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Avis de commission | Doc. 13689 | 28 janvier 2015

Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie

Commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles

Rapporteur : M. Hans FRANKEN, Pays-Bas, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: renvoi 4105 du 26 janvier 2015. Commission saisie du rapport: Commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi). Voir Doc. 13685. Avis approuvé par la commission le 27 janvier 2015. 2015 - Première partie de session

A. Conclusions de la commission

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La commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles est d’avis que la proposition contenue dans le rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe relatif aux pouvoirs de la délégation russe (Doc. 13685) est conforme au Règlement de l’Assemblée et au Statut du Conseil de l’Europe (STE n° 1).

Par ailleurs, compte tenu de son mandat qui lui donne compétence pour examiner toute question relative aux privilèges et immunités des membres de l’Assemblée parlementaire, la commission souhaite présenter un amendement relatif à la situation de Mme Nadiia Shavtchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, actuellement détenue en Fédération de Russie.

B. Amendement proposé

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Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 11, après la deuxième phrase, ajouter la phrase suivante:

«Elle demande que la Fédération de Russie respecte ses obligations de droit international, en tant que Partie à l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et son Protocole, en vertu desquels Mme Nadiia Savtchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, jouit d’une immunité parlementaire européenne».

C. Exposé des motifs, par M. Franken, rapporteur pour avis

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1. Introduction

1. A l’ouverture de la session 2015, le 26 janvier, M. Robert Walter, soutenu par le nombre requis de membres de l’Assemblée parlementaire, a contesté les pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire russe pour des raisons substantielles, en vertu de l’article 8 du Règlement. M. Walter a mentionné l’existence d’une violation grave des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe mentionnés à l’article 3 et dans le préambule du Statut du Conseil de l'Europe, ainsi que le non-respect par la Russie de ses obligations et engagements, ce pays occupant, avec l’appui de ses parlementaires, le territoire d’un autre Etat membre du Conseil de l’Europe. L’Assemblée parlementaire a décidé de renvoyer la contestation à la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe pour rapport et, conformément à l’article 8.3 du Règlement, pour avis à la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles.
2. La commission du Règlement examinera donc, dans le présent avis, si la proposition formulée par la commission de suivi dans son rapport est conforme au Règlement, notamment à ses articles 8 et 10, ainsi qu’au Statut du Conseil de l'Europe.

1.1. Réflexions conduites par la commission du Règlement suite à la Résolution 1990 (2014) ayant sanctionné la délégation parlementaire russe

3. Au cours de la partie de session d’avril 2014, l’Assemblée a adopté la Résolution 1990 (2014) sur le réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe, dans laquelle, «afin de marquer sa condamnation et sa désapprobation face aux agissements de la Fédération de Russie à l’égard de l’Ukraine, l’Assemblée décide de suspendre les droits suivants de la délégation de la Fédération de Russie jusqu’à la fin de la session de 2014: droit de vote; droit d’être représenté au Bureau de l’Assemblée, au Comité des présidents et à la Commission permanente; droit de participer à des missions d’observation des élections» (paragraphe 15).
4. Le Bureau de l’Assemblée ayant considéré que la décision prise par l’Assemblée nécessitait quelques clarifications, il a invité, le 11 avril 2014, «la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles à établir une liste de droits de participation ou de représentation dont les membres peuvent être privés ou suspendus dans le cadre de la contestation ou du réexamen des pouvoirs selon les articles 7, 8 et 9 du Règlement de l’Assemblée».
5. Ainsi, lors de sa réunion du 30 septembre 2014, la commission du Règlement a approuvé un avis au Bureau, après avoir examiné la question de manière détaillée et approfondie, qui comporte :
  • une liste générale, mais non exhaustive, des droits de participation et de représentation aux activités de l’Assemblée et de ses organes pouvant faire l’objet d’une suspension ou d’une privation, dans le contexte d’une contestation des pouvoirs;
  • des principes généraux, visant à encadrer la décision de l’Assemblée afin de respecter l’exigence de sécurité juridique qui doit prévaloir pour toute décision de privation ou de suspension de droits. Ainsi, l’Assemblée doit veiller:
    • à ce que la décision soit juridiquement cohérente et rationnelle sur le plan réglementaire;
    • à ce que la décision soit compréhensible et lisible;
    • à éviter d’adopter des sanctions contradictoires;
    • à ne pas adopter de sanctions qui pourraient donner lieu à interprétation quant à leurs conséquences pratiques;
    • à la proportionnalité de la «sanction» au regard des violations en cause.
6. La présente contestation des pouvoirs fournit donc à la commission du Règlement sa première opportunité de vérifier la compatibilité de la proposition émanant de la commission de suivi avec les principes qu’elle a fixés à la demande du Bureau.

1.2. Précédents et exemples de sanctions prises par l’Assemblée parlementaire

7. L’Assemblée n’aura, à ce jour, fait usage des dispositions réglementaires lui permettant de «sanctionner» une délégation parlementaire qu’en de très rares occasions:
  • en avril 2000, l’Assemblée sanctionnait la délégation russe, dont les pouvoirs ratifiés avaient été contestés pour des raisons substantielles en relation avec le conflit en Tchétchénie, en privant ses membres «de leurs droits de vote à l’Assemblée et dans ses organes» (la délégation recouvrait l’intégralité de ses droits de participation et de représentation en janvier 2001, par l’adoption de la Résolution 1241 (2001));
  • en janvier 2004, elle suspendait les membres des délégations d’Irlande et de Malte «de leur droit de vote à l’Assemblée et dans ses organes», jusqu’à ce que la composition de ces délégations soit conforme, leurs pouvoirs ayant été contestés pour des raisons formelles au motif que cette composition ne respectait pas les conditions réglementaires de représentation des deux sexes (Résolution 1360 (2004); les délégations concernées ont recouvré leur droit de vote en avril 2004);
  • en dernier lieu, en avril 2014, les pouvoirs ratifiés de la délégation russe ont été contestés pour des raisons substantielles en relation avec la violation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine par les forces armées russes ; l’Assemblée a décidé de suspendre le droit de vote ainsi que certains droits de participation et de représentation de ses membres jusqu’à la fin de la session de 2014 (Résolution 1990 (2014)).
8. On relèvera également que, à deux reprises, l’Assemblée a adopté des mesures de «sanction différée», en décidant, en janvier 2011 dans le cas d’une contestation, pour des raisons formelles, des pouvoirs non encore ratifiés des délégations parlementaires du Monténégro, de Saint-Marin et de la Serbie, puis en juin 2013 dans un cas identique concernant la délégation de l’Islande, de ratifier les pouvoirs de ces délégations, mais de suspendre le droit de vote de leurs membres à l’Assemblée et dans ses organes, à compter du début de la partie de session suivante et jusqu’à ce que leur composition soit conforme aux critères posés par le Règlement s’agissant de la représentation des deux sexes.
9. S’agissant donc de répondre à des contestations de pouvoirs fondées sur des raisons substantielles (et non formelles), l’Assemblée n’aura en fin de compte décidé de sanctionner une délégation qu’en deux occasions (suspension du droit de vote des membres de la délégation russe entre avril 2000 et janvier 2001 ; suspension du droit de vote et de certains droits de participation et de représentation des membres de la délégation russe entre avril 2014 et janvier 2015) 
			(1) 
			Dans un passé plus
éloigné, donc en dehors de toute procédure réglementairement établie,
l’Assemblée ne s’est pas interdit de sanctionner une délégation
parlementaire en réaction à la violation par un Etat membre de ses
obligations statutaires: 
			(1) 
			– Confrontée à la situation
en Grèce, suite au coup d‘Etat militaire de 1967 et à l’instauration
du «régime des colonels», l’Assemblée décida «ne pas reconnaître
les pouvoirs de tout délégué censé représenter le Parlement grec
tant qu’elle ne sera pas convaincue que la liberté d’expression
a été rétablie et qu’un parlement libre et représentatif a été élu en
Grèce» (Recommandation
547, janvier 1969). Cette décision précéda de quelques mois
le retrait de la Grèce du Conseil de l'Europe (décembre 1969 – novembre
1974). 
			(1) 
			– Prenant en compte la situation en Turquie,
à l’issue du coup d’Etat militaire de 1980, l’Assemblée décida,
en mai 1981, de ne pas envisager de prolonger le mandat de la délégation
turque (Directive 398), puis, en septembre 1983, que le parlement élu «ne
pourra pas être considéré comme représentant démocratiquement le
peuple turc et ne saurait constituer valablement une délégation
pour participer aux travaux de l’Assemblée parlementaire» (Résolution 803)..

2. Conformité de la demande de contestation des pouvoirs de la délégation parlementaire russe au Règlement

10. La commission rappelle qu’une demande de contestation des pouvoirs d’une délégation doit répondre à certaines conditions de recevabilité formelle.
11. L’article 8.1 dispose que «les pouvoirs non encore ratifiés d’une délégation nationale dans son ensemble peuvent être contestés pour les raisons substantielles énoncées dans le paragraphe 2 par au moins trente membres de l’Assemblée présents dans la salle des séances, appartenant à cinq délégations nationales au moins (…)» et que «la contestation doit être dûment motivée par ses auteurs».
12. Aux termes de l’article 8.2:
«Les raisons substantielles pour lesquelles les pouvoirs peuvent être contestés sont:
a. une violation grave des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe mentionnés à l’article 3 
			(2) 
			Article 3: «Tout membre
du Conseil de l'Europe reconnaît le principe de la prééminence du
droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous
sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. Il s’engage à collaborer sincèrement et activement
à la poursuite du but défini au chapitre Ier.» et dans le préambule du Statut; ou
b. le manque de respect persistant des obligations et engagements et le manque de coopération dans le processus de suivi de l’Assemblée».
13. La commission du Règlement s’est en effet montrée particulièrement soucieuse, ces dernières années, de ce que toute procédure de contestation ou de réexamen des pouvoirs soit fondée sur une demande dûment motivée «s’agissant d’une procédure d’une importance politique majeure, qui nécessite d’être conduite avec rigueur en raison des conséquences qu’elle emporte, et qui ne saurait être utilisée comme un simple moyen de pression» 
			(3) 
			Voir
avis de la commission sur le «Réexamen des pouvoirs déjà ratifiés
de la délégation russe pour des raisons substantielles» (Doc. 11728), et avis de la commission sur «La mise en œuvre par
l’Arménie des Résolutions
1609 (2008) et 1620 (2008) de l’Assemblée» (Doc.
11799). . Dans le cas de la présente contestation, la commission ne peut que constater que les conditions fixées par le Règlement ont été respectées.

3. Examen de la proposition de la commission de suivi

14. L’article 10 du Règlement «Décision de l’Assemblée sur la contestation ou le réexamen de pouvoirs» dispose que:
«10.1. Les rapports soumis à l’Assemblée ou à la Commission permanente conformément aux
articles 7.2, 8.3, 9.2 et 9.3 doivent contenir un projet de résolution proposant dans son dispositif
l’une des trois alternatives suivantes:
10.1.a. la ratification des pouvoirs, ou la confirmation de la ratification des pouvoirs,
10.1.b. la non-ratification des pouvoirs, ou l’annulation de la ratification des pouvoirs,
10.1.c. la ratification des pouvoirs, ou la confirmation de la ratification des pouvoirs, assortie de la privation ou de la suspension, applicable aux membres de la délégation concernée, de l’exercice de certains des droits de participation ou de représentation aux activités de l’Assemblée et de ses organes.»
15. La commission de suivi propose, aux paragraphes 14, 15 et 16 du projet de résolution:
«14. Afin de favoriser le dialogue avec la Fédération de Russie, l’Assemblée décide, pour l’instant, de ratifier les pouvoirs de la délégation russe. Mais dans le même temps, soucieuse d’exprimer clairement qu’elle condamne la poursuite des graves violations du droit international commises par la Fédération de Russie en Ukraine, notamment le non-respect du Statut du Conseil de l’Europe et des engagements pris par la Russie au moment de son adhésion à l’Organisation, elle décide de suspendre les droits ci-après de la délégation russe pour la durée de la session 2015 de l’Assemblée:
14.1. droit d’être désigné rapporteur;
14.2. droit d’être membre d’une commission ad hoc d’observation des élections;
14.3. droit de représenter l’Assemblée dans les instances du Conseil de l’Europe ainsi qu’auprès d’institutions et d’organisations extérieures, tant sur instruction qu’à titre occasionnel.
15. Outre les sanctions énoncées aux paragraphes 14.1 à 14.3, l’Assemblée décide de suspendre, lors de l’ouverture de la partie de session de juin 2015, les droits de vote et de représentation de la délégation russe au Bureau de l’Assemblée, au Comité des Présidents et à la Commission permanente s’il devait s’avérer que la Russie n’a pas fait de progrès tangibles et mesurables pour donner suite aux exigences formulées par l’Assemblée aux paragraphes 4.1 à 4.4, 5.1 à 5.3, 7.1 à 7.9, 11 et 12.1 à 12.4 de la présente Résolution et n’a pas apporté sa pleine et entière coopération au groupe de travail mentionné au paragraphe 17 de ladite résolution.
16. L’Assemblée décide d’annuler les pouvoirs de la délégation russe lors de sa partie de session de juin 2015 si aucune avancée n’est constatée pour ce qui concerne la mise en œuvre des protocoles et du mémorandum de Minsk ainsi que les demandes et recommandations de l’Assemblée qui figurent dans la présente résolution, en particulier celles relatives au retrait immédiat des troupes russes de l’est de l’Ukraine.»
16. La commission du Règlement relève que le rapport de la commission de suivi fait état d’une aggravation de la situation dans l’Est de l’Ukraine, «des doutes quant à la volonté de la Russie d’honorer ses engagements s’agissant de ses relations avec les pays voisins» et «d’informations répétées et crédibles faisant état de violations des droits de l’homme voire de crimes de guerre». La commission pourrait donc s’interroger sur le respect du principe de proportionnalité de la «sanction» par rapport aux violations constatées.

4. Conclusions et proposition d’amendement

17. La commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles considère que le projet de résolution figurant au rapport présenté par la commission de suivi (Doc. 13685) est conforme au Règlement de l’Assemblée, notamment son article 10, et au Statut du Conseil de l'Europe.
18. Lors de sa réunion du 26 janvier 2015, le Bureau de l’Assemblée a demandé l’avis de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles sur le statut de Mme Nadiia Savtchenko au regard de l’immunité du Conseil de l’Europe. La commission a, donc, examiné dans quelle mesure Mme Savtchenko pouvait se prévaloir de la protection de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et son Protocole (voir avis au Bureau, document AS/Pro (2015) 04 def), et elle souhaite, en conséquence, que ses conclusions trouvent à se traduire dans le projet de résolution.
19. La commission du Règlement considère qu’ayant été amenée à examiner le statut de Mme Savtchenko au regard de l’immunité parlementaire conférée par l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe et son Protocole, il lui revient d’amender le projet de résolution présenté afin d’appeler les autorités russes à respecter leurs obligations et engagements relevant du droit international, au titre de ces deux conventions.