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Résolution 2008 (2014) Version finale
La mutation de l’administration en Europe: le service public en péril?
1. D’importantes réformes de l’administration
publique ont été engagées récemment dans la plupart des Etats membres
du Conseil de l’Europe et ont eu de profondes répercussions sur
l’organisation, la taille et la qualité de l’administration et des
services publics. Des pans entiers du secteur public ont été privatisés,
des missions de service public ont été externalisées et des agences
créées pour fournir des services publics non soumis au contrôle
de l’Etat. Les nouvelles méthodes de gestion publique ont permis
d’appliquer aux services publics une politique fondée sur les marchés,
les gestionnaires et l’évaluation de la performance, afin d’assurer une
plus grande rentabilité pour les gouvernements.
2. Depuis le déclenchement de la crise financière en 2008, des
mesures drastiques d’austérité ont soumis les administrations publiques,
les services publics et la cohésion sociale à des pressions encore
plus fortes et ont conduit à une nouvelle vague de réformes dans
l’administration, à des réductions dans l’administration et les
services publics, à de nouvelles privatisations et à une «agencification»
de pans entiers de ces services. Les gouvernements font appel à
des capitaux privés pour continuer à fournir et à financer certains
services publics. La plupart des Etats européens ont appliqué des
politiques de privatisation et de dérégulation afin de stimuler
le marché et d’apporter des actifs supplémentaires aux budgets de
l’Etat.
3. En Europe centrale et orientale, le passage d’une économie
dirigée par l’Etat à une économie de marché s’est accompagné d’une
privatisation massive et accélérée, procurant aux gouvernements
des recettes bienvenues. Cependant, cette transition a également
introduit la propriété privée dans des situations où d’autres aspects
essentiels de l’environnement économique n’étaient pas encore suffisamment
élaborés pour soutenir l’économie privée, ouvrant par ailleurs la
voie à une corruption massive.
4. Récemment, plusieurs Etats membres de l’Union européenne ont
signé des protocoles d’accord avec la Commission européenne, conditionnant
l’octroi de crédits à la privatisation d’une partie du secteur public
et de ses actifs. Les plans de restructuration de la Commission
européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire
international (FMI) dans les pays de la zone euro comportent toujours
un engagement à privatiser des biens publics.
5. Certaines de ces réformes, fondées sur les concepts de la
nouvelle gestion publique, ont donné de bons résultats et ont été
adoptées par beaucoup d’Etats membres du Conseil de l’Europe. On
note une augmentation de la qualité des services, due à une concurrence
accrue entre les prestataires de services, à des administrations
centrales réduites et plus faciles à piloter grâce à la séparation
entre fonctions d’exécution et fonctions d’élaboration des politiques,
et à une meilleure transparence résultant de la reclassification
du budget sur la base des «produits».
6. Toutefois, d’autres réformes ont, dans le même temps, produit
des effets négatifs, parmi lesquels:
6.1. des réductions budgétaires dans le secteur public;
6.2. une augmentation des services de soutien et des organismes
administratifs d’exécution;
6.3. une accumulation de fonds publics dans des organismes
hors du contrôle du gouvernement et la perte de contrôle du gouvernement
sur la prestation de services;
6.4. une difficulté à appliquer les politiques en raison de
la séparation entre fonctions d’exécution et fonctions d’élaboration
des politiques;
6.5. une augmentation des coûts; une baisse de la qualité des
services pour les citoyens et les entreprises dans de nombreux domaines;
une baisse du niveau de satisfaction et une perte de confiance des
consommateurs;
6.6. une démotivation des professionnels de la prestation de
services;
6.7. une augmentation des niveaux de la dette publique; une
vente des actifs inférieure aux prévisions.
7. De nombreux gouvernements sont aujourd’hui confrontés à un
secteur public très fragmenté et à un manque significatif de coordination
et de coopération. Les effets conjugués des réformes, de la privatisation
et des nouvelles mesures d’austérité dans le secteur public peuvent
avoir contribué à saper la confiance des citoyens dans leurs gouvernements
dans toute l’Europe.
8. Dans toute l’Europe, le secteur public a fait l’objet d’une
nouvelle série d’ajustements fondés sur la réduction des effectifs,
la baisse des salaires et la diminution de la formation des agents
du secteur public, qui ont nui à sa performance. Le dialogue social
autour de la réforme de l’administration publique et la négociation collective
subissent de fortes pressions. Les pratiques adoptées par le secteur
public rejoignent à présent celles du secteur privé: la sécurité
de l’emploi, les salaires et les conditions de travail du secteur
public en Europe se sont nettement dégradés. L’application uniforme
de coupes salariales dans le secteur public a creusé les inégalités,
frappant plus durement les échelons inférieurs. Le phénomène «des
travailleurs pauvres du secteur public» fait son apparition dans
toute l’Europe. Cette situation se traduit également par un fort
taux de rotation des agents du service public. Les femmes sont les
plus touchées par ces ajustements dans la mesure où elles représentent
la majorité des employés du secteur public.
9. Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
cette nouvelle réalité politique menace plus de soixante ans de
solidarité sociale et de développement de la protection des droits
de l’homme au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe. Les
dépenses publiques dans le domaine social – en particulier celles
qui concernent l’éducation, les soins de santé, les régimes de protection
sociale et les prestations sociales – ont en réalité été les premières
visées par les mesures d’austérité dans beaucoup d’Etats membres.
En temps de crise, les droits sociaux, économiques et autres droits
fondamentaux – droit au travail, droits sur le lieu de travail,
protection sociale, retraites, logement, nourriture, eau, éducation
et soins de santé – sont mis à rude épreuve.
10. L’Assemblée, rappelant sa Recommandation 1617 (2003) sur les
réformes de la fonction publique en Europe, dans laquelle, compte
tenu du rôle et de la contribution sans équivalent des administrations
publiques en matière de cohésion sociale et d’emploi, elle encourageait
les Etats membres à étudier soigneusement toutes les conséquences
que pourrait entraîner l’introduction de nouvelles méthodes de gestion
du secteur privé avant de les mettre en œuvre:
10.1. s’inquiète du fait que les récentes
réformes de l’administration publique dans les Etats membres puissent
néanmoins avoir été guidées dans une trop large mesure par une logique
budgétaire et managériale préjudiciable au fonctionnement de l’administration
publique et à la qualité des services publics, et qui sape la confiance
des citoyens dans l’administration publique et le fonctionnement
de la démocratie;
10.2. insiste sur le fait que l’intérêt général ne peut se définir
à l’aune de la seule réalisation d’économies et doit englober le
bon fonctionnement de la société;
10.3. réaffirme qu’une fonction publique de grande qualité est
une condition préalable essentielle pour une démocratie forte dans
un Etat de droit et que les Etats membres doivent par conséquent
mettre les intérêts de leurs citoyens ainsi que les valeurs communes
européennes au cœur de toute future réforme administrative;
10.4. réaffirme que les Etats et leur administration jouent
un rôle de premier plan pour garantir le bien-être de tous les membres
de la société, en réduisant les disparités au minimum et en évitant
les polarisations, conformément à la définition de la cohésion sociale
du Conseil de l’Europe;
10.5. considère que, en temps de crise budgétaire et économique,
les gouvernements sont tenus de respecter, de protéger et de mettre
en œuvre les droits économiques, sociaux et culturels, afin d’éviter toute
nouvelle érosion et régression de ces droits, et de faire en sorte
que les mesures d’austérité n’aient pas d’effets disproportionnés
sur certaines catégories de la population;
10.6. soutient fermement les recommandations du Commissaire
aux droits de l’homme sur la sauvegarde des droits sociaux, économiques
et des autres droits fondamentaux en temps de crise.
11. En outre, l’Assemblée demande aux parlements des Etats membres
du Conseil de l’Europe:
11.1. de
dûment évaluer les mesures de réforme prises dans le domaine de
l’administration et des services publics, et de s’inspirer de l’expérience
d’autres parlements en la matière;
11.2. d’élaborer des structures bien délimitées pour établir
une distinction plus claire entre les différentes formes publiques
et privées d’exécution des politiques;
11.3. de mettre en place des cadres décisionnels et des critères
de référence qui soient clairs et cohérents en matière de privatisation
et d’«agencification», et de confier leur supervision au gouvernement
et au parlement; et d’uniformiser et de clarifier davantage la façon
dont les décisions adoptées en matière de privatisation et d’«agencification»
doivent être mises en œuvre;
11.4. de réexaminer si les mesures de réforme, les privatisations
et les «agencifications» récentes ou à venir sont conformes au concept
politique de cohésion sociale, lequel est essentiel à la réalisation
des trois valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe: droits de
l’homme, démocratie et Etat de droit;
11.5. d’améliorer – où et quand cela s’avère nécessaire – le
fonctionnement de l’administration et des services publics de manière
à ce qu’ils contribuent véritablement à la réalisation des valeurs fondamentales
du Conseil de l’Europe;
11.6. de promouvoir la ratification et la bonne mise en œuvre
des instruments européens et internationaux relatifs aux droits
de l’homme dans le domaine des droits économiques et sociaux, notamment
le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163),
le Code européen de sécurité sociale (révisé) (STE n° 139) et les conventions
de l’Organisation internationale du travail (OIT).