1. Introduction
1. Au fil des siècles, différentes vagues de migration
ont conduit à l’installation de diasporas de migrants dans de nombreux
pays européens. Au cours des dernières décennies, ces diasporas
ont commencé à jouer un rôle plus actif dans la vie politique tant
de leur pays d’origine que de leur pays de résidence. L’essor rapide des
migrations de travail, le désir des migrants à la retraite de retourner
vivre dans leur pays d’origine et le souhait de beaucoup de migrants
de pouvoir participer plus activement à la vie politique de leur
pays d’accueil, ainsi qu’à celle de leur pays d’origine, constituent
de nouveaux défis qui touchent de nombreux secteurs.
2. L’Assemblée parlementaire a déjà travaillé sur la question
des diasporas installées en Europe, pour l’essentiel dans une perspective
culturelle et politique. Elle a adopté en 1999 la
Recommandation 1410 (1999) sur les liens entre les Européens vivant à l’étranger
et leur pays d’origine, puis en 2009 la
Résolution 1696 (2009) et la
Recommandation
1890 (2009) «Engagement des diasporas européennes: le besoin de
réponses gouvernementales et intergouvernementales». Dans ces documents,
l’Assemblée souligne la nécessité d’associer davantage les migrants
à la vie politique et de renforcer ainsi leur capacité à promouvoir
et à diffuser les valeurs démocratiques. L’Assemblée a également
appelé ses Etats membres à élaborer des politiques de migration
qui promeuvent le rôle institutionnel des diasporas.
3. Dans le présent rapport, je souhaite procéder à une analyse
plus approfondie des politiques nationales et des initiatives internationales
en faveur de la participation des diasporas à la vie politique.
1.1. Définition du terme
«diaspora»
4. La définition classique du terme «diaspora» en tant
que groupe de personnes dispersées, déracinées de leur terre natale
n’a plus lieu d’être. Dans le contexte actuel, on entend par diaspora
tout groupe de migrants intégrés dans leur société d’accueil, principalement
en Europe et aux Etats-Unis, qui ont choisi de garder des attaches
fortes avec leur culture et leur pays d’origine. Cet attachement
n’est pas purement symbolique ou culturel, il s’est développé au
fil des dernières décennies pour inclure désormais des liens économiques
et politiques étroits.
5. Dans le présent rapport, je souhaite employer la définition
du terme «diaspora» donnée par Gérard-François Dumont, qui est à
mon sens la plus complète. Il définit la diaspora comme «un ensemble
d’individus vivant sur un territoire et ayant en commun la certitude
ou le sentiment d’être originaires, eux-mêmes ou leur famille, d’un
autre territoire avec lequel ils entretiennent des relations régulières».
6. Il est important également d’établir une distinction entre
les approches culturelle et politique des diasporas. L’approche
culturelle cherche à faire progresser les droits culturels des groupes
de diasporas, indépendamment de leur participation politique. L’approche
politique met en avant leurs droits et obligations politiques. C’est
à cet aspect que je m’attacherai.
7. Pour les diasporas de migrants d’aujourd’hui, l’engagement
dans la vie de leur communauté d’origine est un choix. Dans la plupart
des cas, les immigrants peuvent obtenir la nationalité du pays de
résidence et ne sont plus fatalement liés à un groupe minoritaire.
8. Ces liens avec le pays d’origine sont facilités par le processus
de mondialisation et la circulation aisée des informations, des
biens et des services. Il est désormais bien plus simple pour les
intéressés de voyager à l’étranger et de conserver des liens avec
leurs familles. Ce phénomène de «diasporisation» des migrations ouvre
de nouvelles perspectives aux migrants et aux pays avec lesquels
ils ont des attaches.
9. Toutefois, je suis opposé aux politiques qui classent les
diasporas en deux catégories comme le fait, en Serbie, la «Loi sur
la diaspora et les Serbes de la région». Une telle approche de la
question des diasporas peut s’avérer contreproductive pour l’intégration
des Serbes vivant dans les pays voisins car elle risque d’engendrer
des tensions. Dans le cas des diasporas de seconde génération, de
telles politiques peuvent conduire à des conflits au sein des familles.
1.2. La diaspora, passerelle
entre les migrants, leur pays de résidence et leur pays d’origine
10. La diaspora ne devrait pas être réduite au pays de
résidence ou au pays d’origine. Elle pourrait plutôt être qualifiée
de troisième identité intermédiaire, qui se nourrit des échanges,
réels ou imaginaires, entre les deux pays. Bien souvent, la diaspora
invente ce «trafic», créant ainsi un média spontané capable de rapprocher
les pays sur le plan culturel, économique et politique.
11. La diaspora est en quelque sorte une passerelle culturelle,
économique et politique entre le pays de résidence et le pays d’origine.
Grâce à la littérature, à l’art, aux médias et aux sports, elle
établit une relation dynamique entre les deux mondes.
12. Le bilinguisme des membres des diasporas devrait être considéré
comme un atout dans l’économie mondialisée. Il convient de le promouvoir.
13. Les diasporas ont une longue tradition de soutien économique
des personnes restées dans les pays d’origine. Les transferts de
fonds des membres de diasporas jouent souvent un rôle majeur dans
les économies nationales de certains pays d’origine et peuvent contribuer
à leur compétitivité dans les relations commerciales internationales.
La nouveauté tient cependant au fait que l’activité accrue des diasporas
peut susciter une remise en question des relations interétatiques
existantes et contribuer ainsi au renforcement des contacts entre
pays d’origine et de résidence.
14. En tant que vecteur de réconciliation, la diaspora peut transformer
les tensions du passé en possibilités de coopération future entre
le pays de résidence et le pays d’origine. Il est avéré que ses
spécificités culturelles tendent à enrichir les sociétés modernes
plutôt qu’à entraver leurs progrès.
1.3. Le rôle des diasporas
dans les changements démocratiques
15. Les diasporas contribuent également à faire voler
en éclat les stéréotypes négatifs qui perdurent dans les pays d’origine
ou de destination. Dans les faits, la diaspora est un facteur de
réconciliation qui nous aide à surmonter les traumatismes politiques
du passé. Dans les pays du Maghreb, la diaspora a remplacé l’image de
l’Europe laissée par les puissances coloniales française ou espagnole
par celle d’une Europe moderne et démocratique qui offre aux individus
de nombreuses possibilités de réussite et de prospérité économique.
16. Les diasporas qui vivent dans des pays démocratiques aspirent
généralement à promouvoir dans leur pays d’origine toutes les valeurs
qu’elles jugent positives dans leur pays de résidence. Plus généralement,
les migrants sont dans leur grande majorité porteurs de valeurs
universelles, créant un discours pluraliste qui encourage la paix
et le dialogue entre diverses civilisations et traditions.
17. Au cours des vingt dernières années, les diasporas sont devenues
une force motrice, capable d’exporter l’expérience de la démocratie
dans leur pays d’origine. Les organisations de diasporas ont activement
œuvré à l’instauration et au renforcement de la société civile dans
beaucoup de pays d’Europe centrale et orientale. Elles ont grandement
contribué au processus de construction de la nation. A titre d’exemple,
après leur retour en Lettonie, en Lituanie et en Géorgie, les représentants
de la diaspora ont activement participé au leadership politique
dans ces pays.
18. Lorsqu’ils se rendent en visite dans leur pays d’origine,
les migrants s’attendent à bénéficier du même traitement que dans
leur pays de résidence: transparence, responsabilité, égalité entre
les femmes et les hommes, égalité des chances et justice équitable.
Leur exposition aux valeurs démocratiques fait d’eux de fervents
défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme. Leur participation
politique et sociale au sein de leur communauté d’origine les amène
par ailleurs à lutter contre la discrimination et les disparités économiques.
2. Le droit
de vote pour les membres des diasporas
19. Pour les membres des diasporas, la participation
politique reste une question essentielle. Sur un plan général, les
groupes de diasporas devraient être autorisés à participer à tout
processus électoral qui affecte leur vie quotidienne.
20. Il convient de faire la distinction entre les membres des
diasporas qui, tout en étant en situation régulière, ne détiennent
pas la citoyenneté du pays hôte, et ceux qui jouissent de la double
nationalité du pays hôte et de leur pays d’origine. Si les citoyens
peuvent à l’évidence voter dans le pays hôte, tous les migrants
en situation régulière n’ont pas ce droit.
21. Le fait d’autoriser les citoyens à l’étranger à voter dans
leur pays d’origine est important pour deux raisons. Pour commencer,
n’oublions pas que les diasporas participent activement au bien-être
des personnes restées dans le pays d’origine. La diaspora marocaine
par exemple est présente dans plus d’une centaine de pays. Elle
est très attachée à ses racines et a développé un solide relais
financier entre les pays de résidence et le Maroc (selon certaines
estimations, les transferts de fonds de la diaspora marocaine seraient
parmi les plus importants au monde)
. Deuxièmement, la possibilité
pour les citoyens de voter depuis l’étranger n’est pas qu’une simple
question d’égalité entre les résidents et non-résidents, mais également
entre tous les expatriés. En effet, les citoyens non-résidents aisés
peuvent recourir à des voies officielles et des canaux informels
pour porter leurs préoccupations sur la scène politique et influer
sur le processus décisionnel, tandis que les personnes moins fortunées
sont privées de leur seul moyen d’intervenir dans le débat politique
dans leur pays d’origine.
2.1. Le vote des diasporas
dans les pays d’origine
22. L’extension du droit de vote dans le pays d’origine
aux diasporas devrait logiquement découler de la nationalité des
personnes expatriées, mais le fait d’autoriser les votes depuis
l’étranger reste la prérogative de chaque Etat.
23. La plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe permettent
à leurs citoyens d’exercer leur droit de vote hors du territoire
de leur pays d’origine.
24. Deux problèmes se posent, s’agissant de la question du droit
de voter depuis l’étranger: le droit de vote et d’éligibilité dans
les divers types d’élections, et les modalités de vote à l’étranger
(voir l’annexe 1).
25. Le droit de voter et d’éligibilité est essentiel pour garantir
la participation démocratique des membres des diasporas. La plupart
des pays européens permettent à leurs citoyens de voter à l’étranger,
mais certains imposent des restrictions liées à la durée de leur
séjour à l’étranger ou à leur activité. Cependant, il est des pays
tels que l’Irlande, où seules les personnes remplissant des missions
officielles à caractère diplomatique ou militaire sont autorisées
à voter à l’étranger. Dans d’autres, les restrictions concernent
la durée du séjour à l’étranger; au-delà d’un certain seuil, les
citoyens perdent leur droit de vote. En Allemagne, le seuil est
de 25 ans et au Royaume-Uni de 15 ans.
26. Dans la pratique, la participation au vote à l’étranger peut
être entravée par des exigences bureaucratiques ou juridiques liées
à l’enregistrement des électeurs ou à la procédure de vote. Ainsi, l’enregistrement
des électeurs est souvent réalisé par les missions diplomatiques,
pouvant couvrir de très vastes régions de votants potentiels. Des
problèmes financiers ou logistiques peuvent empêcher des électeurs de
se rendre dans des missions diplomatiques situées dans d’autres
villes. De telles difficultés sont facilement surmontables par l’introduction
à grande échelle de l’enregistrement et du vote électronique ou
par voie postale.
27. Les Etats européens ont mis en place quatre modes principaux
d’expression des suffrages: le vote en personne, le vote par correspondance,
le vote par procuration et le vote électronique. Cependant, les
pays ont recours dans leur majorité au vote en personne (Albanie,
Bulgarie, Croatie, Chypre, Finlande, Géorgie, Hongrie, Islande,
République de Moldova, Monaco, Monténégro, Roumanie, Russie, Serbie,
«l’ex-République yougoslave de Macédoine», République tchèque, Ukraine);
en d’autres termes, les citoyens vont exprimer leur suffrage dans
des bureaux de vote généralement mis en place dans les ambassades.
Le deuxième mode le plus couramment employé est le vote par correspondance.
Il est pratiqué en Allemagne, en Autriche, en Irlande, en Italie,
au Liechtenstein, au Luxembourg, en République slovaque et en Espagne.
Le vote par procuration est pratiqué par les Pays-Bas, la Suède
et le Royaume-Uni. Seuls trois pays du Conseil de l’Europe utilisent
le vote électronique (Estonie, France et Suisse). Quelques pays
proposent deux types de vote: vote en personne et par correspondance
(Bosnie-Herzégovine, Danemark, Lettonie, Lituanie, Norvège, Portugal, Slovénie),
vote par correspondance et par procuration aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
Seuls quelques rares pays proposent plus de deux modes différents
(Belgique, Estonie, France, Pologne, Suède et Suisse). Enfin, l’Albanie,
l’Andorre, l’Arménie, la Grèce, Malte et Saint-Marin n’autorisent
toujours pas le vote depuis l’étranger. Le choix du mode d’expression
des suffrages est déterminant: il est prouvé que le vote en personne favorise
les citoyens vivant dans les capitales alors que le vote par procuration
(y compris le vote par correspondance et électronique) suscite une
certaine réticence dans la mesure où il n’offre pas aux personnes de
réelle garantie quant au respect de leur volonté. Le vote direct
(y compris le vote par correspondance et électronique) est le moyen
le plus efficace d’assurer aux citoyens non-résidents une participation
équitable.
28. Les élections auxquelles les citoyens non-résidents peuvent
participer diffèrent d’un pays à l’autre. A titre d’exemple, les
expatriés allemands ne peuvent exprimer leur suffrage qu’à l’occasion
des élections législatives, tandis que les citoyens français ont
la possibilité de voter aux élections présidentielles, aux élections
législatives et aux référendums.
29. Le Danemark, l’Irlande, Chypre et Malte n’autorisent pas leurs
citoyens à prendre part aux scrutins nationaux ou régionaux une
fois qu’ils ont quitté leur pays d’origine
.
La récente enquête Eurobaromètre sur les droits électoraux a montré
que près des deux tiers des Européens considèrent ces dispositions
législatives injustifiées
.
Pour s’attaquer au problème, la Commission européenne a publié des
recommandations à l’intention des Etats membres qui continuent de
priver leurs expatriés de leurs droits électoraux. Elle invite les Etats
membres concernés à permettre à leurs ressortissants vivant à l’étranger
de conserver leur droit de vote aux élections nationales s’ils peuvent
prouver la persistance de leur intérêt pour la vie politique de
leur pays, notamment en demandant à rester inscrits sur les listes
électorales
.
30. Les systèmes électroniques jouent un rôle croissant dans l’extension
de la démocratie et l’établissement de liens démocratiques entre
les Etats. En 2004, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
a adopté la Recommandation Rec(2004)11 relative au vote électronique,
qui définit les normes générales de ce processus afin d’écarter
tout risque de fraude, et en 2007 l’Assemblée a adopté la
Résolution 1591 (2007) sur le vote à distance, qui appelle les Etats membres
à introduire ce mode de scrutin.
31. L’introduction du vote électronique comme mode additionnel
de scrutin peut significativement faciliter la participation des
diasporas aux élections. La pratique du vote électronique à distance
par les électeurs estoniens vivant à l’étranger a permis d’enregistrer
une diminution du coût de transaction et une meilleure efficacité
du processus électoral, mais sans entraîner pour autant une augmentation
sensible de la participation aux élections. Les gouvernements des
Etats membres du Conseil de l’Europe pourraient se pencher sur le
vote électronique car il peut rendre le vote à l’étranger moins
onéreux et plus accessible.
32. Certains pays européens proposent aux membres de leur diaspora
que leurs intérêts soient représentés au sein du parlement national.
Depuis 1948, la France octroyé aux membres de sa diaspora le droit
d’élire 12 sénateurs. Et depuis 2012, la diaspora est également
représentée à l’Assemblée nationale. Dans mon pays, les membres
de la diaspora italienne ont la possibilité d’élire par correspondance
12 représentants au parlement national et six sénateurs chargés
de défendre leurs intérêts. La pratique positive de la Croatie,
de la France, de l’Italie, du Portugal et de la Roumanie devrait
être suivie par d’autres pays européens.
2.2. Le vote des diasporas
dans les pays de résidence
33. S’agissant du droit de vote des étrangers, la situation
varie grandement selon les Etats membres. Pour ce qui est des élections
législatives et présidentielles, sans exception ou presque, seuls
les ressortissants sont habilités à voter. Les choses diffèrent
au niveau local et beaucoup de pays accordent le droit de vote aux étrangers
après une certaine période de résidence, par exemple cinq ans. En
effet, cette mesure est prévue notamment par la Convention du Conseil
de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique
au niveau local (STE n° 144). Mais certains pays sont encore réticents
à accorder le droit de vote aux étrangers.
34. Au sein de l’Union européenne, tous les ressortissants de
l’Union européenne disposent du droit de vote et d’éligibilité aux
élections locales et européennes dans leur pays de résidence, au
même titre que les nationaux. Pourtant, 13 pays de l’Union européenne
n’étendent pas ce droit aux élections nationales ou régionales.
35. Les disparités demeurent importantes entre les Etats membres,
en particulier au niveau local. La France, par exemple, n’autorise
pas les étrangers non ressortissants de l’Union européenne à voter,
même à l’échelon local. Le débat sur la question du droit de vote
des étrangers perdure depuis plus de trente ans et divise toujours
autant la société française
.
En Belgique, en Allemagne, en Irlande et en Suède, les ressortissants
de pays non membres de l’Union européenne peuvent exprimer leur
suffrage lors des scrutins locaux
.
36. Par ailleurs, le droit de vote des étrangers aux élections
nationales ou locales soulève également la question des relations
bilatérales interétatiques, dans la mesure où beaucoup de pays autorisent
les ressortissants de pays non membres de l’Union européenne à voter
à la condition qu’ils soient issus d’un pays où leurs propres ressortissants
sont habilités à faire de même; le Portugal par exemple permet aux
citoyens d’Etats non membres de l’Union européenne d’exprimer leur
suffrage aux élections locales sur une base de réciprocité
.
37. La classification des migrants en fonction de leur origine
ne devrait pas intervenir dans la question du droit de vote des
étrangers. Malheureusement, je me dois de souligner qu’elle reste
souvent le seul critère de détermination de ce droit.
38. La plupart des pays du monde, y compris de l’Union européenne,
continuent de priver les étrangers du droit de vote en dépit de
leurs politiques avancées en matière d’intégration. Tant que les
migrants ne bénéficieront pas du droit de vote, au moins aux élections
locales, tout processus d’intégration demeurera incomplet.
39. L’octroi du droit de vote aux migrants dans leur pays de résidence
les protégera dans une certaine mesure contre les stéréotypes racistes
dont ils peuvent faire l’objet dans les campagnes électorales. Devenues des
groupes politiques, les diasporas de migrants susciteront l’intérêt
des partis politiques en lice et cesseront de servir de boucs émissaires
pour attirer les voix racistes et populistes.
40. La mise en œuvre du droit de vote et d’éligibilité pour les
diasporas dans les pays de résidence leur permet de prendre part
aux processus décisionnels sur des questions qui ont trait à leur
vie quotidienne et en fait des membres responsables de la société.
2.3. Les obstacles à
la participation électorale des diasporas
41. Les obstacles à la participation des diasporas sont
multiples: de nombreuses difficultés viennent entraver leur participation
à la vie politique tant de leur pays d’origine que de leur pays
de résidence.
42. Même si les pays d’origine autorisent leurs ressortissants
expatriés à exprimer leur suffrage, les dispositions juridiques
permettant le vote depuis l’étranger font souvent défaut. Les moyens
disponibles (vote en personne, par correspondance ou par procuration)
ne garantissent pas l’égalité d’accès aux urnes aux citoyens résidents
et non-résidents et entraînent de ce fait une certaine abstention
qui, à son tour, vient conforter la position des opposants à l’extension
du droit de vote depuis l’étranger. D’autre part, le nombre de scrutins
lors desquels les citoyens non-résidents sont habilités à voter
est restreint.
43. Pour les pays comptant un grand nombre d’expatriés (par exemple
l’Arménie, la Russie, la Turquie), la participation de la diaspora
aux élections nationales peut être cruciale pour le résultat du
scrutin. Ceci explique en partie la réticence de ces pays à introduire
le vote à l’étranger dans leur législation
44. Le vote de la diaspora ne peut être abordé en faisant abstraction
des aspects financiers et organisationnels du processus électoral.
Il nécessite des ressources financières et humaines considérables
et s’accompagne souvent de difficultés logistiques. De plus, pour
les pays rencontrant des problèmes d’organisation de leurs scrutins
sur leur territoire national, il sera encore plus difficile de mettre
en place un processus électoral adéquat à l’étranger, notamment
dans les pays accueillant une diaspora nombreuse
.
45. L’absence d’institutions démocratiques dans le pays d’origine
est le principal obstacle à la participation de la diaspora à la
vie politique.
46. La xénophobie est une autre raison fréquente expliquant que
les membres des diasporas préfèrent abandonner la scène politique,
qu’ils considèrent comme une source de problème plutôt que d’autonomisation sociale.
47. Les partis politiques ne proposent généralement pas de programme
spécial pour attirer les électeurs et les candidats des diasporas.
48. Il convient de prendre en considération l’ensemble de ces
problèmes afin d’améliorer la participation politique des diasporas
de migrants.
2.4. Etudes de cas sur
le vote des diasporas
2.4.1. Serbie
49. Le droit de la diaspora serbe de participer aux élections
nationales a été institué en 2004. Depuis lors, trois élections
ont eu lieu. Les membres de la diaspora peuvent voter dans les missions
diplomatiques ou en Serbie.
50. Lors des dernières élections, sur les quatre millions de
Serbes vivant à l’étranger, seuls 6 800 d’entre eux se sont inscrits
sur les listes électorales. Des raisons politiques et procédurales
peuvent expliquer ce faible taux de participation de la diaspora
aux élections. Les politiques des précédentes autorités serbes qui
étaient hostiles à la diaspora, cette dernière représentant l’opposition
politique, dissuadaient la diaspora de participer à la vie politique
de la Serbie. Les Serbes vivant dans les pays voisins ont été la
cible de tentatives d’instrumentalisation par les responsables politiques
en Serbie et ont été souvent marginalisés dans les pays où ils vivent.
51. S’agissant des raisons procédurales, on compte parmi les principaux
problèmes le nombre insuffisant de bureaux de vote, l’obligation
faite aux électeurs de s’inscrire sur les listes électorales 20 jours
avant les élections et le vote en personne dans le bureau de vote
où ils sont censés voter, ce qui, en pratique, oblige les électeurs
à se rendre deux fois dans ledit bureau, une première fois pour
s’inscrire et une seconde fois pour voter. Par conséquent, sur les
6 800 membres de la diaspora inscrits sur les listes électorales,
seuls 4 826 ont voté.
52. A mon sens, il faut que les autorités serbes procèdent à une
analyse approfondie de ces raisons politiques et procédurales qui
entravent la participation active de la diaspora serbe aux élections.
Elles souhaiteront peut‑être renforcer leur action en vue d’établir
une communication beaucoup plus intense avec la diaspora serbe,
l’associer à la préparation des élections et simplifier les procédures
électorales.
53. S’agissant de la participation politique de la diaspora en
Serbie même, je me félicite de l’intention du Parlement serbe de
réserver aux représentants des minorités des sièges au parlement.
2.4.2. Turquie
54. Le 10 août 2014, la Turquie a tenu son élection présidentielle
et, pour la première fois, la diaspora turque a été autorisée à
s’inscrire pour voter de l’étranger. En Europe, il y a environ quatre millions
de citoyens turcs dont trois millions vivent en Allemagne. Les Pays‑Bas,
la France, la Belgique et l’Autriche comptent également un grand
nombre d’immigrés turcs. Lors des précédentes élections, la diaspora
turque n’avait été autorisée à voter qu’aux postes‑frontières de
la Turquie, mais après l’adoption, en 2012, de l’amendement à la
loi sur les élections, 103 bureaux de vote ont été ouverts dans
54 pays. Etant donné qu’il y a en Turquie, plus de 52 millions de
personnes ayant le droit de vote, le vote de la diaspora compte
pour les partis politiques car il représente environ 5 % du total.
55. La principale difficulté rencontrée par la Turquie pour préparer
l’élection était une certaine réticence à coopérer à l’organisation
du processus électoral manifestée par les pays de résidence, à savoir,
en premier lieu, l’Allemagne où, compte tenu du grand nombre d’électeurs,
le processus électoral a dû se dérouler sur plusieurs jours et a
exigé d’importantes ressources financières et humaines.
56. Les résultats de l’élection présidentielle ont montré que
sur les 2,8 millions ou presque de membres de la diaspora turque
ayant le droit de vote, seuls 232 000 ont bel et bien voté. Les
problèmes procéduraux et logistiques constituent les principales
raisons de cette faible participation
.
57. Certains électeurs ont dû faire de longs trajets pour se rendre
dans les bureaux de vote. En Allemagne, pays qui, comme indiqué,
accueille près de trois millions de Turcs, il n’y avait que sept bureaux
de vote et les électeurs ont dû parfois parcourir des centaines
de kilomètres pour participer au scrutin.
58. En outre, les citoyens turcs devaient, avant la période électorale,
obtenir un rendez‑vous de l’ambassade dans leur pays de résidence
pour s’inscrire sur les listes électorales. Toutefois, certains
d’entre eux ne le savaient même pas. Le système de convocation a
été un échec; en effet, nombre de personnes sont rentrées chez elles
sans avoir été inscrites ou avoir pu voter car elles étaient en
retard et ont été refoulées.
59. La législation relative aux élections a donné au Conseil électoral
le pouvoir d’obliger les électeurs à prendre rendez‑vous mais a
prévu des dérogations en cas d’afflux trop important à gérer. De
nombreuses personnes ayant manqué leur rendez‑vous n’ont pas été
autorisées à voter. Le Conseil avait précédemment rejeté la demande
de l’AKP, le parti au pouvoir, visant à fixer des dates mais sans
convocation individuelle pour les électeurs.
60. De manière générale, l’organisation du vote de la diaspora
a été très onéreuse. Un seul suffrage exprimé à l’étranger a coûté
38 fois plus qu’une seule voix exprimée en Turquie même, compte
tenu du faible taux de participation. Un vote depuis l’étranger
coûte à l’Etat en moyenne près de $US 140 alors que le coût en Turquie s’élève
à moins de $US 4. La Turquie a consacré plus de $US 30 millions
pour faire voter la diaspora
.
61. A mon sens, bien que le vote en personne soit la méthode la
plus courante pour faire participer la diaspora, les votes par procuration
et par correspondance sont d’autres méthodes qui permettent aux
citoyens vivant à l’étranger de voter et plus de 60 pays y ont recours.
Certains pays pratiquent aussi le vote par internet. Pour faciliter
le processus électoral, la Turquie pourrait envisager d’instaurer
à l’avenir ce type de vote pour la diaspora.
3. Les politiques
nationales en faveur de la participation des diasporas à la vie
politique
3.1. Politiques et stratégies
des pouvoirs publics dans les pays d’origine
3.1.1. Double nationalité
62. Plusieurs raisons viennent expliquer l’intérêt des
pays d’origine en faveur de la définition de politiques et de stratégies
à l’égard des diasporas. Avec le développement des migrations transnationales,
il est d’autant plus important de maintenir des liens avec les communautés
de migrants, en particulier lorsqu’elles sont en mesure d’exercer
leur droit de vote.
63. L’un des moyens de préserver l’engagement des membres des
diasporas dans leur pays d’origine consiste à leur offrir la possibilité
d’avoir la double nationalité. De plus en plus de pays adoptent
cette pratique.
64. Cependant, certains pays d’origine sont très réticents à cet
égard, notamment parce qu’ils redoutent la forte influence que pourraient
avoir les votes depuis l’étranger sur le résultat des élections.
65. L’introduction de la double nationalité au Maroc, par exemple,
permet aux migrants d’influer sur la transformation sociale, culturelle
et politique de la société marocaine. Dans les années 1970 et 1980,
les migrants ont commencé à adhérer aux valeurs européennes de justice,
de transparence et de liberté au point de se les approprier et de
mettre en avant ces valeurs universelles pour développer les régions
isolées et rurales du Maroc délaissées par l’Etat. La diaspora marocaine
agit par ailleurs comme un groupe de pression, invitant la société
et l’Etat à moderniser les pratiques institutionnelles et culturelles,
à réformer les lois du pays, notamment en matière d’égalité entre
les femmes et les hommes, à réduire l’écart économique entre les
villes et les campagnes et à promouvoir l’éducation des femmes et
des personnes défavorisées.
66. En Serbie, la double nationalité est une pratique très positive,
notamment pour les Serbes de la région. Leurs enfants peuvent aller
à l’université en Serbie et voyager dans le monde entier avec un
passeport serbe. Les minorités nationales en Serbie ont également
la possibilité d’avoir la double nationalité, ce qui leur permet de
garder de meilleurs contacts avec leur pays d’origine.
67. Un autre moyen d’impliquer les diasporas consiste à légaliser
leur statut. Compte tenu du nombre important de migrants (près de
six millions), la Turquie a introduit une carte d’identité spéciale,
la «carte bleue», pour les membres de sa diaspora installés dans
les pays n’acceptant pas la double nationalité ou ayant renoncé
à la nationalité turque. Elle tient lieu à la fois de permis de
résidence et de travail en Turquie et permet à ses détenteurs d’acquérir
un bien.
68. Cela dit, je voudrais mettre en garde contre la manipulation
par certains Etats du statut de double nationalité pour servir leurs
propres intérêts politiques. La double nationalité ne doit pas être
utilisée pour promouvoir des politiques expansionnistes et violer
la souveraineté des Etats.
3.1.2. Institutions gouvernementales
69. Pour répondre aux besoins des diasporas, certains
pays d’origine adoptent également des politiques publiques et créent
des institutions spécialement chargées des relations avec les diasporas
(Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Fédération
de Russie et Turquie). Ces politiques ont pour but de favoriser
la participation de la diaspora à l’étranger et de maintenir des
contacts réguliers avec elle.
70. Pour la mise en œuvre de ces politiques, certains pays mettent
en place des institutions gouvernementales spéciales et vont parfois
jusqu’à nommer des ministres (Arménie, Géorgie, Serbie et Turquie)
ou des secrétaires d’Etat (France et Portugal) responsables des
politiques relatives aux diasporas. Des commissions intergouvernementales
et parlementaires sont également en place pour coordonner les actions
en faveur de la participation des diasporas aux niveaux exécutif
et législatif.
71. L’Arménie dispose de l’une des diasporas les plus importantes
(7,5 millions de personnes alors que l’Arménie compte seulement
de 2,5 millions d’habitants). La diaspora arménienne est disséminée
dans plus d’une centaine de pays et bénéficie d’une politique gouvernementale
modèle bien établie. Coordonnée par le ministère de la Diaspora,
cette politique comprend divers mécanismes destinés à renforcer
la collaboration avec la diaspora. Il s’agit notamment du Fonds
panarménien «Haïastan», dirigé par le Président de la République
d’Arménie, qui coordonne l’assistance financière de la diaspora
à l’Arménie. Tous les trois ans, le ministère organise les Conférences
Arménie-diaspora pour discuter de sujets d’intérêt nationaux, ainsi
que des festivals culturels et des jeux sportifs panarméniens.
72. La représentation diplomatique à l’étranger joue également
un rôle important dans le maintien des relations avec les représentants
de la diaspora. Certains pays européens ont créé un poste de conseiller
de la diaspora au sein de leurs ambassades et services consulaires.
Ces conseillers sont chargés d’apporter une assistance juridique
et de faciliter la création d’entreprises et l’établissement de
contacts culturels avec leur pays. Ces dernières années, compte
tenu de l’augmentation des mouvements migratoires, de nombreux migrants
ont sollicité leurs représentants diplomatiques pour leur poser
diverses questions relatives à leur statut ou à des procédures administratives
et obtenir une protection sociale. Cependant, les ambassades et consulats
ne disposent pas toujours du personnel qualifié pour répondre à
ces demandes. Les pays d’origine devraient par conséquent étoffer
leurs représentations diplomatiques et les doter d’un personnel
formé, capable d’apporter leur aide aux membres des diasporas.
73. Les pays d’origine devraient porter une attention particulière
aux politiques en faveur de la participation des diasporas. En l’absence
de programmes et de politiques de ce type dans le pays d’origine,
les migrants des deuxième et troisième générations risquent de se
sentir exclus comme l’étaient leurs parents et leurs grands-parents
en Europe dans les années 1960 et 1970. Les difficultés qu’ils rencontrent
pour s’engager peuvent les empêcher de servir leur pays d’origine
même si leurs qualifications et leur expérience professionnelle
y sont recherchées.
3.1.3. Participation des
diasporas
74. Aucune politique de soutien des diasporas ne sera
couronnée de succès sans sa participation directe à son processus
d’élaboration. Des représentants de la diaspora peuvent être associés
à titre individuel, en qualité de spécialistes. Mais cette participation
peut également prendre la forme de conseils des diasporas. Plusieurs
pays européens ont créé des organes consultatifs de ce type où siègent
les élus de différentes diasporas.
75. Les pays d’origine ont également intérêt à développer des
actions de lobbying de la diaspora à l’étranger afin de soutenir
leur ordre du jour politique. C’est pourquoi ils soutiennent les
organisations de la diaspora, encouragent le droit de vote de la
diaspora dans le pays d’accueil et organisent des forums des diasporas.
76. En 2011, le Parlement maltais a adopté une loi portant création
du Conseil des Maltais à l’étranger. Les recommandations formulées
par ce conseil sont mises en œuvre par l’organe exécutif
.
L’Estonie a aussi mis en place un Conseil des expatriés. Le Maroc
est également un exemple intéressant à cet égard. En 1990, sous l’égide
du roi Hassan II, la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant
à l’étranger a été créée afin de promouvoir la coopération économique
et culturelle avec la diaspora et d’aider ses membres. Conjointement avec
l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), la Fondation
a mis en place l’Observatoire de la communauté marocaine résidant
à l’étranger (OCMRE), qui sert de système d’information pour le gouvernement
sur toutes les questions de gestion des migrations.
77. La «Loi sur la diaspora et les Serbes de la région», adoptée
en Serbie en 2009, instaure une Assemblée de la diaspora qui comprend
45 membres délégués par les différentes diasporas. Cette Assemblée
est la plus haute instance de la diaspora et a pour tâche principale
de recenser les problèmes de la diaspora et d’élaborer des stratégies
pour les régler. En outre, elle instaure des conseils de diaspora,
à savoir le Conseil économique, le Conseil du statut et le Conseil
pour la culture, l’éducation, la science et les sports, et nomme
des représentants en leur sein.
78. L’organisation de forums et de conventions est un autre moyen
de toucher les diasporas. L’Arménie, Malte, l’Ukraine et la Fédération
de Russie proposent régulièrement ce type de manifestations. En
2013, l’Irlande a accueilli la première édition européenne du Global
Diaspora Forum à Dún Laoghaire (Dublin).
79. Les membres des diasporas peuvent également exercer leur influence
politique en apportant un soutien financier à certaines forces politiques.
Ce fut notamment le cas en 1990 en Croatie, lorsque la diaspora
croate a fait don de $US 4 millions afin de soutenir la campagne
électorale de Franjo Tudjman. Elle a en retour obtenu 12 des 120
sièges du Parlement croate
. Les mesures de ce type peuvent, à mon
avis, s’avérer extrêmement problématiques et il convient de les
proscrire dans une société démocratique où l’argent ne devrait pas influencer
les suffrages exprimés par le peuple.
80. Certains pays européens ont mis en avant dans leurs politiques
leur intérêt à voir revenir les membres hautement qualifiés des
diasporas. La Fédération de Russie, par exemple, a adopté un Programme
national visant à faciliter la réinstallation volontaire en Russie
de compatriotes vivant à l’étranger. Ce programme a pour double
objectif d’attirer des professionnels qualifiés et d’améliorer la
situation démographique du pays
.
81. Depuis 2011, de nombreux progrès ont été accomplis par le
ministère serbe de l’Education s’agissant d’élaborer et de mettre
en œuvre un programme spécial pour l’apprentissage, au niveau de
l’enseignement primaire, de la langue serbe dans les pays étrangers.
Depuis lors, 3 685 élèves ont participé à ce programme dans le monde
entier. Il existe également un programme destiné aux étudiants de
la diaspora qui souhaitent s’inscrire dans une université serbe:
2 % des places disponibles dans l’ensemble des universités sont réservées
gratuitement aux étudiants de la diaspora. Un système distinct de
bourses d’études a été institué par «La Serbie pour les Serbes de
la région» en faveur des jeunes appartenant aux communautés de souche serbe
dans les pays de la région. Au total, 40 bourses ont été attribuées
pour l’année universitaire 2012/2013.
82. Pour que les politiques publiques relatives à la participation
des diasporas à la vie politique des pays d’origine soient efficaces,
il faut à l’évidence que des organes exécutifs soient chargés de
leur application et que des ressources financières soient mises
à disposition. Les diasporas devraient être invitées à participer activement
au processus d’élaboration des politiques afin de garantir la prise
en compte de leurs préoccupations au niveau national. Leurs capacités
intellectuelles et financières pourraient s’avérer bénéfiques pour
la mise en œuvre de certains programmes gouvernementaux. Les pays
d’origine pourraient également promouvoir la participation des membres
des diasporas en leur octroyant la double nationalité ou un statut
juridique spécial et en facilitant leur liberté de circulation et
l’exercice d’une activité économique.
3.2. Action des pays
de résidence
83. En règle générale, les pays de résidence n’élaborent
pas de politiques spécifiques à l’égard des diasporas. Ils ont davantage
tendance à considérer les membres des diasporas comme des migrants
et à les inclure dans les politiques d’insertion sociale ou d’intégration
des migrants.
84. Cependant, les pays dont les politiques d’intégration des
migrants ont donné de bons résultats prennent conscience du fait
que la participation des diasporas peut s’avérer bénéfique tant
pour les pays d’origine que pour les pays de résidence. Certains,
comme le Luxembourg, la Suisse, le Portugal et l’Italie, considèrent
les diasporas comme des partenaires, contribuant à promouvoir la
coopération avec les pays d’origine.
85. Mon pays, l’Italie, a même créé un bureau du ministre de l’Intégration
qui travaille directement avec différentes associations de diasporas.
L’Italie les considère comme des partenaires du processus d’intégration des
migrants. Par ailleurs, la Turquie fait référence à l’intégration
en tant que participation active de la diaspora à la vie universitaire,
sociale, culturelle, économique et financière du pays de résidence
.
86. Les diasporas peuvent également contribuer dans les pays de
résidence à la promotion de projets de développement de leur pays
d’origine respectif. La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la
Suisse par exemple associent les diasporas à des structures économiques
chargées de projets de développement.
87. Certains pays d’origine nouent un partenariat avec les pays
de résidence afin de promouvoir la mobilité des travailleurs et
d’encourager le retour des personnes qualifiées (Portugal/Ukraine,
Autriche/Bosnie-Herzégovine). Les agences pour le développement
des pays de résidence travaillent en étroite collaboration avec
les associations de diasporas dans le cadre de différents projets
menés dans les pays d’origine. L’Agence suisse pour le développement
et la coopération a lancé plusieurs projets avec différents pays
afin de tirer profit de la contribution potentielle des diasporas
au développement des pays d’origine
. Les agences pour le développement du Danemark,
de la Suède, de la Finlande et de la Norvège soutiennent les activités
des diasporas dans des régions ou secteurs professionnels spécifiques
.
88. Selon moi, les pays de résidence ont tout à gagner de la participation
des diasporas à leurs politiques d’intégration des migrants et de
leurs contacts avec leurs pays d’origine.
3.3. Activités des organisations
de diasporas
89. Les représentants des diasporas s’organisent de diverses
manières, notamment sous forme de communautés religieuses, d’écoles,
d’associations de migrants, d’œuvres de bienfaisance, de clubs culturels, mais
aussi de sections de partis politiques, d’organisations non gouvernementales
(ONG), de réseaux virtuels et de groupes d’investissement.
90. Très souvent, les organisations de migrants qui ont fui leur
pays en raison du régime politique en place restent hostiles à l’égard
du gouvernement de leur pays d’origine, même après que des changements
soient intervenus
.
91. Le rôle des organisations de diasporas prend une importance
grandissante dans la vie politique de certains pays d’origine et
de résidence. Elles agissent en faveur du développement économique
et démocratique de leur pays d’origine, contribuent à protéger les
droits des diasporas en tant que groupes minoritaires dans les pays
de résidence et à exprimer leur identité culturelle. Ces organisations
participent également au développement des relations bilatérales
entre les pays d’origine et de destination. Lorsque le climat hostile
perdure dans leur pays d’origine, les organisations de diasporas
servent de caisse de résonance internationale afin de faire entendre
leurs préoccupations en matière de droits de l’homme et de libertés politiques.
92. Concernant la participation des organisations de diasporas
à la vie politique de leurs pays d’origine et de résidence, l’essentiel
de leurs actions de lobbying portent sur les questions relatives
à la nationalité, au statut des migrants et au droit de vote. Elles
expriment également leurs préoccupations concernant divers problèmes
liés aux droits de l’homme, à la bonne gouvernance et aux choix
démocratiques
.
93. Les organisations de diasporas agissent par ailleurs en tant
que partisans et instigateurs de mouvements de protestation dans
leur pays d’origine, où ils sont souvent peu appréciés. En décembre
2013, des organisations de la diaspora ukrainienne du monde entier
ont soutenu les manifestations pacifiques en Ukraine en faveur d’un
partenariat avec l’Union européenne et des valeurs démocratiques.
94. Cette année, lors des inondations de mai 2014 en Serbie, la
diaspora serbe a répondu avec diligence à l’appel du Gouvernement
serbe à contribuer à trouver de l’aide pour reconstruire les régions
touchées. Les représentants de la diaspora serbe du monde entier
ont envoyé de l’argent, des produits alimentaires, des vêtements,
des chaussures et des médicaments dans les zones serbes touchées.
Selon le ministère des Finances, près de € 700 000 ont été collectés
grâce à des comptes PayPal et les dons se sont élevés à plus de
€ 27 millions.
95. L’essor des nouvelles technologies de communication offre
de nouvelles possibilités de mise en relation entre les diverses
organisations de diasporas. Ces dernières recourent activement à
la communication électronique pour promouvoir leurs opinions politiques
et diffuser des informations sur leurs activités.
96. Dans certaines diasporas, la coopération entre les «anciennes»
organisations de diasporas et celles regroupant les migrants nouvellement
arrivés est encore peu développée. Or cette coopération pourrait,
selon moi, être mutuellement bénéfique. Les groupes de diasporas
bien établies pourraient faciliter l’intégration des migrants dans
la société d’accueil, tandis que les nouveaux migrants ou les réfugiés
feraient profiter ces groupes de leurs connaissances des développements
politiques et culturels dans leur pays d’origine.
97. En résumé, je dirais que les organisations de diasporas sont
extrêmement diversifiées et peuvent jouer des rôles multiples. Avec
l’aide des nouvelles technologies, elles deviennent de plus en plus
influentes sur le plan politique, tant dans leurs pays d’origine
que dans les sociétés d’accueil.
3.4. Rôle des autorités
locales dans la participation des diasporas
98. Les autorités locales portent la responsabilité première
de la participation à la vie politique locale des représentants
des diasporas qui ne sont pas citoyens du pays hôte.
99. En 1992, le Conseil de l’Europe a adopté la Convention sur
la participation des étrangers à la vie publique au niveau local,
évoquée précédemment. Cette convention suggère non seulement d’octroyer
le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales aux étrangers
ayant résidé légalement et habituellement dans l’Etat en question
pendant les cinq ans précédant les élections, mais propose également
une série d’autres mesures, dont la mise en place d’organismes consultatifs
auxquels les autorités locales peuvent recourir pour encourager
la participation des étrangers à la gouvernance et à la prise de
décisions au plan local.
100. A ce jour, seuls huit pays ont ratifié cette convention. Je
voudrais appeler l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe
qui ne l’ont pas encore fait à signer et ratifier cet instrument.
101. L’intégration des membres des diasporas de migrants dans les
pays d’accueil est impossible sans leur participation démocratique
aux élections, du moins au niveau local. Malheureusement, peu d’Etats
européens accordent une priorité à cette question. A mon avis, l’exercice
du droit de vote au niveau local est une condition préalable essentielle
de la participation des diasporas de migrants à la vie politique
du pays d’accueil.
102. Il est également important, à mon avis, que les autorités
locales des régions où se sont installées des diasporas élaborent
des stratégies et proposent des formes de coopération, afin d’établir
le dialogue avec ces dernières, et ce dans leur intérêt mutuel.
4. Les initiatives
internationales concernant les diasporas de migrants
103. Plusieurs initiatives internationales ont été mises
en place par des organisations internationales telles que l’OIM,
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
et l’Union européenne, dans le but de formuler des recommandations
sur la participation des diasporas à la vie politique et économique.
104. Dans le cadre du Dialogue international sur la migration,
l’OIM a organisé en juin 2013 une Conférence ministérielle sur la
diaspora, qui a rassemblé près de 500 participants dont plus de
55 ministres. Face à l’intérêt grandissant des gouvernements pour
les questions ayant trait aux diasporas, cette conférence a dressé
un état des lieux des programmes, politiques et initiatives publics
en la matière et recensé et diffusé les bonnes pratiques les plus
innovantes concernant les diasporas. L’OIM a également mis en œuvre
plusieurs programmes de vote depuis l’étranger dans différents pays,
notamment en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo*
.
105. A la suite d’une l’initiative conjointe entre l’OCDE et l’Agence
française de développement, une étude statistique sur les diasporas
a été publiée en 2012
. Elle contient des informations
de 140 pays sur les effectifs des populations immigrées et des diasporas
et peut servir aux responsables politiques dans le cadre de l’élaboration
de politiques relatives à la participation des diasporas au développement.
106. Le Parlement européen s’intéresse lui aussi aux politiques
relatives aux diasporas. Il a organisé en septembre 2012 un séminaire
intitulé «La Diaspora comme thème politique de l’UE». En conclusion
de ce séminaire, il a été préconisé de mobiliser d’autres institutions
de l’Union européenne, et notamment la Commission européenne, autour
de ce thème.
107. Au niveau de la Commission européenne, les questions relatives
aux diasporas sont prises en compte dans les dialogues sur les migrations
et le développement menés avec des pays partenaires dans le contexte du
processus de Prague, du Partenariat UE-Afrique pour la migration,
la mobilité et l’emploi, du Dialogue UE-ACP (Afrique, Caraïbes,
Pacifique) et du Dialogue UE-LAC (pays d’Amérique latine) sur les
migrations.
108. Je suis cependant d’avis qu’il manque une dimension parlementaire
à ces initiatives. Les parlementaires ont un rôle important à jouer
dans l’élaboration de politiques relatives aux diasporas dans leurs
pays. L’Assemblée parlementaire pourrait servir de plateforme pour
intensifier le dialogue entre les parlementaires intéressés par
ces questions et initier la création d’un réseau parlementaire consacré
aux politiques relatives aux diasporas. Je suis convaincu qu’il
ajouterait une valeur supplémentaire au Dialogue interministériel
sur les diasporas lancé par l’OIM en juin 2013. Ce réseau pourrait
être développé en étroite collaboration avec l’OIM et l’Union européenne,
profitant de leur expertise et de leurs ressources pour développer
une large consultation et un partage d’expérience entre les parlementaires,
les experts et les diasporas.
109. Les droits culturels et politiques des diasporas doivent être
reconnus et protégés par les organisations internationales telles
que les Nations Unies, l’UNESCO et l’OIM.
5. Conclusions
et recommandations
110. Les diasporas jouent aujourd’hui un rôle de plus
en plus important dans la vie politique. Leur contribution au développement
de leurs pays d’origine et leur participation active à la promotion
d’une société interculturelle dans les pays d’accueil supposent
la mise en place de stratégies nationales adéquates et d’un dialogue international.
111. Les nombreuses réalisations des diasporas sont à considérer
comme des exemples réussis d’une double intégration. Ces exemples
encouragent les pays d’origine et d’accueil à considérer les migrations
non comme un problème, mais comme un trait d’union offrant d’immenses
perspectives de dialogue entre pays et cultures.
112. Les membres de la diaspora ont besoin de s’organiser sous
forme d’une communauté distincte, avec ses propres problèmes et
demandes, s’ils veulent faire pression sur les partis politiques
dans leurs pays d’origine et de résidence.
113. Les membres de la diaspora ne doivent pas seulement rechercher
le droit de vote mais aussi l’occasion de présenter leurs propres
candidats aux élections locales, régionales et législatives.
114. Les demandes politiques des diasporas sont bien accueillies
dans les pays d’origine car elles émanent de ressortissants et ne
sont pas considérées comme des ingérences extérieures. Les gouvernements
des Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent coopérer avec les
associations de diasporas en tant que partenaires pour la démocratie
et les droits de l’homme.
115. La plupart des constitutions du monde ont été rédigées dans
un contexte de citoyenneté native, de loyauté et de souveraineté,
mais il convient d’y apporter des amendements afin de prendre en
compte le nombre grandissant de citoyens vivant par-delà les frontières
et leur impact sur la promotion des diverses valeurs sociales, culturelles
et politiques qui sont l’apanage du monde contemporain.
116. Les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer pour associer
les diasporas aux processus décisionnels, développer une collaboration
entre les institutions gouvernementales et formuler des recommandations
en vue de mettre sur pied des programmes visant les diasporas dans
une perspective de développement économique, social et culturel.
117. Les medias ont un rôle essentiel à jouer dans la promotion
de la diversité politique et culturelle au sein des nations et entre
elles. Pour combattre les stéréotypes des migrants en tant que victimes
ou délinquants, les chaînes de télévision, la presse écrite, le
cinéma et les médias électroniques devraient leur donner des occasions
sérieuses de se présenter comme des exemples de réussite au niveau
international et de faire valoir leur potentiel économique et intellectuel,
profitable tant au pays de résidence qu’au pays d’origine.
118. En complément des médias, les écoles restent parmi les principales
institutions de promotion du pluralisme et de la diversité auprès
des jeunes. Les élèves du primaire, du secondaire et au-delà doivent
être informés des réalisations scientifiques, littéraires et politiques
des diasporas tout au long de l’histoire.