Imprimer
Autres documents liés

Résolution 2031 (2015) Version finale

Attaques terroristes à Paris: ensemble, pour une réponse démocratique

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 janvier 2015 (5e séance) (voir Doc. 13684, rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur: M. Jacques Legendre). Texte adopté par l’Assemblée le 28 janvier 2015 (5e séance).Voir également la Recommandation 2061 (2015).

1. L’Assemblée parlementaire est indignée par les attaques terroristes barbares des 7, 8 et 9 janvier 2015 à Paris, qui ont causé la mort de 17 personnes, au nombre desquelles figuraient des journalistes, des caricaturistes et des membres du personnel tués de sang-froid au siège du journal satirique Charlie Hebdo, des policiers et des personnes de confession juive. L’Assemblée s’associe à la douleur des familles des victimes et exprime sa solidarité au côté des autorités et du peuple français.
2. Plus qu’une attaque contre la liberté d’expression ou qu’un nouvel acte de violence antisémite – ce qu’elles étaient aussi – ces attaques visaient les valeurs mêmes de démocratie et de liberté en général, le type de société que notre Organisation paneuropéenne s’attache à bâtir depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
3. Ces attaques terroristes se fondaient sur la haine, que rien ne saurait justifier, et il convient de rejeter fermement toute tentative de trouver des excuses aux actes des meurtriers. Il ne doit pas y avoir de «mais». Comme le déclare l’Assemblée dans sa Résolution 1258 (2001) sur les démocraties face au terrorisme, «rien ne peut justifier le terrorisme».
4. Par ailleurs, l’Assemblée tient à souligner que, bien évidemment, ces attaques terroristes n’étaient pas le fruit d’un prétendu complot destiné à stigmatiser l’Islam ou les musulmans, mais une action concertée destinée à réduire au silence, par le crime, des journalistes et un journal emblématiques de la liberté d’expression; et à tuer des personnes pour la seule raison qu’elles sont juives ou des policiers parce qu’ils incarnent la défense des institutions et l’Etat de droit.
5. L’Assemblée rappelle que, conformément à une jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme, l’utilisation de la satire, y compris irrévérencieuse, et les informations ou idées «offensantes, choquantes ou perturbantes», y compris les critiques de la religion, sont protégées dans le cadre de la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»). Ce sont là les conditions de ce pluralisme, de cette tolérance et de cette ouverture d’esprit sans lesquels il ne saurait y avoir de société démocratique.
6. Liberté rime avec responsabilité, et il incombe aux institutions démocratiques, notamment les tribunaux, de trouver le juste équilibre entre la liberté d’expression et ses limitations autorisées, par exemple le discours de haine et l’incitation à la violence – qui devraient figurer dans la législation de tous les Etats européens – sous l’ultime contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1510 (2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses dans laquelle elle déclarait que «la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux».
7. L’Assemblée note que le fait que les terroristes aient revendiqué leur action «au nom de l’Islam», insultant par là même la religion qu’ils prétendaient défendre, a incité bon nombre de figures religieuses musulmanes de premier plan, de représentants d’associations islamiques mais aussi un très grand nombre de citoyens de confession musulmane à condamner les attaques et à mettre en garde contre le risque de stigmatisation. L’Assemblée condamne fermement tous les actes malveillants, actuellement en augmentation, à l’encontre des citoyens de confession musulmane et de leurs lieux de culte.
8. Dans le même temps, le fait que les trois djihadistes aient été des Français, qui sont nés et ont grandi dans un milieu défavorisé, et que bon nombre de personnes se disant musulmanes, en particulier parmi les jeunes, aient pris le parti des terroristes dans les réseaux sociaux, a déclenché un double débat: d’une part sur la nécessité d’apporter d’urgence une réponse commune, internationale mais aussi spécifiquement européenne, à la menace djihadiste; et d’autre part sur la nécessité de combattre l’exclusion sociale, la discrimination, la violence et la ségrégation, qui font le lit du terrorisme et du fanatisme religieux.
9. Rappelant les actes de violence récemment commis à l’encontre de juifs à Toulouse et à Bruxelles, l’Assemblée réitère sa condamnation de tout acte antisémite. Elle écarte entièrement toute idée selon laquelle le conflit arabo-israélien ou les autres événements du Moyen-Orient ou d’autres régions pourraient éventuellement justifier ces actes au sein de nos sociétés démocratiques européennes.
10. Toute l’Europe a condamné d’une seule voix les attaques et porté le deuil des victimes innocentes des 7, 8 et 9 janvier 2015, et toute l’Europe a marché aux côtés de la France le dimanche 11 janvier 2015 pour exprimer son rejet du terrorisme, et déclarer son ferme attachement aux valeurs de démocratie et de liberté. Toute l’Europe doit maintenant, ensemble, trouver une réponse démocratique à la montée du terrorisme et de l’islamisme radical. Les valeurs sur lesquelles est fondée l’Europe ne sont pas dépassées. La démocratie, la liberté et les droits de l’homme méritent que l’on se batte pour eux.
11. L’Europe devra continuer de montrer qu’elle n’a pas peur et continuer d’utiliser l’humour et la satire. S’interdire de le faire pour être politiquement correct voudrait dire que les terroristes ont gagné. La laïcité, c’est-à-dire le principe de la séparation de l’Etat et des religions, doit également être protégée.
12. La liberté d’expression, en particulier celle des journalistes, des écrivains et autres artistes, doit être protégée et les gouvernements des Etats membres ne devraient pas interférer dans l’exercice de cette liberté, que ce soit dans la presse écrite ou les médias électroniques, y compris les médias sociaux. A cet égard, l’Assemblée condamne les déclarations faites par certaines autorités à l’encontre de la liberté des médias, dans les jours qui ont suivi les attaques contre Charlie Hebdo.
13. L’Assemblée est fermement convaincue que les démocraties ont le droit, et l’obligation, de se défendre lorsqu’elles sont attaquées. Elle estime donc que la lutte contre le terrorisme et le djihadisme doit être renforcée, tout en garantissant le respect des droits de l’homme, de l’Etat de droit et des valeurs communes défendues par le Conseil de l’Europe.
14. A cet égard, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1840 (2011) sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, dans laquelle elle déclarait que le concept d’une «guerre contre la terreur» était fallacieux et de peu d’utilité, et qu’il menaçait l’ensemble du cadre des droits de l’homme internationaux. Les terroristes sont des criminels, pas des soldats, et les crimes terroristes ne s’apparentent pas à des actes de guerre. Elle invite en particulier les Etats membres:
14.1. à faire en sorte qu’un juste équilibre soit trouvé pour défendre la liberté et la sécurité en évitant, ce faisant, de violer ces mêmes droits;
14.2. à éviter toute surveillance massive indiscriminée, qui s’est révélée inefficace pour la prévention du terrorisme et qui, donc, non seulement est dangereuse pour le respect des droits de l’homme, mais constitue aussi un gaspillage de ressources;
14.3. à doter les services répressifs, de sécurité et de renseignement de moyens appropriés et à former leurs personnels pour faire face aux menaces croissantes de terrorisme, y compris la menace djihadiste;
14.4. à faire en sorte que les services de renseignement des différents pays européens intensifient leur collaboration. La coopération avec d’autres démocraties, ainsi qu’avec les pays du Proche-Orient et le monde arabe, est également importante;
14.5. à partager, sous réserve de garanties appropriées en matière de protection des données, les fichiers nationaux de personnes condamnées pour des chefs de terrorisme ainsi que les informations sur les passagers des transports aériens constituant une menace pour la sécurité;
14.6. à suivre sérieusement les filières permettant d’acheminer de l’argent et des armes à des terroristes potentiels, pour démanteler ces réseaux et punir les coupables.
15. En outre, afin de renforcer l’action juridique contre le terrorisme, l’Assemblée:
15.1. invite les Etats membres du Conseil de l’Europe, et les pays voisins, qui ne l’ont pas encore fait, à signer et à ratifier, en priorité, la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196);
15.2. se réjouit de la préparation, qu’elle soutient pleinement, d’un protocole additionnel sur «les combattants terroristes étrangers» à la Convention pour la prévention du terrorisme, l’Assemblée suivant elle-même de près cette question;
15.3. soutient les demandes émanant de plusieurs Etats membres de l’Union européenne qui demandent au Parlement européen qu’il reconsidère sa position concernant le système de données personnelles des passagers (Passenger Name Record-PNR), qu’il bloque depuis près de deux ans, sous réserve de garanties appropriées concernant la protection des données.
16. L’Assemblée invite les journaux et les chaînes de télévision à envisager un code de conduite quant à la couverture des événements terroristes, conciliant la nécessaire liberté d’information avec les nécessités de l’action policière.
17. L’Assemblée souligne que les réponses apportées en matière de sécurité doivent s’accompagner de mesures préventives visant à éradiquer les causes mêmes de la radicalisation et de l’essor du fanatisme religieux, spécialement chez les jeunes. A cet égard, l’Assemblée demande aux Etats membres en particulier:
17.1. d’analyser avec soin la situation dans les prisons et la manière dont les prisonniers sont endoctrinés pour le terrorisme, et en particulier le djihadisme, et de prendre des mesures pour lutter contre ce phénomène;
17.2. de surveiller de près internet et les réseaux sociaux, en vue notamment de lutter contre le discours de haine, la radicalisation et le cyberdjihadisme;
17.3. d’accorder des moyens et des ressources appropriés aux écoles et aux enseignants pour promouvoir l’éducation à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme, en ciblant plus particulièrement l’éducation dans des contextes marginalisés et défavorisés;
17.4. de promouvoir le dialogue interculturel et le modèle du «vivre ensemble», notamment dans les écoles;
17.5. de prendre des mesures pour combattre la marginalisation, l’exclusion sociale, la discrimination et la ségrégation, en particulier chez les jeunes de quartiers défavorisés;
17.6. de soutenir les familles dans leur rôle d’éducation de leurs enfants au respect des valeurs de la démocratie et de la tolérance;
17.7. de protéger les journalistes, les écrivains et autres artistes des menaces extrémistes, et de s’abstenir de toute ingérence avec l’exercice de leur liberté d’expression, dans le respect de la loi, que ce soit dans les médias sur support papier ou électronique, y compris dans les médias sociaux;
17.8. de soutenir l’action du Conseil de l’Europe dans les domaines susmentionnés et d’allouer les moyens et les ressources appropriés, conformément aux propositions formulées par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.
18. Pour sa part, l’Assemblée décide de continuer à suivre de près et de s’efforcer de relever, par les travaux de ses commissions et de l’Alliance parlementaire contre la haine, nouvellement créée, les principaux défis issus des récentes attaques terroristes à Paris, à savoir: la nécessité de vivre ensemble; la montée de la menace djihadiste et la question des djihadistes venus d’Europe pour combattre en Irak et en Syrie; la protection des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme; la nécessité de combattre les causes de la radicalisation et du fanatisme religieux, telles que l’exclusion sociale, la discrimination voire la ségrégation; le processus de radicalisation dans les prisons; la poursuite de la lutte contre le discours de haine, le racisme et l’intolérance, y compris l’antisémitisme et l’islamophobie; et le rôle de l’éducation à la citoyenneté démocratique, aux droits de l’homme et au dialogue interculturel.