1. Finalité
du rapport
1. Malgré les avancées en matière de lutte contre le
dopage, ce fléau n’a malheureusement pas été endigué. Régulièrement,
des cas de dopage impliquant des athlètes de haut niveau sont «à
la une» des nouvelles sportives. Néanmoins, le dopage n’est pas
seulement un phénomène qui concerne la pratique sportive professionnelle:
le dopage investit massivement – même si de manière plus sournoise,
hors de la lumière des réflecteurs médiatiques – le sport amateur
et la pratique du sport par des millions de jeunes. Cela nous a
été confirmé par l’expert qui m’a assisté dans la rédaction de ce
rapport
ainsi
que par les experts que nous avons entendus lors des auditions du
12 mars 2015 à La Haye
et
du 2 juin 2015 à Paris
.
2. Je m’inquiète du fait que le dopage, en tant que violation
extrêmement grave de l’éthique sportive, corrompe la beauté du sport
par l’altération illicite des résultats. Mais je suis également
alarmé par le fait que nous sommes confrontés à un risque majeur
pour la santé publique, et par le fait que le trafic de produits dopants
alimente des flux financiers qui contribuent à enrichir des groupes
criminels.
3. Le sport moderne accorde beaucoup d’importance aux vainqueurs
et aux records; c’est aussi une conséquence de la transformation
du spectacle sportif en business. Mais le sport est beaucoup plus
que la recherche de celui qui est «le meilleur». Le sport demande
que tout athlète respecte un ensemble de règles: celles qui régissent
les modalités de la compétition sportive mais aussi les règles qui
correspondent à ce que nous appelons «l’esprit sportif».
4. Le sport ne s’épuise donc pas dans des compétitions régies
par des règlements officiels: l’activité sportive est liée à des
«valeurs», à un code d’honneur, une éthique sportive qui implique
le fair-play, le respect de son adversaire, la solidarité entre
les équipiers, ainsi que le respect de son corps et de sa santé.
Devenir un champion en se dopant, donc en «trichant», c’est contrevenir
à l’esprit et à l’éthique du sport. C’est aussi détruire le rôle
de modèle que les sportifs professionnels – notamment ceux de haut
niveau – représentent pour les jeunes sportifs et la jeunesse en
général: les vrais champions doivent porter les valeurs sportives. Ceux
qui trichent ne mettent pas en jeu seulement leur image et leur
carrière, mais l’image du sport et sa fonction en tant que vecteur
de valeurs sociaux.
5. La lutte contre le dopage a vocation à assurer un «sport propre».
Cependant, cette lutte est aussi nécessaire pour protéger un sport
«sain», voire la santé de millions de pratiquants européens et notamment des
adolescents et des jeunes sportifs. En effet, la pratique du sport
est majoritairement non professionnelle et de masse.
6. A cette pratique du sport, considéré comme loisir, est liée
l’une des finalités prioritaires – peut-être la plus importante
– de la promotion par les politiques publiques de l’activité sportive:
une telle activité, exercée de manière régulière et sans excès,
permet d’améliorer la condition physique (et aussi psychique) générale
et aide à se maintenir en bonne santé. Pour les personnes ayant
des problèmes d’obésité, hypertension artérielle, stress, dépression,
etc., l’activité sportive permet de réduire la consommation de médicaments.
Le cadre de vie plus sain qui s’établit grâce à cette pratique sportive
y concourt aussi. Par exemple, le fait de s’inscrire dans un club,
de travailler en équipe, de participer à des événements sportifs
favorise le lien social et une meilleure relation avec les autres.
Cela contribue aussi à une meilleure qualité de vie et donc à une meilleure
condition psycho-physique.
7. Dès lors, il est paradoxal que tant de jeunes, dans l’illusion
de devenir meilleurs dans le sport qu’ils pratiquent, se «gorgent»
de produits – le plus souvent à la composition plus que douteuse
et sans garantie quant aux conditions de fabrication – ou de médicaments
détournées de leur usage normal. La prise de médicaments dans un
but d’amélioration artificielle de la performance sportive contraste
avec les finalités du sport tel que nous voulons qu’il soit en tant
qu’élément qui contribue à structurer la vie sociale.
8. En somme, le dopage est une menace pour l’éthique sportive
et pour la santé, pour le sport et pour la société. Le but de mon
rapport est donc d’explorer de nouvelles lignes d’actions pour contrer
efficacement cette menace et d’inciter le Conseil de l’Europe et
ses Etats membres à les développer pour renforcer la lutte contre
le dopage, tant au niveau européen qu’au niveau mondial. Le Conseil
de l’Europe, qui a été à l’origine des travaux ayant mené à l’élaboration
de la Convention internationale contre le dopage dans le sport de
2005 de l’UNESCO, devrait avoir un rôle entraînant dans ce domaine.
9. A cet égard, j’ai identifié quelques pistes de réflexion:
- une meilleure compréhension
du phénomène du dopage, de son ampleur et de son impact;
- le renforcement des mécanismes de dépistage actuellement
en place;
- l’harmonisation des dispositions législatives et une collaboration
plus efficace entre les parties prenantes;
- la mise en place d’un contrôle du commerce des produits
potentiellement dopants, dont il faudrait assurer la traçabilité;
- l’amélioration de la prévention, notamment par l’information
des sportifs et par l’éducation des jeunes.
10. Dans les sections qui suivent, je traite d’abord la question
du dopage en tant qu’enjeu de santé publique; je donne ensuite quelques
indications sur le cadre actuel de la lutte contre le dopage, pour
mettre en évidence d’une part sa complexité et d’autre part quelques
limites. Je donne enfin quelques exemples de mesures de prévention.
2. Le dopage et ses
effets néfastes pour la santé publique
11. Lors de l’audition du 12 mars 2015 à La Haye, les
experts ont souligné la différence entre le «dopage» au sens juridique
du terme et une «conduite dopante»; celle-ci peut être définie comme
«la consommation d’un produit pour affronter ou pour surmonter un
obstacle réel ou ressenti par l’usager ou par son entourage dans un
but de performance».
12. La définition du dopage dans le sport correspond à la violation
des règles énoncées dans le Code mondial antidopage (voir paragraphe
35 ci-après) qui, outre l’usage ou tentative d’usage d’une substance
ou méthode interdite, sanctionne également d’autres cas de figure,
comme le trafic ou l’administration de substances interdites, le
fait de se soustraire aux contrôles, ou la falsification d’un élément
du contrôle et diverses hypothèses de complicité, y compris l’incitation
à la consommation.
13. Pour comprendre la diffusion des conduites dopantes, il convient
de rappeler que l’utilisation de produits ou méthodes dopantes permet,
selon les cas, d’accroître les capacités mentales (éveil, résistance
au stress, effacement des signaux de fatigue par exemple)
, les capacités
aérobies (transport de l’oxygène par le sang et son utilisation
par les fibres musculaires)
ou
la masse et donc la force musculaire
.
Ces capacités physiques, physiologiques ou mentales sont à la base
de la performance sportive.
14. L’influence du dopage sur les performances des sportifs diffère
en fonction des disciplines; cela peut expliquer une plus grande
fréquence des irrégularités constatées dans certains sports
.
Les sports d’endurance, de force et/ou de vitesse sont, statistiquement,
les plus affectés par le dopage. Néanmoins, des sports plus techniques
(tir à l’arc et tir sportif, par exemple) n’échappent pas à ce fléau.
15. Les avantages que le dopage donne en termes de performance
peuvent être compris en se référant au cas du dopage forcé, systématique,
organisé et financé par la République démocratique allemande (RDA) entre
1969 et 1989, qui fut à la base de la réussite sportive extraordinaire
de ce pays
. Cependant, comme l’étude de Giselher
Spitzer le dénonce, de telles pratiques eurent une incidence lourde
sur la santé des athlètes. Cette étude, qui a l’avantage d’avoir
le recul nécessaire pour affirmer un lien certain entre dopage et risques
pour la santé, montre que sur environ 10 000 athlètes qui, entre
1972 et 1989, ont été soumis à un dopage systématique, 5 % furent
atteints de troubles permanents et graves et 10 % à 15 % connurent
des troubles moins graves ou des troubles non permanents.
16. Le public a peut-être une vague connaissance des risques de
maladies cardiovasculaires (liés par exemple – mais pas seulement
– à l’utilisation des anabolisants stéroïdiens); mais, malheureusement,
les dangers identifiés dans de nombreux articles scientifiques sont
bien plus nombreux: développement de cancers; troubles du système
immunitaire, du système endocrinien et du métabolisme; maladies
et infections sanguines; troubles mentaux et psychiatriques (par
exemple, dépendances); modifications morphologiques; risques accrus
de blessures musculaires, tendineuses et traumatiques (par exemple,
fractures de fatigue); et d’autres encore.
17. La qualité, mais aussi l’espérance de vie, sont en jeu; une
fréquence statistiquement anormale des cas de «mort subite non traumatique»
de sportifs le confirme de manière tragique: le professeur Rieu
a fait état, pour la France, d’environ 800 décès par an (soit 2,2
par jour) sur les terrains de sport, 95 % des victimes étant des
hommes sans antécédents cardiovasculaires et dont la moyenne d’âge
est de 46 ans. Il a également dénoncé l’absence d’investigations
poussées et d’autopsie systématique, raison pour laquelle 78 % de
ces accidents reste d’origine indéterminée.
18. Même si le grand public entend parler (et nous discutons)
de dopage surtout à la suite de scandales médiatisés impliquant
des vedettes du sport et liés à des événements sportifs majeurs,
le dopage ne concerne pas seulement la petite population des sportifs
de haut niveau. Pour s’en rendre compte, il suffit de rappeler que
58 % des citoyens de l’Union européenne pratiquent une activité
physique ou sportive, et 41 % le font au moins une fois par semaine
.
En France, il y a 16 millions de pratiquants, dont 7 millions de
mineurs. C’est en ayant égard à cette population que la lutte contre
le dopage est un enjeu de santé publique majeure.
19. En ce qui concerne le dopage chez les adultes, la prévalence
du dopage serait comprise entre 5 % et 15 %. Elle serait plus élevée
chez les jeunes hommes (20-25 ans) pratiquant la compétition, notamment
de haut niveau
.
Une autre étude
a montré que «dans les pays européens,
dans la population pratiquant le culturisme, 22 % des hommes et
7 % des femmes ont recours à des produits destinés à “améliorer”
les performances».
20. Je souhaite insister sur l’étendue du phénomène du dopage
chez les mineurs: à cet égard, les résultats de la plupart des études
convergent:
chez les filles, le pourcentage de celles qui utilisent ou ont utilisé
des produits dopants est d’environ 1,5 % (0,6 % à 2,8 % selon les
études); chez les garçons ce pourcentage est de 3,7 % (2,6 à 5,1).
La consommation peut commencer très jeune (entre 9 et 13 ans) et
s’élève avec l’âge. En milieu scolaire, 4 % des jeunes sportifs
ont connu la tentation du dopage.
21. En France, selon une étude que l’université de Reims a mené
en 2004 en milieu scolaire, sur la base des réponses données par
6 402 adolescents (moyenne d’âge 16 ans):
- 4 % de ces jeunes avaient été confrontés au dopage;
- 2 % étaient déjà utilisateurs d'un produit interdit;
- les «incitateurs» étaient souvent parents, médecins et
éducateurs;
- pour 21 % des enfants, il était impossible de devenir
sportif de haut niveau sans dopage.
22. Nous ne pouvons pas ignorer la gravité de la situation concernant
les jeunes qui sont incités par des personnes adultes, proches d’eux
et à qui ils font confiance, à adopter une conduite dopante et finissent
pour acquérir la conviction qu’il n’est pas possible de bien réussir
dans le sport sans une aide pharmaceutique.
23. Souvent les sportifs, avant d’en arriver à enfreindre la réglementation
sur le dopage, suivent un cheminement qui passe d’abord par une
conduite dopante. Le phénomène du dopage a aussi des fondements psychologiques.
Le contexte d’automédication et l’utilisation de produits (compléments
alimentaires
, boissons énergisantes ou autres)
aux compositions parfois peu claires (et, dans quelques cas, hors
du commerce officiel) favorise – de façon peut-être non consciente
– la première prise de substances visant à améliorer artificiellement
la performance sportive, et ce surtout s’il est facile d’acquérir
ou de se procurer les médicaments ou substances en questions en
pharmacie, sur internet, à la maison, par un ami ou par l’entraîneur
.
24. A cet égard, plusieurs experts, dont le Professeur Michel
Rieu et le Dr Richard Budgett, ont attiré notre attention sur la
mauvaise utilisation des compléments alimentaires. De nombreux sportifs,
professionnels ou amateurs, en sont devenus de gros consommateurs
et les utilisent en particulier pour aider au développement de la
masse musculaire. Ils peuvent y être incités aussi par une publicité
qui exagère les effets bénéfiques de ces produits, qui sont en réalité
très peu efficaces sur la performance
.
25. En août 2013, M. Michel Marle, président du comité de prévention
du dopage à la Fédération française d'athlétisme, déclarait au Monde que «les compléments alimentaires
s'apparentent à une démarche dopante sociétale». L’Agence mondiale
antidopage (AMA) recommande une extrême prudence en matière d'utilisation de
ces compléments; dans de nombreux pays, les règles de production
et d’étiquetage ne sont pas strictes et, de ce fait, les sportifs
qui en consomment courent le risque d’ingérer sans le savoir des
substances non déclarées qui sont interdites par les règles antidopage,
par exemple des amphétamines ou des anabolisants stéroïdiens. De
fait, un nombre important de contrôles positifs ont été attribués
au mauvais usage de ces compléments, car les sportifs ne pensent
pas qu'il y ait le même risque qu'avec les médicaments et ne font
pas attention.
26. La conviction que certains produits aident à passer à un niveau
supérieur établit une situation de dépendance psychologique qui
peut porter, avec le temps, d’une utilisation occasionnelle à une
utilisation régulière, de produits plus légers à des produits plus
lourds et à des pratiques clairement illicites: prise de médicaments
avec un principe actif ayant des incidences cardiovasculaires, hormonales
ou endocriniennes, voire même utilisation de techniques et de dispositifs
médicaux particuliers (transfusions sanguines ou dopage génétique
par exemple) sous le contrôle de spécialistes «complices» pour éviter
la traçabilité.
27. Je me dois toutefois de préciser que je ne soutiens pas que
toutes les jeunes promesses du sport qui utilisent des boissons
énergisantes ou forcent sur les analgésiques pour continuer à s’entraîner,
malgré des douleurs liées aux traumatismes sportifs dont ils sont
victimes, seront un jour des sportifs dopés.
28. J’avance, néanmoins, que tous les sportifs dopés ont vraisemblablement
commencé un jour avec autre chose qu’un produit dopant lourd et
que l’incitation à l’utilisation de produits initialement plus anodins,
couplée avec la glorification sur le plan médiatique des seuls vainqueurs,
est un terreau qui favorise ensuite le recours à des substances
plus «efficaces» du point de vue de la performance sportive immédiate
et aussi plus dangereuses du point de vue des risques pour la santé;
et c’est aussi le terreau qui est exploité par les réseaux organisés
de dopage, pour la commercialisation illicite de produits, le plus
souvent eux-mêmes interdits.
3. Le cadre complexe
de la lutte contre le dopage
29. La lutte contre le dopage s’opère, à l’heure actuelle,
par un ensemble de dispositifs normatifs, mécanismes et actions
de prévention, de contrôle et de sanction, établis à différents
échelons – local, national, continental et international – par les
Etats (y compris les autorités de l’ordre judiciaire et les forces
de police) et par les institutions sportives (et leurs structures
disciplinaires). Le tableau en annexe en donne une image simplifiée.
3.1. La Convention contre
le dopage du Conseil de l’Europe
30. A l’échelon européen, le dopage a été historiquement
la première préoccupation du Conseil de l’Europe en matière de sport.
La Convention contre le dopage (STE no 135),
ouverte à la signature le 16 novembre 1989, est entrée en vigueur
le 1er mars 1990. A ce jour, elle a été
ratifiée par 52 Etats
.
31. Le but principal de la convention est de promouvoir une harmonisation
nationale et internationale des mesures à prendre contre le dopage.
Les Parties contractantes s’engagent:
- à créer un organe de coordination national;
- à réduire le trafic de substances dopantes et l’usage
d’agents dopants interdits;
- à renforcer les contrôles anti-dopage et améliorer les
techniques de détection;
- à soutenir des programmes d’éducation et de visibilité;
- à garantir l’efficacité des sanctions prises contre les
contrevenants;
- à collaborer avec les organisations sportives à tous les
niveaux, y compris au niveau international;
- à recourir aux laboratoires antidopage accrédités.
32. Un Groupe de suivi a été établi pour suivre sa mise en œuvre
et réexaminer périodiquement la liste des substances et méthodes
interdites qui se trouve en annexe du texte principal. Un Protocole
additionnel est entré en vigueur le 1er avril
2004; il a pour but d’assurer la reconnaissance mutuelle des contrôles
anti-dopage et de renforcer la mise en œuvre de la convention par
un système de contrôle obligatoire.
3.2. L’Agence mondiale
antidopage, le Code mondial antidopage et la Convention internationale contre
le dopage dans le sport
33. Sur le plan international, l’Agence mondiale antidopage,
créée en 1999, constitue la plateforme de coordination et de supervision
de cette lutte. Un Programme mondial antidopage
a été développé pour harmoniser
les règles et les pratiques antidopage parmi les organisations sportives
et les gouvernements, et le Code mondial antidopage
offre un cadre harmonisé
aux pratiques, règles et règlements antidopage des autorités publiques
et des organisations sportives.
34. Dans ce Code, le dopage est défini comme une ou plusieurs
violations des règles antidopage qu’il énonce dans ces articles
2.1 à 2.10, à savoir:
- présence
d’une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs
dans un échantillon fourni par un sportif;
- usage ou tentative d’usage par un sportif d’une substance
interdite ou d’une méthode interdite;
- se soustraire au prélèvement d’un échantillon, en refuser
le prélèvement ou ne pas s’y soumettre;
- manquements aux obligations en matière de localisation;
- falsification ou tentative de falsification de tout élément
du contrôle du dopage;
- possession d’une substance ou méthode interdite (à moins
que le sportif n’établisse que cette possession est conforme à une
autorisation d’usage à des fins thérapeutiques – AUT);
- trafic ou tentative de trafic d’une substance ou méthode
interdite;
- administration ou tentative d’administration à un sportif
en compétition d’une substance interdite ou d’une méthode interdite
- complicité (assistance, incitation, contribution, conspiration,
dissimulation ou toute autre forme de complicité intentionnelle
impliquant une violation ou une tentative de violation d’une règle
antidopage);
- association interdite.
35. Depuis 2004, l’AMA est responsable de la préparation et publication
de la Liste des interdictions
(publiée pour
la première fois en 1963 sous la direction du Comité international
olympique). Le Code mondial antidopage fonctionne en conjonction
avec cinq Standards Internationaux
–
dont l’application est obligatoire pour les signataires du Code
– visant une harmonisation dans les domaines suivants de la lutte
contre le dopage:
- Liste des
interdictions;
- contrôle;
- laboratoires;
- autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT);
- protection des renseignements personnels.
36. La Convention internationale contre le dopage dans le sport
(adoptée par l’UNESCO le 19 octobre 2005 et entrée en vigueur le
1er février 2007) contribue à assurer
l’efficacité du Code mondial antidopage. Cette convention – basée
sur la Convention contre le dopage du Conseil de l’Europe – donne
une base en droit international aux travaux de l’AMA et établit
un cadre juridique permettant aux gouvernements de traiter d’aspects
spécifiques du problème du dopage qui ne relèvent pas du domaine
du mouvement sportif. Ainsi comme l’UNESCO l’explique, «la Convention
contribue à formaliser des règles, politiques et lignes directrices mondiales
antidopage visant à offrir à tous les athlètes un environnement
de jeu honnête et équitable»
.
37. Il convient de noter que le Code mondial antidopage a été
récemment révisé; le nouveau texte, qui est entré en vigueur le
1er janvier 2015, comporte pour la première
fois une reconnaissance internationale formelle de la pertinence
des droits de l’homme dans la lutte contre le dopage. Le nouveau
Code fait référence au principe de proportionnalité et met en avant
le respect des droits de l’homme des sportifs, et en particulier:
la présomption d’innocence, le droit à la défense, l’indépendance
et l’impartialité des instances disciplinaires et des tribunaux,
les voies de recours, les problématiques de la publicité, la prescription
des sanctions, et le respect du domicile et de la vie privée et
familiale.
38. Le nouveau Code requiert aussi une plus grande ouverture de
la part des pouvoirs publics, qui devraient s’efforcer d’intensifier
la coopération et le partage d’informations, en particulier avec
les organisations nationales antidopage (ONAD) et les mouvements
olympiques et sportifs. Les ONAD ont à présent l’obligation de renforcer
leurs mécanismes d’enquête et de promouvoir l’utilisation des technologies
modernes dans leur travail. Les gouvernements, avec l’AMA, devront
peut-être examiner comment soutenir effectivement leurs ONAD et
comment faciliter la circulation transfrontalière de connaissances,
d’expériences et de bonnes pratiques.
3.3. Législations nationales
et normes des organisations sportives
39. A l’arsenal normatif de droit international s’ajoutent
les législations nationales. L’efficacité des contrôles des sportifs
est également portée par l’existence de dispositions juridiques
permettant de sanctionner les fraudeurs et toute personne qui ne
respecterait pas la législation en vigueur. Cette législation est
large puisqu’elle concerne la production et la vente de produits
dopants, l’organisation d’un système de dopage à destination de
sportifs, ou encore la prise de substances illicites par un sportif
lui-même. A titre d’exemple, je me permettrai de citer ici celle
de la France, qui a été l’un des tout premiers pays à légiférer
dans ce domaine.
40. En effet, la première loi sur le dopage en France date du
1er juin 1965
. Une nouvelle loi est intervenue le
23 mars 1999. Dans cette loi, désormais codifiée dans le livre VI
du code de la santé publique, le dopage est défini comme «l’utilisation
de substances ou de procédés de nature à modifier artificiellement
les capacités d’un sportif. Font également partie du dopage les
utilisations de produits ou de procédés destinés à masquer l’emploi
de produits dopants» (article L. 3631-1 du code de la santé publique).
41. Parmi les objectifs de cette loi:
- la création de nouvelles structures de soins et de prise
en charge des sportifs (les antennes médicales de lutte contre le
dopage);
- le renforcement des aspects répressifs de la lutte contre
le dopage, avec des peines aggravées pour les trafics et les faits
commis à l’encontre des mineurs;
- la création d’un réseau cohérent de prise en charge, avec
mise en place d’un numéro vert gratuit et anonyme.
- la restructuration des mesures disciplinaires à l’encontre
des sportifs ayant contrevenu au dispositif de la loi, avec une
meilleure intégration des différentes fédérations dans la lutte
antidopage;
- la coordination de la recherche en matière de médecine
du sport et de lutte contre le dopage;
- la création du Conseil de prévention et de lutte contre
le dopage, une autorité administrative indépendante chargée de veiller
à l’efficacité de la lutte contre le dopage (qui a été depuis remplacée par
l’Agence française de lutte contre le dopage – AFLD).
42. Les organisations sportives ont, elles aussi, adopté des normes
pour lutter contre le dopage ainsi que des mécanismes de contrôle
et de sanction. La quasi-totalité des fédérations sportives internationales disposent
soit d’une commission médicale en charge de la lutte contre le dopage,
soit d’une commission antidopage et d’une commission médicale. La
FIFA et l’IAAF ont par exemple un règlement antidopage qui leur est
propre. La Fédération internationale de tennis (FIT), l’Union Cycliste
Internationale (UCI), la Fédération Internationale de Volleyball
(FIVB), par exemple, ont élaboré chacune leur propre programme de
lutte contre le dopage.
4. Les points faibles
du système
43. Sans prétention d’exhaustivité, je souhaite mettre
en évidence ici quelques difficultés et limites du système actuel.
4.1. La difficulté dans
la détection
44. Le développement continu de nouveaux procédés et
produits potentiellement dopants que les techniques utilisées ne
permettent pas de détecter reste un problème d’actualité. Les contrôleurs
des organisations nationales anti-dopage (ONAD) ont dans certains
cas la quasi-certitude qu’il y eu dopage, mais ne sont pas en mesure
d’en faire la preuve, car les résultats des contrôles restent dans
la norme. Avec l’usage de micro-doses de produits dopants les sportifs
savent «lisser» leurs profils biologiques et ainsi éviter un changement
suffisamment significatif qui constituerait une preuve du dopage.
45. A ce même égard, les avancées dans le domaine de la santé
pouvant porter à ce qu’on appelle «l’amélioration humaine» demandent
une adaptation de la stratégie de lutte contre le dopage. La lutte
contre le dopage doit se mesurer à l’explosion de la biotechnologie
et du génie génétique (modulation de l’expression des gènes; évolution
de la thérapie génique; développement des nanobiotechnologies; progrès
de la biologie de synthèse).
4.2. Le phénomène non
appréhendé du dopage dans le sport de loisir amateur et semi-professionnel
46. Sur la base des résultats des études citées dans
la Section 3 et de ce qu’avancent plusieurs institutions et enquêteurs
de police, il semble bien que le nombre d’actes de dopage soit quantitativement
plus élevé dans le sport de loisir, amateur et semi-professionnel
que
dans le monde du sport professionnel. Ainsi, la récente étude de
la Commission européenne sur la prévention du dopage, de décembre
2014, conclut que «l’abus de substances dopantes dans les sports
de loisirs est devenu un problème sociétal et de santé publique
qu’il convient de résoudre». Néanmoins, il est quasiment impossible
d’objectiver cette donnée.
47. L’AMA elle-même reconnaît le dopage dans les salles de sport
comme étant un problème épineux. Bien entendu, il ne s’agit pas
ici de prise, comme pour les sportifs de haut niveau d’EPO (érythropoïétine)
ou d’utilisation d’autres procédés ou produits sophistiqués, souvent
sous une véritable surveillance médicale, mais principalement de
l’utilisation de stéroïdes anabolisants, de cannabis et d’amphétamines.
48. Néanmoins, les contrôles et les enquêtes policières sont effectués,
de fait, de manière quasi exclusive dans le cadre des activités
sportives professionnelles. Les sportifs amateurs n’en font que
très rarement l’objet. Par exemple, il n’est pas possible, à l’heure
actuelle, d’effectuer des perquisitions au domicile d’un sportif
non licencié, ou qui pratique un sport peu organisé tel que le fitness,
le culturisme, le combat libre (mixed
martial arts – MMA) ou la course à pied, même si l’on
a les informations sur le lieu, le moment et les produits avec lesquels
il se dope. Les procureurs ne s’intéressent pas au dopage «isolé»,
mais uniquement au dopage organisé, de grande ampleur, ou ayant
lieu dans un cadre formel (notamment celui des fédérations sportives agréées
ou reconnues).
49. Il me semble un vrai problème que le système de lutte contre
le dopage ne soit pas aujourd’hui en mesure de contrer le développement
de ce phénomène parmi les sportifs semi-professionnels (ceux qui
sont salariés) et les sportifs amateurs. Par ailleurs, non seulement
il n’y a pas (ou presque) de contrôles
;
il n’y a pas, non plus, de capacité à mesurer l’impact sur la santé
publique. Lorsqu’un jeune qui, aussi par ignorance, abuse de produits
dopants et en subit les effets consulte un médecin, celui-ci ne
fera pas nécessairement le lien avec la prise de produits dopants,
sauf s’il en est averti par les parents
.
4.3. La difficulté d’agencer
correctement l’action des diverses parties prenantes
50. La complexité du système qui résulte de la superposition
et imbrication des divers mécanismes aux divers niveaux pose la
question de savoir comment mieux les articuler. Je crois qu’on pourrait
assurer une meilleure coopération entre les services policiers,
les ONAD, les fédérations sportives et les gouvernements/ministères
des sports quand il y en a. Par exemple, il n’est pas certain que
les informations circulent de façon adéquate, alors que des échanges
d’information entre les différentes parties prenantes permettraient
sans doute un meilleur contrôle.
51. A l’audition du 12 mars 2015, M. Ram a fait référence aux
nombreuses difficultés concernant la coopération et les échanges
d’information que l’Autorité néerlandaise anti-dopage rencontre
au quotidien et a affirmé que les échanges internationaux et l’alignement
entre les agences chargées de faire respecter la loi sont également
problématiques. Mme Battaini-Dragoni
a souligné la nécessité d’examiner comment faciliter le transfert
transfrontalier de connaissances, expériences et bonnes pratiques,
et d’identifier les domaines où les synergies entre les acteurs
pertinents peuvent être développées.
4.4. Conflits d’intérêt
et exposition à des pressions externes
52. Il semblerait que, dans certains cas, les agences
nationales antidopage soient trop exposées d’une part au risque
de corruption, d’autre part, au risque de pressions politiques indues
visant à éviter l’éclatement de scandales pouvant ternir à l’image
des sportifs de haut niveau et à celle de leur pays aussi. Cela
pose la question de leur autonomie, mais aussi, je crois, d’une
inégalité de traitement des sportifs en fonction du pays où ils
pratiquent leur activité.
53. Un cas qui me semble témoigner des dérives graves qui peuvent
avoir lieu est celui de l’athlétisme en Russie. En décembre 2014,
la télévision publique allemande ARD a diffusé un documentaire apportant
des preuves accablantes de l'existence d'un système de dopage organisé
au sein de l'athlétisme russe. Il me semble peu probable qu’un tel
système soit mis en place et puisse durer sans une certaine complaisance
– sinon la complicité – de la fédération nationale concernée et
peut-être aussi de l’autorité nationale préposée aux contrôles anti-dopage.
Le réalisateur, Hans-Joachim Seppelt, un spécialiste du dopage,
interviewé par
Le Monde , a dénoncé l'attitude de l’Association
Internationale des Fédérations d’Athlétisme (IAAF) depuis ses révélations
et a fait état de la difficulté d'enquêter sur ces pratiques. Il
n’a pas hésité à dire que, pour lui, la plupart des personnes responsables
de la lutte antidopage font de leur mieux, à l'IAAF et ailleurs,
mais qu’elles n'ont pas d'argent, subissent beaucoup de pressions
politiques et doivent protéger leur travail et leur famille; donc
elles ne parlent pas.
54. Des différences existent aussi entre diverses disciplines
sportives. Je porte ici le cas spécifique du football, qui est reconnu
comme un milieu dans lequel il est difficile de pénétrer pour effectuer
des contrôles. Certains ONAD n’ont même pas la possibilité d’effectuer
des contrôles sur les footballeurs! Cela ne signifie pas que les
joueurs ne sont pas contrôlés, mais la lutte antidopage dans le
football est faite exclusivement ou presque par les instances du
football: les fédérations nationales, continentales et internationales.
Le risque que les intérêts en jeu – économiques mais aussi d’image
– aboutissent à des contrôles inefficaces (trop prévisibles ou incomplets,
par exemple) me semble trop élevé. On aime dire que le football
est un sport propre et nous aimerions tous le croire sans réserves;
mais je n’en suis pas aussi certain.
55. Une Fédération internationale qui a fait l’objet d’âpres critiques,
mais semble vouloir remédier aux erreurs commises, est l’UCI. Suite
aux révélations de l'Agence antidopage américaine (Usada) sur les pratiques
des équipes de Lance Armstrong et sur la protection dont il aurait
bénéficié au sein même de l’UCI, Brian Cookson, actuel président
de la fédération, a commandité un rapport à la Commission indépendante
de réforme du cyclisme (CIRC) qui a été mise en place en janvier
2014. Dans ce rapport (publié le 9 mars 2015), on peut lire que,
pour la CIRC, sous Hein Verbruggen, la lutte de la fédération contre
le dopage n’était qu’une façade, avec une stratégie de contrôles
inefficace. La CIRC considère aussi qu'il y a toujours une culture
du dopage dans le cyclisme. Elle note à cet égard que les programmes
de dopage deviennent plus sophistiqués pour échapper aux contrôles,
que les médecins jouent un rôle clé et que certains médicaments
ou traitements non interdits par l'AMA ou légitimés par des autorisations
d’usage à des fins thérapeutiques sont détournés afin d'améliorer
les performances.
4.5. Un monitorage insuffisant
des flux commerciaux de produits dopants
56. Comme cela a été confirmé par M. Vansteenkiste, la
lutte contre le dopage, et en particulier le dopage dans le sport
dit «de masse», est en corrélation avec la lutte contre les réseaux
de trafiquants de produits dopants, qui est aussi en lien avec le
trafic de stupéfiants. Il s’agit clairement d’un problème qui n’est
pas simplement national ou même européen, mais international. Il
est essentiel d’identifier les réseaux criminels qui sont derrière
le phénomène et de combattre les organisations responsables de la
production (laboratoires clandestins qui fabriquent des médicaments
et des substances illicites), de la distribution et du trafic des produits
dopants illicites.
57. Dans le cadre européen, il faut renforcer les moyens policiers
pour mieux repérer, enquêter, puis condamner les personnes qui créent
et gèrent des laboratoires clandestins, destinés à la fabrication
de produits dopants (y compris des nouvelle substances, comme les
molécules de synthèse dont les effets sur la santé peuvent être
extrêmement nuisibles).
58. Le secteur des produits pharmaceutiques est déjà réglementé.
Mais ici il n’est pas suffisant de s’intéresser aux laboratoires
pharmaceutiques «classiques» et déjà bien connus: ce sont les réseaux clandestins
qui sont en cause. Plusieurs méthodes innovantes
sont
maîtrisées dans le monde par de nombreux petits laboratoires de
biotechnologie qu’il est difficile de répertorier et de contrôler,
contrairement à la grande industrie pharmaceutique avec laquelle
il est possible d’adopter une démarche contractuelle afin d’être
informés des nouvelles molécules ayant une potentialité dopante
et en attente de mise sur le marché. Il faut sur ce sujet travailler
de concert avec des organismes tels qu’INTERPOL et EUROPOL.
4.6. Une harmonisation
des législations à poursuivre
59. La collaboration policière et judiciaire entre les
pays peut être plus ou moins facile selon les cas. En particulier,
les différences législatives peuvent jouer aussi contre une coopération
efficace. A cet égard, il me semble que la Convention du Conseil
de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions
similaires menaçant la santé publique (STCE no 211,
«Convention MEDICRIME») offre un cadre commun qui permettrait le
niveau d’harmonisation nécessaire.
60. Cette convention, qui n’est pas encore en vigueur, ne vise
pas seulement la fabrication intentionnelle de produits médicaux,
substances actives, excipients, éléments, matériaux et accessoires
contrefaits; elle concerne aussi des infractions similaires menaçant
la santé publique (article 8), y compris la fabrication, le stockage
pour fourniture, l’importation, l’exportation, la fourniture, l’offre
de fourniture ou la mise sur le marché soit de médicaments sans
autorisation, soit de dispositifs médicaux ne remplissant pas les
exigences de conformité.
61. La convention prône l’introduction de sanctions pénales adéquates,
ainsi que de mesures de prévention et de protection des victimes.
Ouverte aux pays du monde entier, elle offre également un cadre
de coopération internationale et prévoit des mesures destinées à
améliorer la coordination au niveau national. Dès lors, je considère
que sa ratification et mise en œuvre renforcerait considérablement
le cadre légal de la lutte contre le dopage.
5. Moyens et actions
de prévention du dopage
62. Il me semble nécessaire de faire front plus efficacement
au dopage en agissant plus en amont par la prévention. Autorités
sportives et autorités publiques ont leurs rôles – et responsabilités
– respectifs à cet égard. Il convient donc de distinguer entre,
d’une part, les moyens du mouvement sportif et les actions mises en
place dans ce contexte et, d’autre part, les moyens et actions de
prévention du ressort des autorités publiques, y compris les organisations
nationales antidopage. Les paragraphes suivants reprennent quelques idées,
de manière synthétique.
5.1. Mouvement sportif
63. Dans quelques pays (par exemple l’Allemagne, la Bulgarie,
l’Espagne, la Grèce et la Pologne), des organisations sportives
ont élaboré des manuels ayant pour but de promouvoir la connaissance
de la réglementation anti-dopage et de sensibiliser les sportifs
aux risques pour la santé. Ces manuels sont adaptés en trois niveaux,
destinés à des publics différents: jeunes sportifs, sportifs amateurs
réguliers et sportifs de haut-niveau et professionnels.
64. On retrouve souvent sur les sites internet des organisations
sportives des messages sur la nécessité de pratiquer son sport sainement
pour l’éthique et sa propre santé, ainsi que des informations (juridiques
ou médicales) à jour concernant la réglementation en vigueur (particulièrement
celle de l’AMA), les AUT, les contrôles antidopage, la prévention
des blessures et l’automédication.
65. Certaines fédérations sportives organisent des sessions de
formation à destination des jeunes sportifs, y compris de manière
vidéo-ludique, sous forme de quizz et de jeu de rôles. Par exemple,
l’UEFA a un programme de sensibilisation visant spécialement les
jeunes joueurs. Des sessions d'instruction sur la lutte contre le
dopage sont menées lors des phases finales de toutes des compétitions
juniors de l'UEFA. Des supports pédagogiques sont distribués aux
joueurs pour les sensibiliser sur ce sujet, les informer des règles et
procédures antidopage de l'UEFA et leur éviter toute erreur de procédure.
66. Par ailleurs, dans le cadre de son programme de formation
pour les médecins sportifs, l’UEFA offre depuis 2015 un module concernant
la lutte contre le dopage; les médecins formés (un par fédération
nationale) reçoivent tous les matériels nécessaires pour former
à leur tour d’autres médecins au niveau national pour produire ainsi
des effets positifs en cascade. Un module spécifique de formation
concerne aussi les compléments alimentaires; le message donné est
sans équivoques: seulement 2 à 3 compléments peuvent être utiles
dans certaines circonstances, mais en général, si le produit fonctionne
il est probablement interdit; s’il n’est pas interdit c’est que
probablement il est inefficace; dans tous les cas, le risque de
contamination du sportif est relativement élevé.
67. Une mention spécifique doit être faite du «passeport biologique
de l’athlète» (BPA), basé sur le suivi dans le temps de certaines
variables biologiques sélectionnées – les marqueurs individuels
– dont les variations peuvent révéler indirectement les effets du
dopage. Le cyclisme a été, en janvier 2008, l’un des premiers sports
à utiliser le passeport biologique, en créant un dossier électronique
individuel propre à chaque coureur, dans lequel sont réunis les
résultats des contrôles urinaires et sanguins individuels le concernant.
68. En suivant les paramètres biologiques sélectionnés de façon
constante tout au long de la carrière d'un athlète, il est possible
d'établir son profil hématologique/stéroïdien afin de déterminer
ses valeurs «normales» et de mieux faire apparaître d'éventuelles
variations. En 2009, l’AMA a pris en charge le développement du concept
du passeport biologique. Initialement, l’AMA a établi une méthode
normalisée de profilage des variables hématologiques des athlètes
(module hématologique, ou module sanguin) auquel plus récemment s’est
ajouté le module stéroïdien.
69. L’AMA a également lancé en 2005 son Système d’administration
et de gestion antidopage (ADAMS), un instrument de gestion en ligne
où sont réunies diverses données liées à l’antidopage, en particulier
les résultats des laboratoires, les informations sur les autorisations
d’usage à des fins thérapeutiques et sur les violations de règles
antidopage. Il permet le partage d'informations entre les organisations
concernées et autorisées. Ce système s’est rapidement développé.
70. Dans le domaine du football, le programme anti-dopage de l'UEFA
pour la saison 2015/16 vise à créer des profils de passeport biologique
pour les joueurs participant aux compétitions européennes qui seront également
utiles au niveau national. L'objectif de l'UEFA est de partager
ces données et renseignements avec les agences nationales antidopage
dans le but de coordonner les contrôles et, si nécessaire, de cibler
certains joueurs selon les résultats de leurs profils. L'UEFA a
déjà signé avec l'AMA l'accord pour utiliser ADAMS et s'attelle
maintenant à finaliser un accord de collaboration qu'elle va proposer
aux agences nationales.
5.2. Autorités publiques
71. Un exemple classique de moyen de prévention est celui
des campagnes nationales d’information (par exemple affiches, télévision
et radio, guides de bonnes pratiques, etc.). Néanmoins, ce type
d’action ne saurait atteindre à lui seul les résultats escomptés.
72. Des pays comme la France et l’Allemagne disposent de programmes
nationaux de prévention du dopage. La France organise sa prévention
au niveau ministériel et de ses différentes directions régionales
de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS); dans
le cas de l’Allemagne, c’est l’Agence nationale anti-dopage qui
s’en charge.
73. En France, un numéro de téléphone «écoute dopage» a été ouvert,
que les sportifs amateurs, les parents, les coéquipiers, les amis…
peuvent utiliser pour signaler ou simplement en parler. Certes,
la Cour des comptes française a exprimé des réserves sur les résultats
obtenus, par rapport au coût du service. Néanmoins, il me semble
important que des opérateurs bien formés puissent être contactés
et soient à l’écoute. Nous savons que le besoin est là.
74. On a des exemples de programmes de prévention plus ciblés,
comme celui sur la mauvaise utilisation de stéroïdes anabolisants
chez les adolescents suédois, qui a concerné 451 adolescents
.
75. La création d’instances d’accompagnement participe aussi à
la prévention des conduites dopantes. A titre d’exemple, la France
dispose au sein de ses DRJSCS d’un personnel en charge des questions
de dopage, formé pour encourager des actions de prévention auprès
des clubs sportifs locaux et régionaux. Ils pourraient avoir comme
mission complémentaire la sensibilisation et la formation des médecins
et d’autres professionnels de santé directement en lien avec les
activités physiques et sportives (ostéopathes, masseurs, kinésithérapeutes,
préparateurs mentaux/physiques, sophrologues, etc.).
76. La formation des médecins et professionnels de santé est fondamentale,
car ces personnes ont un rôle clé à jouer dans la prévention du
dopage, les sportifs étant souvent plus proches d’eux que de leur
entraîneur. Par exemple, de nombreux médecins n’ont pas une connaissance
adéquate des réglementations de l’AMA et notamment de la liste des
produits interdits. Ainsi, ils pourraient prescrire, sans le savoir,
des médicaments contenant des substances interdites en compétition
ou à l’entraînement.
77. En France, le ministère des Sports et l'ordre des pharmaciens
ont signé, le 24 février 2015, une convention de «prévention du
dopage lié à l'usage des compléments alimentaires par les sportifs»
. C’est une bonne démarche;
néanmoins, en sachant que la plupart des achats se fait par internet,
elle ne semble pas suffisante pour contrer la diffusion de ces produits,
notamment dans le milieu du sport amateur et semi-professionnel.
Il faudrait probablement insister davantage dans les programmes
d’information et les projets de sensibilisation réalisés par les
organisations sportives à la fois sur les risques cachés et sur
l’inutilité de la démarche.
6. Conclusions
78. Il faut se réjouir de la volonté affichée par les
acteurs aux niveaux national et international de lutter contre le
phénomène du dopage. Néanmoins, j’estime que la stratégie de lutte
contre le dopage devrait prendre davantage en compte la nécessité
de développer des actions de prévention auprès des jeunes sportifs amateurs
et semi-professionnels et d’intensifier la lutte contre le trafic
de produits dopants qui, par ailleurs, enrichit des groupes criminels.
En effet, celles-ci devraient être deux priorités de cette stratégie.
79. Comme nous l’avons aussi affirmé à l’égard de la question
de la manipulation des résultats sportifs, lorsqu’il s’agit de protéger
le sport et ses valeurs en même temps que la légalité, et de lutter
contre la fraude sportive en même temps que contre la criminalité
organisée, il est indispensable d’assurer une coordination maximale
entre divers services de l’Etat et une collaboration forte entre
les différents partenaires. A ce dernier égard, je songe autant
au renforcement de la coopération policière qu’au développement
de plus de synergies entre le monde du sport et les autorités publiques.
80. Tous les experts que nous avons auditionnés ont été d’accord
sur la nécessité de travailler ensemble pour gagner en efficacité.
Cela ne s’applique pas seulement au système de contrôle, détection,
poursuite et sanction des violations aux normes contre le dopage,
mais aussi au domaine de la prévention. Il faut renforcer la collaboration
avec les associations de terrain et les éducateurs sportifs. A cet
égard, je propose de développer la labellisation des salles de sports
et la diffusion de codes de conduite excluant la commercialisation
(et toute forme d’incitation à la consommation) de produits ayant
des effets dopants (même si licitement en commerce) dans le but
d’améliorer la performance physique.
81. Je suis également convaincu que le système de l’éducation
nationale devrait être impliqué dans les actions d’information et
de prévention dans ce domaine et travailler en collaboration avec
le mouvement sportif. En effet, j’attache une importance toute particulière
au rôle que l’école peut jouer dans ce domaine non seulement pour
sensibiliser les jeunes sur les risques liés aux conduites dopantes
et au dopage, mais aussi, en positif, pour promouvoir l’éthique
et les valeurs sportives. C’est en agissant en amont que nous pouvons obtenir
les meilleurs résultats.