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Résolution 2008 (2014) Version finale

La mutation de l’administration en Europe: le service public en péril?

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 juin 2014 (26e séance) (voir Doc. 13529, rapport de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, rapporteur: M. Tiny Kox). Texte adopté par l’Assemblée le 26 juin 2014 (26e séance).Voir également la Recommandation 2050 (2014).

1. D’importantes réformes de l’administration publique ont été engagées récemment dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe et ont eu de profondes répercussions sur l’organisation, la taille et la qualité de l’administration et des services publics. Des pans entiers du secteur public ont été privatisés, des missions de service public ont été externalisées et des agences créées pour fournir des services publics non soumis au contrôle de l’Etat. Les nouvelles méthodes de gestion publique ont permis d’appliquer aux services publics une politique fondée sur les marchés, les gestionnaires et l’évaluation de la performance, afin d’assurer une plus grande rentabilité pour les gouvernements.
2. Depuis le déclenchement de la crise financière en 2008, des mesures drastiques d’austérité ont soumis les administrations publiques, les services publics et la cohésion sociale à des pressions encore plus fortes et ont conduit à une nouvelle vague de réformes dans l’administration, à des réductions dans l’administration et les services publics, à de nouvelles privatisations et à une «agencification» de pans entiers de ces services. Les gouvernements font appel à des capitaux privés pour continuer à fournir et à financer certains services publics. La plupart des Etats européens ont appliqué des politiques de privatisation et de dérégulation afin de stimuler le marché et d’apporter des actifs supplémentaires aux budgets de l’Etat.
3. En Europe centrale et orientale, le passage d’une économie dirigée par l’Etat à une économie de marché s’est accompagné d’une privatisation massive et accélérée, procurant aux gouvernements des recettes bienvenues. Cependant, cette transition a également introduit la propriété privée dans des situations où d’autres aspects essentiels de l’environnement économique n’étaient pas encore suffisamment élaborés pour soutenir l’économie privée, ouvrant par ailleurs la voie à une corruption massive.
4. Récemment, plusieurs Etats membres de l’Union européenne ont signé des protocoles d’accord avec la Commission européenne, conditionnant l’octroi de crédits à la privatisation d’une partie du secteur public et de ses actifs. Les plans de restructuration de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI) dans les pays de la zone euro comportent toujours un engagement à privatiser des biens publics.
5. Certaines de ces réformes, fondées sur les concepts de la nouvelle gestion publique, ont donné de bons résultats et ont été adoptées par beaucoup d’Etats membres du Conseil de l’Europe. On note une augmentation de la qualité des services, due à une concurrence accrue entre les prestataires de services, à des administrations centrales réduites et plus faciles à piloter grâce à la séparation entre fonctions d’exécution et fonctions d’élaboration des politiques, et à une meilleure transparence résultant de la reclassification du budget sur la base des «produits».
6. Toutefois, d’autres réformes ont, dans le même temps, produit des effets négatifs, parmi lesquels:
6.1. des réductions budgétaires dans le secteur public;
6.2. une augmentation des services de soutien et des organismes administratifs d’exécution;
6.3. une accumulation de fonds publics dans des organismes hors du contrôle du gouvernement et la perte de contrôle du gouvernement sur la prestation de services;
6.4. une difficulté à appliquer les politiques en raison de la séparation entre fonctions d’exécution et fonctions d’élaboration des politiques;
6.5. une augmentation des coûts; une baisse de la qualité des services pour les citoyens et les entreprises dans de nombreux domaines; une baisse du niveau de satisfaction et une perte de confiance des consommateurs;
6.6. une démotivation des professionnels de la prestation de services;
6.7. une augmentation des niveaux de la dette publique; une vente des actifs inférieure aux prévisions.
7. De nombreux gouvernements sont aujourd’hui confrontés à un secteur public très fragmenté et à un manque significatif de coordination et de coopération. Les effets conjugués des réformes, de la privatisation et des nouvelles mesures d’austérité dans le secteur public peuvent avoir contribué à saper la confiance des citoyens dans leurs gouvernements dans toute l’Europe.
8. Dans toute l’Europe, le secteur public a fait l’objet d’une nouvelle série d’ajustements fondés sur la réduction des effectifs, la baisse des salaires et la diminution de la formation des agents du secteur public, qui ont nui à sa performance. Le dialogue social autour de la réforme de l’administration publique et la négociation collective subissent de fortes pressions. Les pratiques adoptées par le secteur public rejoignent à présent celles du secteur privé: la sécurité de l’emploi, les salaires et les conditions de travail du secteur public en Europe se sont nettement dégradés. L’application uniforme de coupes salariales dans le secteur public a creusé les inégalités, frappant plus durement les échelons inférieurs. Le phénomène «des travailleurs pauvres du secteur public» fait son apparition dans toute l’Europe. Cette situation se traduit également par un fort taux de rotation des agents du service public. Les femmes sont les plus touchées par ces ajustements dans la mesure où elles représentent la majorité des employés du secteur public.
9. Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, cette nouvelle réalité politique menace plus de soixante ans de solidarité sociale et de développement de la protection des droits de l’homme au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe. Les dépenses publiques dans le domaine social – en particulier celles qui concernent l’éducation, les soins de santé, les régimes de protection sociale et les prestations sociales – ont en réalité été les premières visées par les mesures d’austérité dans beaucoup d’Etats membres. En temps de crise, les droits sociaux, économiques et autres droits fondamentaux – droit au travail, droits sur le lieu de travail, protection sociale, retraites, logement, nourriture, eau, éducation et soins de santé – sont mis à rude épreuve.
10. L’Assemblée, rappelant sa Recommandation 1617 (2003) sur les réformes de la fonction publique en Europe, dans laquelle, compte tenu du rôle et de la contribution sans équivalent des administrations publiques en matière de cohésion sociale et d’emploi, elle encourageait les Etats membres à étudier soigneusement toutes les conséquences que pourrait entraîner l’introduction de nouvelles méthodes de gestion du secteur privé avant de les mettre en œuvre:
10.1. s’inquiète du fait que les récentes réformes de l’administration publique dans les Etats membres puissent néanmoins avoir été guidées dans une trop large mesure par une logique budgétaire et managériale préjudiciable au fonctionnement de l’administration publique et à la qualité des services publics, et qui sape la confiance des citoyens dans l’administration publique et le fonctionnement de la démocratie;
10.2. insiste sur le fait que l’intérêt général ne peut se définir à l’aune de la seule réalisation d’économies et doit englober le bon fonctionnement de la société;
10.3. réaffirme qu’une fonction publique de grande qualité est une condition préalable essentielle pour une démocratie forte dans un Etat de droit et que les Etats membres doivent par conséquent mettre les intérêts de leurs citoyens ainsi que les valeurs communes européennes au cœur de toute future réforme administrative;
10.4. réaffirme que les Etats et leur administration jouent un rôle de premier plan pour garantir le bien-être de tous les membres de la société, en réduisant les disparités au minimum et en évitant les polarisations, conformément à la définition de la cohésion sociale du Conseil de l’Europe;
10.5. considère que, en temps de crise budgétaire et économique, les gouvernements sont tenus de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits économiques, sociaux et culturels, afin d’éviter toute nouvelle érosion et régression de ces droits, et de faire en sorte que les mesures d’austérité n’aient pas d’effets disproportionnés sur certaines catégories de la population;
10.6. soutient fermement les recommandations du Commissaire aux droits de l’homme sur la sauvegarde des droits sociaux, économiques et des autres droits fondamentaux en temps de crise.
11. En outre, l’Assemblée demande aux parlements des Etats membres du Conseil de l’Europe:
11.1. de dûment évaluer les mesures de réforme prises dans le domaine de l’administration et des services publics, et de s’inspirer de l’expérience d’autres parlements en la matière;
11.2. d’élaborer des structures bien délimitées pour établir une distinction plus claire entre les différentes formes publiques et privées d’exécution des politiques;
11.3. de mettre en place des cadres décisionnels et des critères de référence qui soient clairs et cohérents en matière de privatisation et d’«agencification», et de confier leur supervision au gouvernement et au parlement; et d’uniformiser et de clarifier davantage la façon dont les décisions adoptées en matière de privatisation et d’«agencification» doivent être mises en œuvre;
11.4. de réexaminer si les mesures de réforme, les privatisations et les «agencifications» récentes ou à venir sont conformes au concept politique de cohésion sociale, lequel est essentiel à la réalisation des trois valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe: droits de l’homme, démocratie et Etat de droit;
11.5. d’améliorer – où et quand cela s’avère nécessaire – le fonctionnement de l’administration et des services publics de manière à ce qu’ils contribuent véritablement à la réalisation des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe;
11.6. de promouvoir la ratification et la bonne mise en œuvre des instruments européens et internationaux relatifs aux droits de l’homme dans le domaine des droits économiques et sociaux, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163), le Code européen de sécurité sociale (révisé) (STE n° 139) et les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT).