1. Introduction
1. Il y a dix ans, l’Assemblée parlementaire soulignait
qu’une fonction publique de qualité est une condition préalable
essentielle pour une démocratie forte et pour la prééminence du
droit
.
L’Assemblée invitait donc les Etats membres du Conseil de l’Europe
à mettre les intérêts de leurs citoyens et les valeurs communes européennes
au cœur de la réforme administrative. En matière de cohésion sociale
et d’emploi, le rôle et la contribution des administrations publiques
sont sans équivalent, c’est pourquoi l’Assemblée a encouragé les Etats
membres du Conseil de l'Europe à étudier soigneusement toutes les
conséquences que pourrait entraîner l’introduction de nouvelles
méthodes de gestion du secteur privé avant de les mettre en œuvre.
2. L’introduction de ces méthodes ainsi que la privatisation
et la commercialisation à grande échelle des services publics ont
été les principes directeurs des réformes de la gestion publique
menées en Europe depuis le début des années 1990 dans le cadre général
du concept de «nouvelle gestion publique» (ci-après «NGP»).
3. Les pays qui sont devenus membres de l’Union européenne ont
été incités par le Traité de Maastricht de 1992 et les traités suivants
à externaliser et privatiser des pans entiers de l’administration
publique. Plusieurs directives de la Commission européenne visant
à libéraliser et renforcer l’économie de marché, dégraisser une
fonction publique pléthorique et commercialiser les services publics
ont eu une incidence sur la réforme administrative et les services
publics.
4. Dans les Etats d'Europe centrale et orientale, la fin du régime
communiste et l'introduction d'une démocratie pluraliste et d'une
économie de marché depuis 1990 ont donné lieu à d'importants changements dans
la propriété économique ainsi que dans le mode d'organisation de
l'administration publique et des services publics. Beaucoup de ces
Etats ont également adopté la NGP pour mettre en place une nouvelle administration
publique.
5. Depuis le déclenchement de la crise financière en 2008, les
mesures d’austérité ont exercé de fortes pressions sur les administrations
publiques. En 2012, l’Assemblée faisait part de ses craintes concernant l’impact
de ces programmes d’austérité sur les normes en matière de démocratie
et de droits sociaux
. Elle était préoccupée
par le risque que les approches restrictives poursuivies, essentiellement
fondées sur des coupes budgétaires dans les dépenses sociales, n’atteignent
pas leurs objectifs de consolider les budgets publics, mais aggravent
encore plus la crise et nuisent aux droits sociaux, puisqu’elles
touchent principalement les classes aux plus bas revenus et les
catégories les plus vulnérables de la population.
6. Plusieurs rapports publiés au cours des dernières années ont
exprimé de profondes préoccupations quant à l’avenir du service
public en Europe
et
recommandent de réexaminer les politiques d’austérité et les réformes
antérieures de la fonction publique.
7. En 2012, une proposition de résolution a été renvoyée à la
commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles
pour rapport. La proposition, intitulée «La mutation de l’administration
en Europe: le service public en péril?» (
Doc. 13002) indiquait que l’une des premières réponses des gouvernements
européens à la crise, en particulier la crise de leurs finances
publiques, a été de réduire les ressources allouées aux services
publics. Les budgets de ces derniers sont donc comprimés, au point
que dans certains Etats, par exemple, seul un fonctionnaire sur
deux partant à la retraite est remplacé, et divers services sont
confiés au secteur privé. De même, certains services qui étaient
gratuits en temps normal parce qu’ils étaient fournis dans le cadre
du service public traditionnel sont désormais payants.
8. Les changements structurels et institutionnels que les services
publics subissent ont comme objectifs proclamés la rationalisation
des activités et la maîtrise des dépenses publiques. Toutefois,
on peut se demander s'il est possible de maintenir un service public
de qualité dans un contexte économique et budgétaire difficile,
et si les grands principes du service public que sont l'indépendance,
la permanence, la compétence et l’accessibilité sont encore pertinents.
9. Dans la
Recommandation
1617 (2003) susmentionnée, l’Assemblée rappelait le rôle et la contribution uniques
des administrations publiques en matière de cohésion sociale. A
l'heure où la plupart des Etats européens redéfinissent leurs missions
et réduisent leur part d'intervention sociale, en se désengageant
de certains services publics, voire en les supprimant, il peut être
opportun de s'interroger sur le bien-fondé de ces démarches, notamment
à l'aune de leurs conséquences sur la société. Le présent rapport
fait le point sur les changements récents apportés aux administrations
publiques en Europe, leurs effets sur les services publics et les
enseignements tirés de cette évolution.
2. Nouvelles
organisations de la prestation de services publics
10. Les restrictions budgétaires et la crise de l’Etat
providence ont contraint de nombreux gouvernements européens à faire
appel à des capitaux privés pour continuer à fournir et à financer
certains services publics. A côté des formes de partenariat existantes,
largement exploitées, de nouvelles formes ont vu le jour. De plus, à
partir des années 1990, de nombreux Etats européens ont appliqué
de nouvelles politiques de privatisation et de dérégulation afin
de stimuler le marché et d'apporter des actifs supplémentaires aux
budgets de l'Etat. Enfin, des mesures rapidement applicables, telles
que des réductions des dépenses en personnel, ont récemment été
adoptées dans le cadre de politiques d'assainissement budgétaire.
2.1. Nouvelle gestion
publique
11. Dans les «vieilles» démocraties européennes, l’introduction
de la NGP – qui est une nouvelle politique fondée sur les marchés,
les gestionnaires et l’évaluation de la performance – a été considérée
comme le moyen nécessaire pour moderniser l’administration publique
et la rendre plus efficiente, plus efficace et davantage tournée
vers le client, après une longue période marquée par des structures
publiques bureaucratiques pléthoriques et des services publics gérés
par l’Etat.
2.1.1. Conclusions de
l’OCDE concernant la NGP
12. Depuis 2010, l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) réalise des études sur les nouvelles
tendances et réformes des administrations publiques et des services
centraux
. Le fait
que la NGP soit un concept dominant dans les réformes prônées et
entreprises a conduit l’OCDE à analyser ses caractéristiques et
ses principaux résultats.
13. Des résultats satisfaisants ont été mis en évidence au regard
des objectifs qui avaient été fixés, à savoir réduire les coûts
tout en continuant à fournir des services publics de grande qualité.
On a notamment souligné que l’augmentation générale de la qualité
des services était due à une concurrence accrue entre les prestataires
de services, à des administrations centrales réduites et plus faciles
à piloter grâce à la séparation entre fonctions d’exécution et fonctions
d’élaboration des politiques, à une meilleure transparence résultant
de la reclassification du budget sur la base des «produits». Toutefois,
les réformes fondées sur la NGP ont aussi produit des résultats
négatifs qui, dans une certaine mesure, ont contribué à une perte
de confiance des citoyens dans leurs gouvernements. On peut citer
notamment «la croissance non voulue des fonctions de soutien et
des services administratifs, la perte d’une certaine qualité de
service pour les citoyens et les entreprises dans de nombreux domaines
de la prestation de services, une démotivation des professionnels
de la prestation de services (prestataires de soins, enseignants,
officiers de police, etc.), l’accumulation de fonds publics dans
des organismes hors du contrôle des ministères et la perte de contrôle
des ministères et du parlement sur la prestation de services
».
14. Les principaux problèmes relevés sont les suivants: la séparation
de l’exécution et de l’élaboration des politiques publiques a conduit
à des politiques qui sont impossibles à exécuter; l’assouplissement
des normes de gestion opérationnelle a augmenté les coûts; le financement
des organismes d’exécution sur la base d’objectifs de production
a entraîné des services de moindre qualité et de la bureaucratie;
un budget fondé sur les «produits» a entraîné une perte de contrôle
par le parlement et rendu les documents budgétaires illisibles; et
l’externalisation sur le marché de la production intermédiaire a
dégradé la qualité des services et augmenté les coûts.
15. Les études de l’OCDE indiquent qu’une nouvelle réforme de
l’administration publique peut être observée depuis 2005, dans laquelle
certaines des réformes fondées sur la NGP sont adaptées, révisées,
voire supprimées. De nouvelles tendances apparaissent également,
qui mettent davantage l’accent sur la prestation de services et
moins sur les services administratifs. Ces tendances sont symbolisées
par la formule «plus de mains chaudes, moins de mains froides»
.
2.1.2. L’exemple particulier
de l’Europe centrale et orientale
16. Les premières années de transition de la fonction
publique et des services publics dans les pays d’Europe centrale
et orientale après la chute du communisme ont coïncidé avec une
période pendant laquelle les concepts néolibéraux d’administration
publique étaient dominants dans la réflexion menée dans les pays de
l’Ouest sur le rôle de l’Etat. Les opinions néolibérales et la mode
de la NGP étaient surtout prédominantes dans les organisations internationales
(par exemple, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI))
et les pays qui étaient à l’origine une source d’inspiration dans
ce domaine, notamment les Etats-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni
. En
raison de la transition, les gouvernements ont dû, sous la pression, adopter
des politiques et des approches en vogue sans avoir le temps d’examiner
et d’analyser ces idées en profondeur. En conséquence, dans certains
cas, l’adhésion aux théories dominantes du mouvement de réforme
international est devenue plus importante que l’évaluation empirique
des besoins locaux
.
17. Outre la réduction importante et immédiate des ressources
budgétaires, un des principaux problèmes rencontré dans ces pays
est dû à la volonté d’obtenir sans attendre des systèmes de gestion
modernes sans avoir préalablement jeté les bases solides d’un développement
démocratique, c’est-à-dire une administration publique hiérarchisée
classique et les systèmes de reddition de comptes qui lui sont associés.
Les structures de base de l’administration publique n’étaient pas
en place qu’il fallait déjà, sous la pression, «réformer» des pratiques
de gestion qui n’existaient pas. On rapporte que l’administration
publique a dû relever un défi particulièrement difficile dans la
mesure où la création d’une démocratie politique et la mise en œuvre
des principes d’efficience et d’efficacité sont devenues des tâches
de modernisation cruciales en même temps
.
18. Dans les pays d’Europe de l’Ouest, si la permanence et la
stabilité peuvent être parfois considérées comme des problèmes,
ces deux critères peuvent être une solution dans les pays d’Europe
centrale et orientale
. L’instabilité
du contexte politique, les changements perpétuels sans cadre de
fonctionnement clair et les tentatives de réforme avortées sont
les obstacles les plus courants qui s’opposent au développement durable
de l’administration publique
.
Souvent, la question qui se pose n’est pas d’ignorer les changements de
l’environnement ou la stagnation des idées et des approches, mais
plutôt d’avoir une forme minimale de système en place pour élaborer
et mettre en œuvre des politiques appropriées. Si les gouvernements
de l’Europe de l’Ouest doivent parfois lutter contre les blocages
dus aux pratiques et aux solutions du passé, les gouvernements des
pays d’Europe centrale et orientale ont dû, quant à eux, créer une
réalité entièrement nouvelle avec les nouvelles pratiques. En fait,
les blocages dus aux solutions du passé se produisent rarement puisque
le système politique lui-même est différent. La flexibilité ne traite
donc pas les mêmes problèmes dans les pays très développés et les
pays en transition, dans la mesure où elle vise des aspects totalement
différents de leurs administrations publiques. Avant de pouvoir
tirer profit de la flexibilité du système, les gouvernements des
pays d’Europe centrale et orientale doivent renforcer leurs capacités
et acquérir de l’expérience en vue d’administrer une situation stable.
19. Cependant, il y a tout lieu de se demander si la gestion publique
déréglementée et décentralisée prônée par la NGP et le fait de «laisser
les gestionnaires gérer» peuvent s’appliquer à la culture administrative
post-communiste. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, la
plupart des sphères sociales ont dû être recréées à neuf durant
les années 1990. En l’absence de principes compris et respectés
par tous, un grand nombre de nouvelles règles, réglementations et
principes sont encore nécessaires, ainsi que des garanties sociales
pour ceux qui soutiennent le système.
2.2. Privatisation et
«agencification»
20. La privatisation est le processus de transfert au
secteur privé de biens productifs de l’Etat, qui sont souvent de
grandes entreprises industrielles ou de services collectifs
.
21. L’«agencification» désigne la fourniture de services publics
par des organisations du secteur public créées à la suite de la
désagrégation structurelle d’administrations ministérielles et qui
opèrent dans un cadre plus proche de celui des entreprises privées
que de celui de la bureaucratie administrative centrale. Ces organisations
ne sont pas rattachées au gouvernement central et exécutent des
missions de service public telles que la prestation de services,
la réglementation et la mise en œuvre des politiques
.
2.2.1. Europe occidentale
22. Dans les années 1980 et 1990, les pays d’Europe occidentale
ont connu une vague de libéralisation, de privatisation et d’agencification
des marchés de services publics. La privatisation est devenue un
phénomène européen, en raison notamment des pressions exercées par
l’Union européenne, et parce qu’il s’agissait d’un moyen de stimuler
l’efficacité économique et les marchés. Des études réalisées après
la vague de privatisation présentent cependant des résultats mitigés
à cet égard
.
La rapidité et l’ampleur de la politique de libéralisation et de
privatisation de l’Union européenne ont soulevé la question de savoir
si une certaine forme de garantie pourrait être donnée aux citoyens
concernant leur droit à des prestations de services publics satisfaisantes
lorsqu’une réforme profonde est engagée. Dans un environnement régi
par la privatisation et des règles dictées par le marché, on pouvait
craindre que les intérêts commerciaux prennent le pas sur l’intérêt public,
ce qui pouvait avoir une incidence négative sur les obligations
de service public, le service universel, la qualité, les prix et
la continuité des prestations
.
23. Dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, les parlements
ont récemment mené des études sur la privatisation et l’agencification,
notamment pour enquêter sur les effets ou l’efficacité de la concurrence, le
nombre de privatisations et d’agencification, les évaluations des
programmes de privatisation et d’agencification, le besoin de défaire
la privatisation et l’agencification, ainsi que les changements
de tarifs et la qualité des services publics pour les clients
.
24. De nombreux gouvernements sont désormais confrontés à un secteur
public très fragmenté du fait de l’agencification et de la privatisation.
Le manque de coordination et de coopération, notamment en ce qui concerne
les problèmes de politiques intersectorielles, a contraint les gouvernements
à réexaminer leurs décisions de créer des agences ou de privatiser
des organisations. Ce revirement n’a cependant pas débouché sur
une grande vague de renationalisations, mais plutôt sur une réorganisation
à grande échelle des agences, par exemple, par des fusions et la
création de centres de services partagés
.
25. Les études
montrent
que des améliorations ont été observées dans les domaines suivants:
la gestion et le professionnalisme des agences, la disponibilité
d’indicateurs et d’informations relatifs à la performance, la priorité
donnée au client, la sensibilisation à la nécessité de mettre l’accent
sur les résultats et non sur les règles et procédures, ou la volonté
d’innover des agences. Des détériorations ont également été observées.
Il s’agit souvent d’inconvénients résultant des améliorations observées,
à savoir la dégradation de la stabilité organisationnelle, du pilotage
par les ministères de tutelle, de la cohérence des politiques, de
la collaboration et de la communication entre les ministères et
les agences. Le tableau est donc plus complexe que ce que les partisans
de l’agencification envisageaient. Souvent, les arguments sur les
«produits» sont moins convaincants que ceux qui portent sur les
changements dans les processus/activités, d’autant que les informations
sur ce que les citoyens «obtiennent»
in
fine de l’agencification sont limitées et fragmentaires.
26. En Allemagne, une étude a été publiée sur les effets de la
privatisation et de l’agencification sur la relation entre les citoyens
et les gouvernements. Des citoyens ont été invités à donner leur
avis sur la privatisation et l’agencification d’une série de services
publics. Le citoyen allemand moyen est favorable à un Etat fort,
ne souhaite pas la privatisation ou l’agencification de fonctions
telles que la police, l’éducation et l’hôpital, mais soutiendrait
celles de l’approvisionnement énergétique, du transport public,
des musées et des théâtres. Dans la plupart des secteurs, les citoyens
allemands considèrent que la privatisation ou l’agencification a
entraîné une augmentation des prix
.
27. Les Pays-Bas sont un des précurseurs de la libéralisation
et de la privatisation en Europe, mais les citoyens néerlandais
ne sont pas très satisfaits de la plupart des services publics privatisés.
Le Sénat néerlandais a donc créé une commission parlementaire spéciale
pour enquêter sur le processus de privatisation et d’agencification
qui a été mis en place depuis la fin des années 1980. Dans son rapport
,
la commission décrit comment les cabinets néerlandais successifs
ont effectué, avec le soutien d’une large majorité parlementaire,
la privatisation et l’agencification des services publics centraux
depuis les années 1980. «Les principaux motifs étaient de contrôler
les finances publiques et de réduire l’administration. Une fonction
publique plus petite et plus efficace était censée contribuer à
la réduction de la pression fiscale et à la simplification de l’administration
publique
.» Cependant,
la privatisation et l’agencification ont rapidement commencé à soulever
de nouvelles questions de gouvernance. Les liens entre le gouvernement
et les services privatisés se sont distendus tandis que de nouvelles
relations se sont établies entre ces services et les citoyens. Il
est apparu clairement que le gouvernement néerlandais avait mené
une privatisation et une agencification sans vision globale ni planification
rationnelle préalable.
28. Dans les années 2000, des résultats décevants et des conséquences
imprévues de la privatisation et de l’agencification ont poussé
le public, le gouvernement et le parlement à adopter une approche
plus critique à leur égard. Une attention plus grande a été accordée
à l’intérêt public, à la nécessité de réglementer le marché et aux
diverses initiatives d’externalisation. Déconcentrer la fonction
publique et réduire les activités de contrôle en séparant les fonctions
d’exécution et d’élaboration des politiques s’est avéré un problème
d’une grande complexité. La commission parlementaire néerlandaise
a conclu qu’il n’y avait pas eu de coordination des politiques et
de feuille de route commune, et que de nombreuses divergences étaient
apparues dans la mise en œuvre des décisions prises par les ministères.
Elle a noté également l’absence de cadre de décision largement accepté
pour élaborer des politiques cohérentes. En conséquence, la prise
de décisions sur la privatisation et l’agencification a pris beaucoup
de temps et demandé beaucoup d’attention aux membres du parlement.
La commission a proposé que le gouvernement uniformise davantage
la manière dont les décisions sur la privatisation et l’agencification
sont mises en œuvre. Une structure bien délimitée est nécessaire
pour que la distinction entre les formes privées et publiques de
l’exécution des politiques soit plus claire. Or, cet impératif exige
des gouvernements une approche globale. Il est important dans ce
domaine de proposer de nouveaux cadres de décision et critères de
référence, et que le gouvernement et le parlement supervisent leur application.
29. En outre, la commission a conclu que le fait de se concentrer
sur les rôles de client et de contribuable du citoyen donne une
vision trop étroite de l’intérêt public. Les citoyens ont ainsi
été réduits à ces deux rôles, et cette vision réductrice est un
des facteurs déterminants du mécontentement du public à l’égard
de la privatisation et de l’agencification des services publics.
Le gouvernement et le parlement devraient donc utiliser une interprétation
commune et élargie de l’intérêt public tenant compte de l’intérêt
de chaque citoyen et de l’intérêt collectif qui bénéficie à la communauté.
2.2.2. Europe centrale
et orientale
30. En Europe centrale et orientale, le passage d’une
économie dirigée par l’Etat à une économie de marché
n’a
été considéré comme viable que si elle s’appuyait sur la propriété
privée. Les expériences différentes vécues par les pays concernant
l’héritage du communisme ont conditionné leur choix des méthodes de
privatisation
et influé sur l’opinion publique
.
31. Dans l’esprit des responsables, la privatisation devait surtout
permettre de se concentrer uniquement sur la rentabilité du secteur
des entreprises. Dans la plupart des pays d’Europe centrale et orientale,
le passage à la propriété privée a été extrêmement rapide. Il a
fallu, en effet, une dizaine d’années seulement pour que les activités
économiques dirigées par l’Etat soient transférées, pour l’essentiel,
au secteur privé
. On
note cependant qu’aucun cadre institutionnel et juridique réglementant
le secteur commercial n’avait été mis en place au préalable
.
32. Si la privatisation a procuré aux gouvernements des recettes
dont ils avaient tant besoin, ses résultats en matière de performance
des entreprises sont plus contrastés. La déréglementation, la décentralisation
et la flexibilité supposent un niveau élevé de compétence et des
normes déontologiques qui font souvent défaut aux directeurs
. On
peut affirmer qu’une certaine suridéalisation du secteur privé (et
du libre marché) règne encore aujourd’hui. Des privatisations massives
et une réduction généralisée des effectifs ont été menées à toute
allure, et cette frénésie a débouché sur la vente d’entreprises
stratégiques telles que les chemins de fer, ou de services essentiels
comme l’aide médicale d’urgence, sans véritable débat public ou
études de marché.
33. La philosophie qui sous-tend l’instauration d’une économie
de marché est souvent utilitaire et peut conduire à survaloriser
la rentabilité financière au détriment des valeurs démocratiques
et des principes inhérents au service public. La situation se complique
encore davantage en cas de pénurie de ressources, car une telle
situation pèse sur les gouvernements et les contraint à donner la
priorité à des objectifs «technocratiques». Compte tenu des problèmes
économiques des pays d’Europe centrale et orientale, les critères
financiers peuvent jouer un rôle déterminant dans l’évaluation de
la performance du secteur public. Il est également dangereux de
considérer que le citoyen n’est qu’un simple client (conformément
à la NGP «axée sur le client»). Il peut être très risqué dans les
nouvelles démocraties d’articuler les liens qui unissent les gouvernements
aux citoyens autour de la notion d’échange marchand, lorsqu’aucun
système solide de démocratie représentative n’a encore été mis en
place. Dans un contexte où les citoyens considèrent que les acteurs
économiques sont plus influents que les gouvernements, il faut reconnaître
que des négociations et des concertations permanentes peuvent nuire
gravement à la légitimité de l’Etat. D’où l’idée que des citoyens (ou
des groupes de citoyens) actifs apporteront davantage à des démocraties
encore fragiles que de simples clients
.
2.3. Partenariat public–privé
34. Vu l'endettement croissant des Etats et la nécessité
de trouver une alternative aux marchés publics traditionnels, les
partenariats public–privé ont connu une réelle expansion. La notion
de partenariat public–privé recouvre généralement diverses formes
de relations entre les secteurs privé et public; l'une d'elles peut se
décrire comme «une entreprise partiellement détenue par des capitaux
privés et partiellement détenue par un ou plusieurs pouvoirs publics
». Le partenariat public–privé
permet en général à des partenaires privés et publics de bénéficier
mutuellement de leur expérience et de leurs champs de compétence
respectifs.
35. La concession, dont l'initiative de financement privé est
une variante
,
est une forme très ancienne de partenariat public–privé. Ce type
de contrat entre un pouvoir public, d'une part, et un individu ou
une entité privée, d'autre part, remonte à l'époque romaine, mais
c'est durant la révolution industrielle du XIXe siècle
que la concession s'est généralisée
.
L'on recourait à la concession lorsque des travaux publics ou des infrastructures
d'intérêt général ne pouvaient pas être entièrement financés et/ou
exécutés par des autorités publiques, et qu'il n'était pas non plus
acceptable, pour diverses raisons, qu'ils soient monopolisés par
le secteur privé. Des personnes ou des entreprises étaient invitées
à effectuer un travail ou à fournir un service public à leurs frais,
avec ou sans subvention de l'Etat, et à leurs risques, leur rémunération
devant ensuite résulter de l'exploitation de ces travaux ou services
. Les contrats
de concession exigeaient le respect de principes fondamentaux propres
aux services publics (égalité d'accès à tous les utilisateurs, par
exemple).
36. En général, l'externalisation – contrat de portée plus large
que la simple sous-traitance – a lieu lorsqu'un pouvoir public décide
de confier à l'extérieur un produit, un service ou un processus
qui, auparavant, était fourni par des ressources internes. L'externalisation
est un modèle commercial en expansion au niveau de l'administration
centrale et locale, des services étant externalisés dans des domaines
très variés – services informatiques, assistance aux chômeurs, gestion
des déchets, sécurité, approvisionnement, et même services dans
le domaine militaire
.
3. Impact sur la performance
des services publics
37. Des services publics de grande qualité et abordables
sont un élément fondamental des modèles sociaux européens. Si les
méthodes de gestion du secteur privé, la privatisation et la commercialisation
des prestations de services publics peuvent en soi être considérées
comme compatibles avec des services publics accessibles, les Etats
membres doivent cependant prêter attention aux questions suivantes.
3.1. Le respect des
principes fondamentaux propres aux services publics
38. Les citoyens et les institutions internationales
de contrôle sont quelque peu préoccupés par les réformes et la privatisation
des services publics, notamment dans des domaines non concurrentiels
tels que la santé et l’éducation, car l’obligation de fournir un
certain nombre de services découle de dispositions constitutionnelles
ou d’engagements
internationaux des Etats
. En évaluant la
privatisation du régime d’assurance maladie par les Pays-Bas, le
Comité des Ministres a observé que «les réformes des régimes de maladie
et d’invalidité en vue de mettre en valeur les effets positifs de
la privatisation et des forces du marché, tout en contenant leurs
effets négatifs dans le cadre de la sécurité sociale de base, n’ont
jamais eu d’équivalent dans l’histoire de la sécurité sociale en
Europe. Il est donc naturel qu’elles posent beaucoup de nouveaux problèmes
d’organisation et de gouvernance par rapport à de tels systèmes
mixtes de sécurité sociale, particulièrement au cours de la période
de transition, en attendant que les nouvelles formes de contrôle
du système de la part de l’Etat, la participation démocratique des
personnes protégées à sa gestion, la redistribution du risque, la
charge financière et la responsabilité dans la société, ainsi que
les principes de non-discrimination et de solidarité avec les groupes
les plus vulnérables soient consolidés
».
39. Autre sujet de préoccupation, le manque d’uniformité de la
chaîne de prestations, qui peut résulter des différences existant
entre les conditions de travail et les droits sociaux accordés par
les services externalisés et l’autorité publique principale
et en ce qui concerne la qualité des infrastructures.
Qui est responsable si la négligence d'un fournisseur provoque l'effondrement
de toute une chaîne?
Imposer une réelle
obligation de contrôle et la garantie d'un service adéquat censé
relever des pouvoirs publics est difficile et requiert des ressources
budgétaires supplémentaires. De nouveaux partenariats incitent à
reconsidérer la capacité des pouvoirs publics à continuer de fournir
des services tout en ayant à faire face à une nouvelle répartition
des responsabilités avec ses partenaires privés. Dans certaines
circonstances, l'administration publique voit aujourd'hui sa marge
de manœuvre réduite, ce qui diminue sa capacité à s'adapter à des
changements à court terme dans les attentes des citoyens
. Le modèle d'externalisation
présente, en effet, un sérieux inconvénient: en externalisant à
long terme tel ou tel service, l'administration concernée risque
de perdre ses compétences dans le domaine externalisé.
3.2. De meilleurs services
à moindre coût?
40. La finalité déclarée de tout processus de privatisation
a toujours été de réduire les prix et d’améliorer la qualité des
prestations de services. Il apparaît cependant qu’il n’existe pas
de lien clair, d’une part, entre le degré de libéralisation et de
privatisation et, d’autre part, entre la satisfaction du client
et la baisse des prix
.
41. Avant la vague de privatisation, des secteurs comme les télécommunications,
le gaz et l’électricité ne constituaient pas une charge pour les
gouvernements de 15 Etats membres de l’Union européenne. En clair, le
prix payé par les consommateurs couvrait les coûts. Or, après 30
ans de privatisation, les citoyens britanniques payaient plus cher
(intermédiaires inclus) que leurs voisins européens, là où les pouvoirs
publics détenaient encore une participation dans certaines entreprises
de télécommunications
.
Par ailleurs, le prix d’un appel interurbain au Royaume-Uni était
deux fois supérieur à celui qui était payé en Suède. Par rapport aux
décennies précédentes, la baisse générale des prix enregistrée dans
le secteur des télécommunications est plutôt due au progrès technologique.
42. Dans le secteur du gaz, les citoyens britanniques payaient
1,5 livre pour 1 GJ (gigajoule) en 1978 à l'entreprise publique
British Gas; 30 ans plus tard, le prix était passé à 2,5 livres,
alors même que le pays avait ses propres réserves de gaz. A titre
de comparaison, les prix étaient inférieurs en France et en Espagne,
qui devaient pourtant importer leur gaz.
43. L’électricité est le meilleur exemple d’échec en matière de
privatisation dans plusieurs pays européens. La corrélation entre
les prix et la réussite des réformes a été étudiée sur la base des
données de l’OCDE. Dans le cas des télécommunications, aucune corrélation
n'a été établie entre la modification des prix et les réformes engagées,
et la corrélation était faible dans le secteur du gaz. Dans le cas
de l'électricité, en revanche, il était manifeste que les prix augmentaient
en raison de la privatisation et de la libéralisation, par comparaison
avec les marchés sous contrôle de l'Etat. En outre, les pays dans
lesquels le marché de l'électricité était davantage aux mains de
sociétés privées enregistraient également un plus grand nombre d'interruptions
non prévues. Le ministère britannique de l'Energie et du Changement
climatique a récemment publié un livre blanc intitulé «Planning our electric future» dont
le constat est clair: au cours des dix prochaines années, la capacité britannique
de production d'électricité sera diminuée d'un quart en raison de
la fermeture d’anciennes centrales. Or le cadre actuel ne garantit
pas les investissements nécessaires. Une nouvelle approche stable et
planifiée a été proposée pour attirer les investisseurs.
44. Pour les consommateurs, la qualité des services a également
diminué du fait de la libéralisation et de la privatisation dans
des domaines comme celui des soins de santé, qui exigent des moyens
financiers supplémentaires ou de très bonnes conditions de travail
.
45. En outre, l’argument selon lequel le secteur privé apporte
des idées et des technologies innovantes et fait donc baisser les
prix n’est pas toujours convaincant. Des solutions innovantes susceptibles
de réduire les coûts étaient attendues de la privatisation des établissements
de soins pour les personnes âgées, qui a eu lieu dans les années
1980 au Royaume-Uni. Mais, comme à l’accoutumée, les économies ont
été faites en réduisant les effectifs et les salaires et en centralisant
les services d’appui administratif. En réalité, les secteurs publics
et privés appliquent souvent les mêmes types de mesures pour réduire
les dépenses: suppression de services, transfert des services vers
l’Internet, externalisation, réduction des investissements dans
les infrastructures, augmentation des tarifs, etc.
3.3. Conditions de travail
et emploi
46. La libéralisation et la privatisation des services
publics ont été considérées non seulement comme un moyen d’améliorer
des indicateurs quantitatifs tels que les prix mais aussi comme
une façon d’ouvrir et de flexibiliser le marché, de créer des emplois
supplémentaires et donc de renforcer la cohésion sociale. Des études
montrent cependant que les chiffres sont contrastés
.
47. Les secteurs publics ont été durement frappés par la crise
de 2008, qui a eu une incidence très négative sur les recettes publiques
et la part qu’elles représentent dans le PIB de la plupart des Etats
membres du Conseil de l’Europe. Suite aux mesures prises par les
gouvernements pour lutter contre la crise économique, redonner une
stabilité aux marchés financiers, maintenir l’emploi et atténuer
les effets du chômage, les budgets publics ont été soumis à des
tensions croissantes. La crise de la dette a obligé les gouvernements
à adopter des politiques strictes d’austérité budgétaire. Dans toute
l’Europe, les secteurs publics ont été la cible principale des politiques
d’assainissement budgétaire. Les employeurs du secteur public ont
contourné les procédures de négociation collective, et les salaires
et les effectifs ont été supprimés ou gelés, le plus fréquemment
par une décision unilatérale de l’Etat
.
48. La Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP)
note qu’au cours des dernières années,
«[p]artout en Europe, nous avons assisté (…) à des attaques sans
précédent contre des centaines de milliers de travailleurs du secteur
public». Aux suppressions de postes et au gel des recrutements se
sont ajoutés des blocages des salaires. Et certains employeurs du
secteur public n'en sont pas restés là. Au mépris des procédures
de la négociation collective et des traditions, ils ont tout simplement
imposé des réductions de salaires à leurs travailleurs. Parfois
même, les réductions de salaires se sont succédé.
49. Le FSESP conclut – sur la base d’une étude comparative du
secteur public en Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Irlande, Lettonie,
Lituanie et Roumanie – que «les gouvernements se trompent de cible.
Ce ne sont pas les travailleurs ou l’endettement du secteur public
qui sont la cause de la crise économique et financière. Et la reprise
économique ne sera pas garantie si les gouvernements des pays européens
coordonnent leurs mesures d’austérité à la demande d’une Commission
européenne qui est focalisée sur les objectifs de déficit et d’endettement
fixés par le Pacte de stabilité et de croissance
».
50. En outre, selon l’Organisation internationale du travail (OIT)
,
les ajustements opérés dans le secteur public en Europe sont d’une
grande diversité. Au-delà des similitudes que présentent les réformes
entreprises avant la crise, en termes d’externalisation, de multiplication
des contrats à durée déterminée, de rationalisation et de décentralisation,
les ajustements actuels varient considérablement selon leur nature
et leur ampleur, leur calendrier et leur dosage politique.
51. L’OIT conclut que «les ajustements sans précédent opérés dans
le secteur public ainsi que l’absence de dialogue social entre le
gouvernement et les employés ont dégradé la sécurité de l’emploi,
les salaires ainsi que les conditions de travail dans les secteurs
publics européens». Selon M. Daniel Vaughan-Whitehead, expert de
l’OIT: «Tous ces changements ne sont pas neutres pour la qualité
future des services publics. On peut déjà le constater dans l’éducation
et la santé, mais les emplois de la fonction publique sont eux-mêmes menacés.»
(…) «La dégradation des salaires et des conditions de travail dans
le secteur public par rapport au secteur privé n’a pas seulement
provoqué une émigration importante – surtout parmi les médecins,
les infirmières et les enseignants. Le secteur public a également
cessé d’attirer les foules de jeunes diplômés qui lui avaient jusque-là
apporté du sang neuf.»
En outre, l’externalisation et la passation
de marchés soulèvent des questions concernant le risque de dumping
social.
52. Selon l’OIT, des considérations importantes comme l’égalité,
le dialogue social, les perspectives d’emploi, les conditions de
travail et l’efficacité des services publics à l’avenir méritent
de retenir l’attention. Ce n’est qu’à ces conditions que les services
publics en Europe pourront continuer d’être une importante source de
cohésion sociale et de croissance économique.
3.4. Confiance dans
le secteur public
53. Une étude de la performance dans le secteur public
compare la performance de neuf
services publics dans 28 pays, la plupart européens, sur la période
1995-2009. Ces services sont les suivants: éducation, soins de santé,
sécurité sociale, logement, protection sociale, économie et logistique,
protection de l’environnement, loisirs, culture et participation
sociale, et administration publique.
54. L’étude montre (sachant que les performances du secteur public
sont très diverses dans les différents pays) que les pays nordiques
sont généralement performants ainsi que la Suisse et les Pays-Bas.
Les pays continentaux (Allemagne, Autriche, Belgique et France)
ont de bons résultats concernant l’économie et les infrastructures,
et des résultats plus faibles dans l’éducation. Les pays d’Europe
centrale (Estonie, Hongrie, Pologne, Slovénie, République tchèque)
affichent des performances moins bonnes, surtout dans l’administration
publique, les soins de santé, le logement, l’économie et les infrastructures.
Comme les pays d’Europe centrale, les pays méditerranéens (Grèce,
Italie, Portugal, Espagne) ont des secteurs publics dont les performances
sont inférieures à la moyenne.
55. L’étude conclut qu’il n’y a pas, en général, de corrélation
entre la dépense et la performance. Une structuration efficiente
et efficace du secteur public est plus importante que les sommes
d’argent investies. C’est pourquoi, lorsque l’on recherche des moyens
d’améliorer la performance du secteur public, il vaut mieux essayer
de déterminer quels sont les facteurs de succès qui jouent un rôle
dans chaque secteur au lieu de s’efforcer de copier des systèmes
entiers de protection sociale.
56. Selon cette étude, la confiance dans le secteur public est
élevée dans les pays nordiques et faible dans les pays méditerranéens
et d’Europe centrale. Le degré de confiance dans ces groupes de
pays correspond largement au niveau de performance du secteur public,
même si la confiance dans les pays continentaux est souvent plus
élevée que ce que la performance pourrait laisser supposer. Enfin,
les personnes sont généralement plus satisfaites de vivre dans des
pays où le secteur public est plus performant.
57. Une étude de la Banque européenne pour la reconstruction et
le développement
montre
que la satisfaction à l’égard de la prestation de services publics
dans les «pays en transition» est assez élevée et a augmenté depuis
2006 dans la plupart des pays malgré l’impact négatif de la crise
économique mondiale. Parmi les pays en transition, les niveaux de
satisfaction générale semblent être légèrement supérieurs dans les
nouveaux Etats membres de l’Union européenne et la Turquie, et généralement
plus faibles dans la Communauté d’Etats indépendants, bien qu’il
existe des variations considérables dans les sous-régions, par exemple,
entre l’Estonie et la Roumanie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan, ou
la Russie et l’Ukraine. Dans certains pays de transition relativement
pauvres (comme la Géorgie et la République de Moldova), les taux
de satisfaction concernant la qualité et l’efficacité des services
publics sont assez élevés. La satisfaction à l’égard des services
publics dans la région de transition est inférieure à celle obtenue
dans les pays d’Europe occidentale. La satisfaction globale est
plus faible dans des pays qui ont utilisé intensivement les services publics
au cours de l’année dernière. Il semble que des taux d’utilisation
intensive exercent une forte pression sur la disponibilité (en termes,
par exemple, de temps de travail du personnel, de médicaments ou
de matériels d’apprentissage) et donc réduisent la capacité de fournir
des services de grande qualité et nuisent à la perception de la
qualité. En outre, les attentes des citoyens en matière de qualité
ont augmenté au fil des ans ainsi que la perception qu’un Etat est
responsable de la fourniture de services publics de bonne qualité.
4. Préserver les droits
économiques et sociaux en temps de crise
58. En raison de la réforme durable de l’administration
publique et des changements opérés dans le secteur public, de nombreux
gouvernements sont aujourd’hui confrontés à un secteur public très
fragmenté et à un manque significatif de coordination et de coopération.
Les effets conjugués des réformes, de la privatisation et des nouvelles
mesures d’austérité dans le service public peuvent avoir contribué
à saper la confiance des citoyens dans leurs gouvernements dans
toute l’Europe.
59. Selon le Commissaire aux droits de l’homme
,
la nouvelle réalité politique placée sous le signe de l’austérité
menace plus de soixante ans de solidarité sociale et de développement
de la protection des droits de l’homme au sein des Etats membres
du Conseil de l’Europe. La crise économique altère en outre la capacité de
l’Etat et des collectivités territoriales à assurer la protection
des droits de l’homme. Les dépenses sociales publiques ont été les
premières visées par les mesures d’austérité dans nombre d’Etats
membres. Cela s’est notamment traduit par des réductions ou un plafonnement
de la masse salariale – plus particulièrement dans les domaines
de l’éducation, de la santé et d’autres services publics – par la
rationalisation des régimes de protection sociale, la suppression
ou la réduction des subventions aux carburants, à l’agriculture
et aux produits alimentaires, un durcissement des conditions d’accessibilité
pour un certain nombre de prestations sociales et d’autres réductions
visant les systèmes éducatifs et de santé.
60. Les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe
sont libres de décider de l’organisation spécifique de l’administration
publique et de la taille et de la qualité des services publics.
Ils sont toutefois tenus de respecter, protéger et satisfaire les
droits économiques, sociaux et culturels, recourant pour ce faire
aux principaux instruments que sont le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels, la Charte sociale
européenne révisée, le Code européen de sécurité sociale et les
diverses conventions de l’OIT.
61. Tout particulièrement en temps de crise économique, les gouvernements
disposent d’une certaine marge de manœuvre au moment de choisir
les moyens les plus adaptés pour préserver les droits. On assiste également
en période de crise, à un enrichissement de la jurisprudence nationale
et internationale portant sur la mise en œuvre des droits de l’homme.
C’est notamment le cas en ce qui concerne les obligations incombant aux
Etats de protéger les droits économiques et sociaux, d’éviter toute
nouvelle érosion et régression de ces droits et de faire en sorte
que les mesures d’austérité n’aient pas d’effets disproportionnés
sur certaines catégories de la population.
62. Parmi les droits soumis à rude épreuve, le Commissaire aux
droits de l’homme évoque le droit au travail, les droits sur le
lieu de travail, la protection sociale, les retraites, le logement,
la nourriture, l’eau, l’éducation et les soins de santé.
63. Afin de préserver les droits sociaux, économiques et les autres
droits fondamentaux en temps de crise, le Commissaire aux droits
de l’homme recommande, notamment: d’assurer la transparence institutionnelle,
la participation et la responsabilité publique, tout au long du
cycle de la politique économique et sociale; d’évaluer de manière
systématique les répercussions des politiques économiques, sociales
et budgétaires sur les droits de l’homme et l’égalité; de promouvoir
l’égalité et de lutter contre la discrimination et le racisme; de
garantir une protection sociale pour tous; de garantir le droit
à un travail décent; de réglementer le secteur financier dans l’intérêt
des droits de l’homme; et de travailler de concert pour réaliser
les droits de l’homme à travers la coopération et l’assistance économiques.
Le Commissaire recommande par ailleurs d’associer et de soutenir une
société civile active; de garantir l’accès à la justice pour tous;
de systématiser l’action en faveur des droits de l’homme; et d’associer
les structures nationales de droits de l’homme et d’accroître leur
influence en réponse à la crise économique. Le Commissaire recommande
en outre aux Etats membres de ratifier les instruments européens
et internationaux de droits de l’homme dans le domaine des droits
économiques et sociaux.
5. L’approche du Conseil
de l’Europe en matière de cohésion sociale
64. Selon le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire,
les Etats et leurs administrations jouent un rôle de premier plan
pour assurer «le bien-être de tous les membres [de la société],
(...) minimiser les disparités et (...) éviter la polarisation»
conformément à la définition de la cohésion sociale par le Conseil
de l'Europe
. Les
chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé au cours de leur deuxième
sommet, qui s’est tenu à Strasbourg en 1997, que la cohésion sociale
est «une des exigences primordiales de l'Europe élargie et que cet
objectif doit être poursuivi comme un complément indispensable de
la promotion des droits de l'homme et de la dignité humaine». En
2010, le Comité des Ministres a adopté la Nouvelle stratégie et
le Plan d’action pour la cohésion sociale, élaboré lors de la première
Conférence des Ministres pour la cohésion sociale.
65. La Nouvelle stratégie définissait la cohésion sociale comme
la «capacité d'une société à garantir le bien-être de tous ses membres
en réduisant autant que possible les disparités et en évitant la
marginalisation, à gérer les différences et les divisions et à se
donner les moyens d’assurer la protection sociale de l’ensemble de
ses membres». Le Comité des Ministres a appelé la cohésion sociale
«un concept politique qui est essentiel à la réalisation des trois
valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe: droits de l'homme,
démocratie et Etat de droit».
66. La Convention européenne des droits de l’homme et la Charte
sociale européenne ont formulé des droits économiques et sociaux
qui atténuent les craintes des citoyens et garantissent une certaine
capacité à faire face à l’avenir. Dans sa Nouvelle stratégie, le
Comité des Ministres concluait que les droits sociaux ont joué un
rôle important dans le développement de l'Europe, qui se distingue
du reste du monde sur ce plan. Ce modèle a permis de créer et de
préserver une cohésion et une solidarité sociales, mais il est aujourd'hui
mis à mal par la mondialisation et par d'autres évolutions. Selon
le Comité des Ministres: «[L]'émergence d'une société fragmentée,
dans laquelle davantage de personnes rencontrent des obstacles à
la pleine jouissance de leurs droits ou dépendent des prestations
sociales et d'autres services publics, et où les inégalités se creusent
entre riches et pauvres, constitue l'un des principaux défis à la
cohésion sociale en Europe.»
67. En octobre 2012, la deuxième Conférence des Ministres du Conseil
de l’Europe responsables de la cohésion sociale a adopté une déclaration
intitulée «Bâtir un avenir sûr pour tous». Selon la Secrétaire Générale
adjointe du Conseil de l’Europe, la Conférence est venue à un moment
crucial: «Le chômage a de lourdes conséquences. L’inégalité des
revenus n’a jamais été aussi élevée au siècle dernier et continue
de se creuser. Nous observons des tendances extrêmement préoccupantes
de marginalisation et d’exclusion de segments entiers de la société.»
Le Commissaire aux droits de l’homme a exposé sa vision lors de
la Conférence, indiquant qu’il était important de défendre les droits
fondamentaux et de promouvoir la cohésion sociale à l’avenir.
68. Le Comité directeur pour la cohésion sociale, la dignité humaine
et l’égalité supervisera, encouragera et suivra la mise en œuvre
de la Stratégie et du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour
la cohésion sociale et pourra conseiller le Comité des Ministres
au moment de décider si les priorités doivent être revues. Le Comité des
Ministres procède actuellement à l’examen de l’ensemble de la stratégie
du Conseil de l’Europe en matière de cohésion sociale. A cette occasion,
l’Assemblée ne doit pas manquer de faire entendre ses analyses et
ses propositions.
6. Conclusions
69. A la lumière de son exposé des motifs, le rapporteur
propose que l’Assemblée:
- rappelle
sa Recommandation 1617
(2003) dans laquelle, compte tenu du rôle et de la contribution
sans équivalent des administrations publiques en matière de cohésion
sociale et d’emploi, elle encourageait les Etats membres à étudier
soigneusement toutes les conséquences que pourrait entraîner l’introduction
de nouvelles méthodes de gestion du secteur privé avant de les mettre
en œuvre;
- s’inquiète du fait que les récentes réformes de l’administration
publique dans les Etats membres puissent néanmoins avoir été guidées
dans une trop large mesure par une logique budgétaire et managériale
préjudiciable au fonctionnement de l’administration publique et
à la qualité des services publics et sapant la confiance des citoyens
dans l’administration publique et le fonctionnement de la démocratie;
- insiste sur le fait que l’intérêt général ne peut se définir
à l’aune de la seule réalisation d’économies et doit englober le
bon fonctionnement de la société;
- réaffirme qu’une fonction publique de grande qualité est
une condition préalable essentielle pour une démocratie forte et
dans un Etat droit et que les Etats membres doivent par conséquent
mettre les intérêts de leurs citoyens ainsi que les valeurs communes
européenne au cœur de toute future réforme administrative;
- réaffirme que les Etats et leur administration jouent
un rôle de premier plan pour garantir le bien-être de tous les membres
de la société, en réduisant les disparités au minimum et en évitant
les polarisations, conformément à la définition de la cohésion sociale
du Conseil de l’Europe;
- soutienne fermement les recommandations du Commissaire
aux droits de l’homme sur la sauvegarde des droits sociaux, économiques
et des autres droits fondamentaux en temps de crise;
- demande aux parlements des Etats membres:
- de dûment évaluer les mesures
de réforme prises dans le domaine de l’administration et des services
publics et de s’inspirer de l’expérience d’autres parlements en
la matière;
- d’élaborer des structures bien délimitées pour établir
une distinction plus claire entre les différentes formes publiques
et privées d’exécution des politiques;
- de mettre en place des cadres décisionnels et des critères
de référence qui soient clairs et cohérents en matière de privatisation
et d’agencification et de confier leur supervision au gouvernement
et au parlement; et d’uniformiser et de clarifier davantage la façon
dont les décisions adoptées en matière de privatisation et d’agencification
doivent être mises en œuvre;
- de réexaminer si les mesures de réforme, les privatisations
et les agencifications récentes ou à venir, sont – toujours – conformes
au concept politique de cohésion sociale, lequel est essentiel à
la réalisation des trois valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe:
droits de l’homme, démocratie et Etat de droit;
- d’améliorer – où et quand cela s’avère nécessaire – le
fonctionnement de l’administration et des services publics de manière
à ce qu’ils contribuent véritablement à la réalisation des valeurs fondamentales
du Conseil de l’Europe;
- de ratifier les instruments européens et internationaux
relatifs aux droits de l’homme concernant les droits économiques
et sociaux;
- soutienne la Stratégie et le Plan d’action du Conseil
de l’Europe pour la cohésion sociale, approuvés par le Comité des
Ministres le 7 juillet 2010, dans l’attente que le Comité des Ministres
informe régulièrement l’Assemblée des progrès réalisés dans la mise
en œuvre du Plan d’action;
- invite le Comité des Ministres à dûment réviser la stratégie
actuelle en matière de cohésion sociale et à promouvoir une approche
plus innovante.