1. Introduction
1. Les droits de l’enfant se sont considérablement développés
depuis trente ans. Au cours de ce processus, il est devenu évident
que les enfants présentent des besoins bien particuliers qu’il convient
de prendre en considération, notamment lorsque ces enfants ont affaire
à la justice. C’est la raison pour laquelle cette question est spécifiquement
traitée dans plusieurs instruments internationaux et régionaux consacrés aux
droits de l’enfant, contribuant ainsi à promouvoir des systèmes
judiciaires axés sur les enfants.
2. Les enfants peuvent être confrontés à la justice dans différentes
circonstances, notamment en tant que parties à une procédure administrative
ou civile, visant par exemple à définir des modalités de garde,
en tant que victimes ou témoins d’une infraction pénale ou encore
parce qu’ils sont en conflit avec la loi; dans ce dernier cas, ils
peuvent être privés de leur liberté
.
3. Le présent rapport traite uniquement de la justice pénale
des mineurs
,
qui semble être le dénominateur commun entre les deux propositions
fusionnées dont il découle («Une justice adaptée aux enfants» et
«Les enfants en détention»). Partant du constat qu’il existe un
fossé important entre les normes internationales et régionales régissant
la justice pénale des mineurs et la manière dont les enfants sont
traités au quotidien dans ce système, le présent rapport explorera
comment faire des droits de l’enfant une réalité dans le contexte spécifique
de la délinquance juvénile.
2. Une justice
pénale des mineurs adaptée aux enfants: normes et mise en œuvre
2.1. Normes internationales
et régionales
4. Plusieurs instruments internationaux et régionaux
établissent des normes en matière de justice pénale des mineurs
et d’application à des enfants de mesures privatives de liberté
dans ce contexte. Il s’agit notamment, sans s’y limiter, de l’Ensemble
de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la
justice pour mineurs («Règles de Beijing»), des Principes directeurs
des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile
(«Principes directeurs de Riyad»), des Règles des Nations Unies
pour la protection des mineurs privés de liberté («Règles de la
Havane») et de la Convention des Nations Unies relative aux droits
de l’enfant (ci-après «la CIDE»). Le Comité des droits de l’enfant
des Nations Unies a considérablement enrichi cette liste en adoptant
son Observation générale no 10 (2007)
sur les droits de l’enfant dans le domaine de la justice pour mineurs.
5. Les instruments des Nations Unies ont été renforcés davantage
dans le contexte européen grâce au mouvement en faveur d’une justice
adaptée aux enfants guidé par le Conseil de l’Europe
. Après avoir élaboré deux instruments
spécifiquement consacrés à la justice pénale des mineurs (la Recommandation Rec(2003)20
concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile
et le rôle de la justice des mineurs et la Recommandation CM/Rec(2008)11
sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant
l’objet de sanctions ou de mesures), le Comité des Ministres a adopté
en 2010 les Lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants
. Ces dernières servent d’instrument
pratique visant à aider les Etats membres dans le processus d’adaptation
de leur système judiciaire aux besoins spécifiques des enfants dans
différents domaines de la justice (y compris le domaine de la justice
pénale), à tous les stades de la procédure et indépendamment de
leur qualité, que ce soit en tant que partie concernée, victime,
prévenu ou témoin.
6. Par ailleurs, en février 2011, la Commission européenne a
adopté le Programme de l'Union européenne en matière de droits de
l'enfant, dont l’adaptation du système judiciaire aux enfants en
Europe est une des actions phare. Le Programme de l'Union européenne
comprend également un engagement consistant à encourager l’utilisation
des Lignes directrices du Comité des Ministres et à en tenir compte
dans les instruments juridiques qui seront proposés dans le domaine
de la justice civile et pénale. Le 20 janvier 2014 a marqué l’ouverture
de négociations au sujet d’une proposition de la Commission concernant
une directive du Parlement européen et du Conseil relative à la
mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants soupçonnés
ou poursuivis dans le cadre des procédures pénales.
2.2. Mise en œuvre des
normes régissant la justice pénale des mineurs
7. En dépit de cet arsenal de normes internationales
et régionales offrant un «cadre fédérateur» bien établi régissant
la justice pénale des mineurs, une importante dissonance semble
persister entre le discours relatif aux droits humains et la réalité
des mesures prises à l’égard de nombreux enfants dans le cadre de
la justice pénale des mineurs (en particulier de leur détention).
En effet, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies rapporte
que de nombreux pays ont encore beaucoup de progrès à faire dans
leur mise en conformité totale avec la CIDE, notamment dans les
domaines des droits procéduraux, de l’élaboration et de la mise
en œuvre de mesures de prise en charge des enfants en conflit avec
la loi sans avoir recours à la procédure judiciaire, et de l’utilisation
de mesures privatives de liberté uniquement en dernier ressort
.
8. De même, les organes de suivi du Conseil de l’Europe font
état d’une situation plutôt insatisfaisante en ce qui concerne la
mise en œuvre des normes relatives aux droits humains dans le domaine
de la justice pénale et de la détention des mineurs. La Cour européenne
des droits de l’homme a conclu à une violation de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE n° 5) dans plusieurs affaires
impliquant des enfants en détention (les violations liées au recours
à la détention et aux conditions de détention relevant principalement de
l’article 3 «Interdiction de la torture», de l’article 5 «Droit
à la liberté et à la sûreté», et de l’article 8 «Droit au respect
de la vie privée et familiale»). Les rapports de visite du Comité
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT) ont également révélé des lacunes en ce qui concerne la
détention des enfants.
9. En 2009, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe faisait observer que dans de nombreux pays européens, l’âge
de la responsabilité pénale était très bas, que les taux d’incarcération
étaient un sujet de préoccupation et que le nombre d’enfants issus
de groupes minoritaires en prison était disproportionné. Si des
mesures de substitution étaient mises en place dans certains cas,
la tendance générale semblait aller vers des réponses plus répressives,
particulièrement dans le cas des enfants plus âgés et de ceux ayant
commis une infraction grave. Cependant, dans certains pays, le nombre
de jeunes envoyés en prison était en baisse en raison d’un recours
accru à des programmes de déjudiciarisation, à la fois avant et comme
alternative à la procédure judiciaire et à la détention
.
10. Face à cette situation, la principale question qui se pose
en matière de justice pénale des mineurs semble être la suivante:
comment passer d’une activité normative au niveau international/régional
à une application de ces normes dans le contexte local en vue d’améliorer
les droits de l’enfant et la pratique dans le domaine de la justice
pénale des mineurs dans l’ensemble de l’Europe? Cette entreprise
nécessite assurément une forte volonté politique, associée à un
certain nombre de questions essentielles à traiter, à mon avis,
en priorité.
11. Dans ce contexte, je voudrais évoquer le Livre blanc publié
récemment par l’Observatoire international de justice juvénile
, qui identifie quatre
facteurs considérés comme la clé d’un système efficace de justice pénale
des mineurs et qui sont en outre en mesure d’aider les pays à économiser
de l’argent, à assurer la sécurité publique et à aider les jeunes
à réaliser leur potentiel. Ces facteurs clés consistent à agir précocement en
recourant à la prévention, à éviter que les jeunes aient affaire
au système pénal en privilégiant la déjudiciarisation, à encourager
la mise en œuvre de travaux d’intérêt général et à réduire ainsi
la probabilité de récidive, et à donner la priorité à la réduction
du nombre d’enfants détenus, afin de minimiser les effets psychologiques
négatifs que la détention a sur eux.
12. En se fondant sur cette analyse, à laquelle j’adhère complètement,
je propose que l’on s’intéresse aux points énoncés ci-après, que
je considère essentiels à la réalisation d’un système de justice
pénale des mineurs adapté aux enfants: un âge minimum de responsabilité
pénale élevé, l’utilisation de la détention en tant que mesure de
dernier ressort et l’encouragement de la déjudiciarisation. Je souhaiterais
aussi évoquer brièvement les effets du principe de fermeté face
à la délinquance sur le système de justice pénale des mineurs
.
3. L'âge minimum de
la responsabilité pénale
13. L'âge minimum de la responsabilité pénale (ci-après
«l’AMRP») définit l’âge à partir duquel un enfant ayant commis une
infraction peut être formellement accusé et tenu pour responsable
dans une procédure pénale. En d’autres termes, l’AMRP établit l'âge
auquel l’enfant est considéré comme ayant atteint la maturité émotionnelle,
psychologique et intellectuelle suffisante pour comprendre ses actes
et les conséquences qu’ils entraînent, et en être tenu pour responsable.
La question de savoir quel est l’AMRP le plus approprié suscite de
nombreuses controverses et il n’existe aucune norme internationale
catégorique à cet égard. En effet, l’article 40.3 de la CIDE est
ouvert et flexible à ce sujet. Les Règles de Beijing, ainsi que
les Lignes directrices du Comité des Ministres recommandent de ne
pas fixer trop bas l’AMRP. Le Comité des droits de l’enfant des Nations
Unies considère comme inacceptable de l’établir en dessous de 12 ans,
et a vivement encouragé les Etats ayant déjà adopté un AMRP supérieur
à ne pas l’abaisser.
14. En Europe, la limite d’âge absolue en dessous de laquelle
un enfant ne peut être tenu responsable pénalement varie de 8 ans
(Ecosse) à 18 ans (Belgique)
. Toutefois, ces chiffres sont
légèrement trompeurs. En Ecosse, par exemple, aucun enfant de moins
de 8 ans ne peut être reconnu coupable d’une infraction pénale,
mais personne ne peut faire l’objet de poursuites pénales avant
l’âge de 12 ans. Il y a donc un écart entre l’AMRP et l’âge minimum
pour être poursuivi pénalement, ce qui signifie que les infractions
commises entre l’âge de 8 et 12 ans peuvent être inscrites dans
le casier judiciaire de l’enfant, malgré l’absence de poursuites
pénales
.
De même, en Belgique, la législation sur la protection de l’enfant
prévoit que les délinquants de moins de 18 ans soient traduits devant
des tribunaux pour enfants, qui rendent des décisions visant à assurer
la protection, la prévention et l’éducation. Cependant, en cas d’infraction
grave, des mineurs peuvent être déférés devant les juridictions
pour adultes et subir les mêmes sanctions qu’eux à partir de 16 ans.
Ce genre «d’exception» à l’AMRP pour les infractions graves existe
également en Hongrie, en Irlande, en Lituanie, au Luxembourg et
en Pologne. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a
exprimé son inquiétude au sujet de cette pratique et a fortement
recommandé la fixation d’un AMRP sans possibilité de dérogation
permettant de poursuivre des mineurs plus jeunes.
15. En 2010, le
Child Rights International
Network a recueilli des données inquiétantes témoignant
de la marche arrière enclenchée par un nombre grandissant d’Etats
de toutes les régions du monde en matière de justice pénale des
mineurs, visant à incriminer davantage d’enfants de plus en plus
jeunes en abaissant l’AMRP
. Ce type de situation se produit
trop souvent lorsque des cas exceptionnels impliquant des enfants ayant
commis des infractions particulièrement odieuses font la une des
médias. En Angleterre et au Pays de Galles par exemple, depuis le
meurtre en 1993 d’un enfant de 2 ans, James Bulger, par deux jeunes
garçons de 10 ans, les enfants sont tenus pleinement responsables
de leurs actes délictueux dès l’âge de 10 ans
. Il s’agit de l’un des AMRP les plus
bas du monde. Des propositions ont également été faites en France
pour que l’AMRP soit abaissé à 12 ans.
16. Je suis personnellement convaincu qu’avant l’âge de 14 ans,
un enfant n’a pas la maturité émotionnelle, psychologique et intellectuelle
suffisante pour pouvoir participer à des procédures pénales. Par
conséquent, l’AMRP ne devrait pas être fixé en-deçà
. Il convient en particulier de ne pas
oublier qu’un AMRP élevé contribue à un système ayant recours à
des réponses non judiciaires à l’égard des délinquants mineurs,
tel qu’encouragé à l’article 40.3.
b de
la CIDE (voir ci-dessous, point 5).
17. Etant donné que les procédures pénales peuvent entraîner la
mise en œuvre de mesures privatives de liberté (détention provisoire
et/ou emprisonnement), l’AMRP est étroitement lié à l’âge à partir
duquel de telles mesures peuvent être appliquées. Cependant, les
deux ne vont pas toujours de pair. A titre d’exemple, en Suisse
où l’AMRP est fixé à 10 ans, des peines d’emprisonnement ne peuvent
pas être prononcées à l’encontre d’enfants de moins de 15 ans. Les
Règles de la Havane imposent que soit fixé par la loi l'âge au-dessous
duquel il est interdit de priver un enfant de liberté, sachant que
celui-ci peut différer de l’AMRP. A mon avis, étant donné les conséquences
désastreuses de la détention sur les enfants, il devrait être de
préférence plus élevé que l’AMRP, en particulier dans les pays où
ce dernier est trop bas (c’est-à-dire en dessous de 14 ans). Cela
contribuerait également à ce que la détention ne soit employée qu’en
dernier ressort, comme le demande la CIDE.
4. La détention en
tant que mesure de dernier ressort
18. Le principe de la détention en tant que mesure de
dernier ressort pour les enfants en conflit avec la loi est une
règle quasi-universelle du droit international. Il est apparu pour
la première fois à l’article 13 des Règles de Beijing sur la détention
provisoire, et a été repris avec une portée étendue dans l’article 37
de la CIDE qui dispose que l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement
d’un enfant ne doit être qu’une mesure de dernier ressort d’une
durée aussi brève que possible.
19. Des études récentes révèlent toutefois que la privation de
liberté tend à devenir la solution retenue en priorité plutôt qu’une
mesure de dernier ressort. Selon les estimations, plus d’un million
d’enfants sont privés de leur liberté dans le monde. La plupart
d’entre eux sont accusés d’infractions de gravité moyenne ou légère et
se trouvent être des primo-délinquants
. Par ailleurs, le Comité des
droits de l’enfant des Nations Unies note avec inquiétude que, dans
de nombreux pays, les enfants sont maintenus en détention provisoire
pendant des mois, voire des années. Il s’alarme également de la
représentation trop importante d’enfants vulnérables en détention.
20. En ce qui concerne la situation en Europe, les organes de
suivi concernés du Conseil de l’Europe, comme le CPT et la Cour
européenne des droits de l’homme, mettent en lumière une situation
plutôt insatisfaisante. Le CPT a exprimé ses inquiétudes quant à
l’application, dans la pratique, du principe de la détention comme
mesure de dernier ressort dans de nombreux pays. La Cour a de son
côté conclu à une violation de la Convention dans plusieurs affaires
impliquant des enfants en détention, l’Etat membre concerné n’ayant
pas démontré de façon convaincante la nécessité de maintenir le
requérant (un mineur) en détention pendant de longues périodes
. De même, le Commissaire
aux droits de l’homme fait état d’un recours excessif à la détention
des enfants (y compris la garde à vue), parfois à tel point que
les mineurs ont déjà purgé la totalité de leur peine avant le procès
à cause de retards dans la procédure judiciaire
.
21. Il convient de noter que le recours à des mesures privatives
de liberté a des conséquences désastreuses sur l’enfant. Outre l’effet
néfaste de l’enfermement sur son développement en tant que tel,
la détention conduit invariablement à des problèmes de violence,
d’angoisse, de faible estime de soi et de dépression. Dans les cas
les plus extrêmes, et pourtant les plus courants, différents types
de violence entre détenus et de la part des gardiens sont devenus
systématiques, les atteintes aux droits sont fréquentes, le bon
accès aux soins, à l’éducation et aux services juridiques est limité
ou interdit, et l’objectif final de réinsertion est rarement atteint. Même
au sein de l’Union européenne, le taux de suicide des adolescents
détenus illustre cette souffrance et les risques extrêmes que courent
les enfants placés en détention
.
22. Il faut également souligner que le recours systématique à
la privation de liberté des enfants en conflit avec la loi est contre-productif
en termes de prévention de la délinquance et de sécurité collective.
Il s’agit également du mode de traitement le plus onéreux. Selon
une étude menée au tribunal pour enfants de Chicago (Illinois, Etats-Unis),
les enfants incarcérés avaient 13 % de chances de moins d’être diplômés
de l’enseignement secondaire et 22 % de chances de plus de retourner
en prison une fois adultes que les enfants déférés en justice ayant
fait l’objet d’une mesure de substitution, comme la surveillance
à domicile. En effet, une fois derrière les barreaux, nombreux sont
ceux à se lier d’amitié avec d’autres délinquants et à constituer un
«capital criminel». La prison s’avère ainsi être un excellent centre
de formation à la criminalité
.
23. Compte tenu de ce qui précède et afin de mettre en œuvre l’exigence
selon laquelle la détention des enfants ne doit être qu’une mesure
de dernier ressort, il est capital d’adopter des mesures alternatives
non privatives de liberté pour remplacer la détention provisoire
et l’incarcération après le procès, comme les avertissements ou
les blâmes, les mesures éducatives visant à améliorer l’action de
l’enseignement d’une part et à réduire l’effet des facteurs de risque
d’autre part (telles que les directives éducatives adoptées en Autriche, en
Allemagne, en France ou en Lituanie), les amendes, les ordonnances
de surveillance, les peines de travaux d’intérêt général permettant
au délinquant de «payer sa dette à la communauté en travaillant
gratuitement», la surveillance électronique, la résidence surveillée
(assignation à résidence), les programmes de formation (permettant
aux jeunes d’apprendre à gérer leur agressivité potentielle, par
exemple les cours de socialisation proposés en Allemagne ou les
projets de travail et d’apprentissage mis en œuvre aux Pays-Bas),
la probation et le placement en famille d’accueil.
24. Outre les avantages qu’elles représentent pour les enfants
à qui elles sont destinées, ces mesures alternatives permettent
d’améliorer les autres options privatives de liberté, non seulement
en ce qui concerne leurs conditions d’application mais aussi dans
la démarche adoptée. Les mesures de sécurité et d’accompagnement
intensifs devraient être uniquement destinées, et adaptées, à un
nombre limité de délinquants à haut risque car elles correspondraient
au mieux à leurs besoins et à leur intérêt qui sont de purger leur
peine et d’être pris en charge dans un environnement résidentiel
structuré. Dans la mesure où il a été démontré à plusieurs reprises
que les prisons provoquent des dégâts, engendrent des coûts et n’empêchent
pas la récidive, ce n’est qu’en limitant le nombre d’enfants détenus
et en faisant évoluer les centres de détention pour mineurs vers
des environnements respectueux des droits de l’enfant entièrement consacrés
à un objectif de prise en charge personnalisée et de réinsertion
qu’il sera possible d’espérer un changement dans le recours à la
détention des délinquants mineurs et dans ses répercussions
.
25. Lorsque la détention provisoire est indispensable, la loi
devrait limiter sa durée autant que possible et imposer des examens
réguliers en vue de déterminer s’il est nécessaire de maintenir
cette détention. Il va sans dire que tout type d’emprisonnement
à vie d’un enfant est incompatible avec l’objectif de la justice
pénale des mineurs et devrait être interdit. Une étude récente montre
que 22 des 28 Etats membres de l’Union européenne ont aujourd’hui
explicitement aboli cette condamnation à l’égard des mineurs. Bien
qu’il faille certainement s’en réjouir, ce chiffre masque les peines
maximales extrêmement longues qui sont toujours applicables pour
les crimes commis par des mineurs ainsi que la disparité de ces
peines à travers l’Europe
. Les Etats devraient
donc fixer une durée maximale raisonnable à laquelle un enfant peut
être condamné.
26. Enfin, l’Assemblée devrait soutenir l’appel lancé par Défense
des Enfants International en faveur d’une étude mondiale sur les
enfants privés de libertés, appuyé par plusieurs autres organisations
de la société civile. Cette étude mondiale a notamment pour objectif
de recueillir des données et des statistiques sur ces enfants en
ce qui concerne le genre, l’âge, les groupes vulnérables et les
disparités, de décrire la situation des enfants dans les centres
de détention ainsi que d’analyser l’application effective des mesures
de prévention et des mesures alternatives qui garantissent que la
détention n’est utilisée qu’en dernier ressort (en favorisant, entre autres,
la déjudiciarisation et la justice réparatrice), en vue de formuler
des recommandations et des bonnes pratiques pour la mise en œuvre
des normes, et réduire le nombre d’enfants privés de leur liberté
.
5. Les voies extrajudiciaires
27. Une des spécificités de la justice pénale des mineurs
est la règle selon laquelle les Etats Parties devraient, chaque
fois que cela est possible et souhaitable, traiter les mineurs délinquants
sans recourir à la procédure judiciaire (article 40.3.b de la CIDE). En effet, la procédure
judiciaire n’est pas, et ne devrait pas être, le seul moyen de traiter
les délinquants mineurs. Bien au contraire, les voies extrajudiciaires
devraient constituer un objectif clé de tout système de justice
pénale des mineurs.
28. La déjudiciarisation est un processus visant à éviter tout
premier contact ou contact précoce avec le système de justice pénale
en éloignant les enfants du système judiciaire ordinaire et de poursuites
pénales, et en les orientant vers un soutien communautaire et des
services ou interventions appropriées
. Ce recours aux moyens
extrajudiciaires repose sur la théorie selon laquelle toute confrontation
au système de justice pénale ordinaire aura sur l’enfant des effets
plus préjudiciables et l’expose davantage au risque de récidive,
sans toutefois remettre en cause le fait qu’il ait pu commettre
un acte contraire à la loi
. Dans ce contexte, on devrait noter
que la déjudiciarisation évite, entre autres, la détention provisoire.
29. La déjudiciarisation peut être appliquée à divers stades de
la procédure et mise en œuvre au niveau de la police, du procureur
ou du tribunal. La police représente le premier point de contact
entre les enfants et le système judiciaire et, en tant que tel,
le principal acteur susceptible «d’écarter» les enfants de ce système
au stade le plus précoce. Si elle a le sentiment qu’il n’est pas
nécessaire de lancer une procédure normale pour protéger la société,
pour prévenir la délinquance ou pour promouvoir le respect de la
loi et les droits des victimes, elle peut soustraire l’enfant à
la procédure judiciaire normale. Aux Pays-Bas, près de 40 % des affaires
de délinquance juvénile enregistrées par la police et deux tiers
des affaires traitées par le parquet feraient l’objet d’un traitement
extrajudiciaire mis à exécution par ces autorités
.
En Autriche, seul le ministère public ou un juge peut prendre une
telle décision.
30. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont mis en œuvre
différentes mesures évitant le recours à la procédure judiciaire
qui ont produit de bons résultats tant pour les enfants que pour
la société et se sont révélées intéressantes du point de vue du
rapport coût-efficacité. Parmi ces dispositifs, citons: la non-intervention
(c’est-à-dire la déjudiciarisation de l’affaire sans aucune sanction,
en particulier en cas de délits mineurs et d’absence de risque de
récidive – par exemple en Autriche et en Allemagne), la mise en
garde ou l’avertissement formel (dans le système français, le procureur
peut éviter à l’enfant d’être confronté à la procédure judiciaire
en demandant à la police de procéder à un «rappel à la loi» au titre
duquel un officier de police informe le jeune, en présence de ses
parents, des peines qu’il aurait encourues s’il avait été déféré devant
le juge compte tenu de l’infraction dont il est accusé), l’orientation
vers des services d’aide (dont des services de conseil, de désintoxication,
ou vers des programmes éducatifs ou des cours de développement des
compétences pour traiter le comportement délictueux, comme par exemple
la gestion de la colère), la médiation entre la victime et le délinquant,
le travail d’intérêt général, ou la conférence familiale visant
à associer le jeune et sa famille au règlement des problèmes qui
sont à l’origine du comportement délictueux.
31. L’article 40 de la CIDE impose aux Etats de définir des critères
et des règles clairs encadrant le recours à des voies extrajudiciaires
en vue d’éviter toute application arbitraire et de veiller au respect
plein et entier du droit à la non-discrimination. Par ailleurs,
il ne faut recourir à la déjudiciarisation que si des éléments probants indiquent
que l’enfant en cause a commis l’infraction qui lui est imputée
(protection de la présomption d’innocence), s’il reconnaît librement
sa responsabilité et s’il donne volontairement son consentement
à la mesure proposée. L’enfant doit systématiquement être informé
de la possibilité d’acquittement si l’affaire est déférée en justice.
Dernier point mais non le moindre, le respect par l’enfant de la
mesure de déjudiciarisation jusqu’à son terme doit se solder par
un classement total et définitif de l’affaire, sans inscription
au casier judiciaire.
6. Les conséquences
du principe de fermeté sur le système de justice pénale des mineurs
32. L’étude des Nations Unies sur la violence contre
les enfants publiée en 2006 a observé que bien que la majorité des
infractions commises par des enfants soient non violentes, les pressions
que subissent les responsables politiques pour faire preuve de fermeté
face à la délinquance ont engendré l’adoption de mesures de plus
en plus sévères à l’égard des enfants en conflit avec la loi. Cela
a en premier lieu entraîné une forte tendance à contourner la législation
en vigueur sur l’AMRP qui constituait une barrière absolue à toutes
poursuites. Les «dérogations» à l’AMRP en cas de délit grave, évoquées
plus haut (voir le paragraphe 14), sont un exemple de cette tendance.
33. Un deuxième exemple en est le Royaume-Uni, où depuis l’adoption
de la loi sur la criminalité et les troubles à l’ordre public de 1998
(Crime and Disorder Act),
le tribunal d’instance peut prononcer une ordonnance de «protection»
de l’enfant (Child Safety Order)
à l’encontre d’un enfant de moins de 10 ans (l’AMRP au Royaume-Uni),
qui entraîne l’application de mesures punitives tant envers l’enfant
qu’envers ses parents. L’enfant peut être placé sous la surveillance
d’un travailleur social ou d’un professionnel de la Youth Offending Team (l’équipe de
suivi de la délinquance juvénile) locale pour une période de 3 à
12 mois et est tenu de participer à toute action jugée nécessaire
afin de prévenir la récidive. Etant donné que l’âge de l’enfant est
inférieur à l’AMRP, l’ordonnance de protection de l’enfant s’appuie
sur le droit civil. C’est pourtant un comportement antisocial de
l’enfant qui pousse le tribunal à rendre cette ordonnance, ce qui
montre, selon divers analystes, qu’il s’agit de toute évidence d’une
tentative de contournement de l’AMRP.
34. De même, les Pays-Bas ont mis en place une mesure intitulée
Stop destinée aux enfants n’ayant
pas atteint l’AMRP. En vertu de cette mesure, les enfants peuvent
être amenés à effectuer jusqu’à 20 heures de travail ou d’activités
de formation ou de réparation. Cette mesure ne renforce en rien
la protection de l’enfant ni ne règle les difficultés particulières
rencontrées par l’enfant ou par sa famille. Elle est inadéquate
en tant que mesure éducative et ce n’est clairement pas son objectif.
Il s’agit d’une variante de
Halt,
la très populaire peine légère à destination des primo-délinquants.
Ces pratiques sont contraires à l’article 40.3.
a de la CIDE portant sur la fixation
d’un AMRP
.
35. Par ailleurs, de plus en plus d’enfants sont soumis très jeunes
à des mesures privatives de liberté comme en témoignent au Royaume-Uni
les ordonnances pour comportement antisocial («
Antisocial behaviour orders»). Ces
dernières n’étaient pas à l’origine destinées aux jeunes délinquants
ou aux enfants. Il s’agissait plutôt d’un moyen de traiter les comportements
délictueux répétés chez les adultes, surtout lorsqu’ils étaient source
de nuisances pour des personnes du voisinage. Pourtant, en 2005,
près de la moitié des ordonnances pour comportement antisocial avaient
été rendues à l’encontre de jeunes de moins de 18 ans dont 40 %
ont été suivies de poursuites pour infraction, qui ont mené dans
environ 15 % des cas à une peine d’emprisonnement
. Le problème majeur
qui se pose dans l’analyse des comportements antisociaux tient à l’absence
de définition établie de ce qui caractérise un tel comportement.
Le Commissaire aux droits de l’homme a déclaré que «la facilité
avec laquelle il est possible d’obtenir ce type d’ordonnance, la
gamme étendue des comportements qui peuvent ainsi être interdits,
la publicité qui entoure leur adoption et les conséquences graves
qui peuvent en résulter en cas d’infraction sont autant d’aspects
qui engendrent des inquiétudes».
36. Enfin, une étude récente menée dans la région ECO/CEI montre
que la majorité des enfants en conflit avec la loi dans la région
ne représentent pas une menace. En effet, ils sont accusés d’infractions
de gravité moyenne ou légère, et beaucoup ont commis des délits
d’état, c'est-à-dire des actes qui ne constituent des infractions
que s’ils sont commis par des enfants, comme l’absentéisme scolaire,
la consommation d’alcool ou d’autres substances, le fait «d’échapper
à l’autorité parentale» (la fugue), tandis que d’autres ont adopté
des comportements de survie, comme la mendicité ou la prostitution
.
37. Ces mesures, grâce auxquelles les Etats espèrent contrôler
le comportement des enfants, poussent un nombre croissant d’entre
eux dans le système de justice pénale, au lieu de s’attaquer aux
causes profondes de leurs problèmes sociaux, qui requièrent des
solutions relevant de la protection sociale.
7. Conclusions
38. La recherche du meilleur moyen de traiter la délinquance
juvénile est une mission difficile pour tous les gouvernements tenus
de trouver le juste équilibre entre protection de la société et
intérêt supérieur de l’enfant, gardant à l’esprit qu’un enfant est
un être humain en devenir, qui apprend et reste ouvert à des influences positives
pour sa socialisation. En ma qualité de rapporteur, j’ai la ferme
conviction que les délinquants mineurs sont avant tout des enfants
et que la justice pénale des mineurs devrait avoir pour mission
de faire de l’enfant un citoyen libre et de veiller à sa réadaptation
et à sa réinsertion dans la société.
39. L’expérience montre que le fait de traiter les jeunes comme
des criminels, notamment en leur infligeant des peines de prison,
tend à compromettre les initiatives de réinsertion dans la société.
Les hommes politiques, les décideurs politiques et les tribunaux
ne sont pas obligés de traiter les enfants de cette façon en les enfermant.
Ils choisissent pourtant de le faire, bien que cette démarche, en
particulier la détention, soit non seulement nuisible au bien-être
de l’enfant, mais aussi profondément irrationnelle et contre-productive lorsqu’on
l’évalue en termes de prévention de la délinquance et de sécurité
publique
.
40. L’attitude des Etats à l’égard de la délinquance des mineurs
doit inclure des mesures de prévention de la délinquance et souligner
à quel point il est important de soustraire complètement les enfants
au système de justice pénale. La crise financière actuelle est un
bon incitatif pour que les Etats réduisent les incarcérations et accordent
des financements pour investir dans la déjudiciarisation, la réinsertion
et la justice réparatrice. En outre, pour les délinquants mineurs
qui échappent aux mesures de prévention et de déjudiciarisation,
le succès de leur réinsertion et de leur réadaptation devrait être
l’objectif principal. Comme l’a dit fort justement l’ancienne Secrétaire
Générale adjointe du Conseil de l’Europe, Mme Maud de Boer-Buquicchio,
«avant d’être notre avenir, les enfants ont avant tout droit à un
avenir».