1. Introduction
1. L’accès à la justice est une large notion qui renvoie
à l’ensemble des mesures visant à améliorer l’accès aux tribunaux,
à la représentation juridique et aux modes alternatifs de résolution
des conflits, ainsi que l’accès aux instances de promotion de l’égalité
et aux institutions de médiation et l’action de ces dernières, qui
ont pour mission de combler l’écart entre la législation et la jouissance
concrète des droits. L’accès à la justice implique mais dépasse
largement le droit à un recours effectif, le droit d’accès aux tribunaux
sur un pied d’égalité, le droit à un procès équitable ou le droit
à une aide judiciaire octroyée aux justiciables qui ne disposent
pas de ressources suffisantes
.
Il ne renvoie pas seulement au stade initial de l’engagement d’une
action en justice pour obtenir réparation de la violation d’un droit,
mais à l’ensemble de la procédure.
2. Bien que l’accès à la justice soit l’un des aspects inhérents
à l’Etat de droit, il est trop souvent un luxe dans l’Europe d’aujourd’hui.
Un nombre considérable d’éléments qui confirment que certains groupes,
parmi lesquels les femmes, les membres de minorités nationales,
les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres),
les personnes handicapées et les migrants, se heurtent à des obstacles
dans leur accès à la justice ont été collectés par des instances
internationales et nationales dignes de foi. Cette situation est
particulièrement inquiétante, puisque ces mêmes groupes risquent
aussi d’être plus souvent la cible d’une discrimination directe
ou indirecte et parfois victimes de la criminalité.
3. Les mesures d’austérité renforcent le défi que représente
l’accès à la justice en fragilisant davantage encore la situation
des personnes qui appartiennent aux groupes susmentionnés mais également
en restreignant de manière générale l’accès à la justice selon des
critères de revenus: c’est particulièrement le cas dans les pays
où les frais de dépôt de plainte ou de justice augmentent et dans
ceux où les régimes d’aide judiciaire sont révisés à la baisse à
l’occasion des examens des dépenses.
4. L’accès à la justice figure au cœur des travaux de la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, car sans lui, la législation
et les politiques relatives à la promotion de l’égalité et à la
lutte contre la discrimination ne peuvent se concrétiser, en dépit
des meilleures intentions du législateur et des décideurs qui les
ont mises en place. Il n’est donc guère surprenant que le présent
rapport s’inspire de plusieurs activités de la commission, y compris
de celles qui visent des groupes particuliers comme le récent rapport
sur l’égalité et «L’insertion des personnes handicapées» de Mme Carmen
Quintanilla (Espagne, PPE/DC)
.
5. Si certains groupes de personnes rencontrent davantage de
difficultés que d’autres dans leur accès à la justice, la plupart
des obstacles auxquels ils se heurtent leur sont communes. En effet,
les conditions d’accès à la justice sont trop souvent entravées
par des problèmes d’ordre juridique et d’ordre pratique, qu’il est nécessaire
d’identifier et de résoudre pour garantir à tous un égal accès à
la justice.
2. Conditions
d’accès à la justice et obstacles associés
2.1. La notion d’accès
à la justice
6. «L’accès à la justice» est davantage une formule
descriptive qu’un concept juridique. La Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»)
se rapporte au droit à un procès équitable (article 6) et au droit
à un recours effectif (article 13). Tous les autres principaux instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme en font de même, y
compris la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques. La notion
d’accès à la justice est évoquée dans plusieurs passages de l’Observation
générale no 32 du Comité des droits de
l’homme des Nations Unies, qui traite du droit à l’égalité devant
les tribunaux et les cours de justice et du droit à un procès équitable.
7. Le premier instrument international contraignant à mentionner
expressément l’accès à la justice est le traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne: l’article 67.4 précise que «l’Union facilite
l’accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance
mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière
civile».
8. Selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne
(FRA)
, cette notion comporte
les éléments suivants:
- le droit
à un recours effectif;
- le droit à être entendu de manière équitable dans un délai
raisonnable par une instance indépendante et impartiale, déjà établie
par la loi;
- le droit d’être conseillé, défendu et représenté;
- le droit, pour les personnes qui ne disposent pas de ressources
suffisantes, de bénéficier d’une aide judiciaire.
9. De plus, l’accès à la justice doit être considéré d’une manière
plus large que la simple approche procédurale, en mettant davantage
l’accent sur la garantie que les résultats de l’examen judiciaire
sont eux-mêmes «justes et équitables».
10. Il importe de souligner que la notion d’accès à la justice
ne se limite pas aux organes judiciaires, mais englobe aussi d’autres
mécanismes de règlement des litiges, tels que les procédures quasi
judiciaires qui peuvent être engagées devant des organismes de promotion
de l’égalité, des institutions nationales des droits de l’homme
ou des institutions de médiation. Ainsi que l’a précisé la Cour
européenne des droits de l’homme, la validité de ces mécanismes
doit être reconnue, sous réserve que leurs décisions puissent, en
dernier ressort, être contrôlées par un organe judiciaire et qu’elles
satisfassent à l’exigence générale d’équité
.
11. Nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe prévoient la
possibilité, pour les particuliers, d’engager une procédure non
judiciaire afin d’obtenir réparation dans certaines catégories d’affaires
touchant au droit de la famille, aux litiges commerciaux ou à des
questions pénales s’agissant des procédures d’indemnisation des victimes.
Les procédures non judiciaires constituent souvent pour les victimes
une solution plus rapide et moins chère, qui mériterait d’être étudiée
de manière plus approfondie par les Etats membres. A cet égard,
il est intéressant de noter que 18 Etats membres du Conseil de l’Europe
accordent une aide judiciaire en dehors des procédures judiciaires
– par exemple dans le cadre des modes alternatifs de résolution
des conflits ou des procédures de nature transactionnelle – dans
le but de réduire le volume d’affaires et de faciliter l’accès au droit
. Par
exemple, la Lituanie apporte une aide judiciaire qui comprend les
conseils relatifs au règlement hors tribunal des différends, les
actions en vue du règlement à l’amiable des litiges et la rédaction
d’un accord de règlement
. De
mon point de vue, il s’agit d’une bonne pratique qui devrait être
appliquée par d’autres Etats membres.
12. Cela étant, j’aimerais rappeler que l’article 48.1 de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210)
interdit les modes alternatifs de résolution des conflits et les
condamnations obligatoires en ce qui concerne toutes les formes
de violence visées par le champ d’application de ladite convention.
Cette disposition vise à prendre en compte les effets préjudiciables
que peuvent avoir ces modes alternatifs dans de tels cas, tout particulièrement lorsqu’ils
sont obligatoires et qu’ils se substituent aux procédures juridictionnelles
contradictoires. Comme le souligne le rapport explicatif à la convention,
les victimes de ces violences ne peuvent jamais recourir aux processus
de règlement extrajudiciaire des différends sur un pied d’égalité
avec l’auteur de l’infraction. Il incombe donc à l’Etat de leur
permettre de réclamer justice en engageant une procédure juridictionnelle contradictoire
dirigée par un juge impartial sur la base du droit national en vigueur.
13. J’estime que la mise en place d’organismes indépendants de
promotion de l’égalité chargés d’apporter une assistance et des
informations aux victimes de discrimination, en particulier en ce
qui concerne leur accès à la justice ainsi que le suivi et le signalement
des problèmes de discrimination, est une bonne pratique qui a des
répercussions positives sur l’accès à la justice. En France, le
Défenseur des droits, autorité administrative indépendante, soutient
les victimes de discrimination pour qu’elles bénéficient d’un réel
accès à la justice, et ce en leur apportant une aide judiciaire
et en les aidant à réunir des éléments de preuve d’actes discriminatoires.
Cette institution peut aussi fournir des services de médiation liés
aux relations avec l’administration ou avec la police, et joue un
rôle important de sensibilisation et d’information en ce qui concerne
la lutte contre la discrimination, à telle enseigne qu’il est de
plus en plus fait appel à elle
.
14. Chaque élément constitutif de l’accès à la justice, en tant
que notion générale, fait face à plusieurs obstacles qui empêchent
l’égal accès à la justice. Pour certaines catégories de personnes,
ces obstacles – qu’ils soient sociétaux, sociaux ou juridiques –
sont plus difficiles à surmonter. Il est donc nécessaire de faire mieux
connaître les différents types d’obstacles à l’accès à la justice
et de recommander des méthodes pour y faire face.
2.2. Connaissance des
droits et procédures: l’accès à l’information
15. Une large diffusion des informations sur les droits
et sur les procédures est essentielle pour permettre un accès effectif
à la justice. De fait, les groupes qui sont les plus susceptibles
de subir des discriminations sont également ceux qui risquent de
méconnaître leurs droits et les voies de recours existantes. Il
est donc nécessaire de donner à ces groupes les moyens d’agir en
leur apportant des informations.
16. Dans un rapport publié en 2012, l’Agence des droits fondamentaux
indique que l’absence ou l’inadéquation des informations sur l’entité
où porter plainte et sur les démarches ultérieures ainsi que la complexité
et la nature technique du langage utilisé figurent parmi les obstacles
les plus importants de l’accès à l’information
. Il est également intéressant de
noter que la FRA a constaté que des informations ciblées concernant
les dispositions juridiques liées à des cas concrets sont plus efficaces
que des connaissances générales diffusées plus largement.
17. Quoi qu’il en soit, le fait de savoir où porter plainte n’est
que la première étape avant que l’affaire ne soit portée devant
les tribunaux. Une répartition géographique insuffisante ou inégale
des institutions judiciaires peut compromettre l’accès matériel
à ces institutions, en particulier pour les personnes qui vivent
dans des endroits reculés ou en milieu rural et pour les personnes
handicapées. A cet égard, la Commission européenne pour l’efficacité
de la justice (CEPEJ) note une tendance générale de la plupart des
Etats membres à réformer la carte judiciaire s’accompagnant d’une
réduction du nombre de tribunaux. Les conséquences de ces réformes
peuvent être compensées par le développement de la justice en ligne,
qui apparaît être une nette tendance en Europe. La CEPEJ souligne
également que, dans l’ensemble, l’information aux usagers des services
judiciaires dans les Etats membres se développe, en particulier
grâce à l’utilisation d’internet comme un outil central de communication
et à la création de sites internet officiels consacrés à la diffusion d’informations
juridiques. Ces mesures résultent en général en un accès facilité
à l’information
. Cependant, cette
évolution pourrait se faire au détriment des personnes qui n’ont
pas accès à l’internet (par exemple, les personnes sans abri et
les personnes vivant dans la pauvreté).
18. Comme le souligne la CEPEJ, il ne se dégage pas de tendance
nette vers une augmentation des mécanismes spécifiques d’information.
Lorsqu’ils existent, ces mécanismes s’appliquent essentiellement
aux victimes de viol et de violence domestique. Il est cependant
essentiel, pour améliorer l’accès à la justice, de faire connaître
les droits et les procédures à chaque groupe de population vulnérable.
A cet égard, la mise en œuvre de stratégies de communication visant
des groupes particuliers en vue de promouvoir la connaissance des
droits et des procédures pertinentes par le biais de campagnes et
de programmes – conçus selon de multiples formats et évitant le
jargon technique – contribuerait à sensibiliser les catégories de
personnes particulièrement vulnérables. Notamment, le recours à
des organisations communautaires, qui ont une connaissance approfondie
de la manière d’atteindre les groupes cibles dont elles s’occupent,
pourrait être un moyen efficace de répondre aux besoins de ces personnes,
qui trouveraient ainsi les informations nécessaires directement
au sein de leur communauté.
19. Les migrants, les réfugiés et les apatrides sont susceptibles
de rencontrer des difficultés liées à leur connaissance limitée
de la langue du pays d’accueil. Ce constat vaut également, dans
une certaine mesure, pour les personnes appartenant à des minorités
linguistiques. A cet égard, la création de services d’information multilingues
aurait des effets positifs sur la diffusion des connaissances juridiques.
Une solution consisterait à mettre en place des centres d’information
spéciaux ou à travailler en collaboration avec des organisations
non gouvernementales (ONG) spécialisées dans l’assistance aux migrants,
aux réfugiés et aux apatrides dans leurs démarches auprès des institutions
pour ce qui concerne la diffusion des informations sur le système judiciaire.
En Belgique, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et
la lutte contre le racisme et la discrimination garantit l’accessibilité
aux informations qu’il fournit en les présentant dans plusieurs
langues, y compris en langue des signes et en braille
.
20. Plus généralement, il importe de noter que les médias jouent
un rôle particulièrement utile dans la diffusion de l’information.
La FRA souligne qu’un sixième des requérants interrogés au cours
de son étude avaient acquis leurs connaissances sur leurs droits
et sur les procédures judiciaires appropriées dans les médias. J’aimerais
souligner que la coopération entre les pouvoirs publics et les médias
peut donc largement contribuer à la diffusion d’informations juridiques
dans la population. A cet égard, le recours à des intermédiaires,
comme les ONG spécialisées dans les problèmes que rencontrent certains
groupes, par exemple les personnes LGBT, les femmes ou les réfugiés,
peut aussi améliorer de façon significative la diffusion d’informations
concernant les droits de certaines catégories de personnes.
2.3. Aide judiciaire
21. Il est particulièrement important que soit assurée
l’aide judiciaire en tant que garantie fondamentale de l’accès à
la justice. La mise en place des systèmes d’aide judiciaire vise
à lever les obstacles financiers auxquels se heurtent les personnes
qui n’ont pas suffisamment de ressources pour intenter une action
en justice.
22. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme
garantit le droit à un procès équitable dans les procédures civiles
et pénales. Ce droit inclut le droit à l’aide judiciaire pour toute
personne visée par une accusation pénale, ainsi que le prévoit expressément
l’article 6.3.
c de la Convention,
et, conformément à la jurisprudence de la Cour, le droit à l’aide
judiciaire en matière civile dans certaines circonstances
. La Cour a constamment
affirmé que le droit à une aide judiciaire gratuite en matière civile,
comprenant des conseils juridiques et la représentation en justice,
intervient uniquement lorsqu’une partie ne dispose pas de ressources suffisantes
et qu’une assistance juridique est indispensable pour garantir effectivement
l’égalité des armes
.
23. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a encouragé
à maintes reprises les Etats membres à mettre en place des systèmes
d’aide judiciaire, notamment dans sa Résolution (76) 5 concernant
l’assistance judiciaire en matière civile, commerciale et administrative,
dans sa Résolution (78) 8 sur l’assistance judiciaire et la consultation
juridique, et dans sa Recommandation no R
(93) 1 relative à l’accès effectif au droit et à la justice des
personnes en situation de grande pauvreté. Le Conseil de l’Europe
a aussi adopté l’Accord européen sur la transmission des demandes
d’assistance judiciaire (STE no 92),
qui établit une procédure permettant à toute personne qui a sa résidence
habituelle sur le territoire d’une des Parties contractantes et qui
désire demander l’assistance judiciaire sur le territoire d’une
autre Partie de présenter sa demande dans l’Etat de sa résidence
habituelle. A ce jour, 31 Etats membres ont ratifié cet accord.
Il serait souhaitable d’encourager de nouvelles ratifications.
24. Deux formes d’aide judiciaire existent:
- l’exonération ou la prise en charge de la totalité ou
d’une partie des frais de justice;
- l’assistance d’un avocat qui conseille la personne concernée
et la représente en justice, soit à titre gratuit, soit à un tarif
subventionné.
25. Au cours de l’audition organisée le 27 janvier 2015 par la
commission sur l’égalité et la non-discrimination, M. Stéphane Leyenberger,
secrétaire de la CEPEJ, a indiqué que tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe disposaient de mécanismes d’aide judiciaire en matière
civile et en matière pénale mais a souligné que deux Etats membres
seulement, la France et le Luxembourg, accordaient un accès gratuit
à tous les tribunaux et pour toutes les affaires.
26. Les systèmes d’aide judiciaire varient considérablement selon
les Etats membres du Conseil de l’Europe
. Dans de nombreux pays
d’Europe centrale et orientale et en Italie, l’utilisation de l’aide
judiciaire est prédominante en matière pénale; on observe un équilibre
entre l’aide judiciaire en matière pénale et l’aide judiciaire en
matière civile dans le nord de l’Europe (Albanie, Angleterre et
Pays de Galles, Islande, Danemark, Norvège) alors que l’aide judiciaire
est utilisée surtout en matière civile dans d’autres Etats membres (Allemagne,
France, Pays-Bas, Suisse). Par ailleurs, la plupart des Etats membres
fournissent aux individus les deux formes d’aide judiciaire. La
CEPEJ souligne en outre que l’aide judiciaire se généralise et s’étend: 26 Etats
membres ont augmenté leur budget consacré à l’aide judiciaire et
seuls 8 Etats l’ont diminué, dans le cadre de réductions budgétaires
générales (notamment Angleterre et Pays de Galles, l’Espagne, les
Pays-Bas)
.
27. Les critères d’éligibilité incluent normalement une condition
de ressources. Dans certains cas, et seulement dans les affaires
non pénales, le bien-fondé de l’action en justice et son issue probable
sont également évalués. En règle générale, l’aide judiciaire est
accordée en fonction des ressources financières de l’intéressé.
Dans certains pays, certaines catégories de personnes sont éligibles
à l’aide judiciaire sans examen préalable de leur situation (Bosnie-Herzégovine,
Croatie, Espagne, Lettonie, Monaco, Monténégro, Turquie), tandis
que d’autres Etats ont mis en place des cadres d’éligibilité très
complets, qui définissent les seuils de revenus ainsi que les catégories
de bénéficiaires (Angleterre et Pays de Galles, Ecosse, Hongrie, Lituanie).
28. Afin de garantir l’accès à un recours effectif, les critères
à remplir de manière à ce que certaines catégories de personnes,
en particulier celles qui disposent de faibles revenus, aient accès
à une aide adéquate doivent être définis. Dans le contexte de la
crise économique actuelle, il serait souhaitable que les Etats évaluent
l’impact de leurs critères et, au besoin, les assouplissent.
29. La question de l’aide judiciaire a fait l’objet d’une vaste
polémique au Royaume-Uni, qui est celui dont les dépenses sont les
plus élevées en la matière parmi les Etats membres du Conseil de
l’Europe. Les premiers rapports sur la mise en œuvre de la loi de
2012 sur l’aide judiciaire, la détermination des peines et la sanction
des auteurs d’infractions (Legal Aid,
Sentencing and Punishment of Offenders Act of 2012) montrent que,
sous l’effet de la réforme, des catégories entières du droit ont
été exclues du champ d’application de l’aide judiciaire, notamment
les affaires familiales pour lesquelles il n’existe pas de preuve
de violence domestique, le mariage forcé ou l’enlèvement d’enfant.
Ceci a eu des répercussions majeures sur certaines catégories de la
population, en particulier les victimes d’abus, qui rencontrent
souvent des difficultés pour fournir les éléments requis afin de
bénéficier d’une aide judiciaire, conduisant de nombreuses victimes
à se représenter elles-mêmes ou à abandonner purement et simplement
leurs droits d’accès à la justice. Je tiens à souligner que la volonté
d’apporter une aide judiciaire de qualité aux personnes qui en ont
besoin et la volonté de limiter les coûts de la justice sont toutes
deux légitimes. Pourtant, le premier objectif, qui correspond à
une obligation internationale en matière de droits de l’homme, devrait
indéniablement l’emporter sur le second. Il convient donc de veiller
à ce que la mise en œuvre de la réforme ne fragilise pas le principe
d’égalité devant la loi et préserve l’égal accès à la justice.
30. Je souhaiterais mentionner qu’en décembre 2012, l’Assemblée
générale des Nations Unies a adopté les Principes et lignes directrices
des Nations Unies sur l’accès à l’assistance juridique dans le système
de justice pénale
. Ces documents vont, à plusieurs
égards, au-delà des normes régionales ou internationales en vigueur.
Ils contiennent des critères d’éligibilité plus généreux étant donné
qu’ils encouragent les Etats à accorder l’assistance juridique indépendamment
des moyens de l’intéressé si l’affaire est particulièrement urgente
ou complexe ou si la peine encourue est très lourde. Ces dispositions
reconnaissent en outre aux assistants juridiques la qualité de prestataires
d’assistance juridique et s’intéressent aux besoins et aux droits des
victimes et des témoins dans le cadre des procédures pénales. De
plus, elles demandent aux Etats de «prendre en considération la
situation des femmes dans l’ensemble des politiques, lois, procédures, programmes
et pratiques liés à l’assistance juridique pour garantir l’égalité
des sexes et l’équité d’accès à la justice». J’encourage les Etats
membres du Conseil de l’Europe à respecter ces Principes et lignes
directrices.
2.4. Qualité pour agir
31. Un autre élément d’importance en matière d’accès
à la justice est la qualité pour agir (locus
standi), c’est-à-dire la question de savoir qui est habilité
à engager une procédure devant une juridiction ou devant un organe
non judiciaire. Il existe diverses situations: selon la conception
la plus restrictive, une procédure ne peut être engagée que par
les personnes ayant subi un préjudice ou par leurs représentants
directs; selon la conception la plus généreuse, ce droit est aussi
reconnu aux tiers n’ayant aucun lien avec la personne qui a subi
le préjudice, car l’enjeu est d’intérêt public. Entre ces deux extrêmes,
il y a des situations dans lesquelles certains tiers ayant un intérêt
pour une question juridique particulière peuvent intenter des actions
portant sur des violations du droit dans leur domaine de compétence.
32. La Convention européenne des droits de l’homme ne reconnaît
la qualité pour introduire une requête qu’à ceux ayant la qualité
de victime. L’article 34 dispose que: «La Cour peut être saisie
d’une requête par toute personne physique, toute organisation non
gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime
d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits
reconnus dans la Convention ou ses Protocoles.»
33. La Cour fait aussi la distinction entre les victimes directes
(celles qui sont directement affectées par une violation), les victimes
indirectes (celles qui sont affectées par la violation alléguée
de manière indirecte, telles que des personnes ayant un lien de
parenté avec la victime) et les victimes potentielles (celles qui
peuvent être affectées par la violation alléguée, telles que des
groupes de personnes risquant d’être affectés directement par certaines
dispositions juridiques)
.
34. L’interprétation par la Cour de la qualité de victime a été
critiquée comme étant trop stricte, notamment en ce qui concerne
les personnes handicapées intellectuelles, qui, dans la plupart
des Etats membres, sont privées de la capacité juridique
. A cet égard, la Cour a reconnu
que la privation de la capacité juridique, même partielle, avait
de graves conséquences sur l’accès aux tribunaux
. L’Assemblée parlementaire,
dans sa
Résolution 1642
(2009) sur l’accès aux droits des personnes handicapées, et
pleine et active participation de celles-ci dans la société et sa
Résolution 2039 (2015) «Egalité et insertion des personnes handicapées», invite
les Etats membres à garantir que les personnes handicapées disposent
de la capacité juridique et l’exercent au même titre que les autres
membres de la société.
35. Une affaire très importante ayant trait à cette question a
récemment été examinée par la Grande Chambre de la Cour. Elle concerne
le décès d’un jeune homme d’origine rom, Valentin Câmpeanu, atteint
du VIH et d’un handicap mental sévère, décédé dans un hôpital psychiatrique
après avoir passé toute sa vie dans des institutions en Roumanie.
Le Centre de ressources juridiques – une ONG – a introduit devant
la Cour une requête contre la Roumanie
. L’organisation
requérante a plaidé que la Cour devait faire preuve de plus de souplesse
dans l’interprétation de ses règles, en autorisant les organisations
non gouvernementales, dans certaines circonstances, à introduire
une requête au nom de victimes handicapées, même en l’absence d’autorisation
spécifique. La Cour a jugé qu’eu égard aux circonstances exceptionnelles
de l’espèce et à la gravité des allégations formulées, elle était
disposée à reconnaître à l’ONG la faculté d’agir en qualité de représentant
de M. Câmpeanu, bien que l’organisation ne soit pas elle-même une
victime, même indirecte, des violations alléguées de la Convention.
La Cour a en outre souligné que la maladie mentale ne saurait justifier une
atteinte à l’essence même du droit à un contrôle juridictionnel.
36. De mon point de vue, cet arrêt est une première étape vers
une plus grande souplesse des règles concernant la qualité d’introduire
une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme («la
Cour»). Cela étant, la décision prise par la Cour dans le cadre
de cette affaire est expressément liée aux circonstances particulières
de l’espèce. Je suis convaincu que ces règles devraient globalement
être assouplies pour garantir une protection effective des droits
de l’homme aux personnes qui se heurtent à des obstacles insurmontables lorsqu’elles
cherchent à obtenir réparation. Je propose donc que cette question
soit abordée dans le cadre des échanges de vues actuels sur la réforme
de la Cour et qu’elle fasse l’objet d’une attention particulière.
37. Cela étant, il convient de noter que la Cour a fait preuve
d’une grande souplesse en ce qui concerne la qualité d’agir des
personnes handicapées intellectuelles, en permettant aux personnes
handicapées privées de leur capacité juridique en vertu du droit
national, même contre la volonté de leur tuteur, de déposer valablement
une requête
, et en les exonérant
de l’exigence d’épuisement des voies de recours internes avant de
déposer leur requête lorsqu’elles n’ont pas été en mesure de le
faire parce que privées de leur capacité juridique
. Par ailleurs, la Cour
a utilisé l’article 39 de son règlement pour demander aux Etats
de prendre des mesures provisoires dans les affaires introduites
par des personnes handicapées demandant la levée des obstacles qui
portent atteinte à leur droit d’accès à la justice
.
38. Contrairement à la Cour européenne des droits de l’homme,
le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) peut être saisi par
des tiers qui ne sont pas directement victimes de la violation d’un
droit inscrit dans la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163).
En devenant Parties au Protocole additionnel à la Charte sociale
européenne prévoyant un système de réclamations collectives (STE
no 158), les Etats autorisent les organisations
internationales et nationales d’employeurs, les syndicats et les
organisations internationales non gouvernementales dotées du statut
participatif auprès du Conseil de l’Europe à déposer des réclamations
les mettant en cause
. Les Etats peuvent également autoriser
des organisations non gouvernementales nationales à adresser des
réclamations. A ce jour, 113 réclamations collectives ont été présentées.
Il a été signalé qu’«[é]tant donné la nature collective de ce mécanisme,
les infractions qui font l’objet des plaintes présentent souvent
un caractère systématique et non individuel
».
39. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient examiner
la possibilité d’accepter ce système de réclamations collectives
en devenant parties au Protocole additionnel de 1995 ou en acceptant
l’article D de la Charte sociale européenne (révisée). En outre,
des efforts supplémentaires devraient être fournis pour que les
organisations de défense et de promotion des droits des groupes
plus exposés à la discrimination connaissent mieux le système de
réclamations collectives et la procédure à suivre pour figurer sur
la liste des organisations habilitées à déposer une réclamation.
40. Au niveau national, la situation varie beaucoup selon les
Etats membres du Conseil de l’Europe
. Dans la majorité d’entre eux, les organisations
non gouvernementales ou les syndicats peuvent saisir la justice
avec l’accord de la victime. Dans quelques pays, par exemple la
Bulgarie, la Hongrie, l’Italie et la République slovaque, elles
peuvent le faire sans l’accord de la victime, mais seulement dans
des circonstances particulières, notamment dans le cadre d’«actions
de groupe», qui permettent à un ou plusieurs plaignants d’intenter
une action contre le même défendeur au nom d’un groupe plus large.
41. Dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, les organismes
de promotion de l’égalité sont habilités à représenter des particuliers
qui introduisent un recours devant les tribunaux ou même à intenter
des actions en leur nom propre. Il s’agit à mon avis d’une mesure
qui contribue utilement à améliorer l’accès à la justice, étant
donné que les organismes de promotion de l’égalité sont les mieux
placés pour intenter des actions dans des affaires concernant des
discriminations largement répandues, des questions d’intérêt public ou
des situations dans lesquelles les victimes ne sont pas clairement
identifiables
. Cette procédure pourrait aussi
contribuer à la formation de l’opinion publique et, en définitive,
influer sur le processus législatif.
2.5. Le non-signalement
des incidents
42. De nombreux rapports montrent que les incidents non
signalés sont très répandus. L’Agence des droits fondamentaux a
constaté que les personnes appartenant à des minorités ne signalaient
pas à la police entre 57 % et 74 % des incidents d’agression ou
de menaces, même s’ils les considéraient comme des incidents graves
.
Parmi les personnes interrogées qui, au cours de l’année écoulée,
avaient eu le sentiment d’être personnellement discriminées en raison
de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, à peine
une sur 10 avait signalé aux autorités l’incident de discrimination
le plus récent dont elle avait été victime.
43. Plusieurs éléments contribuent au non-signalement des incidents.
Le manque de confiance à l’égard des autorités est un facteur commun.
Un récent rapport d’Amnesty International
sur les crimes de
haine en Bulgarie montre que 43 % des crimes de cette nature commis
en 2010 n’ont pas été signalés à la police. Ce rapport fait ressortir
que le manque de confiance à l’égard des autorités et la peur d’une
nouvelle victimisation, y compris la crainte d’abus par la police,
sont les principales raisons de l’insuffisance de signalement des incidents
et sont ressentis par divers groupes (Roms, personnes LGBT, réfugiés
ou migrants). Cette question a été examinée en profondeur par M. David
Davies dans son rapport sur «La lutte contre le racisme dans la police»
. Parmi les recommandations
formulées par le rapporteur et avalisées par l’Assemblée dans sa
Résolution 1968 (2014) – auxquelles je souscris pleinement –, j’aimerais souligner
l’importance des dispositifs de recours indépendants et des formations
adéquates dispensées à la police ainsi que la nécessité de sanctionner
effectivement les fonctionnaires de police responsables de comportements
racistes ou intolérants. De plus, le rapport d’Amnesty International
souligne que l’absence de réaction appropriée de la part de l’Etat, notamment
le fait de ne pas mener d’enquête après que l’infraction a été signalée,
pourrait aussi avoir un effet dissuasif sur le signalement. En effet,
pourquoi les victimes signaleraient-elles une infraction à la police
tout en sachant que leur dossier ne sera pas traité avec la diligence
requise? A cet égard, il est absolument essentiel que les Etats
membres veillent à ce que chaque signalement d’infraction fasse
l’objet d’une enquête approfondie.
44. Le manque de connaissances juridiques est un autre facteur
commun. Il est essentiel que les victimes aient un accès effectif
aux mécanismes de la justice et qu’on leur fournisse des informations
sur les prestations de conseil et l’aide judiciaire. Dans une enquête
de la FRA consacrée aux personnes LGBT, 30 % des personnes interrogées
déclarent qu’elles n’ont pas signalé le dernier acte de discrimination
dont elles ont été victimes parce qu’elles ne savaient pas comment
ni auprès de qui porter plainte
. Ce chiffre fait écho aux constatations
de l’étude de la FRA consacrée à la violence à l’égard des femmes
au sein de l’Union européenne
: 36 % des personnes interrogées n’ont pas
connaissance de la législation ou des initiatives qui visent à prévenir
la violence à l’égard des femmes, tandis que 28 % ignorent l’existence
de la législation ou des initiatives destinées à les protéger contre
cette violence. Il est donc indispensable de poursuivre les activités
de sensibilisation de l’opinion publique. Le cas de l’Espagne montre
que le renforcement de la visibilité peut contribuer à améliorer
la justice. On peut ainsi souligner l’exemple du premier procureur
chargé des crimes de haine et de discrimination, fonction instituée
en 2009 dans la province de Barcelone. Depuis son entrée en fonction,
le nouveau procureur, M. Miguel Angel Aguilar, a participé à de
nombreux événements et a fait connaître ses fonctions au grand public.
Le nombre d’affaires dont il a été saisi est ainsi passé d’une poignée
à 226 en l’espace de trois ans. Suivant cet exemple, depuis 2013,
chaque province espagnole dispose d’un procureur spécialisé en la
matière.
45. La crainte d’encourir des dépenses est également un facteur
dissuasif. C’est tout particulièrement le cas dans les pays qui,
comme la Grèce, exigent le versement de frais de procédure pour
le signalement d’une infraction mineure, même lorsque celle-ci est
motivée par la haine. Ce problème peut se poser de façon plus générale,
étant donné que la plupart des Etats membres imposent à la partie
perdante le paiement des dépens de la partie adverse, dans la perspective
d’écarter les actions en justice dépourvues de fondement. Toutefois, comme
l’a précisé le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, «l’imposition
de frais aux parties à un procès qui empêcherait de fait leur accès
à la justice pourrait poser problème au regard de l’article 14»
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (égalité
devant les tribunaux)
.
La Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs conclu que
le fait de demander des frais de justice avant l’engagement d’une
procédure pouvait être contraire au droit à un recours effectif
.
46. Les migrants en situation irrégulière s’abstiennent de signaler
à la police les infractions et les actes de discrimination dont
ils sont victimes, par crainte d’être renvoyés dans leur pays d’origine.
J’aimerais souligner que la jouissance de certains droits fondamentaux
ne dépend pas du statut juridique de l’intéressé. A cet égard, la
Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)
a recommandé sans ambiguïté de ne pas expulser les migrants en situation
irrégulière qui coopèrent à une procédure judiciaire. Une directive
de l’Union européenne établissant des normes minimales concernant
les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité
précise
qu’elle ne porte pas sur les conditions de séjour des victimes de
la criminalité sur le territoire des Etats membres et que ces derniers
devraient prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que
les droits énoncés dans ladite directive ne soient pas subordonnés
au statut de résident de la victime sur leur territoire. Il est
par ailleurs intéressant de rappeler que la Cour constitutionnelle
espagnole a conclu que même les ressortissants étrangers qui ne
résident pas légalement en Espagne étaient habilités à bénéficier
d’une aide judiciaire ou d’une représentation par un avocat commis
d’office dans l’ensemble des procédures auxquelles ils sont parties,
et pas seulement dans les procédures relatives à leur demande d’asile ou
à leur expulsion
.
47. La lenteur des procédures ou l’incertitude quant à leur durée
peuvent avoir un effet dissuasif sur le signalement des infractions.
D’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
le droit à un procès équitable consacré à l’article 6 de la Convention
européenne des droits de l’homme englobe le droit à être entendu
dans un délai raisonnable. La Cour relève que «[l]a Convention astreint
les Etats contractants à organiser leurs juridictions de manière
à leur permettre de répondre aux exigences de l’article 6 § 1, notamment
quant au “délai raisonnable”
». Les Etats membres devraient faire en
sorte que les infractions soient plus souvent signalées en garantissant
que les victimes peuvent envisager un règlement de leur plainte, par
exemple en instaurant des mécanismes permettant de traiter des affaires
spécifiques, notamment les affaires de discrimination, d’une manière
rapide et efficace et dans le respect des garanties juridiques.
A cet égard, il est intéressant de souligner que la Belgique a mis
en place des procédures d’injonction qui «peuvent permettre un prononcé
rapide du tribunal sur la violation ou non de l’interdiction de
discrimination, suivi d’un ordre de mettre fin à la pratique en
question
.»
3. Garantir à tous
l’accès à la justice
48. Garantir à tous l’accès à la justice suppose la prise
en compte des difficultés particulières rencontrées par les différents
groupes de population. Reconnaître que certains groupes de la société
sont particulièrement défavorisés est un premier pas capital vers
l’instauration de l’accès à la justice pour ces personnes.
3.1. Les victimes de
discrimination multiple
49. Certaines personnes possèdent un ensemble de caractéristiques
susceptibles de déclencher des actes discriminatoires et sont donc
particulièrement exposées à l’inégalité de traitement. Les multiples
facettes d’un même individu peuvent constituer autant de motifs
de discrimination. Par exemple, une femme réfugiée peut être victime
de discrimination raciale, mais aussi de discrimination fondée sur
le genre, à des moments différents (discrimination séquentielle),
au même moment mais à des degrés divers (discrimination additive) ou
sous l’effet de l’interaction de tous les motifs de discrimination
les uns avec les autres (discrimination intersectionnelle). Pour
mettre en évidence l’ampleur globale de la discrimination subie,
il convient de prendre en compte l’effet combiné de tous les motifs
de discrimination. Il faut toujours garder à l’esprit que chaque personne
est unique et que les effets de plusieurs motifs de discrimination
peuvent se combiner et, pour certaines personnes, rendre plus difficile
l’exercice de leurs droits.
50. La prise de conscience de la discrimination multiple est un
phénomène assez récent, mais qui se renforce constamment, dans des
contextes tant sociaux que juridiques. Cela étant, il n’existe pas
encore de cadre juridique international applicable en la matière
, la législation existante
tendant à mettre l’accent sur un seul motif de discrimination à
la fois. Au niveau national, seul un nombre restreint d’Etats ont
intégré dans leur législation le concept de discrimination multiple
ou de discrimination fondée sur plus d’un motif (notamment l’Allemagne,
l’Autriche, la Bulgarie, la Grèce, l’Italie et la Roumanie)
. Parmi ceux qui l’ont fait, la rareté
des affaires jugées faisant état d’une plainte pour discrimination
multiple se traduit tant par un manque d’informations susceptibles
d’aider les professionnels du droit à traiter ce type d’affaires
que par une évolution lente de la situation.
51. L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme
et le Protocole additionnel no 12 relatif à
l’égalité et à la non-discrimination interdisent la discrimination
fondée sur une liste de motifs. Il n’existe donc aucun obstacle
formel à une plainte pour discrimination fondée sur plusieurs motifs
à la fois. Cependant, dans sa jurisprudence, la Cour ne mentionne
jamais le concept de discrimination multiple. En 2012, elle a fait référence
à «la vulnérabilité spécifique de la requérante, inhérente à sa
qualité de femme africaine exerçant la prostitution
» pour conclure à une violation de l’article 14
combiné avec l’article 3, mais elle n’est pas allée plus loin. Afin
de rendre dûment compte de la réalité de la situation à laquelle
se heurtent les victimes de discrimination multiple, tous les motifs
de discrimination devraient être examinés simultanément par la Cour, qui
devrait donc faire évoluer son interprétation de la Convention européenne
des droits de l’homme à cet égard.
52. Aucune étude spécifique n’a été menée pour évaluer l’incidence
de la discrimination multiple sur l’accès à la justice. Cela étant,
il est manifeste que la combinaison de plusieurs motifs de discrimination
rend encore plus difficile la gestion des obstacles auxquels se
heurtent certaines personnes. En pareille situation, les motifs de
discrimination devraient être examinés dans leur ensemble et non
séparément, car c’est leur addition qui crée la discrimination.
A cet égard, je considère qu’il conviendrait de porter une attention
toute particulière à cette question.
53. En 2012, l’ECRI a recommandé aux gouvernements des Etats membres
de «légiférer contre la discrimination fondée sur plus d’un motif
afin de protéger contre les formes de discrimination multiple
». Toutefois, cette recommandation
reste limitée au monde du travail. Compte tenu du vide juridique
général en matière de discrimination multiple, les Etats membres
devraient envisager d’adopter une législation adéquate pour veiller
à ce que la discrimination fondée sur plus d’un motif soit prise
en compte par le droit afin de s’assurer que toutes les catégories
de personnes bénéficient d’un accès égal à la justice.
3.2. L’accès des femmes
à la justice
54. L’inaccessibilité de la justice pour de nombreuses
femmes est un fait établi, reconnu par les autorités et démontré
par un grand nombre de rapports
. Cette situation retient
à l’heure actuelle l’attention du Conseil de l’Europe et d’autres
institutions internationales, notamment le Comité de la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes (CEDAW) et l’Union européenne
.
55. En 2010, le Comité directeur pour l’égalité entre les femmes
et les hommes du Conseil de l’Europe (CDEG) a décidé d’examiner
cette question et a chargé le secrétariat de recueillir des données
sur la répartition par sexe des requêtes introduites devant la Cour
européenne des droits de l’homme. Les résultats de cette analyse
montrent très clairement que les femmes sont sous-représentées parmi
les requérants, y compris dans les affaires relatives à l’égalité
entre les femmes et les hommes.
56. Poursuivant les travaux de son prédécesseur, la Commission
du Conseil de l’Europe pour l’égalité entre les femmes et les hommes
(GEC) a commandé en 2013 une étude de faisabilité concernant l’égalité
d’accès des femmes à la justice, afin de réunir des informations
complémentaires sur la situation dans plusieurs Etats membres du
Conseil de l’Europe et de faire des propositions pour de nouvelles
mesures
. Cette étude souligne que l’égalité
des droits ne garantit pas de fait l’égalité entre les femmes et
les hommes, étant donné qu’en pratique, les femmes n’ont pas un
niveau d’accès aux opportunités équivalent à celui des hommes et qu’elles
ne peuvent donc pas exercer leurs droits dans la même mesure. Cette
étude fait en outre ressortir de nombreux obstacles s’opposant à
l’accès des femmes à la justice: des obstacles juridiques, tels
que l’existence de législations ou de dispositions discriminatoires
ou la méconnaissance des mécanismes de protection; des obstacles
sociaux et économiques liés à un déséquilibre des relations de pouvoir
qui est favorable aux hommes; et des obstacles culturels qui reposent
sur des stéréotypes et des préjugés.
57. La collaboration avec les Etats membres en vue de garantir
l’égalité d’accès des femmes à la justice figure également parmi
les cinq objectifs de la Stratégie du Conseil de l’Europe pour l’égalité
entre les femmes et les hommes (2014-2017)
. Cette stratégie prévoit de procéder dans
ce domaine à une analyse des cadres nationaux et internationaux
afin de réunir des données et de recenser les obstacles auxquels
les femmes se heurtent pour accéder aux instances judiciaires nationales
et internationales; à la définition, la collecte et la diffusion
des voies de recours et des bonnes pratiques en vigueur qui facilitent
l’accès des femmes à la justice; et à la formulation de recommandations
destinées à améliorer la situation. La GEC et les autorités françaises ont
organisé en décembre 2013 une audition sur «L’accès à la justice
pour les femmes victimes de violences», qui portait sur les nombreux
obstacles auxquels se heurtent les femmes pour accéder à la justice
et a mis en avant des bonnes pratiques pour s’attaquer à ces difficultés.
La nécessité de traiter les questions de vulnérabilité et de crédibilité
des femmes victimes de violences et leur besoin d’informations et
d’aide judiciaire gratuite ont été soulignés, ainsi que l’importance
de faciliter l’accès à la justice grâce aux services spécialisés chargés
de l’application de la loi. Plus récemment, en juin 2014, la GEC
a tenu un séminaire intitulé «Combler les lacunes dans la recherche
et la collecte des données ventilées par sexe en matière d’égalité
d’accès des femmes à la justice», au cours duquel a été soulignée
l’importance de collecter des données fiables et comparables en
vue d’élaborer des politiques et des lois fondées sur des données
concrètes. Des recommandations visant à combler les lacunes dans
la recherche et la collecte de données ventilées par sexe en matière
d’égalité d’accès des femmes à la justice ont été proposées.
58. Je me félicite que le point de départ de l’analyse de la GEC
porte sur la question des lacunes à combler en matière d’information.
Il est en effet difficile d’évaluer l’incidence des obstacles auxquels
se heurtent les femmes pour accéder à la justice en raison du manque
de données ventilées par sexe et d’analyses de l’impact par genre
des différents textes de loi. Il importe de combler ces lacunes
pour que les gouvernements puissent choisir, en connaissance de
cause, des politiques sensibles au genre dans le domaine de l’efficacité
de la justice.
59. Par ailleurs, il convient de souligner que, de toute évidence,
les femmes ne forment pas un groupe homogène. Certaines situations
particulières entravent encore davantage l’accès des femmes à la
justice. C’est le cas, notamment, lorsque le fait d’être une femme
se double d’autres éléments qui peuvent renforcer la discrimination,
comme le fait d’avoir un handicap, l’appartenance à un groupe minoritaire
ou la qualité de migrant, surtout en situation irrégulière. Cela
vaut également pour les obstacles matériels, comme le fait de vivre
en zone rurale ou dans une région reculée.
60. Les femmes victimes de violences occupent une place à part.
Comme le souligne l’étude de faisabilité réalisée par la GEC en
2013, «[l]a procédure pénale et les règlements des tribunaux ne
permettant généralement pas de tenir compte de la vulnérabilité
particulière des femmes victimes de violences sexuelles [et de violence
domestique], les besoins spécifiques des intéressées ne sont pas
satisfaits
».
Outre des obstacles identiques à ceux des autres femmes, elles sont
également confrontées à une pression sociale et culturelle qui les
pousse à ne pas signaler ces violences à la police ou à se montrer
réticentes à le faire par crainte de n’être pas suffisamment protégées
par l’appareil judiciaire. L’Autriche a réussi à s’attaquer efficacement
à ces obstacles en adoptant en 2009 une loi spéciale – «La seconde
loi relative à la protection contre la violence» – qui apporte aux
victimes de violences une aide psychosociale et judiciaire dans
les tribunaux au cours des procédures pénales et civiles. L’aide
est assurée par des organisations de protection des victimes, des
centres d’intervention et des centres de prévention de la violence.
L’aide psychosociale comprend l’accompagnement de la victime au
commissariat de police en vue de déposer un signalement, la fourniture
d’informations concernant les procédures pénales et la préparation
à ces procédures, et l’accompagnement de la victime lors de l’interrogatoire
au tribunal et pendant le procès. L’aide judiciaire consiste en
la représentation par un avocat au cours des procédures pénales
en vue de protéger les droits de la victime. Il convient de noter
que l’aide judiciaire apportée au cours des procédures pénales est
gratuite.
61. La proportion des incidents non signalés ne peut être estimée
précisément, mais l’enquête réalisée en 2014 par la FRA sur la violence
à l’égard des femmes indique que «seulement 14 % des femmes signalent
à la police le fait de violence le plus grave commis par un(e) partenaire
intime et 13 % le fait de violence le plus grave commis par une
autre personne
». En parallèle, le taux de condamnation
des auteurs de violences reste faible et de nombreuses poursuites
sont abandonnées. L’Islande s’est attaquée à ce problème en créant, début
2013, un dispositif de coopération entre la police et les services
sociaux: en cas de soupçon de violence domestique, la police sollicite
l’aide de travailleurs sociaux pour établir le contact avec la victime,
met un avocat à la disposition de celle-ci et, si besoin, ordonne
des mesures légales de protection, c’est-à-dire des injonctions d’éloignement
ou l’expulsion du domicile. Les autorités islandaises estiment que
ce projet pilote est une réussite
. Les Etats membres
devraient être encouragés à renforcer la coopération et la coordination
entre les structures existantes pour que les femmes aient confiance
dans la capacité des autorités à les protéger, ce qui permettrait
d’augmenter le nombre de signalements et d’actions en justice, tout
en évitant des coûts supplémentaires.
62. Enfin, j’aimerais mentionner la Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique, qui est entrée en vigueur en août 2014.
Cette convention fournit un cadre très complet et juridiquement
contraignant qui vise à mettre fin à la violence à l’égard des femmes.
Bien qu’elle ne traite pas expressément de l’accès des femmes à
la justice, cette convention contient de nombreuses dispositions
destinées à faciliter l’accès des victimes de violences à la justice,
en particulier en demandant aux Etats membres de fournir une information
adéquate sur les mesures légales disponibles (article 19), d’encourager
le signalement des infractions (article 27), de fournir aux victimes des
voies de recours civiles adéquates (article 29) et de veiller à
ce que les enquêtes et les procédures judiciaires soient traitées
sans retard injustifié (article 49). J’encourage donc les Etats
membres à redoubler d’efforts pour signer et ratifier cette convention,
s’ils ne l’ont pas déjà fait, et à prendre toutes les mesures appropriées
pour la mettre effectivement en œuvre au niveau national.
3.3. Les victimes de
la criminalité
63. Il est nécessaire non seulement de prévenir la criminalité,
mais également de soutenir comme il se doit les personnes qui en
sont effectivement victimes. A cet égard, le Comité des Ministres
a invité les Etats membres à «assurer la reconnaissance effective
et le respect des droits des victimes» et a déclaré que les Etats
devraient veiller, en particulier, à mettre à la disposition des
victimes une information, une protection et une assistance appropriées
. Cette recommandation
souligne aussi que les victimes devraient être protégées autant
que possible de la victimisation secondaire et que les Etats devraient,
à cet égard, prendre des mesures pour identifier et combattre la
victimisation répétée.
64. Les victimes de la criminalité sont en droit d’être informées
sur les organismes spécialisés qui apportent un soutien psychologique
ou toute autre forme d’assistance dont elles pourraient avoir besoin,
sur l’instance de poursuite pénale auprès de laquelle elles doivent
déposer plainte, sur le droit à l’aide judiciaire et l’institution compétente
dans ce domaine, sur les exigences légales et la procédure applicable
en matière d’aide judiciaire, sur les droits procéduraux de la personne
lésée et la procédure à suivre pour obtenir une indemnisation financière
de l’Etat.
65. L’Union européenne a mis en place un vaste cadre législatif
pour protéger les victimes d’infractions pénales. En vertu des dispositions
de la directive 2012/29/UE établissant des normes minimales concernant les
droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité
, les victimes
de la criminalité:
- sont reconnues
et traitées avec respect et dignité;
- sont protégées contre une nouvelle victimisation et l’intimidation
de la part de l’auteur de l’infraction et contre le risque de souffrance
supplémentaire lorsqu’elles prennent part à la procédure pénale;
- reçoivent un soutien adapté tout au long de la procédure
judiciaire et ont accès à la justice;
- ont un accès adéquat à une indemnisation financière.
66. Les rapports consacrés à chaque pays par l’ECRI décrivent
les obstacles que rencontrent les membres des minorités et les migrants
pour accéder à la justice. Depuis le cycle de rapport actuel, ceux-ci
traitent également de la situation des personnes LGBT. Un certain
nombre d’enquêtes réalisées par la FRA complètent ces informations,
en précisant le sentiment des victimes et la vulnérabilité de ces
groupes à la discrimination et à la criminalité
.
67. Ainsi, un membre sur quatre d’un groupe minoritaire déclare
avoir été victime d’une infraction pénale au moins une fois au cours
des 12 mois qui ont précédé l’enquête. En moyenne, les minorités
sont victimes de vols et d’agressions ou de menaces plus souvent
que la population majoritaire. Le taux de victimisation des groupes
les plus visibles est en moyenne plus élevé que celui des migrants
ou des groupes minoritaires qui ressemblent à la population majoritaire.
Plus d’une personne interrogée sur quatre estime avoir été victime d’un
crime à motivation raciste. Pour ce qui est de l’enquête sur les
personnes LGBT, 47 % des personnes interrogées déclarent avoir eu
le sentiment de faire personnellement l’objet de discrimination
ou d’être harcelées en raison de leur orientation sexuelle au cours
de l’année qui a précédé. La majorité des personnes interrogées
victimes d’agression au cours de l’année écoulée indiquent que l’agression
ou les menaces de violences dont elles ont fait l’objet se sont
produites en tout ou partie parce qu’elles étaient perçues comme des
personnes LGBT (59 %).
68. Le système judiciaire, et notamment le droit pénal, a élaboré
des garanties pour les personnes accusées d’une infraction. Bien
qu’il ne s’agisse pas de remettre en question cette avancée majeure,
il est indispensable de tenir compte dans le même temps de la situation
des victimes, non seulement pour répondre à leurs besoins de protection,
mais également pour les encourager à demander réparation et à prendre
part à la procédure jusqu’à sa clôture. Il importe de protéger les
victimes contre toute victimisation secondaire. En résumé, la justice
devrait être plus soucieuse des victimes. A cet égard, la CEPEJ
a noté que l’aide judiciaire peut être octroyée aux victimes d’infraction
dans 37 Etats membres
.
69. Par ailleurs, les victimes de la criminalité devraient aussi
avoir accès à la justice dans une langue qu’elles comprennent. Cela
vaut tout spécialement pour les personnes appartenant à des minorités linguistiques.
Les dispositifs juridiques concernant les minorités doivent assurément
être beaucoup améliorés dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
et l’utilisation des langues régionales ou minoritaires concernées
devant les tribunaux devrait être adéquatement assurée. L’article 9
de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE
no 148) apporte des garanties en ce qui
concerne l’utilisation de ces langues
, à la fois dans les procédures
pénales et devant les juridictions civiles et administratives. Au
vu des insuffisances dans la mise en œuvre des garanties prévues
à l’article 9 de la Charte, le Comité d’experts de la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires a adressé aux Etats contractants
des recommandations concernant notamment l’accès à l’information
des personnes appartenant à des minorités linguistiques, l’accès
à des traducteurs et à des interprètes, et la faculté des programmes
informatiques à utiliser des langues régionales et minoritaires.
Il a également été recommandé aux Etats de veiller à ce que les
différences dialectales ne dissuadent pas les citoyens de s’exprimer
en langue régionale ou minoritaire devant les autorités judiciaires.
70. La directive de 2012 de l’Union européenne établissant des
normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection
des victimes de la criminalité reconnaît que «[l]a justice ne saurait
être rendue efficacement que si la victime peut expliquer dûment
les circonstances de l’infraction et apporter ses éléments de preuve
sous une forme compréhensible pour les autorités compétentes» et
recommande d’offrir un service de traduction gratuit, si nécessaire.
71. Le fait que les victimes engagent ou non une action en justice
dépend forcément de son issue probable. Si le système judiciaire
manque systématiquement à son obligation de rendre justice, pourquoi
les victimes y auraient-elles recours? De fait, certains professionnels
qui assistent les victimes d’actes de violence reconnaissent qu’ils
leur conseillent parfois de ne pas les signaler aux autorités, en
raison des difficultés de la procédure qui en découlerait et du
caractère incertain de l’issue de cette démarche. Il est donc indispensable d’améliorer
la qualité de la justice:
- en
formant les fonctionnaires de police, les juges et les professionnels
du droit;
- en veillant à ce que le cadre juridique soit conforme
aux normes internationales les plus rigoureuses;
- en surveillant l’impact de la législation sur les différents
groupes;
- en intégrant une dimension de genre.
4. Conclusions
72. L’égalité de traitement dans l’accès à la justice
doit devenir réalité et les Etats membres du Conseil de l’Europe,
en tant que tels, doivent mettre en œuvre des solutions pour lever
les obstacles qui empêchent l’accès à la justice et veiller à ce
que leurs citoyens aient accès à la justice sur un pied d’égalité, indépendamment
de leur richesse ou de leur statut.
73. Mon intention, dans ce rapport, était de faire prendre conscience
des multiples obstacles auxquels se heurtent de nombreuses catégories
de personnes pour accéder à la justice. Je suis sincèrement convaincu que
lorsque les individus n’ont pas confiance dans la capacité du système
à les protéger et à les aider en cas d’atteinte à leurs droits,
lorsqu’ils ne connaissent pas leurs droits ou n’ont pas accès aux
informations qui s’y rapportent, lorsque le système judiciaire n’est
pas accessible pour des raisons matérielles, linguistiques ou financières,
lorsque la situation particulière de certaines catégories de personnes
n’est pas prise en compte, les empêchant d’avoir accès à leurs droits
ou de les faire respecter, alors, il n’existe pas de reconnaissance que
chacun a droit à la protection de la loi et par conséquent, pas
de société démocratique.
74. La vulnérabilité particulière de certaines catégories de personnes
doit être gardée à l’esprit à tout moment, de même que le fait que
certaines d’entre elles peuvent subir une discrimination fondée
sur plusieurs motifs qui, combinés, multiplient les obstacles à
surmonter. A cet égard, des politiques spécifiques pour combattre
les effets de la discrimination devraient être mises en œuvre. Une
réflexion plus exigeante sur la façon d’améliorer, dans la pratique,
l’accès de ces catégories de personnes à la justice devrait être
menée, en mettant l’accent sur la connaissance des droits, la confiance
dans les institutions judiciaires et l’accès à l’aide judiciaire
et aux tribunaux. En la matière, chaque Etat membre du Conseil de
l’Europe devrait s’inspirer des bonnes pratiques mises en œuvre
dans d’autres Etats membres.
75. Par ailleurs, il apparaît de plus en plus clairement que les
modes alternatifs de résolutions des conflits sont une stratégie
majeure pour aplanir les obstacles qui barrent l’accès à la justice.
A cet égard, les mécanismes de justice informels devraient être
renforcés et il conviendrait de s’interroger sur leur utilisation
en combinaison avec des mécanismes formels en vue d’optimiser l’accès
à la justice. De plus, le rôle de plus en plus important des ONG
dans l’aide aux personnes qui rencontrent des difficultés pour accéder
à la justice devrait être reconnu et renforcé, notamment en permettant
à ces organisations de comparaître devant les autorités judiciaires
dans certains cas.
76. De plus, et dans le but de renforcer l’accès à la justice,
tout en évitant les coûts supplémentaires qu’engendrerait la création
de nouvelles entités chargées de développer l’accès à la justice,
la mise en place de mécanismes de coopération entre la société civile
et les institutions administratives, mais aussi entre les institutions
administratives elles-mêmes devrait être envisagée.
77. L’accès à la justice n’est pas seulement un droit individuel
permettant aux personnes estimant que leurs droits ont été violés
de les faire respecter et de demander réparation. Il s’agit également
d’une condition indispensable à la prééminence du droit et un moyen
de réaliser des sociétés inclusives et égalitaires. Pour le Conseil
de l’Europe, il s’agit d’une question qui est au cœur même de son
système de protection des droits de l’homme.