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Résolution 1999 (2014) Version finale
Le “bateau cercueil”: actions et réactions
1. L’Assemblée renvoie à sa Résolution 1872 (2012) «Vies
perdues en Méditerranée: qui est responsable?», adoptée à la suite
d’une enquête approfondie sur les responsabilités de ceux qui auraient
pu porter secours aux 72 personnes embarquées le 26 mars 2011 à
bord d’un petit canot pneumatique – connu plus tard sous le nom
de «bateau cercueil» – dans un voyage vers l’Europe auquel neuf personnes
seulement ont survécu.
2. Malheureusement, l’inventaire des vies perdues en mer ne s’est
pas clos sur cet incident. Plus récemment, en octobre 2013, deux
navires ont chaviré à proximité des côtes de Lampedusa, entraînant
la mort de plus de 400 personnes. En mai 2014, il y a également
eu des dizaines de morts et des centaines de personnes portées disparues
à la suite de deux naufrages. Ces catastrophes ont révélé une nouvelle
fois la nécessité impérieuse pour l’Europe et le reste du monde
de combler les lacunes du cadre juridique, des politiques et des
pratiques en matière de sauvetage en mer.
3. L’Assemblée reconnaît que d’importants efforts ont été consentis
par les Etats membres, l’Italie en particulier, pour sauver davantage
de vies en mer. Elle constate toutefois avec préoccupation qu’il
subsiste des défaillances sur le plan de la coopération, de la définition
et de la reconnaissance des responsabilités, ainsi que des enseignements
qu’il faut en tirer. L’incident du bateau cercueil a clairement
mis en relief l’urgence de garantir les droits fondamentaux, tout
en respectant les impératifs de sécurité légitimes en termes de
contrôle des frontières.
4. En conséquence, l’Assemblée veut renforcer ses précédentes
recommandations et encourager l’adoption de mesures supplémentaires
pour éviter à l’avenir les lacunes en matière de communication et
de responsabilités lorsqu’il s’agit du sauvetage des personnes en
détresse.
5. En vue d’appliquer une tolérance zéro au regard de la perte
de vies humaines en mer, l’Assemblée recommande en outre aux Etats
membres:
5.1. concernant le sauvetage
en mer et les pertes de vies humaines:
5.1.1. d’adopter
des normes communes, précises, contraignantes et exécutoires en
ce qui concerne les opérations de recherche et de sauvetage, y compris
le débarquement, qui soient pleinement conformes au droit maritime
international et aux obligations découlant du droit international
relatif aux droits de l’homme et du droit international des réfugiés;
5.1.2. d’œuvrer pour que les règles récemment adoptées en matière
de surveillance des frontières maritimes extérieures de l’Union
européenne dans le cadre des opérations de l’Agence européenne pour
la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures
des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) soient étendues
aux opérations nationales menées en dehors des opérations Frontex;
5.1.3. de s’engager à améliorer l’enregistrement et l’identification
des migrants morts ou disparus en mer, et de faire en sorte que
les survivants et les familles des victimes disposent d’un accès
rapide aux informations les concernant;
5.1.4. d’assurer le maintien ou le rétablissement des liens familiaux
à la suite d’opérations de sauvetage;
5.1.5. de s’engager à mener des enquêtes rapides, indépendantes
et approfondies sur toute allégation de défaillances en matière
de sauvetage des personnes en mer, et à déterminer les responsabilités
en la matière;
5.1.6. de s’engager à aider les Etats côtiers à accroître les
ressources pour les opérations de recherche et de sauvetage;
5.2. concernant la criminalisation de la migration irrégulière:
5.2.1. de supprimer les facteurs qui dissuadent les navires privés
de procéder à des sauvetages, en faisant en sorte que les personnes
secourues soient autorisées à débarquer rapidement et en mettant
fin à la menace de poursuites pour complicité à l’immigration irrégulière, à
l’origine de préjudices moraux et financiers;
5.2.2. d’enjoindre aux capitaines et aux pêcheurs de se conformer
aux obligations qui leur incombent, en vertu du droit international,
d’aider et de signaler aux autorités compétentes des Etats membres
tout bateau migrant en détresse;
5.2.3. d’assurer aux capitaines et aux pêcheurs une indemnisation
pour les éventuelles pertes financières occasionnées par des opérations
de sauvetage;
5.3. concernant les pratiques de renvoi:
5.3.1. de
mettre fin à toutes pratiques de renvoi et de s’assurer que les
pratiques de sauvetage en mer respectent le droit de demander l’asile
et le droit d’être protégé contre le refoulement;
5.3.2. de veiller à la crédibilité de toute enquête judiciaire
ou mesure d’instruction dans une affaire de renvoi en garantissant
leur indépendance, leur impartialité et leur transparence;
5.3.3. de condamner publiquement tout cas d’expulsion sommaire
ou d’expulsion collective dont ils auraient connaissance et de déterminer
les responsabilités en la matière;
5.3.4. de veiller en particulier à ce que les procédures d’asile
accélérées et l’évaluation de la situation personnelle menées dans
le cadre d’opérations de recherche et de sauvetage respectent le
droit des individus à la protection contre le refoulement, conformément
aux Lignes directrices de 2009 du Conseil de l’Europe sur la protection
des droits de l’homme dans le contexte des procédures d’asile accélérées;
de veiller à ce que toutes les personnes interceptées aient accès
à des procédures individuelles pour demander une protection internationale
ou mettre en avant d’autres besoins en matière de protection, et
à ce qu’elles bénéficient d’un recours effectif contre toute décision
de retour;
5.3.5. de veiller à ce que les accords de réadmission bilatéraux
soient rédigés et mis en œuvre en totale conformité avec les normes
du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international
des réfugiés, et à ce qu’ils incluent une protection effective des
droits de l’homme et un accès à une évaluation individualisée appropriée
et équitable;
5.4. concernant l’affaire du bateau cercueil:
5.4.1. de
coopérer sans réserve pour trouver des réponses aux questions en
suspens, en informant convenablement et rapidement la rapporteure
de la position de leurs bâtiments au moment où l’embarcation concernée
dérivait en quête de secours, et des messages reçus par leurs bâtiments;
5.4.2. d’accorder un droit de séjour aux survivants dont les
demandes d’asile ou d’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires
sont encore en instance;
5.5. de faire preuve d’encore plus de solidarité avec les pays
tiers en permettant à un plus grand nombre de réfugiés de bénéficier
de programmes de réinstallation ou d’accueil temporaire, et de garantir un
accès à la protection en toute sécurité.
6. Afin d’encourager la création de voies de migration légales
et sûres, de dissuader les migrants en situation irrégulière, les
demandeurs d’asile et les réfugiés d’entreprendre des périples risqués
vers l’Europe, et d’établir un partage des responsabilités en matière
d’asile au sein de l’Union européenne, l’Assemblée recommande à
l’Union européenne:
6.1. d’encourager
ses Etats membres à augmenter les quotas de réinstallation pour
les personnes nécessitant une protection internationale et d’adopter
une approche commune en ce qui concerne les visas humanitaires;
d’examiner toutes les possibilités d’entrée protégée et de voies
de migration permettant aux migrants d’entrer de manière régulière
en Europe.
6.2. de prendre des mesures pour poursuivre l’harmonisation
des normes et procédures communes en matière d’asile au sein de
l’Union européenne, par exemple en envisageant un traitement conjoint des
demandes d’asile et la création d’un statut uniforme; d’étudier
d’autres possibilités de renforcer la solidarité à l’égard des demandeurs
d’asile et des réfugiés au sein de l’Union européenne;
6.3. de renforcer les programmes de protection régionale et
d’assurer leur pérennité par un financement adéquat; de soutenir
ses pays voisins dans l’amélioration de leurs systèmes d’asile et
de protection par le biais de partenariats pour la mobilité, et
de subordonner la poursuite de la coopération en matière de migration
et de contrôle des frontières à un niveau suffisant de protection
des demandeurs d’asile dans ces pays;
6.4. de veiller à ce que Frontex fasse de la protection des
droits fondamentaux une priorité de ses opérations conjointes, et
notamment qu’elle cherche à acquérir la faculté – qui n’est toujours
pas prévue dans la réglementation récemment adoptée – d’appliquer
les règles (en matière de recherche et de sauvetage, de débarquement
et de non-refoulement) aux bateaux de migrants dans les eaux territoriales
d’Etats tiers se trouvant clairement dans l’incapacité de remplir
leurs obligations internationales en matière de recherche et de
sauvetage en mer et de garantir les droits des migrants en situation
irrégulière, des demandeurs d’asile et des réfugiés;
6.5. de veiller à ce que Frontex établisse un mécanisme effectif
de plaintes individuelles pour violations de droits fondamentaux,
afin de mieux rendre compte de son action;
6.6. de veiller à ce que le mécanisme du système européen de
surveillance des frontières EUROSUR contribue à protéger et à sauver
des vies aux frontières extérieures de l’Union européenne;
6.7. d’adopter des mesures pour interdire les sanctions pénales
à l’égard de navires privés lorsque ceux-ci effectuent des opérations
de sauvetage et de recherche, et pour les dédommager s’ils subissent un
préjudice économique pour avoir participé à des opérations de sauvetage;
6.8. de mettre en place un système adéquat de collecte d’informations
sur les dépouilles des personnes mortes en Méditerranée et de le
rendre accessible rapidement aux familles.
7. L’Assemblée recommande à l'Organisation du Traité de l'Atlantique
Nord (OTAN):
7.1. de tenir compte,
dans toute opération de l’OTAN, des éventuels mouvements de personnes nécessitant
une protection internationale, et de passer des accords avec tous
les pays concernés pour s’assurer que ces personnes sont prises
en charge;
7.2. de s’assurer que toutes les unités de l’OTAN sont équipées
de l’une des versions du système mondial de détresse et de sécurité
en mer (SMSDM) et ont les moyens de recevoir des messages de détresse
(Hydrolant);
7.3. de publier les conclusions du processus de retour d’expérience
par lequel elle a examiné les moyens de renforcer le partage d’informations
et les procédures relatives à la recherche et au sauvetage maritimes
lors d’opérations conduites par l’OTAN.
8. L’Assemblée estime que l’Organisation maritime internationale
(OMI) devrait contribuer à promouvoir une application commune et
efficace du cadre juridique relatif au sauvetage en mer, car, aujourd’hui
encore, les différences d’approche retardent excessivement, voire
empêchent le sauvetage de personnes en détresse en mer. A cette
fin, elle recommande à l’OMI:
8.1. d’intensifier
ses efforts pour élaborer un mémorandum d’accord régional relatif
aux procédures visant à faciliter la coordination des opérations
de recherche et de sauvetage ainsi que le débarquement de personnes
secourues en Méditerranée;
8.2. de promouvoir de nouvelles consultations afin de modifier
et d’appliquer le cadre juridique actuel, et en particulier les
conventions de l'OMI, avec des règles et des définitions plus claires
et plus strictes;
8.3. de modifier la Convention internationale pour la sauvegarde
de la vie humaine en mer (SOLAS) afin de prévoir expressément que
les exceptions s'appliquant de façon générale aux navires de guerre et
aux transports de troupes ne concernent pas les équipements et dispositifs
essentiels de recherche et de sauvetage permettant de transmettre
et de recevoir des signaux de détresse, ainsi que de communiquer
pendant les opérations de recherche et de sauvetage.