modestes investissements
turcs dans les infrastructures, ainsi que des investissements wahhabites
dans de nouvelles mosquées de style arabe, qui négligent les traditions
locales et laissent les édifices religieux locaux à l’abandon.
34. De même, la naissance d’une nouvelle nation a souvent pour
conséquence une modernisation rapide des capitales; celle-ci joue
le rôle de vitrine pour les aspirations des nouveaux dirigeants
et, tentant de présenter au monde extérieur une apparence de modernité,
se solde par la perte de bâtiments anciens. C’est ce qu’ont subi
des sites datant du XIXe siècle à Bakou,
en Azerbaïdjan: une attention particulière a été apportée à la ville
fortifiée d’Icherisheher, mais d’autres sites historiques plus récents
ont vu la démolition d’édifices de caractère qui constituaient le
cadre de vie quotidien des habitants.
35. De plus, la formation d’une nation présente un véritable danger
lorsqu’au sein de partis politiques traditionnels, un nationalisme
modéré conduit accidentellement à l’extrémisme. Lorsque des édifices
à forte connotation historique deviennent des foyers de tension,
et que des vestiges sont ainsi mis en péril (rappelons-nous la récente
profanation de monuments commémoratifs de l’Holocauste en Ukraine),
le risque d’une explosion de haine est toujours présent. De tels
actes ne sont rien de moins qu’un déni de l’histoire.
3.8. Catastrophes naturelles
36. Les catastrophes naturelles amènent à se poser des
questions sur ce qui est fait après le sinistre, les pires exemples
en Europe démontrant le développement effréné de la spéculation
immobilière qui empêche la reconstruction et détruit les communautés.
Des mesures peuvent être prises pour atténuer les pires effets des
catastrophes naturelles mais leur mise en œuvre est rarement bon
marché.
37. L’Italie, la Géorgie
et l’Espagne
se
situent dans des zones d’activité sismique fréquente, ce qui a un impact
considérable sur le patrimoine culturel. La priorité absolue est
de sauver des vies, et assurer une protection adéquate des bâtiments
historiques serait très onéreux. En conséquence, la meilleure ligne
de conduite après un tremblement de terre ou toute autre catastrophe
naturelle consiste à reconstruire aussi rapidement que possible
les infrastructures, afin d’aider les communautés brisées à se reconstruire.
Cela ne s’est pas produit à L’Aquila (Italie) après le tremblement
de terre de 2009 qui a fait près de 300 morts, endommagé des milliers
de bâtiments et déplacé quelque 65 000 personnes. Malgré les pressions
nationales et internationales, le centre-ville est resté abandonné
pendant quatre ans, les habitants étant de fait empêchés de regagner
leurs foyers, de refaire leur vie et de rebâtir leur communauté.
3.9. Politiques contradictoires
38. Les pouvoirs publics concernés sont souvent dépourvus
de l’expérience, de l’assurance ou des fonds nécessaires pour agir
avec efficacité. Parfois, ils en sont empêchés à cause de leur propre
politique intérieure. Si excellentes que soient certaines politiques
de conservation, d’autres politiques gouvernementales, comme celles
relatives à l’économie, à la défense ou à la santé, peuvent les
battre en brèche et souvent les reléguer au second plan. Il est
difficile pour le législateur et les experts de l’élaboration des
politiques de prédire les conséquences d’une politique sur une autre.
39. La compression actuelle des dépenses publiques a touché de
plein fouet le budget de l’Etat, soucieux avant tout de protéger
des secteurs de dépenses névralgiques, tels l’éducation et les soins
de santé. Aussi les coupes ont-elles été d’autant plus drastiques
dans le financement du patrimoine, avec par exemple plus de € 280
millions en moins pour le budget italien destiné aux musées, galeries
et sites patrimoniaux pour la période 2011-14. S’ajoute à cela la
crise immobilière qui s’est soldée par une diminution considérable
des contributions des promoteurs à la conservation et à la restauration.
L’exemple de l’Irlande est également frappant, avec une diminution
des fonds destinés à la sauvegarde du patrimoine de € 23 à € 2 millions.
40. On retrouve un peu partout en Europe des exemples de politiques
contradictoires, généralement dans le domaine du développement économique,
notamment lorsque celles-ci sont d’inspiration keynésienne; elles tablent
alors sur le secteur de la construction qu’elles encouragent au
plan politique afin de favoriser la croissance du produit intérieur
brut (PIB), sans guère se soucier de la perte de valeur occasionnée
dans d’autres domaines, dont en particulier l’environnement historique.
Ce conflit apparent est à l’origine de nombre d’exemples mis en
avant dans le présent rapport. Les constructions nouvelles constituent
également un héritage politique très apparent, même si ce n’est
qu’à court terme. Une meilleure harmonisation de ces politiques
consisterait à comprendre l’impact exercé sur le système économique
de l’entretien et des réparations (pour lequel de véritables statistiques
sont actuellement difficiles à trouver: en Ecosse, par exemple,
on estime qu’il représente globalement 40 % du secteur de la construction)
et à le reconnaître comme un facteur économique essentiel.
4. Bonnes pratiques
au niveau national
4.1. Examen et entretien
régulier
41. Un certain nombre d’institutions nationales et d’organismes
tiers effectuent sur place un examen de l’état du patrimoine légalement
protégé et, en conséquence, affectent les ressources aux opérations
les plus urgentes, tout en menant des actions de sensibilisation
auprès du public et du gouvernement. Les activités de sensibilisation
peuvent être, pour les pouvoirs publics, une incitation à agir extrêmement
forte, notamment lorsque la pression locale s’exprime en des termes
auxquels les responsables gouvernementaux sont réceptifs.
42. Ce sont souvent des tierces parties qui se chargent de la
surveillance du patrimoine en péril. L’Association suédoise pour
la préservation des bâtiments publie la Gulalisten (Liste
jaune) dans le but de sensibiliser l’opinion aux lieux et édifices
en danger et d’inciter à l’action citoyenne et gouvernementale.
Au Royaume-Uni, le groupe de campagne SAVE Britain’s Heritage publie
depuis sa création, en 1975, des listes de bâtiments menacés afin
de favoriser les initiatives de défense du patrimoine. De plus,
il encourage depuis peu les particuliers à relever le défi que représentent
certains de ces édifices. C’est maintenant au gouvernement de prendre
la relève et de contribuer à trouver des solutions. Retirer des
bâtiments de la liste – moyen employé par l’Ecosse pour mesurer
les résultats de l’Agence nationale du patrimoine, Historic Scotland –
est un outil de mesure efficace.
43. Un entretien systématique et régulier est essentiel pour empêcher
que les bâtiments ne soient laissés à l’abandon et tombent en ruine.
D’un pays européen à l’autre, les approches varient en la matière,
allant de l’absence totale de mesures à des mesures très efficaces.
A cela s’ajoute la notion de conservation éclairée, reposant sur
la compréhension du degré d’importance à accorder aux différents
éléments patrimoniaux d’un bâtiment, d’un site ou d’une zone avant
toute intervention, afin de s’assurer que les priorités sont fermement établies.
44. L’organisation Monumentenwacht (Surveillance
des monuments), qui s’occupe de l’entretien régulier et systématique
du patrimoine bâti aux Pays-Bas,
est sans doute la plus ancienne et la plus étudiée. Elle offre aux
propriétaires d’immeubles protégés par la loi un service d’inspections
régulières destinées à suivre l’évolution des bâtiments et à détecter
les problèmes avant qu’ils prennent de l’ampleur. Les petites réparations peuvent
être effectuées sur place et les propriétaires sont tenus informés
des travaux requis. Ajoutée à un régime fiscal favorable, cette
méthode paraît généralement très efficace pour prévenir les dégradations
et a été reprise avec succès dans d’autres pays.
45. L’Association Patrimoine culturel sans frontières au Kosovo,
qui travaille sur le style traditionnel Kula aux alentours
de Peć, a adopté une tactique plus extrême mais non moins probante
pour empêcher la détérioration du patrimoine menacé. Les architectes
participant au programme ont souhaité s’atteler à la préservation
du plus grand nombre possible de ces bâtiments vernaculaires mais,
ayant des moyens limités, ils ont entrepris de fermer provisoirement
certaines structures. Ils assurent la stabilisation des bâtiments,
les mettant ainsi à l’abri des intempéries pour résister à la rigueur
des hivers. Les réparations pourront débuter dès que les financements
et la capacité organisationnelle le permettront.
4.2. Intégration et
engagement communautaire
46. Au sein du gouvernement, la protection du patrimoine
est souvent confiée à un seul département, comme le ministère de
la Culture qui n’a pas forcément d’influence sur d’autres ministères
plus puissants. Il y a de bons exemples d’initiatives qui visent
à faire prendre conscience à d’autres secteurs de l’incidence de
leur action sur l’environnement bâti, en s’appuyant fermement sur
les exigences des études d’impact sur l’environnement. Au niveau
des collectivités locales, l’importance accordée à cette question
est variable; elle peut être nulle ou, au contraire, très grande,
en fonction des priorités politiques locales plutôt que de l’ampleur du
patrimoine de la localité concernée. La compréhension de la contribution
que le patrimoine peut apporter à l’économie et à la société dans
une région donnée ainsi qu’aux relations internationales entre les
pays, est la clé de l’adoption d’une position équilibrée. A cette
fin, il est essentiel de s’assurer que le processus décisionnel concernant
la planification et l’élaboration des politiques intègre pleinement
le patrimoine, en évitant les problèmes et polémiques en aval.
47. La perte d’éléments du patrimoine à cause de mauvaises décisions
d’aménagement peut souvent être évitée grâce à une concertation
précoce avec les pouvoirs publics et les communautés concernées,
en nouant un dialogue positif. Bien qu’en apparence, cette procédure
ralentisse le processus d’investissement et d’aménagement, elle
donne aux investisseurs davantage de garanties et engendre, in fine,
des changements plus durables, avec le soutien de la population
intéressée.
48. Il est difficile d’adopter une approche transparente et démocratique
de l’aménagement du territoire, en particulier dans des pays habitués
à une planification centralisée. Certains pays pratiquent depuis
longtemps des réunions d’information et de concertation au niveau
des collectivités, notamment dans le nord de l’Europe. Au Danemark,
les pouvoirs locaux sont tenus de concevoir pour toute modification
à l’échelle locale un plan qui fera l’objet d’un débat local entre
les citoyens avant la prise de décision finale. Ce système garantit
qu’un aménagement global synthétisera les intérêts de l’ensemble
des citoyens concernant l’occupation des sols et contribuera à protéger
la nature et l’environnement.
49. L’engagement communautaire au stade de la planification assure
une durabilité sur le long terme, au moyen du patrimoine et de la
culture d’un lieu pour établir une base solide pour la société,
le patrimoine (tangible et intangible) offrant un point de référence
pour la société. Il offre aussi la possibilité de se concentrer sur
les besoins locaux plutôt que sur les politiques nationales.
4.3. Education et sensibilisation
50. La sensibilisation de la population au passé national
et à son histoire ainsi que sa mobilisation sont essentielles pour
garantir la durabilité des activités de conservation. La valorisation
doit porter non seulement sur le patrimoine historique et architectural
mais aussi social, reconnaissant le rôle que le patrimoine doit
jouer en tant que facteur de cohésion de la société.
51. Ce point trouve sa plus forte expression dans l’article 27
de la Convention du patrimoine mondial, qui stipule: «Les Etats
parties à la présente Convention s’efforcent par tous les moyens
appropriés, notamment par des programmes d’éducation et d’information,
de renforcer le respect et l’attachement de leurs peuples au patrimoine
culturel et naturel.»
52. Concernant cet article de la convention, on reconnaît implicitement
que la reconnaissance par les différents peuples de la valeur universelle
exceptionnelle d’un site inscrit au patrimoine mondial est un moyen de
créer une bonne entente internationale. Ceci vaut également au niveau
local, en attestant du rôle que doit jouer le patrimoine dans l’objectif
européen plus large de renforcer les liens entre les peuples de
notre continent.
53. La valorisation du patrimoine par des associations locales
inscrit de fait le patrimoine dans le processus démocratique, créant
les conditions nécessaires pour que les responsables politiques
prennent des décisions positives dans ce domaine, avec le soutien
de la population. A cet égard, la Convention‑cadre du Conseil de l'Europe
sur la valeur du patrimoine culturel pour la société
est
particulièrement utile pour orienter la politique des autorités
nationales, régionales et locales.
54. Au niveau national, Fondo Ambiente Italiano exécute un certain
nombre de programmes de sensibilisation aux bâtiments, aux sites
et aux enjeux liés au patrimoine historique, plus particulièrement
par le biais de son programme «
I luoghi del cuore»
(Les lieux du cœur)
. Les antennes nationales d’Europa
Nostra jouent un rôle important en sensibilisant la population au
sein même des pays. Elles sont particulièrement utiles dans les
pays où la société civile continue de se développer. Le National
Trust en Angleterre est actif au niveau national en termes d’éducation
au patrimoine, mais il laisse une grande liberté d’action aux sites
eux-mêmes pour adapter l’expérience de l’apprentissage à chaque
bâtiment et aux besoins locaux.
4.4. Incitations financières
55. Il est de plus en plus difficile de localiser les
fonds nécessaires à la réparation et à la réutilisation du patrimoine
menacé; les réponses apportées se complexifient avec la mise en
place de partenariats destinés à remédier à la situation problématique
de certains sites et l’accès aux fonds à partir d’une grande diversité
de sources (voir les lignes directrices publiées par le Conseil
de l’Europe en 2009, «Financement du patrimoine architectural: Politiques
et pratiques»
).
56. L’approche traditionnellement adoptée par les gouvernements,
qui consiste à allouer des subventions pour la réparation des bâtiments,
n’est pas viable à long terme et d’aucuns prétendent qu’elle récompense
de fait une mauvaise gestion des bâtiments et lieux historiques.
Le Nationaal Restauratiefonds (Fonds national de
restauration), aux Pays-Bas, donne un exemple de la manière dont
un financement public modeste pourrait être utilisé à meilleur escient.
Le fonds n’offre pas de financements aux propriétaires, mais plutôt
des prêts à taux réduit, ainsi que des allègements fiscaux, pour
leur permettre de restaurer leurs biens. Une version plus ciblée
de ce système s’applique à la vieille ville et la nouvelle ville
d’Edimbourg, site inscrit au patrimoine mondial sous les auspices
de l’Edinburgh World Heritage. Les financements sont remboursables
à la cession d’un bien résidentiel privé ou à l’issue de dix ans
d’exploitation d’un immeuble commercial, ce qui encourage la propriété
à long terme ainsi qu’une intendance avisée. Dans le cadre plus
large des financements de l’Union européenne, divers régimes – bien
que non spécifiques à la culture ou au patrimoine – peuvent aisément s’appliquer
au patrimoine en danger. La source de financement JESSICA pourrait
par exemple être employée pour fournir des fonds de roulement (sous
forme de prêts bon marché) pour la réparation de bâtiments dont
la rentabilité commerciale serait sinon faible.
57. En Europe, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’applique
inégalement en matière de rénovation des bâtiments historiques.
Dans certains pays, comme le Royaume-Uni, ceci se traduit par un
impôt de 20 % sur la rénovation des bâtiments historiques qui, dans
d’autres Etats comme la France, bénéficie d’une certaine exonération.
A bien des égards, l’Europe accuse un certain retard par rapport
aux Etats-Unis, où les réductions d’impôt pour la restauration de
bâtiments historiques se sont soldées par un investissement massif
dans des bâtiments qui, dans le cas contraire, n’auraient pas été
considérés comme économiquement viables et auraient été laissés
à l’abandon. Ces réductions fiscales peuvent prendre diverses formes
– d’un allègement fiscal à durée limitée des impôts fonciers locaux
pour la réhabilitation d’un immeuble inoccupé à un allègement de
l’impôt sur le revenu des particuliers pour des fonds consacrés
à la restauration. Si ce type de systèmes se généralisait en Europe,
l’écart ressenti entre le monde des organisations de défense du
patrimoine et celui du développement se réduirait considérablement,
les promoteurs commerciaux devenant des promoteurs du patrimoine
commercial.
4.5. Cadre juridique
et application des règles
58. Les points soulignés ci‑dessus concernent des mesures
proactives destinées à éviter que le patrimoine soit mis en danger.
Ces mesures doivent toutefois être étayées par de solides cadres
juridiques pour réglementer le patrimoine légalement reconnu, en
instaurant des mécanismes composés d’experts et respectés au sein
des gouvernements. Les systèmes réglementaires employés dépendent
grandement de la priorité accordée au patrimoine, ainsi que du degré
de compréhension du rôle transformationnel de l’environnement historique.
Il est regrettable que les coupes drastiques dans les dépenses publiques
aient affaibli ces systèmes réglementaires dans un certain nombre
de pays européens. Par exemple, en Hongrie, le bureau gouvernemental
chargé des monuments historiques a été dissous en 2010, et en Irlande
et en Grèce les effectifs d’experts ont été réduits de plus de 50 %.
59. Des problèmes se posent au niveau national dans les Etats
décentralisés où les règles peuvent être appliquées différemment
selon les échelons administratifs, créant dans le système des failles
qui peuvent être exploitées. A l’autre extrémité de l’échelle des
pouvoirs, le contrepoids est assuré par l’obligation européenne de
procéder à des études d’impact des aménagements majeurs sur l’environnement,
ce qui garantit que le processus de prise de décision publique repose
sur des informations fiables concernant la perte potentielle d’éléments
du patrimoine.
60. Trop souvent, si brillants que soient leurs structures ou
leur personnel, les mécanismes mis en place s’effondrent lorsqu’il
y a un constat d’échec en matière d’application des règles. Les
raisons d’un tel échec sont complexes et peuvent être liées à des
questions de coût, d’expérience, de compétence juridique, d’ingérence politique
etc. Là où l’application des règles est assurée, les sanctions infligées
peuvent être des amendes et aller jusqu’à des peines de prison en
passant par la confiscation d’un bien et la suppression de toute
aide antérieure de l’Etat.
61. English Heritage, qui est intervenu contre la démolition de
Greenside, un immeuble moderniste de 1937 conçu par Connell, Ward
et Lucas et protégé par la loi, est un cas intéressant d’organisme
public agissant en faveur du patrimoine menacé. L’administration
locale avait délivré – contre l’avis de ses propres experts – un permis
de démolition pour remplacer ce bâtiment par une construction plus
imposante. Avant même la validation de ce permis par le gouvernement,
le propriétaire avait illégalement procédé à la démolition du bâtiment.
Sur ces entrefaites, le gouvernement a refusé la demande de permis
de démolition, exposant ainsi le propriétaire à des poursuites judiciaires.
English Heritage a effectivement poursuivi le propriétaire, qui
a été condamné à une amende totale de £ 25 000 au titre de la démolition.
Bien que ce jugement ait envoyé un signal clair, on peut estimer
que le propriétaire s’en est sorti à bon compte – la loi anglaise
autorisant des amendes pouvant se monter à £ 200 000 et à une peine
d’emprisonnement.
5. Coopération internationale
5.1. Coopération européenne
62. Des efforts sont déployés dans toute l’Europe pour
s’assurer que ceux qui participent à l’action des autorités publiques
pour conserver et revitaliser certains lieux sont dotés des outils
techniques permettant aux investissements de grande ampleur de tirer
parti de tout ce que la patrimoine dudit lieu peut offrir, renforçant les
notions de revitalisation induite par la conservation.
63. Sous l’égide du Conseil de l’Europe, plusieurs activités intéressantes
sont menées à bien, parmi lesquelles: le Processus de Ljubljana
– Réhabiliter notre patrimoine commun, mis en œuvre conjointement avec
la Commission européenne (DG-EAC et ultérieurement DG-ELARG) depuis
2003
, qui rassemble les organisations
intersectorielles et les partenaires sociaux et les aide à définir
des projets de réhabilitation des monuments et des sites afin qu’ils
soient en étroite corrélation avec leurs environnements sociaux
et économiques et qu’ils obtiennent des investissements et des financements
extérieurs; les «projets pilotes sur la réhabilitation des villes
historiques», également mis en œuvre avec le soutien de la Commission
européenne dans le Caucase du Sud et les pays de la mer Noire (et
qui devraient se poursuivre à compter de 2014 dans le cadre des
Stratégies urbaines menées par les communautés dans les villes historiques
au sein du programme de Partenariat oriental)
,
qui visent à recenser les projets urbains axés sur le patrimoine
capables de relancer les stratégies de revitalisation; les projets
pilotes de développement local
qui proposent un cadre politique
de consultation associant une grande diversité d’acteurs publics
et privés aux discussions sur l’avenir des zones rurales d’exception,
où le patrimoine est envisagé comme une ressource locale durable
pour le développement; le «Soutien de l’Union européenne et du Conseil
de l’Europe à la promotion de la diversité culturelle au Kosovo»
(PCDK)
, qui suit une approche intersectorielle
et transversale axée sur quatre éléments principaux: le renforcement
des capacités, l’éducation et la sensibilisation de la population,
le développement économique local et le bien-être de la population,
et qui rassemble tous ces éléments dans des projets pilotes novateurs
fondés sur le patrimoine commun; et le Réseau européen du patrimoine (HEREIN)
, créé en 1999, qui regroupe 44 services
gouvernementaux chargés du patrimoine culturel et qui sert de référence
aux organismes d’Etat, aux professionnels, aux chercheurs, aux organisations
non gouvernementales actives dans ce domaine et à tous les citoyens
intéressés. Sa base de données offre une vue synthétique des politiques
mises en œuvre en faveur du patrimoine culturel, encourage les bonnes pratiques
et aide les pouvoirs publics à adapter leurs politiques et à améliorer
les modes de gouvernance en matière de patrimoine culturel.
64. De nombreux programmes mis en œuvre grâce à des financements
de l’Union européenne veillent au partage d’informations et d’expériences.
Le réseau HERO, coordonné par la ville de Regensburg dans le cadre du
programme URBACT, s’est efforcé de promouvoir l’idée du patrimoine
comme une chance à saisir. Collaborant étroitement avec l’Association
européenne des villes et régions historiques (EAHTR), formée en 1999
par le Conseil de l’Europe, ce réseau avait pour but de concevoir
des stratégies de gestion intégrées et novatrices dans le domaine
des paysages urbains historiques, en assurant un équilibre entre
la conservation du patrimoine culturel et un développement socio-économique
durable des villes historiques, afin d’en renforcer l’attractivité
et la compétitivité. L’accent a été mis sur la gestion des conflits
d’intérêt et le pari sur les atouts du patrimoine culturel pour
les activités économiques, sociales et culturelles.
65. Le projet HERMAN de l’Union européenne a pris la mesure du
potentiel offert par l’exploitation durable du patrimoine culturel
pour favoriser le développement de villes petites et moyennes d’Europe
centrale, en s’inspirant d’approches mieux coordonnées, intégrées
et systématiques de la gouvernance. Le projet réunit 10 villes
, dans l’objectif de comprendre et
mettre en œuvre les meilleures pratiques de villes ayant déjà appliqué avec
succès ce type de solutions.
66. En termes de formation, il existe des programmes financés
par l’Union européenne, tel SATURN, qui vise à créer à l’intention
des personnes enseignant dans le domaine de la régénération urbaine
une série de publications donnant des exemples de bonnes pratiques
en matière d’engagement communautaire dans les processus de développement
et énumérant les outils économiques disponibles pour assurer des
résultats respectueux de l’environnement historique bâti.
67. Des conférences annuelles telles que celle intitulée Le meilleur du patrimoine, une enquête internationale
sur les musées et les projets en matière de patrimoine et de conservation
primés, lancée en 2003 par l’Association européenne du patrimoine,
sont d’autres excellentes occasions de répandre les bonnes pratiques
en Europe. Le meilleur du patrimoine,
qui se tient chaque année à Dubrovnik, donne aux professionnels
la possibilité d’échanger expériences, contacts et informations.
68. Les normes et lignes directrices pour la conservation varient
d’un pays européen à l’autre, certains d’entre eux adoptant une
approche très technique, d’autres une approche un peu plus pragmatique.
Les stratégies les plus efficaces sont apparemment celles qui, au
lieu de faire obstacle aux changements, s’efforcent de les gérer
grâce à un aménagement prospectif du territoire. Le cadre théorique
de la gestion durable de l’environnement bâti a été grandement renforcé
par l’Initiative de l’UNESCO concernant le paysage urbain historique
, bien que cette initiative soit
axée sur la gestion des zones urbaines.
69. L’Initiative pour la sauvegarde des paysages urbains historiques
est une démarche bienvenue visant à intégrer en amont les aspects
patrimoniaux dans le processus décisionnel relatif à la gestion
urbaine. Ceci pour éviter la situation trop fréquente dans laquelle
certains groupes d’intérêts ne sont avertis des plans d’aménagement
et des menaces pesant sur les lieux historiques qu’une fois les
décisions arrêtées.
70. Un examen des projets de conservation et de restauration ayant
remporté le Prix du patrimoine culturel de l’Union européenne/Concours
Europa Nostra révèle la grande diversité des enveloppes financières
et des innovations destinées à promouvoir les projets, ainsi que
des méthodes d’obtention des aides gouvernementales caritatives
et institutionnelles, et des financements issus des produits du
loto ou accordés par des promoteurs immobiliers privés. Il reste
cependant beaucoup à faire pour partager à l’échelle européenne
les exemples de dispositifs de financement novateurs dont divers
groupes font la synthèse pour appuyer leurs projets.
5.2. UNESCO
71. La coopération entre les Etats Parties à la Convention
du patrimoine mondial et le Centre du patrimoine mondial est un
moyen important d’éviter les difficultés et de renforcer de fait
la valeur universelle remarquable des sites du patrimoine mondial
grâce à des changements judicieux.
72. Un certain nombre de mécanismes ont pour but d’assister les
Etats Parties dans la gestion de leurs sites inscrits au patrimoine
mondial, comme le Bureau régional de l’UNESCO à Venise, qui soutient
la coopération internationale en Europe du Sud-Est, ou les réseaux
informels qui se constituent entre les villes grâce à un dialogue
et une coopération spontanés. Les nations disposant de niveaux de
compétences extrêmement variés, il est toutefois difficile de leur
faire appliquer la convention, et plus difficile encore de les amener
à toutes respecter les mêmes normes. L’une des missions les plus
importantes du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO pourrait
consister à réunir les responsables des sites pour qu’ils partagent
leurs expériences.
73. Le concept de patrimoine mondial notamment (mais pas exclusivement)
donne lieu à un réseau puissant d’échanges transnationaux d’expérience,
montrant ce qui peut être réalisé dans ce domaine. Il y a également de
nombreuses initiatives liées à la valorisation internationale comme
le Programme d’Europa Nostra concernant le patrimoine en danger
qui vise à alerter sur les exemples de mauvaises pratiques.
74. L’Organisation des villes du patrimoine mondial, dont le secrétariat
régional pour le nord-ouest est basé sur le site du patrimoine mondial
de Regensburg, est un précieux outil d’échange des expériences qui s’emploie
à mettre en contact les directeurs de sites urbains du patrimoine
mondial pour les aider à recenser leurs problèmes communs et à analyser
les bonnes pratiques, tout en développant un sens de la solidarité entre
ses membres.
75. Le concept de patrimoine mondial encourage la compréhension
des valeurs communes, l'accent étant mis sur l'éducation guidant
les Etats Parties vers l'importance d’une sensibilisation de leurs
populations, surtout les jeunes, à leur histoire et leur culture.
Au-delà du renforcement de la compréhension culturelle, l'apprentissage
dans ce domaine élargit la capacité des enfants à acquérir une réflexion
créatrice, abstraite et innovante, et devrait s’appliquer à tous
les niveaux du patrimoine culturel, et pas seulement au patrimoine mondial.
5.3. Organisations non
gouvernementales
76. Les associations locales de défense du patrimoine
se comptent par milliers en Europe, chacune s’exprimant sur ses
préoccupations particulières. Les pays d’Europe de l’Ouest et du
Nord ont une grande et longue expérience de la participation citoyenne,
grâce à des organisations établies de longue date telles que la
Société pour la protection des bâtiments anciens, fondée en 1877
au Royaume-Uni, qui mène campagne à l’échelle nationale, ainsi qu’à
des groupes plus modestes œuvrant au niveau local.
77. Dans les Etats d’Europe centrale et orientale, la société
civile ne cesse de se renforcer depuis les bouleversements politiques
survenus au début des années 1990. Certaines difficultés persistent
néanmoins dans des pays comme la Russie, où les lois relatives aux
organisations de la société civile, dont le rôle est primordial
dans la lutte en faveur du patrimoine en danger, sont très strictes
.
78. Au niveau européen, plusieurs initiatives – de la campagne
«We Are More» qui demande
à l’Union européenne d’allouer davantage de financements à la culture
par l’intermédiaire de Culture Action Europe, à Europa Nostra, porte-parole
du patrimoine culturel en Europe – coordonnent le très large éventail d’organisations
existantes afin qu’elles s’expriment enfin d’une seule voix claire
en faveur du patrimoine.
79. Le nouveau programme d’Europa Nostra, intitulé
Les 7 sites les plus menacés, vise
non seulement à identifier les sites les plus menacés en Europe,
mais aussi à contribuer à trouver des solutions grâce à son réseau
d’experts et ses partenaires dans le programme, la Banque européenne
d’investissement et la Banque de développement du Conseil de l’Europe.
Bien que ce programme n’en soit qu’à ses débuts, il a déjà prouvé que
réunir des experts issus de différents pays, cultures et compétences
était un moyen efficace pour définir des solutions, encourager la
participation d’acteurs du gouvernement et de la société civile
à faire de même, et intégrer des Etats non membres de l’Union européenne.
L’un des aspects les plus intéressants de sa présélection de 14
sites pour la liste 2013 est que celle-ci inclut délibérément et
concrètement des sites objets de conflits ou lieux de tensions internationales,
comme la zone tampon du centre historique de Nicosie, à Chypre,
ou s’attaque à des problèmes a priori lointains, comme celui du
remarquable patrimoine de l’Arménie
.
80. L’une des principales sources paneuropéennes d’informations
et d’avis techniques est le Comité scientifique d’Europa Nostra,
dont le bulletin offre des conseils détaillés. S’occupant essentiellement
du remarquable patrimoine militaire européen, son intérêt ne se
limite pourtant pas aux châteaux et forteresses, mais s’étend à
des quartiers entiers, des zones rurales, des ouvrages et des paysages
culturels qui représentent notre patrimoine commun.
81. Bien que les différents pays d’Europe abordent diversement
le problème des églises désaffectées, on observe néanmoins une tentative
concertée visant à partager les compétences par le biais d’Avenir
du patrimoine religieux, le réseau européen de défense des lieux
de culte historiques. Ce groupe collabore avec divers courants religieux,
ainsi qu’avec le secteur bénévole, les gouvernements et les milieux
universitaires, échangeant savoir-faire, idées et projets. Au Royaume-Uni,
par exemple, certains organismes – comme le Fonds pour la conservation
des églises et le Fonds pour les chapelles historiques – sont à
même de prendre en charge les édifices religieux désaffectés les
plus précieux. Grâce à leurs soins, ces bâtiments échappent à l’abandon
ou à une reconversion irréfléchie. L’action menée par ces deux organisations
peut avoir valeur d’exemple pour d’autres pays.
82. Ces mouvements et initiatives montrent tous à quel point il
importe d'investir dans la culture en ces temps de défis économiques
et politiques comme un moyen visant à défendre la tolérance, l'identité,
la diversité et le respect d'autrui. Le patrimoine et l'histoire
qu’il reflète ont une base positive vers un terrain d’entente commun
et sont un moyen permettant de renforcer la société: la culture
et le patrimoine sont les résultats tangibles de la société. Divers
programmes et activités peuvent utiliser le patrimoine pour soutenir
cet objectif, du tourisme à l'éducation et au développement économique.
6. Conclusions
83. La question du patrimoine menacé soulève non seulement
des problèmes d’ordre technique, mais aussi politiques, notamment
lorsqu’il s’agit de décider ce qui doit être protégé en priorité,
ce qui devient particulièrement complexe dans le contexte actuel
de coupes claires dans les dépenses publiques. Par ailleurs, il
faut déterminer à quel niveau doit s’effectuer la prise de décision
et assurer une cohérence entre les niveaux national, régional et
local, en particulier dans les Etats décentralisés. Se pose également
la question de la priorité et de la cohérence entre des politiques
très diverses et parfois contradictoires.
84. Des défis demeurent, notamment concernant les financements
requis pour résoudre de nombreux problèmes. Je crois que le développement
économique et la protection du patrimoine ne sont pas nécessairement
en contradiction, mais peuvent être plutôt complémentaires. De nombreux
exemples montrent que les investissements réalisés dans la conservation
du patrimoine peuvent apporter une contribution significative au
développement économique et social. Toutefois, quand cela est possible,
les gouvernements devraient jouer un rôle actif pour proposer des
mesures incitatives afin que la conservation et la restauration des
lieux historiques exceptionnels d’Europe deviennent une activité
économique rentable. Je souhaite souligner l’importance d’investir
dans la sauvegarde du patrimoine en danger, même quand cela n’a
pas de retombées économiques. De plus, de nouveaux mécanismes et
partenariats innovants sont également nécessaires pour utiliser
pleinement le potentiel de conservation du patrimoine dans les projets
de régénération socio-économique.
85. En outre, je crois fermement que l'investissement dans le
patrimoine est un investissement vital pour une société meilleure,
et il ne devrait pas être considéré comme un produit de luxe à réduire
en temps de crise. La culture et le patrimoine contribuent non seulement
au développement économique et social, mais plus important encore,
ils intègrent l'identité culturelle et défendent les valeurs démocratiques
de tolérance, ils approfondissent la compréhension et le respect
des autres et cultivent le respect de la diversité culturelle. Je considère
donc que le patrimoine a un rôle fondamental à jouer dans l’instauration
d’une citoyenneté, ce qui est aujourd’hui essentiel si l’on veut
apaiser les nombreuses angoisses sociales, en particulier pour les
jeunes générations.
86. Il existe en Europe autant de solutions aux problèmes du patrimoine
menacé qu’il y a de bâtiments, lieux et paysages menacés. Bien que
les mêmes solutions ne puissent s’appliquer à tous les types de
bâtiments ou à tous les pays, des enseignements sont à tirer à divers
niveaux, qu’il s’agisse de textes de loi, de compétences ou de valorisation,
et il est possible de proposer des lignes directrices sur les normes
et méthodes permettant de résoudre ces difficultés à l’échelle européenne.
Les méthodes permettant le partage des compétences sont très variées
mais non accessibles à tous, en particulier au secteur du bénévolat.
87. Il importe donc de créer les mécanismes adéquats pour échanger
les expériences et bonnes pratiques au niveau européen. Je considère
qu'il est particulièrement important de faire participer à ce processus
les autorités, les experts et le secteur bénévole des pays de l'Europe
centrale, de l’Est et du Sud-Est et la région du Caucase du Sud
afin qu'ils puissent profiter pleinement de ce transfert d'expériences
et de compétences. En outre, la Convention-cadre du Conseil de l'Europe
sur la valeur du patrimoine culturel pour la société et la Convention
européenne du paysage pourraient être utilisés comme instruments
de politiques novatrices pour aider les Etats membres à s’assurer
que le processus décisionnel concernant la planification et l’élaboration des
politiques intègre pleinement le patrimoine, aux niveaux national,
régional et local, et d'impliquer le public et les groupes de conservation
du patrimoine dans les premiers stades du processus décisionnel.
En outre, par des rapports réguliers et un débat public, les parlements
nationaux pourraient jouer un rôle important dans le suivi de l'action
des pouvoirs publics en matière de sauvegarde du patrimoine menacé
au niveau national.
88. Enfin, je tiens à souligner que le patrimoine culturel au
niveau européen devrait faire l’objet d’une plus grande cohérence
et coopération, entre le Conseil de l'Europe, l'Union européenne
et l'UNESCO afin que des lignes directrices cohérentes soient mises
en œuvre par des projets de patrimoine financés par l'Union européenne.