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Rapport | Doc. 13650 | 12 décembre 2014

Egalité et insertion des personnes handicapées

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Carmen QUINTANILLA, Espagne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13256, Renvoi 3986 du 30 septembre 2013. 2015 - Première partie de session

Résumé

Plus de 80 millions de personnes handicapées vivent en Europe et ce chiffre devrait encore s’accroître dans les années à venir du fait du vieillissement de la population. De nombreux instruments juridiques internationaux et programmes d’action ont été élaborés. Pourtant, l’écart reste grand entre les standards internationaux et la réalité quotidienne vécue par les personnes handicapées.

Les personnes handicapées sont souvent invisibles au reste de la société et elles sont confrontées à des formes multiples de discrimination. L’accessibilité est une condition essentielle à la jouissance par les personnes handicapées de leur droit à une vie autonome et une pleine participation à la vie publique. L’accès à l’emploi est restreint malgré les mesures adoptées au niveau national. De plus, l’effet conjugué d’un faible taux d’emploi et de mesures d’austérité rend les personnes handicapées particulièrement vulnérables en temps de crise économique. La capacité juridique est également une question centrale parce qu’elle détermine la jouissance des droits fondamentaux. Pourtant, les mécanismes substitutifs à la décision subsistent dans la grande majorité des Etats membres. Enfin, les violences à l’égard des personnes handicapées, et notamment des femmes et des enfants, sont une préoccupation majeure. Or ce phénomène est souvent tabou et négligé par les autorités nationales.

Les Etats membres devraient développer des politiques en faveur des personnes handicapées en les impliquant étroitement dans le processus. Ils devraient également mettre fin à la culture de l’institutionalisation et commencer à introduire des mécanismes d’accompagnement à la décision. La question du handicap devrait être intégrée dans les politiques nationales de lutte contre les violences. De même, des mesures devraient être prises pour favoriser l’accès à l’emploi. Enfin, le Comité des Ministres devrait évaluer le Plan d’action du Conseil de l’Europe 2006-2015 et définir sur cette base une nouvelle feuille de route.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 3 décembre
2014.

(open)
1. Plus de 80 millions de personnes handicapées vivent en Europe. Chaque être humain est susceptible de se trouver au cours de sa vie, de façon temporaire ou permanente, en situation de handicap. Pourtant, l’égalité et l’insertion des personnes handicapées sont rarement perçues comme des priorités. Les personnes handicapées vivent souvent à l’écart de la société et deviennent invisibles au reste de la population. Outre les multiples obstacles auxquels les personnes handicapées sont confrontées, elles sont également particulièrement touchées par les mesures d’austérité mises en œuvre par les Etats membres.
2. L’Assemblée parlementaire réaffirme que ce sont les diverses barrières rencontrées par les personnes présentant des incapacités qui créent la situation de handicap. Des mesures doivent être prises pour garantir les droits des personnes handicapées à l’égalité et à la pleine participation à la vie en société, tels qu’inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5), la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163) et la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées.
3. A cette fin, le Plan d’action du Conseil de l’Europe «pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société: améliorer la qualité de vie des personnes handicapées en Europe 2006-2015» doit servir de cadre de référence aux Etats membres. L’Assemblée considère que certains domaines doivent faire l’objet d’une attention particulière pour progresser de manière décisive vers l’égalité des droits et l’insertion des personnes handicapées.
4. Par conséquent, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
4.1. à ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif, et à prendre les mesures nécessaires à leur mise en œuvre;
4.2. à ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Charte sociale européenne (révisée) et à accepter dans son intégralité l’article 15 relatif aux droits des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté;
4.3. à consulter étroitement et associer activement les organisations représentatives de personnes handicapées à la conception des politiques et des mesures destinées aux personnes handicapées;
4.4. à prévoir des mécanismes d’évaluation des politiques et des mesures nationales en faveur des personnes handicapées, notamment en établissant des mécanismes de suivi indépendants, et leur assurer un financement suffisant;
4.5. à allouer les budgets adéquats aux politiques et aux mesures destinées à favoriser la pleine participation des personnes handicapées à la société, et notamment l’accessibilité des lieux et des services;
4.6. à soutenir financièrement les personnes handicapées et leur famille pour leur permettre d’accéder aux services et soins dont elles ont besoin, prenant ainsi en compte le commentaire général no 2 du Comité des droits des personnes handicapées sur l’article 9 de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées.
5. S’agissant de la capacité juridique, l’Assemblée réitère sa Résolution 1642 (2009) sur l’accès aux droits des personnes handicapées et leur pleine et active participation dans la société, et appelle les Etats membres à engager le remplacement des mécanismes substitutifs de décision par des mécanismes d’accompagnement à la décision, conformément à leurs engagements internationaux.
6. L’Assemblée demande aux Etats membres de rompre avec la culture de l’institutionnalisation, notamment en mettant fin à la construction et au financement public de grands établissements pour personnes handicapées, et d’engager la réflexion sur les alternatives au placement en institutions en tenant compte des choix des personnes handicapées.
7. L’Assemblée s’inquiète de l’importance du phénomène des violences à l’égard des personnes handicapées, et en particulier des femmes et des enfants, et recommande aux parlements nationaux de veiller à ce que la situation de handicap soit pleinement prise en compte dans leur suivi de la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210). En outre, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe:
7.1. à ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201) et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique;
7.2. à prendre en compte la situation spécifique des femmes et des filles handicapées dans leurs politiques de lutte contre la violence à l’égard des femmes.
8. S’agissant de l’accès à l’emploi, l’Assemblée encourage les Etats membres à développer des politiques en faveur de l’emploi des personnes handicapées, et en particulier:
8.1. à mettre en place des mesures incitatives ainsi que de sensibilisation et d’accompagnement des employeurs afin de faciliter l’accès et le maintien à l’emploi;
8.2. à protéger les personnes handicapées contre les discriminations lors de l’embauche et tout au long du parcours professionnel et à prévoir expressément dans leur législation l’obligation d’accessibilité du lieu et/ou des conditions de travail, ainsi que d’aménagement raisonnable.
9. Enfin, l’Assemblée invite les Etats membres à mener et/ou à encourager des campagnes de sensibilisation auprès de l’opinion publique, du personnel enseignant et des employeurs afin de dépasser les stéréotypes et les préjugés sur le handicap.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 3 décembre
2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution … (2015) «Egalité et insertion des personnes handicapées».
2. L’Assemblée salue la contribution du Plan d’action du Conseil de l’Europe «pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société: améliorer la qualité de vie des personnes handicapées en Europe 2006-2015» au développement de politiques nationales prenant en compte les droits des personnes handicapées. Le Plan d’action a également contribué à changer la perception du handicap en une question relevant des droits humains.
3. L’Assemblée note toutefois que la pleine jouissance des droits des personnes handicapées est loin d’être réalisée dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Un écart important persiste entre les principes contenus dans les instruments internationaux et la réalité vécue au quotidien par les personnes handicapées. Une action résolue du Conseil de l’Europe et des Etats membres dans le domaine du handicap demeure ainsi nécessaire.
4. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
4.1. d’évaluer la mise en œuvre du Plan d’action pour les personnes handicapées 2006-2015 afin de tirer des leçons des dix années de la mise en œuvre du Plan dans les Etats membres;
4.2. de définir sur cette base une nouvelle feuille de route pour la période 2016-2020 en étroite consultation avec les organisations représentatives de personnes handicapées;
4.3. de concentrer cette nouvelle feuille de route sur des questions prioritaires, telles que la capacité juridique des personnes handicapées et les mesures visant à garantir leur dignité et leur pleine insertion à la société;
4.4. d’inviter la Banque de développement du Conseil de l’Europe à insister sur le respect des exigences d’accessibilité lorsqu’elle accorde des prêts de construction et de réhabilitation et à ne pas financer la construction de grands établissements destinés au placement de personnes handicapées;
4.5. de veiller à ce que le handicap soit pris en compte dans les diverses activités sectorielles menées par le Conseil de l’Europe, et en particulier les activités et les campagnes du Conseil de l’Europe contre la violence et le discours de haine.

C. Exposé des motifs par Mme Quintanilla Barba, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le handicap est susceptible de toucher chacun d’entre nous. Le Secrétaire Général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, a justement souligné que le handicap fait partie de la condition humaine et que presque tout le monde sera à un moment de sa vie en situation d’incapacité temporaire ou permanente. Les personnes handicapées représentent aujourd’hui 10 % à 15 % de la population en Europe. Avec le vieillissement de la population européenne, le nombre de personnes en situation de handicap devrait s’accroître de façon substantielle dans les années à venir.
2. Les personnes handicapées sont confrontées à une multitude de problèmes dans leur vie quotidienne ainsi qu’à de multiples formes de discrimination qui ont une incidence sur leur accès aux droits fondamentaux, aux services de première nécessité ainsi qu’à leur pleine jouissance de la vie en société. Leur situation a fait l’objet d’une attention particulière au cours de la dernière décennie, dont le point d’orgue a été l’adoption puis l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Cette convention marque un changement de paradigme en appréhendant le handicap sous l’angle du respect des droits humains et de l’inclusion et non plus sous l’angle quasi-exclusif de la santé et de la sécurité sociale.
3. Toutefois, même si, ces dernières années, un certain nombre d’Etats ont mis en place des politiques spécifiques, la situation des personnes handicapées est loin d’être perçue comme une priorité par les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe. Il faut également constater que les restrictions budgétaires résultant de la crise économique qui touche les Etats européens affectent les programmes sociaux et les investissements destinés à faciliter la participation des personnes handicapées à la vie en société.
4. Ainsi, le sentiment d’inachevé reste fort. Les droits des personnes handicapées restent trop souvent invisibles au reste de la société. Je voudrais dans ce rapport mettre en lumière trois questions qui illustrent de manière patente cette invisibilité: l’accès à l’emploi, la capacité juridique et la violence à l’égard des personnes handicapées. Ce rapport ne prétend pas à l’exhaustivité mais à faire prendre conscience, à travers des cas concrets, de l’urgence à garantir aux personnes handicapées leurs droits les plus fondamentaux.
5. La référence générale dans le présent rapport aux «personnes handicapées» s’explique par l’accent mis sur les droits des personnes et les obstacles rencontrés à l’exercice de ces droits. Il importe également de rappeler que les personnes handicapées ne constituent pas un groupe homogène. Il existe différents types (physiques, intellectuels, sensoriels, psycho-sociaux) et degrés de handicap. Nier l’hétérogénéité des handicaps peut être source de discrimination lorsque des mesures identiques sont appliquées à des personnes se trouvant dans des situations différentes.

2. Etat des lieux

6. Le cadre juridique au niveau international s’est considérablement étoffé ces dernières années avec l’adoption de multiples instruments et programmes d’action en faveur des droits des personnes handicapées. Pourtant, leur mise en œuvre par les Etats reste globalement insuffisante.

2.1. Le cadre juridique international relatif aux droits des personnes handicapées

2.1.1. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées

7. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées peut certainement être qualifiée de traité historique. Elle est le premier traité global relatif aux droits des personnes handicapées. Entrée en vigueur en 2008, la convention est le résultat d’un long processus engagé dans les années 70 et de la forte mobilisation des associations de défense des droits des personnes handicapées 
			(3) 
			Voir:
G. Quinn, «A short guide to the United Nations Convention on the
Rights of Persons with Disabilities», European Yearbook
of Disability Law, n° 1, 2009, p. 89-114.. Avec 151 Etats Parties au 25 novembre 2014, elle est l’un des traités des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme les plus ratifiés.
8. La convention ne crée pas de droits nouveaux ou de droits spécifiques aux personnes handicapées, mais adapte les droits fondamentaux existants à la situation des personnes handicapées afin d’en assurer la pleine jouissance. Elle contient une définition du handicap qui marque un changement fondamental d’approche en mettant l’accent non plus sur les incapacités des personnes mais sur le fait que ce sont les barrières rencontrées par ces personnes qui créent la situation de handicap. La convention traduit également en termes juridiques le slogan du mouvement pour les droits des personnes handicapées «Rien sur nous sans nous» en faisant obligation aux Etats Parties de consulter de manière étroite et active les organisations représentatives des personnes handicapées lors de l’élaboration et la mise en œuvre des lois et politiques adoptées aux fins de l’application de la convention.
9. La convention met en place un comité, composé de 18 experts indépendants, qui est chargé du suivi de la mise en œuvre de la convention. Pour les Etats qui ont ratifié le Protocole facultatif à la convention, le comité peut également recevoir et examiner des pétitions individuelles ou collectives.
10. La Convention des Nations Unies constitue aujourd’hui l’instrument de référence dans le domaine du handicap, à la lumière duquel les mesures prises au niveau international et national sont évaluées. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait devraient ratifier cette convention 
			(4) 
			Au 25 novembre 2014,
six Etats membres n’avaient pas encore ratifié la convention: la
Finlande, l’Islande, l’Irlande, le Liechtenstein, Monaco et les
Pays-Bas..

2.1.2. Les instruments et les initiatives du Conseil de l’Europe

11. Le Conseil de l’Europe s’est montré très actif dans la défense et la protection des droits des personnes handicapées, à travers différents instruments, parmi lesquels il convient de citer la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et son Protocole n° 12 (STE n° 177) qui font du handicap un des motifs de discrimination interdits, et la Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163) dont l’article 15 affirme le droit des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté.
12. Le Plan d’action du Conseil de l’Europe «pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société: améliorer la qualité de vie des personnes handicapées en Europe 2006-2015» a été adopté par le Comité des Ministres en avril 2006. Il contient un ensemble de principes et d’actions que les Etats membres sont invités à mettre en œuvre dans leurs politiques, législations et pratiques. Ce Plan d’action constitue une mise en application au niveau régional des règles et principes contenus dans la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Son arrivée à terme en 2015 devrait donner l’occasion de faire le bilan des mesures prises par les Etats membres du Conseil de l’Europe dans ce domaine et d’élaborer sur cette base un nouveau plan d’action post-2015.

2.1.3. Les instruments et initiatives de l’Union européenne

13. L’Union européenne est également très active dans le domaine des droits des personnes handicapées, notamment à travers sa stratégie en faveur des personnes handicapées pour la période 2010-2020. L’Union européenne a également ratifié en décembre 2010 la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, ce qui fait naître à son égard un certain nombre d’obligations juridiques concrètes. Cela implique notamment l’adoption par l’Union européenne d’une législation conforme à la convention, qui lie les Etats membres de l’Union et dont le respect est soumis au contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne.
14. Un acte européen sur l’accessibilité est en cours d’élaboration au sein de l’Union européenne. Sa finalisation par la Commission européenne, initialement prévue en 2012, a toutefois été reportée à plusieurs reprises. L’adoption d’un tel acte constituerait une étape importante en vue de l’égalité et de l’insertion des personnes handicapées, à condition qu’il soit suffisamment ambitieux et ait une valeur ajoutée par rapport aux normes déjà en vigueur dans les Etats membres de l’Union européenne.

2.2. Les mesures prises au niveau national

15. Il incombe en premier lieu aux Etats d’adopter un cadre juridique approprié et de mettre en œuvre des mesures destinées à garantir l’égalité des droits et leur exercice effectif par l’ensemble des personnes placées sous leur juridiction. De nombreuses législations, mesures et politiques ont été adoptées par les Etats membres du Conseil de l’Europe et des progrès peuvent être constatés par secteur. Toutefois, leur mise en œuvre d’ensemble et leur impact en faveur de l’égalité des droits et de l’insertion des personnes handicapées restent insuffisants pour des raisons diverses tenant notamment à l’absence de moyens budgétaires consacrés au handicap, à l’absence de volonté politique réelle ou encore à la persistance d’obstacles juridiques à la pleine participation des personnes handicapées à la vie publique.
16. L’état de la mise en œuvre du Plan d’action du Conseil de l’Europe par les Etats membres oblige à constater que les Etats membres sont loin de satisfaire aux lignes d’action définies par le Comité des Ministres en 2006. Les obstacles à la pleine participation des personnes handicapées persistent et l’amélioration de leur situation est fréquemment perçue comme n’étant pas prioritaire. Par exemple, s’agissant de l’accessibilité des bâtiments publics, le Gouvernement français a décidé en avril 2014 de reporter l’obligation de mise aux normes des bâtiments accueillant du public au-delà de 2015, date butoir qui avait été fixée par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. En France, 15 % seulement des établissements recevant du public répondent aux normes d’accessibilité aux personnes handicapées 
			(5) 
			Inspection générale
des affaires sociales (Igas), Rapport sur les modalités d’application
des règles d’accessibilité du cadre bâti pour les personnes handicapées,
octobre 2011. malgré des engagements pris par les autorités publiques depuis plusieurs décennies.
17. Des mesures importantes ont été prises ces dernières années en Fédération de Russie, où vivent 13 millions de personnes handicapées d’après les chiffres officiels. La loi fédérale sur la protection sociale des personnes handicapées offre ainsi de nombreuses garanties. Il a toutefois été constaté que des mécanismes de contrôle de la mise en œuvre de cette loi font défaut au niveau fédéral et que sa mise en œuvre est laissée à la discrétion des gouvernements régionaux et municipaux 
			(6) 
			Human
Rights Watch, «Barriers everywhere. Lack of Accessibility for People
with Disabilities in Russia», septembre 2013, p. 6.. Ainsi, malgré cette loi et l’ambitieux programme en faveur d’un environnement accessible (2012-2015), les personnes handicapées restent encore trop souvent confinées chez elles, faute d’accessibilité des bâtiments publics et privés ou des transports. De plus, les personnes handicapées en Russie sont confrontées à une inégalité territoriale puisque leur situation varie fortement en fonction de la région où elles vivent.
18. En Roumanie, la situation des personnes handicapées est particulièrement préoccupante. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a récemment constaté que beaucoup de personnes handicapées sont mises à l’écart de la société dans des institutions de plus en plus nombreuses, où elles vivent souvent dans des conditions inhumaines ou dégradantes et subissent même parfois des mauvais traitements délibérés 
			(7) 
			Rapport
de Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme, suite à sa
visite en Roumanie (31 mars-4 avril 2014), CommDH(2014)14 (disponible
en anglais seulement).. Le cas particulièrement dramatique d’un jeune homme atteint d’un grave handicap mental, orphelin et séropositif qui était décédé dans un hôpital psychiatrique a été porté devant la Cour européenne des droits l’homme. La Cour a conclu à l’unanimité à la violation de l’article 2 de la convention sur le droit à la vie en raison de son placement en hôpital psychiatrique et de l’absence de soins et de traitements appropriés 
			(8) 
			Centre
de ressources juridiques c. Roumanie, Requête n° 47848/08,
arrêt du 17 juillet 2014 (Grande Chambre).. Les conditions de vie des personnes handicapées en Roumanie sont fréquemment dénoncées. Les autorités nationales doivent prendre des mesures résolues pour remédier à cette situation dramatique et le Parlement roumain doit veiller à ce que les engagements de la Roumanie auprès des institutions internationales se traduisent en actions concrètes.
19. La crise économique et les mesures d’austérité qui sont actuellement prises en Europe affectent tout particulièrement les personnes handicapées. Elles font également peser un lourd poids économique sur leur famille. Une étude d’impact de ces mesures sur les personnes handicapées au sein de l’Union européenne a démontré que le risque de pauvreté est de 21,1 % pour les personnes handicapées contre 14,9 % pour les personnes sans handicap 
			(9) 
			European
Foundation Centre, «Assessing the impact of European governments’
austerity plans on the rights of people with disabilities», octobre
2012, p. 23.. S’agissant des femmes handicapées, ce risque est double voire triple selon les pays. Le Commissaire aux droits de l’homme a également souligné que «les budgets d’austérité restreignent l’accès des personnes handicapées à la vie en société, à l’éducation, aux soins primaires et à une assistance, en érigeant des obstacles à la désinstitutionalisation» 
			(10) 
			Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, «Protéger les droits de l’homme
en temps de crise économique», Document thématique, mai 2014, p.
25..
20. Dans ces conditions, la mise en œuvre des instruments internationaux et nationaux en faveur des droits des personnes handicapées apparaît particulièrement ardue. Pourtant, l’objectif de pleine égalité et d’insertion des personnes handicapées ne doit pas être perdu de vue. Il est de la responsabilité de chaque Etat membre du Conseil de l’Europe de respecter les engagements pris et de veiller à ce que les personnes handicapées ne soient pas traitées comme des citoyens de seconde zone.

3. Des citoyens invisibles: la difficile participation des personnes handicapées à la vie publique

21. L’insertion des personnes handicapées suppose leur participation à la vie publique. Or, des barrières importantes empêchent leur pleine participation et l’exercice effectif de leurs droits, rendant ainsi les personnes handicapées invisibles au grand public.

3.1. L’accessibilité: condition de la pleine insertion dans la communauté

22. La notion d’insertion dans la communauté renvoie tout d’abord à celle d’accessibilité. Il est évident que la pleine insertion des personnes handicapées passe tout d’abord par la possibilité qui leur est faite d’accéder aux lieux de la communauté. Toutefois, l’accessibilité ne se limite pas à l’accès à l’environnement bâti. Il s’agit également de permettre la pleine insertion dans la communauté en rendant possible l’accès à l’école, à l’emploi, aux activités culturelles et sportives, à la vie politique, etc. Cette approche est celle de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées qui se fonde sur l’idée que la situation de handicap est générée par l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société.
23. Le Conseil de l’Europe a introduit en Europe le concept de «conception universelle» qui est devenu un standard reconnu dans le domaine du handicap et des aménagements intergénérationnels. Il s’agit de concevoir et d’élaborer différents environnements, produits, communications, technologies de l’information et services qui soient accessibles, compréhensibles et utilisables par tous sans qu’il soit nécessaire de recourir à une adaptation ou conception spéciale. Ce concept se situe également au cœur de l’article 9 de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées relatif à l’accessibilité.
24. Il est souvent avancé que la mise en œuvre de la conception universelle a un coût trop élevé compte tenu des difficultés économiques et financières traversées par nos Etats. Je pense qu’il faut envisager la question sous un autre angle. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont pris un certain nombre d’engagements en termes d’accessibilité, tant au niveau national qu’auprès d’organisations telles que le Conseil de l’Europe, les Nations Unies ou l’Union européenne. L’adaptation de l’environnement bâti pour le rendre accessible aux personnes handicapées représente indéniablement un coût important et l’ampleur des travaux à réaliser est considérable. C’est pour cela que je suis convaincue que de tels coûts pourraient être minimisés, voire évités, si la conception universelle était appliquée dès le stade de la conception des bâtiments, des services et autres produits.
25. Les politiques publiques d’appel d’offre devraient intégrer des conditions d’accessibilité. Comme le souligne le Comité des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées dans son commentaire général de l’article 9 sur l’accessibilité, il est inacceptable que des fonds publics soient utilisés pour créer ou perpétuer l’inégalité qui résulte indéniablement de services et d’équipements inaccessibles 
			(11) 
			Document CRPD/C/GC/2
du 11 avril 2014, General comment No. 2 (2014), article 9: Accessibility,
paragraphe 32..
26. Un exemple de bonne pratique est fourni par l’Union européenne qui a révisé en 2014 sa réglementation sur la passation des marchés publics et a inclus parmi les spécifications techniques devant figurer dans les appels d’offre les critères d’accessibilité pour les personnes handicapées ou d’adaptation de la conception à tous les utilisateurs. De même, la réglementation de l’Union européenne relative à l’octroi de fonds structurels et d’investissement européens (fonds ESI) pour la période 2014-2020 prévoit que tous les produits, biens, services et infrastructures qui sont ouverts ou fournis au public et cofinancés par les Fonds ESI soient accessibles à l’ensemble des citoyens, y compris aux personnes handicapées. L’accessibilité pour les personnes handicapées fait ainsi désormais partie des critères examinés par la Commission européenne avant d’allouer des fonds à un projet.
27. La Banque de développement du Conseil de l’Europe finance également de nombreux projets d’adaptation de bâtiments dans le domaine de la santé et de l’éducation afin de les rendre accessibles aux personnes handicapées. Un pas supplémentaire pourrait être franchi en intégrant le critère de l’accessibilité dans les conditions d’octroi de prêts par la Banque, comme le demandait déjà l’Assemblée parlementaire dans sa Recommandation 1592 (2003) «Vers la pleine intégration des personnes handicapées».
28. L’accessibilité est un principe central puisqu’il détermine la jouissance effective des droits. Sans transports ou bâtiments accessibles, les personnes handicapées ne peuvent pas exercer leur droit à l’éducation ou à l’emploi. L’accessibilité permet également de sortir les personnes handicapées de l’invisibilité dans laquelle nos sociétés les repoussent trop souvent. Je suis convaincue que la pleine participation à la vie de la communauté, à l’école, au travail, est non seulement un droit, mais également un moyen de faire changer le regard sur le handicap.

3.2. Les personnes handicapées et l’emploi

29. J’ai déjà souligné que la crise économique et les mesures d’austérité touchent particulièrement les personnes handicapées au point de les intégrer dans la catégorie de «groupe vulnérable». Il faut également prendre en compte le fait que les familles dont l’un des membres est handicapé doivent supporter des coûts financiers importants pour lui permettre de réaliser, comme les autres, les actes de la vie quotidienne. Or, il est constaté que le niveau d’emploi des personnes handicapées a diminué au sein de l’Union européenne, que leurs contrats de travail sont plus souvent précaires et leurs salaires moins élevés que ceux des personnes sans handicap 
			(12) 
			European Foundation
Centre, précité, p. 21.. Dans un rapport récent sur la Fédération de Russie, Human Rights Watch a recueilli le témoignage d’un chauffeur de camion ayant un handicap physique qui exposait ainsi l’attitude de son employeur envers lui: «Il me dit qu’il prend une responsabilité supplémentaire en m’embauchant, et que par conséquent il ne peut pas me payer autant. 
			(13) 
			Human Rights Watch,
précité, p. 44.»
30. D’après une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le taux d’emploi des personnes handicapées dans les Etats membres de l’organisation se situait en 2010 autour de 44 % (contre 75 % pour les personnes non handicapées) 
			(14) 
			OCDE, «Sickness, disability
and work: breaking the barriers. A synthesis of findings across
OECD countries», 2010.. Ce taux est toutefois inférieur s’agissant des femmes handicapées, lesquelles se trouvent dans une situation de plus grande vulnérabilité parce qu’elles sont victimes d’une discrimination multiple qui s’aggrave si l’on prend en compte des facteurs tels qu’être une femme, avoir un handicap, vivre en milieu rural. De même, ce taux varie en fonction de la nature du handicap, les personnes présentant un handicap intellectuel ou psycho-social ayant le taux d’emploi le plus faible. De plus, ce taux ne doit pas masquer de grandes disparités selon les pays. A titre d’exemple, le taux d’emploi des personnes handicapées en âge de travailler était en 2011 de 13 % en Serbie d’après le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et en 2012 de 18 % en Hongrie et de 20 % en Fédération de Russie d’après les chiffres officiels de ces pays 
			(15) 
			Pour
la Fédération de Russie, voir: The Moscow
Times, «80% of Russia’s Disabled Unemployed», 4 décembre
2012. Pour la Hongrie, voir: Hungarian Central Statistical Office,
«Disabled people in the labour market», mai 2012, p. 7.. Les difficultés d’accès ou de maintien à l’emploi des personnes handicapées contribuent à l’appauvrissement de ces personnes et de leur famille, mais ont également un coût pour l’Etat en termes d’assistance et de protection sociales. En période de crise économique, il est ainsi de l’intérêt de l’Etat d’identifier les obstacles à l’emploi des personnes handicapées et les mesures permettant de développer leur accès au marché du travail.
31. Les causes principales du faible accès des personnes handicapées au marché du travail sont multiples. Elles peuvent résider dans l’absence de mesures positives en faveur de l’emploi des personnes handicapées, la persistance de stéréotypes sur la capacité des personnes handicapées à travailler, ou encore le manque de services de soutien ou de transport adéquat vers le lieu du travail. Le faible niveau d’emploi des personnes handicapées est également le résultat de leur faible accès à l’éducation supérieur et à la formation professionnelle.
32. L’objectif à poursuivre devrait être la participation des personnes handicapées au marché du travail ordinaire. Pour cela, des aménagements doivent parfois être réalisés. La notion d’aménagement raisonnable est un concept clé pour l’égalité des personnes handicapées. Elle est inscrite dans la Convention des Nations Unies sur le droit des personnes handicapées, mais également dans la Charte sociale européenne révisée et la directive de l’Union européenne en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Elle fait obligation aux employeurs de prendre les mesures nécessaires visant à assurer l’égalité de traitement des travailleurs handicapés, à moins que cela ne fasse peser sur les employeurs une charge disproportionnée. Ces mesures peuvent être tant matérielles qu’organisationnelles. Elles peuvent consister en un aménagement du poste de travail ou en une réduction du temps de travail 
			(16) 
			Voir en ce sens l’arrêt
de la Cour de justice de l’Union européenne, HK
Danmark (Ring et Skouboe Werge), C-335/11 et C-337/11
du 11 avril 2013. Commentaire: L. Waddington, «HK Danmark (Ring
et Skouboe Werge): Interpreting EU Equality Law in Light of the
UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities», European
Anti-Discrimination Law Review, n° 17, 2013, p. 13-23..
33. Les entreprises qui embauchent des travailleurs handicapés reçoivent dans certains pays des aides pour réaliser les aménagements nécessaires des postes de travail ou couvrir les frais de transport vers le lieu de travail, comme par exemple au Luxembourg. Une aide à l’accès au lieu de travail peut également être versée directement au travailleur, comme cela est le cas au Royaume-Uni grâce au programme gouvernemental Access to work. Ces mesures sont importantes, en particulier celles qui permettent au salarié de se rendre sur son lieu de travail. En effet, un travailleur handicapé doit supporter des coûts que les autres travailleurs n’ont pas et qui, s’ils sont à sa seule charge, peuvent peser lourdement sur ses revenus.
34. En Espagne, l’Organisation nationale espagnole des aveugles (ONCE) et sa Fondation pour la coopération et l’insertion sociale des personnes handicapées ont développé des bonnes pratiques et sont parvenus, par le biais de la formation, de la création d’emplois et d’initiatives d’accessibilité, à réaliser la pleine autonomie et l’insertion sociale d’un grand nombre de personnes handicapées. En 25 ans, les actions de la Fondation ont généré plus de 80 000 emplois pour les personnes handicapées, les rendant ainsi visibles au reste de la société espagnole en tant que citoyens qui apportent de la valeur.
35. Parmi les mesures incitatives, les quotas sont souvent cités. Ils consistent à prévoir un pourcentage de travailleurs handicapés dans l’entreprise. De très nombreux Etats européens ont introduit des quotas dans leur législation. En Espagne, un quota de 7 % est prévu par la loi dans la fonction publique. Il s’agit d’un des quotas les plus élevés en Europe. Toutefois, leur fonctionnement varie grandement d’un pays à l’autre ce qui rend très difficile toute comparaison, d’autant plus que le handicap n’est pas défini de la même manière dans tous les pays. Des différences peuvent également être constatées au sein d’un même pays. En Russie par exemple la loi prévoit l’introduction d’un quota dans les entreprises de plus de 35 salariés, mais laisse aux régions le soin de fixer le taux de ce quota qui varie de 2 % à 4 % selon les régions et les villes. De même, en Belgique, les quotas d’emploi pour les personnes handicapées dans la fonction publique varient selon les communautés et régions. Il est par exemple de 2 % à Bruxelles et de 4,5 % en Flandres, et s’établit à 3 % s’agissant de l’administration fédérale. En revanche, il n’existe aucune obligation spécifique en matière d’emploi dans les secteurs privé et public dans la communauté germanophone. Les statistiques, lorsqu’elles existent, sont ainsi difficiles à comparer.
36. Les quotas sont généralement accompagnés d’incitations financières pour les entreprises, tels que des allègements fiscaux, et parfois de pénalités pour celles qui ne les respectent pas. En Autriche, la loi fédérale sur l’emploi des personnes handicapées prévoit un quota de 4 % et le paiement d’une amende en cas de non-respect. En 2010, 22,8 % des entreprises du secteur privé et 66 % des entreprises publiques respectaient le quota. Cela signifie que dans leur majorité les entreprises préfèrent s’acquitter d’une amende que d’embaucher des personnes handicapées. La même situation se retrouve dans bien d’autres pays européens.
37. D’autres mesures existent telles que l’interdiction de la discrimination en raison du handicap ou la protection des travailleurs handicapés contre le licenciement. Le Comité européen des droits sociaux exige de telles mesures de la part des Etats Parties à la Charte sociale européenne (révisée) en application de son article 15, paragraphe 2. Les conclusions de non-conformité du Comité sont pourtant fréquentes 
			(17) 
			Le
Comité européen des droits sociaux a rendu en 2012 huit conclusions
de non-conformité relatives à la mise en œuvre de l’article 15,
paragraphe 2, de la Charte sociale européenne (révisée): Andorre,
Arménie, Belgique, Chypre, Pays-Bas, République de Moldova, République
Slovaque et Slovénie.. Elles sont souvent le résultat d’une information insuffisante voire d’absence de données statistiques sur l’emploi des personnes handicapées. Par ailleurs, certains Etats Parties à la Charte sociale européenne (révisée) n’ont pas accepté d’être lié par l’article 15, paragraphe 2: l’Albanie, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie et la Géorgie. J’appelle ces Etats à accepter cette disposition sans tarder.
38. Le bilan des diverses mesures incitatives n’est pas concluant et il s’avère impossible d’attribuer à un type de mesure un effet positif systématique en matière d’emploi des personnes handicapées. Un employeur peut ainsi préférer renoncer à une aide financière si les procédures bureaucratiques sont trop lourdes. L’Organisation internationale du travail a relevé qu’un ensemble de mesures doit être pris pour faire face aux divers obstacles rencontrés par les personnes handicapées dans le monde du travail et que l’implication active des employeurs dans ces mesures participe grandement à leur réussite 
			(18) 
			Organisation
internationale du travail, Contribution à l’étude du Conseil des
droits de l’homme des Nations Unies sur l’emploi des personnes handicapées,
mars 2013..
39. La sensibilisation et l’information des employeurs sont en effet essentielles pour dépasser les nombreux stéréotypes négatifs liés au handicap. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies a ainsi observé, d’une part, que les personnes handicapées sont souvent considérés comme inaptes à la vie active et, d’autre part, que les mesures prises en faveur de l’emploi des personnes handicapées, comme par exemple les quotas, peuvent donner à penser qu’elles sont embauchées uniquement en raison de leur handicap et non pour leurs compétences professionnelles 
			(19) 
			Conseil des droits
de l’homme, Etude thématique sur le travail et l’emploi des personnes
handicapées, Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme, A/HCR/22/25, 17 décembre 2012, paragraphes 8
et 39..
40. Une étude de l’Organisation internationale du travail a mis en lumière diverses bonnes pratiques en matière de sensibilisation au handicap au sein des entreprises. Elles peuvent par exemple consister en une formation obligatoire au handicap pour le personnel d’encadrement, la désignation d’une personne responsable du recrutement et de l’assistance aux nouveaux employés handicapés pour aménager leur lieu de travail, ou encore l’élaboration et la diffusion de guides sur le handicap auprès de l’ensemble des employés 
			(20) 
			Bureau international
du travail, «Le handicap sur le lieu de travail: les pratiques des
entreprises», 2010.. Toutes ces mesures ont eu des résultats très positifs pour les entreprises, et notamment en termes d’image auprès du personnel et de la clientèle. Enfin, je voudrais mentionner l’organisation britannique d’employeurs Business Disability Forum, créée en 1986, qui accompagne, conseille et forme les employeurs en matière de recrutement et dans leurs relations avec les travailleurs handicapés ainsi qu’avec les consommateurs et les clients en situation de handicap. L’organisation a développé des normes en matière de handicap à l’intention des entreprises et a contribué à la définition des lois britanniques sur l’égalité et la non-discrimination de 1996 et 2010.
41. Pour conclure, je voudrais souligner qu’il est nécessaire que les Etats membres mettent en place des politiques en faveur des personnes handicapées afin de maintenir et accroître leur taux d’emploi en tant qu’élément clé de la participation sociale. Ces politiques devraient prévoir des instruments qui favorisent l’inclusion active, la durabilité et la qualité de l’emploi, la cohésion et le développement territorial. De plus, les Etats devraient prendre des mesures complétant la législation européenne sur l’égalité des chances et la non-discrimination, y compris la collecte de données statistiques sur le taux d’emploi des personnes handicapées par rapport aux personnes non handicapées. Il convient enfin de garder à l’esprit que près d’un tiers des travailleurs développent un handicap au cours de leur vie professionnelle 
			(21) 
			Eurostat, Module ad
hoc 2011 de l’Enquête sur les forces de travail.. Il est ainsi de l’intérêt de tous de prendre les mesures qui permettent l’accès et le maintien dans l’emploi et de lutter contre les stéréotypes.

3.3. La capacité juridique des personnes handicapées

42. La capacité juridique des personnes handicapées est une question fondamentale puisqu’elle détermine largement la jouissance et l’exercice des droits. La capacité juridique se définit comme l’aptitude à acquérir un droit et à l’exercer 
			(22) 
			G. Cornu, «Vocabulaire
juridique», PUF, 2009, p. 121.. Lorsqu’une personne est privée de sa capacité juridique, elle ne peut plus exercer ses droits et c’est un tiers qui prend les décisions la concernant à sa place. Sans capacité juridique pour les exercer, les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées ne sont alors plus qu’une coquille vide.
43. Le Plan d’action du Conseil de l’Europe pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société et la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées prévoient en des termes identiques que «les personnes handicapées ont droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique» 
			(23) 
			Article 12 de la Convention
des Nations Unies; Ligne d’action n° 12 (paragraphe 3.12.1) du Plan
d’action du Conseil de l’Europe «Améliorer la qualité de vie des
personnes handicapées en Europe, 2006-2015».. De même, dans sa Résolution 1642 (2009) sur l’accès aux droits des personnes handicapées et leur pleine et active participation dans la société, l’Assemblée parlementaire invitait les Etats membres à s’assurer que les personnes handicapées disposent de la capacité juridique et l’exercent au même titre que les autres membres de la société, notamment en garantissant que personne ne limite ni n’exerce à leur place leur droit de prendre des décisions, que les mesures les concernant soient adaptées à leur situation et qu’une tierce personne puisse les aider à prendre des décisions.
44. La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée à plusieurs reprises sur des affaires touchant à la capacité juridique. Dans les arrêts Chtoukatourov c. Russie (2008) et Salontaji-Drobnjak c. Serbie (2009), la Cour a considéré, au vu des faits de l’espèce, que l’incapacité totale prononcée contre les requérants qui souffraient de troubles mentaux n’était pas proportionnée au but poursuivi et constituait une atteinte à leur droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. De plus, la Cour a relevé, dans l’arrêt Stanev c. Bulgarie (2012), que la privation de la capacité juridique, même partielle, a de graves implications en termes d’accès à la justice et a rappelé que le droit de demander à un tribunal de réexaminer une déclaration d’incapacité est l’un des droits les plus fondamentaux pour les personnes concernées. Enfin, dans un arrêt récent, la Cour a précisé que la privation, même partielle, de la capacité juridique ne devrait être qu’une mesure de dernier recours lorsque d’autres mesures moins restrictives ont échoué 
			(24) 
			Ivinović
c. Croatie, Requête n° 13006/13, arrêt du 8 septembre
2014..
45. En 2012, le Commissaire aux droits de l’homme constatait que les dispositifs européens en matière de capacité juridique étaient dépassés et nécessitaient une réforme urgente pour se mettre en conformité avec la Convention des Nations Unies 
			(25) 
			Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, «A qui appartient-il de décider?
Le droit à la capacité juridique des personnes ayant des déficiences
intellectuelles et psychosociales», Document thématique, 2012.. Le Commissaire appelait également à la suppression des mécanismes prévoyant une déclaration d’incapacité totale et une tutelle complète et à la mise en place de mécanismes d’aide à la prise de décision.
46. Aucun mouvement allant dans le sens préconisé par les différents instruments et institutions internationales ne peut être observé aujourd’hui. La grande majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe connaît un système de tutelle qui s’applique aux personnes ayant un handicap intellectuel ou psychosocial. A ce jour, seuls deux pays européens, l’Allemagne et la Suède, ont aboli leur système de tutelle et l’ont remplacé par des mécanismes moins intrusifs d’accompagnement des personnes handicapées 
			(26) 
			Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne, «La capacité juridique des personnes souffrant
de troubles mentaux et des personnes handicapées intellectuelles»,
2013, p. 34.. Certains pays, tels que Chypre, l’Irlande et la Roumanie, ne prévoient que la privation totale de la capacité juridique résultant de la mise en place d’une mesure de tutelle. Dans ces pays, aucune autre alternative n’existe.
47. Dans son Commentaire général sur l’article 12 de la Convention des Nations Unies relatif à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité, le Comité de suivi a adopté une position de principe en vertu de laquelle tout système de tutelle doit être aboli 
			(27) 
			CRPD/C/GC/1
du 11 avril 2014, General comment No.1 (2014), article 12: Equal
recognition before the law.. Cette position s’inscrit dans la droite ligne de l’approche actuelle du handicap fondée sur les droits humains, qui implique de passer d’un mécanisme de prise de décision substitutive à un mécanisme d’accompagnement à la prise de décision. Le Comité rappelle dans son Commentaire général que la capacité juridique est inhérente à toute personne et estime qu’elle doit être distinguée de la capacité à exercer des droits, pour laquelle un soutien doit être proposé lorsque cela est nécessaire, conformément à l’article 12 de la convention. Par conséquent, selon le Comité, les Etats Parties à la Convention des Nations Unies doivent, sans délai, supprimer de leur ordre juridique interne les mécanismes existants de prise de décision substitutive.
48. Cette position est critiquée par certains Etats qui estiment qu’elle ne prend pas en compte la situation de personnes qui se trouvent dans un état végétatif ou qui ont de très profondes déficiences intellectuelles et qui ne sont pas en mesure de comprendre une décision et ses implications. Pour ces Etats, l’instauration d’une tutelle complète ne doit pas être exclue, en tant que mesure de dernier recours et avec toutes les garanties nécessaires 
			(28) 
			Le Danemark, la France
et la Norvège ont exprimé une position similaire devant le Comité
des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées. Voir
leurs contributions aux travaux du Comité: 
			(28) 
			<a href='http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/CRPD/Pages/DGCArticles12And9.aspx'>www.ohchr.org/EN/HRBodies/CRPD/Pages/DGCArticles12And9.aspx</a>. Ils considèrent que, dans de tels cas, un mécanisme d’accompagnement à la prise de décision ne serait qu’une fiction puisque, dans les faits, ce serait la personne de soutien qui prendrait la décision et non la personne handicapée concernée elle-même.
49. Pour comprendre la position du Comité de suivi et de nombreuses organisations actives dans ce domaine, il faut rappeler que les conséquences d’une privation de la capacité juridique sont particulièrement lourdes. En effet, lorsque la mesure de tutelle est complète, la personne se trouve privée de la jouissance et de l’exercice d’un grand nombre de droits civils, voire de leur totalité. A titre d’exemple, dans de très nombreux pays européens, cette personne ne pourra plus voter ou être candidat à une élection. Dans mon pays, l’Espagne, les tribunaux qui prononcent une privation de la capacité juridique, même partielle, l’accompagnent très souvent d’une privation du droit de vote. Ainsi, environ 80 000 personnes handicapées ne peuvent pas voter en Espagne 
			(29) 
			 Rapport de Nils Muižnieks,
Commissaire aux droits de l’homme, suite à sa visite en Espagne
(3-7 juin 2013), CommDh(2013)18, paragraphe 84 (disponible en anglais
seulement). Voir également: Marta Fernández Maeso, «¿Cómo que no
puedo votar?», El País, 7
janvier 2014.. L’Agence des droits fondamentaux a relevé dans une étude récente que seuls sept Etats membres de l’Union européenne ne lient pas le droit de vote à la capacité juridique et a appelé les Etats membres à amender leur législation lorsqu’elle prive des personnes du droit de vote en raison de leur handicap 
			(30) 
			Les sept Etats sont
l’Autriche, la Croatie, l’Italie, la Lettonie, les Pays-Bas, la
Suède et le Royaume-Uni. Voir: Agence des droits fondamentaux de
l’Union européenne, «The right to political participation for persons
with disability: human rights indicators», 2014, p. 40.. De même, dans sa Recommandation CM/Rec(2011)14, le Comité des Ministres a recommandé aux Etats membres du Conseil de l’Europe de s’assurer que leur législation ne permet à aucun niveau de priver certaines personnes handicapées du droit de voter ou de se présenter à des élections.
50. Enfin, je voudrais mentionner deux systèmes d’accompagnement à la prise de décision qui ont retenu plus particulièrement mon attention:
a. les réseaux de soutien: un exemple fréquemment cité est celui de la loi sur l’entente de représentation (Representation Agreement Act) qui a été adoptée en 1996 au Canada, en Colombie Britannique. Elle permet à un adulte de conclure un accord avec un réseau de personnes qui seront autorisées à l’aider à prendre des décisions et à le représenter dans le cas où il deviendrait incapable de prendre des décisions de manière indépendante 
			(31) 
			Article 2, [RSBC 1996]
Chapter 405.. Une entente de représentation peut également être conclue par une personne lourdement handicapée si elle peut communiquer ses souhaits ou si elle démontre sa confiance dans les personnes désignées pour l’assister. Cela constitue l’une des principales innovations de cette loi puisque les personnes concernées n’ont plus à établir leur compétence juridique conformément aux critères usuels, par exemple en apportant la preuve de leur capacité à comprendre les informations pertinentes 
			(32) 
			Union interparlementaire
(UIP) et Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme,
«De l’exclusion à l’égalité. Réalisation des droits des personnes
handicapées. Guide à l’usage des parlementaires: la Convention relative aux
droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif», n°
14, 2007, p. 98..
b. les personnes de confiance: en Suède, des ombudsmans personnels (personligt ombud) ont été mis en place en 2000 à l’échelle nationale pour les personnes ayant des troubles psychiatriques. Les ombudsmans personnels sont au service de leurs clients et agissent en fonction des souhaits de ces derniers, par exemple pour effectuer des démarches auprès des prestataires sociaux, mais également pour les aider à résoudre des questions plus personnelles comme des conflits familiaux. Les ombdsmans personnels sont disponibles tous les jours, vont à la rencontre de leurs clients et ne sont rattachés à aucune structure psychiatrique ou sociale. Leur indépendance vis-à-vis des autorités est un élément essentiel du dispositif et facilite l’établissement d’une relation de confiance avec les clients. En 2010, 325 ombudsmans personnels assistaient plus de 6 000 personnes à travers la Suède 
			(33) 
			Source: <a href='http://po-skane.org/'>http://po-skane.org.</a>. Une étude de l’Organisation mondiale de la santé et de la Banque mondiale a évalué ce dispositif innovant et relevé que «dans un premier temps, son coût peut être élevé, car les intéressés font valoir leurs droits aux prestations et utilisent pleinement les services. Mais dans un second temps, le coût diminue lorsque les problèmes sont résolus et que le besoin d’aide recule» 
			(34) 
			Organisation mondiale
de la santé et Banque mondiale, Rapport mondial sur le handicap,
2011, p. 155..
51. Ces deux dispositifs constituent selon moi des bonnes pratiques. Il est indéniable que la question de la capacité juridique est à la fois complexe et délicate dans la mesure où elle touche aux traditions juridiques et culturelles profondément ancrées des Etats membres. Il me paraît toutefois nécessaire d’amorcer une réflexion sur les modèles existants dans nos pays respectifs et de développer des alternatives aux mécanismes de prise de décision substitutifs en s’inspirant de pratiques innovantes.

4. Des victimes silencieuses: les personnes handicapées face à la violence

52. Les personnes handicapées sont particulièrement vulnérables à la violence qui peut être exercée contre elles, au sein de leur foyer ou dans les institutions spécialisées. Il s’agit d’une réalité tout à la fois connue et souvent ignorée. La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de statuer sur le cas, en Croatie, d’une femme et de son fils adulte, handicapé physique et mental, qui ont subi pendant plusieurs années le harcèlement physique et verbal de la part d’enfants qui étaient scolarisés dans l’école où se trouvait l’atelier pour adultes auquel se rendait le jeune adulte handicapé. Malgré les plaintes, les autorités compétentes, y compris la police, n’ont pas pris de mesures pour faire cesser ce harcèlement. Dans un arrêt rendu en 2012, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit les traitements inhumains et dégradants 
			(35) 
			Đorđević
c. Croatie, Requête n° 41526/10, arrêt du 24 juillet
2012..
53. Ce cas n’est pas isolé. Il illustre une certaine inertie des autorités qui peuvent parfois minimiser la gravité des faits. L’Agence des droits fondamentaux a ainsi observé, dans une étude relative au crime de haine, que «les systèmes pénaux de la plupart des Etats membres de l’Union européenne ne reconnaissent pas les crimes motivés par le handicap comme une motivation discriminatoire à part entière. Souvent, les personnes handicapées ne peuvent donc pas obtenir réparation. Les auteurs peuvent être poursuivis en justice pour, disons, préjudice corporel grave, sans que le mobile discriminatoire de leur agression soit examiné 
			(36) 
			Agence
des droits fondamentaux, «Mettre en évidence les crimes de haine
dans l’Union européenne: reconnaître les droits des victimes», novembre
2012, p. 31.». Ainsi, alors que les personnes handicapées peuvent être victimes de violence en raison de leur handicap, l’absence de prise en compte de cette donnée, tant dans la législation que dans les statistiques officielles relatives à la délinquance, font des personnes handicapées des victimes silencieuses.
54. Une bonne pratique peut être signalée au Royaume-Uni où, depuis plusieurs années, une attention particulière est portée aux crimes de haine fondés sur le handicap. Elle s’est notamment traduite en 2005 par l’ajout dans le code pénal d’une disposition qui prévoit que le fait qu’une infraction soit motivée par l’hostilité à l’égard d’une personne en raison de son handicap constitue une circonstance aggravante. Toutefois, les infractions motivées par la haine envers les personnes handicapées demeurent insuffisamment dénoncées, prises au sérieux par la police et poursuivies 
			(37) 
			Criminal Justice Joint
Inspection, «Living in a different world: joint review of disability
hate crime», mars 2013.. C’est sur la base de ce constat que le Service du Procureur de la Couronne a publié en octobre 2014 un plan d’action destiné à combattre spécifiquement les crimes de haine fondés sur le handicap. Il témoigne de la volonté des autorités de combattre ces crimes de haine de manière effective et j’encourage tous les Etats membres à s’engager dans la même voie.
55. Bien que toutes les personnes handicapées soient potentiellement victimes de violence, je voudrais dans ce rapport porter une attention particulière à la violence à l’égard des femmes et des enfants handicapés.

4.1. La violence à l’égard des femmes handicapées

56. Il est estimé que les femmes handicapées sont de 1,5 à 10 fois plus exposées à la violence que les femmes sans handicap 
			(38) 
			Human Rights Watch,
«Human Rights for Women and Children with Disabilities», 2012, p. 5.. L’ampleur de ce phénomène est confirmée par les nombreuses études relatives à la violence à l’égard des femmes handicapées 
			(39) 
			S. Ortoleva, H. Lewis,
«Forgotten sisters – a report on violence against women with disabilities:
an overview of its nature, scope, causes and consequences», Northeastern
University School of Law, Papers Series No. 104-2012; International
Network of Women with Disabilities (INWWD), «Violence against women
with disabilities», 4 octobre 2010; M. L. Beleza, «La discrimination
à l’égard des femmes handicapées», Editions du Conseil de l’Europe,
2003, p. 46-48. .
57. Ce constat a été récemment démontré à l’échelle de l’Union européenne par l’enquête de l’Agence des droits fondamentaux sur la violence à l’égard des femmes dans les 28 pays membres 
			(40) 
			Agence des droits fondamentaux,
«Violence against women: an EU-wide survey. Main results report»,
2014, p. 187-188.. D’après cette enquête, plus d’une femme sur deux ayant un problème de santé, un handicap ou connaissant des limitations dans leur vie quotidienne est ou a été victime de violence psychologique par leur partenaire ou de harcèlement sexuel. Un tiers d’entre elles sont victimes de violence physique. Notons également que la violence touche plus particulièrement les femmes les plus jeunes (18-29 ans).
58. Il doit toutefois être souligné que des statistiques précises, par pays, sur la violence à l’égard des femmes handicapées font largement défaut. En Espagne, la part des femmes handicapées dans les dénonciations de violence enregistrées n’apparaissent pas. Dans son Deuxième plan d’action pour les femmes handicapées (2013-2016), le comité espagnol des représentants des personnes handicapées (le CERMI) observait que «cette réalité rend bien compte du degré d’invisibilité dont souffrent les femmes handicapées, qui ne sont pas considérées comme des victimes potentielles de la violence de genre, ni vues par l’imaginaire collectif comme des femmes» 
			(41) 
			Comité Español de Representantes
de Personas con Discapacidad (CERMI), A. Peláez Narváez et Pilar
Villarino Villarino (dir.), «II Plan de Acción para Mujeres con
Discapacidad», décembre 2013, p. 61 (traduction du Conseil de l’Europe:
texte original espagnol)..
59. Les témoignages de femmes handicapées victimes de violence sont rares ce qui confirme l’impression de tabou qui entoure ce sujet:
«Un jour, il a retiré la batterie du fauteuil roulant sur lequel je suis assise maintenant. Il l’a juste débranché et je ne pouvais plus bouger. Si un ami commun n’était pas passé à la maison il ne l’aurait pas rebranché. Et je ne sais pas combien de temps je serais restée là avec cette batterie à plat. Il n’y avait personne d’autre qui était supposé venir à la maison… Il m’aurait fait attendre son aide ou il l’aurait fait en rechignant ou il aurait dit “Oh mon dieu, tu dois encore le faire, oh bon, viens alors, fais-le et finissons-en”. Et il m’aurait bousculée.» 
			(42) 
			R. Thiara, G. Hague,
R. Bashall, B. Ellis and A. Mullender, Disabled
Women and Domestic Violence. Responding to the Experiences of Survivors,
2012, Jessica Kingsley Publishers, p. 37 (traduction du Conseil
de l’Europe: texte original anglais).
«Les gens le plaignent parce qu’il prend soin de vous… ils hésitent à critiquer ce saint homme ou encore penser qu’il est capable de ces choses terribles. Et peut-être aussi que… les gens ne “voient” pas une femme handicapée comme une femme, une compagne, une mère. Je pense que c’est pour cela qu’ils ont du mal à imaginer que cette femme a pu être abusée sexuellement ou physiquement par son partenaire, ou avoir été victime de violence domestique, car les femmes handicapées ne font pas l’amour, n’est-ce pas?» 
			(43) 
			Ibid.,
p. 43.
60. Les femmes handicapées connaissent les mêmes formes de violence que les autres femmes. De plus, certaines formes de violence leur sont spécifiques. Elles sont souvent liées à leur situation de vulnérabilité et de dépendance vis-à-vis de la personne qui leur prodigue des soins ou des services lorsque cette dernière est l’auteur des violences. L’isolement et l’infantilisation des femmes handicapées accroissent encore leur vulnérabilité aux diverses formes de violence.
61. A côté des violences physiques, psychologiques et sexuelles, des formes particulières de violence telles que le délaissement, le défaut de soins, la maltraitance ou l’exploitation financière sont très fréquentes. Les avortements et stérilisations forcés touchent particulièrement les femmes handicapées, alors que de tels actes sont condamnés par la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
62. Lors de l’audition du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre à l’abri de la violence, du 24 juin 2014, consacrée à la violence à l’égard des femmes handicapées, Mme Ana Peláez Narváez, membre du Comité des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, a qualifié de «réalité invisible» les violences subies par les femmes handicapées parce qu’elles surviennent souvent dans des lieux clos et loin des regards. Elle a également souligné la vulnérabilité particulière des femmes ayant un handicap intellectuel aux abus et violences et leur impossibilité de les dénoncer faute de capacité juridique.
63. Les femmes handicapées victimes de violence font face à des obstacles particuliers qui constituent des freins à la dénonciation des abus et violences qu’elles subissent. Parmi ces obstacles, figurent la difficulté d’accéder à des informations, le très faible nombre de refuges accessibles aux femmes handicapées, le risque qu’elles ne bénéficient plus d’une assistance personnelle si elles quittent leur domicile, la peur d’être placée dans une institution ou de perdre la garde de leurs enfants.
64. Lors de l’audition du Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre à l’abri de la violence, la Professeure émérite Gill Hague de l’université de Bristol (Royaume-Uni) a appelé à opérer un changement fondamental dans les attitudes culturelles vis-à-vis des femmes handicapées, tant pour ce qui est de la manière dont elles sont perçues que la manière dont elles sont traitées. Le financement, le suivi et le recensement des actes de violence à l’égard des femmes handicapées devraient faire partie des stratégies nationales et locales de lutte contre la violence à l’égard des femmes. La Professeure Hague a appelé les services dédiés aux victimes de violence domestique à améliorer leur aide aux femmes handicapées, mais également les organisations représentatives des personnes handicapées à accorder une plus grande place à la question de la violence domestique.
65. Des études portant spécifiquement sur la violence à l’égard des femmes handicapées ont été élaborées comme par exemple en Allemagne ou au Royaume-Uni 
			(44) 
			Pour
l’Allemagne, voir: «Life situations of and pressures on disabled
women in Germany», report drafted by the University of Bielefeld
on behalf of the Federal Ministry for Family Affairs, Senior Citizens,
Women and Youth, 20 février 2012 (version abrégée en anglais). Pour
le Royaume-Uni: voir: G. Hague, R. Thiara, P. Magowan, A. Mullender,
«Making the links. Disabled women and domestic violence», Rapport
final, 2008.. Elles constituent des bonnes pratiques parce qu’elles permettent de collecter des informations précises afin de mieux appréhender l’ampleur du phénomène au niveau national et de déterminer les mesures les plus appropriées à prendre.
66. La Convention d’Istanbul ne contient pas de dispositions spécifiques relatives aux femmes handicapées. Toutefois, la convention protège ces femmes par le biais du principe de non-discrimination inscrit à son article 4, paragraphe 3. J’espère que le mécanisme de suivi de la convention (le GREVIO) prêtera une attention particulière à la situation et aux besoins spécifiques des femmes handicapées victimes de violence. Pour leur part, compte tenu de leur rôle inédit dans le suivi d’une convention du Conseil de l’Europe, les parlements nationaux et l’Assemblée parlementaire devraient rester vigilants et s’assurer que des mesures adaptées soient prises par les Etats Parties à la convention.

4.2. La violence et la stigmatisation des enfants et adolescents handicapés

67. Une étude de juillet 2012 réalisée à la demande de l’Organisation mondiale de la santé révèle que les enfants handicapés ont une probabilité presque quatre fois plus grande d’être confrontés à la violence que des enfants sans handicap. Il ressort également de cette étude que la stigmatisation, les discriminations et le manque d’information concernant le handicap, de même que l’absence de soutien social aux personnes s’occupant des enfants en situation de handicap, sont les facteurs qui exposent ceux-ci à un risque accru de violences et de rejet.
68. Certaines formes de violence sont spécifiques aux enfants handicapés. Il s’agit par exemple des abus visant à modifier le comportement de l’enfant (électrochocs, lourds traitements médicamenteux), de stérilisation forcée des filles handicapées intellectuelles ou mentales, d’abandon ou encore d’homicide «par compassion» 
			(45) 
			UNICEF, «Children and
Young People with Disabilities Fact Sheet», mai 2013, p. 25-26.. Cette dernière forme de violence peut trouver son origine dans la croyance que la mort vaut mieux que les souffrances (réelles ou supposées) liées au handicap. Elle révèle également le manque de soutien aux personnes handicapées et à leur famille ainsi que le désespoir et l’isolement des parents d’enfants handicapés.
69. La violence à l’égard des enfants handicapés est un grave problème. Il est estimé que les enfants ayant un handicap intellectuel ou mental sont 4,6 fois plus exposés au risque de violence sexuelle que les enfants sans handicap 
			(46) 
			UNICEF,
«The State of the World’s Children 2013, Children with Disabilities»,
mai 2013, p. 44-45.. Une attention particulière doit être apportée sans délai aux enfants handicapés en tant que groupe à fort risque de violence. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels qui prévoit que la situation de handicap d’un enfant est une circonstance aggravante lorsque des abus sont commis à son égard.
70. Le placement en institution constitue un facteur majeur de risque de violence physique et sexuelle pour les personnes handicapées, et notamment les enfants. La tendance actuelle à la promotion de la «désintitutionalisation» se situe dans la droite ligne de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées et des organisations représentatives des personnes handicapées. Lors d’une audition organisée par la commission sur l’égalité et la non-discrimination et le Comité d’experts du Conseil de l’Europe sur les droits des personnes handicapées (DECS-RPD) le 2 octobre 2014, le Professeur Gerard Quinn de l’université de Galway (Irlande) a déploré que, dans le monde, deux millions d’enfants handicapés vivent en institutions et que ces enfants soient «juridiquement disparus», en violation de leur droit à l’inclusion dans la société. Le Commissaire aux droits de l’homme a également dénoncé les effets toxiques des institutions sur les personnes et a appelé les Etats membres du Conseil de l’Europe à mettre fin au placement en institutions 
			(47) 
			CommDH/Speech(2014)9,
Deinstitutionalisation in the work of the Council of Europe Commissioner
for Human Rights. Discours de Nils Muižnieks, Commissaire aux droits
de l’homme, à l’audition organisée conjointement par la commission
sur l’égalité et la non-discrimination de l’Assemblée et le Comité
d’experts du Conseil de l’Europe sur les droits des personnes handicapées:
One of us? The right of persons with disabilities to live in the
community (Strasbourg, 2 octobre 2014) (en anglais seulement)..
71. La question de la vie en institution est vaste et complexe et je n’ai pas l’ambition de la traiter en détail dans le présent rapport. Toutefois, je suis convaincue qu’une réflexion approfondie doit être menée dans les Etats membres pour sortir de la culture de l’institutionnalisation et développer des alternatives pour les personnes handicapées en prenant en compte leur propre choix. Lors de l’audition du 2 octobre 2014, un jeune homme handicapé a en effet souligné que le choix du lieu de vie doit revenir à la personne handicapée elle-même et qu’elle peut parfois préférer vivre en institution où les soins et services dont elle a besoin sont disponibles et où elle se trouve moins isolée. La personne handicapée doit cependant disposer de véritables alternatives pour lui permettre de faire son choix, ce qui inclut notamment la possibilité d’accéder aux soins et services dont elle a besoin tout en ne vivant pas en institution.
72. Pour conclure, je voudrais mentionner l’école, qui est également un lieu où la violence à l’égard des enfants handicapés peut survenir. De nombreux faits divers nous le rappellent régulièrement, comme par exemple le cas d’un adolescent handicapé qu’un de ses camarades de classe brûlait avec des cigarettes (Italie, mars 2013) ou celui d’un adolescent ayant un handicap mental léger filmé en train d’être maltraité et humilié par d’autres adolescents qui avaient ensuite posté la vidéo sur Facebook (France, février 2014). Les cas d’intimidation sont également très fréquents. Au Royaume-Uni, l’Institut de l’éducation de Londres a observé en 2014 que les élèves de classe primaire ayant des besoins éducatifs spéciaux sont deux fois plus susceptibles de souffrir d’intimidations que les autres enfants.
73. Parmi les témoignages recueillis par l’Agence des droits fondamentaux dans le cadre d’un projet sur les droits fondamentaux des personnes ayant un handicap intellectuel ou des problèmes de santé mentale, il y a celui d’un homme suédois de 45 ans qui décrit ainsi son expérience de l’école: «On te répète tout le temps que tu ne vaux rien, que tu es stupide et tout le reste. Alors, je ne me suis jamais fait d’amis». Ce dernier exemple illustre comment la stigmatisation des enfants et adolescents provoque leur isolement, en contradiction flagrante avec l’objectif de pleine inclusion affiché dans tous les instruments internationaux et nationaux relatifs au handicap.
74. Ces faits, lorsqu’ils surviennent à l’école, amènent parfois les parents d’enfants handicapés à remettre en question l’inclusion de leur enfant en milieu scolaire ordinaire et à privilégier des écoles spécialisées qui leur paraissent mieux à même de répondre à leurs besoins et de les protéger de la violence. Il s’agit d’une réaction normale de crainte de parents qui veulent le meilleur pour leurs enfants. Pour encourager les parents d’enfants handicapés à inscrire leurs enfants dans des écoles ordinaires, il faut leur garantir la protection de leurs enfants contre la violence scolaire. Il est ainsi de la responsabilité de tous de créer à l’école un environnement propice et paisible à l’enseignement et au développement des enfants.

5. Conclusions

75. La protection des droits des personnes handicapées a connu un tournant majeur avec l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées en 2008. Ce traité incontournable sert d’instrument de référence aux travaux dans ce domaine tant par les organisations internationales, comme le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, que les organisations non gouvernementales. Sa mise en œuvre constitue toutefois un défi pour l’ensemble des Etats Parties. Il en va ainsi de la reconnaissance de la capacité juridique des personnes handicapées qui implique de reconsidérer les mécanismes de tutelle existants dans nos Etats membres. La tendance actuelle va en effet dans le sens du développement des mécanismes d’accompagnement à la prise de décision, en complément, voire en remplacement, des mécanismes de prise de décision substitutifs. Des bonnes pratiques existent dans ce domaine et méritent notre attention.
76. Le handicap doit être intégré dans toutes les activités, initiatives et politiques (éducation, emploi, transport, marchés publics, etc.) de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et des diverses organisations internationales. Cela est fondamental pour progresser vers l’égalité de droits et la pleine inclusion des personnes handicapées. Les parlements nationaux devraient veiller à ce que les mesures d’austérité et les restrictions budgétaires soient conçues de façon à préserver autant que faire se peut les politiques en faveur de l’égalité des personnes handicapées. Il est tout aussi essentiel que la conception et le développement de politiques et mesures dans le domaine du handicap se fassent en concertation avec les organisations représentatives des personnes handicapées.
77. Le Plan d’action du Conseil de l’Europe 2006-2015 a contribué au développement de politiques nationales prenant en compte les droits des personnes handicapées mais également à changer la perception du handicap en une question relevant des droits humains. Les efforts doivent se poursuivre. Le Plan d’action doit être évalué sans tarder et de nouvelles actions doivent être définies par le Conseil de l’Europe dans le domaine du handicap. Les questions fondamentales que sont la capacité juridique, la désinstitutionalisation des personnes handicapées et la violence à l’égard des personnes handicapées doivent faire l’objet d’une attention prioritaire, y compris de l’Assemblée parlementaire.
78. Les personnes handicapées représentent plus de 80 millions de personnes en Europe. Chacun d’entre nous est susceptible au cours de sa vie de se trouver en situation de handicap. Les personnes handicapées ne doivent plus être invisibles ou silencieuses. L’égalité et l’insertion des personnes handicapées dans nos sociétés sont l’affaire de tous.