1. Procédure
1. A sa 1255e réunion, tenue
le 15 avril 2015, le Comité des Ministres (Délégués des Ministres)
a invité l’Assemblée parlementaire à lui soumettre un avis sur le
projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe
pour la prévention du terrorisme («projet de protocole additionnel»),
en lui demandant de le faire au cours de sa partie de session d’avril 2015;
l’Assemblée a décidé de traiter cette question selon la procédure
d’urgence prévue à l’article 51 de son Règlement.
2. Le 20 avril 2015, l’Assemblée a transmis la demande du Comité
des Ministres à la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme.
3. A sa réunion tenue le 18 mars 2015 à Paris, la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme m’a nommé rapporteur,
en prévision de la décision du 20 avril 2015.
2. Le contexte
4. Ainsi que l’indique M. Jacques Legendre (France,
PPE/DC) dans son rapport intitulé «Attaques terroristes à Paris:
ensemble pour une réponse démocratique»
, près de 5 000 jeunes Européens
sont partis combattre en Syrie et en Irak (pour l’Etat islamique
en Irak et au Levant, EIIL) et bon nombre d’entre eux reviennent
en Europe aguerris à des techniques de combat. Dans la mesure où
ils représentent une menace considérable pour la sécurité en Europe,
il a été proposé, dans certains Etats membres, de les priver de
leur passeport européen, lorsqu’ils ont une autre nationalité
.
5. Le 24 septembre 2014, le Conseil de sécurité des Nations Unies
a adopté la Résolution 2178 (2014) sur les «menaces contre la paix
et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme».
Elle vise notamment à prévenir et à endiguer le flot de «combattants
terroristes étrangers» et oblige les Etats parties à faire tomber sous
le coup du droit pénal certains comportements qui pourraient être
liés à la commission d’infractions terroristes, comme le fait de
se rendre à l’étranger dans le dessein de commettre un acte terroriste.
Ainsi que l’a souligné le Haut-Commissaire des Nations Unies aux
droits de l’homme, certaines des mesures prises par les Etats sur
la base de cette résolution risquent d’être très problématiques
du point de vue du droit international des droits de l’homme
.
6. La question de la radicalisation des combattants terroristes
étrangers a été examinée à la 27e réunion du
Comité d’experts sur le terrorisme (CODEXTER) du Conseil de l’Europe,
en novembre 2014. Lors de cette réunion, le CODEXTER a proposé la
création d’un comité qui serait chargé d’élaborer un Protocole additionnel à
la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme
(STCE no 196), afin de donner suite aux
recommandations formulées dans la Résolution 2178 (2014) du Conseil
de sécurité des Nations Unies. Le 22 janvier 2015, le Comité des
Ministres a adopté le mandat du Comité sur les combattants terroristes étrangers
et les questions connexes (COD-CTE)
.
Après avoir tenu trois réunions entre février et mars 2015, le COD-CTE
a soumis le projet de protocole additionnel au CODEXTER, qui l’a
examiné et adopté à sa réunion tenue du 8 au 10 avril 2015. Le 10 avril 2015,
le CODEXTER a soumis le texte au Comité des Ministres.
7. Le COD-CTE a été créé peu après les attentats terroristes
perpétrés à Paris les 7, 8 et 9 janvier 2015. Dans le discours qu’il
a prononcé devant l’Assemblée le 29 janvier 2015, le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe a appelé à apporter une réponse internationale
déterminée à la menace terroriste, en comblant toute faille et «toute
lacune juridique que les terroristes pourraient exploiter». Dans
sa
Résolution 2031 (2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble, pour une réponse
démocratique», adoptée le 28 janvier 2015, l’Assemblée a invité
les Etats membres à «faire en sorte qu’un juste équilibre soit trouvé
pour défendre la liberté et la sécurité en évitant, ce faisant,
de violer ces mêmes droits» et a déclaré se réjouir de la préparation, qu’elle
soutenait pleinement, d’un protocole additionnel à la Convention
pour la prévention du terrorisme sur «les combattants terroristes
étrangers»
. Pendant que le COD-CTE élaborait le
projet de protocole additionnel, Amnesty International, la Commission
internationale de juristes
et l’Open Society Justice Initiative
ont
soumis des communications dans lesquelles ces organisations se plaignaient
du manque de transparence des travaux du COD-CTE, critiquaient la
précipitation qui caractérisait l’ensemble du processus et s’inquiétaient
des conséquences importantes que la rédaction d’un tel texte pourrait
avoir pour la protection des droits de l’homme. Certains commentateurs,
dont Martin Scheinin, ancien rapporteur spécial des Nations Unies
sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés
fondamentales dans la lutte antiterroriste (2005-2011), ont émis
des réserves sur l’utilité et la précision juridique du projet de
protocole additionnel
. De plus, dans une
déclaration du 23 mars 2015
, le Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a rappelé que limiter des droits de l’homme
afin de lutter contre le terrorisme était «une grave erreur et une mesure
inefficace pouvant même aider la cause des terroristes» et exhorté
les décideurs politiques à «la plus grande prudence lors de la préparation
et de l’adoption de nouvelles mesures anti-terroristes».
8. A plusieurs occasions, la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme a condamné toutes les formes de terrorisme.
Dans ses rapports, elle a toujours souligné que le terrorisme doit
être combattu efficacement par des moyens respectant pleinement
les droits de l’homme et la prééminence du droit
. J’ai moi-même été rapporteur
sur «Les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme» il
y a quelques années
. Sur la base
de mon rapport, dans lequel j’examinais les effets des mesures antiterroristes
sur les droits de l’homme et présentais les normes du Conseil de
l’Europe applicables en la matière, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1840 (2011) le 6 octobre 2011. L’Assemblée y faisait notamment observer
qu’il n’est pas nécessaire d’instaurer un compromis entre les droits
de l’homme et les actions efficaces de la lutte contre le terrorisme
(paragraphe 2).
3. Observations relatives
au projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de
l’Europe pour la prévention du terrorisme
3.1. Observations générales
9. Le projet de protocole additionnel vise à compléter
la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme
(«la convention»). Il ajoute des dispositions sur l’incrimination
de certains faits en lien avec des infractions terroristes: le fait
de participer à une association ou à un groupe à des fins de terrorisme (article
2), le fait de recevoir un entraînement pour le terrorisme (article
3), le fait de se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme (article
4), le fait de financer des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme
(article 5) et le fait d’organiser ou de faciliter par quelque autre
manière des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme (article
6). Il comprend aussi une disposition sur l’échange d’informations
entre les Etats Parties et la désignation d’un point de contact
disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept (article 7). Il
sera ouvert à tous les signataires de la convention, y compris aux
Etats qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe, et entrera
en vigueur trois mois après que six instruments de ratification,
d’acceptation ou d’approbation auront été déposés, dont au moins
quatre par des Etats membres du Conseil de l’Europe (article 10,
paragraphes 1 et 2).
10. Dans leurs communications relatives au projet de protocole
additionnel, Amnesty International et la Commission internationale
de juristes
se sont concentrés sur deux points
importants: le vaste champ d’application des infractions définies
dans le projet de protocole additionnel et la relation peu claire
entre la convention et le projet de protocole additionnel. Pour
ce qui est du premier point, il est vrai que les infractions définies
aux articles 2 à 6 du projet de protocole additionnel se rapportent
à des «infractions terroristes». S’il n’existe aucune définition
universelle du «terrorisme» et des «infractions terroristes» en
droit international public
, d’après l’article 1.1 de la convention,
on entend par «infraction terroriste» l’une quelconque des infractions
définies dans l’un des traités énumérés en annexe (comme la Convention
pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, signée à La
Haye le 16 décembre 1970, ou la Convention internationale contre
la prise d’otages, adoptée à New York le 17 décembre 1973). En fait,
la plupart de ces conventions ne s’appliquent pas aux conflits armés
et n’entrent donc pas en ligne de compte dans le contexte des conflits armés
en cours en Syrie et en Irak et du phénomène des combattants étrangers
.
De plus, des actes qui sont normalement considérés comme des actes
de terrorisme en temps de paix seraient aussi interdits en tant
que crimes de guerre en droit international humanitaire, ce qui
fait encore plus douter de l’utilité d’un protocole additionnel
à la Convention no 196. Comme l’a fait
observer M. Scheinin
, les dispositions
du projet de protocole additionnel ne seraient pas applicables aux
personnes qui quittent l’Europe pour se rendre dans des zones de
conflit, comme la Syrie ou l’Irak, et même si elles l’étaient en
principe lorsqu’elles rentrent dans leur pays (européen), il serait
très difficile de les mettre en œuvre dans la pratique, car le ministère
public devrait prouver l’intention de ces personnes de commettre
des infractions terroristes à leur retour.
11. Sans préjuger de l’utilité du projet de protocole additionnel
ni de la probabilité de son application future, je suis convaincu
de la nécessité de clarifier le champ des infractions terroristes
et l’application du droit international humanitaire, sur lesquels
portent déjà des dispositions de la convention proprement dite (respectivement
aux articles 1 et 26, paragraphes 4 et 5). La relation entre le
projet de protocole additionnel et la Convention no 196
serait régie par l’article 9 du projet de protocole additionnel («Les
termes et expressions employés dans le présent Protocole doivent
être interprétés au sens de la convention. Pour les Parties, toutes les
dispositions de la convention s’appliquent en conséquence, à l’exception
de l’article 9.»); l’application de l’article 9 de la convention,
qui porte sur les infractions accessoires, a été exclue, car les
articles 2 à 6 du projet de protocole additionnel érigent certaines
de ces infractions en infractions pénales. Il est très important
de souligner que la Convention no 196
s’applique, car cela clarifiera le rapport entre son application
et celle du droit international humanitaire (voir le paragraphe
26.5 de la convention qui exclut l’application de cette dernière
aux activités des forces armées en période de conflit armé) et le
sens de l’expression «infraction terroriste» définie à l’article
premier de la convention.
12. Je souhaiterais en conséquence proposer de reformuler la deuxième
phrase de l’article 9 du projet de protocole additionnel de la manière
suivante: «Pour les Parties, toutes les dispositions du présent
Protocole sont considérées comme des
articles additionnels à la Convention et s’appliquent
en conséquence, à l’exception de l’article 9» (voir, par exemple,
les Protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de
l’homme (STE no 5) dont les formulations
sont analogues).
3.2. Observations spécifiques
13. Les actes incriminés dans le projet de protocole
additionnel relèvent principalement de la préparation d’actes terroristes
(par exemple, se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme).
De plus, il est proposé d’incriminer toute tentative de se rendre
à l’étranger à des fins de terrorisme (article 4.3), comme le requiert
la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans
leurs communications, Amnesty International et la Commission internationale
de juristes déplorent l’absence d’un lien de causalité suffisamment
direct avec l’acte criminel principal (constituant une infraction
terroriste). Ils regrettent également que ne soit pas exigée une
intention claire et sans ambiguïté de commettre tous les éléments
d’une infraction.
14. Le projet de rapport explicatif du projet de protocole additionnel
précise que «[l]’obligation d’ériger, lorsque cela est nécessaire,
certains comportements en infractions pénales n’oblige pas les Parties
à établir des infractions indépendantes dans la mesure où, en vertu
du système juridique pertinent, ces actes peuvent être considérés
comme des actes préparatoires à la commission d’infractions terroristes
ou sont incriminés en vertu d’autres dispositions, y compris celles
liées à la tentative» (paragraphe 21). Concernant l’article 4.3, «[l]’infraction
de tentative doit être établie, non seulement en vertu, mais également
en conformité avec le droit interne d’une Partie. Les Parties peuvent
choisir d’incriminer la tentative de voyager, en vertu de dispositions existantes,
comme un acte préparatoire ou une tentative de commettre l’infraction
terroriste principale» (paragraphe 53). Pour ce qui est de la question
de l’intention, les infractions définies aux articles 2 à 6 du projet de
protocole additionnel doivent être commises «intentionnellement»
et requièrent un élément subjectif supplémentaire – soit un but
terroriste (articles 2 à 4), soit la connaissance du but terroriste
(articles 5 et 6). Je comprends parfaitement que les organisations
non gouvernementales (ONG) s’inquiètent pour la sécurité juridique
en relation avec de nouvelles infractions pénales, mais beaucoup
dépendra de la façon dont les Etats parties appliquent le protocole.
Compte tenu de la diversité des législations pénales nationales,
certaines dispositions du projet de protocole additionnel n’obligeront
pas nécessairement les Etats à créer de nouvelles infractions dans
leur Code pénal si celui-ci incrimine comme il convient la préparation
d’une infraction pénale ou la tentative de commission d’une infraction
pénale. La pratique fera aussi apparaître les difficultés auxquelles
pourraient se heurter les autorités de poursuite pour prouver l’existence
de l’intention de commettre les infractions définies dans le projet
de protocole additionnel.
15. Etant donné les conséquences que toute nouvelle disposition
de droit pénal pourrait avoir pour le respect des droits de l’homme,
je souhaite proposer, outre l’ajout d’une référence à l’Avis de
l’Assemblée dans le préambule du texte qui sera adopté, deux autres
amendements au dispositif, afin de tenir compte des préoccupations
à ce sujet exprimées par diverses parties prenantes au cours de
l’élaboration du texte.
- Je
proposerais d’ajouter à la fin de l’article premier les mots suivants:
«, et de leurs obligations en vertu du droit international des droits
de l’homme»;
- Au paragraphe 1 de l’article 8, je proposerais, après
l’adverbe «notamment», d’ajouter les mots «le droit à un procès
équitable, le principe de sécurité juridique,»; après les mots «la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales»,
d’ajouter «et dans ses Protocoles additionnels»; et après les mots
«le Pacte international relatif aux droits civils et politiques»,
d’ajouter «, dans la Convention relative aux droits de l’enfant».
16. Ces modifications visent à renforcer les clauses relatives
aux droits de l’homme figurant à l’article premier et au paragraphe 1
de l’article 8 du projet de protocole additionnel. Concernant le
premier amendement, il convient de mentionner explicitement les
obligations juridiques internationales relatives au respect des
droits de l’homme afin de montrer l’engagement des Etats à respecter
les droits de l’homme dans leur lutte contre le terrorisme.
17. Concernant le second amendement, je propose de mentionner
expressément le droit à un procès équitable (inscrit à l’article 6
de la Convention européenne des droits de l’homme) et le principe
de sécurité juridique (inscrit à l’article 7 de la Convention).
Le droit à un procès équitable, et en particulier le principe de
la présomption d’innocence, revêtent une importance cruciale dans
le contexte de l’incrimination de certains comportements susceptibles
de conduire à commettre des actes terroristes, mais qui ne sont
pas manifestement liés à de tels actes, comme le fait de se rendre
à l’étranger. Vu qu’il pourrait s’avérer très difficile pour le
ministère public de prouver l’intention de commettre un acte terroriste
dans de telles circonstances, les droits garantis par l’article 6
de la Convention européenne des droits de l’homme doivent prévaloir.
De même, il convient d’insister sur le principe de sécurité juridique
–
nulla poena sine lege –,
car le protocole additionnel peut obliger les Etats Parties à modifier
leur législation pénale (voir aussi les raisons invoquées au paragraphe 14
ci-dessus). Par ailleurs, il convient, à mon avis, d’ajouter une
référence aux Protocoles additionnels à la Convention européenne
des droits de l’homme qui énoncent d’autres droits de l’homme d’une importance
cruciale dans ce contexte. En particulier, l’instauration de l’infraction
consistant à «se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme» risque
de remettre en cause la liberté de circulation et le droit de quitter n’importe
quel pays, y compris le sien
,
garanti par l’article 2 du Protocole no 4
à la Convention européenne des droits de l’homme. Bien que ces droits
ne soient pas absolus, toute restriction qui leur est appliquée
(dans le cadre d’une enquête pénale), comme l’interdiction de voyager
ou le retrait du passeport, doit être conforme aux critères établis
dans cette disposition telle qu’interprétée par la Cour européenne
des droits de l’homme. En outre, je propose d’ajouter une référence
à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de
1990, car le phénomène des «combattants étrangers» concerne – dans
une certaine mesure – des personnes âgées de moins de 18 ans dont
les droits, dans le cadre d’une procédure pénale, doivent faire l’objet
d’une protection spéciale.
18. Enfin, et ce n’est pas le moins important, je voudrais soulever
d’autres problèmes touchant au respect des droits de l’homme dans
le contexte des incriminations prévues aux articles 2 à 6 du projet
de protocole additionnel. La privation de la nationalité (même si
la personne concernée possède d’autres nationalités) dans le contexte
de l’incrimination de toute forme de contribution à la commission
d’une infraction terroriste soulève de graves préoccupations sous
l’angle du droit à une nationalité et de l’obligation juridique
internationale des Etats d’éviter l’apatridie. Les Etats devraient
toujours faire tout leur possible pour offrir des garanties suffisantes contre
l’apatridie
. De plus, aucune mesure
prise par les Etats dans le cadre de la mise en œuvre du protocole additionnel
(s’il est adopté) – comme l’ouverture de poursuite pénales contre
un individu – ne doit être fondée uniquement sur le critère de son
origine ethnique ou de sa nationalité, car cela serait discriminatoire.