1. Introduction
1. La République de Chypre a adhéré
au Conseil de l’Europe le 24 mai 1961 et est devenue membre de l’Union
européenne en 2004. Le pays est divisé en deux depuis l’invasion
par la Turquie de la partie nord de Chypre en 1974. Conformément
à la
Résolution 1376
(2004), des représentants élus de la communauté chypriote turque
participent aux travaux de l’Assemblée parlementaire et de ses commissions.
2. La République de Chypre compte 885 600 habitants, et 260 000
personnes vivent dans la partie nord de l’île. Il s’agit d’une démocratie
présidentielle, dotée d’un parlement unicaméral. Les dernières élections législatives
tenues le 22 mai 2011
ont enregistré un taux de participation
de 78,7 %
. Cinquante-six députés de la Chambre
des Représentants, dont sept femmes (12,5 %), ont été élus pour
un mandat de cinq ans. Le parlement est composé du groupe conservateur
«Rassemblement démocratique» (DISY, 20 sièges), du Parti progressiste
des masses laborieuses (AKEL, 19 sièges), de partis du centre et
de la gauche (15 sièges)
et de membres indépendants.
Nicos Anastasiades, président du DISY, a été élu Président de la
République le 24 février 2013 avec 57,48 % des voix.
3. Le présent rapport périodique a été élaboré en application
de la
Résolution 2018
(2014) et conformément à la note explicative approuvée par
la commission le 17 mars 2015
. Je souhaiterais remercier la
délégation chypriote à l’Assemblée parlementaire et les autorités
pour leur coopération active et constructive. Leurs commentaires
ont
été pris en compte dans mes conclusions. Par ailleurs, étant donné
la situation particulière de l’île de Chypre, j’ai jugé utile de
rappeler certaines informations générales concernant les derniers
développements politiques et économiques. Je me dois de souligner
que le conflit et le règlement de la question chypriote n’entrent
pas dans le cadre de cet examen périodique mais qu’il convient de
les évoquer à ce stade, compte tenu de l’importance qu’ils revêtent
au plan national.
4. La seconde partie met en lumière certains des principaux défis
auxquels la République de Chypre est confrontée dans le domaine
de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Nous
n’y aborderons pas la situation de la partie nord du pays. Mon évaluation
repose, entre autres, sur les constatations et conclusions les plus
récentes des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, le Commissaire
aux droits de l’homme, les rapports de l’Assemblée parlementaire
et, le cas échéant, sur les rapports préparés par d’autres organisations
internationales ou par la société civile.
2. Informations générales
2.1. Une île divisée
5. Lorsque Chypre est devenue
indépendante en 1960, elle a conclu avec la Grèce, la Turquie et
le Royaume-Uni un traité (le «traité de garantie») garantissant
les principes fondamentaux de la Constitution ainsi que l’intégrité
territoriale et la souveraineté du pays
.
Les tensions grandissantes entre les communautés chypriotes grecque
et turque ont donné lieu en 1963 à une flambée de violence, incitant
le Royaume-Uni et Chypre à solliciter l’assistance des Nations Unies.
La Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre
(UNFICYP) a été déployée en 1964 et a vu son mandat élargi au lendemain
du coup d’Etat de 1974 à Chypre
et de l’invasion par la Turquie.
L’UNFICYP
assure notamment la surveillance
de la zone tampon (près de 3 % de la superficie de l’île) qui scinde
le pays et Nicosie, dernière capitale divisée en Europe
. A l’heure actuelle, l’UNFICYP a
un effectif d’un millier de personnes
. De leur côté, les autorités de la République
de Chypre sont chargées du contrôle de toute personne qui traverse
la Ligne verte et de la surveillance effective de cette ligne de
démarcation, conformément au règlement n° 866/2004 du Conseil de l’Union
européenne (le règlement «Ligne verte»).
6. La population des deux tiers sud de l’île, gouvernés par les
autorités de la République de Chypre, est composée presque intégralement
de Chypriotes grecs. Celle du tiers nord de l’île, qui n’est pas
sous le contrôle effectif du gouvernement de la République de Chypre
, comprend des Chypriotes turcs, des
colons de la Turquie continentale et près de 42 000 soldats turcs
.
7. A la suite de plusieurs tentatives de règlement de la question
chypriote, y compris le «Plan Annan» en 2004
, les pourparlers de paix
ont été relancés par l’adoption, en février 2014, d’une déclaration
conjointe du Président Nicos Anastasiades et du dirigeant chypriote
turc Derviş Eroğlu, convenant de fonder ce règlement sur le principe
d’une fédération bicommunautaire et bizonale reconnaissant à chaque
partie un pouvoir politique égal, tel qu’énoncé dans les résolutions
pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies et les Accords
de haut niveau. Cependant, les négociations relatives à l’île divisée
ont été suspendues le 7 octobre 2014, après l’émission par la Turquie
d’une directive sur le télex de navigation concernant l’envoi d’un
navire d’études sismiques chargé d’observer l’exploration de pétrole
et de gaz dans la partie méridionale de la zone économique exclusive
(ZEE) de la République de Chypre
.
8. Après l’élection d’un nouveau dirigeant chypriote turc, en
avril 2015, les négociations entre les deux parties ont repris,
le 15 mai 2015. Le climat s’est notablement amélioré et il y a un
sentiment d’espoir général de voir bientôt réunies les conditions
propices à une avancée sensible des négociations. Les deux dirigeants sont
également convenus de définir des mesures de confiance afin d’améliorer
la vie quotidienne des citoyens et de développer la confiance mutuelle.
2.2. La question des personnes
disparues
9. La division de l’île intervenue
après les tragiques événements des années 1963-1964 et 1974 a eu
de graves conséquences humanitaires et la question des personnes
disparues reste ouverte
. Selon le Comité des
personnes disparues à Chypre, au 30 juin 2015, 1 057 Chypriotes
grecs et 349 Chypriotes turcs sont toujours portés disparus tandis
que 451 et 144 respectivement ont été identifiés depuis 2006
. En 2013, l’Assemblée s’est félicitée
des divers arrêts prononcés par la Cour européenne des droits de
l’homme dans des affaires liées à des disparitions de personnes
à la suite des conflits entre, notamment, Chypre et la Turquie,
qui «soulignent l’obligation faite aux Etats de retrouver les personnes
disparues et les tiennent pour responsables s’ils ne le font pas.
Ces arrêts précisent également que les Etats impliqués dans ces
conflits restent soumis à cette obligation jusqu’à la réalisation
d’une enquête appropriée, et qu’il est possible que ces Etats en
soient responsables des années après la disparition». L’Assemblée
s’est également déclarée convaincue que l’examen approfondi d’affaires
liées à des disparitions permet à la Cour européenne des droits de
l’homme de pousser les Etats membres à accélérer les procédures
pour permettre aux familles de connaître la vérité sur le sort de
leurs proches disparus
.
A cet égard, il convient de se féliciter de la déclaration conjointe du
Président Anastasiades et du dirigeant chypriote turc Mustapha Akıncı
sur la question des personnes disparues, diffusée le 28 mai 2015,
qui souligne l’importance de clore ce chapitre tragique et invite
toute personne en possession d’informations sur les lieux où seraient
enterrées certaines de ces personnes à dûment informer le Comité
des personnes disparues.
2.3. La crise bancaire de 2013-2014
11. En 2012, l’économie de Chypre,
qui repose sur les services, le tourisme, l’industrie légère et,
plus récemment, les services financiers fournis aux investisseurs
essentiellement russes et d’Europe de l’Est, a été durement frappée
par son exposition massive à l’économie de la Grèce, frappée par
la récession. Le pays a été contraint de demander une aide d’urgence
aux prêteurs internationaux
.
12. La crise du secteur bancaire est due à la libéralisation rapide
de l’économie à la suite de l’adhésion du pays à l’Union européenne
et de son adoption de l’euro, à la crise financière mondiale qui
a éclaté en 2008, au nombre croissant de prêts non productifs, à
des stratégies d’expansion hasardeuses et à des prêts imprudents,
au fonctionnement d’un vaste secteur bancaire peu contrôlé et à
la gouvernance déficiente, et enfin à un manque de ressources au
moment où les banques avaient besoin d’être renflouées. L’effondrement de
l’économie grecque et la forte exposition de Chypre aux obligations
du gouvernement grec ont porté le coup de grâce au secteur, mettant
à mal le bilan des banques.
13. A la suite du plan de sauvetage de 10 millions d’euros
conclu avec l’Eurogroupe en avril
2013, Chypre a dû infliger de lourdes pertes aux détenteurs de grands
comptes de ses principales banques, la Bank of Cyprus et la Laiki
Bank. Cette mesure a été suivie par la fermeture immédiate pendant
près de deux semaines de l’ensemble du secteur bancaire avec la
mise en place de contrôles des capitaux, afin de prévenir la ruée vers
les banques. Les Chypriotes et le secteur bancaire local ont été
sévèrement touchés par la fermeture de la Laiki Bank et la restructuration
de la Bank of Cyprus, qui ont entraîné une «décote» de 47,5 % imposée
aux déposants. Les dépôts d’un montant supérieur à € 100 000 ont
été convertis en participations afin de recapitaliser la Bank of
Cyprus, qui a par ailleurs repris la majeure partie des actifs et
des dettes de la Laiki, dont 9,2 milliards d’euros liés à l’aide
de liquidités d’urgence.
14. Les mesures prises ont été drastiques, suscitant – et continuant
de susciter – une colère bien compréhensible. L’économie chypriote
autrefois florissante a subi de lourdes pertes, le PIB chutant de 7,7 % en
termes cumulés en 2013-2014
. Le niveau de vie de la population
a fortement diminué. Pourtant, contrairement à d’autres pays de
l’Union européenne faisant l’objet de programmes de sauvetage, Chypre
n’a pas connu de ruée vers les banques ni d’émeutes violentes et
les Chypriotes ont fait preuve de résilience et de solidarité. La
restructuration du secteur financier et la refonte du modèle de
gestion des institutions financières, ainsi que la réforme du cadre
de réglementation et de contrôle, sont essentielles pour que Chypre établisse
un secteur bancaire plus petit, plus fort et plus sûr. Chypre est
un pays de
common law avec
un environnement économique très compétitif, une structure fiscale
favorable aux investissements et des possibilités d’investissement
croissantes dans le tourisme, l’immobilier et les secteurs pétrolier
et gazier
.
15. Aujourd’hui, Chypre continue de faire face aux conséquences
de la crise bancaire et de la mise en œuvre des programmes de renflouement.
Plusieurs mesures relatives aux finances publiques, au secteur financier
et aux réformes structurelles ont été adoptées et mises en œuvre,
même si elles sont parfois intervenues tardivement au titre du programme
d’ajustement macroéconomique. Une loi sur les saisies a été adoptée
à la majorité simple le 18 avril 2015
, ouvrant la voie à l’adhésion de
l’île renflouée au programme d’achat d’obligations souveraines par
la Banque centrale européenne. L’économie chypriote demeure néanmoins
confrontée à certains problèmes et à des défis majeurs.
16. Le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte
contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
(MONEYVAL)
suit
également la situation du système bancaire dans le cadre de l’élaboration
de rapports d’«évaluation spéciale sur l’efficacité des mesures
prises par le secteur bancaire en matière de devoir de vigilance
à l’égard de la clientèle». Un nouveau rapport doit être présenté
en septembre 2015.
3. Principaux défis en matière
de démocratie, de droits de l’homme et d’Etat de droit
17. En date du 30 juin 2015, Chypre
avait ratifié 134 traités du Conseil de l’Europe et en avait signé 16 autres
qu’elle n’avait pas ratifiés, y compris la Convention du Conseil
de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique (
STCE
n° 210, «Convention d’Istanbul»). Le 12 février 2015, le pays
a ratifié la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels (
STCE
n° 201, «Convention de Lanzarote»). Cette ratification faisait
suite à sa participation active à la «campagne UN sur CINQ» du Conseil
de l’Europe
et à la mise en
œuvre d’un projet pilote cofinancé par la Fondation Leventis et
l’Assemblée parlementaire
.
3.1. Rétention de migrants en
situation irrégulière et de demandeurs d’asile
18. Compte tenu de sa situation
géographique, Chypre a dû faire face à l’arrivée massive de réfugiés
et de demandeurs d’asile. Selon les données officielles du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 4 281 réfugiés et 2 830
demandeurs d’asile résidaient à Chypre en juillet 2014
. En raison du conflit actuel en Syrie
et dans d’autres régions, le nombre réel de migrants en situation
irrégulière et de demandeurs d’asile est probablement bien plus
élevé. La rétention de ces catégories de personnes est un sujet
de préoccupation permanent à Chypre. Le problème de la rétention
prolongée d’étrangers dans des conditions inadaptées a été mis en
avant par le Commissaire aux droits de l’homme en 2008, ainsi que
par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), le HCR et Amnesty
International
.
Le 21 juillet 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu
à une violation de l’article 5.1 (légalité de la détention en relation
avec le transfert et la détention des intéressés au poste de police)
dans l’affaire relative à l’expulsion de 17 demandeurs d’asile de
Chypre vers la Syrie en 2012
.
19. Etant donné l’afflux incessant de demandeurs d’asile et de
réfugiés qui traversent la Ligne verte, à travers des zones qui
ne sont pas sous le contrôle effectif du Gouvernement de la République
de Chypre, le Commissaire aux droits de l’homme de l’époque, Thomas
Hammarberg, a recommandé en 2008 le renforcement du service de l’asile
et l’instauration d’une coopération concrète afin de décourager
cet afflux et rappelé l’importance de fournir rapidement aux personnes
concernées des informations compréhensibles sur la protection sociale.
Il a également instamment invité les autorités à adopter la loi
sur l’aide juridique gratuite
.
20. Ayant constaté que de nombreuses personnes retenues semblent
manquer d’informations sur la durée prévue de leur rétention, le
Commissaire a engagé les autorités à donner des instructions plus
précises aux fonctionnaires de police à ce sujet et à leur permettre
d’expliquer aux personnes retenues les mesures administratives permettant
d’obtenir une décision concernant leur libération. Le Commissaire
a par ailleurs appelé les autorités à garantir, dans la pratique,
l’accès à un recours juridictionnel pour contester les décisions de
rétention et d’éloignement et à permettre aux personnes retenues
de recevoir des visites régulières, y compris de membres d’ONG.
D’après les informations communiquées par les autorités en juillet
2015, toute personne placée en rétention jouit d’un accès garanti
à un avocat, à sa famille et aux ONG. En outre, toute personne faisant
l’objet d’une décision de retour en raison d’un séjour irrégulier
a droit à une aide juridique gratuite
.
21. La question du traitement des ressortissants étrangers a également
été soulevée dans les rapports du CPT (voir ci-après) et reste d’actualité.
Dans une publication de 2014, Amnesty International a souligné que
la rétention de demandeurs d’asile à des fins d’immigration ne doit
être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles et qu’il
convient de respecter les droits de l’homme des migrants en situation
irrégulière lors des procédures d’éloignement. Amnesty a notamment
exhorté le gouvernement à veiller à ce que des alternatives moins
restrictives à la rétention soient systématiquement examinées et
utilisées en premier lieu, à remettre en liberté les migrants clandestins
lorsque leur éloignement de Chypre ne peut être entrepris dans un délai
raisonnable et à s’assurer que la décision de placement en rétention
fasse l’objet d’un réexamen régulier par un organe juridictionnel,
sur la base de critères clairs établis dans la loi
. Les autorités ont néanmoins souligné
que le placement en rétention de personnes visées par une mesure
d’éloignement, tel que réglementé par la loi sur les étrangers et
l’immigration, est une mesure de dernier ressort. Qui plus est,
d’après les lois sur les réfugiés adoptées par Chypre entre 2000
et 2014, il est interdit de placer un demandeur d’asile en rétention au
seul motif qu’il demande l’asile; la législation contient des dispositions
qui prévoient d’autres solutions en l’espèce
.
22. Les autorités chypriotes m’ont fourni des informations actualisées
sur la politique d’asile
, qui définit tous les
aspects du retour des migrants en situation irrégulière. Elles ont
souligné que les périodes de rétention ne dépassaient jamais les
18 mois requis par la Directive. Compte tenu du principe de non-refoulement,
une ordonnance d’éloignement est suspendue si un ressortissant d’un
pays tiers dépose une demande de protection internationale pendant
sa rétention
. Des mesures ont été prises pour
séparer effectivement tous les migrants placés en rétention des
personnes soupçonnées d’infraction pénale, dans l’attente du transfert des
premiers au Centre de rétention de Menoyia.
3.2. Surpopulation carcérale
et mauvais traitements
23. La question du traitement des
ressortissants étrangers a également été soulevée dans le dernier
rapport du CPT. En 2014, le CPT a déploré les allégations dont il
avait été informé concernant des mauvais traitements physiques et
verbaux infligés par des agents du Centre de rétention de Menoyia
à des ressortissants étrangers retenus au titre de la législation
relative aux étrangers, et notamment des allégations de recours
inapproprié au gaz lacrymogène dans l’enceinte du Centre. Des recommandations
ont été formulées afin de réduire la capacité officielle du Centre,
de mettre en place une série d’activités constructives et d’étoffer
les fonctions du personnel. Par ailleurs, des critiques ont été
faites concernant le manque de ressources médicales, ainsi que l’absence
d’examen médical systématique des personnes retenues à leur arrivée
et le non-respect du secret médical. Sur un plan plus général, le
CPT a recommandé que les migrants en situation irrégulière ne soient plus
retenus dans les commissariats de police, mais au Centre de rétention
de Menoyia, qui a été spécialement conçu pour répondre à leurs besoins
spécifiques
. Une attention toute particulière
a également été portée aux mineurs non accompagnés ainsi qu’aux
mères accompagnées d’enfants.
24. Sur ces points, les autorités ont indiqué que plusieurs mesures
avaient été prises pour améliorer les activités de loisirs au Centre
de rétention de Menoyia et, ainsi, améliorer les conditions de rétention
. Le Bureau du médiateur diffusera des lignes
directrices indiquant les procédures à suivre pour la prise en charge des
mineurs non accompagnés ou des personnes qui se disent mineures.
25. Le CPT a par ailleurs recueilli un certain nombre d’allégations
de mauvais traitements physiques infligés par des policiers, principalement
à des ressortissants étrangers. Les mauvais traitements allégués
avaient eu lieu une fois que ceux-ci avaient été appréhendés, au
cours de leur transport ou lors de leur interrogatoire au commissariat
de police; ils consistaient principalement en des gifles, des coups
de poing et des coups de pied assénés à la tête et sur le corps.
Ces allégations concernaient essentiellement les membres de la Police
de l’immigration et des étrangers (YAM) et du Service des enquêtes
judiciaires (CID) et la délégation a pu, dans quelques cas, réunir
des éléments de preuve médicaux confirmant ces allégations.
26. Les autorités m’ont indiqué qu’en cas d’allégation de mauvais
traitements, plusieurs mécanismes existent qui permettent de déposer
plainte et d’ouvrir une procédure d’enquête, notamment le recours
à l’Autorité indépendante d’enquête sur les allégations et les plaintes
contre la police, les procédures pénales et/ou disciplinaires, la
saisine du procureur général, du médiateur, du commissaire aux droits
de l’enfant ou de la Direction des normes professionnelles, de l’audit
et de l’inspection de la police. En outre, le 5 mars 2013, le ministre
de la Justice et de l’Ordre public a constitué une commission des
plaintes composée de trois membres chargés, de droit ou à la demande
d’une personne placée en rétention, d’examiner les décisions prises
par le centre de rétention et d’instruire toute réclamation émanant
d’une personne placée en rétention.
27. Le CPT a salué l’établissement d’un code de conduite de la
police, en collaboration avec le médiateur, l’extension du mandat
du procureur général et la publication par ce dernier de nouvelles
instructions, en vue d’affiner et d’accélérer la procédure de traitement
des allégations de conduite répréhensible des forces de police et
de renforcer le processus d’enquête. Dans le même temps, le CPT
a indiqué que certaines garanties visant à prévenir les mauvais
traitements pourraient être renforcées, notamment le droit des personnes placées
en garde à vue de rencontrer un avocat et de s’entretenir en privé
avec lui dès le début de la privation de liberté ou de la détention
de personnes pendant plusieurs jours, voire davantage, dans des
commissariats de police uniquement adaptés à une détention maximale
de 24 heures. Par ailleurs, le CPT a appelé les autorités à revoir
le système de détention provisoire dans les établissements de police,
afin qu’elles en réduisent considérablement la durée (pas plus de
quatre jours). En 2014 et 2015, plusieurs mesures ont été prises
pour renforcer la mise en œuvre de la législation en vigueur garantissant
le respect des droits de l’homme par la police, notamment l’obligation
d’informer, dans les 24 heures, l’Autorité indépendante d’enquête
sur les allégations et les plaintes contre la police de toute allégation
de mauvais traitement
.
28. La surpopulation carcérale est également un problème auquel
Chypre est confrontée. La partie principale de la prison centrale
de Nicosie comptait 523 détenus pour seulement 324 places, ce qui
a conduit le CPT à appeler les autorités chypriotes à adopter et
à mettre en œuvre une stratégie cohérente de lutte contre la surpopulation
carcérale. Ce constat a été corroboré dans les dernières Statistiques
pénales annuelles du Conseil de l’Europe, où Chypre figure au nombre
des pays affichant les taux de surpopulation les plus élevés
.
29. Les autorités estiment que ce phénomène s’est nettement réduit
depuis
que les autorités compétentes ont pris des mesures. La population
carcérale totale s’élève à 550 détenus en moyenne, contre une capacité de
469 places. Le ministère des Transports, des Communications et des
Travaux publics a entrepris des études préparatoires en vue de la
construction de nouveaux établissements pénitentiaires et de l’identification du
site le plus adapté. Ces études devraient s’achever en septembre
2016.
30. Dans leur réponse, les autorités chypriotes ont souligné les
nouvelles procédures mises en place pour remédier aux mauvais traitements,
dont l’introduction d’une formation spécifique pour le personnel
en contact avec les mineurs et l’emploi d’un personnel mixte dans
les différents quartiers de la prison, ainsi que la décision d’offrir
des visites en parloir ouvert à tous les détenus, les visites en
parloir fermé n’étant imposées que pour des questions de sécurité.
31. Le CPT a formulé d’autres recommandations concernant les perquisitions
effectuées dans les cellules, les conditions de détention, l’examen
médical des détenus à leur arrivée, l’amélioration des conditions
de vie des patients et les traitements médicamenteux dans les institutions
psychiatriques, ainsi que l’éventail d’activités constructives proposées
aux détenus, notamment aux jeunes délinquants et aux mineurs ou
encore la nécessité de mettre en place une stratégie globale de
prévention et de gestion des suicides. L’introduction imminente
d’un registre des traumatismes et d’un formulaire spécial pour signaler
les blessures, l’élaboration de lignes directrices, la formation
du personnel et l’aménagement d’un quartier pour les détenus vulnérables annoncés
par les autorités sont autant de mesures qu’il convient de saluer.
3.3. Traite des êtres humains
32. Chypre a ratifié la Convention
du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains
en 2007. Entre 2008 et 2010, 223 victimes de la traite ont été identifiées,
toutes étaient des ressortissants étrangers. Les femmes constituaient
la majorité des victimes de la traite aux fins d’exploitation sexuelle.
Il est par ailleurs fait état d’une augmentation du nombre de cas
d’hommes victimes de traite aux fins d’exploitation par le travail
. En 2008, le Commissaire aux
droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, s’est
dit vivement inquiet de voir que le système des permis de travail
pour «artistes» de cabaret est toujours en place. Ces permis de
travail, que les propriétaires de cabarets utilisent illégalement
à des fins de prostitution, sont propices à la traite des femmes
aux fins d’exploitation sexuelle, principalement dans les bars, les
discothèques et les «cabarets». Le Commissaire a ainsi demandé instamment
aux autorités de les supprimer. Le système des visas «d’artiste»
a en fait été aboli en 2008 et remplacé par un nouveau régime pour
les «artistes interprètes» qui, selon le Groupe d’experts sur la
lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), risque toujours
de donner lieu à des abus.
33. Dans l’affaire
Rantsev c. Chypre
et Russie (Requête no
25965/04), la Cour européenne des droits de l’homme a souligné
l’absence d’enquête effective de la part des autorités chypriotes
sur la mort de la fille du requérant en 2001. Cette dernière est
venue à Chypre depuis la Fédération de Russie avec un visa d’«artiste» et
y est décédée dans des circonstances non élucidées (violation de
l’article 2, volet procédural). Elle a rappelé aux autorités chypriotes
leur obligation positive de mettre en place un dispositif légal
et administratif adapté à la lutte contre la traite d’êtres humains
et l’exploitation résultant du système des visas «d’artiste» et
le manquement de la police à son devoir de protéger la fille du
requérant par des mesures spécifiques adéquates (violation de l’article
4). Elle a par ailleurs constaté l’absence d’enquête effective de
la part des autorités russes sur le recrutement de la fille du requérant
en Russie (violation de l’article 4, volet procédural), la détention arbitraire
et irrégulière de la fille du requérant par la police chypriote,
sans fondement en droit interne, et l’acceptation par les autorités
qu’elle soit par la suite séquestrée, de manière arbitraire et illégale,
dans un appartement privé (violation de l’article 5.1 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5).
34. Compte tenu de l’amélioration apportée au cadre légal et administratif
à la suite de l’affaire susmentionnée, le Comité des Ministres a
décidé de clore l’examen des mesures générales concernant Chypre
tout en continuant de suivre l’exécution
des mesures individuelles. Les autorités chypriotes ont soumis un
bilan d’action consolidé mis à jour le 8 juillet 2014 et une nouvelle
version actualisée le 7 novembre 2014, qui sont tous deux en cours
d’évaluation. On attend de Chypre et de la Fédération de Russie
qu’elles progressent dans l’enquête et procèdent à un échange d’informations
pour pleinement exécuter l’arrêt de la Cour.
35. Dans sa Recommandation de 2011, le Comité des Parties de la
Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains a invité Chypre à mettre en œuvre les propositions
du GRETA
, et a notamment invité les
autorités chypriotes à suivre de près l’application des régimes
de visas pour les artistes interprètes et les autres groupes à risque
.
36. Dans leur réponse datée de septembre 2013
, les autorités chypriotes
ont annoncé l’abolition du «visa d’artiste», l’adoption d’un nouveau
plan d’action national de lutte contre la traite 2013-2015, ainsi
que la publication de livrets d’information sur les services sanitaires
et sociaux et sur la traite des êtres humains destinés aux ressortissants
de pays tiers. Elles ont par ailleurs annoncé l’élaboration d’une
nouvelle loi anti-traite qui devrait transposer la Directive 2011/36/UE,
inclure les recommandations du GRETA concernant la législation et
remédier aux lacunes et aux difficultés rencontrées dans sa mise
en œuvre. Cette nouvelle loi comprendra des dispositions visant
à criminaliser l’utilisation des services d’une personne dont on
sait qu’elle est victime de la traite et à faire de l’infraction
de traite commise par un agent public dans l’exercice de ses fonctions
une circonstance aggravante.
37. Le ministère public devrait recourir davantage aux dispositions
de lutte contre la traite: bien que beaucoup d’affaires fassent
l’objet d’enquêtes au titre de la loi anti-traite 87(I)/2007, les
condamnations se fondent toujours pour l’essentiel sur le Code pénal.
Toutefois, une des affaires instruites s’est conclue en 2013 par
une condamnation à dix mois d’emprisonnement pour «exploitation
par le travail», conformément aux dispositions de la loi 87(I) /2007
. Le GRETA s’est rendu à Chypre
du 8 au 11 décembre 2014 afin de préparer son deuxième rapport d’évaluation.
38. J’ai appris avec satisfaction des autorités chypriotes que
plusieurs mesures avaient été prises pour améliorer la détection
des affaires de traite d’êtres humains dans les secteurs de l’emploi
domestique, de l’agriculture et du tourisme
et prévenir la traite, notamment:
- l’abolition du système des «visas
d’artiste» en 2008 et son remplacement par un système amélioré en 2010,
la restriction à un seul permis de travail par établissement de
bar pour l’emploi de ressortissants de pays tiers et une interdiction
d’entrée applicable à certains ressortissants de pays tiers dont
il a été montré qu’ils étaient particulièrement vulnérables à la
traite des êtres humains en 2010;
- la révision des conditions d’emploi des travailleurs domestiques
en avril 2015, limitant la durée de leur séjour à six années au
maximum, et la levée des restrictions relatives au changement d’employeur, remplacées
par de nouvelles conditions, ainsi que la levée de tous les critères
d’emploi des travailleurs domestiques de sexe masculin;
- l’adoption d’une nouvelle législation anti-traite complète
(loi 60(I)/2014 du 15 avril 2014), centrée sur les victimes, prenant
en compte les directives communautaires pertinentes et
intégrant la plupart des recommandations du GRETA, notamment l’incrimination
de l’utilisation de services fournis par une victime de la traite,
la responsabilité des personnes morales et l’imposition d’amendes,
la création d’un fonds spécial d’aide aux victimes de la traite
des êtres humains, ainsi que des activités de sensibilisation et
de formation pour mieux identifier les victimes, réduire le nombre
des usagers futurs et décourager le recours aux services fournis
par des victimes de la traite.
39. La loi 60(I)/2014 dispose également que les victimes ont droit
à une réparation matérielle, psychologique et sociale
, ainsi que le droit d’accéder aux
ressources nécessaires à leur subsistance, à des soins de santé gratuits,
à des services de traduction et d’interprétation et à l’éducation.
Les victimes de la traite peuvent faire renouveler leur permis de
séjour temporaire et ont le droit d’introduire une demande d’indemnisation
contre le trafiquant. Toutes les victimes sont concernées, indépendamment
de leur nationalité et de leur situation au regard du droit de séjour.
Elles peuvent être rapatriées, sous certaines conditions, en coopération
avec leur pays d’origine pour éviter toute revictimisation.
40. Enfin, le Plan d’action national contre la traite des êtres
humains (2013-2015) définit un cadre global pour lutter contre ce
phénomène. En outre, la Chambre des représentants a approuvé, le
29 mai 2014, un accord de coopération avec l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM) qui autorise cette dernière à opérer à
Chypre et à fournir des services consultatifs et techniques sur
l’immigration, le droit international en la matière, la lutte contre
la traite, le retour des migrants en situation irrégulière, le rapatriement
volontaire, les personnes déplacées à l’intérieur et hors du pays
et les autres personnes dans le besoin, les programmes de réinstallation,
etc.
3.4. Lutte contre la corruption
et transparence du financement des partis politiques
41. Selon un rapport récent publié
par Transparency International Cyprus, la population affiche un
des taux de perception des liens entre le monde des affaires et
les milieux politiques les plus élevés de tous les pays de l’Union
européenne
. Le manque de réglementation des
activités de lobbying, le favoritisme et les relations politiques
sapent la démocratie à Chypre
.
42. Dans son rapport de troisième cycle d’évaluation (publié en
2013) consacré aux thèmes «Incriminations» et «Transparence du financement
des partis politiques»
,
le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) a salué la série
d’amendements apportés au Code pénal, la loi sur la prévention de
la corruption et les deux lois portant ratification de la Convention
pénale sur la corruption et de son Protocole additionnel. Cela a
permis de combler quelques lacunes importantes, et notamment les
sanctions pécuniaires pas assez dissuasives pour les infractions
de corruption et la définition trop imprécise de certaines infractions de
corruption. Cependant, le GRECO a souligné la nécessité de prendre
des mesures supplémentaires pour créer un cadre juridique cohérent
et solide, dépourvu d’ambiguïtés, de préférence en réunissant toutes
les infractions de corruption dans un seul instrument juridique.
S’agissant des incriminations, les réformes législatives visant
à améliorer la cohérence des dispositions existantes méritent d’être
saluées.
43. Pour ce qui est de la transparence du financement des partis
politiques, l’adoption d’une nouvelle loi sur les partis politiques,
en décembre 2012, améliore la transparence du financement politique
à Chypre. Elle instaure notamment l’obligation expresse pour les
partis politiques de tenir une comptabilité et d’y consigner des
informations sur les recettes, les dépenses, les actifs et les passifs,
y compris des antennes locales et des organisations affiliées, ainsi
que les recettes et dépenses afférentes aux campagnes électorales.
Les états financiers des partis politiques font désormais l’objet,
tous les ans, d’un audit indépendant et d’un contrôle externe de
l’Auditeur général de la République, et les conclusions de ce dernier
doivent être communiquées au public.
44. Le cadre juridique ne remédie cependant pas à certains des
points faibles identifiés par le GRECO concernant les partis politiques,
en particulier l’absence de format cohérent pour leurs comptes,
de contrôle externe des recettes et des dépenses, spécifiquement
pour les campagnes électorales, et de publication de leurs comptes
et des dons individuels dépassant un certain montant. La loi n° 72/79
relative à l’élection des membres de la Chambre des Représentants,
qui avait été critiquée dans le Rapport d’évaluation, n’a pas été modifiée;
à ce jour, elle ne prévoit donc toujours pas un contrôle externe
adéquat et des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives
à l’encontre des candidats aux élections en cas d’infractions aux
règles relatives à la présentation des états financiers
.
45. En avril 2015, le GRECO a publié son deuxième rapport de conformité
. Il a regretté la lenteur des progrès
réalisés par Chypre au niveau de la transparence du financement
des partis politiques et des incriminations. Il a conclu que Chypre
n’avait «pas mis à profit le temps écoulé» depuis les rapports précédents pour
adopter «de nouvelles mesures pertinentes» en vue de combattre les
infractions liées à la corruption. Il a également indiqué qu’en
matière de transparence du financement des partis politiques, les
progrès avaient été «lents, bien que Chypre soit visiblement déterminée
à adopter une série d’amendements afin d’améliorer la transparence
et le contrôle du financement des partis politiques». En ce qui
concerne les incriminations, les progrès tangibles ont été limités
depuis l’adoption du premier rapport de conformité, en mars 2013,
et Chypre n’a pas adopté de nouvelles mesures pertinentes soutenant
l’application effective en pratique des dispositions de droit pénal
visant les infractions liées à la corruption, afin de rendre le
cadre légal plus accessible et plus uniforme.
46. En ce qui concerne le Thème II (transparence du financement
des partis politiques), le GRECO a noté que le pays avait préparé
un nouvel ensemble d’amendements à la loi de 2012 sur les partis
politiques (loi 175(I)/2012), qui devaient encore être adoptés par
le parlement (puis effectivement mis en œuvre). Ce projet de législation
prévoit une série de changements importants tels que l’interdiction
des dons anonymes et du sponsoring des partis politiques par des
organismes de droit public, l’enregistrement systématique de tous
les dons et la divulgation de l’identité des donateurs au-dessus
d’un certain montant par an. Si la loi sur les partis politiques
est modifiée comme prévu, les données spécifiques sur le financement
des campagnes électorales seront déclarées de façon plus détaillée
et rendues publiques. De plus, la mise en place d’un système de sanctions
plus souple, visant à faciliter l’application effective de la législation
sur le financement des partis politiques, est en cours d’examen.
47. Chypre devrait donc poursuivre plus vigoureusement ses efforts
dans divers domaines tels que le contrôle du financement des partis
politiques et assurer la mise en place à l’avenir d’un mécanisme
de contrôle indépendant et efficace. Plusieurs projets de loi doivent
encore être adoptés par le parlement
. En conséquence, étant donné que
«[l]a grande majorité des recommandations demeurent partiellement
mises en œuvre», le GRECO a jugé la situation «globalement insatisfaisante»
et,
conformément à son Règlement intérieur, a invité le chef de la délégation
chypriote à soumettre un rapport sur les progrès accomplis dans
la mise en œuvre des recommandations restantes avant le 30 septembre
2015
.
48. En ce qui concerne les «incriminations», les autorités m’ont
rappelé les réformes législatives entreprises, notamment la série
de modifications apportées au Code pénal, à la loi sur la prévention
de la corruption et aux deux lois de ratification de la Convention
pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe et de son Protocole
additionnel, qui ont permis de remédier à d’importantes lacunes.
49. Comme indiqué dans le rapport du GRECO, les autorités ont
confirmé que des projets de loi importants étaient en cours d’élaboration.
Nous comptons sur Chypre pour qu’ils soient adoptés à titre prioritaire
afin d’améliorer la transparence et le contrôle du financement des
partis politiques. Il s’agit notamment des textes suivants:
- la loi portant modification
de la loi de 2012 sur les partis politiques et la loi portant modification
de la loi sur l’élection des membres de la Chambre des représentants,
actuellement en cours d’examen par les commissions parlementaires
compétentes;
- la loi portant modification de la loi sur l’élection du
Président et du Vice-Président, qui, d’après les autorités, «est
sur le point d’être soumise au conseil des ministres pour approbation
et transmission subséquente au parlement»;
- trois projets de loi sur la déclaration de patrimoine
en cours d’examen par le parlement portant 1) modification de l’article
15 de la Constitution en vue de permettre des restrictions au droit
au respect de la vie privée dès lors qu’elles sont jugées nécessaires
pour garantir la transparence de la vie publique ou pour l’adoption
de mesures de lutte contre la corruption; 2) modification de la
loi 49(I)/2004 sur la déclaration de patrimoine du Président, des
ministres et des députés et 3) modification de la loi 50(I)/2004
sur la déclaration de patrimoine de certains fonctionnaires de la
République.
- J’ai également été informé que d’autres mesures de lutte
contre la corruption permettant de garantir la protection des donneurs
d’alerte étaient à l’étude.
50. Le gouvernement a préparé un projet de loi sur la transparence
des revenus des responsables politiques afin de favoriser la transparence,
conformément aux recommandations du GRECO. Son adoption constituerait une
mesure positive. L’instauration d’une Commission indépendante de
lutte contre la corruption, la promulgation d’une législation relative
à la protection des donneurs d’alerte et la nomination d’un commissaire anti-corruption
permettraient de renforcer davantage le cadre juridique de la lutte
contre ce fléau.
3.5. Politiques de lutte contre
la discrimination
51. En 2014, l’ECRI a constaté
des progrès dans la mise en œuvre de la recommandation visant à
améliorer le système de notification des infractions afin de faire
en sorte que des données exactes soient collectées et des statistiques
précises publiées sur le nombre d’infractions et d’incidents à caractère
raciste et xénophobe signalés à la police, le nombre de procédures
judiciaires engagées, les raisons pour lesquelles des poursuites n’ont
pas été engagées et l’issue des affaires jugées, conformément à
sa Recommandation de politique générale n° 1 sur la lutte contre
le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance. Elle
a précisé que des efforts s’avéraient encore nécessaires pour améliorer
le système d’archivage des affaires judiciaires, afin que ces dernières
soient aussi classées par sujet, en indiquant clairement si elles
comportent des éléments à caractère raciste
. A cet égard, j’ai été informé que,
depuis 2014, la police avait modernisé les modalités de tenue de
la base de données publique sur les infractions et incidents à caractère
ou à motivation raciste et a depuis lors publié des données y relatives
sur son
site
internet .
52. Les langues officielles à Chypre sont le grec et le turc.
Dans ses recommandations de 2014 faisant l’objet d’un suivi intermédiaire,
l’ECRI a réexaminé à cet égard la politique de zones d’éducation
prioritaire (ZEP)
, concernant tout
particulièrement la 18e école primaire
de Limassol. L’ECRI a instamment invité les autorités chypriotes
à faire en sorte que le droit à l’éducation garanti par l’article
2 du Protocole additionnel à la CEDH y soit respecté dans la pratique.
Malgré les progrès réalisés en ce qui concerne la formation et les manuels
scolaires, les autorités n’ont pas donné d’indication sur la nomination
d’enseignants ou d’assistants turcophones supplémentaires, ainsi
que l’a proposé l’ECRI, ni d’enseignants spécialistes de grec. En
dépit du recul de 50 % à près de 30 % du pourcentage d’élèves chypriotes
turcs à la 18e école primaire, l’ECRI
jugeait essentiel que ces élèves reçoivent un soutien linguistique
approprié afin de répondre à leurs besoins éducatifs. Elle a encouragé
les autorités à poursuivre leurs efforts et à employer des enseignants
et/ou des assistants turcophones supplémentaires, ainsi que des
enseignants spécialistes de grec.
53. Le ministère de l’Education et de la Culture a expliqué qu’il
s’efforçait de garantir l’égalité d’accès à l’éducation pour tous
les enfants vivant sur l’île ainsi qu’un accès effectif à la scolarité
obligatoire, le droit à l’instruction étant consacré par la Constitution
de la République. Toutefois, depuis 2006, le nombre d’élèves chypriotes
turcs inscrits à l’école primaire Agios Antonios a considérablement
baissé. En 2006-2007, 47 élèves étaient inscrits, contre 29 en 2014-2015
(dont 25 se définissaient comme Roms). Malgré cette baisse, le nombre
d’enseignants et interprètes turcophones est demeuré le même
et est jugé suffisant
pour répondre aux besoins linguistiques et éducatifs, compte tenu
de la difficile situation financière.
54. Depuis la publication du rapport de l’ECRI sur Chypre, le
ministère de l’Education et de la Culture a indiqué avoir pleinement
mis en œuvre le programme des zones d’éducation prioritaire, en
particulier à l’école primaire Agios Antonios, garantissant ainsi
le respect dans la pratique du droit à l’instruction tel que consacré par
l’article 2 du Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme.
3.6. Langues régionales et minoritaires
55. Concernant l’utilisation des
langues régionales et minoritaires, le troisième cycle de suivi
sur l’application
de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a
mis en lumière l’attitude positive des autorités chypriotes à l’égard
des besoins et des souhaits des locuteurs des langues régionales
ou minoritaires
.
Cependant, il est nécessaire d’adopter une approche plus structurée
visant spécifiquement l’arménien et l’arabe maronite de Chypre et
de sensibiliser davantage la population majoritaire au fait que
les langues régionales ou minoritaires de Chypre font partie intégrante
du patrimoine culturel du pays
.
56. Dans sa recommandation de 2014
, le Comité des Ministres
a invité les autorités chypriotes à tenir compte de toutes les observations
et recommandations du Comité d’experts et, en priorité, à mettre
en place un enseignement de l’arménien dans le deuxième cycle du
secondaire; à prendre des mesures immédiates pour renforcer et élargir
l’enseignement de l’arabe maronite de Chypre; à mettre en place
une formation des enseignants pour l’arménien et pour l’arabe maronite
de Chypre; et à renforcer la présence de l’arménien et de l’arabe
maronite de Chypre dans les médias de radiodiffusion.
57. Le ministère de l’Education et de la Culture a indiqué qu’à
partir de 2015, un budget spécial serait affecté aux besoins linguistiques
des groupes religieux, c’est-à-dire les maronites, les Arméniens
et les (catholiques) latins.
58. Par ailleurs, des cours en arménien sont proposés et une formation
intensive pour les enseignants est prévue.
59. Le ministère a également rencontré des acteurs de la communauté
arménienne pour évoquer des questions relatives à l’éducation, en
tenant compte des recommandations du Conseil de l’Europe.
3.7. Droits sociaux
60. La République de Chypre a ratifié
en 2000 la Charte sociale européenne (révisée) et a présenté 11 rapports
depuis lors. Au cours de la période considérée (2013-2015), Chypre
a soumis deux rapports, en l’occurrence sur le groupe thématique
«Santé, sécurité sociale et protection sociale»
et sur le groupe thématique «Droits
liés au travail»
.
61. Concernant le groupe thématique «Santé, sécurité sociale et
protection sociale», le Comité européen des Droits sociaux a conclu
que la situation de Chypre était conforme à huit articles de la
Charte, mais non conforme à l’article 12.1 (aux motifs que le niveau
minimum de prestations de chômage, le niveau minimum de prestations
de maladie, le niveau minimum de la pension de vieillesse et le
niveau minimum de prestations de maternité étaient manifestement
inadaptés), et à l’article 12.4 (aux motifs que l’égalité de traitement
en matière d’accès aux prestations familiales et le droit au maintien
des droits en cours d’acquisition n’était pas garantis aux ressortissants
de tous les autres Etats Parties).
61.1. En ce qui concerne l’article 12.1, les autorités ont contesté
la méthodologie utilisée. Etant donné qu’à Chypre, les prélèvements
(impôt sur le revenu, cotisations sociales, etc.) sur le revenu
brut du travail des ménages sont relativement peu élevées, le seuil
de pauvreté absolue est plus approprié pour déterminer l’adéquation
des prestations sociales que celui de 50 % du revenu médian ajusté.
61.2. En ce qui concerne la conclusion de non-conformité avec
l’article 12.4, les autorités ont fait observer que les prestations
familiales dépendaient à la fois de conditions de résidence et de
critères de revenu/économiques/patrimoniaux. Ces conditions s’appliquent,
indépendamment de la nationalité, aux ressortissants chypriotes,
aux ressortissants de pays de l’Union européenne et aux ressortissants de
pays tiers. Aux fins de l’article 12.4, l’égalité de traitement
en matière de prestations familiales est par conséquent garantie
.
62. Concernant le groupe thématique «Droits liés au travail»,
le Comité européen des Droits sociaux a rendu dix conclusions de
conformité mais a jugé que la situation de Chypre n’était pas conforme
à l’article 4.5 de la Charte (au motif que les garanties empêchant
les travailleurs de renoncer au droit à la limitation des retenues sur
salaire étaient insuffisantes) et à l’article 6.4 (au motif que
les lois sur les syndicats 1955-1996 soumettaient toute décision
de déclenchement d’une grève à l’autorisation du comité exécutif
d’un syndicat).
62.1. En ce qui concerne
la conclusion de non-conformité avec l’article 4.5, les autorités
ont répondu que la compatibilité des retenues sur salaire était
déterminée par accord entre l’employeur et les représentants des
salariés. S’il n’existe aucun représentant dans l’entreprise, les
négociations doivent se tenir directement avec l’employé pour déterminer
la compatibilité des cessions de salaire
.
Pour tout paiement d’une rémunération sous forme de prestations
en nature, le consentement du salarié est nécessaire et habituellement
donné sous forme écrite puisque, en ce qui concerne la rémunération,
la charge de la preuve incombe à l’employeur.
62.2. Quant à la conclusion de non-conformité avec l’article
6.4, les autorités ont indiqué que le projet de loi était en cours
d’élaboration, les conditions financières et de travail ayant évolué
depuis 2009. Un texte entièrement remanié a été soumis à la Chambre
des Représentants.
63. Le 12e rapport concernant les dispositions
du groupe thématique «Enfants, familles, migrants»
acceptées
par Chypre devait être soumis avant le 31 octobre 2014.
64. Les mécanismes de suivi n’ont relevé aucun autre sujet de
préoccupation spécifique à Chypre en matière de protection et de
promotion des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie.
4. Conclusions
et recommandations
65. Dans l’ensemble, le fonctionnement
des institutions démocratiques à Chypre est conforme aux normes du
Conseil de l’Europe. On peut considérer que Chypre respecte globalement
les obligations contractées lors son adhésion au Conseil de l’Europe.
La ratification, le 12 février 2015, de la Convention du Conseil
de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels ainsi que la signature, le 16 juin 2015, de
la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à
l’égard des femmes et la violence domestique marquent un pas supplémentaire
dans l’engagement de Chypre à l’égard de la lutte pour les droits des
femmes et des enfants, y compris la campagne UN sur CINQ.
66. Il convient de mentionner tout particulièrement les conditions
créées récemment pour mener des pourparlers de paix; il s’agit d’une
avancée très positive vers le règlement du conflit chypriote. Il
faudrait encourager les autorités de la République de Chypre et
les dirigeants chypriotes turcs à poursuivre leurs efforts visant
à refermer les blessures du passé et à construire un avenir meilleur,
et les soutenir dans cette entreprise.
67. Toutefois, au regard des conclusions des mécanismes de suivi
des principales conventions du Conseil de l’Europe, plusieurs points
demeurent préoccupants et les autorités devraient s’employer à y
remédier avant le prochain rapport d’évaluation périodique. Les
recommandations suivantes sont adressées aux autorités:
- conformément à la Résolution 1956 (2013) de l’Assemblée, et dans le prolongement de la déclaration conjointe
encourageante que le Président Anastasiades et le dirigeant chypriote
turc Akıncı ont publiée le 28 mai 2015, continuer à soutenir les
efforts déployés pour résoudre les problèmes relatifs aux Chypriotes
grecs et aux Chypriotes turcs disparus;
- mettre en œuvre et renforcer encore le cadre juridique
et les pratiques administratives, en particulier la formation adéquate
des forces de l’ordre, en relation avec la situation des ressortissants
étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière;
garantir un accès complet des migrants et des demandeurs d’asile
aux informations et aux services disponibles et veiller à mettre
en œuvre une autre solution que le placement en rétention des demandeurs
d’asile, qui devrait demeurer une solution de dernier ressort, conformément
aux normes des droits de l’homme;
- continuer à élaborer des stratégies et à prendre des mesures
concrètes pour prévenir les mauvais traitements dans les établissements
pénitentiaires et les commissariats de police;
- à la lumière des recommandations formulées par le GRECO
dans le cadre du troisième cycle d’évaluation, renforcer le cadre
juridique de lutte contre la corruption ainsi que la transparence
du financement des partis politiques et modifier, à titre prioritaire:
- la loi de 2012 sur les partis
politiques;
- la loi portant modification de la loi sur l’élection des
membres de la Chambre des représentants;
- la loi sur l’élection du Président et du Vice-Président;
- l’article 15 de la Constitution;
- la loi 49(I)/2004 sur la déclaration de patrimoine du
Président, des ministres et des députés;
- la loi 50(I)/2004 sur la déclaration de patrimoine de
certains fonctionnaires de la République;
- créer une commission indépendante de lutte contre la corruption,
adopter une législation de protection des donneurs d’alerte et nommer
un commissaire anticorruption pour renforcer encore le cadre juridique en
la matière;
- participer activement à la plateforme de l’Assemblée parlementaire
contre la corruption pour échanger des expériences et s’inspirer
des bonnes pratiques développées dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe;
- mettre en œuvre les recommandations de l’ECRI et poursuivre
les efforts visant à mettre pleinement en œuvre le droit à l’instruction
en employant des enseignants et/ou des assistants turcophones ainsi
que des enseignants spécialistes de grec;
- mettre en œuvre les recommandations du GRETA et du Comité
des Parties en matière de lutte contre la traite des êtres humains
afin d’améliorer l’identification et la protection des victimes
et de mieux informer la population de ce risque, mettre en œuvre
des politiques préventives et répressives efficaces et appliquer
une approche de la lutte contre la traite des êtres humains fondée
sur les droits de l’homme, en s’appuyant sur la Convention du Conseil
de l’Europe en la matière et sur la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme; exécuter intégralement l’arrêt rendu dans
l’affaire Rantsev c. Chypre et Russie pour
ce qui est des mesures individuelles;
- poursuivre la mise en œuvre des recommandations du Comité
européen des Droits sociaux et assurer la conformité avec les articles
4.5 et 6.4 de la Charte sociale européenne, relatifs au groupe thématique «Santé,
sécurité sociale et protection», et les articles 12.1 et 12.4, relatifs
au groupe thématique «Droits liés au travail»; fournir au Comité
européen des Droits sociaux toutes les informations requises ainsi
que son 12e rapport relatif au groupe
thématique «Enfants, familles, migrants»;
- conformément à la recommandation du Comité des Ministres
de 2014, et dans le sillage des mesures positives prises en 2015
pour allouer un budget spécial aux langues minoritaires, encourager
plus avant la promotion des langues arménienne et arabe maronite
de Chypre ainsi que la sensibilisation aux langues régionales ou
minoritaires de Chypre en tant que partie intégrante du patrimoine
culturel du pays;
- ratifier la Convention sur la prévention et la lutte contre
la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.